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Un siècle après la mission Voyager, Marilyn, une astronaute formée au centre de l'ESA à Cologne, seule et sans enfant, est volontaire pour effectuer un aller simple à destination de K530, une planète habitée dans le système de Proxima du Centaure. Elle se confrontera comme messagère à une civilisation extraterrestre. La gravité y est plus faible que sur la Terre. Les Lois d'échelles prédisent que ses habitants, plus grands que les Terriens et d'un métabolisme plus réduit que le nôtre, seraient naturellement pacifiques, ignorant la hiérarchie et les guerres, d'une disposition bienveillante. Après le décollage et une longue période d'hibernation, la communication par télépathie est sa seule attache avec la Terre. Ce lien si ténu qu'elle entretient avec Carole, une ancienne camarade néorurale malgré elle et adepte de la décroissance, est au combien indispensable pour tenir et trouver un équilibre dans cette aventure sans retour!
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Seitenzahl: 222
Veröffentlichungsjahr: 2023
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“L'avenir n'est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. ”
Henri Bergson
1 - Bastille – République : A bas les lois scélérates !
2 - Le broker milliardaire et son affaire prospère en Arctique
3 - Paimpont – Zomia Ouest. Département D’Ile et Vilaine.
4 - La visite du CERN
5 - Le licenciement de Carole Le Goff
6 - La découverte
7 - Les retrouvailles à Paimpont
8 - La télépathie
9 - La propulsion photonique
10 - La Zomia
11 - Entrevue au Kremlin
Les préparatifs
12 - La Cité des étoiles
13 - Arménie – Observatoire de Buyrakan
14 - Quel équipage pour une telle mission ?
15 - Agence spatiale Européenne à Paris
16 - Base d’entrainement des cosmonautes à Cologne. Entretien avec Marilyn.
17 - Péripéties dans La Zomia
18 - Esclandre à Chtchiolkovo
19 - Décollage, un siècle après Youri Gagarine
La mission
20 - Dans l’orbite de K530
21 - La satellisation et l’observation
22 - Se poser sur K530
La rencontre
23 - Le peuple des montagnes
24 - Un retour possible ?
25 - Que s’est-il passé ? L’histoire des Kolliens
26 - La télé transportation
Elle promettait d’être suivie cette manif ! Carole, dévala la cage d’escalier depuis son nid d’aigle du 6e étage et remonta le boulevard Voltaire pour rejoindre le départ du cortège. Les drones, les robots porte-voix et la large banderole de tête, tout était déjà en place. Elle eut un mal fou à la contourner pour se joindre au groupe des manifestants trotskistes, avec lesquels ce jour-là, elle se sentait en symbiose, bien qu’elle ne l’eût jamais revendiqué. Elle sortit son gilet à bandes fluo, ainsi qu’une provision de stickers et de tracts à distribuer et proposa, à l’un des leaders du mouvement pour la croisade antiraciste, de tenir l’un des piquets de la bannière de revendications : « Vérité vengeance justice pour Omar - déclaré coupable et condamné ». C’était une vieille histoire qui datait de la manifestation précédente. Il y avait eu quelques débordements. Qu’importe ce qu’il y avait d’écrit. Elle était là pour participer.
Depuis longtemps, il n’y avait plus de contre-pouvoir. Les élections, ce n’était plus un enjeu. On ne votait plus. La rue vous dis-je ! Pour Carole, manifester c’était sa façon de réagir et d’être en accord avec ses convictions. Elle, dont le mode de vie était à la fois si bobo et si rangé…
Les leaders politiques de l’opposition étaient en pourparlers. Ils devaient décider s’ils défileraient ensemble avec les radicaux, ou séparément. Les incantations relayées par les porte-voix se répondaient l’une l’autre, en alternant les slogans : Arrêtons la destruction sociale et la liquidation de tous nos droits ! Ou encore : C’est l’inquisition. À bas les procès hitléro-staliniens de nos camarades ! Après une longue attente scandée par les cornes de brume, le piétinement prit fin et laissa place à la marche contre le projet de loi d’une zone franche de peuplement des réfugiés climatiques. L’enjeu, c’était d’y accueillir cinq millions d’immigrés ! L’État procéderait à un legs à bon compte de régions dépeuplées du Centre, contre la promesse à n’y fixer aucune règle, à n’y prélever aucun impôt. L’existant se limitait à des bâtisses non dénuées de charme comme d’antiques mairies, de postes, de voies ferrées et de gares du début du XXe siècle, abandonnées depuis. Elles avaient perduré parce que restaurées par des passionnés, nostalgiques d’un passé où l’empreinte d’œuvres humaines pionnières avait un sens. Le Ministre de l’Intérieur était intervenu à l’assemblée. La position du gouvernement était contestée : le devenir de ces territoires ne dépendrait dorénavant que d’investisseurs privés. La force publique, échaudée par nombre de projets stoppés par les zadistes voulait se désengager. Ce samedi, démarrait la troisième manifestation contre cette nouvelle loi.
Le tumulte, les slogans assénés répétés par la foule s’amplifièrent d’un coup. Une clameur s’éleva. Le boulevard Voltaire en était coutumier. Les riverains, dans ce quartier devenu si bourgeois, se sentaient peu solidaires du mouvement social, de ses manifestations assourdissantes sous leurs fenêtres. De rares balcons étaient investis par des curieux. Ce grondement revendicard bien rodé rythmait l’avancée du cortège. Le long des trottoirs on reconnaissait à leur brassard les volontaires du service d’ordre, ainsi que des journalistes qui tâtaient le pouls de l’opinion. Des piles immenses de chapeaux mexicains défiaient l’équilibre. Les porteurs de micros aux sigles de chaînes de radio et de télévision « convenues » étaient chahutés. Leur présence ici, c’était comme de la provocation !
Une nuée de drones de police investit tout d’un coup les groupes de manifestants. Ils volaient tels des mouches, scrutant la foule de leur trajectoire erratique, stoppant çà et là pour enregistrer des faciès. C’est là que les sombreros et les bâtons trouvaient leur utilité. Les habitués en maîtrisaient l’usage. Ils connaissaient la parade. Lorsqu’un drone se rapprochait, chacun de se cacher sous son large chapeau, de déployer son bâton à la verticale et de porter un coup précis dans les pales pour tenter de le mettre à terre. En cas de succès, les drones étaient rageusement piétinés puis exhibés comme des trophées ! Il y avait aussi des caméras, sans que l’on sache si elles étaient là à demeure, ou si elles avaient été installées pour la reconnaissance de groupes violents.
Portée par la manif, Carole Le Goff, un peu naïve, ne s’en souciait guère. Elle incarnait la jeune parisienne du 11e. Fille de député, son père lui avait laissé son appartement dans les combles, rue Oberkampf, peu pratique mais si plein de charme ! Elle y logeait avec Marc, son compagnon, un comédien humoriste qui se produisait dans les théâtres de Montmartre, ainsi que sa fille, qu’elle avait eue très jeune. Tout en adoptant le mode de vie bohème, restos en terrasse, cafés-théâtres, brunchs le dimanche sur le bord du canal saint Martin, où l’on confirmait entre copines ses convictions de gauche, son statut social était privilégié et sans rapport avec celui des autres manifestants. Après ses études à sciences Po, n’avait-elle pas été embauchée dans cette banque d’affaires pour y promouvoir des investissements en rapport avec l’écologie ? Elle comprit après quelques mois, que la sincérité de son employeur sur la transition énergétique n’était que de façade.
À la maison, c’était elle qui portait la culotte. Ce n’était pas le montant irrégulier des cachets de Marc, intermittent du spectacle, qui leur procurait l’aisance et la stabilité auxquelles elle s’était habituée. Elle avait été tentée par le militantisme, prônant l’écologie radicale et la décroissance. Mais le réalisme lui recommandait de se conformer aux règles de conduite professionnelle inhérentes à son job. Les manifs, c’était son jardin privé. Elles étaient l’occasion d’agir en accord avec ses idées. Elle aimait d’ailleurs en raconter à ses copines et parfois même à ses collègues de confiance.
Depuis la salle panoramique au faîte de la tour Naberejnaïa, impossible de rester blasé en observant la skyline, la Moskova en contrebas et en face, le plus haut gratte-ciel du complexe de la Fédération. C’était dans le quartier d’affaire de Moscou que se réunissait une fois l’an dans ce luxueux écrin, le conseil d’administration de la DBO. Dmitri Bogodine présidait la réunion. Rodé à cet exercice d’importance, sa physionomie trahissait pourtant ce jour-là un profond désintérêt. Pourquoi ne consacrait-il pas aujourd’hui toute son attention à écouter le rapport d’activité de son directeur financier ? Bogodine incarnait une de ces figures montantes de la Russie. Un original, atypique, dont l’immense fortune ne relevait d’aucune connivence avec le pouvoir. Il s’était fait tout seul. Aussi était-il considéré comme indocile par le Kremlin, mais trop puissant pour être soumis. Parmi ses hauts faits d’arme, n’avait-il pas damé le pion aux Chinois en rendant caduque leur route maritime de la soie ? Le réchauffement climatique, et en particulier celui du territoire de la zone boréale de la Sibérie, couverte jusqu’à présent de neige, de glace et de permafrost, fut pour lui une opportunité formidable. Parti d’une flotte de deux brise-glace soviétiques réformés qu’il racheta, il mit en place une voie commerciale bien plus directe que le contournement par le sud. Il était en effet plus rentable de suivre la route de l’Arctique, sous peu qu’elle présentât toutes les garanties de sécurité et de fiabilité attendues d’une voie maritime mondiale. Les rafiots battant pavillon de la DBO, compagnie qu’il avait fondée et qui portait ses initiales, s’étaient rapidement transformés en une flotte d’une dizaine de brise-glace nucléaires et d’une cinquantaine de portes containers et de méthaniers. Ses comptoirs, bien équipés en zone de fret, en réserves de carburant, en logements et en infrastructures hôtelières, jalonnaient ainsi toute la côte sibérienne, de Mourmansk à Vladivostok. Il y avait longtemps que l’entrée de la Mer Baltique avait supplanté le détroit de Gibraltar pour le trafic maritime commercial. Cette hégémonie avait valu à Dmitri Bogodine quelques différends récents avec les autorités de son pays. Convoitise et jalousie du pouvoir obligent…
La cinquantaine grisonnante, il s’entretenait. Svelte et élégant, il était loin d’exhiber ce faciès raviné, ce regard hagard qu’affichaient les vorys* de la Bratva* comme d’ailleurs la plupart des nouveaux riches. A cet âge, beaucoup d’oligarques à la fortune vite faite avaient déjà cédé aux méfaits du SAF. Ce carburant de synthèse était préféré à la vodka pour ses effets foudroyants sur le cortex cérébral. Il évitait aussi la débauche lors de ces fameux week-ends, treillis de rigueur, dont l’apparente camaraderie permettait de s’adonner à toutes sortes d’excès en compagnie d’officiers véreux du KSB.
Bratva : Mafia russe. Vorys membres de la mafia reconnaissables à leurs tatouages.
Un passage obligé où les uns chargeaient leur SUV de AK47 et de munitions et les autres emmenaient Tochkas et caviar pour se retrouver dans des coins perdus, proches de Mourmansk, propices aux tirs, à la chasse* et à d’autres plaisirs. Il n’avait pas non plus de penchant pour les blondes élancées coutumières du botox et des cuirs de luxe. Quelques beautés fatales lui avaient bien tourné autour, mais il ne voulait pas s’encombrer de procès en divorce et d’articles à sensations dans Star Hit et autres revues « people ». Aussi, était-il resté célibataire et se tenait à l’écart des soirées de l’évènementiel Moscovite. Il n’avait pas d’enfants.
Cette journée, plus que d’habitude, il rêvait, il n’écoutait plus en proie à une autre ambition. Sa passion ce n’était pas l’argent…mais les sciences physiques et plus particulièrement celles qui touchaient aux techniques spatiales. Elles le dévoraient au point que depuis peu, il ne se préoccupait plus de l’avenir de la DBO. L’affaire n’était-elle pas sur des rails ? Il voulait passer à autre chose. Quelles que soient les circonstances, il adaptait son emploi du temps et ne manquait pour rien au monde un colloque international sur la découverte d’exoplanètes, sur la biologie cellulaire et autres symposiums d’anthropologie. L’opportunité d’une rencontre avec une civilisation d’humanoïdes l’obsédait. Comment y arriver alors que la vitesse de la lumière était hors de portée ?
Allusion au film Léviathan, écrit et réalisé en 2014 par Andreï Zviaguintsev.
Tant que l’on se contenterait de la génération des fusées à ergols, l’exploration spatiale ne pouvait que se restreindre à la collecte de cailloux stériles à portée immédiate. La conquête de Mars n’avait-elle pas incarné avec Elon Musk, la caricature d’une exploration spatiale qui ne passionnait que les aînés ? Elle ne provoquait que bâillements chez les jeunes, eux qui se réfugiaient dans des romans et jeux vidéo beaucoup plus évocateurs d’expériences oniriques, de sensations porteuses d’espoirs et de renouveaux. Et c’est justement ce qu’il déplorait : l’absence d’ambition des agences comme Ros cosmos ou la Nasa. En épluchant la quasi-totalité des articles sur les projets de futures missions spatiales, jamais il n’avait lu une seule ligne évoquant la volonté d’explorer l’Espace au-delà du Système solaire. Il ne s’expliquait pas non plus que les photons fussent attirés puis engloutis par les trous noirs. Il en était venu à la conclusion que la science présentait des lacunes. Il fallait être proactif, c’est-à-dire orienter la recherche en physique théorique et bousculer les spéculations des biologistes et des anthropologues pour qu’ils imaginent notre rencontre avec d’autres mondes. Il en était persuadé : c’était à lui et à lui seul que revenait la mission de pousser et de financer les avancées scientifiques propices à l’exploration interstellaire. Sa fortune personnelle le permettrait. Il lui manquait cependant de ne pas avoir été introduit auprès des responsables de Ros cosmos et la considération de ces laboratoires publics exsangues, où se cultivait la connaissance pure.
Carole venait d’appeler. Elle rendrait visite ce week-end à son père, seule, sans sa fille. Ce n’était pas si souvent qu’elle entreprenait un déplacement pour le voir. La tâche était rendue difficile par la disparition des transports publics entre Rennes et Paimpont. Peut-être voulait-elle régler quelques affaires familiales, se disait-il ? Elle en avait certainement besoin.
Anicet Le Goff, ancien parlementaire, avait quitté Paris pour vivre dans un cadre bucolique à l’écart du monde. Breton d’origine, écologiste pragmatique par conviction, il avait choisi de passer ses vieux jours dans une ancienne ferme qu’il avait aménagée à son goût. Comble de l’ironie, il découvrit que son voisin le plus proche n’était autre que Xavier Cochet, le chantre de l’effondrisme (Mouvement écologiste radical des années vingt, prônant la fin de notre civilisation occidentale), son ancien adversaire politique.
Sans esprit revanchard, c’est tout naturellement que cet ancien ministre de l’écologie qui avait été connu pour ses idées radicales, était venu lui rendre visite après son emménagement.
Nous devons bâtir un réseau de solidarité entre voisins. Ce n’est pas que l'on croie en l'espèce humaine, mais la survie est collective. Tout seul, vous tenez trois jours. C'est à l'échelle d'une bio région que l'on peut survivre*, lui avait-il sermonné.
Il l’avait même invité à visiter son domaine qui lui assurait l’autosuffisance. « Anicet, mon cher voisin », comme il le répétait à l’envi. Il avait acquis il y a une cinquantaine d’années, une vaste longère, pour lui et sa fille. Elle devait être suffisamment grande avec ses dépendances et ses terres pour y élever des chevaux, le mode de traction du futur, pensait-il et y disposer de toutes les commodités comme un étang pour les poissons, un puits pour l’eau potable, ainsi qu’un bois pour le combustible. Il ne voulait pas que leur logis soit situé trop proche du rayon d’influence de la capitale régionale, incluse dans la zone économique active, selon la nouvelle dénomination territoriale. À la préfecture, on lui avait assuré que Paimpont, leur future villégiature, appartenait bien à la Zomia, paradis des écologistes et refuge des retraités en mal de ressources, c’est-à-dire les plus nombreux.
Anicet entreprit de rassembler quelques souvenirs. Carole aimerait les retrouver et les emporter. Il fouilla méticuleusement cette vieille commode dont les tiroirs coulissaient difficilement. Ils contenaient encore quelques cahiers jaunis ainsi qu’une photo de classe qui devait dater de ses dernières années de lycée, lorsqu’ils habitaient rue Oberkampf. Il aperçut par hasard derrière la commode le coin d’une photo encadrée.
* Propos authentique d’Yves Cochet
Elle avait glissé là alors qu’il avait consacré des jours à sa recherche. Un des derniers souvenirs de sa période active.
N’avait-il pas changé trois fois d’appartenance politique dans toute sa carrière ? La photographie représentait un groupe d’une quinzaine de députés constitué majoritairement de femmes, qui par ce lien très fort d’appartenance, avaient posé là, dans la rotonde Alechinsky. Anicet avec un large sourire, trônait accroupi au centre. Leur point commun n’était-il pas d’avoir porté avec conviction et courage, cette loi sur la sanctuarisation d’un territoire libre et exempt des devoirs et de la manne redistributive de l’État ? Cet immense territoire du Centre et du Sud Est, grand comme la Belgique et moins peuplé que le Sahara, constituait un atout géographique de la France et la réponse à peu de frais, aux objecteurs de l’État, de plus en plus nombreux. Personne en effet ne le revendiquait vraiment, hormis quelques squatters écologistes ou zadistes. Cette région était exempte de toute activité économique répertoriée. Il fallait jusqu’à une demi-heure de voiture pour se rendre chez son voisin le plus proche. Un siècle après les soixante-huitards, ce furent des cohortes de néo retraités et de néoruraux, qui peuplèrent progressivement la Zomia. Des habitats écolos construits en pisé, coiffés d’une ossature en grumes locaux et couverts de chaume, constituaient la réponse appropriée à la demande de ces nouveaux colons. C’était surtout une manne très profitable pour les promoteurs immobiliers qui avaient flairé le filon et s’étaient enrichis. Anicet déplorait les convictions récentes de sa fille, qui lors de discussions de fin de repas, semblait tentée, malheureusement comme lui, par les sirènes du retour à la terre et par la ruralité.
Fondé, il y a un siècle, le CERN était toujours considéré comme le plus grand centre de recherche mondial de la physique. La Russie y prenait part. Aussi, Dmitri Bogodine s’y rendit pour s’entretenir avec Alexis Vassilieff, un chercheur très compétent mais un peu fantasque.
« À cette heure, c’est à la cantine que vous avez le plus de chance de le rencontrer » lui conseilla le gardien.
Il n’y avait pas d’équipes constituées pérennes dans ce centre dont l’organisation originale lui échappait. Il n’avait pu ainsi identifier un hiérarchique de l’équipe physiciens de l’université de Moscou pour solliciter l’entretien. Ici, comme pour toutes les délégations, personne ne pouvait recevoir d’ordres ou assigner quelqu’un à telle tâche. C’était une des particularités du CERN. La vocation délibérément non militaire de ce centre avait imposé le décloisonnement entre les chercheurs et le libre accès aux informations qu’ils s’échangeaient, non seulement in situ mais aussi avec le monde entier. Ce n’était pas fortuit s’ils avaient été à l’origine d’Internet. Chaque groupe de chercheurs formé selon les circonstances, élisait un "porte-parole" censé coordonner l'ensemble, mais qui n'avait en réalité aucun pouvoir formel. Toutes les décisions importantes étaient prises en assemblée générale, à la majorité. De l'étudiant en thèse, au professeur confirmé, tout le monde était traité sur un pied d'égalité, ce qui constituait une des rares exceptions quasi anarchistes au sein d’une si grande organisation.
Dmitri Bogodine avait aperçu la photo d’Alexis Vassilieff sur le Net et l’avait contacté. Moustache et barbe fournies, les cheveux mi-longs grisonnants, il était le sosie de Karl Marx. Au moins cette physionomie pouvait l’aider à le trouver. Le réfectoire n’avait aucun attrait : lumière zénithale blafarde, murs d’un vert indéfinissable ainsi que ces tables de huit consciencieusement alignées. Tout était fait pour que les convives n’y prennent aucun plaisir et ne s’y attardent en formant des groupes de discussion informels. Dmitri se rendit droit vers la queue du self, s’approcha des cuisinières avec un plateau, et s’adressa à la plus avenante.
–– Je cherche Karl Marx, demanda-t-il d’un ton amusé.
L’une d’elles répondit sans hésiter, à la mesure de la réputation du personnage.
–– Vous voulez dire Alexis, le séducteur ? Je l’ai aperçu aujourd’hui. Il doit être là, dit-elle en lui indiquant la direction avec sa louche. Il déjeune avec ses groupies, vous ne pouvez pas le manquer !
Rires convenus des autres cuisinières. Alexis suscitait parmi ces femmes bonnetées une certaine sympathie, étant le seul qui prenait la peine de leur adresser une brève apostrophe personnalisée et leur demander des nouvelles. Il prenait un plaisir certain à venir se restaurer dans cette cantine et y manifester un peu de chaleur humaine.
Dmitri Bogodine le reconnut de loin et s’approcha de sa table. Alexis Vassilieff déjeunait en présence de deux jeunes femmes, la quarantaine, dont le regard était scotché sur son visage. Elles buvaient ses paroles. Il parlait posément. Quel pouvait être le thème qui les retenait à ses lèvres ? Il décida d’interrompre l’échange ou plutôt son monologue. Il salua son compatriote, le plateau-repas à la main. Alexis leva les yeux et avec un léger sourire, fit mine à son vis-à-vis de bien vouloir s’asseoir. Elles se retournèrent et libérèrent une place sur le banc. Dmitri installé, Alexis présenta son visiteur à ses collègues.
« Mesdames, le célèbre pionnier des nouvelles routes maritimes est parmi nous », annonça Alexis. « J’ai nommé Dmitri Bogodine, le fondateur de la route de l’Arctique ! »
Comme jeunes chercheuses, elles ne voyaient pas à quoi Alexis faisait allusion. Mais le nom de Bogodine leur disait quelque chose. Avec l’acuité et la curiosité des scientifiques, elles scannèrent du regard, des pieds à la tête, leur voisin qui venait de prendre place.
–– Bonjour, fit Dmitri. Êtes-vous Alexis Vassilieff, le physicien émérite de la physique des particules ?
La compagnie féminine pouffa.
–– Plutôt le Raspoutine du CERN et ses amours cachés, blagua l’une d’elles. Là, sa réputation n’est pas usurpée !
Rires de concert…
–– Un peu de sérieux s’il vous plaît, demanda Vassilieff.
Monsieur Bogodine est venu de loin jusqu’ici pour discuter sciences physiques. C’est bien ça ? Mais quelle raison singulière vous a amené jusqu’ici ? Les particules que nous accélérons traversent les frontières tous les milliardièmes de secondes sans verser le moindre écot. Quel privilège ! Ce n’est pas comme les flottes commerciales de la DBO qui empruntent la mer de Barents. Ici nous remontons le temps. Nous en sommes à 10e-34 secondes après la naissance de l’univers, c’est-à-dire à l’instant primordial de la lutte entre la matière et l’antimatière. Nous sommes huit mille chercheurs qui tentent de résoudre cette énigme. Malgré ce chiffre, nous sommes loin d’être de trop, tant les fondements de la physique sont complexes. Aussi, nous sommes humbles devant tout ce qui reste à découvrir. Chacun apporte sa modeste contribution. Qu’est-ce qui vous fait penser que nous détenons quelque savoir pour vous permettre de franchir le Système solaire ?
–– Eh bien, le besoin et la nécessité précèdent maintenant la découverte. Depuis un siècle, nous nous contentons de très peu, c’est-à-dire de constater ou non la présence d’eau sur des astres qui nous sont voisins. Sincèrement, je pense que cela n’a pas d’intérêt scientifique, sauf pour montrer que la technologie progresse et que c’est telle nation qui la détient. Aujourd’hui, je voudrais commander aux scientifiques le moyen de nous propulser à une vitesse suffisante pour l’exploration interstellaire.
Le silence et l’étonnement se propagèrent au-delà de la table de nos convives.
–– C’est une approche originale de la recherche. Si je comprends bien Monsieur Bogodine, vous nous commandez une découverte, quelle qu’elle soit, qui permette à un humain de se propulser à la vitesse de la lumière ?
–– Oui c’est bien ça. Je suis d’ailleurs en train de créer une fondation. Elle sera dotée de moyens équivalents à ceux consacrés, il y a quarante ans, à la conquête de Mars. Mais vous l’avez compris, mon objectif est réellement scientifique et non technologique ou politique.
Alexis Vassilieff ne voulait pas froisser son interlocuteur et rechercha l’explication la plus didactique que possible, pour lui faire comprendre qu’au CERN, il faisait fausse route.
–– Ici, nous faisons –– comment pourrait-on dire ? –– Des sciences naturelles, en décortiquant les constituants élémentaires des atomes. Il y a cinquante ans, nous avons découvert le boson de Higgs. Le consensus scientifique qui règne ici, est fondé sur une théorie unifiée des lois physiques qui régissent l’univers. Deux lois pour les interactions fortes et deux lois pour les interactions faibles. Le penchant humain pour la symétrie. Il ne peut en être autrement. Pour moi, c’est très artificiel. En mon for intérieur, j’espère que nous mettrons en évidence une faille dans cet édifice théorique. Je vous ennuie avec mes convictions. Pour résumer, nous sommes les seigneurs d’un anneau de vingt-cinq kilomètres, qui nous permet de côtoyer l’infiniment petit. Votre ambition de développer un propulseur à vitesse lumière est légitime. La théorie et les découvertes sont presque à portée de main ! Je vous encourage à poursuivre.
Au vu de la mine dépitée de Dmitri Bogodine, Denisa, la chercheuse Tchèque à sa gauche, intervint pour lui apporter une lueur d’espoir.
–– Il y a une voie plus appropriée que la collision à haute énergie pour appréhender ce que vous cherchez, si je peux me permettre. Je m’intéresse aux publications du Professeur Oprea du laboratoire ELI-NP à Bucarest. Ses travaux se rapprochent des nôtres en ce sens qu’il cherche comme nous à remonter le temps en tentant de reproduire le phénomène de claquage du vide, avec un laser à très haute énergie, dont il amplifie le faisceau avec un champ magnétique pulsé. J’ai lu dans une de ses publications qu’il disposerait maintenant d’une puissance suffisante pour reproduire l’association des quarks et des bosons, prémices à la formation des constituants des atomes. Ce phénomène donne lieu à la création de masse avec un rendement de cent pour cent, en libérant des photons à la température de plus de cent millions de degrés !
–– Masse et photons, vous avez là les ingrédients du principe de propulsion dont vous avez besoin ! enchérit Vassilieff. C’est peut-être en effet la meilleure voie de recherche qui puisse conduire à la découverte que vous êtes prêt à financer. Merci Denisa pour cette information très pertinente.
Il accompagna cette appréciation d’un regard très appuyé, doublé d’un léger sourire qui en disait long sur la façon dont ils consacreraient leur soirée.
–– Cu piacere, répondit Denisa, en prenant son temps pour déguster la cerise confite qui coiffait son gâteau. Elle semblait visiblement familière à cette invitation… et avec la langue roumaine.
–– Vous ne voulez pas rester pour une visite ? demanda Alexis. Le grand accélérateur, c’est à voir ! Surtout les collisionneurs. Leurs tailles et leurs complexités sont impressionnantes. Pour moi, ils sont ce que l’homme a conçu de plus beau et de plus chargé de savoir et d’intelligence. La réunion de l’art et de la science en somme. Il y a une contrainte cependant. Il faut être très matinal, si c’est possible pour vous ?
Dmitri se laissa tenter et accepta l’impératif horaire. Le lendemain, Ils se retrouvèrent à six heures trente à l’entrée des hachoirs, juste le temps d’accomplir les formalités d’entrée et de se rendre jusqu’aux collisionneurs. L'équipe de jour déboula pour prendre la relève dans la salle de contrôle du détecteur LHC. Les chercheurs arrivaient au fur et à mesure et attendaient comme eux dans un sas, de façon à y pénétrer tous en même temps, pour réduire les risques de perturbations au changement d’équipes. Alexis Vassilieff en profita pour prodiguer quelques explications à voix basse.
« Ils travaillent ici à faire fonctionner la machine la plus complexe jamais élaborée par l'homme. Cet appareil titanesque est constitué d'un tunnel circulaire de vingt-sept kilomètres de circonférence, creusé à cent mètres sous terre entre la Suisse et la France. Des faisceaux de protons poussés à une vitesse proche de celle de la lumière se percutent en produisant des gerbes de particules élémentaires. Il y a quatre détecteurs installés sur le parcours de la boucle. Nous sommes ici à l’entrée du CMS, le collisionneur le plus récent. Pour la petite histoire, c’est là qu’a été vue pour la première fois la particule de Dieu : le boson de Higgs. »