Pour amuser les gens graves - Ligaran - E-Book

Pour amuser les gens graves E-Book

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Extrait : "La famille Vertalouette s'est amassé de quoi vivre dans le commerce, fort honorable d'ailleurs mais absolument stupide, des visières de casquettes. La famille, M., Mme et Mlle Vertalouette, demeurent avec une vieille sœur du papa, Mlle Irma. Mlle Irma n'a pas pu parvenir à se marier à cause d'un macaron qu'elle a sur l'œil ; ce macaron provient d'un regard que sa mère a eu en faisant une promenade à la foire au pain d'épice."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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L’horloger

À Charles Clérice.

La famille Vertalouette s’est amassée de quoi vivre dans le commerce, fort honorable d’ailleurs mais absolument stupide, des visières de casquettes.

La famille, M., Mme et Mlle Vertalouette, demeurent avec une vieille sœur du papa. Mlle Irma.

Mlle Irma n’a pas pu parvenir à se marier à cause d’un macaron qu’elle a sur l’œil ; ce macaron provient d’un regard que sa mère a eu en faisant une promenade à la foire au pain d’épice.

Adhémar Vertalouette, qui aime à rire, lui a déjà dit souvent en plaisantant : « C’est heureux que maman n’a regardé qu’un macaron, si elle avait regardé un jambon ! »

Irma trouve cette plaisanterie très déplacée.

Adhémar ne dit plus rien devant elle, mais, en arrière, il se rattrape en l’appelant ma sœur : la partie en passant !

Rose, Mlle Vertalouette, commence à soupirer quand elle regarde les petits oiseaux se faire des niches, au moment où

Tous les nids sont en querelles.

quand :

L’air est pur, le ciel léger,

et que :

… partout on voit neiger,

Des plumes de tourterelles.

et les parents songent à la marier.

Cela vexe la tante Irma, qui ne se permet cependant que des : « Elle est bien jeune ! On peut mal tomber ! La foire n’est pas sur le pont ! Esclave à son âge ! etc., etc. »

Comme son opposition ne servirait absolument à rien, elle ronge son frein, selon l’expression d’Adhémar. Mais considérant que ce serait une humiliation pour elle de rester demoiselle plus longtemps, alors qu’on parle de marier sa nièce, elle se décide à recourir aux PETITES AFFICHE.

La famille Vertalouette n’a eu, dans la casquette, que des relations fort restreintes. Rose est sortie de pension depuis un an à peine, on ne connaît aucun parti ; comment faire ?

C’est à ce sujet qu’on a causé des Petites Annonces ; la tante a trouvé que c’était très ridicule, et s’en est servi le lendemain ; Adhémar, ayant son idée, a conclu également que ce serait immoral, et a couru en faire autant que sa sœur.

Deux jours après, un grand garçon, à l’air assez bonasse, se présente dans la maison :

– Monsieur, je viens au sujet…

– Très bien ! entrez donc, je vous prie.

– Comme je…

– Ça ne fait rien, mais, dame ! nous verrons. D’abord, écoutez-moi bien, ne dites rien à ma femme, je vais vous présenter comme le fils d’un de mes amis, et on verra si l’affaire est possible.

– Comment ? Mme Vertalouette doit ignorer…

– Oui, oui, parfaitement.

– Cependant la clé…

– Vous l’aurez, plus tard, en attendant, j’inventerai que… je ne vous connais pas, si, c’est-à-dire que… enfin j’arrangerai la chose, venez avec moi, ces dames sont là.

Vertalouette présente son jeune homme, on l’invite à déjeuner, il refuse, on insiste, il reste. Tout se passe assez bien, lorsque, au café, Irma demande à l’inconnu :

– Que comptez-vous faire à Paris, monsieur, y êtes-vous pour longtemps ?

– Tout dépendra des évènements, mademoiselle, si je puis épouser la personne qui…

Ici un coup de genou d’Ιrma.

Le garçon, pensant avoir dit une bêtise, s’arrête subitement ; Adhémar, qui craint une indiscrétion, change lestement le sujet de la conversation, tandis qu’Irma, se penchant légèrement vers son voisin, lui dit à mi-voix, en lui prenant la main sous la table : Chut ! c’est moi.

– Moi, quoi ? se demandait l’inconnu, ahuri.

Cependant, la causerie reprend de plus belle. Irma fait la bouche en cul de poule et soupire d’un air langoureux.

Vertalouette lutte d’amabilité ; sa sœur et lui cherchent l’un et l’autre à rester seuls avec le garçon : n’y pouvant parvenir sans brusquerie, on temporise de part et d’autre. L’inconnu qui ne comprend rien à toutes ces façons, se laisse faire, en attendant le mot de la situation.

– Le temps est mauvais, impossible de sortir, dit Vertalouette, organisons une petite partie !

On joue, l’inconnu perd cent sous, il fait la mine ; aussitôt Irma met dans son jeu, il regagne, il est en pleine veine. Par délicatesse la vieille demoiselle retire sa mise, et le garçon gagne soixante francs au papa, qui laisse sa place.

Irma, qui ne veut pas perdre le jeune homme de vue, succède à son frère, elle prend les cartes et perd quatre-vingt francs.

Enfin, las du jeu, vers quatre heures, on prend le thé, en compagnie de deux anciens chapeliers en visite. C’est Rose qui fait le service, sous l’œil de maman Vertalouette.

Au beau milieu de la cérémonie on entend retentir la sonnette :

– Tiens ! monsieur Molsurot ! vous désirez ? Entrez donc un instant.

MOLSUROT, à l’inconnu. – Comment, vous ici encore !

L’INCONNU.– M. Vertalouette m’a retenu et j’ai cru…

VERTALOUETTE.– Tiens, vous vous connaissez, ah ! c’est assez bizarre !

MOLSUROT.– Parfaitement ! monsieur est mon commis.

VERTALOUETTE, vexé. – Pas possible ! Eh bien ! alors, monsieur, que demandez-vous donc, au sujet de quoi êtes-vous venu ?

L’INCONNU.– Mais, monsieur, je vous l’ai dit, pour avoir la clé de la pendule que mon patron avait oubliée ce matin en faisant son remontage.

VERTALOUETTE, pincé. – Vous auriez bien pu dire : « Je suis l’horloger !… »

L’INCONNU.– Mais, monsieur, je n’ai pas osé, vous m’avez dit que j’aurais la clé plus tard, et de ne rien dire devant madame !

VERTALOUETTE, bas. – Vous ne veniez donc pas des PETITES AFFICHES.

L’INCONNU, de même. – Du tout.

MOLSUROT.– Depuis ce matin je me disais : « Mais où est-il passé ? Qu’est-il devenu ? » Je venais voir si vous pouviez m’en donner des nouvelles.

IRMA.– D’excellentes, monsieur Molsurot, comme vous le voyez. (Bas au commis) : Cette discrétion vous honore, merci. Demain, à huit heures, j’irai faire mettre un verre, tâchez d’être seul.

MOLSUROT.– Eh bien ! partons, avez-vous la clé ?

VERTALOUETTE.– La voici.

L’INCONNU.– Je suis prêt. (À part.) Mais qu’à cette vieille folle après moi ?

Et Vertalouette seul se disait : « J’ai été trop vite aussi, moi : c’est égal, il nous a attrapé cent quarante francs, cet animal-là. »

L’amour des bêtes

À Aurélien Scholl.

Lorsqu’on dit : j’aime le lapin… sauté, ou le poulet… rôti, je le comprends, mais ce qui a toujours eu le don de m’énerver, c’est lorsque j’entends les gens dire : Oh ! moi, je suis fou des bêtes !

Quand on a une âme naïve, on est disposé à croire qu’ils les adorent réellement, mais si on réfléchit seulement une demi-seconde, on est bien vite désabusé.

Ainsi, vous avez les gens qui adorent les chevaux.

S’ils ont les moyens, ils en achètent, ils les font, bien astiquer, nourrir et brosser ; mais ils les font ensuite accrocher à un meuble appelé voiture, et se font traîner dedans. Comme ils adorent les pauvres bêtes, ils prennent le soin de mettre sur le siège de la voiture, un individu armé d’un fouet, pour qu’il lape dessus.

S’ils ne les accrochent pas à une boîte perchée sur quatre roues, ils les montent et se font porter tout le temps. Et, si le cheval ne va pas à leur idée, on lui donne des coups de cravache sur l’épaule ou on lui enfonce des éperons dans le ventre.

Tout cela parce qu’on l’aime bien ce pauvre cheval.

Le jour, la nuit, le soir, le matin qu’il vente ou qu’il pleuve, qu’il fasse chaud ou qu’il fasse froid, on le sort de sa maisonnette et on le fait trotter ; s’il n’est pas content, c’est son affaire.

On l’adore tant, qu’on s’en moque pas mal.

Les gens qui aiment bien les chevaux, mais qui n’ont pas le sou pour en acheter, vont voir courir.

Ils sont enchantés de voir éreinter les malheureuses bêtes ; et quand un cheval arrive premier, on crie : « Vive chose ! »

Il a les lianes en sang, il sue, il souffle, il est épuisé, ça ne fait rien.

S’il s’est cassé une patte à la banquette irlandaise, c’est lui qui a eu tort.

De bons bourgeois qui ne feraient pas de mal à une mouche, tant ils aiment les bêtes, grimpent sans remords dans un fiacre usé, s’assoient tranquillement, et recommandent au cocher d’aller bon train. On lui donnera dix sous de plus.

Pour gagner ses dix sous, le cocher roue de coups le malheureux cheval étique, vieux et malade, qui traîne le véhicule ; et, pendant ce temps-là, les bourgeois, bien bons, rient comme des bienheureux d’une farce qu’ils viennent de voir jouer.

Nous avons aussi les gens qui sont fous des oiseaux. Les oiseaux n’étant bien que dans les airs, leur véritable élément, les gens qui les aiment bien, commencent par les fourrer dans une cage ornée de petits bâtons, et ils les accrochent à une fenêtre.

Pour les rendre bien heureux, on leur secoue de temps en temps sur la tête, un peu de mouron rempli de terre et de poussière, qui sèche et pue tranquillement au soleil ; on leur met du grain dans une boîte, de l’eau dans un petit vase, et allez-y !

L’oiseau, très vexé, essaie de voler, il casse ses plumes partout : aux barreaux, aux petits bâtons ; et de guerre las, éreinté, il sautille tant bien que mal d’un bâton sur l’autre, tout en faisant des yeux ronds et effarés.

Il finit par en prendre son parti, et tels les malheureux prisonniers qui murmurent un refrain appris jadis, pour oublier l’horreur de sa situation, le pauvre oiseau chante, piaille, roucoule ce qu’il sait.

L’idiot qui les a mis dans son panier à salade, vous dit alors avec un air joyeusement stupide : Hein ! comme il est content ! Certaines gens, pour que ce soit plus gentil à l’œil, en mettent de différentes races dans la même cage, et leur donnent la même nourriture, les exposent à la même température.

S’ils ne s’entendent pas, eh bien, ils se battront, voilà tout. Souvent les pauvres bêtes sont dans des cours sans air, sans soleil, empestées ; les voisins secouent des tapis au-dessus de leur eau ; on oublie de les rentrer le soir, il pleut sur eux ; le bruit de la maison les effraye, ils dorment et on les secoue ; ils ont envie de chanter, une amie vient leur dire bonjour, tant pis ! parce qu’on envie de sortir, on les rentre, et de ce qu’ils salissent tout avec l’écorce de leur graine, on les met sur le fourneau de la cuisine.

On les aime tant ces petites bêtes !

D’autres gens non moins tendres, leur coupent une aile pour les priver.

Absolument comme si de gros oiseaux nous coupaient une jambe parce qu’ils nous aimeraient bien, et qu’ils voudraient nous attacher à eux.

D’autres encore adorent les perroquets et les attachent par la patte avec une chaînette en fer, fixée à un gros piton.

Les vieilles demoiselles aiment volontiers les chats.

Seulement, pour qu’ils ne donnent pas le désolant spectacle de… la débauche, on leur fait enlever… ce qui pouvait les engager à batifoler avec la minette du voisin.

Soyez donc aimés des vieilles demoiselles, pauvres chats… !

On aime aussi les petits poissons. Alors on les fourre dans un bocal où ils remuent à peine.

On aime aussi les chiens, mais on leur met un collier, et on leur défend de crier : ils se soulagent quand on pense à les descendre, autrement on les bat comme plâtre.

On les enferme dans des chambres, on les laisse tout seuls parce qu’on ne peut les emmener partout ; ou encore on prend l’omnibus, et on les fait courir derrière pendant une heure.

Si le chien ramasse un os en route, on lui allonge un coup de pied ; s’il vient vous caresser avec des pattes crottées, on lui flanque un coup de parapluie.

Quand c’est une chienne et qu’elle a des petits, on les jette à l’eau parce que c’est gênant et qu’on ne sait à qui les donner.

La pauvre chienne est désolée, furieuse ; mais si elle a l’air de se fâcher, on lui administre une volée.

C’est charmant.

Voilà ce que font les gens qui aiment les bêtes.

Oh ! comme je voudrais voir un jour les bêtes se mettre à bien aimer les gens, et leur rendre la pareille.

De quel droit ces amateurs se permettent-ils de martyriser ces pauvres êtres qui ne leur ont jamais fait de mal ?

Du droit du plus fort évidemment.

Eh bien ! alors, pourquoi trouveraient-ils injuste qu’un Hercule leur enlève leurs femmes, ou qu’il jette à l’eau leurs petits-enfants, afin de ne pas les entendre battre du tambour ?

Ah ! les gens qui aiment les bêtes à la folie me dégoûtent décidément, ils sont tout simplement plus hypocrites, plus faux et plus égoïstes que ceux qui disent : Je ne les aime pas.

Ces derniers ne leur font pas de bien, c’est vrai, mais au moins ils ne leur font pas de mal, et, en bonne conscience, je crois que les bêtes aiment encore mieux ça.

En attendant scolastique

À Gabriel Lemercier.

7 heures

M. Prunier, trente-deux ans, suivant son dire-quarante-trois suivant son acte de naissance-se promène fiévreusement en bras de chemise dans sa chambre à coucher :

Ma cravate ! où est passée ma cravate, maintenant ? Bon ! je marche dessus, mais c’est donc une… non, c’est l’autre que je veux ! Sapristi ! si ça continue, elle va encore me trouver bien mis.

Ah ! la voici. Merci, dieu des amours.

Là !… eh bien, on fait encore son petit effet.

Voyons quelle heure est-il ?

8 heures

Diable ! elle ne va pas tarder, elle m’a dit neuf heures, et je parierais qu’elle sera exacte.

Pauvre petite ! va. C’est qu’elle est bien tournée, cette gamine-là ! un petit museau… et des yeux… comme des portes cochères.

Et puis, on voit bien que ce n’est pas une petite fille habituée à faire la noce ; non, ce n’est pas ça, elle se tient.

Ah ! c’est qu’on n’attrape pas papa, je m’y connais, certes ; je vous ai un flair !

Si un autre que moi l’avait abordée ce matin, ce qu’elle vous l’aurait envoyé promener !

Timide avec ça, mais gentille à croquer avec sa naïveté. Elle est dans un magasin ; elle n’a pas voulu me donner l’adresse, elle craint d’être compromise.

Enfin, je ne pouvais pas la torturer, n’est-ce pas ?

Scolastique ! Elle s’appelle Scolastique ; comme c’est pur, ça. Scolastique, ça ne sent pas la viveuse, c’est simple. J’aime ce nom-là, Scolastique. Au premier abord, ça m’a surpris, car les femmes s’appellent toujours – quand on leur demande leur nom – Armandine, Flora, Bianca, etc.

Quand je lui ai dit que je m’appelais Prunier, Polycarpe Prunier, elle a souri, elle a paru trouver ça gentil aussi.

Pour sûr, cette fille-là a du goût.

Moins un quart ! satanée pendule, va. Je suis sûr qu’elle est encore sur le retard. Voleur d’horloger ! tous les mêmes !

9 heures

Ce n’est pas malheureux ! elle m’a bien dit neuf heures, elle va arriver.

Écoutant. – Parbleu ! qu’est-ce que je disais ! la voilà qui monte. Le pas un peu lourd, fatiguée, pauvre petite !

 

Eh bien, quoi, elle se trompe !

Il ouvre. – Sapristi, c’est le menuisier d’au-dessus. Imbécile, rentrer à cette heure-là, un homme marié… qui a des enfants. Neuf heures un quart. Je lui ai pourtant bien donné l’adresse.

Ma pendule avance sans doute ; filou d’horloger, va ! une pendule de vingt-trois francs !…

Les patrons la retiennent peut-être, c’est si rapace, ces patrons ! ils ont trouvé quelque chose à lui faire faire… Éreinter pareillement une pauvre fille, au lieu de la laisser venir ici… se reposer.

Elle ne viendra pas. Je m’en doutais, oh ! je l’aurais parié. C’est une imbécile, car…

Écoutant. –… Oui, la voilà, ce n’est pas malheureux ! une robe, ça crie ; Frou ! frou ! ah ! ah ! la farceuse !… Mais… elle se trompe, elle sonne au-dessous !

Non, pas elle, c’est la femme du vieux. Vieille bête, courir les rues à cette heure-ci !

11 heures

Du reste, je n’y tenais pas ; je suis resté là parce que je n’avais rien à faire, mais il ne faut pas qu’elle se figure que je vais l’attendre.

Des femmes, j’en trouverai quand je voudrai, je ne moque bien d’elle !

Il s’assoit. – Oh ! je sors, je… je ne l’attendrai certes pas ! Petite dinde, va ! non, mais ce qui m’embête, c’est qu’elle s’imagine que je l’attends !…

Plus souvent que… d’ailleurs attendre quoi ? une grue, car c’est une grue, une rien du tout. Est-ce que, si ce n’était pas une rien du tout, elle m’aurait répondu dans la rue ?

Je suis content maintenant qu’elle ne soit pas venue, elle m’aurait peut-être volé seulement.

11 heures 1/2

D’abord, qu’est-ce que ça me fait, j’en trouverai de mieux sans peine… des grands yeux, c’est-à-dire des gros yeux, des gros yeux bêtes ! il ne faut pas qu’elle se figure avoir de beaux yeux ; j’ai même cru remarquer qu’elle en avait un plus petit que l’autre.

Ça se donne un air timide parce que c’est bête, voilà tout ; des mains rouges, un nez… on lui verrait la cervelle si l’on voulait.

Minuit

Scolastique ! qu’est-ce que ça dit, ça : Scolastique, c’est idiot ! On s’appelle Louise, Julie, Françoise, mais Scolastique ?…

Elle s’est fait arrêter par la police, peut-être.

Écoutant. – Tiens !… mais… voyons donc… oui… (Il ouvre.)

SCOLASTIQUE.– Bonsoir, mon chéri !

PRUNIER.– Bonsoir, mon ange ! comme tu viens tard !

Une partie de campagne

À Charles Ternisien.

C’est le seul jour où il est libre, et le dimanche Frisomar n’aime pas rester à la maison.

Dimanche dernier le temps était superbe, et il en a profité pour s’offrir une journée remplie d’agréments.

Dès le matin, Arthémise, sa femme, ayant manifesté le désir d’aller à Saint-Mandé, Frisomar a décrété qu’on irait à Meudon.

Sosthène, l’unique héritier des dettes de mossieu son papa, sera de la fête.

Un instant, on eut l’idée de le laisser en garde chez le concierge, mais, ma foi, comme il a obtenu le septième prix de sagesse, on l’autorise à prendre de l’agrément.

Madame a voulu que Sosthène soit resplendissant, – orgueil de mère ; – on lui a mis une petite veste marron, un feutre gris orné d’un galon considérable, le tout rehaussé d’une plume capable de faire évanouir la volaille la moins impressionnable.

Ces atours sont complétés par un pantalon blanc, qui lui vient au jarret.

Une ficelle au cou, et les populations auraient immédiatement pris ce jeune homme pour un singe prêt à sauter sur l’épine dorsale d’un caniche.

Mme Frisomar est flambante, Frisomar est surprenant d’élégance… avec sa redingote noire, son gilet à pois et son pantalon gris à bandes grenat.

Sa femme tient absolument à lui mettre de la pommade à la rose.

Emprisonné dans une cravate bleu ciel, il a toute l’aimable désinvolture d’un monsieur perruquier sur le point de se faire photographier.

On part.

Grand air d’Arthémise, disant à la concierge :

– Si l’on nous demande, nous sommes à la campagne.

Sosthène ouvre largement la bouche, et, dans la crainte d’abîmer son chapeau, marche raide comme un paratonnerre.

Arthémise tient le panier.

Tient n’est pas exact, elle le traîne, car il contient le pâté, trois livres de pain, une livre de prunes, une ancienne bouteille de parfumerie où l’on a mis l’huile de foie de morue de mossieu Sosthène, deux couteaux, le torchon, un pot de confitures, un restant de saucisson, un éventail, un verre, le catéchisme du petit et la lorgnette.

Ainsi embarrassée, Arthémise a confié les deux parapluies à Sosthène, qui se les appuie sur son ventre, et les tient entre ses bras avec un tel respect qu’on jurerait qu’il porte le Saint-Sacrement. Frisomar ne porte rien du tout, il va devant, et comme c’est lui qui a l’argent on le suit sans rien dire, ayant le soin de ne pas le lâcher des yeux.

On prend les billets, on part, on arrive. Du chemin de fer jusqu’au bois, il y a un joli bout de chemin, et comme on a fait la route à pied, sous prétexte qu’il fait bon se promener, Arthémise, qui n’en peut plus de chaleur, commence à bougonner. Frisomar, froissé, annonce que, si c’est comme ça, on va s’en retourner immédiatement.

L’aspect du panier à retraîner calme aussitôt Arthémise. On cherche un coin un peu frais, et, comme on a recommandé à Sosthène de faire attention à ses affaires, il cherche, traînant toujours ses deux riflards, un petit endroit bien propre.

Dans son innocence, apercevant un papier posé… négligemment dans un coin, par terre, il s’imagine que cette place est beaucoup mieux tenue que les autres, et il va s’asseoir en plein dessus.

Tout en fumant une bonne pipe, Frisomar pense qu’un peu de poésie ne saurait nuire, et il s’est écrié au moins vingt fois : Fait crânement bon tout de même, pas vrai Arthémise ?

Arthémise, qui a le bras à moitié coupé par les anses du panier, n’a pas l’air de très bonne humeur, et ne parait pas trouver qu’il fasse bon si crânement que ça ; mais, dans la crainte d’être laissée à la maison le dimanche suivant, elle a le toupet de répondre : J’te crois ! on a joliment de la bonne air ici !

Cependant on commence à débourrer le panier, et l’on se met en devoir d’assassiner le pâté, arrosé d’une bouteille d’eau rougie cachetée, dont on a fait l’emplette à l’entrée du bois.

Sosthène a pris son huile de foie de morue, et pendant que son père fait un somme, le dos sur l’herbe, il a récité son catéchisme ; bref le tantôt ne se passe pas trop mal, sauf que le petit jeune homme, en s’asseyant sur le papier, a commis une grande imprudence : ne pouvant se relever facilement, il se tâte le… quelque part avec la main, et il découvre le pot aux roses, sans en rien dire à sa famille.

Pour ne pas laisser paraître son… ennui, il s’essuie discrètement les doigts sur les parapluies, et, comme on lui a permis de s’amuser, il danse tout le ; temps, ayant le soin de faire face à… l’ennemi.

Mais il se fait tard, et bientôt, après ce déjeuner-dinatoire, on songe au retour.

M. Sosthène, qu’on ne saurait faire marcher devant pour un empire, prétend qu’il est fatigué ; pour ne pas manquer le train, Frisomar prend son héritier sur ses épaules en murmurant : « Quelle scie ! crapaud d’enfant ! Une autre fois on te laissera chez le portier. Comme c’est amusant ! mon saucisson va me rester sur l’estomac ; c’est sûr ! – Allons, attends, Arthémise ! prends-le donc un peu, que j’ôte ma redingote, car j’étouffe, ma parole d’honneur ! »

Frisomar est en bras de chemise, Arthémise tient le panier, la redingote et le chapeau de son mari, plus les pépins : comme Sosthène les fourrait tout le temps dans la figure de son père, il a fallu les lui ravir.

On fait une lieue de la sortie. Arthémise, qui ne tient plus de fatigue, n’arrête pas de grogner, pendant que Frisomar, non moins furieux, secoue son rejeton avec toute l’ardeur qu’on pourrait demander à un tonnelier pour rincer une bouteille ; Sosthène, en péril, n’hésite pas, il se cramponne aux cheveux de son père.

On arrive enfin à la gare.

Arthémise, sur le point de remettre la redingote à son mari, voit des traces désolantes provenant du passage de M. Sosthène, sur le cou de son père.

Fureur de madame, colère de monsieur, qui se met à crier : « Arrive ici que je te donne des calottes ! » Sosthène fort peu séduit par la perspective des joies qui l’attendent, file au plus vite, et, dans sa course perd les parapluies qu’on lui avait confiés de nouveau. En cherchant le jeune homme, on manque le dernier train, et ayant retrouvé Sosthène, les époux Frisomar rentrent au petit jour à leur domicile, après avoir consciencieusement giflé le petit, et s’être chicané tout le long du chemin.

Mais ça ne fait rien, Frisomar dit encore aujourd’hui à son atelier :

– Nous sommes allés dimanche à la campagne, avec ma femme et le petit. Ah ! nous pouvons dire que nous avons passé une bonne journée !

Scène de la vie artiste

AVANT LE SALON

À Tony Robert-Fleury.

Galimard est peintre : cette année il désirait exposer.

Sa toile finie, il en était enchanté ; craignant qu’on ne lui chippât son idée, il l’avait exécutée dans le plus grand secret, mais au moment du dépôt des œuvres n’ayant plus rien à redouter, il invite deux amis à venir contempler sa toile.

1er AMI.– Ah ! ah ! voilà la chose ? fichtre ! mais sais-tu, mon vieux, que c’est bien !

2e AMI.– Un sacré chien ! où as-tu l’idée de ça ?