Provence : Les Sillons du soleil - Ariane Fornia - E-Book

Provence : Les Sillons du soleil E-Book

Ariane Fornia

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2019
Beschreibung

Culture, traditions, pierres rugueuses et hivers brumeux... La Provence est une terre riche qui a été convoitée bien des fois.

La Provence se joue des frontières. Elle bute sur le Rhône, rebondit sur les Alpes, se déverse dans la mer. Cette radieuse méridionale, où le soleil abrège l’hiver, a toujours semblé être le versant heureux d’une France inquiète. La Provence est pourtant bien autre chose. Elle est culture, traditions, pierres rugueuses et hivers brumeux. L’âme de la Provence est un voyage en soi. Il impose de fixer la montagne Sainte-Victoire et de contempler, haut perchés, les villages forteresses qui disent combien cette terre fut convoitée et parvint à résister. Ce petit livre n’est pas un guide. C’est un décodeur. Il dit ce qu’est la Provence ordinaire comme celle des poètes. Il dit la fécondité de ses sentiers. Parce qu’en Provence, le grain que vous semez, voyageur ou pèlerin, fleurit toujours ensuite dans votre cœur. Un grand récit suivi d’entretiens avec Jean Guyon, André Gabriel et Sandrine Krikorian.

Découvrez un récit ensoleillé sur le versant heureux, résistant et fécond d'une France inquiète, suivi d'entretiens avec Jean Guyon, André Gabriel et Sandrine Krikorian. L'âme de la Provence est déjà un voyage en soi.

EXTRAIT

Mais au-delà du soleil et de l’accent, qu’est-ce qui soude cette Provence si sûre de son identité unique, et avant toute chose, où s’arrête-t-elle ? S’il est difficile de borner avec fermeté une région culturelle, on estime usuellement que la Provence a pour frontières le Rhône à l’ouest, le fleuve Var à l’est et une ligne courant approximativement de Montélimar au lac de Serre-Ponçon au nord. La question des limites historiques de la Provence pourrait être perpétuellement débattue, la province ayant changé mille fois de forme au cours de son histoire tumultueuse. Au nombre de villages perchés, arc-boutés sur leurs remparts fortifiés au sommet des collines d’où on voyait l’ennemi arriver de loin, on comprend quelles luttes ont présidé à la naissance de la Provence. Ces villages, cent fois assiégés, défendus, pris et reconquis, montrent combien les grands de ce monde ont convoité ce Midi béni des dieux, où le soleil abrège l’hiver, où la vigne et l’olivier s’épanouissent, où le Rhône apporte les richesses venues de toute la Méditerranée, jusqu’au cœur des terres. Telle est toute l’ambiguïté de la Provence : on mesure souvent mal la dureté qui sous-tend l’idylle.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ariane Fornia a grandi en Provence, cette terre qui lui a donné le goût des voyages et des aventures humaines tissées par Pagnol, Giono ou Frédéric Mistral. Son blog, www.itinera-magica.com, est une insatiable promenade littéraire.

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Couverture

Page de titre

L’ÂME DES PEUPLES

Une collection dirigée par Richard Werly

Signés par des journalistes écrivains de renom, fins connaisseurs des pays, des métropoles et des régions sur lesquels ils ont choisi d’écrire, les livres de la collection L’âme des peuples ouvrent grandes les portes de l’histoire, des cultures, des religions et des réalités socio-économiques que les guides touristiques ne font qu’entrouvrir.

Écrits avec soin et ponctués d’entretiens avec de grands intellectuels rencontrés sur place, ces riches récits de voyage se veulent le compagnon idéal du lecteur désireux de dépasser les clichés et de se faire une idée juste des destinations visitées.

Une rencontre littéraire intime, enrichissante et remplie d’informations inédites. Parce que pour connaître les peuples, il faut d’abord les comprendre.

Richard Werly est le correspondant pour la France et les affaires européennes du quotidien suisse Le Temps. Précédemment basé à Bruxelles, Genève, Tokyo et Bangkok, il s’est lancé dans l’aventure éditoriale de L’âme des peuples après avoir réalisé combien, en Europe et dans le monde, la compréhension mutuelle et la connaissance des racines culturelles et religieuses ne cessent de reculer sous la pression d’une économie toujours plus globalisée et de crises nouvelles et parfois brutales.

Carte

AVANT-PROPOS

Pourquoi la Provence ?

J’ai grandi en Drôme provençale, tout au nord de cette région culturelle mythique dont le seul nom ouvre mille fenêtres sur la lavande, les cigales et l’azur : la Provence. Comme souvent dans les marges des territoires fédérés par un fort sentiment d’identité, mon pays natal défendait bec et ongles son appartenance au Midi. Le Nord de la Drôme avait beau se rattacher au Dauphiné, nous, les Drômois du Sud, les enfants de Grignan, de Nyons ou de Rémuzat, nous savions bien que notre allégeance allait au sud et courait jusqu’aux rives de la Méditerranée.

Mon enfance s’est épanouie dans ces paysages et ces atmosphères que l’imagination collective associe immédiatement à la Provence : les hauts plateaux caillouteux couverts de thym, de romarin et de buissons épineux, les chênes où se réfugient les insectes chanteurs, les lézards courant sur les pierres fendues par les étés brûlants, les océans de lavande au mois de juin et les santons dans la crèche à Noël.

Pour tous ceux qui l’habitent, la Provence relève de l’évidence, et je ne connais aucun natif de ce pays qui ne revendique pas spontanément cette appartenance. Être provençal confère la fierté d’avoir choisi le bon côté de l’hexagone, le côté ensoleillé où la vie est plus douce, et cette certitude se vit tout au long de l’année.

Dès janvier, quand les mimosas entrent en floraison, suivis des amandiers à la mi-février, alors que l’hiver brumeux étouffe le reste du pays jusqu’à fin mars au moins, nous nous voyons rassérénés dans notre conviction d’être élus des dieux. Le dénominateur commun de tous les Provençaux, c’est un sadisme bon enfant devant la météo du 20h, quand on constate que le reste de la France est englué dans la grisaille, alors que chez nous, malgré le froid, le ciel est bleu et rayonnant.

Mais au-delà du soleil et de l’accent, qu’est-ce qui soude cette Provence si sûre de son identité unique, et avant toute chose, où s’arrête-t-elle ? S’il est difficile de borner avec fermeté une région culturelle, on estime usuellement que la Provence a pour frontières le Rhône à l’ouest, le fleuve Var à l’est et une ligne courant approximativement de Montélimar au lac de Serre-Ponçon au nord. La question des limites historiques de la Provence pourrait être perpétuellement débattue, la province ayant changé mille fois de forme au cours de son histoire tumultueuse. Au nombre de villages perchés, arc-boutés sur leurs remparts fortifiés au sommet des collines d’où on voyait l’ennemi arriver de loin, on comprend quelles luttes ont présidé à la naissance de la Provence. Ces villages, cent fois assiégés, défendus, pris et reconquis, montrent combien les grands de ce monde ont convoité ce Midi béni des dieux, où le soleil abrège l’hiver, où la vigne et l’olivier s’épanouissent, où le Rhône apporte les richesses venues de toute la Méditerranée, jusqu’au cœur des terres. Telle est toute l’ambiguïté de la Provence : on mesure souvent mal la dureté qui sous-tend l’idylle.

Cette rudesse est inscrite dans le territoire lui-même, bien moins amène que ce que les cartes postales le laissent supposer.

Pétrarque et la montagne Sainte-Victoire

En dehors de la vallée rhodanienne, des rivages de la Méditerranée et des plaines marécageuses de la Camargue et de la Crau, presque toute la Provence est une terre montagneuse. Elle a ses sommets emblématiques, notamment le Mont Ventoux, géant chauve et pâle où les vents pulvérisent tous les records de vitesse et dont Pétrarque fut le premier à tenter l’ascension. Ou encore la Sainte-Victoire, montagne magique immortalisée mille fois par Cézanne, où la croix de Provence qui la surplombe semble toujours accrocher un rayon de soleil, même au cœur de l’orage. Cette Provence intérieure, celle des Alpes, des Baronnies, du Verdon, des Monts du Vaucluse, des Alpilles et de la montagne de Lure, est glaciale en hiver, battue par les vents, en lutte perpétuelle avec la pente, le gel et les inondations soudaines des rivières capricieuses au milieu des pierriers.

La Provence que j’aime tant est celle des combes et des cailloux, cousue des mille recoins de sa géographie accidentée où les millénaires ont creusé leur sillon patient. Terre calcaire et friable, elle est ravinée par les eaux qui sculptent des gorges innombrables – Nesque, Toulourenc, Eygues, Méouge, Quinson, Loup, Ubaye, pour ne citer que mes préférées, sans oublier le canyon le plus profond de France, celui du Verdon, où les vautours tournoient au-dessus de 700 m de vide abrupt.

Les lacs s’y comptent sur les doigts de la main ou presque – les quatre grands lacs du Verdon, le lac de Saint-Cassien, le lac de Serre-Ponçon – et beaucoup ont été artificiellement créés par l’homme, pour discipliner ces rivières de la haute Provence qui oscillaient jusqu’alors entre rareté et impétuosité soudaine. Personne ne peut deviner aujourd’hui combien la Durance, dont le nom est devenu synonyme de douceur et d’idylle, a empoisonné la vie des paysans de ses rives, emportant dans sa colère les vignes, les bêtes et les maisons. Il a fallu que l’immense barrage de Serre-Ponçon noie deux villages et une vallée pour qu’on puisse cadenasser ses ardeurs.

L’eau assagie reste magicienne et mystère en Provence, comme à Fontaine-de-Vaucluse, lieu envoûtant où jaillit une source dont personne ne connaît la profondeur exacte. Les collines pierreuses du pays sont peuplées d’étranges figures sculptées par l’érosion : les pénitents des Mées, les porphyres de l’Estérel, les aiguilles blanches de Cassis, les créatures minérales du plateau des Mourres, les chaos rocheux des Alpilles, les vertigineuses dentelles de Montmirail ou l’étrange rocher qui surplombe la Durance à Sisteron. Ces paysages arides et solitaires, la mémoire populaire les habille de légendes de fées, de saints ou de dragons, comme ceux de Draguignan, de Cavaillon ou encore de Tarascon qui doit son beau nom à la Tarasque1, chassée des bords du Rhône par sainte Marthe.

Les multiples cœurs de la Provence battent dans ces massifs escarpés, ces labyrinthes d’arêtes froissées et de vallées profondes, où l’ombre descend vite sur les villages encaissés, où les soirées sont semées d’étoiles et les hivers rudes, et où se perpétue le rythme plus lent d’une vie pastorale, paysanne et montagnarde. C’est la Provence de Jean Giono ou de Pierre Magnan2, moins riante et plus dure que celle de Marcel Pagnol. Magnan dit que c’est un « pays où on entre sur la pointe des pieds », Giono vante ses « itinéraires de petite vitesse », voies qui permettent « de connaître un pays et non de le traverser comme la flèche traverse la pomme ».

Âpres et méfiants

De nombreux Provençaux sont, un peu à l’image de ce territoire, âpres et méfiants. Les Nordistes venus chercher la douceur dans le Midi sont souvent pris au dépourvu par la rudesse des Provençaux. Ce sont des générations de gens qui ont dépierré les champs en s’y cassant le dos, année après année, avec l’impression que la terre ne cessait de vomir de nouveaux cailloux. Ce sont des gens qui se retrouvent dehors l’été, sur les places des villages, les boulodromes et dans les cafés, mais qui ne s’invitent pas chez eux l’hiver et qui préservent jalousement l’intimité de leur logis. Le temps radieux qui règne d’avril à octobre a favorisé le développement de lieux de sociabilité dehors, mais a empêché de créer de tels espaces de réunion en intérieur, contrairement à ce qui se pratique dans les pays froids. De novembre à mars, la Provence est donc déserte et désolée. On se souvient de Peter Mayle, l’auteur britannique d’Une année en Provence3, qui racontait que les autochtones barricadaient leurs terrains, punaisaient des pancartes prétendant que des mines antipersonnel mutileraient les badauds curieux, et qui s’étonnait de ne pas être invité à boire le café. « Les gens de Provence ne sont pas gentils » me disait une amie belge toute déconfite, « ils se comportent comme les dragons qui gardent un trésor ». Des dragons, encore, irréductibles à tous les saints.

Cette dureté est aussi le résultat d’une histoire âpre et tourmentée. J’ai parlé de ce Moyen Âge féodal où les villages se réfugiaient au sommet des collines par peur des incursions ennemies. La beauté de cette Provence de villages perchés et fortifiés, on la doit à la terreur inspirée par les invasions barbares, les pirates maures et les seigneurs fâchés avec leurs cousins rivaux. Mais on évoquera aussi la lutte du comté de Provence contre l’État français qui finira par l’engloutir. Et le combat de la langue provençale pour sa survie, incarné notamment par Frédéric Mistral et le groupe du Félibrige4.

Une forteresse assiégée

La Provence se vit comme forteresse assiégée, obsédée par ses traditions et son histoire, dévouée au culte jaloux d’une identité séculaire qui perdure dans l’autocélébration permanente. Tentant de préserver une puissante culture régionale, la Provence multiplie les fêtes, les pèlerinages et les commémorations folkloriques. Les crèches de santons, les treize desserts, les grandes processions mariales, les transhumances ovines, les défilés de chevaux et de taureaux ne servent pas uniquement à faire plaisir aux touristes, ils permettent à la Provence de ne pas oublier qui elle est, et c’est pour cela qu’elle ne cesse de se mettre en scène.

Pendant longtemps, on a assisté dans les villes et villages du Sud à l’alliance paradoxale de deux mondes qui conspirent à sauver la Provence éternelle : une élite puissante et lettrée, faite de vieilles familles, de grands propriétaires fonciers et de dandys héroïques qui codifiaient la célébration de l’identité provençale, et une classe de gens modestes, simples, avec très peu de moyens, mais qui jouaient volontiers le jeu en acceptant leur rôle dans la scénographie collective. Ils envoyaient leurs enfants revêtir la coiffe des Arlésiennes ou brandir le trident des gardians, couper la lavande à la faucille ou monter vers la grotte de Marie-Madeleine. Plus que partout ailleurs, la Provence avait parfois des airs d’Ancien Régime, avec de grands propriétaires et des châtelains garants de l’identité locale, et une classe de paysans fiers de leur terroir. C’était la croyance collective en un caractère unique et exceptionnel de la Provence qui assurait sa cohésion. Riche ou pauvre, celui qui naissait et grandissait ici se sentait profondément provençal, dépositaire d’un trésor fragile et envié.