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L'association lectouroise "Le 122", qui a créé en 2013 le Festival polars et histoires de police, a lancé un nouveau concours de nouvelles policières en langue française, dont le cadre est le département du Gers. La marraine de ce concours est Line Ulian, dont les romans ont la Gascogne pour décor. Renseignements par mail ([email protected]) et sur www.facebook.com/salondupolarethistoiresdepolice
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Seitenzahl: 424
Veröffentlichungsjahr: 2018
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Préface de Line Ulian
Un concours de nouvelles policières
Meurtre à Monfort,
par Salomé Gouetcha
Poulet aux truffes,
par Éric Gohier
Le tueur au tournevis,
par Cyrille Thiers
J’accuse,
par Jean-Luc Guardia
Un Floc me up
s’il vous plaît !
par Valérie Bouzignac
Rupture conventionnelle,
par Marie-Line Ducassé
Enlèvement,
par Éric Varvoux
367 jours,
par Nicod Reynald
Affliction paloise
(Anonyme)
Débordé !
par Michelle Marcoux
La disparition,
par Liam Esper
G.G.,
par Agnès Payen
Meurtre rue Jules de Sardac,
par Serge Mauro
Héritière,
par Irène Baudry
Innocence,
par David Morales Serrano
Le Panier Fleuri,
par Daniel Hancard
Le robinet goutte,
par Stéphanie Cerdura
Gains aux jeux de hasard
(Anonyme)
Naissance d’une vocation criminelle,
par André Gillet
Petits meurtres champêtres
(Anonyme)
« Maculée conception »
(Anonyme)
L’engrenage,
par Christophe Adora
Tir mortel,
par Nicole Sarnette
Le passager,
par Delphine Lecastel
Pas folle la guêpe,
par Éric Lainé
Sergueï,
par Guy Vieilfault
Verdict,
par Roger Nusteleyn
Les mains du diable,
par Jean-Claude Barbat
Les cloches et la sirène de Lectoure,
par Pierre Léoutre
Quelques portraits d’auteurs du Festival
Revue de presse
Tout d'abord et puisque l'occasion m'en est donnée, je tiens à remercier Pierre Léoutre pour l'organisation de ce salon du polar, première édition à Auch. Je sais l'énergie, le temps et la générosité avec lesquels il a mené à bien ce projet. Alors, bravo Pierre !
Je voudrais aussi le remercier de l'honneur qu'il m'a fait en me proposant d'être la marraine du concours de nouvelles. Environ 25 ecnts nous ont ete adressés, c'est dire l'engouement des auteurs pour cet exercice qui est loin d'être simple et qui nécessite la maîtrise de la concision et la capacité d'écrire dans le champ de l'intensité. Contrairement au roman, la brièveté de la nouvelle permet en effet de renforcer l'effet produit par le texte et je dois dire que je n'ai pas été déçue. Je tiens donc à féliciter tous les auteurs de ces nouvelles pour leur originalité et leur imagination.
Face à tous ces écrits de talent, je dois dire qu'il me fut très difficile de faire un choix. Il ne s'agit pas là d'une simple expression mais de la réalité. Ce ne fut pas simple.
C'est donc maintenant avec beaucoup de plaisir que je vous annonce les résultats.
Dans la catégorie «moins de 18 ans», la gagnante est Salomé Gouetcha pour sa nouvelle intitulée « Meurtre à Monfort». Cette jeune flUe de 16 ans s'est inspirée d'un sordide meurtre perpétré dans le Gers et l'a détourné pour un dénouement des plus surprenants. Salomé demeure en Nouvelle Calédonie. Je doute fort qu'elle soit donc présente aujourd'hui, mais je ne manquerai pas de lui faire part de son prix.
Concernant les « plus de 18 ans », j'ai sélectionné trois nouvelles. Dans l'ordre croissant : le troisième prix est attribué à Jean-Luc Guardia pour « J'accuse… ! », écrit dont j'ai beaucoup apprécié le style et la façon particulière et originale d'enchaîner le récit.
Mon choix pour la deuxième nouvelle s'est porté sur « Le tueur au tournevis » de Cyrille Thiers. Le récit est clair, net, précis ! Les personnages sont bien campés, l'intrigue menée avec soin avec un final inattendu. La consigne locale est respectée. L'écriture est concise, bien rythmée et maîtrisée.
Enfin, le gagnant de ce concours de nouvelle est Éric Gohier pour « Poulet aux truffes ». Ce texte fait preuve d'une bonne dose d'humour dès le commencement, puis tout au long du récit. Les analogies sont particulièrement réussies et succulentes. L'écriture est maîtrisée, fluide. La fin est pour le moins inattendue. J'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de cette histoire. Belle réussite pour cette nouvelle !
Bravo à tous, je ne peux que vous encourager à persévérer dans la voie de l'écriture.
Line Ulian
Discours au Salon du polar à Auch, le 3 décembre 2017.
Née en 1965, Line Ulian est l'auteur de deux polars « Cœur de pierre » et « La morsure de la salamandre », édités aux Presses Littéraires. Avec son troisième écrit « HP – Chambre 217 », elle nous livre un récit vrai, un carnet de bord sur ses pensées les plus intimes durant les quatre semaines que dura son hospitalisation au Centre Hospitalier du Gers.
L'association lectouroise « Le 122 », qui a créé en 2013 le Festival polars et histoires de police, lance un nouveau concours de nouvelles policières en langue française, dont le cadre est le département du Gers. Le texte doit compter entre 3 et 9 pages. Le sujet est libre : un crime, un délit, un méfait, une infraction, une tromperie, une vengeance, une fraude, un complot, etc. De même que le genre : énigme, mystère, texte noir, espionnage, suspense, contemporain ou historique. Ce concours est gratuit et s'adresse à tous, quels que soient sa nationalité ou son lieu (pays) de résidence. En fonction de leur âge, les participants concourent en deux catégories : jeunes (moins de 18 ans) ou adultes (plus de 18 ans). Les textes retenus dans chaque catégorie seront récompensés par une publication dans le recueil édité chaque année par l'association Le 122. Les textes rédigés doivent être adressés par mail (pierre. [email protected]) et aussi par courrier postal (concours de nouvelle policière, association « Le 122 », chez Pierre Léoutre, 15, rue Jules de Sardac 32700 Lectoure) avant le 31 octobre 2018. Les résultats seront proclamés lors de la prochaine édition du Festival polars et histoires de police qui aura lieu à Auch, dimanche 2 décembre. La marraine de ce concours est Line Ulian, dont les romans ont la Gascogne pour décor. Renseignements par mail ([email protected]) et sur www.facebook.com/salondupolarethistoiresdepolice.
Line Ulian est la marraine du concours de nouvelles policières organisé par l'association « Le 122 ».
Il était environ 19 heures, on entendait encore les cigales chanter. Malgré le soleil couchant, l'air était lourd, orageux. La route jusqu'à Monfort, passant par Mauvezin depuis Auch, prenait à peine trente-six minutes de voiture mais Éric avait l'impression que cela durait des heures. Il haïssait quand lui et son coéquipier, Pierre, étaient obligés de quitter leur bureau du Yard.
Mais un quadruple homicide était quelque chose de tellement rare. Il leur fallait les meilleurs pour résoudre cette affaire, rapidement. La presse harcelait le sous-préfet, de plus la population gersoise était inquiète. Une fois arrivés sur les lieux du crime, ils aperçurent des policiers vomissant dans les buissons, cela n'augurait rien de bon.
Une jeune femme aux allures de top model, les accueillit avec un sourire forcé, elle était d'une pâleur morbide.
- Bonjour, je suis Julie de Preissac, le médecin légiste, dit-elle avec un accent chantant, fleurant bon le midi.
- Bonjour Miss, nous sommes les inspecteurs chargés de ce meurtre, Pierre Harper et Éric Spencer. Notre comté participe à un échange coopératif entre les services de police européens, lui précisa Éric avec un flegme tout britannique.
- Oui, je sais, leur répondit-elle avec un petit rire malicieux. Le sous-préfet a peur pour son poste ? leur demanda-t-elle pince-sans-rire.
Quel genre de meurtre peut-il avoir lieu dans une si paisible bourgade gersoise ? Un homme soûl a roué de coups un autre après qu'il lui a proposé de lui traire ses vaches ? La présidente du club de lecture a tué son groupe sous une impulsion meurtrière ?
Un sourire moqueur éclaira le visage d'Éric à ces pensées cocasses, et pourtant si déplacées vu la circonstance. Son coéquipier lui adressa un regard interrogateur en le voyant sur le point de se bidonner. L'enquêteur Spencer lui dit que ce n’était rien.
Arrivé depuis un mois à Auch, Pierre ne maîtrisait pas encore les subtilités de la langue de Molière tandis qu’Éric était là depuis bientôt six mois.
Une scène macabre s’offrit à eux lorsqu'ils entrèrent dans la maison. Une odeur pestilentielle leur donna envie de vomir violemment, elle était partout.
Tout en explorant la maison, le médecin légiste leur fit part de ses premières constatations et des informations recueillies auprès des voisins.
Les cadavres dataient d'au moins cinq jours, vu l'affreuse puanteur qui régnait. Le premier corps était celui d'un homme, Johan Nieuwenhuis. Il était étendu dans la cuisine. Ses poignets et ses chevilles étaient liés avec un fort ruban adhésif blanc. Le même ruban faisait, aussi, un bâillon. Sur son corps, des coups de couteau avaient fait quinze plaies.
Dans une chambre, à côté, il y avait son épouse Dorothéa. Elle était étendue sur le lit. Elle aussi entravée et bâillonnée avec le même ruban. On l'avait égorgée sans pitié.
Au premier étage, dans une autre chambre sur le lit, se trouvait Marianne Van Hulst, dans la même position que Dorothéa. Toutes les pièces avaient été fouillées par leurs collègues qui vomissaient maintenant, dehors.
Le dernier corps découvert mais pourtant le premier tué, d'après Julie, était Artie Van Hulst qui gisait au rez-de-chaussée, dans une sorte d'atelier, au fond. À peu de distance, on lui avait tiré dessus quatre décharges de plombs.
Éric sortit une flasque de sa poche et but goulûment une rasade de whisky. L'alcool lui brûla la gorge, et pourtant il se sentit tout de suite mieux, c'était la seule chose l'empêchant de perdre les pédales. Un regard réprobateur de Julie et Pierre, le fit arrêter de boire. Il rangea sa flasque à contrecœur.
Les deux inspecteurs décidèrent d'aller voir les voisins qui avaient découvert les corps.
- Il s'agit d’Henri Wagemans et Wilhelmina Peeters, des amis des victimes. Ils les ont découverts un peu plus tôt vers 18 heures. Ils disent qu'ils ont trouvé la maison fermée, les volets tirés et la chaîne de l’entrée tendue comme si les propriétaires étaient absents pour une longue période. Le téléphone dans l'entrée était débranché et le courant coupé, leur dit un de leur collège en leur tendant les dépositions de ces derniers.
- Ils avaient rendez-vous à 17 heures à l'église Saint Clément pour la répétition de chorale locale et leurs amis ne s'étaient jamais montrés. De ce fait, inquiets, ils étaient venus leur rendre visite.
Entendant des aboiements désespérés venant de la niche du chien, M. Wagemans et Madame Peeters avaient pris la clé de la porte de derrière qu'ils savaient cachée dans un pot de fleurs, étaient entrés et avaient découvert l'horreur, ajouta Julie afin d'éclairer la lanterne des inspecteurs anglais.
Les policiers du coin les regardaient passer, un air hautain sur le visage. Ils ne semblaient pas apprécier que le sous-préfet fasse venir des gens de l'extérieur pour faire leur job. Et si le meurtre avait été fait par racisme ? Après tout, les victimes étaient des étrangers, Pierre garda cette idée en mémoire.
D'un commun accord, les policiers rentrèrent à Auch en se promettant de revenir demain matin au plus tôt. Après cette macabre visite, ils avaient besoin de boire un bon thé chaud et de dormir.
Un appel téléphonique de Julie tira Pierre du sommeil. Ils s'étaient couchés tard avec son coéquipier, le bar du coin était ouvert toute la nuit.
- Je vous attends à 9 heures au Château d'Esclignac. Allez, peuchère ! Levez-vous de votre lit et secouez Éric tant que vous y êtes, lui dit l'importune en guise de bonjour.
- Yes, yes… J'y vais, lui répondit l'inspecteur, la voix endormie.
- Vous êtes ensuqué ! Réveillez-vous ! lui cria-t-elle violemment à l'oreille avec un accent typiquement du sud.
Éric se leva, difficilement. Son partenaire et lui partageaient une maison de fonction dans le centre-ville d'Auch, près du centre hospitalier du Gers. Ils mirent au moins trente minutes pour arriver. Le village était en ébullition, dimanche le marché mettait une animation enjouée. Julie, qui les attendait depuis bientôt une heure, semblait déjà bouillonner.
De chaleur ou de rage ? Telle était la question.
- J’ai discuté avec la crim', ils ont trouvé deux empreintes différentes sur l'adhésif ayant servi à bâillonner les victimes, éructa la médecin légiste. D'ailleurs, celles-ci ont été torturées, sûrement pour avoir les codes de carte bleue. Les policiers du coin pensent que c'est le bricoleur qui a travaillé pour la famille. Il apparaît que c'est un dealer reconnu par les services.
- Oui, Samel Ken Lasah. Il a appelé ce matin pour dire qu'il était le dernier à les avoir vus en vie…, Pierre ne finit pas sa phrase.
Ce dernier se mit à réfléchir à toute vitesse. Il appela le commissariat, leur disant d'arrêter le bricoleur et de prendre ses empreintes. Samel Ken Lasah était officiellement le suspect numéro 1 dans le quadruple homicide de la Boupillière.
- Je trouve ça trop facile, marmonna Éric, qui avec Julie avait tout écouté.
- Bondiou, ça pègue, dit cette dernière avec une pointe de surprise dans la voix et son accent qui sentait bon le sud.
Sous une chaleur ardente, les deux inspecteurs se dirigèrent vers le commissariat d'Auch où leurs collègues étaient déjà en train d'interroger le suspect présumé.
Pierre était turlupiné par la pensée que c'était toujours les étrangers qui semblaient avoir tort dans cette ville. Le soleil était à son zénith, les vitraux de l'église Saint Clément se reflétaient sur les rues en angle droit, tels des milliers d'arcs-en-ciel. L'inspecteur Harper, toujours en réflexion, trouva d'une beauté stupéfiante cette vue.
Mais alors pourquoi une ville magnifique au décor typique d'une bastide médiévale avait sa population qui baissait d'année en année ? Le vieillissement, l'exode rural ? Le racisme latent était peut-être l'indice que Samel Ken Lasah n'était pas forcément le meurtrier désigné.
Pierre refusait de croire que c'était ce pauvre bougre, à la différence d'Éric qui était persuadé qu'ils avaient fini leur enquête.
Un vent tiède ébouriffait les cheveux roux de l’inspecteur Harper tandis qu'il googlait les meilleurs sites touristiques du coin.
L'anniversaire de Pierre étant dans trois jours, Éric avait décidé que lui faire visiter la région était une bonne idée.
Mais son coéquipier semblait être d'une humeur massacrante depuis qu'ils avaient reçu l'appel du commissariat.
Le festival des arts cinématographiques ou celui des arts du chant ? Le festival des arts du cirque avait lieu ce week-end, c'était parfait. Ils n'auraient qu’à y aller, puis le soir aller dîner au restaurant le Bartok à Auch. La femme d’Éric était morte quelques années plus tôt, ce pauvre bougre n'avait donc plus que son ami comme famille.
Lorsque les deux inspecteurs passèrent la porte d'entrée du commissariat, ils furent assaillis par leurs collègues qui leur dirent que le suspect avait un alibi en béton. En effet, Samel Ken Lasah habitait avec sa petite amie, Sandra. Elle l'avait vu rentrer dans la nuit.
– Comment ? Vérifiez-moi cet alibi ! Elle peut parfaitement le couvrir ou même être complice du meurtre, s'époumona l’enquêteur Spencer à l'encontre de leurs pauvres collègues, surpris. Les deux coéquipiers sortirent sur le parking.
- C’est vrai que ça paraît peu plausible que notre suspect a tué toutes les victimes à lui seul, acquiesça son collègue.
- Mais pourquoi ? Quel était l'intérêt de tuer son employeur et sa famille ? questionna Pierre, en ruminant. Peut-être ne voulaient-ils pas le payer correctement ? s'interrogea Pierre qui ne comprenait pas non plus le fonctionnement du tueur.
- En tout cas, le meurtrier a fait les poches des victimes. Plus de porte-monnaie, de carte de crédit, de bijoux ! Plus rien ! s'exclama une voix féminine.
La jolie médecin légiste s’était faufilée derrière eux et leur avait débité cette phrase sans qu'ils l'entendent venir.
Pris d'un élan de fureur, Éric monta dans la voiture et démarra en trombe, laissant Pierre et Julie, penauds, dans le parking du commissariat.
- Qu'est-ce qu'il lui prend ? s’informa Mlle de Preissac, incrédule.
- Je n'en ai pas la moindre idée…, lui répondit l'inspecteur Harper, sous le choc.
Éric roula comme un forcené jusqu'à une petite maison bleue, mas provençal décrépis en bordure de la rue des Écoles. Il freina sec et sortit, sa plaque et son flingue en main. Une jeune femme sortait de la maisonnée lorsqu'il vint à sa rencontre, elle sursauta.
Qui était-ce donc encore, pensa-t-elle en serrant les dents. Elle avait bien d'autres choses à faire que de discuter avec un démarcheur.
- Bonjour, je suis l'inspecteur Éric Spencer. Vous êtes bien Lucie Fernand ? Vous alliez au commissariat, n'est-ce pas ?
- Oui, en effet…, la peur perlait dans sa voix.
- Venez, je vais vous y conduire, lui susurra Éric.
- Mais…
L'inspecteur ne la laissa pas finir. Il la fit monter dans la voiture, regarda que personne ne les avait vus et démarra à toute vitesse.
- Qui êtes-vous vraiment ? lui demanda Lucie, le regard déconcerté.
- Je vous l'ai dit, je suis un inspecteur de police, lui répondit Éric en passant la cinquième.
- Le commissariat n'est pas dans cette direction, M. l'inspecteur, protesta Mlle Fernand, penaude.
- Je sais…, dit Éric, le regard plein d'animosité.
C'était la fin d’après-midi, le soleil descendait enfin ainsi que la chaleur caniculaire. Lorsqu’Éric arriva au commissariat, seul, la tension était palpable. Pierre vint tout de suite le voir, ce dernier ne lui demanda même pas ce qu’il s’était passé. Harper ne lui tint pas non plus rigueur de son escapade. Il se contenta de lui donner les derniers détails de l'enquête.
La jeune demoiselle qui fournissait un alibi à Samel Ken Salah, le principal suspect, était passée une heure plus tôt. Elle était revenue sur ses dires car elle prenait des médicaments et ne savait pas quand exactement son copain était rentré. Au grand dam de Pierre qui devait se ranger à l'évidence : c'était bien un étranger qui semblait être le coupable.
Un coup de fil du commissariat tira Pierre et Éric du lit, le réveil annonçait seulement deux heures et demie. Un peu tôt pour commencer une journée ? La voiture d'Henri Wagemans et Wilhelmina Peeters, les amis des victimes, avait été retrouvée dans un fossé, une heure plutôt. Un « accident » les avait tués sur le coup. Ils avaient fait des tonneaux avant de finir sur le bas-côté de la route de Sarrant.
Cette enquête commençait à compliquer la vie de l'inspecteur Harper. Une migraine sans fin lui prenait la tête depuis le début, de plus la chaleur étouffante l'empêchait de respirer. Le fog londonien lui manquait, le chant lancinant des criquets le rendait fou.
- Cessez de rouméguer ! les apostropha Julie.
Que faisait-elle ici, encore ? Éric avait l'impression qu'elle était partout. Peut-être les suivait-elle ? Par ailleurs, son parler local l'indisposait, lui si fier de posséder un français académique.
- Hey, alors que s'est-il passé ? la questionna Pierre, un sourire aux lèvres. Il n'était pas indifférent à son charme latin. Malgré son équipement stérile, elle était séduisante, pensa l'inspecteur Spencer.
- Les freins ont lâché d'après le garagiste. Mais c'est quand même énorme que personne ne les a remarqués ! La mort remonte vers quinze heures, les informa la médecin légiste.
- Quoi ? ! s'exclama Spencer, estomaqué. Comment est-ce possible que personne n'a rien vu ?
Pierre et Julie étaient en pleine réflexion, tandis qu'Éric avait concentré toute son attention sur le ciel. Un bleu azur perlait, une magnifique et chaude journée en perspective. Ils ne découvriraient jamais ce que Spencer avait fait.
Ce jour du 20 mai, Éric avait un peu trop forcé sur la bouteille et perdu les pédales. Mais après sa petite conversation avec Lucie, il était sûr de ne plus rien avoir à craindre.
L'inspecteur était doué pour « persuader ». Une petite discussion suffisait amplement pour bien faire comprendre quelle était la conduite à tenir pour vivre un peu plus de temps dans ce monde.
Samel n'avait pas suivi cette voie.
Et maintenant, il allait passer vingt ans dans une prison fédérale.
Éric pourrait ainsi récupérer toute sa drogue et se venger. En effet, il avait constitué un stock de crack prélevé sur les saisies lors des arrestations. Samel qui travaillait pour l'inspecteur avait essayé de le doubler.
L'inspecteur Harper et la médecin légiste, ne sachant rien du plan qui se déroulait dans la tête de leur ami, se souriaient stupidement.
Elle se demandait quand il l'inviterait à sortir tandis qu'il se demandait s'il devait le lui demander.
Les trois partenaires semblaient faire tache sur le bord de la route de Sarrant à quatre heures du matin, leurs têtes embrumées de rêve, désir et peur qu'ils ne se diraient peut-être jamais.
Le printemps dans cette région méditerranéenne était précoce, Éric s'appuyait nonchalamment sur un châtaignier en fleur. La lande d'alysson maritime et de bruyère, déjà piétinée par des officiers, dégageait une odeur de miel.
Harper était aux abois depuis quelques mois, en effet Samel se montrait de plus en plus incontrôlable. Sa consommation excessive de crack de Samel lui faisait perdre la tête. Il devenait arrogant, violent.
L'inspecteur craignait que sa couverture ne vole en éclat. De ce fait, il avait monté un plan machiavélique pour se débarrasser du dealer. Éric n'avait aucune rancœur envers les victimes de la Boupillière, il ne les connaissait même pas.
L'habitude de voir des morts, sa capacité à faire abstraction de ses sentiments lui avait permis de les tuer, froidement. Le whisky apaisait sa conscience.
Quelques semaines plus tard, l'instruction bouclée, Samel Ken Lasah fut condamné malgré ses cris d'innocence. La vie reprit son cours habituel. Les terrasses des cafés étaient à nouveau bourdonnantes de vie. L'été était déjà là. L'air embaumait la lavande fleurie, les filles déambulaient en mini-short dans les rues pavées.
La nuit tombant sur Auch, Pierre était attablé au bar de l'Irish Rock Café. La boisson lui donnait la nostalgie de son pays. Le barman, aussi originaire de Bloomsbury, était ravi de bavarder avec un compatriote dont les pourboires étaient généreux.
- I saw your friend last month with… this guy… you know ? The one who's been arrested for the murder… I think. Again, a terrorist ! dit l'Anglais.
Malgré l'alcool et le bruit ambiant, les gens du Sud ont tendance à être braillards, Pierre fut sonné par la révélation étonnante de son nouvel ami. Éric avait pris des vacances après l'affaire et une certaine distance s’était installée entre les deux inspecteurs.
- What the fuck ? pensa Pierre. Comment est-ce possible ? tonna-il au barman.
- Don’t know ! répondit l’English, apostrophé par une bande de rugbymen soûls.
Les rues médiévales avaient perdu tout leur charme aux yeux de l'inspecteur, dupé par son coéquipier. Dessoûlé, il prit sa voiture et fonça voir Julie, qui peut-être y verrait plus clair. Les virages de la route scénique de Monfort n'avaient jamais entendu de pareils couinements de pneu. Dans l’urgence, il ne pensa pas à téléphoner pour prévenir de son arrivée.
Le château de Preissac, héritage familial de Julie, avait été racheté par des Russes. La médecin légiste occupait une dépendance sur le terrain. Laissant son véhicule à la grille, il se rendit à pied jusqu'à la demeure de son amie. Une chaîne de musique contemporaine diffusait des standards de jazz à un volume tonitruant. Alors que Pierre s'approchait calmement de la maison, à travers la porte-fenêtre il aperçut Éric et Julie enlacés, un verre à la main.
- Ce fada de Pierre n'y a vu que du feu. Ça m'espante comme on a réussi à l’estamper, railla Julie.
- May be, we should be more careful now. He can still have suspicion ! ricana l’inspecteur Spencer.
Ils étaient amants. Et définitivement complices !
Pierre fut médusé par la traîtrise de ses « amis » et son incompétence à le remarquer.
Le soleil se levait tranquillement, tandis que la voiture de Pierre roulait à toute vitesse vers la gendarmerie d'Auch.
Antoine Pellegrin reposa le combiné sur son support. Il se prit la tête entre les mains et laissa retomber ses coudes sur le bureau. L'œil morne, il regarda tomber la pluie au travers de la baie livrant la vue sur l'entrepôt. Il était hébété. Effondré. Liquéfié.
D'ordinaire, il prisait peu les dimanches – au point de passer une bonne partie de la matinée au bureau – mais là, cela dépassait le simple cadre de la morosité. Cela confinait même à la catastrophe.
Il avait eu cette pensée terrible quelques instants plus tôt : Une chance que je n'ai pas une arme dans mon tiroir de bureau ! Bouvreuil remonta le col de son blouson avant de s'élancer en courant en direction de la voiture. Pour être complètement respectueux de la vérité, il imagina qu'il courait. Son dandinement maladroitement précipité laissait plus à songer à un transfert de gelée anglaise du réfrigérateur jusqu'à la table de la salle à manger.
Du bouvreuil auquel il devait son patronyme, il n'avait conservé que l'œil sombre, attentif au moindre détail. S'il avait vraiment fallu le comparer à un oiseau, le choix d'une dinde discrètement engraissée à quelques jours de Noël, aurait paru plus judicieux.
Il ouvrit la portière, pesta en silence contre cette pluie qui depuis plus de trois jours s'évertuait à repeindre le Gers aux couleurs de la Normandie. Il s'offrit en guise de distraction tout ce que le type lui avait déclaré au téléphone.
D'instinct – et fort d'une expérience acquise avec l'âge – il avait jugé plus sage de ne pas se fier aux apparences. Les témoignages, en général, il y en avait plus de la moitié bons à jeter à la poubelle. Chacun se faisait son petit film personnel et adaptait les éléments du décor en fonction.
L'esprit aussi vif que son corps d'obèse pouvait sembler lent, il lista tous les éléments qu'il estimait dès à présent plus sage de soumettre à controverse.
Antoine Pellegrin continuait d'égrener tous les avatars vers lesquels il voguait immanquablement. Tout s'enchaînait en une spirale pernicieuse. L'issue occupait jusqu'au dernier strapontin promis au doute.
Faillite, liquidation judiciaire, ruine et misère à un âge où l'on a d'ordinaire plutôt tendance à s'assoupir sur ses lauriers. À deux ans de vendre la boîte à ses ouvriers, c'était à mourir de désespoir.
Son seul espoir reposait désormais sur la sagacité policière. Il ne s'autorisait guère à y croire.
Il s'y refusa même complètement lorsqu'il vit l'inspecteur sortir de sa voiture. Celui-ci s'accordait à merveille avec la Renault 19, moins blanche que cabossée, dont il venait de s'extraire. Pellegrin savait la police dans de mauvaises dispositions financières mais pas à ce point-là.
Il avait espéré Philip Marlowe ou Myron Bolitar. Voilà qu'on lui envoyait le fils caché du docteur Watson et de Miss Marple. Inutile de préciser que s'il s'était caché à la campagne c'était dans l'unique but de pouvoir se gaver à son aise de gâteaux et de sucreries.
Son moral au ras des pâquerettes enfila un casque de spéléologue et actionna l'interrupteur. Il se leva néanmoins pour accueillir l'inspecteur. Il aurait pu s'en dispenser. La vitre de la porte d'entrée se répandait entièrement en un amas de petits morceaux de verre sur le large paillasson moquetté.
Malgré son embonpoint, Bouvreuil parvint à se glisser au travers de l'obstacle.
Il sourit ensuite à Pellegrin d'un air distrait. Pour ne pas dire distant. Son regard naviguait d'une extrémité à l'autre de la vaste pièce cloisonnée en bureaux grâce à un jeu de panneaux amovibles. Il tendit une main molle et demanda sur un ton soupçonneux :
– Vous n'avez touché à rien. C'est sûr !
Malgré lui, Antoine Pellegrin dut s'avouer que la voix ne s'accordait pas avec le personnage. Il y avait presque du péremptoire dans l'organe au débit incisif.
– Non, je vous promets. Lorsque j'ai constaté que la vitre était cassée, je suis passé à travers la porte puis je suis allé directement jusqu'à la pièce du fond. Je craignais le pire. Je n'ai pas été déçu. Je vous ai aussitôt téléphoné et n'ai plus bougé de mon fauteuil jusqu'à votre arrivée.
Bouvreuil parut se satisfaire de cette réponse. Il enchaîna par une nouvelle question.
– Quand le ménage a-t-il été fait pour la dernière fois ?
Antoine Pellegrin n'eut pas besoin de réfléchir.
– Vendredi soir. Comme chaque semaine. Nous sommes fermés tout le temps du week-end.
– Vous êtes venu hier ?
– Non, avec mon épouse nous sommes allés rendre visite à son oncle. Il est en maison de retraite, nous allons le voir une fois par trimestre.
– Est-ce que la société de nettoyage possède la clé d'entrée ?
– Non, je ferme derrière eux chaque semaine.
– Il y a longtemps que vous travaillez avec cette boîte ?
– C'est la même personne depuis près de cinq ans.
– Vous êtes content d'eux ?
– Nous n'avons pas à nous plaindre.
– Jamais de reproche, de motif d'insatisfaction ?
– Très rarement.
Bouvreuil se caressa le menton. Il semblait digérer toutes ces informations. Montrant le sol du doigt, il précisa sa pensée.
– Ces traces de pas boueux ne peuvent donc appartenir qu'à vous et à notre voleur.
Machinalement, Antoine Pellegrin regarda par terre. Les traces étaient sèches mais bien inscrites sur le blanc cassé du carrelage. On en distinguait deux séries distinctes. Certaines, longues et larges, faisaient penser à des empreintes laissées par des chaussures de marche. Les autres, de dimension plus modeste, trahissaient plutôt des mocassins… à l'image de ceux dont Antoine Pellegrin était chaussé.
– Celles-ci sont les miennes, précisa celui-ci. On reconnaît le logo du fabricant à l'arrière du talon.
Bouvreuil s'autorisa un petit sourire amusé mais ne fit aucun commentaire. En revanche, il se baissa et commença à se déchausser. Antoine Pellegrin mit un certain temps à réaliser.
Puis se lamenta en silence. L'inspecteur portait une paire de chaussettes dépareillées. Celui-ci s'en aperçut à son tour mais ne s'en formalisa pas.
– Je m'habille toujours dans le noir le dimanche… pour ne pas réveiller ma femme.
Cet aveu, pour le moins insolite et hors de propos, inquiéta beaucoup plus Antoine Pellegrin qu'il ne le rasséréna.
Trouble porté à son comble lorsque l'inspecteur se mit à quatre pattes pour examiner les traces de pas et les petits amas de boue abandonnés derrière lui par le voleur.
Avant de se relever avec peine, Bouvreuil balaya de la main les amas de verre accumulés près du seuil de la porte. Il émit ensuite un bref soupir consécutif à l'effort consenti pour se remettre à la verticale et une série de petits hum ! hum ! très énigmatiques.
– Je suppose que pour trouver le coffre il suffit de suivre les traces de pas.
Antoine Pellegrin acquiesça en silence. Et emboîta le pas à l'inspecteur. Au passage, celui-ci choisit une chaise sur laquelle abandonner son blouson, une espèce de chose difforme, doudoune de montagne vert pomme dont la bourre s'évadait à de nombreux endroits du capitonnage.
Les traces s'estompaient à mesure mais demeuraient discernables jusqu'à une pièce située à l'angle du bâtiment. La porte d'un coffre mural béait, révélant une cavité peu profonde nantie de trois étagères. Toutes vides !
– Il y avait beaucoup là-dedans ?
– Pas loin de trois cent mille euros, reconnut Antoine Pellegrin.
Bouvreuil siffla entre ses dents… comme un bouvreuil ?
– C'est votre fonds de roulement habituel ?
– Non, pas vraiment… pas du tout même, concéda-t-il.
Bouvreuil darda sur lui son regard noir. Pellegrin crut un instant y lire comme une lueur soupçonneuse.
– Je suppose qu'il existe une explication à ce pas vraiment…
– Oui. Je ne sais pas si je vous l'ai dit mais la majeure partie de notre activité est basée sur la conserve de salaisons : pâtés, terrines, confits…
Bouvreuil ne jugea pas utile de lui faire remarquer que le panneautage parsemant la campagne alentour rendait caduque ce genre de remarque. Il aurait fallu qu'il soit aveugle pour avoir raté la raison sociale affichée à chaque croisement.
Mais, dans ce cas, il aurait jugé plus prudent de ne pas conduire.
– La réputation de notre maison s'est assise sur beaucoup de nos préparations truffées…
Bouvreuil n'eut pas besoin d'en entendre plus. Il glissa la main droite sous son pull à jacquards vert sapin et bleu marine et se gratta longuement le ventre en poursuivant l'explication à la place de Pellegrin.
– C'est la pleine saison des marchés aux truffes. Celles-ci se règlent toujours en espèces. Ni carte, ni chèque, ni virement.
La somme dérobée devait servir à cet effet. C'est bien ça ?
Antoine Pellegrin hocha tristement la tête.
– Tout à fait. Nous empruntons cette somme chaque année et nous la remboursons mois après mois. Ça permet de lisser la comptabilité.
– C'est très réglo tout ça ?
– Euh… non. Pas vraiment… En toute logique, nous devrions passer par des grossistes mais, malgré la quantité que nous utilisons et les prix consentis, les truffes nous reviendraient 30 à 40 % plus chères en transitant par eux.
– Je vois. Ce n'est pas dans les règles mais les affaires, c'est un peu la guerre.
– C'est exactement ça inspecteur, admit Antoine Pellegrin, rassuré par ce message frappé au sceau de l'empathie.
– De toute façon, je vous rassure, je ne travaille pas pour les impôts. Encore heureux… pour vous ! précisa-t-il dans un sourire tout en rajustant ses larges bretelles décorées aux couleurs du drapeau américain. Quelque chose me chiffonne toutefois. Vous n'avez pas de système d'alarme ? Il m'a pourtant semblé apercevoir un boîtier de commande au-dessus de la porte d'entrée.
– Hélas oui !
– Comment ça, hélas ?
– L'alarme est tombée en panne jeudi.
– Et vous n'avez pas pu la faire réparer avant le week-end ?
– Cela aurait pu se faire, soupira Pellegrin. Mais Madame Coustioux, ma secrétaire personnelle, précisa-t-il, a complètement oublié de les prévenir. Elle ne s'en est souvenue que vendredi après-midi, trop tard pour que les techniciens puissent intervenir !
– Vous avez dû lui passer un savon.
Antoine Pellegrin hocha la tête en signe de dépit.
– Un peu… mais à peine. La pauvre, elle et son mari ont tellement de soucis en ce moment… ça lui perturbe l'esprit !
– Des soucis de quel ordre ?
– Financiers. Je ne sais pas comment ils se sont débrouillés mais c'est au point qu'ils ont dû monter un dossier de surendettement auprès de la Banque de France.
– Très intéressant tout ça ! remarqua Bouvreuil.
– Vous ne pensez tout de même pas que…
– Vous savez ce qu'on dit : Cherchez à qui profite le crime !
Antoine Pellegrin eut l'air choqué.
– Oh non ! Sûrement pas ! Aucun risque de ce côté-là !
– Mais, tant ce que j'y pense : qui connaissait la combinaison du coffre ? Le Fichet-Bauché L725T8 ce n'est pas le genre de modèle qui s'ouvre en claquant des doigts.
Antoine Pellegrin demeura scotché. Comment ce type pouvait-il connaître la référence du coffre ?
– Moi… uniquement moi.
– Et quelle est-elle ?
– 03 12. C'est ma date de naissance.
– Je vois… ce n'est pas très judicieux comme choix.
– Ah bon ?
Pellegrin semblait sincèrement surpris.
– C'est ce que choisissent la grande majorité des gens.
– Encore fallait-il que le voleur connaisse ma date de naissance !
Bouvreuil passa une main fatiguée sur ses joues. Cela faisait sans doute quatre ou cinq jours qu'il hésitait entre se raser et se laisser pousser la barbe.
– Vous faites un pot pour votre anniversaire ?
La réponse fusa. Presque outrée. Il était clair que la tradition remontait à loin. Peut-être même aux origines de la boîte.
Petit côté paternaliste attachant.
– Bien sûr ! Nous sommes une grande famille ici !
– Sans doute, sans doute… Il n'empêche qu'un membre de votre famille a voulu toucher sa part d'héritage avant l'heure !
Antoine Pellegrin fixa l'inspecteur, interloqué. Prêt à dénier mais tellement enclin à le croire.
– Je crois que vous faites fausse route inspecteur. Je suis sûr à 100 % de mes employés.
– Au point j'imagine de laisser la clé des bureaux à chacun.
– Oui, bien sûr. Le premier arrivé ouvre et déconnecte l'alarme. Le plus souvent c'est moi mais il m'arrive de me déplacer pour négocier des marchés. Comme ça, c'est plus pratique !
– Ah ça ! Je ne peux que vous confirmer la chose ! On ne pouvait pas rêver plus pratique pour votre voleur !
Pellegrin se demanda tout à coup s'il avait un véritable inspecteur de police face à lui. D'une part en raison de sa remarque, ensuite en le voyant bricoler une de ses branches de lunettes rafistolée avec ce qui ressemblait tellement à du scotch que cela devait en être.
Il s'adressa à lui sur un ton à rien d'être acerbe.
– Allons, pourquoi aurait-il cassé la vitre s'il avait eu la clé ?
Bouvreuil tira une chaise à lui et fit signe à Antoine Pellegrin de faire de même. Avant de s'asseoir, il remonta son pantalon en velours bordeaux à grosses côtes, dégageant encore plus ses chaussettes, une rouge, une bleue.
– Pourquoi dites-vous « il » ?
– Vu la taille des traces sur le sol ! Une femme chaussant du 44 ou du 45, ça ne court pas les rues !
Bouvreuil croisa les mains sur son ventre proéminent.
– Je vais vous raconter une anecdote Monsieur Pellegrin.
Une enquête dont j'ai eu connaissance il y a longtemps. J'avais vingt ans. Vous dire si ça date ! Il s'agissait du meurtre d'un homme dont la femme était d'une laideur terrible. Dieu sait pourtant que j'apprécie les femmes mais c'était le genre de femme sur laquelle tous les hommes se retournent dans la rue… par crainte qu'elle ne fasse demi-tour pour venir les aborder. Elle prétendait que son mari avait été assassiné par un maraudeur alors qu'elle l'avait tué en l'assommant à coups de wok… une variante très originale de casse-tête chinois.
Antoine Pellegrin ne voyait pas où l'inspecteur voulait en venir avec son histoire. Cela devait se lire à livre ouvert sur son visage puisque Bouvreuil se leva.
– Suivez-moi, vous comprendrez mieux ce que je veux vous dire. Cette femme, poursuivit-il tout en se dirigeant lentement vers la porte d'entrée, voulait faire croire qu'elle avait découvert son mari mort. Pour ça, il avait beaucoup neigé ce jour-là, elle était sortie dans la cour, les bottes de son mari à la main, les avait enfilées et avait remarché dans ses propres traces en imprimant bien l'empreinte des bottes dans la neige.
– Comment les enquêteurs s'en sont-ils rendu compte ? s'étonna Pellegrin.
– Elle avait juste oublié de refaire la même série de traces en sens inverse. La maison étant vide à part elle et le cadavre…
– Je ne vois pas le rapport avec ce qui nous préoccupe. Et encore moins ce qui vous autorise à soupçonner une femme.
Les deux hommes se trouvaient à présent tout près de la porte d'entrée.
– Je vais vous le démontrer. Vous voyez les petits amas de boue, là, sur le paillasson ?
– Oui, bien sûr !
– La personne qui a volé le contenu du coffre s'est essuyé les pieds. Mal et vite mais elle l'a fait. C'est un réflexe que les hommes possèdent rarement… à preuve, vous vous en êtes dispensé.
Bêtement, Antoine Pellegrin se sentit pris en faute.
– Je m'essuie toujours les pieds d'habitude. Là, j'étais dans tous mes états parce que j'avais vu la vitre éclatée.
– Peu importe. Ce qui compte c'est que ce détail m'a mis la puce à l'oreille. L'examen des traces laissées par le voleur laisse peu de place au doute. Regardez-les attentivement !
Antoine Pellegrin lorgna vers le sol et examina les empreintes.
Il n'y vit rien de plus que ce qu'il avait constaté dès le départ :
des traces abandonnées par quelqu'un chaussé de bottes en caoutchouc ou de grosses chaussures de randonnée. Il écarta les bras en signe de dépit et avoua qu'il ne remarquait rien.
– Avez-vous joué enfant à mettre les chaussures de votre papa pour jouer au clown ?
– Bien sûr, comme tout le monde ! répondit vivement Pellegrin, un peu agacé.
– Vous ne vous souvenez pas comme vous marchiez surtout avec le talon.
– Non, pas du tout.
– Regardez ces empreintes. Elles sont très nettes au talon, un peu moins au centre et presque floues à la pointe. Exactement comme si la personne qui les avait eues au pied chaussait cinq à six pointures de moins.
Antoine Pellegrin promena son regard sur quelques traces. Et dut convenir que l'inspecteur avait raison.
C'était même si remarquable que la pointe disparaissait presque pour les marques les plus éloignées du paillasson.
– Combien employez-vous de personnes dans ces bureaux ?
– Neuf… quelques fois plus avec les stages.
– Laissons les stagiaires de côté. Combien de femmes ?
– Sept.
– Les deux hommes qui travaillent là ont de grands pieds ?
– Kevin oui, je me demande même s'il ne chausse pas plus grand que ces traces. Quant à Julien, je dirais qu'il fait comme moi… du 42, 43.
– Dans ce cas, je les élimine d'emblée. Reste les sept femmes… dont votre secrétaire et ses soucis d'ordre financier.
Antoine Pellegrin ne put réprimer un petit grognement.
– Vous tenez vraiment à ce que ce soit un de mes employés !
– Non pas plus que ça… c'est juste parce qu'il se trouve que c'est le cas.
– Je ne vois pas ce qui vous permet d'être aussi affirmatif.
– Réfléchissez. Il y a toutes les chances pour que ce soit quelqu'un averti qu'une importante somme d'argent se trouve dans le coffre, qui connaît la date de votre anniversaire et pense ainsi savoir la combinaison…
Antoine Pellegrin l'interrompit.
– Mais tout ça ce ne sont que des suppositions !
– Certes mais ça en fait beaucoup. D'autant que cette personne ne peut ignorer que l'alarme n'a pas été réparée.
Même si vous n'avez pas trop crié sur votre secrétaire, ça n'a pas dû passer inaperçu vu la configuration de vos bureaux.
Sans oublier ce détail, essentiel pour ne pas dire primordial :
cette personne possède la clé !
– Et elle casse la vitre juste pour le plaisir !
– Non, pour faire croire qu'un voleur l'a cassée afin de pénétrer dans les lieux et reporter les soupçons sur quelqu'un d'autre qu'un membre du personnel.
– Parce que ce n'est pas le cas ? souligna Pellegrin d'un ton un peu railleur.
– Je peux vous affirmer que non. Cette vitre a été brisée après que le vol a été commis.
– Je ne comprends pas.
– C'est pourtant simple. Comment êtes-vous entré ?
– En passant au travers de la porte.
– J'ai fait de même… comme est supposé l'avoir fait notre voleur. Or, tout à l'heure, lorsque j'ai écarté les morceaux de verre près du seuil, je me suis rendu compte que le tapis de sol était humide, uniformément, sur une bande de quelques centimètres. La preuve pour moi que la personne qui vous a cambriolé a ouvert la porte avec sa clé, l'a laissée ouverte le temps de son forfait – le risque était minime vu l'isolement de l'entreprise et la panne de l'alarme – puis l'a refermée avant de briser la vitre. Durant ce court laps de temps, je dirais deux ou trois minutes maximum, le paillasson s'est mouillé avec les gouttes de pluie rebondissant sur le carrelage du seuil.
Antoine Pellegrin était défait par la démonstration… mais soudain confiant quant au retour du bien dérobé.
– Mais qui ?
– J'ai ma petite idée, assura Bouvreuil. Un autre détail… mais qui a son importance.
– Et je peux savoir… ?
– À quelle heure commencez-vous demain matin ? demanda Bouvreuil sans répondre à la question.
– À huit heures et demie.
– Je serai là une heure avant. Nous attendrons ensemble que tous vos employés soient arrivés. Je ne dis pas que je vous révélerai le coupable mais je suis certain que je pourrai vous dresser la liste des innocents.
– Mais… comment je vais justifier votre présence ?
– Vous n'allez surtout pas le faire. C'est là tout le but du jeu : déstabiliser le coupable. Tout mettre en place pour qu'il ne se sente pas à l'aise et agisse machinalement, l'esprit préoccupé.
Bouvreuil jeta un œil à sa montre.
– Bon, ce n'est pas le tout mais je n'ai pas que ça à faire, vous vous en doutez bien. Rendez-vous demain matin ?
– Bien sûr, acquiesça Pellegrin, un peu perturbé.
– À propos, vous avez un de ces téléphones capables de prendre des photos ?
– Oui… pourquoi ?
– J'aimerais bien que vous preniez quelques clichés des empreintes… il ne faudrait pas que quelqu'un ait la mauvaise idée de faire le ménage !
Bouvreuil finissait de remettre ses chaussures, des bottes en caoutchouc vert coupées à mi-hauteur.
– Je ne voudrais pas vous donner de conseil mais ce ne serait sûrement pas une mauvaise idée de faire réparer cette vitre et surveiller les abords de votre usine tant que l'alarme n'est pas réparée. Et, tant que j'y pense aussi, s'il ne pleut plus demain matin, prévoyez un tuyau d'arrosage pour bien mouiller devant la porte d'entrée. Bon, ajouta-t-il en tendant la main, je file. En plus, je dois passer voir ma mère. Je lui ai promis de lui donner la main pour la traite.
Antoine Pellegrin le regarda s'éloigner puis monter dans sa voiture. Les deux faisaient la paire mais cela ne concourrait pas à la gloire de la police.
Toutefois, il était désormais convaincu du danger à se fier aux apparences. Cela englobait l'inspecteur… et le serpent que selon toute vraisemblance il avait nourri à son sein.
Aucun tuyau d'arrosage ne s'était révélé nécessaire. La pluie avait duré toute la nuit sans discontinuer. Bouvreuil et Antoine Pellegrin, tous deux assis sur une chaise quelques mètres en retrait de l'entrée, attendaient l'arrivée des employés.
Autant le premier semblait reposé, autant le second paraissait au bord de l'épuisement. Ce n'était pas très surprenant, il n'avait pas dormi de la nuit.
– Ah ! clama Bouvreuil. Je crois que voilà notre premier client. On ne dit rien surtout, on se contente d'observer !
– Je vous fais confiance.
Tous les employés étaient au travail. Ou tout au moins s'attachaient à le faire croire. La présence de ce gros bonhomme et la mine de papier mâché de leur patron les intriguaient assez pour les perturber dans l'exercice habituel de leur tâche. Chacun à son tour jetait un coup d'œil aux deux hommes qui venaient de sortir dans la cour et discutaient sous la pluie.
– Alors ? demanda Antoine Pellegrin, presque suppliant.
– La jolie jeune femme avec la jupe noire. Sans l'ombre d'un doute.
– Coralie ? ! s'exclama Pellegrin sans prendre conscience qu'il aurait réagi de la même manière pour n'importe lequel de ses autres employés.
– Je ne sais pas si elle s'appelle Coralie mais ce dont je suis à peu près certain c'est que c'est elle qui a vidé votre coffre la nuit dernière.
– Comment en être sûr ?
– Facile, on va aller le lui demander.
Antoine Pellegrin fixa Bouvreuil, interloqué. Rien ne semblait échapper à une certaine logique avec ce garçon-là.
Un quart d'heure plus tard, la cause était entendue. La jeune Coralie, malgré sa trentaine un peu arrogante, n'avait pas fait le poids face à Bouvreuil. De minute en minute, elle s'était dégonflée pour passer de ses grands chevaux à de tout petits poneys. Elle avait finalement avoué, en pleurs, qu'elle avait le démon du jeu et qu'elle comptait rembourser quelques dettes contractées auprès de sa famille avec la somme volée et jouer avec le reste.
Elle mit tant de conviction dans sa repentance et mouilla tant de mouchoirs en papier avec ses larmes qu'Antoine Pellegrin lui promit de ne pas porter plainte si elle lui restituait intégralement la somme.
Naturellement, elle ne se fit pas prier pour sauter dans sa voiture. Le patron n'avait même pas parlé de la mettre à la porte.
– Bon, bien je crois que je n'ai plus grand-chose à faire ici, lança Bouvreuil.
– Vous n'en donnez pas l'impression mais vous êtes extraordinaire. Quelque chose me chagrine tout de même :
comment avez-vous pu être sûr qu'il s'agissait de Coralie et non pas d'une autre personne ?
– Facile. C'est la seule de vos employés qui soit gauchère. La première empreinte laissée par les bottes était celle d'un pied droit. Faites l'expérience : essuyez-vous les pieds sur un paillasson et essayez de repartir sur le pied opposé à votre pied d'appel, vous verrez que cela n'a rien de naturel.
– Extraordinaire ! Vous êtes vraiment formidable !
– Je lis beaucoup surtout. Des polars. Je suis un passionné de littérature policière. Et depuis très longtemps. À force, on finit par faire le tour des astuces et de tout ce qui peut les révéler.
Pellegrin hésitait.
– Je ne sais pas comment vous remercier. Et si je faisais un chèque pour les œuvres de la police ?
Bouvreuil se mit à rire. Cela qui fit cascader son ventre.
– Si ça peut vous faire plaisir.
– Vous en profiterez un peu… indirectement.
Bouvreuil cessa de rire et fixa Pellegrin dans les yeux.
– Dans quel monde vivez-vous Monsieur Pellegrin ?
– Pourquoi me demandez-vous ça ?
– Je crois que vous avez un peu trop le nez dans vos conserves, cela vous a fait rater quelques épisodes. Il y a belle lurette que les commissariats des petites villes de province ne sont plus ouverts le dimanche !
– Qu'est-ce que vous racontez ! Vous y étiez bien vous hier !
– Ah ça, je ne dis pas le contraire. Mais ce n'est pas ce qui fait de moi un policier.
Antoine Pellegrin ne comprenait plus rien. Il suffoquait presque.
– Mais… mais… vous faisiez quoi là-bas alors ?
– Le ménage… comme tous les dimanches !
L’ex-lieutenant Jacques Foissard respira un grand coup et sortit du commissariat.
Quelques pas plus loin, il s’arrêta au niveau de la cathédrale Sainte-Marie et leva les yeux, non seulement pour contempler les deux magnifiques tours clochers mais également pour tenter de calmer le bouillonnement de pensées qui gravitaient anarchiquement dans sa tête.
Globalement, son pot de retraite s’était bien passé, bien mieux que ce qu’il aurait cru. Cela faisait seulement deux ans qu’il avait été muté à la Brigade de Sûreté Urbaine d’Auch et il devait reconnaître qu’il n’avait pas vraiment fait beaucoup d’efforts pour s’y faire des amis. Pourtant, malgré son air bourru, ses collègues l’aimaient bien, « le Parigot ». Ils lui avaient offert une montagne de produits locaux pour fêter son départ. Foie gras, magret, confit, cous de canard : tout ce qui pouvait contenir du « bon gras » y était passé. Et une caisse de Tariquet « Dernières grives » pour compléter. Il y en avait tellement qu’il serait obligé de revenir un autre jour au commissariat pour tout récupérer.
De toute façon, il avait déjà prévu d’y repasser : il voulait absolument savoir ce que donnerait l’interrogatoire du suspect. Six mois de traque pour enfin mettre la main sur le tueur au tournevis : c’était l’apothéose de sa carrière, il était hors de question qu’il soit exclu de l’épilogue.
Foutue retraite ! Ce n’était déjà pas facile de devoir tourner le dos à une vie entière consacrée à la police, mais en plus, il fallait que ça arrive le jour où il coffrait ce tueur en série qui le narguait depuis le début de l’année. Pour une fois qu’il aurait pu parader à la télé…
Il bifurqua rue de la convention pour avoir la possibilité d’emprunter une des magnifiques pousterles auscitaines qui le ferait tranquillement descendre vers son appartement.
Quand il avait été muté de Paris vers la Gascogne, officiellement pour avoir tabassé un suspect, officieusement pour avoir fricoté avec la femme du commissaire, il s’était adapté immédiatement à ce nouveau mode de vie et avait très rapidement béni cette sanction. Il était passé d’un studio minuscule en banlieue avec quarante-cinq minutes de métro pour aller au boulot à un vaste trois-pièces avec cheminée à vingt minutes à pied du commissariat. Quant au stress de la capitale, il l’avait totalement oublié : le Gers, quatre-vingt-onzième département en matière de criminalité, premier en ce qui concerne le bon vivre ! Il savait maintenant que ce n’était pas une légende.
Mais soudain le souvenir du 1er janvier dernier remonta à la surface.
Il avait pris la permanence comme il le faisait souvent pour les fêtes, rapport à ses collègues qui avaient une famille. C’est alors qu’il avait été appelé sur les lieux du premier meurtre…
Sa première réaction fut jubilatoire : sa première vraie enquête depuis qu’il était arrivé !