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L'association lectouroise "Le 122", qui a créé en 2013 le Festival polars et histoires de police, a lancé un nouveau concours de nouvelles policières en langue française, dont le cadre est le département du Gers. La marraine de ce concours est Line Ulian, dont les romans ont la Gascogne pour décor (Tome II).
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Seitenzahl: 341
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Préface
Christine Peltier : L’aynado
Natalia Vikhalevsky : Le goût de la vengeance
Mireille Lemaître : Le meurtre d’Auch
Accusé de crime
Le calepin
Fabrice Boumahdi : Le ninja
Odile Chapeau : L'écharpe dorée
Stéphanie Gilson : L’homme qui changera ma vie
Marie Menne : Libre
G.D. Noguès : Life on Mars
Mireille Lafitte : Mort d’un commis épicier
Nathalie Williams : Monsieur Expresso
Gilbert Soual : Pigeon vole
Pierre Malaval : Pile et face
Pile
FACE
Naïma Guermah : Prémédité !
Isabelle Denaules : Qui a tué mémé ?
Chloé Maurel : Qui construira le nouveau musée de Lectoure ?
Bernard Marsigny : Régime sec
Maïté Rochas : Rester dans l'ombre
Thierry Léonard : Retour de bâton
Jean-Marie Calvet : Tel est pris…
Céline Trouche : Tentaculaire
Gilbert Orsi : Troubles toxiques
Alexandra Estiot : Tu ne te soumettras point
Anne Waddington : Un amour d’ange
Jeanine Bazalgues : Un bail à ferme piégeux
Bernard Loesel : Histoire d’un crime parfait
Bernard Granjean : « Un pour tous, tous pour un. »
Pierre Léoutre : La rive
Plus d'infos
Line Ulian, responsable du comité de lecture, revient sur la sélection de nouvelles 2018 dont les gagnants ont été dévoilés lors du Festival Polars d'Auch qui s'est tenu à Auch samedi 1er décembre 2018.
"Baudelaire a écrit : « La nouvelle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. » La nouvelle se doit donc d’être claire, précise et intense dès les premières lignes. Ces « mini-histoires » n’en sont pas pour autant tronquées. Tant s’en faut. Elles percutent en général vite et bien ! Les nouvelles que nous avons reçues en sont l’illustration.
Pour cette deuxième édition du salon du polar à Auch, le concours de nouvelles 2018 est un réel succès. Plus de 70 écrits sont parvenus au comité de lecture. Autant dire que le choix fut malaisé. Ici réside bien la difficulté d’un concours. Trancher.
Cette profusion de nouvelles policières et d’autant d’auteurs est bien la preuve d’un engouement certain pour la littérature policière basée sur l’observation, le raisonnement, la réflexion, la déduction.
Le plaisir tient à nos peurs primitives, à la fascination de l’interdit mais également à la fascination de la rationalité de l’enquête policière et de l’intelligence humaine. Et les nombreux auteurs qui nous ont fait l’honneur de nous proposer leurs écrits cette année ont réveillé avec jouissance ces peurs et ces plaisirs.
Nous avons priorisé les nouvelles dont l’histoire se déroule tout ou partie dans le Gers.
- Dans la catégorie « adultes », notre choix s’est porté sur la nouvelle « Le poisson d'or », proposée par Émilie Kah. Au-delà de l'intrigue, ce texte empli de poésie, remarquablement écrit, émouvant et délicat, réveille en nous ce qui subsiste d'enfance.
- Dans la catégorie « moins de 18 ans » a été retenue la nouvelle « Le braquage de trop » d’Anna Ceccato dont l’histoire se trame à Lectoure. Qui a dit que les jeunes manquaient d’imagination ? ! L’intrigue est finement menée jusqu’à son dénouement. La narration est précise et le style percutant avec des phrases courtes et bien construites.
Bravo à tous les auteurs pour leur capacité de créativité, de style, de sensibilité et de ténacité. Et vive l’écriture !"
Line Ulian, responsable du comité de lecture avec Ingrid Marquier.
Le Jury a également décidé de nominer :
2e place du concours adultes : « L'hallali » de Dominique Ciarlo
3e places ex aequo du concours adultes :
- « Le spectre de l'autocar » de Cyrille Thiers
- « Danse avec les loups » de Jean-Luc Guardia
Le recueil 2018 sera édité l'an prochain par l'association "Le 122" et disponible sur les boutiques en ligne (Fnac, Amazon, Chapitre, etc.) ou via votre libraire habituel.
Née en 1965, Line Ulian est l'auteur de trois polars « Cœur de pierre », « La morsure de la salamandre » et « Bien plus que tu le penses… », édités aux Presses Littéraires. Dans son troisième écrit « HP – Chambre 217 », elle nous livre un récit vrai, un carnet de bord sur ses pensées les plus intimes durant les quatre semaines que dura son hospitalisation au Centre Hospitalier du Gers.
Un nouveau livre de Line Ulian : « Bien plus que tu le penses… ».
L'écrivaine auscitaine Line Ulian vient de publier un nouveau livre, « Bien plus que tu le penses… ». Entretien.
Q. - Qui êtes-vous ?
R. - Je suis une passionnée d’enquêtes policières, de thrillers sous toutes ces formes : lecture, cinéma, reportages,… Native de l’Aude, je demeure dans le Gers depuis mon enfance. Ma principale occupation, voire passion, en dehors de l’écriture, est la macrophotographie.
Q. - Pourquoi avoir publié cet ouvrage ?
R. - La publication de cet ouvrage me tient particulièrement à cœur car il est différent des deux premiers polars que j’ai écrits dans le sens où la psychologie des personnages et plus particulièrement celle d’« Ange » est la clé de l’histoire au-delà de l’enquête policière plus ténue. Je dirais que « Bien plus que tu le penses… » est avant tout un thriller psychologique dans lequel la personnalité des personnages est au centre de l’intrigue.
Q. - Est-ce votre premier livre ?
R. - « Bien plus que tu le penses » est mon troisième roman publié aux Presses Littéraires, après « Cœur de pierre » et « La morsure de la salamandre », polars historiques se déroulant dans le Gers.
Q. - Une suite à prévoir ?
R. - Non.
Q. - Comment l'idée de ce livre est-elle née ?
R. - L’idée du livre est née suite à la lecture de documents relatifs aux tueurs en série en m’attachant plus particulièrement aux notions de psychopathie et de perversité. J’imaginais une histoire plus sombre, plus intuitive aussi, que celle que j’avais imaginée pour mes deux précédents romans.
Q. - Pensez-vous créer d'autres livres ?
R. - Pas pour l’heure, mon activité professionnelle ne me le permettant pas. Peut-être un livre sur la macrophotographie…
Q. - Combien de temps vous a pris l’élaboration de ce livre ? Avez-vous rencontré des difficultés ?
R. - L’écriture de ce roman m’a pris environ un an. Période assez longue qui peut s’expliquer par le fait que, en débutant « Bien plus que tu le penses… », je n’avais pas encore imaginé la fin, ce qui ne fut pas le cas pour mes deux précédents romans. L’issue du livre ne m’est apparue que très tardivement dans l’écriture. Écrire un livre sans en connaître la fin n’est pas des plus aisés et je ne le recommanderais pas !
Line Ulian est la marraine du concours de nouvelles policières organisé par l'association « Le 122 ».
La fermeture des portes du Musée des Jacobins, annoncée dans la presse locale auscitaine du jour, n’a rien d’un poisson d’avril. Des animations gratuites furent d’ailleurs proposées pendant tout le mois de mars, pour marquer cet événement. L’ultime activité terrorisa même tous les visiteurs, enfants comme adultes, venus nombreux s’y inscrire. Une chasse aux fantômes, élaborée par une association artistique, se déroula en effet au sein du musée dans la nuit du 31 mars au 1er avril. Pour cette occasion, le collectif d’artistes reforma la fameuse « Française de Défantomisation » qui, les soirs d’Halloween, déloge avec succès les revenants envahisseurs. Le conservateur des lieux s’est bien sûr réjoui du projet de rénovation et de mise en conformité de l’édifice, décidé par le conseil de communauté. Cependant, il se désole de devoir interdire l’accès au public pendant les travaux. Le chantier ne devrait durer qu’une année, mais il craint les imprévus, fréquents au cours de ce genre d’opération. La certitude d’une réouverture, avant la pleine saison touristique estivale de l’an prochain, balayerait ses inquiétudes !
Le déménagement des œuvres d’art débute au matin du 2 avril. Le personnel au complet se mobilise pour emballer les précieuses collections. Pas question de faire appel à une agence spécialisée ! Le musée préfère accomplir seul cette tâche délicate. Le démarrage des travaux est programmé pour le 1er juin prochain. Tout doit donc être entreposé ailleurs pour la fin mai.
Des transformations affecteront également le jardin extérieur. Un nouvel espace accueillera les visiteurs et la boutique. Un aménagement adapté facilitera l’accès aux personnes à mobilité réduite. C’est avec un certain pincement au cœur que le conservateur et son équipe assistent à l’intrusion des engins de chantier, dans ce magnifique parc à la française. Bulldozers, tombereaux et pelleteuses s’alignent bientôt face aux haies de buis et de tilleuls taillés en rideau, illusoires remparts de défense. Une vision épique du jardin des Jacobins s’organisant en véritable champ de bataille.
Après concertation, chef de chantier, conducteur de travaux et main-d’œuvre qualifiée planifient leur intervention au sein des espaces verts. Dans l’attente de l’achèvement du transfert des pièces de musée, démolition et excavation peuvent commencer dès maintenant. Une baraque de chantier ne tarde pas à se dresser au milieu du gazon, masquant la vue sur le jardin potager.
Les nuisances provoquées par l’arsenal constitué remplacent désormais le calme et la beauté de ce havre de paix. Bruit assourdissant, poussière, vibrations assaillent les agents du musée, déjà stressés par l’ampleur de leur mission.
Vivement la délocalisation dans les bâtiments provisoires ! Finalement résignés à travailler dans cette ambiance incommodante, ils mettent un certain temps ce matin-là, avant de constater le silence soudainement installé au dehors. Connaissant parfaitement bien les périodes de pause des ouvriers, ils s’étonnent de cet arrêt brutal du chantier.
C’est Guillaume, le régisseur, qui observe le premier la scène insolite qui se passe en contrebas, le front appuyé à l’une des fenêtres à petits carreaux de la galerie. Le conducteur de la pelle, descendu de son siège, exerce un va-et-vient continuel entre son véhicule et la tranchée qu’il vient de creuser. L’ouvrier, resté sur le bord, lève les bras au ciel la bouche grand ouverte. Le responsable du chantier, appelé probablement en urgence, se précipite en courant. Un petit groupe de spectateurs se forme alors autour du fossé qui, apparemment, n’a plus rien d’un trou quelconque. Pourquoi une telle agitation ?
« Je descends voir de plus près » crie Guillaume, déjà rendu en bas des escaliers du premier étage.
Ces collègues, intrigués comme lui, s’accoudent aux fenêtres à présent ouvertes. Le régisseur a rejoint l’attroupement et se penche à son tour : un corps humain, à moitié enseveli sous la terre, gît tout au fond. « Ne touchez plus à rien ! » hurle le chef de chantier en saisissant le 17 sur son téléphone portable. La brigade de police de jour se présente très vite sur place. Le chef de bord effectue les premières constatations, tandis que ses deux équipiers sécurisent la zone concernée pour qu’elle ne soit pas contaminée.
Il s’agit vraisemblablement d’un homicide et cette découverte macabre incombe dorénavant à la Sûreté départementale du Gers. Guillaume s’empresse de prévenir le conservateur du musée qui arrive peu de temps après la Police Technique et Scientifique. En voyant les rubalises, celui-ci comprend qu’une enquête va être ouverte et perturber inévitablement l’avancée des travaux.
L’examen médical externe du cadavre pronostique effectivement une mort suspecte qui remonterait à six mois, grand maximum. La transformation squelettique n’a pas commencé. L’odeur de putréfaction est supportable et le corps commence tout juste à se dessécher. Un léger sillon apparaît autour du cou de la présumée victime qui s’avère être une femme. Un châle blanc la couvre en partie. Sur sa tête, une coiffe brodée entourée d’un diadème. Sur ses jambes, des bas finement ornés et ses pieds sont chaussés de souliers noirs. Pas d’autres vêtements, mais elle serre entre ses doigts, un morceau de tissu rouge vif sur lequel est inscrit « l’Aynado ».
« Je peux éventuellement apporter des précisions » lance de loin le conservateur, en tentant de franchir le périmètre de sécurité. Après avoir revêtu la combinaison blanche et les accessoires obligatoires, il est autorisé à s’approcher. Il reconnaît alors une partie de la toilette traditionnelle de la mariée de Gascogne. « Il manque les jupons, la robe et le tablier » précise-t-il. En apercevant des graines séchées au sol, il ajoute : « Le rituel ne lui a pas porté chance ! ». - Le millet placé dans les chaussures est censé protéger du « mauvais œil » -.
Il poursuit : « Quant à l’inscription, en Gascon cela signifie l’aînée, l’héritière en quelque sorte. Au XIXe siècle, elle seule pouvait se marier en rouge. Le mariage était plutôt un arrangement entre les deux familles et la dot de la mariée, un élément essentiel. ».
Le conservateur n’est pas mécontent d’avoir pu partager ses connaissances.
Capitaine de police à Auch, je suis chargée de l’enquête préliminaire. Le major Vedel me seconde. Tous deux écoutons ces indications avec attention. Le moindre indice est utile pour nos investigations futures. Tout comme les prélèvements, relevés et clichés qui seront analysés par la cellule criminelle auscitaine. La dépouille mortelle quitte enfin le jardin des Jacobins. C’est un médecin légiste toulousain qui est en charge de l’autopsie. L’identification du cadavre est primordiale.
J’informe sur l’heure le procureur de la République d’Auch. Je ne lui cache pas la complexité de l’affaire. Déménagement et chantier cessent instantanément.
Les machines et employés de travaux publics laissent bientôt place aux équipes policières qui fouillent et posent des questions aux principaux témoins sur les lieux.
Moins de nuisances sonores, mais une atmosphère pesante.
Avec mon coéquipier, je pars inspecter les collections du musée. - Ce genre d’environnement nous est familier. Le commissariat de police réside en plein site historique, près de la cathédrale d’Auch et de l’ancien palais des archevêques, occupé aujourd’hui par la préfecture du Gers -. Nous nous intéressons tout particulièrement à celle consacrée à l’art et traditions de Gascogne. Nous y admirons des costumes de cérémonie régionaux et la fameuse mariée décrite par le conservateur.
« Je peux vous fournir, sous divers formats, toutes les informations concernant les collections et le célèbre fonds extra-européen. ».
Une jolie brune vient de nous interpeller : « Je suis Sandra, la documentaliste du musée responsable de la communication. ». Elle se montre alors intarissable sur l’histoire des collections et les traditions populaires. Le musée n’a plus aucun secret pour nous et nous repartons avec une épaisse documentation sous le bras. Plus aucun secret certes !
Mais si cette femme a été assassinée, quel lien avec le musée et pourquoi cette mise en scène ?
En attendant les rapports d’analyses, tous les agents du musée sont interrogés, de même que le personnel du chantier. Les dépositions à chaud peuvent apporter des informations supplémentaires. Mon collègue Vedel consulte la brochure sur les animations proposées durant l’année écoulée. En dehors des visites classiques, des activités particulières sont prévues pour les enfants et adultes. S’il y a eu meurtre, celui-ci peut très bien avoir été commis pendant l’une d’entre elles. Il remarque deux visites documentaires thématiques qui ont justement porté sur la Gascogne et les costumes gascons au XIXe siècle. En revanche, il écarte « la Nuit des musées » de mai dernier ; cette 13e édition est trop éloignée de la période supposée du décès.
Il étend ses lectures aux précédents numéros de « La Lucarne », revue où sont indiquées toutes les manifestations culturelles mensuelles d’Auch. Le fichier des personnes disparues, susceptibles d’avoir été victimes d’un crime ou d’un délit, ne donne rien. L’enquête de voisinage non plus ; trop de passage dans ce quartier très fréquenté pour y remarquer un fait étrange ou inhabituel. J’élargis mes recherches aux costumiers qui vendent ou louent des déguisements et accessoires. Je contacte la directrice de la Maison de Gascogne où s’est tenu, au mois de novembre, le salon du mariage du Gers. Les effets de l’inconnue peuvent le cas échéant ouvrir une piste sérieuse. La consultation de la liste des mariages, récemment célébrés ou prévus dans le département, ne décèle aucune disparition d’épouse ni de future épouse.
Les analyses médico-légales sont parfois longues et je décide de me rendre à Toulouse, à l’Institut de l’hôpital de Rangueil. Plus vite je connaîtrai les conclusions de l’autopsie, plus vite je pourrai orienter mon enquête. L’examen du corps confirme les observations du spécialiste de terrain. Mais le médecin légiste me fait part de sa surprenante découverte. Dans le plastique scellé qu’il me tend, j’observe avec intérêt un foulard rouge et blanc extrait de la bouche de la défunte. Un carré d’étoffe avec l’emblème de la Gascogne imprimé au centre, « la Daune ». Les tests chimiques vont permettre de détecter les traces de salive sur cette inappréciable pièce à conviction et l’ADN du cadavre. Je ne regrette pas ma visite et ressors de l’institut avec le sourire, même s’il faut patienter encore pour obtenir les résultats complets de l’examen interne. Quelles peuvent bien être les causes et circonstances de la mort ? Étouffement, strangulation... ? Tous ces symboles sont-ils la clé de ce mystérieux décès ? De retour au commissariat d’Auch, je m’empresse de communiquer ces nouvelles données au procureur. Mon collègue Vedel semble lui aussi satisfait : « J’ai bien progressé dans mes recherches consacrées aux pratiques vestimentaires dans l’ancienne province gasconne. Les couleurs blanc et rouge représentent l’héritage culturel. La tenue de la mariée, selon la tradition familiale, était généralement transmise à la petite-fille héritière par la grand-mère. ». Tous les éléments recueillis sont encourageants, mais insuffisants pour éclaircir véritablement cette affaire.
Le compte rendu de l’autopsie arrive enfin sur mon bureau. La fracture de l’os hyoïde confirme la strangulation. Le foulard a été introduit dans la bouche de la victime post mortem, mais a probablement servi à l’étrangler. Le profil génétique est établi. Grâce au fichier national des empreintes génétiques, la comparaison avec des échantillons biologiques conservés s’avère positive. Elle authentifie l’identité de Flora Bladé, une jeune femme de 22 ans disparue subitement depuis novembre passé, sans explication. À l’époque, la gendarmerie ne jugea pas cette disparition inquiétante, car ses proches reconnurent ses fréquentes absences prolongées sans prévenir quiconque.
Le corps identifié est transporté à la Maison Funéraire d’Auch. Nous nous rendons au sud de la ville où réside la famille. Bien que préparés à cette pénible mission, nous redoutons toujours le moment où il faut délivrer l’annonce funeste.
Nous pénétrons bientôt dans un magnifique parc privé. Au bout de l’allée, une belle maison de caractère du XIXe siècle. L’employée de maison nous introduit dans le salon. Un couple de septuagénaires, se doutant visiblement de la triste nouvelle, nous accueille le visage crispé. Les grands-parents, 16 ans après le décès de leurs fils, belle-fille et petit-fils dans un carambolage monstre de voitures, apprennent la mort de leur petite-fille qu’ils ont élevée. Son autopsie leur rappelle celle des corps difficilement reconnaissables des trois accidentés. Aucune larme versée, simplement la résignation devant le sort qui semble s’acharner sur eux.
Les Bladé appartiennent à une très ancienne famille de notables du Gers. Le procureur me demande de mener l’enquête avec précaution, particulièrement pendant les interrogatoires des proches. Flora, seule héritière des biens familiaux, se passionnait pour l’histoire de la Gascogne et son folklore. Elle consacrait ses journées à la recherche de traces culturelles anciennes pouvant enrichir ses connaissances et le patrimoine familial. Elle proposait parfois des expositions dans une boutique située dans le cœur historique d’Auch. C’est à la suite de sa quête du 31 octobre dernier qu’elle ne réapparut pas.
Interrogée, son amie d’enfance Julia se montre affirmative. « Elle portait des vêtements de ville lorsqu’elle me quitta. Ce jour-là nous déjeunâmes au « Gasconha », puis Flora prit son pick-up pour se rendre à la Bibliothèque du Grand Auch. Elle y passait beaucoup de temps pour feuilleter les manuscrits des fonds patrimoniaux. Je me souviens qu’elle évoqua aussi l’association culturelle auscitaine du Pays d’Art et d’Histoire. Elle désirait s’informer sur le futur programme estival destiné au tourisme. Nous devions nous revoir le soir même. ».
La passion de la victime transparaît dans le moindre recoin de son appartement et de la chambre qu’elle occupait chez ses grands-parents. Des piles d’ouvrages, de gravures, de cartes postales, d’affiches… Des collections impressionnantes de drapeaux, blasons, écussons et autres armoiries… Cependant, aucun costume régional ni accessoires ne sont à consigner dans le procès-verbal des perquisitions mises en œuvre. Pas de trace non plus de son pick-up.
Grâce au témoignage de la directrice de la bibliothèque et du responsable de l’association culturelle, des recoupements nous aident à la reconstitution de l’emploi du temps de la jeune femme, ce fatidique 31 octobre. Son parcours est retracé : déjeuner avec son amie, consultation des éditions spécialisées à la bibliothèque, puis entrevue avec l’organisateur des événements culturels de la capitale auscitaine.
Les renseignements recueillis nous conduisent jusqu’à une association de danses gasconnes installée à Auch.
La couturière chargée de réaliser les costumes se souvient très bien de Flora.
Son enthousiasme reste intact lorsqu’elle relate leur première rencontre : « J’ai été impressionnée par son érudition sur l’histoire de la Gascogne ! Alors, j’ai accepté
avec grand plaisir de lui confectionner la tenue traditionnelle de la mariée qu’elle désirait tant porter : l’ancien habit de cérémonie réservé à la fille aînée pour son mariage. Cette jolie fille le mettait en valeur et correspondait parfaitement à notre objectif de perpétuer les traditions. Elle me promit de m’apporter des photos, mais je ne l’ai jamais revue depuis la remise de son ensemble vestimentaire ».
La poursuite de l’itinéraire nous amène à l’Hôtel de Ville d’Auch où est inclus le Théâtre municipal. Selon l’un des bénévoles de l’association de danses, Flora devait inaugurer sa tenue à la soirée d’Halloween, organisée au Musée des Jacobins par un collectif de comédiens. Les artistes certifient sa participation. « Nous n’avons pas oublié cette jolie mariée à la robe rouge vif. Une revenante au teint blafard qui punissait tous ceux qui ne respectaient plus la vêture de l’épouse. Elle était accompagnée par une autre mariée en tenue moins symbolique. Les recrues se sont dispersées après le spectacle et seuls les comédiens ont terminé la soirée au « Gasconha ». ». Le Musée des Jacobins surgit à nouveau au centre de l’affaire.
Que s’est-il donc passé dans cet ancien couvent ? Il faut trouver le véhicule de Flora, il éclaircira peut-être les nombreuses zones d’ombre qui persistent encore.
Les interrogatoires reprennent activement et tous ceux qui ont croisé le chemin de la victime doivent fournir un alibi solide pour la funèbre nuit du 31 octobre.
Le conservateur est mis hors de cause. Il était parti à Alès pour négocier le prêt de certaines pièces pendant les travaux. De même que le régisseur, en dîner d’affaires pour structurer le convoiement des collections. Les soupçons se portent plutôt sur la documentaliste. « J’ai souvent rencontré Flora qui fréquentait régulièrement le musée. Elle se montrait très cultivée et connaissait les collections à la perfection. J’admets que le savoir de cette érudite éclipsait le mien. ». La présence de Sandra sur les lieux pendant Halloween est rapportée par plusieurs témoins.
Pressée par le procureur qui menace de me retirer l’enquête - qui piétine à son avis -, je prends la décision de placer Sandra en garde à vue. Elle nie pourtant toute implication dans le meurtre de la jeune femme et affirme n’avoir revêtu aucun déguisement à cette soirée. Elle se tenait uniquement là pour épauler l’agent de surveillance en cas de besoin. Consciente du manque de preuves contre la suspecte, je concentre maintenant mes investigations sur les costumes anciens portés par les filles à marier non-héritières.
Je retourne voir la couturière. Elle précise que certains ultrafolkloristes ne supportent pas que l’on bafoue les symboles, tels que l’origine géographique ou le rang familial. La couleur et les caractéristiques de l’habillement doivent se plier aux critères établis. À cet instant, un appel de mon adjoint sur mon portable me redonne le sourire : il a enfin retrouvé le pick-up. Je le rejoins au lac de Saramon d’où l’automobile a été repêchée. Par chance, une des caméras de surveillance a filmé un motard s’éloignant du lac par le circuit pédestre, le « 01-11 vers 2:30 a.m. ». Un gel sur image repère une moto à forte puissance. Les nouvelles auditions innocentent la documentaliste qui n’est titulaire ni du permis A ni du permis A2. En revanche, l’amie d’enfance de Flora appartient à une association de motards gersois et auscitains.
Julia est immédiatement appréhendée et ne tarde pas à passer aux aveux.
« Finalement, j’ai bien revu mon amie dans la soirée. Nous sommes allées au Musée des Jacobins pour participer à la nuit d’Halloween. Flora rayonnait dans son habit de cérémonie et je me sentais bien terne à ses côtés. Elle s’est carrément moquée de mon « accoutrement » qui ne respectait pas le code des traditions. Ma coiffe surtout, un foulard bicolore en forme de triangle. Je voulais seulement m’amuser, mais toute cette mise en scène avait pour elle une dimension identitaire. Je vis dans son ombre et subis ses vexations depuis mon enfance. Ce fut l’humiliation de trop ! ».
Elle fond en larmes. « À la fin du spectacle, nous sommes sorties par le jardin extérieur désert. Je l’ai étranglée avec mon foulard que j’ai ensuite enfoncé dans sa bouche par dépit, puis j’ai enterré son corps assez profondément dans un massif. La terre avait été fraîchement bêchée et une pelle traînait à proximité. J’ai regagné mon domicile avec son pick-up, chargé ma moto dans la benne et pris la route pour Saramon. Le sol en pente a facilité l’immersion du véhicule. J’ai dissimulé tous ses effets derrière un panneau de mon dressing. ». Vêtements de ville et d’apparat sont effectivement là. Un morceau de tissu manque au bas de la robe de mariée rouge vif.
Je questionne Julia : « Pourquoi écrire « l’Aynado et l’avoir dévêtue ? ». Elle répond : « Flora non plus n’a pas respecté les règles d’usage du costume. Elle n’était pas véritablement l’héritière. Son frère décédé était l’aîné de la famille. ».
Sur le seuil de ma cage — appeler cet espace minuscule clôturé de grilles une cellule serait trop pompeux —, le garde me donne un coup dans le dos. Je trébuche et m'effondre sur une couche de paille jetée en dents de scie dans un coin.
On aurait pu penser qu'après une journée remplie de travaux exténuants, lorsque mes compagnons et moi tombons de fatigue, les vapeurs d'urine et de selles ne devraient pas nous empoisonner la vie, mais tel n'est pas le cas. L'odeur provenant du marais stagnant au-dessous de nos cages continue d'ajouter une touche à notre désagrément.
Je m'allonge — de toute façon, je ne peux rien faire d'autre — et essaie d'adopter une position plus confortable, mais les fils métalliques s'enfoncent inlassablement dans mon corps à travers le mince « matelas ».
Mon lit ainsi que ma maison et mon ancienne vie ! Les souvenirs restent toujours vivaces, bien que j'aie souvent l'impression que je délire lorsque j'y pense…
Tout a commencé il y a quelques années, dans le temps où le niveau de la souffrance émise par la Terre a atteint son paroxysme. Nous, les terriens, avons tué tant d'animaux et d’habitants des pays voisins que l'Intelligence Interplanétaire a jugés impérative une intervention cosmique. Le Comité Spatial nous a lancé un ultimatum : soit nous cessons sur-le-champ de torturer les non-humains, soit ils nous éliminent une fois pour toutes.
Dès lors, le Conseil de Hauts Membres a tenu beaucoup de discours où des mots solennels comme « patrie », « avenir de la société » et « offrande sacrée » ont été prononcés. Au bout du compte, nos dirigeants ont décidé de relâcher tous les êtres qui nous servaient de nourriture et de cobayes, et de procéder à la pige afin de déterminer le peuple qui remplira l'ancienne fonction des bêtes.
À l'époque, je ne suivais pas vraiment le fil de leurs discussions — j'étais tout simplement heureuse que le sort des animaux se voie enfin améliorer.
– Ne te réjouis pas trop vite, Xania. Qui vivra verra, m'a alors dit ma grand-mère.
Elle avait raison.
Le verdict du tirage au sort a désigné notre coin. Du moins, c'est ce qui nous a été annoncé. Personnellement, je pense que le Conseil a choisi notre région, car nos habitants passent depuis belle lurette pour des bêtas bûcheurs qui évitent les conflits à tout prix.
Les Hauts Membres nous ont en grande pompe promis qu'ils nous libéreraient à la fin de l'année et qu'un nouveau tirage serait effectué. En fait, nous devions tenir le coup durant une année seulement.
Cet arrangement a convenu à tout le monde. Mis à part nous, bien sûr. Mais il était déjà trop tard. Des soldats armés jusqu'aux dents sont venus nous chercher et nous ont escortés vers les fermes dans lesquelles nous travaillons actuellement. Vieux, malades et enfants ont été conduits directement vers les abattoirs, et les personnes restantes ont été confinées dans des cages avec l'interdiction d'échanger une parole avec leurs voisins.
Toujours naïfs, nous avons continué à espérer que l'enfer prendrait fin bientôt. Nous nous sommes consolés en nous disant qu'une année, ce n'est rien, ça passe vite.
Sauf que non.
Une année s'est écoulée, puis une autre. Nous étions déjà domptés et ne pouvions pas prendre notre sort en main. Nous étions privés de nos droits fondamentaux car, désormais, nous représentions de la nourriture et de la main-d'œuvre gratuite aux yeux des autres. Nos conditions s'aggravaient de mois en mois.
Un bruit de pas retentit dans le corridor, interrompant le fil de mes pensées. Je relève la tête et vois des gens en blouses blanches entrer dans mon département.
Ce n'est pas un bon signe. Mais pas du tout. Je devine déjà la raison pour laquelle ils se sont pointés à notre baraque — l'insémination artificielle.
Oui, il en est ainsi : immédiatement après l'accouchement, mon bébé sera jeté vivant dans un gros réfrigérateur.
Il paraît que c'est la meilleure façon de conserver la fraîcheur d'un corps.
Mon lait sera vendu dans des magasins et la tendre chair de mon petit sera servie en tant que délicatesse dans les restaurants chics.
Puis, lorsque je serai épuisée suite aux infections dues à la traite abusive et ne pourrai plus travailler, ceux qui détiennent le pouvoir sur ma vie me tueront — sans anesthésie, bien sûr — et mangeront mon corps.
Le Comité Interplanétaire n'interviendra pas. Ils se fichent de nous — imbéciles immatures à leurs yeux. D'après eux, le plus rapidement nous nous entre-tuerons, mieux ce serait.
Ils ont raison, du moins partiellement, paraît-il, car ce qui est le plus bête dans toute cette situation, c'est que nous aurions tous pu vivre normalement, sans tourmenter les uns les autres…
Le lendemain, je me lève avec une étrange sensation au ventre. Je ne peux plus faire l'autruche. Je dois agir.
Je sais que je n'ai pas le droit à l'erreur. Mais, dans les faits, je ne risque pas grand-chose. Même si les surveillants me tuent aujourd'hui, l'embryon à l'intérieur de moi ne sentira rien.
Une fois dans le champ, je m'éloigne discrètement vers l'extrémité où l'un de nos gardiens, assis sur une grande pierre, déballe son bonbon au chocolat. Il ferme les yeux de plaisir, sans regarder dans ma direction. De toute évidence, il n'a rien à craindre : mon peuple ne riposte jamais !
Eh bien, tant pis pour mes tortionnaires !
En tâchant de faire le moins de bruit possible, je m'approche lentement du gardien et saisis le laser accroché à sa ceinture. Machinalement, je vise et presse le bouton. L'homme s'écroule. Il n'a même pas eu le temps de comprendre ce qui lui était arrivé.
Je regarde autour de moi : tout est paisible et tout le monde est occupé par sa tâche. Je traîne le corps dans les buissons, déshabille le surveillant et enfile son uniforme.
Puis, n'osant pas croire ma chance, je marche d'un pas nonchalant vers la forêt comme pour soulager un besoin pressant.
Au fur et à mesure que je m'éloigne de ma prison, un enivrant sentiment de liberté et de vengeance m'envahit. Si, par malchance, je tombe sur mes cerbères, personne ne soupçonnera que je n'étais qu'un morceau de viande sur pattes il y a quelques instants. En fait, même si je les croise, il y a peu de chances qu'ils me reconnaissent : ils ne se donnent jamais la peine de nous regarder dans les yeux. Pour eux, nous sommes tous pareils — de sales esclaves.
Je suis le sentier en saluant d'un hochement de tête les rares passants et, surtout, je m'ordonne de ne pas réfléchir. Je sais ce que je vais faire une fois arrivée à ma destination, et il vaut mieux ne pas m'attarder sur ce genre de pensées.
Une heure plus tard, je sors sur une clairière où un géant cercle bleu est installé. Je jette un coup d'œil autour de moi. Personne dans les parages. Bien sûr ! Aucun citoyen normal n'approche ce lieu maudit.
Après la signature du pacte, les agents interplanétaires ont construit des systèmes d'alarme un peu partout sur notre planète et nous ont obligés à avaler une substance radioactive. Ainsi, si quelqu'un s'aperçoit d'une violation du traité et presse le bouton, une réaction chimique sera déclenchée et toute notre race sera éliminée. Sauf le dénonciateur qui sera protégé par les ondes émises par le cercle bleu.
Je chasse toutes les pensées de mon esprit et presse le grand bouton de toutes mes forces.
Aussitôt, le vent se lève et le ciel se couvre de nuages. Il me semble entendre des gémissements, mais il se peut que mon imagination me joue des tours. J'essaie de ne pas penser aux enfants pris de convulsions.
Je n'ai pas de remords. Mes camarades d'infortune seront abattus de toute façon, tôt ou tard.
Les enfants de nos oppresseurs grandiront et prendront la relève. Ça, c'est sûr. La lâcheté et l'irresponsabilité sont les pires crimes, car les méchants prospèrent justement à cause du soutien silencieux des indifférents.
Et moi, je suis responsable de mon futur bébé. Je continue d'appuyer sur le bouton et attends. Dans quelques heures, tous les terriens seront morts, et il ne restera plus aucun emmerdeur pour pourrir la vie à mon petit amour.
Mon enfant aura une enfance heureuse.
Bertrand Leproux, ce matin-là, était de mauvaise humeur et il y avait de quoi : rien ne se passait comme à l’ordinaire. À peine avait-il soulevé les paupières qu’il sut qu’une journée de merde, comme il disait, avait commencé.
Tout d’abord, son radioréveil n’avait pas fonctionné, l’écran affichait cinq heures passées en gros chiffres vert fluo : « Putain ! s’exclama-t-il, je vais être en retard ! » Bertrand était représentant de commerce au sein d’une firme d’import-export internationale et il avait trois heures de route à parcourir avant de conclure un marché important qui lui rapporterait gros. Il avait besoin de ce revenu substantiel pour renflouer sa trésorerie, car sa compagne l’avait quitté fin septembre, sans omettre d’emporter ses cartes bancaires et leurs codes, et elle avait vidé ses comptes. Il balança un coup de poing sur le fautif qui chuta et s’écrasa au sol dans un fracas de plastique explosé. Un peu calmé, il sortit du lit, releva le store et constata dans l’obscurité de février qu’il avait gelé durant la nuit ; en bas du petit immeuble, dans la rue, les voitures étaient caparaçonnées de glace. « Merde, merde, merde ! » brailla-t-il. Personne ne l’entendit, il était seul dans son appartement, et ce n’était pas les petits vieux du rez-de-chaussée, sourds comme des pots, que ses hurlements réveilleraient ; quant aux locataires du second, ils étaient partis aux sports d’hiver. Dans la cuisine, il brancha la cafetière avant de se souvenir qu’il n’avait plus de café. Il eut un geste d’agacement, mais ne voulant pas se jeter dans le froid le ventre vide, avec le couteau qu’il n’avait pas pris le temps de nettoyer la veille, et qui traînait dans l’évier, il se coupa deux tranches de saucisson qu’il dévora, debout, avec un quignon de pain. Pour ne pas étouffer, il tira un verre d’eau du robinet et le but d’un trait. Il poussa un soupir de satisfaction mitigée et se dirigea vers sa chambre. Négligeant le rasage et la douche, il s’habilla. Fin prêt, costume et cravate impeccables, il saisit son attaché-case, les clés de sa voiture de société, ouvrit et referma sa porte palière à double tour, et dévala l’escalier dans la demi-obscurité de l’éclairage parcimonieux du bâtiment centenaire. Comme souvent, il n’était pas encore arrivé dans le vestibule que la lumière s’éteignit. Il pesta haut et fort. Combien de fois avait-il maudit le réglage hyper économique de la minuterie ? Il n’eut pas le temps de répondre à sa question qu’il trébucha sur un obstacle en contrebas de la dernière marche. Ses doigts cherchèrent l’interrupteur, ils le pressèrent, la lumière jaillit, et, sidéré, il s’immobilisa : sur le sol gisait celle qui l’avait laissé tomber un triste jour de fin d’été !
Reprenant le contrôle de son corps et de son esprit, il se pencha vers le visage qui le regardait de ses yeux bleus éteints. À la recherche d’un signe de vie, il palpa le front froid, les mains inertes d’Anaëlle, il lui parla et n’obtint pas de réponse : Anaëlle était morte égorgée. Ses boucles blondes étaient engluées dans une mare de sang rouge sombre, coagulé. Il sortit son téléphone mobile de la poche intérieure de sa veste pour appeler la police : la batterie était déchargée ! Désarmé, ne sachant tout d’abord que faire, il arpenta d’un pas fébrile le carrelage aux motifs désuets du hall avant de se diriger vers la porte des petits vieux, de tambouriner et de hurler : « Ouvrez ! Ouvrez !… Mais ouvrez, bon sang ! » Le silence lui renvoya l’écho de sa voix. Il attendit, renouvela son appel pressant. Comme rien ne bougeait de l’autre côté de la cloison, il sortit, se rua vers sa voiture, gratta grossièrement un coin de pare-brise, ouvrit la portière, s’installa derrière le volant et démarra en trombe pour se rendre à la cabine téléphonique la plus proche. La rue, qui y menait, était barrée pour cause de travaux. Il regarda sa montre : il était à la bourre ! N’ayant plus une minute à perdre, il renonça à emprunter la déviation indiquée et poursuivit sa route vers le rendez-vous qu’il ne voulait surtout pas manquer.
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Quand Octave Seize arriva sur les lieux du crime, les gyrophares des voitures de police et du SAMU rivalisaient de puissance et découpaient la nuit de leurs rayons bleutés. Il gara sa voiture le long du trottoir, s’extirpa de l’habitacle, déploya son impressionnante silhouette et l’encadra peu après dans le chambranle de la porte d’entrée de l’immeuble, restée grande ouverte. Dans le couloir, il y avait des policiers, des ambulanciers, un médecin, et un couple de vieux se serrant l’un contre l’autre, tremblant de froid ou de peur dans leurs robes de chambre élimées. À sa vue, tous se turent et suspendirent leurs gestes. C’est vrai que l’enquêteur, officier de police de longue date, en imposait tant par sa stature que par son attitude. C’était un homme grand, un peu ventripotent, à la carrure d’athlète accentuée par cette habitude qu’il avait de bomber le torse. Été comme hiver, il était vêtu d’un pantalon et d’une chemisette noirs ; c’était tout juste si, par grand froid, comme ce matin-là, il revêtait un anorak, noir lui aussi. Son visage, en partie dissimulé par une courte barbe grisonnante, aurait été banal s’il n’était affecté d’une immobilité surprenante, laquelle ne laissait jamais rien transpirer de ses pensées ; seuls ses yeux semblaient vivre. Il s’exprimait le plus souvent avec une grande économie de mots prononcés d’une voix gutturale qui ne donnait guère envie de plaisanter, même en privé.
« Salut ! Que se passe-t-il, ici ? » lança-t-il à la cantonade. Sans attendre de réponses, sans plus rien ajouter, il tourna autour du corps qu’il examina de son regard d’acier. Celui-ci était étendu sur le dos, une jambe repliée d’équerre, l’autre légèrement fléchie. Une main, posée sur le torse, retenait la bandoulière d’un sac que la victime devait porter à l’épaule au moment de son agression ; sa gorge présentait une plaie profonde, sur son visage était figée une expression d’effroi. L’enquêteur remarqua le corps entièrement vêtu et les bottines à la tige bordée de fourrure fauve qui enserraient les pieds de la jeune femme – qu’elle devait avoir menus, songea-t-il, malgré lui, tout en écartant déjà la thèse du viol. « Personne n’a touché à rien, j’espère : il faut préserver les indices ! » Il repoussa le médecin qui semblait vouloir prendre la parole et, s’adressant aux policiers, il enchaîna : « Allez ! On se bouge ! On prend les mesures, on relève les empreintes, les indices, on interroge, on note tout ! » C’est alors qu’il parut découvrir les deux vieux acculés dans l’ombre, sous la cage d’escalier : « Qui sont-ils, ces deux-là ? » questionna-t-il. Yemna, une toute jeune et jolie policière malgré l’uniforme peu seyant, l’informa avec l’accent kabyle qu’elle avait conservé de ses racines algériennes : « Les gens qui nous ont appelés… Ils habitent l’appartement, là, sur la gauche. » L’enquêteur s’avança vers eux qui tremblaient toujours ; il leur parla à voix basse et tous trois s’engouffrèrent dans l’appartement.
C’est là, assis sur une chaise en formica datant des années cinquante, accoudé sur un coin de table revêtue d’une toile cirée à la propreté douteuse, entre assiettes ébréchées et reliefs du dîner de la veille, qu’Octave Seize recueillit les premiers éléments de l’enquête.
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