Psychologie de l'Education - Gustave Le Bon - E-Book

Psychologie de l'Education E-Book

Gustave Le Bon

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L'histoire des persévérantes et très inutiles tentatives faites depuis trente ans en France pour modifier notre système d'éducation est pleine d'enseignements psychologiques.

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Psychologie de l’Éducation

Gustave Le Bon

Réédition réalisée

à partir de l'édition de 1920

16ème Edition

© 2021 Virginie Florentin

BoD – Books on Demand,

12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris

ISBN : 9782322198627

Dépôt légal : JFévrier 2021

PRÉFACE DE CETTE NOUVELLE ÉDITION

LIVRE PREMIER LES ENQUÊTES SUR LA RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT

CHAPITRE PREMIER Les conceptions des maîtres de l’Université en matière d’enseignement.

CHAPITRE II Documents psychologiques révélés par l’enquête sur l’enseignement. Pourquoi les réformes sont impossibles.

LIVRE II L’INSTRUCTION ET L’ÉDUCATION AUX ÉTATS-UNIS

CHAPITRE PREMIER Principes généraux de l’Éducation en Amérique.

CHAPITRE II Détails des méthodes usitées dans les écoles américaines.

CHAPITRE III L’Enseignement des sciences expérimentales dans les écoles de l’Amérique.

LIVRE III L’ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE EN FRANCE

CHAPITRE PREMIER La valeur des méthodes universitaires.

CHAPITRE II Les résultats finals de l’éducation universitaire. Son influence sur l’intelligence et le caractère.

CHAPITRE III Les Lycées.

CHAPITRE IV Les professeurs et les répétiteurs.

CHAPITRE V L’enseignement congréganiste.

LIVRE IV LES RÉFORMES PROPOSÉES ET LES RÉFORMATEURS

CHAPITRE PREMIER Les réformateurs. La transformation des professeurs. La réduction des heures de travail. L’éducation anglaise.

CHAPITRE II Les changements de programmes.

CHAPITRE III La question du grec et du latin.

CHAPITRE IV La question du baccalauréat et du certificat d’études.

CHAPITRE V La question de l’enseignement moderne et de l’enseignement professionnel.

CHAPITRE VI La question de l’éducation.

LIVRE V PSYCHOLOGIE DE L’INSTRUCTION ET DE L’ÉDUCATION

CHAPITRE PREMIER Les bases psychologiques de l’instruction.

CHAPITRE II Les bases psychologiques de l’éducation.

CHAPITRE III L’enseignement de la morale.

CHAPITRE IV L’enseignement de l’histoire et de la littérature.

CHAPITRE V L’enseignement des langues.

CHAPITRE VI L’enseignement des mathématiques.

CHAPITRE VII L’enseignement des sciences physiques naturelles.

CHAPITRE VIII L’Éducation des indigènes aux Colonies.

CHAPITRE IX L’éducation par l’armée.

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE DE LA SEIZIÈME ÉDITION

LIVRE PREMIER

LES ENQUÊTES SUR LA RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT

CHAPITRE PREMIER. — Les conceptions des maîtres

de l’Université en matière d’enseignement

Constants insuccès de toutes les tentatives faites pour réformer l’enseignement universitaire. — Les maîtres de l’Université sont d’accord pour proclamer l’infériorité de cet enseignement mais ils sont incapables d’en découvrir les causes. — Preuves fournies par les récents discours de MM. Lippmann et Appell. — L’enseignement en Angleterre et en Allemagne. — Complète différence des principes directeurs.

CHAPITRE II. — Documents psychologiques révélés par

l’enquête sur l’enseignement. Pourquoi les réformes sont

impossibles

Importance documentaire de l’enquête. — Principes psychologiques qui ont dirigé les dépositions. — Les discussions ont porté sur des programmes et non sur les méthodes de l’enseignement. — Importance illusoire attachée aux programmes. — Puissance que leur attribue l’Université. — Faible importance qu’elle attache aux méthodes. — Pourquoi l’infériorité de notre éducation a été vue facilement par les auteurs de l’enquête et pourquoi les causes de cette infériorité leur ont échappé. — Raisons qui rendent actuellement impossibles les réformes. — Les illusions et la volonté des parents. — L’état mental des professeurs. — Comment ils sont formés en France et ce qu’ils enseignent. — Comment ils sont formés en Allemagne. — But de cet ouvrage.

LIVRE II

L’INSTRUCTION ET L’ÉDUCATION AUX ÉTATS-U

CHAPITRE PREMIER. — Principes généraux de l’Éducation

en Amérique

CHAPITRE II. — Détails des méthodes usitées dans les écoles

américaines

CHAPITRE III. — L’enseignement des sciences

s expérimentales dans les Écoles de l’Amérique

LIVRE III

L’ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE EN FRANCE

CHAPITRE PREMIER. — La valeur des méthodes universitaires

§ 1. La Méthode mnémonique. — Cette méthode est la seule acceptée par l’Université. — Examen successif des résultats qu’elle produit dans les diverses branches de connaissances. § 2. Les résultats de l’enseignement du latin et des langues vivantes. — Rapports présentés à la Commission d’enquête sur le degré de connaissance des langues par les élèves de l’Université. — Ignorance totale de l’immense majorité des élèves après sept ans d’études. — § 5. Les résultats de l’enseignement de la littérature et de l’histoire. Les élèves se bornent à apprendre des dates, des subtilités, des dissertations sur des auteurs qu’ils ne lisent jamais. — Leur ignorance complète de la littérature et de l’histoire. — Extraits des rapports présentés à la Commission d’enquête. § 4. Les résultats de l’enseignement des sciences. — Les méthodes d’enseignement des sciences sont les mêmes que celles employées pour les autres branches de connaissances et produisent les mêmes résultats négatifs. — Documents présentés à la Commission d’enquête. — § 5. Les résultats de l’enseignement supérieur et l’esprit universitaire. — L’enseignement supérieur est caractérisé comme l’enseignement secondaire par la récitation des manuels. — Le licencié, le polytechnicien, le normalien, l’élève des écoles d’industrie et d’agriculture sont soumis aux mêmes procédés mnémoniques. — L’Université considère que la valeur des hommes se mesure uniquement à la quantité des choses qu’ils peuvent réciter. — § 6. L’opinion de l’Université sur la valeur générale de l’enseignement universitaire. — Extraits des rapports de la Commission d’enquête montrant à quel point les professeurs eux-mêmes sont convaincus de la nullité de leur enseignement. Leur conviction que notre enseignement classique est destiné à disparaître.

CHAPITRE II. — Les résultats finals de l’enseignement

universitaire. Son influence sur l’intelligence et le caractère

Les résultats de l’enseignement classique ne sont pas seulement l’ignorance finale de l’élève. — C’est à cet enseignement qu’est due une production croissante d’esprits faux, aigris, déclassés et révoltés. — L’enseignement secondaire, qualifié de « méfait social » par un des rapporteurs de la Commission. — Extraits des divers rapports. — Les élèves sont incapables de réflexion, d’initiative, de jugement et ne savent pas se conduire dans la vie. — Leur incuriosité et leur indifférence. — Leur oubli total de ce qu’ils ont appris quelques mois après l’examen. — Conclusion générale du Président de la Commission d’enquête sur les funestes effets de l’enseignement universitaire. — Opinion d’anciens Ministres de l’Instruction publique.

CHAPITRE III. — Les lycées

§ 1. — La vie au lycée. — Le travail et la discipline. — L’internat constitue une nécessité imposée par la volonté des familles. — Les grands lycées. — Règlements méticuleux et uniformes qui les régissent. — Exagération du nombre d’heures de travail. — Insuffisance de l’hygiène et de l’alimentation. — Absence d’exercices physiques. — Étroitesse de la surveillance. — La vie dans les lycées édifiés à la campagne. — Interdiction aux élèves de circuler dans les parcs entourant les établissements. — § 2. La Direction des lycées. Les proviseurs. — Le proviseur n’est qu’un comptable régi par des règlements méticuleux et ne pouvant s’occuper de la maison qu’il est censé diriger. — Les bureaux du Ministre règlent les moindres détails. — Extraits des rapports de la Commission d’enquête. — § 3. Ce que coûtent les lycées à l’État. — L’État perd des sommes énormes avec les lycées, alors que les établissements congréganistes dus à l’initiative privée réalisent des bénéfices. — Causes des dépenses des lycées. — Classes comptant quatre élèves et un professeur payé 5.000 francs. — Généralité du gaspillage. — Pourquoi les proviseurs n’ont aucun intérêt à réaliser des économies.

CHAPITRE IV. — Les professeurs et les répétiteurs

§ 1. — Les professeurs. — Leur insuffisance pédagogique comme conséquence de leur mode de préparation. — Déclaration des chefs de l’Université. — Psychologie du professeur universitaire. — Il est maltraité par l’Université et peu considéré par le public. — Insuffisance de son éducation extérieure. — Son défaut de prestige. — Pourquoi il devient vite indifférent pour ses élèves, mécontent et ennemi de l’ordre social. — § 2. Les répétiteurs. — Les répétiteurs ne sont aujourd’hui que des surveillants. — Leur impuissance à être utiles aux élèves malgré leur bonne volonté, alors qu’ils pourraient être beaucoup plus utiles que les professeurs. — L’Administration tient à les maintenir dans un rôle subalterne. — Opinion de la Commission d’enquête sur la nécessité de supprimer la distinction entre professeurs et répétiteurs. — Importance considérable qu’aurait cette mesure si elle pouvait être réalisée.

CHAPITRE V. — L’enseignement congréganiste

Importance des faits nouveaux révélés devant la Commission d’enquête. — Concurrence redoutable des établissements congréganistes. — Raisons psychologiques de leurs succès. — Pourquoi les professeurs congréganistes, malgré leurs connaissances élémentaires, font très bien réussir les élèves. — Rapports des Frères des Écoles chrétiennes. — Succès de leurs élèves dans l’enseignement industriel, agricole, secondaire et supérieur. — Chiffres présentés à la Commission. — Leur enseignement dû entièrement à l’initiative privée ne coûte rien à l’État et laisse des bénéfices aux actionnaires. — Dangers de l’esprit clérical, mais utilité de la concurrence des établissements congréganistes.

LIVRE IV

LES RÉFORMES PROPOSÉES ET LES RÉFORMATEURS

CHAPITRE PREMIER. — Les réformateurs. La transformation

des professeurs. — La réduction des heures de travail. —

L’éducation anglaise

§ 1. Les Réformateurs. — Les rapports de la Commission d’enquête s’étendent longuement sur ta nullité de notre enseignement universitaire, mais sont très brefs et très vagues sur les moyens de le remplacer. — Faible valeur de la plupart des réformes proposées. — Raisons générales de leur inutilité. — Examen des principales réformes proposées. — § 2. Transformation du professorat. — Nécessité pour les professeurs de passer par le répétitorat. — Cette réforme, plusieurs fois proposée devant la Commission d’enquête, serait la plus importante de celles proposées, mais elle est irréalisable avec les préjugés latins. — Pourquoi les répétiteurs pourraient donner un enseignement supérieur à celui des professeurs. — § 3. La réduction des heures de travail. — Côté illusoire de ce projet de réforme. — Les élèves sont maintenus assis douze heures par jour simplement parce que parents et professeurs ne savent qu’en faire. — Absurdité de la longueur des classes. — Leur durée en Allemagne. — § 4. L’éducation anglaise. Elle n’est nullement adaptée aux besoins des Latins et ne serait jamais acceptée par les parents. — Le mur des facteurs moraux.

CHAPITRE II. — Les changements de programmes

Modifications de programmes proposées par la Commission et votées par le Parlement. — Confusion de ces nouveaux programmes. — Persistance de l’erreur latine sur la puissance des institutions, des constitutions et des programmes. — Impossibilité actuelle de toute réforme sérieuse avec les idées régnantes. — Ce sont les méthodes, les professeurs et non les programmes qu’il faudrait réformer. — Tous les programmes sont bons quand on sait s’en servir. — Les motifs de l’insuffisance de l’Université échappent entièrement aux réformateurs.

CHAPITRE III. — La question du grec et du latin

§ 1. L’utilité du grec et du latin. — Toute discussion sur l’utilité de ces langues est sans objet, puisque les élèves n’en connaissent que quelques mots. — Opinions des universitaires les plus autorisés sur les langues anciennes. — Les prétendues vertus éducatives du latin. — Pourquoi les langues modernes possèdent la même vertu éducative. — Ce que les élèves connaissent en matière de langues après sept années d’études. — La question du grec et du latin en Allemagne. — § 2. L’opinion des familles sur l’enseignement du grec et du latin. — Les familles sont tout à fait opposées à la suppression de l’enseignement du grec et du latin. — Cette opposition a été partagée par les Chambres de commerce. — Résultats de l’enquête sur les exigences des familles. — Raisons psychologiques des idées de la bourgeoisie sur les avantages de l’enseignement du latin. — § 3. L’enseignement du grec et du latin avec les préjugés actuels. — Nécessité de conserver la façade gréco-latine pour satisfaire les préjugés des familles. — Une heure de latin par semaine suffirait. — Comment avec cette heure bien employée les élèves sauraient beaucoup plus de latin qu’aujourd’hui. — Le prestige du latin ne disparaîtra qu’avec son introduction dans l’enseignement primaire.

CHAPITRE IV. — La question du baccalauréat et du certificat

d’études

§ 1. La réforme du baccalauréat. — Les maux attribués au baccalauréat. — Le projet de réforme proposé au Sénat. — Après avoir supprimé le diplôme du baccalauréat on propose aussitôt de le remplacer par un autre ne différant du premier que par le nom. — Enfantillage de la réforme. — Les examens dits de passage et leurs conséquences. — Le baccalauréat est un effet et non une cause. — § 2. L’opinion des universitaires sur le baccalauréat. — Violence de la campagne menée contre le baccalauréat par des professeurs les plus éminents de l’Université. — L’examen du baccalauréat. — Absurdité des questions posées. — Le hasard seul préside aux admissions. — Principes qui dirigent les examinateurs. — Conclusions sévères du Président de la Commission.

CHAPITRE V. — La question de l’enseignement moderne

et de l’enseignement professionnel

§ 1. L’enseignement moderne. — Histoire de cet enseignement. — Pourquoi, avec des programmes excellents, il a abouti à des résultats pitoyables. — L’opposition de l’Université. — Opinion du Ministre de l’Instruction publique sur le sort des déclassés créés par l’Université et sur l’impuissance de cette dernière à préparer à la vie économique et à l’action. — § 2. L’enseignement professionnel. — Il est donné en France par les méthodes universitaires, c’est-à-dire par l’emploi exclusif des démonstrations au tableau et des manuels. — Les préjugés des classes dirigeantes. — L’évolution économique actuelle du monde leur échappe entièrement. — Importance de la technique. — Insuffisance complète de l’enseignement professionnel en France et son développement en Allemagne. — État misérable de notre enseignement industriel et agricole. — Extraits des rapports. — Ce sont surtout les préjugés de l’opinion qui entravent l’évolution des sociétés latines et les obligent à procéder par bonds désordonnés qui ne font, le plus souvent, que les ramener en arrière. — La tyrannie des morts.

CHAPITRE VI. — La question de l’éducation

§ 1. Incertitude des principes universitaires en matière d’éducation. — L’Université ne s’est pas montrée plus apte à donner une bonne éducation qu’une instruction convenable. — Elle proclame bien haut les bienfaits d’une bonne éducation, mais est encore à la recherche des méthodes. — Pauvreté des rares projets d’éducation formulés devant la Commission. — La plupart des professeurs n’ont aucune idée bonne ou mauvaise en matière d’éducation. — § 3. La discipline universitaire comme base unique de l’éducation universitaire. — En pratique, toute l’éducation universitaire se borne à la lourde discipline du lycée, destinée principalement à maintenir le silence dans les salles où se trouvent les élèves. — Illusions de quelques auteurs de l’enquête sur l’utilité de s’adresser à la raison des élèves. — Résultats obtenus par les éducateurs anglais en s’adressant à l’intérêt de l’élève et non à sa raison. — Motifs de l’impuissance des parents français à éduquer convenablement leurs enfants. — C’est à l’éducation universitaire que les Latins doivent en partie leur égoïsme individuel. — C’est à leur éducation que les Anglais doivent l’égoïsme collectif qui est un des grands facteurs de la puissance politique de l’Angleterre.

LIVRE V

PSYCHOLOGIE DE L’INSTRUCTION ET DE L’ÉDUCATION

CHAPITRE PREMIER. — Les bases psychologiques de l’instruction

§ 1. Les fondements psychologiques de l’instruction, d’après les idées universitaires. — Pourquoi les déposants de l’enquête ont disserté longuement sur l’instruction sans se demander comment les choses pénètrent dans l’esprit et s’y fixent. — Tout le monde étant d’accord sur le principe de l’enseignement mnémonique, personne ne pouvait songer à le discuter. — § 2. Théorie psychologique de l’instruction et de l’éducation. — Transformation du conscient en inconscient. — Toute éducation consiste dans l’art de faire passer le conscient dans l’inconscient. — On y arrive par la création d’associations, d’abord conscientes, qui deviennent inconscientes ensuite. — La loi des associations et la création des réflexes. — La dissociation des réflexes. — Leur domination. — L’homme n’est sorti de la barbarie qu’après avoir appris à dominer ses réflexes héréditaires. — La discipline interne. — L’éducation doit agir sur l’inconscient de l’enfant et non sur sa faible raison. — Les principes qui précèdent s’appliquent à toutes les choses qui peuvent s’enseigner. — Les lois d’acquisition sont les mêmes pour toutes les branches de l’instruction et de l’éducation. — § 3. Comment la théorie des associations conscientes devenues inconscientes explique la formation des instincts et celle des caractères des peuples. — Application des principes généraux qui précédent à des cas particuliers. — Formation des instincts des animaux. — Formation des caractères des peuples. — Comment l’expérience crée l’habitude et comment celle-ci finit par devenir héréditaire, c’est-à-dire un instinct, et constitue alors un caractère de race. — § 4. La pédagogie actuelle. Opinion des professeurs sur la faible valeur des règles pédagogiques. — Ignorance générale de la psychologie de l’enfant. — Notre pédagogie n’a que l’empirisme pour base. — Possibilité de lui donner une base psychologique. — § 5. L’instruction expérimentale. — Tout enseignement doit être d’abord expérimental. — L’expérience doit toujours précéder la théorie. — La supériorité de l’instruction anglaise et allemande tient à l’application constante de ce principe. — Ce ne sont pas les sciences seulement, mais l’histoire, les langues, la géographie, etc., qui doivent être enseignées par la méthode expérimentale.

CHAPITRE II. — Les bases psychologiques de l’éducation

§ 1. But de l’éducation. — L’éducation du caractère a beaucoup plus d’importance que l’instruction. — La valeur d’un homme et son succès dans la vie se mesurent surtout au développement de son caractère. — Qualités de caractère que l’éducation doit savoir développer. — Jugement, initiative, discipline, réflexion, esprit d’observation, solidarité, volonté, etc. — Loin de développer ces aptitudes, l’éducation universitaire les détruit chez ceux qui les possèdent. — § 2. Méthodes psychologiques d’éducation. — Application de nos principes généraux à des cas déterminés. — Développement de l’esprit d’observation et de précision. — Développement de la discipline, de la solidarité, du coup d’œil, de l’esprit de décision, etc. — Développement de la persévérance et de la volonté. — Importance et nécessité des méthodes à employer. — Les peuples ne périssent jamais par l’abaissement de leur intelligence, mais par l’affaissement de leur caractère. — Dans l’évolution actuelle du monde, les qualités de caractère deviennent de plus en plus nécessaires.

CHAPITRE III. — L’enseignement de la morale

Importance de l’enseignement de la morale. Le niveau moral d’un peuple marque sa place sur l’échelle de la civilisation. — Les règles morales sont invariables pour un peuple donné dans un temps donné. — La seule base de l’éducation morale est l’expérience. — Méthodes d’enseignement à employer. — Nécessité d’apprendre à l’enfant à se gouverner lui-même. — Nécessité d’un idéal pour un peuple, quelque faible que puisse être la valeur philosophique de cet idéal. — Indépendance de la religion et de la morale. — La morale est l’expression de nécessités sociales. — Force des peuples ayant un idéal moral héréditaire solidement constitué. — La raison peut détruire un idéal mais ne peut en créer aucun. — Idéal qui peut être enseigné aujourd’hui. — Le culte de la Patrie. — Sa puissance en Angleterre, en Amérique et en Allemagne. — Dangers de l’humanitarisme pour les peuples latins. — Action dissociante des philanthropes. — Le rôle des armées.

CHAPITRE IV. — L’enseignement de l’histoire et de la littérature

§ 1. — L’enseignement de l’histoire. — L’enseignement du lycée en fait une mnémotechnie et non une philosophie. — Les généalogies et les récits de batailles. — L’enseignement expérimental de l’histoire. — Les monuments et les œuvres d’art. — Comment il faut enseigner. — L’histoire des civilisations. — § 2. L’enseignement de la littérature. — Comment elle est enseignée par l’Université et comment elle pourrait l’être. — Méthodes à employer. — Principe des lectures répétées et des rectifications successives. — Comment on apprend à un élève à modifier de lui-même son style. — La lecture des chefs-d’œuvre. — Inutilité des commentateurs. — Valeur des harangues et des discours dont on impose la composition aux élèves.

CHAPITRE V. — L’enseignement des langues

Les langues représentent le seul ordre des connaissances qu’on puisse enseigner à tous les élèves, quelles que soient leurs aptitudes. — Raisons de l’impuissance de l’Université à enseigner les langues. — Pourquoi cette impuissance n’existait pas autrefois et existe aujourd’hui. — Les méthodes des professeurs actuels. — Comment s’y prennent les congréganistes pour enseigner rapidement les langues. — Résultats obtenus par les Allemands, les Suisses et les Hollandais. — Comment, devant l’impossibilité de réformer les méthodes universitaires, les élèves doivent s’y prendre pour arriver à lire seuls une langue en deux mois sans grammaire, sans dictionnaire et sans professeur. — Exposé détaillé de la méthode. — Absurdité des recueils de morceaux choisis et ignorance psychologique qu’ils révèlent chez leurs auteurs.

CHAPITRE VI. — L’enseignement des mathématiques

Classification des sciences au point de vue de leur rôle éducateur. — Les sciences mathématiques considérées généralement comme des sciences de raisonnement sont en réalité des sciences expérimentales devant être enseignées par l’expérience. — Opinions de mathématiciens éminents sur la déformation du jugement produite par les méthodes actuelles d’enseignement des mathématiques. — Nécessité de l’enseignement du langage mathématique dès le plus jeune âge, en substituant aux raisonnements effectués sur des symboles l’observation directe de quantités qu’on peut voir et toucher. — Danger de l’habitude latine de toujours commencer par l’abstrait sans d’abord passer par le concret. — Comment on peut enseigner expérimentalement les mathématiques. — Inconvénients de la géométrie d’Euclide et pourquoi elle donne aux élèves l’horreur de la géométrie. — La méthode graphique. — Elle permet de saisir facilement les relations existant entre les grandeurs qui ne pourraient être souvent traduites que par des formules compliquées. — La simplicité des raisonnements mathématiques explique pourquoi les problèmes les plus compliqués de l’algèbre et du calcul intégral peuvent être résolus par des machines.

CHAPITRE VII. — L’enseignement des sciences physiques et naturelles

§ 1. — L’enseignement des sciences naturelles. — Elles constituent un excellent moyen de développer l’esprit d’observation quand on ne remplace pas la vue des choses par leur description comme le fait l’enseignement universitaire. — Comment elles sont enseignées aujourd’hui et comment elles devraient être enseignées. — § 2. L’enseignement universitaire des sciences expérimentales. — L’Université les enseigne également par la méthode mnémonique. — Opinions des professeurs sur la valeur de l’enseignement universitaire des sciences expérimentales. — § 3. Importance de l’enseignement des sciences expérimentales dans l’enseignement primaire. — Puissance éducative de cet enseignement. — C’est dès l’enfance qu’il faut le commencer. — Son enseignement dans les classes primaires en Angleterre et en Allemagne. — Comment des expériences faciles à exécuter donnent aux enfants l’habitude de l’observation et de la réflexion. — § 4. Enseignement des sciences expérimentales dans l’enseignement secondaire. — Méthode à employer. — Problèmes qu’on peut résoudre avec des appareils simples et peu coûteux. — Les collections de petits instruments scientifiques en Allemagne. — Inutilité et inconvénients des appareils compliqués. — Simplicité des appareils employés par les créateurs de chaque science et utilité de répéter leurs découvertes avec les mêmes appareils. — Opinions formulées à ce sujet par les plus illustres savants. — L’esprit scientifique. — Importance de l’histoire des découvertes. — Les bonnes méthodes rendent les esprits médiocres aptes à entreprendre des travaux utiles. — L’essor économique du peuple allemand est dû à la qualité de son enseignement.

CHAPITRE VIII. — L’Éducation des indigènes aux Colonies

Exportation des méthodes universitaires dans nos colonies. — Résultats obtenus. — Causes de notre insuccès. — En quoi consiste l’éducation d’une race. — Méthode d’éducation applicables aux colonies.

CHAPITRE IX. — L’éducation par l’armée

§ 1. Rôle possible du service militaire dans l’éducation. — Le passage par l’armée aurait pu donner aux diplômés de l’Université la discipline et les qualités de caractère qui leur manquent. — L’ancien régime militaire n’a fait qu’accroître le fossé existant entre les diverses classes de la nation. — § 2. Les conséquences sociales des anciennes lois militaires. — Elles ont amené l’encombrement de toutes les carrières entretenues par l’État et créé un nombre immense de déclassés. — Documents statistiques. — § 5. Le rôle éducateur des officiers. — Pourquoi ce rôle est presque nul aujourd’hui. — Opinions formulées par les chefs actuels de l’armée. — L’officier n’ayant jamais été préparé au rôle éducateur qu’il devrait exercer ne s’en préoccupe pas. — Comment on pourrait l’y préparer. — Une armée qui n’est plus le soutien d’une société en devient vite le danger. — Conclusions de l’ouvrage.

PRÉFACEDE CETTE NOUVELLE ÉDITION

Cet ouvrage a eu beaucoup de lecteurs, 15 éditions successives et des traductions en plusieurs langues[1] n’ont pas épuisé son succès. Cependant son influence sur les universitaires est restée très faible. Encadrés par de rigoureux programmes, nos professeurs ne peuvent enseigner que les matières de ces programmes, et ils les enseignent naturellement avec les méthodes ayant servi à leur propre instruction.

Bien d’autres raisons, d’ailleurs, s’opposent à la transformation de notre système d’éducation. On les trouvera exposées dans cet ouvrage. Elles montrent pourquoi les meilleures volontés restent impuissantes aujourd’hui.

Une preuve nouvelle de cette impuissance me fut fournie dans la circonstance que voici :

Après la lecture d’une des premières éditions de mon livre, un éminent sénateur, que je connaissais seulement de réputation, le professeur Léon Labbé, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, vint me voir pour m’annoncer son intention de prononcer un discours énergique au Sénat dans le but d’obtenir la réforme de notre enseignement. Le savant académicien revint plusieurs fois discuter ce sujet avec moi et il le discuta aussi avec quelques amis. Le résultat final de ces discussions fut que pour transformer notre système d’éducation, il faudrait d’abord changer l’âme des professeurs, puis celle des parents, et enfin celle des élèves. Devant une pareille évidence, l’illustre sénateur renonça de lui-même à prononcer son discours.

Dans mes précédentes éditions, je m’étais borné à dire quelques mots de l’enseignement à l’étranger. Considérant qu’il serait utile de descendre aux détails, j’ai consacré plusieurs chapitres de cette nouvelle édition, à étudier les méthodes d’éducation employées dans le pays où l’enseignement atteint son plus haut degré de perfection : les États-Unis d’Amérique. Cet exposé montrera combien profond est l’abîme qui sépare leurs conceptions des nôtres. Guidés par une psychologie très sûre, les maîtres américains savent développer chez l’élève l’esprit d’observation, la réflexion, le jugement et le caractère. Le livre joue un rôle très faible dans cet enseignement et la récitation un rôle nul. C’est exactement le contraire qui se passe dans notre Université. De l’école primaire à l’enseignement supérieur, le jeune Français ne fait que réciter des leçons. De rares esprits indépendants échappent à l’influence universitaire, mais la grande masse des élèves en gardent toute leur vie la funeste empreinte. Voilà pourquoi, si nous avons en France un petit noyau d’hommes supérieurs maintenant un peu notre rang dans le monde, les hommes moyens, vrais soutiens d’une civilisation, font de plus en plus défaut. Comment se formeraient-ils, puisque notre enseignement ne les crée pas ?

Chaque page de ce livre apportera la preuve, fournie par les universitaires eux-mêmes, que tout leur enseignement consiste à faire réciter des manuels. Dans la plus réputée de nos grandes Écoles, l’École Polytechnique, la méthode est la même. L’élève se borne à apprendre par cœur, pour le jour de l’examen, des choses qui, n’ayant pénétré dans l’entendement que par la mémoire, seront bientôt oubliées.

Le très pauvre enseignement donné dans cette École a été fort bien jugé par un ancien polytechnicien, devenu inspecteur général des Mines, M. A. Pelletan, dans un mémoire publié par la Revue générale des Sciences du 15 avril 1910. En voici un court extrait :

L’instruction tournée uniquement vers les questions d’examen y perd tout caractère scientifique et n’exerce que la mémoire. Comme on ne demande au polytechnicien que d’apprendre son cours, et qu’on n’exige de lui aucun travail personnel, rien ne permet de distinguer sa véritable valeur : ceux qui ont beaucoup de mémoire et peu d’intelligence peuvent obtenir des notes de supériorité, même en mathématiques. On les retrouve souvent à la sortie dans les premiers rangs.

Si la transformation de notre enseignement est à peu près impossible, à quoi peut servir un livre sur l’éducation ? Ne sait-on pas, d’ailleurs, que les piles innombrables de ceux qui paraissent journellement sur ce sujet n’ont guère d’autres lecteurs que leurs auteurs ?

C’est justement ce que je me demandais lorsque, il y a plus de dix ans, navré de l’état d’abaissement où nous conduisait notre Université, je songeais à rédiger ce volume. Je me résignai cependant à l’écrire, d’abord parce qu’on ne doit jamais hésiter à dire ce qu’on croit utile, et ensuite parce que j’étais persuadé que, tôt ou tard, une idée juste finit toujours par germer, quelque dur que soit le rocher où elle est tombée.

Je n’ai pas regretté la publication de cet ouvrage. Il a eu des lecteurs nombreux, sur lesquels je ne comptais guère, et une influence spéciale moins espérée encore. Cette dernière ne s’est pas exercée sur une Université, trop vieille pour changer, mais sur une catégorie d’hommes auxquels je n’avais nullement songé.

Mes recherches ont fini, en effet, par trouver un écho dans une importante école, destinée à former nos futurs généraux. Je veux parler de l’École de guerre, très heureusement soustraite à l’action de l’Université. De savants maîtres, le général Bonnal, le colonel de Maud’huy, et bien d’autres y ont inculqué à une brillante élite d’officiers les principes fondamentaux développés dans cet ouvrage.

C’est dans la profession militaire surtout que devait apparaître l’utilité de méthodes permettant de fortifier le jugement, la réflexion, l’habitude de l’observation, la volonté et la domination de soi-même.

Acquérir de telles qualités, puis les faire passer dans l’inconscient, de façon à ce qu’elles deviennent des mobiles de conduite, constitue tout l’art de l’éducation. Les officiers ont parfaitement compris ce que les universitaires n’avaient pu saisir. Une nouvelle preuve m’en a été fournie par l’ouvrage récent de M. le commandant d’état-major Gaucher, Étude sur lapsychologie de la troupe et du commandement, où se trouvent reproduites les conférences faites par lui à des officiers, pour leur exposer les méthodes d’éducation que j’ai développées, en me basant sur les données modernes de la Psychologie. Ce sera peut-être par l’armée que notre Université subira la transformation qu’elle refuse d’accepter.

Ce n’est pas seulement dans l’armée française que les principes d’éducation établis dans cet ouvrage commencent à se répandre. Au cours d’une fort remarquable étude publiée par The Naval and military Gazette du 8 mai 1909, l’auteur s’exprime ainsi :

« On n’a jamais donné une meilleure définition de l’éducation que celle due à Gustave Le Bon : « L’éducation est l’art de faire passer le conscient dans l’inconscient ». Les chefs de l’état-major général anglais ont accepté ce principe comme la base fondamentale de l’établissement d’une unité de doctrine et d’action dans l’éducation militaire dont nous avions si besoin. »

L’auteur montre très bien l’application de ce principe dans les nouvelles instructions de l’état-major anglais. Ce dernier a parfaitement compris que ce n’est pas la raison mais l’instinct qui fait agir sur le champ de bataille, d’où la nécessité de transformer le rationnel en instinctif par une éducation spéciale. C’est de l’inconscient que surgissent les décisions rapides. « L’habileté et l’unité de doctrine doivent, par une éducation appropriée, être rendues instinctives. » On ne saurait mieux dire.

Sur la première page de la traduction russe on lit : « Cette traduction a été faite par le général Serge Boudaïevsky, sur le désir exprimé par Son Altesse Impériale le grand-duc Constantin Constantinovich, président de l’Académie des Sciences et directeur des Écoles militaires de la Russie. »

LIVRE PREMIER LES ENQUÊTES SUR LA RÉFORMEDE L’ENSEIGNEMENT

CHAPITRE PREMIERLes conceptions des maîtres de l’Universitéen matière d’enseignement.

I

L’histoire des persévérantes et très inutiles tentatives faites depuis trente ans en France pour modifier notre système d’éducation est pleine d’enseignements psychologiques. Elle contribue à prouver combien les idées héréditaires des peuples régissent leur destinée et à quel point est illusoire cette indéracinable conception latine que les institutions, filles de la raison pure, peuvent se modifier à coups de décrets.

Depuis longtemps les voix les plus autorisées ne cessent de proclamer l’absurdité de notre enseignement. Tout fut tenté pour le réformer. Chaque modification n’a cependant servi qu’à le rendre plus mauvais encore.

On trouvera dans cet ouvrage les raisons de ces insuccès. Elles tiennent en partie, à l’ignorance profonde des causes réelles d’infériorité de notre enseignement. Un mal dont les origines sont méconnues ne saurait être guéri.

C’est en lisant les six énormes volumes de la dernière enquête parlementaire sur l’éducation qu’on peut le mieux constater l’étendue de cette ignorance. Comment les choses entrent-elles dans l’esprit ? Comment s’y fixent-elles ? Comment apprend-on à observer, à juger, à raisonner, à posséder de la méthode ? Ces questions fondamentales n’ont guère été abordées. Les personnes ayant déposé devant la commission ont été à peu près unanimes à juger les résultats de notre enseignement déplorables. Pourquoi déplorables ? Elles semblent l’avoir complètement ignoré.

II

Frappé d’une telle méconnaissance de certaines notions fondamentales de psychologie, je m’étais appliqué dans cet ouvrage à mettre en lumière les véritables raisons de l’infériorité de notre enseignement et à montrer que les programmes, causes supposées de tous les maux, y étaient très étrangers.

Si nos idées héréditaires pouvaient changer, mon livre aurait pu être utile. Je suis bien obligé de confesser que, malgré son succès de vente, il n’a pas — en France du moins — éclairé ni convaincu un seul universitaire. Les maîtres de notre enseignement en sont encore à chercher les causes d’une infériorité que je m’imaginais avoir mises nettement en évidence.

On aura une idée de leur impuissance à les trouver en lisant les discours sur l’Enseignement prononcés par deux des principaux directeurs de notre Université, MM. Lippmann et Appell, devant l’Association pour l’avancement des sciences. Étant donnés le nom et la situation de leurs auteurs, ces documents peuvent être considérés comme représentant d’une façon très exacte les idées directrices des chefs de l’Université.

D’accord avec la plupart de ses collègues, M. Lippmann fit voir que notre enseignement, à tous les degrés, était tombé à un niveau au-dessous duquel il ne peut guère descendre. Le savant professeur mettait fort bien en évidence les services rendus à l’industrie par les élèves des universités allemandes et l’incapacité de ceux formés par nos facultés et nos écoles à rendre de tels services. Il montrait « l’influence mondiale exercée par les universités allemandes qui fournissent aux usines d’Europe et d’Amérique une grande partie du personnel savant dont elles ont besoin ». Pendant que la science et l’industrie allemandes grandissent constamment, les nôtres suivent une marche inverse et descendent un peu plus bas chaque jour.

Cette supériorité d’un côté, cette infériorité de l’autre étant bien constatées, l’auteur fut nécessairement conduit à en chercher les causes. Malgré tous ses efforts pour les trouver, il ne les a même pas soupçonnées.

Ses raisonnements possèdent cependant, à défaut de vraisemblance, une bizarre originalité. L’état misérable de notre enseignement tiendrait simplement, selon lui, à ce qu’il est d’origine chinoise et a été importé en France par les Jésuites ! « Si l’on rencontre ici une ignorance par moments impénétrable, ignorance bachelière et lettrée qui nous rappelle la Chine, la raison en est bien simple : notre pédagogie nous vient de Chine. C’est là un fait historique. Notre pédagogie est celle de l’ancien régime. Elle sortit de l’ancien collège Louis-Ie-Grand, lequel fut fondé, on ne l’ignore pas, par des missionnaires revenus d’Extrême-Orient. »

Ayant ainsi découvert les causes du mal, le distingué académicien a cherché le remède. Rien n’est plus simple. Pour que l’enseignement devienne parfait, il suffirait de le rendre indépendant des fonctionnaires du Ministère de l’Instruction publique. « Il y a urgence, s’écrie-t-il avec indignation, à délivrer l’enseignement du pédantisme bureaucratique et à libérer les Universités du joug du pouvoir exécutif. Car celui-ci n’a pas cessé de peser sur les études supérieures en leur imposant sa pédagogie d’ancien régime. Viendra-t-il jamais un grand ministre pour retirer au pouvoir exécutif la collation des grades ? »

Les bureaucrates incriminés ont appris avec effarement de quoi on les accusait. Il leur a semblé un peu stupéfiant qu’un professeur de la Sorbonne parût ignorer que les universitaires seuls fixent les programmes et font passer les examens destinés à l’obtention des diplômes délivrés ensuite par le pouvoir exécutif.

Il ne faudrait pas supposer que les idées analogues à celles qui viennent d’être exposées soient spéciales à un seul professeur. Tous les maîtres de l’Université en possèdent du même ordre. Ces grands spécialistes semblent, en vérité, perdre toute aptitude à observer et à raisonner dès qu’ils s’écartent de leur spécialité. Il n’irait pas loin le pays gouverné par un aréopage de savants, comme de candides philosophes l’ont plusieurs fois proposé.

On aura une nouvelle preuve de cette incapacité des chefs de notre Université à rien comprendre — absolument rien — aux causes de l’infériorité de leurs méthodes d’enseignement, en lisant un autre discours prononcé, comme celui de M. Lippmann, devant la même Association pour l’avancement des sciences, par M. Appell, doyen de la Faculté des sciences de Paris.

Ainsi que son collègue, M. Appel commence par une sévère critique de l’enseignement universitaire et constate qu’il ne peut développer l’esprit scientifique, les concours et examens n’étant, de l’école primaire aux sommets de l’enseignement supérieur, que des épreuves de mémoire.

Ces critiques sont excellentes, mais l’auteur n’ayant pas compris les causes du mal qu’il signale, les remèdes suggérés ou imaginés par lui sont d’une insignifiance véritablement excessive.

Chaque ligne trahit l’incertitude de sa pensée. On en jugera par les extraits suivants de ses projets de réforme :

L’administration voit le mal et cherche activement le remède : il consisterait surtout à établir des relations suivies entre les écoles normales primaires et l’enseignement supérieur (!!).

Plus loin, il propose « l’utilisation des universités pour l’enseignement scientifique » et, plus loin encore, considère comme une grande réforme la suppression d’une partie des cours du Muséum et la transformation de cet établissement en « Institut national des collections ».

L’auteur a fini par sentir un peu l’extrême faiblesse de pareilles idées. Dans un article, il est revenu sur le même sujet et assure que :

La première réforme serait le classement des matières des programmes par valeur utilitaire, et la seconde l’application de ce rapport dans l’Université active comme dans son administration, tel enseignement restreint et tel autre élargi, telles chaires supprimées et telles autres créées.

On voit qu’aucun de ces éminents spécialistes n’est encore arrivé à soupçonner que ce sont les méthodes, et non les programmes, qu’il faudrait modifier. Proposer d’allonger ou raccourcir ces derniers, de supprimer certaines chaires ou d’en fonder d’autres, représente une phraséologie vaine, sans aucune idée directrice pour soutien.

Cette question de l’enseignement semble passionner les esprits aujourd’hui, puisque un troisième discours vient d’être prononcé sur notre système d’éducation à l’Association pour l’avancement des Sciences, par un éminent membre de l’Institut, M. Ch. Lallemand.

Nul besoin de dire que M. Ch. Lallemand n’est pas un universitaire. On le voit facilement aux judicieuses réflexions qui émaillent son discours.

L’auteur rappelle d’abord que le but de l’instruction est de former l’esprit. Il constate ensuite que l’Université ne sait enseigner ni le latin, ni le français, ni quoi que ce soit. D’un autre côté, sentant combien les réformes sont actuellement impossibles, il se contente de demander que le peu qu’on enseigne porte au moins sur des choses utiles, c’est-à-dire les langues modernes et les sciences, tout aussi aptes à former l’esprit que le latin.

Il faut croire que les critiques de M. Lallemand ont porté juste, car elles ont provoqué de véritables explosions de fureur chez les universitaires. Son auteur ne put même obtenir d’un grand journal quotidien l’insertion d’une réponse au violent article d’un des bien rares admirateurs de nos méthodes d’enseignement.

III

J’ai reproduit quelques passages des discours officiels les plus récents pour montrer combien est profonde, chez les maîtres de notre Université, l’incompréhension en matière d’enseignement. Tous ces spécialistes éminents sont, je le répète, excellents dans leurs laboratoires ou leurs cabinets de travail, mais dès qu’ils en sortent pour regarder et juger le monde extérieur, leurs chaînes de raisonnement deviennent singulièrement peu solides et leurs jugements très faibles.

L’incompréhension de l’Université ne lui permet pas de voir que la cause principale de l’infériorité dont elle gémit tient à la pauvreté de ses méthodes d’enseignement. Les lecteurs de cet ouvrage n’auront pas besoin d’en parcourir beaucoup de pages pour comprendre l’influence de telles méthodes et s’apercevoir qu’elles sont identiques dans toutes les branches de l’enseignement supérieur, secondaire et primaire. Qu’il s’agisse d’une Faculté, de l’École Normale, de l’École Polytechnique, d’une école d’agriculture ou d’une simple école primaire, ce sont toujours les mêmes procédés. On pourra modifier, comme il arrive chaque jour, les programmes, mais ces modifications ne touchant pas aux méthodes, les résultats ne sauraient changer.

Ces derniers sont même devenus très inférieurs à ce qu’ils étaient il y a une trentaine d’années seulement, parce qu’on s’est figuré, en chargeant et compliquant les programmes, améliorer l’enseignement. La complication, la subtilité byzantine et le dédain des réalités caractérisent aujourd’hui notre instruction à tous les degrés. Il suffit de comparer les livres de classe actuels aux anciens pour voir avec quelle rapidité ces tendances se sont développées. Les auteurs des nouveaux manuels savent très bien quel genre d’ouvrages, ils doivent écrire pour plaire aux maîtres dont leur avancement dépend, et naturellement ils n’en écrivent pas d’autres. Un professeur qui publierait aujourd’hui des livres comme les merveilleux ouvrages de Tyndall sur la lumière, le son et la chaleur, serait fort peu considéré et végéterait oublié au fond d’une province.

Bien entendu, l’élève ne comprend absolument rien à toutes les chinoiseries que, sous le nom de science ou de littérature, on lui enseigne. Il en apprend des bribes par cœur pour l’examen, mais trois mois après tout est oublié. C’est M. Lippmann lui-même qui a révélé à la commission d’enquête — et ici on peut le croire, car sa déclaration a été confirmée par le doyen de la Faculté des sciences, M. Darboux — que quelques mois après l’examen la plupart des bacheliers ne savent même plus résoudre une règle de trois. Il a fallu instituer à la Sorbonne un cours spécial d’arithmétique élémentaire pour les bacheliers ès sciences préparant le certificat des sciences physiques et naturelles.

De tous ces manuels si péniblement appris et si vite oubliés, il ne reste à la jeunesse ayant passé par le lycée qu’une horreur intense de l’étude et une indifférence profonde pour toutes les choses scientifiques. C’est encore M. Lippmann qui le signale. « L’esprit scientifique, dit-il, est moins répandu en France que dans d’autres contrées de l’Europe, moins répandu qu’en Amérique et au Japon. L’industrie nationale a profondément souffert de ce défaut, et le manque d’esprit scientifique se fait sentir ailleurs que dans l’industrie. Quelle est la cause du mal ? Il faut accuser notre instruction publique qui ne connaît que la pédagogie de l’ancien régime. »

Tout cela est fort vrai, mais encore une fois, ce ne sont ni les Chinois ni les bureaucrates, comme le croit M. Lippmann, qui causent le mal. L’Université jouit aujourd’hui d’une liberté absolue. Les pouvoirs publics ne lui refusent rien et l’accablent d’incessantes subventions. Elle change constamment ses programmes sans modifier ses méthodes. C’est précisément l’inverse qu’il faudrait faire, et tant qu’elle ne le comprendra pas, les résultats de son enseignement resteront aussi lamentables.

On ne ressuscite pas les cadavres. Il n’y a donc aucun espoir que notre Université consente à se transformer, mais, alors même que, contre toute vraisemblance, elle voudrait changer ses méthodes, où trouverait-elle les professeurs nécessaires pour réaliser une telle transformation ? Peut-on espérer de ces derniers qu’ils consentent à refaire eux-mêmes toute leur éducation ? Le fait suivant montre avec quelle difficulté se rencontrent aujourd’hui en France des professeurs capables de donner un enseignement analogue à celui que reçoivent les étudiants des peuples voisins.

Lorsque, il y a quelques années, M. Estaunié fut nommé directeur de l’École supérieure de Télégraphie, qui n’avait fourni jusqu’alors que les résultats les plus médiocres, il essaya en vain d’amener les professeurs à transformer leurs méthodes d’enseignement. Ses efforts ayant été entièrement stériles, il lui fallut se décider à changer le personnel enseignant, bien que ce dernier renfermât des maîtres fort connus, et notamment un Professeur à l’École Polytechnique. Neuf professeurs sur treize furent remplacés. Mais grande fut la difficulté de leur trouver des successeurs capables de donner un enseignement utile, et l’auteur de ce coup d’État se demanda pendant quelque temps s’il ne serait pas nécessaire d’aller les chercher à l’étranger. Envoyer instruire leurs enfants en Allemagne, en Suisse ou en Amérique est malheureusement le seul conseil que l’on puisse donner aux familles assez riches pour le suivre. Il est navrant de constater qu’après tant de centaines de millions dépensés en France pour l’enseignement, nous en soyons là.

IV

Malgré la pauvre éducation supérieure qu’ils ont reçue, beaucoup de professeurs de l’enseignement secondaire sont très intelligents et pleins de bonne volonté, mais leur impuissance est complète. Ils appliquent les méthodes qui leur ont été enseignées et suivant des programmes dont ils ne peuvent s’écarter. Les attristantes confidences reçues après la publication des premières éditions de cet ouvrage m’ont prouvé que beaucoup de professeurs sont parfaitement renseignés sur la faible valeur des méthodes universitaires et savent fort bien que les élèves perdent inutilement huit à dix années au lycée. Mais, obligés de suivre scrupuleusement les instructions de leurs chefs, ils ne peuvent rien changer.

L’éducation, dans son acception générale, embrasse la culture des aptitudes morales et intellectuelles. De l’éducation morale, l’Université ne s’occupe aucunement. Des aptitudes intellectuelles, elle n’en cultive qu’une, la mémoire. Jugement, raisonnement, art d’observer, méthodes, etc., n’étant pas catalogables en matière d’examen, sont considérés comme entièrement négligeables.

Tout l’enseignement secondaire est fait à coups de manuels ou de dictées, que l’élève doit apprendre par cœur et réciter. « J’ai fait preuve d’une initiative très hardie, me disait un jeune professeur d’un grand lycée, en enseignant la botanique à mes élèves au moyen de plantes disséquées sous leurs yeux, au lieu de me borner à leur dicter des nomenclatures. » Toutes les autres sciences : physique, chimie, etc., sont enseignées par les mêmes procédés mnémoniques [1]. Quelques instruments, montrés de loin et fonctionnant fort rarement, constituent la seule concession à la méthode expérimentale, très méprisée par l’Université, bien qu’elle ne cesse en théorie de la recommander. Nous verrons dans cet ouvrage que la littérature, les langues et l’histoire sont aussi mal enseignées que les sciences.

Avec ses méthodes surannées, l’Université a définitivement tué en France le goût des sciences et des recherches indépendantes. L’élève apprend patiemment par cœur les lourds manuels dont la récitation lui ouvrira toutes les carrières, y compris celle de professeur, mais il sera incapable d’aucun labeur personnel. Toutes traces d’originalité et d’initiative ont été éteintes en lui. Nous ne manquons pas de laboratoires — nous en possédons même beaucoup trop — mais leurs salles restent généralement désertes.

Quand, à de très rares intervalles, un candidat vient préparer dans ces inutiles et coûteux laboratoires la thèse nécessaire pour le professorat, on peut être à peu près certain que ce premier travail sera son dernier.

L’Université ne tolère d’ailleurs chez ses professeurs aucune indépendance, aucune initiative. La plus vague tentative d’originalité est réprimée chez eux par une méticuleuse et byzantine surveillance. Nous étions solidement hiérarchisés déjà par plusieurs siècles de monarchie et de catholicisme, mais l’Université nous a beaucoup plus hiérarchisés encore. C’est elle qui instruit les couches supérieures de la Société et tient en réalité la clef de toutes les carrières. Qui n’entre pas dans ses cadres ne peut rien être.

Jadis, avant la progressive extension du régime universitaire, la France comptait des savants indépendants qui furent l’honneur de leur patrie. Les chercheurs non officiels survivant encore, comme vestiges d’un passé disparu, sont bien rares. Privés de moyens de travail, voyant se dresser devant eux l’armée universitaire et son redoutable appareil, ils renoncent à la lutte et ne seront jamais remplacés.

V

On trouverait en France des milliers de personnes capables de reconnaître l’état lamentable de notre enseignement, mais je doute qu’il en existe dix aptes à formuler un projet utile de réformes universitaires.

Elles ne se sont pas montrées, lorsqu’il y a quelques années, à la suite des révélations de l’enquête parlementaire, fut tentée la réforme de notre enseignement. Cette tentative aboutit, on le sait, au système dit des cycles, reconnu aujourd’hui comme très inférieur au régime, pourtant fort médiocre, qu’il remplaçait.

« Quelques années ont suffi, écrivait un ancien ministre, membre de l’Académie française, M. Hanotaux, pour mettre à l’épreuve et pour condamner le régime des cycles. Et ces cinq ans ont suffi aussi pour démontrer définitivement l’incompatibilité de l’enseignement secondaire tel qu’il survivait avec le régime actuel. Il faut en prendre son parti : le régime des mots est fini, l’éducation verbale a fait son temps… on a fait de nos générations un peuple d’écoliers, de candidats, de bêtes à concours. La prétendue supériorité intellectuelle et sociale s’affirme par l’art de répéter les mêmes mots et les mêmes gestes jusqu’à trente ans et au delà. L’énergie nationale s’endort dans ce ronron archaïque et vain : apprendre, copier, réciter. »

L’auteur, comme tant d’autres, a très bien montré le mal, mais malheureusement, sans indiquer les remèdes.

Cette incapacité à trouver le traitement d’un mal que chacun voit nettement est une conséquence des influences ancestrales qui nous mènent. Il y a des choses que les peuples latins n’ont jamais comprises et ne pourront probablement jamais comprendre.

D’autres nations, possédant des caractères héréditaires différents des nôtres, ont très bien su saisir ces choses si incompréhensibles pour nous. Il est évident, par exemple, que les Américains ont fort bien su résoudre le problème de l’éducation. Les Japonais, qui n’étaient pas gênés par leur passé, ont adopté en bloc les méthodes allemandes, et on sait à quel degré de supériorité scientifique, industrielle et militaire elles les ont conduits en quarante ans.

Et si le lecteur veut percevoir nettement la profondeur de l’abîme qui sépare les idées latines de celles d’autres peuples, je l’engage à lire quelques discours sur l’éducation [2], prononcés dans une occasion récente en Angleterre et à les comparer à ceux des universitaires français dont j’ai cité des passages au commencement de ce chapitre. Je ne puis, malheureusement, en donner que de trop brefs extraits :

« Rien ne doit être plus éloigné du but de l’Université que de donner cette vague omniscience qui touche la surface de tous les sujets et ne va au coeur d’aucun. On peut juger de la façon dont l’Université remplit sa tâche par la façon dont elle développe la mentalité de ses élèves et leur goût pour la connaissance. »

Après avoir, de son côté, recommandé la méthode expérimentale, le Directeur d’Eton ajoutait : « Ses avantages sont d’exiger un service constant de la raison, de la patience, de l’exactitude, de l’aptitude à regarder et des plus précieuses facultés de l’imagination ».

Résumant ces divers discours, le Directeur de la Revue, où ils sont reproduits, écrivait : « Si une bonne méthode scientifique est enseignée, peu importent les sujets qui seront étudiés par les élèves. Il y a aujourd’hui une désapprobation unanime pour le bourrage de phrases scientifiques et littéraires dont on surchargeait autrefois la mémoire ».

VI

Je crois inutile d’insister davantage sur des questions qui seront longuement développées dans cet ouvrage. Nous y verrons combien sont inutiles et vains tous nos projets de réformes. Que soient modifiés les programmes, comme on ne cesse de le faire, que soit supprimé ou non le baccalauréat, les résultats resteront identiques.

Ils resteront identiques, parce que, je le répète, les méthodes ne changent pas. On ne peut demander à des professeurs, formés par certains procédés, de modifier leur constitution mentale. Ils sont ce que l’enseignement supérieur les a faits.

C’est donc l’enseignement supérieur qu’il faudrait changer, mais comment y songer, puisque cet enseignement est dirigé, non par des bureaucrates, comme voudrait le faire croire l’académicien que je citais plus haut, mais uniquement par des universitaires ?

Toutes les dissertations sur l’enseignement n’ont qu’un intérêt philosophique. La seule réforme utile de l’enseignement supérieur est complètement impossible en France. Il faudrait, en effet, que cet enseignement fût entièrement libre, qu’on réduisît des trois quarts les traitements affectés aux chaires des Facultés, mais en permettant, comme en Allemagne, aux professeurs de se faire payer par leurs élèves. C’est dans l’enseignement libre, laissant aux professeurs la faculté de montrer leur valeur pédagogique et leur aptitude aux recherches, que les Universités allemandes recrutent les maîtres de l’enseignement. On reconnaîtra évident, j’imagine, que si dans nos Facultés les professeurs et les préparateurs étaient payés par les élèves et que les professeurs libres pussent y enseigner, le jeu même de la concurrence obligerait les maîtres actuels à modifier entièrement leurs méthodes, c’est-à-dire à mettre les élèves en contact avec les réalités, au lieu de transformer la science en manuels, tableaux et formules. Alors — et seulement alors — nos professeurs découvriraient que tout le secret de l’éducation est d’aller du concret à l’abstrait, suivant la marche de l’esprit humain dans le temps, au lieu de suivre un procédé exactement inverse, comme ils le font maintenant.

Jamais, évidemment, un Parlement français n’osera, sous prétexte de démocratie, voter de telles mesures. Lequel vaut mieux, cependant, d’un enseignement qui, s’il coûte peu aux élèves, ne leur sert à rien, ou d’un enseignement payé par eux et leur servant à quelque chose ? Le système allemand a fourni ses preuves, le nôtre les a fournies également. D’un côté, suprématie scientifique et industrielle éclatante, de l’autre, décadence non moins évidente et qui s’accentue chaque jour.

Le poids de nos préjugés héréditaires est trop lourd pour que la réforme dont je viens de parler soit possible. Ce n’est pas vers la liberté de l’enseignement que nous marchons, mais vers son accaparement de plus en plus complet par l’État que l’Université représente. L’Étatisme est aujourd’hui en France la seule divinité révérée par tous les partis. Il n’en est pas un qui ne demande sans cesse à l’État de nous forger des chaînes.

Nous devons donc nous résigner à subir l’Université. Elle restera une grande fabrique d’inutiles, de déclassés et de révoltés jusqu’au jour, probablement lointain, où le public suffisamment éclairé et comprenant tous les ravages qu’elle exerce et la décadence dont elle est cause, s’en détournera définitivement ou la brisera sans pitié.

Comme conclusion de ce chapitre, je me bornerai à reproduire une page par laquelle je terminais, il y plus de vingt ans, un travail sur le rôle possible de l’enseignement. Elle est aussi vraie maintenant qu’autrefois et le sera sans doute encore dans cinquante ans.

« L’éducation est à peu près l’unique facteur de révolution sociale dont l’homme dispose, et l’expérience faite par divers pays a montré les résultats qu’elle peut produire. Ce n’est donc pas sans un sentiment de tristesse profonde que nous voyons le seul instrument permettant de perfectionner notre race, en élevant son intelligence et sa morale, ne servir qu’à abaisser l’une et à pervertir l’autre.

« Elle reste pourtant debout, cette vieille Université, débris caduc d’âges disparus, bagne de l’enfance et de la jeunesse. Je ne suis pas de ceux qui rêvent des destructions ; mais quand je vois tout le mal qu’elle a fait et le compare au bien qu’elle aurait pu faire ; quand je pense à ces belles années de la jeunesse inutilement perdues, à tant d’intelligences éteintes et de caractères abaissés pour toujours, je songe aux malédictions indignées que lançait le vieux Caton à la rivale de Rome, et répéterais volontiers avec lui : delenda est Carthago. »

Toutes les prescriptions universitaires se sont bornées d’ailleurs à introduire quelques vagues manipulations de physique et de chimie dans les lycées. Mais, comme nous l’apprend M. le professeur Mermet

(Revue Scientifique

, octobre 1909), « les résultats obtenus sont déplorables ». Comment pourrait-il en être autrement ? Professeurs, parents et élèves dédaignent absolument ce qui n’est pas matière à examen et considèrent comme perdu le temps non consacré à apprendre par cœur les livres que l’élève devra réciter le jour de cet examen.

Ils ont été prononcés par M. Asquith, ministre des Finances, M. Haldane, ministre de la Guerre, et M. Lyttelton, directeur du collège d’Eton. On en trouvera des résumés dans le journal anglais

Nature

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CHAPITRE IIDocuments psychologiques révélés par l’enquête sur l’enseignement.Pourquoi les réformes sont impossibles.

I

L’enquête parlementaire publiée, il y a quelques années, sur la réforme de l’enseignement secondaire, constitue le document le plus complet que l’on puisse consulter sur l’état actuel de cet enseignement et ses résultats. Le psychologue qui voudra connaître les idées régnant en France au sujet d’une aussi fondamentale question devra se reporter aux six gros volumes où sont réunis les rapports des personnes consultées. Professeurs de l’Université et de l’enseignement congréganiste, savants, lettrés, conseillers généraux, présidents des chambres de commerce, etc., y ont exposé librement leurs idées et leurs projets de réforme.

Après l’examen de ces volumes, le lecteur est bien fixé, non pas certes sur les réformes à effectuer, mais au moins sur l’état mental de ceux qui les ont proposées. Ils appartiennent tous à l’élite intellectuelle généralement désignée par l’expression de classes dirigeantes.

Les qualités comme les défauts de notre race se révèlent à chaque page de cette enquête. Il faudrait au plus subtil des psychologues de longues années d’observation pour découvrir ce que ces six volumes lui enseigneront.