Quand l'enfant devient élève… - Danielle Mouraux - E-Book

Quand l'enfant devient élève… E-Book

Danielle Mouraux

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Beschreibung

Des pistes et des outils destinés à éclairer les acteurs de l'éducation, professionnels et parents au sujet des relations entre l'École et les familles et à les aider à prendre conscience de ce qui s'y joue.

En quoi et pourquoi le passage de la Famille à l’École est-il si difficile pour l’enfant ? Parce que la Famille est ronde et l’École carrée : pour devenir élève, l’enfant doit changer de logique de pensée et de registre d’action.

Pourquoi la difficulté de ce passage varie-t-elle selon la famille ? Parce que les familles ne sont pas toutes les mêmes et ne donnent pas toutes la même chose à leurs enfants : certaines sont très rondes, d’autres plus carrées, d’autres encore sont hexagonales.

Cette géométrie sociologique originale aide à voir plus clair dans les relations entre les familles et l’École et à prendre conscience de ce qui s’y joue. Elle invite l’École à partir des enfants et de leurs différences pour en faire des élèves, à com prendre que, malgré la bienveillance de ceux qui les éduquent, des malentendus sociocognitifs se construisent dans la classe, au sein des dispositifs d’apprentissage.

En éclairant les mécanismes qui empêchent les enfants de passer du rond au carré puis du carré au rond, ce livre indique d’autres pistes et donne d’autres outils aux acteurs de l’éducation, professionnels et parents.

Cette nouvelle édition présente dans son chapitre "Sur le vif" des pratiques enseignantes qui rendent les enfants tous capables de devenir élèves.

À PROPOS DE LA COLLECTION OUTILS POUR ENSEIGNER

La collection Outils pour enseigner explore les tendances actuelles de la pédagogie et de la didactique et propose des ouvrages concrets et d'accès aisé pour la construction de savoir-faire et de savoir-être.

Des outils de formation qui joignent la théorie à la pratique, pour les enseignants du fondamental, les étudiants en pédagogie, les inspecteurs, les formateurs ainsi qu'aux éducateurs, animateurs et parents.

Depuis 2012, la collection Outils pour enseigner a entamé une grande phase de relooking. Ne tardez pas à découvrir les nouvelles couvertures !

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Outils pour enseigner

ARCHAMBAULT J. et CHOUINARD R., Vers une gestion éducative de la classe.

BOGAERT C. et DELMARLE S., Une autre gestion du temps scolaire. Pour un développement des compétences à l’école maternelle.

COUPREMANNE M. (Sous la direction de), Les dynamiques des apprentissages. La continuité au cœur de nos pratiques. De 2 ans ½ à 14 ans

DAUVIN M.-T., LAMBERT R., L’apprentissage en questions. S’interroger pour améliorer nos pratiques.

DEGALLAIX E. et MEURICE B., Construire des apprentissages au quotidien. Du développement des compétences au projet d’établissement.

DE LIÈVRE B. et STAES L., La psychomotricité au service de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Notions et applications pédagogiques.

DRUART D., JANSSENS A. et WAELPUT M., Cultiver le goût et l’odorat. Prévenir l’obésité enfantine dès 2 ans ½.

DRUART D. et WAUTERS A., Laisse-moi jouer… J’apprends !

DRUART D. et WAELPUT M., Coopérer pour prévenir la violence. Jeux et activités d’apprentissage pour les enfants de 2 ans ½ 12 ans.

EVRARD T. et AMORY B., Réveille-moi les sciences. Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 14 ans.

EVRARD T. et AMORY B., Les modèles. Des incontournables pour enseigner les sciences ! Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 18 ans.

GIASSON J., La lecture. Apprentissage et difficultés. Adapté par G. VANDECASTEELE.

GIASSON J., La lecture. De la théorie à la pratique. Adapté par T. ESCOYEZ.

GIASSON J., Les textes littéraires à l’école. Adapté par T. ESCOYEZ.

GIBUS, Chant’Idées. Écouter, comprendre, exploiter chansons et poèmes de 2 ans ½ à 12 ans.

HARLEN W. et JELLY S., Vivre des expériences en sciences avec des élèves du primaire.

HEUGHEBAERT S. et MARICQ M., Construire la non-violence. Les besoins fondamentaux de l’enfant de 2 ans ½ à 12 ans.

HINDRYCKX G., LENOIR A.-S. et NYSSEN M. Cl., La production écrite en questions. Pistes de réflexion et d’action pour le cycle 5-8 ans.

HOHMANN M., WEIKART D. P., BOURGON L. et PROULX M., Partager le plaisir d’apprendre. Guide d’intervention éducative au préscolaire.

HUMBEECK B., LAHAYE W. et BERGER M., Prévention du harcèlement et des violences scolaires. Prévenir, agir, réagir…

JAMAER Ch. et STORDEUR J., Oser l’apprentissage... à l’école !

LACOMBE J., Le développement de l’enfant de 0 à 7 ans. Approche théorique et activités corporelles.

LEMOINE A. et SARTIAUX P., Jouer avec les mathématiques. Jeux et activités traditionnels de 2,5 à 8 ans

MEURICE B., Accompagner les enseignants du maternel dans leurs missions.

MOURAUX D., Quand l’enfant devient élève… Entre rondes familles et École carrée

PIERRET P. et PIERRET-HANNECART M., Des pratiques pour l’école d’aujourd’hui.

REY B., CARETTE V., DEFRANCE A. et KAHN S., Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation.

STORDEUR J., Comprendre, apprendre, mémoriser. Les neurosciences au service de la pédagogie.

STORDEUR J., Enseigner et/ou apprendre. Pour choisir nos pratiques.

TIHON M., Jouer aves les sons. La métaphonologie pour entrer dans la lecture.

TERWAGNE S., VANHULLE S. et LAFONTAINE A., Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteurs.

TERWAGNE S., VANESSE M., Le récit à l’école maternelle. Lire, jouer, raconter des histoires.

WAELPUT M., Aimer lire dès la maternelle. Des situations de vie pour le développement des compétences en lecture de 2 ans ½ à 8 ans.

WAUTERS-KRINGS F., (Psycho)motricité. Soutenir, prévenir et compenser.

Le présent ouvrage suit la règle typographique qui impose l’accentuation des majuscules. Il tient compte également des simplifications orthographiques proposées par le Conseil Supérieur de la langue française et approuvés par l’Académie française en 1990.

Pour toute information sur notre fonds, consultez notre site web : www.deboeck.com

Conception graphique de la couverture : Annick Deru

© De Boeck Éducation s.a., 2016 Fond Jean Pâques, 4 – 1348 Louvain-la-Neuve

EAN 978-2-8041-9639-4

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Remerciements

Les idées ne se créent pas à partir de rien ; elles viennent de l’observation du monde, de soi et des autres. Celles qui habitent ce livre sont probablement nées de l’alliance entre le sévère regard de mon institutrice de mère et le sourire chaleureux de mon père, paysan devenu ouvrier. Cette confrontation quotidienne, parfois incommode, entre le carré scolaire et la rondeur familiale, je l’ai vue comme une énigme qui m’a longtemps tracassée puis passionnée dès que j’ai tenté de l’élucider.

 

Au fil de cette longue recherche, j’ai écouté des centaines de voix qui disaient, sur un ton préoccupé voire alarmé, la difficile mais formidable rencontre entre ces deux mondes que sont la Famille et l’École. Je remercie toutes ces femmes et ces (trop rares) hommes qui ont nourri mon analyse sociologique par leurs ressentis et leurs idées d’(anciens) enfants, de mères et de pères, de professionnels de l’éducation.

 

Je dédie ce livre à ma famille et à mes amis, qui me font gouter les douceurs du rond sans négliger la vigueur du carré…

Préface

« Tout changeait de pôle et d’épaule, la pièce était-elle ou non drôle. Moi, si j’y tenais mal mon rôle, c’était de n’y comprendre rien », écrivait Aragon. Cette formule ne pourrait-elle expliquer en partie le malaise qui existe actuellement chez beaucoup de parents et parmi de nombreux éducateurs ? Malentendu, diront certains. Malentendu, car les rôles tenus par les uns et par les autres sont multiples et varient sensiblement même au cours d’une seule journée : il faut l’aimer son enfant, soutenir sa scolarité, l’éduquer, l’aider à apprendre, le sanctionner parfois, le former, le rendre sociable, aimable, lui inculquer des valeurs, le socialiser… C’est à y perdre son latin, à « n’y plus rien comprendre » comme le disait Aragon. C’est à cette ambigüité majeure que s’attaque ici Danielle Mouraux. Pour ce faire, elle s’appuie sur une longue expérience de formatrice dans le champ éducatif : formations auprès des enseignants du primaire, auprès d’associations de parents, auprès de médiateurs familiaux, auprès d’assistants sociaux intervenant dans les familles et dans les écoles, etc. De cette expérience de terrain, elle retient que les relations qui existent entre les écoles et les familles ne sont ni simples ni univoques. Elles sont au contraire extrêmement complexes. Et elles prennent fréquemment la forme de tensions. Plus particulièrement, entre certaines écoles et certaines familles. Depuis plus de trente ans, les sociologues de l’éducation ont décrit le rôle de l’école dans la reproduction sociale. Depuis les premières analyses de Bourdieu, innombrables sont les recherches scientifiques qui confirment ce phénomène de reproduction des inégalités sociales via l’enseignement. Tous les éducateurs et tous les formateurs de terrain savent aujourd’hui le lien étroit qui existe entre le milieu social des enfants et leur plus ou moins grande réussite, ou échec, dans leurs apprentissages à l’école. Danielle Mouraux n’ajoute pas une démonstration supplémentaire. Elle accepte ce postulat de départ. Ce qu’elle tente de faire c’est de comprendre, le plus finement possible, les mécanismes à l’œuvre dans cette reproduction. Les tensions qui sont liées à cette reproduction, ces tensions parfois insupportables qui existent entre des familles et des écoles, Danielle Mouraux va les décrire, les décoder patiemment, les décrypter. Elle va de la sorte tenter d’y voir plus clair dans cette « boite noire » qui se situe exactement entre d’une part, le milieu familial dans lequel évolue l’enfant et d’autre part la réussite ou la non réussite de celui-ci dans le monde scolaire. Pour ce faire, elle aura recours à des outils symboliques simples, des formes, des graphes qui petit à petit permettront au lecteur de bien comprendre à quel endroit se situent exactement les antagonismes, les mésententes, les contradictions. Elle fait ainsi un véritable travail de traduction à partir de référents théoriques qui sont le soubassement de sa réflexion vers une minutieuse observation empirique. De la sorte, cet ouvrage donne des clés de lecture fondamentales à tous les acteurs éducatifs pour comprendre l’impact de certaines attitudes, de certains comportements, de certaines pratiques, dans les écoles autant que dans les familles. C’est certainement l’un des aspects positifs de l’ouvrage que de dépasser une approche trop souvent normative (voilà la bonne attitude, la bonne famille, la belle école) voire prescriptive (voici ce qu’il convient de faire) dans ce domaine. La question n’est en effet pas de savoir qui a raison ou qui a tort. La démarche de l’auteure n’est pas celle-là et ce n’est pas la moindre qualité de ce livre que de permettre à chacun de surmonter le piège de la norme et du prescrit.

En conclusion, ce livre mérite d’être lu et partagé car il traite d’une réalité sociale fondamentale qui implique la vie de tous les enfants. On pourra ne pas être d’accord avec toutes les conclusions ou propositions de Danielle Mouraux, mais il est indéniable qu’elles pourront toutes faire l’objet de débats, de réflexions, d’échanges entre les acteurs éducatifs, enseignants, médiateurs et parents.

 

Luc Albarello

Professeur UCL

École d’éducation et de formation

L’homme ne se connait lui-même que dans la mesure où il connait le monde. (Goethe)

Introduction

D’abord, il y a les éducateurs naturels, les parents et les proches des enfants, puis tous les professionnels, qui s’inscrivent dans, autour ou hors de l’École1. Tous se posent la question inéluctable du Comment faire ? Nous n’y répondrons pas ici car la grille de lecture sociologique que nous proposons dans ce livre pose d’autres questions : Quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Ces questions-là sont incontournables si l’on veut analyser l’action d’éduquer, en découvrir les logiques et en étudier les effets, bref comprendre ce qu’est éduquer.

Le regard réflexif et critique sur sa propre action est quelquefois douloureux, surtout s’il est posé par un autre que soi ; en dévoilant des côtés inconnus, il désarçonne, déstabilise. Le regard du sociologue, parce qu’il est à distance et englobe l’ensemble des relations sociales, pose des questions inattendues aux acteurs et fissure parfois leurs certitudes. La démarche préconisée ici avance en trois temps : elle observe les faits et pose le problème, elle tente de comprendre les phénomènes repérés et enfin elle propose une action, si nécessaire un changement.

Après avoir refermé ce livre, lorsqu’ils retourneront à leurs vies et pratiques habituelles, les acteurs éducatifs pourront transformer leurs visions du monde et, s’ils le décident, s’approprier les idées présentées ici afin de les incorporer à leur action.

À l’origine, ce texte est le syllabus d’une formation2 que nous avons dispensée, depuis 2004, à plusieurs milliers d’acteurs éducatifs (enseignants, directions, agents PMS, éducateurs, animateurs d’écoles de devoirs, agents de l’Aide à la Jeunesse, etc.) dans le cadre de leur formation continue ainsi qu’à des centaines d’étudiants dans le cadre de leur formation initiale. Après ces passionnantes années de remaniements incessants, après avoir exposé, débattu, trituré, testé ensemble les idées et concepts, nous avons développé et présenté cette analyse sous forme d’un livre. Sans pour autant clore la recherche ni clôturer le débat, que du contraire… puisqu’aujourd’hui nous en proposons une nouvelle édition, complétée d’éléments puisés dans ces rencontres.

À chaque fois, ces formations provoquent une frustration auprès des agents éducatifs car, malgré les attentes exprimées par les participants, malgré leurs demandes répétées de concret, le sociologue ne peut proposer que de l’abstrait : le concret, ce sont les acteurs qui le possèdent car eux seuls sont dans l’action pratique. Il s’agit donc ici non pas de convaincre les acteurs de terrain d’agir de telle ou telle manière, mais de mettre à leur disposition des éléments d’analyse qui, s’ils les saisissent, les aideront à agir en meilleure connaissance de causes et d’effets, tant sociaux que personnels. Le nouveau chapitre Sur le vif poursuit cet objectif. Nous nous positionnons dans une approche compréhensive des relations École-familles ; c’est à partir de ce regard que pourront jaillir d’autres façons de faire, plus stratégiques car plus cohérentes et opérantes.

1. Dans les domaines de l’école (enseignants, directions, inspections, éducateurs), du périscolaire (agents PMS, animateurs d’écoles de devoirs et des garderies) et de l’extrascolaire (tous les professionnels des secteurs culturels, sportifs, sociaux…)

2. Ces formations se présentent sous des formes très variées : de la conférence d’une heure à la formation de trente heures, en passant le plus souvent par des séances d’une matinée ou, au sein des écoles, une ou deux journées entières.

1

Le territoire éducatif

L’éducation vise le développement global de l’enfant, qui assure l’équilibre entre trois domaines : l’affectif, le cognitif et le moteur.

L’affectif : le ressenti, les sentiments, les émotions, les humeurs, les tempéraments, les opinions, l’amour/haine, les croyances. Le symbole de l’affectif est le Cœur.

Le cognitif : la pensée, la réflexion, la logique, la raison, la compréhension du Monde1, de soi et des autres. Cela s’apprend selon une logique rationalisée. La Tête est le symbole du cognitif.

Le moteur : le mouvement, la motricité, l’action sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions. Il est symbolisé par le Corps, qui réalise la synthèse entre le cœur affectif et la tête cognitive.

Chaque domaine de développement sert de tremplin aux deux autres ; complémentaires, ils réclament chacun une attention continuelle de la part de tout éducateur qui sait parfaitement que la tête est vissée au corps et que l’enfant marche à coups de cœur… Toutefois, selon le milieu éducatif dans lequel il se trouve, l’enfant se voit sollicité par ceux qui l’éduquent à mobiliser en priorité les ressources de l’un ou l’autre de ces trois domaines. C’est cette relative spécialisation de l’action éducative de la Famille, de l’École et de la Société qui fonde l’analyse présentée ici.

La relation qui unit École et familles n’est ni linéaire ni isolée ; elle s’ancre dans le territoire que forment les trois milieux éducatifs : le premier est la Famille, le deuxième l’École, le dernier, pragmatiquement nommé Troisième milieu, est hétéroclite car il rassemble tous les lieux et milieux où l’enfant vit et évolue en dehors de sa famille et de l’école. On y trouve la crèche, la patrouille scoute, le club de foot, l’école des devoirs, l’Académie de musique, les stages d’été, les médias, Internet, les bandes de copains, la rue…

Ce vaste territoire est dit éducatif parce qu’il vise à éduquer l’enfant. Si, à la suite d’Albert Jacquard, on se réfère aux deux racines latines du mot éduquer : « ex ducere », conduire dehors et « educare », nourrir, on comprend que l’acte d’éduquer un enfant consiste à le mettre au monde, c’est-à-dire l’introduire dans la société tout en le nourrissant de savoirs qui lui permettront d’y construire sa place. Ces deux actions sont complémentaires car il serait tout aussi dangereux de lâcher les enfants dans le monde sans leur donner les savoirs nécessaires pour le comprendre que de les gaver de connaissances sans leur permettre de les expérimenter.

Le schéma qui suit visualise le territoire éducatif : il situe chaque milieu par rapport aux deux autres, dans les angles d’un triangle ; il positionne l’Enfant au centre de ce système et indique clairement que l’objectif final de l’éducation est l’intégration sociale des jeunes, qui permet le remplacement continuel des ainés. Cette intégration contient implicitement l’idée de changement dès que l’on considère que l’éducation vise à donner aux jeunes une véritable autonomie, c’est-à-dire la capacité de comprendre le système social, d’analyser les problèmes et d’agir pour les solutionner. Le système éducatif, formé des trois grands milieux, est précisément chargé de transmettre aux jeunes des savoirs multiples sur eux-mêmes, sur les autres et sur le monde.

L’usage de formes géométriques pour identifier la Famille (rond), l’École (carré) et la Société (hexagone) s’est révélé à la fois pragmatique, efficace et amusant ; en un mot, en un geste, il résume la complexité de ces trois milieux sociaux dont le fonctionnement diffère profondément.

Comme tout schéma, celui-ci réduit les éléments qui le constituent à l’essentiel mais il ne parvient pas à représenter exactement la réalité : par exemple, l’hexagone de la Société devrait évidemment englober l’ensemble du territoire éducatif puisque familles, écoles et troisième milieu font intégralement partie de la société.

Malgré ses limites, ce schéma du territoire éducatif illustre bien les quatre hypothèses que nous développons et testons tout au long de ce livre :

1.L’enfant est un tripode : pour réussir ses apprentissages, il a grand besoin d’avoir un pied solidement ancré dans chacun de ses trois milieux éducatifs.

2.Chaque milieu est spécifique et doit pouvoir rester ce qu’il est et donner ce qu’il a, sans chercher à ressembler aux autres ni les obliger à se dénaturer.

3.Le passage quotidien entre la famille et l’école, c’est-à-dire la transformation continuelle des enfants en élèves puis des élèves en enfants, est une opération dont la réussite varie selon le type de famille.

4.Ce passage est source de malentendus, de pièges et d’échecs ; il peut être facilité par des pratiques enseignantes et des actions familiales appropriées.

Au sein de ce territoire éducatif, nous examinerons essentiellement la relation qui unit l’École et les familles2 : nous saisirons ce qui se voit directement à l’œil nu, ce qui se dit et s’échange entre les personnes (enfants, parents et enseignants) ; mais auparavant, nous plongerons sous la surface de ces interrelations pour découvrir ce qui est immergé, caché, ce qui, au-delà du caractère des personnes et de l’humeur du moment, relève des groupes sociaux et des relations qui existent entre ceux-ci.

Afin de comprendre comment fonctionnent la Famille, l’École et la Société, quels types de relations lient leurs membres, nous considérons quatre éléments : le domaine mobilisé, le niveau d’implication, le positionnement et le critère de qualité. L’ensemble de ces quatre éléments forme ce que nous nommons la logique de pensée et le registre d’action, que nous symbolisons désormais par trois formes géométriques.

Domaine mobilisé

Affectif

Cognitif

Productif

Niveau d’implication

Personnel

Professionnel

Global

Positionnement

Particulier

Universel

Hiérarchique

Critère de qualité

Appréciatif

Évaluatif

Efficace

1. Le « Monde » représente ici bien plus que l’aspect géographique ou physique de l’univers ; il englobe les multiples éléments économiques, culturels et politiques qui composent notre société mondialisée du vingt et unième siècle. Concrètement, la découverte du Monde par l’enfant passe par la compréhension des structures et des cultures qui le font vivre.

2. Nous ne traiterons pas spécifiquement du Troisième Milieu, même si quelques formations particulièrement intéressantes ont été dispensées auprès des travailleurs de ce secteur : animateurs d’écoles de devoirs, agents PMS, agents des Services d’Aide à la Jeunesse. Ces acteurs éducatifs qui se situent entre les familles et l’École ont un rôle capital de « traducteur » et de « passeur » à jouer auprès des enfants qu’ils accueillent ou dont ils sont en charge. Ces rôles apparaitront de manière explicite au fil des pages…

2

La ronde Famille est une communauté

1 La Famille fonctionne sur base de quatre principes

2 La Famille joue de ses capitaux et remplit ses fonctions

3 La Famille change

La forme ronde est attribuée à la Famille pour symboliser sa nature communautaire et évoquer son caractère naturel et spontané1. La Famille est une communauté2, c’est-à-dire un groupe dont la qualité dépend essentiellement de la satisfaction de ses membres et où les relations entre ceux-ci s’organisent en priorité autour des quatre principes suivants.

1. LA FAMILLE FONCTIONNE SUR BASE DE QUATRE PRINCIPES

1.1. L’AFFECTIF

Ici, c’est le Cœur qui prime : les émotions, les sentiments et les humeurs guident l’action ; la joie, la tristesse, la colère, la peur imprègnent fortement les relations et les influencent. On sent, on ressent, qu’on l’exprime ou non.

L’affectif familial est sujet à ébullition : les sentiments y sont puissants et s’y expriment souvent avec passion. L’intimité de la vie quotidienne sous un même toit fait tomber les masques et libère les (bonnes et mauvaises) humeurs.

L’affectif fonde les liens familiaux que sont l’alliance et la filiation. Uniques et immuables, ces liens continuent à exister même si les personnes se séparent et si les relations se cassent : jamais on ne cesse d’être la mère ou le père de son enfant ; on reste l’enfant de ses parents qui, même divorcés, restent liés entre eux par la co-parentalité.

1.2. LE PERSONNEL

Ce qui importe, c’est ce que l’on est, c’est la personnalité originale de chacun des membres de la famille, individus uniques et irremplaçables.

La famille concentre les effets de deux tendances sociales complémentaires :

l’individualisation, qui allège le poids des groupes auxquels l’individu appartient, lui donnant ainsi la possibilité de s’en émanciper et de se définir de l’intérieur, par ce qu’il est, et de comprendre qu’il est semblable aux autres humains3 ;

l’individuation, processus qui développe la personnalité individuelle, la conscience que l’on est distinct des autres, que l’on est soi-même indivisible, un, unique, ce qui permet à chacun de se réaliser en fonction de ce qu’il est, de sa nature profonde.

La famille cherche à assurer sinon le bonheur du moins le bienêtre de chaque membre qui la compose, si possible dans le respect des envies de celui-ci, de ses gouts, ses talents et aussi de ses droits.

1.3. LE PARTICULIER

Même si toutes les familles se ressemblent dans leur nature première (qui présuppose des parents et des enfants), les éléments qui les composent sont si variés et nombreux, l’alchimie qui entremêle ceux-ci est si complexe qu’il est impossible de rencontrer deux familles identiques. Chaque famille est donc unique, singulière, particulière non seulement par son histoire et sa composition, mais aussi et surtout parce que, sur base de ses conditions de vie, elle crée jour après jour sa manière spécifique de fonctionner et construit son propre capital culturel fait de langages, d’habitudes, de rites, de regards sur le monde, de valeurs, de rapports à la vie. Ces multiples éléments partagés par les membres de la famille, dans la proximité et l’intimité, créent un lien communautaire fort et construisent une identité commune, un Nous qui, au-delà des aléas de la vie, unit les membres de toute famille.

1.4. L’APPRÉCIATIF

La famille fonctionne sur base de l’appréciation, qu’elle soit positive ou négative : on oscille continuellement entre sympathie et antipathie4, on adore ou on déteste, on tangue entre amour et haine, entre accord et désaccord, entre caresse et rudesse.

C’est au sein des communautés, familiales et autres, que l’on construit ses convictions philosophiques, religieuses, politiques ; on s’accroche à ses certitudes, on se réfugie dans ses croyances. On se forge des avis, on défend des causes, on use de préjugés, de clichés, de stéréotypes transmis et acceptés comme tels.

Désormais, nous qualifierons de rond la somme de ces quatre principes de fonctionnement qui, ensemble, forment la logique de pensée et le registre d’action caractéristiques de la communauté familiale. La rondeur communautaire typique de la Famille implique la primauté de ces quatre principes dans son fonctionnement quotidien, dans les actes et les pensées de ses membres, dans leurs comportements et attitudes, tant à l’intérieur de la famille que dans les relations avec le monde extérieur. Il s’agit bien d’une primauté, pas d’une exclusivité : les éléments ronds ne sont pas l’apanage de la seule Famille car d’une part ils sont bel et bien présents dans d’autres groupes sociaux et d’autre part la Famille ne contient pas uniquement ce type d’éléments ; nous verrons plus loin que, selon ses conditions de vie particulières, elle intègre également des éléments carrés et hexagonaux auxquels elle accorde une importance variable.

Si ces quatre principes prédominent dans la Famille, quoi de plus logique que, selon les dires de bien des enseignants, la plupart des parents ne s’intéressent qu’à leur enfant, le protègent et le défendent d’office, qu’ils laissent éclater leur colère lorsqu’ils le croient lésé, qu’ils n’acceptent pas que leur petit devienne un numéro, qu’ils aient peur pour lui ou encore qu’ils rechignent à admettre son échec ? Cette attitude intrinsèquement ronde, c’est-à-dire affective, personnelle, particulière et appréciative, n’est-elle pas légitime et souhaitable ? Évidemment, lorsqu’elle se manifeste à l’école, elle se trouve souvent en porte-à-faux et est habituellement critiquée comme néfaste5. Il est vrai, nous le verrons plus loin, que l’École fonctionne sur des principes différents et que le choc entre les deux logiques peut parfois être dur.

Mais continuons notre analyse de la Famille afin de comprendre combien profonde est son empreinte sur ses enfants.

2. LA FAMILLE JOUE DE SES CAPITAUX ET REMPLIT SES FONCTIONS

Chaque famille est un système complexe qui brasse de multiples éléments évoluant sans cesse au fil du temps et au gré des aléas de la vie ; ceux que nous présentons ici sous quatre rubriques ont été collectés lors des séances de formation des agents éducatifs6. Ils font directement référence aux notions de capital culturel et d’habitus élaborées par Pierre Bourdieu.

2.1. CAPITAL ET HABITUS

VariablesÉléments

QUI ?

La composition

de la famille

Nombre, âge et sexe des parents

Nombre, âge et sexe des enfants ; présence constante ou intermittente (internat, kot, garde alternée)

Étendue de la famille : présence et soutien des grands-parents, des oncles et tantes, des frères et sœurs, etc.

Âge des parents au moment de la création de la famille

Statut de la famille : mariée, séparée, recomposée

Durée de la famille

QUOI ?

Les ressources

Argent : salaires, revenus, biens matériels

Gestion : de l’argent, du temps, des savoirs

Statut social : type de profession, mode de consommation

Temps : occupation des parents, travail professionnel, horaires ; temps contraints et temps choisis

Savoirs et compétences : formation initiale et continue, savoir-faire, talents personnels

Connexité : réseau social, groupes d’amis, ouverture vers l’extérieur

Mobilité7 géographique, sociale, culturelle : capacité à bouger, à opérer des changements

Équipements : voiture, électroménager, informatique

Gouts et envies : arts, sports, voyages, jeux

Santé

Expérience collective d’évènements marquants : naissances, mariages, accidents, deuils

OÙ ?

L’environnement

Logement : surface habitable, disposition des pièces, aménagement intérieur, jardin

Situation géographique : campagne ou ville, bruit, propreté, sécurité, confort

Environnement social et culturel : diversité ou uniformité, rencontre ou non avec d’autres familles, d’autres cultures

Proximité de services, commerces, lieux culturels, transports en commun

COMMENT ? L’habitus

Éducation, héritage culturel des membres de la famille

Besoins, envies, inclinations, souhaits, passions : brique dans le ventre, amour de la nature, gout de lire, penchant artistique,

Normes, règles, valeurs

Régularité entrainant habitudes, routines, rites, rituels

Tendance à accepter ou à rejeter la vie familiale

Réflexivité, capacité à se mettre en question, à s’analyser, à changer

Les capitaux économiques, culturels et sociaux évoqués ci-dessus sont mis en œuvre par l’habitus, que l’on peut comparer à la manière dont on joue avec les cartes (les capitaux) dont on dispose.7

L’habitus est cette sorte de sens pratique de ce qui est à faire dans une situation donnée – ce que l’on appelle, en sport, le sens du jeu, art d’anticiper l’avenir du jeu qui est inscrit en pointillé dans l’état présent du jeu8.

Cette dynamique se construit au jour le jour et toute famille la fabrique à partir de ce qu’elle est, de ce qu’elle a, de ce qu’elle sait, du regard qu’elle pose sur le monde et sur elle-même. Cet habitus s’exprime ainsi à travers tout ce qui se fait, se dit, se pense, se croit au sein de la famille. Tout habitus équivaut à tout autre tant qu’il permet à la Famille de fonctionner. Mais il contribue à positionner la famille dans la hiérarchie sociale et nous verrons que dès qu’une famille entre en relation avec l’École, elle est implicitement évaluée car selon ses capitaux et son habitus, plus ou moins en accord avec ceux de l’École, elle se révèle plus ou moins efficiente dans la gestion de la scolarité de ses enfants.

2.2. LA FAMILLE REMPLIT TROIS FONCTIONS

L’habitus est donc à la fois le moteur et le produit de la famille puisqu’il la fait fonctionner et lui permet de remplir ses trois fonctions sociales fondamentales : la reproduction, la production économique et la transmission des valeurs. Trois fonctions qui perdurent au fil des siècles mais qui s’assument de manières différentes selon l’époque et l’environnement.

2.2.1. LA FAMILLE SE REPRODUIT

La fonction de reproduction consiste à faire des enfants, les éduquer et les autonomiser, c’est-à-dire les mener à la vie adulte. En un siècle, cette fonction a été marquée par une profonde modification des lieux éducatifs, ce qui amène la famille à partager l’éducation des enfants avec d’autres acteurs, de plus en plus professionnalisés. L’obligation scolaire instaurée en 1914 ouvre la voie à une profonde modification de la responsabilité parentale ; ce mouvement s’accentue dans les années 50 où la contraception et l’accès à l’emploi de toutes les catégories de femmes réduisent fortement le temps consacré à la maternité et à l’éducation. Jusqu’alors exercées ensemble et essentiellement au sein de la famille, les fonctions de garde, d’entretien et d’éducation des enfants se distinguent. Garde et éducation sont confiées à des tiers qui s’institutionnalisent de plus en plus sous forme de crèche, école et autres lieux d’accueil des enfants et des jeunes.

Même si le principe constitutif de la famille demeure permanent, puisqu’il se base sur la filiation et la parenté, on assiste à un profond changement des formes de cohabitation, qui produit de multiples types de familles et de ménages : on rencontre aujourd’hui des familles bi, mono, uni, hétéro, homo, poly, pluri – parentales. Avec toutes les péripéties qui mènent d’une forme à l’autre et qui exercent leurs effets sur la continuité et l’homogénéité de l’éducation des enfants.

2.2.2. LA FAMILLE PRODUIT ÉCONOMIQUEMENT

En tant qu’unité de production et de consommation économiques, c’est la famille qui détermine la position sociale de ses membres. Naitre et grandir dans telle famille donne plus ou moins de moyens, de capacité et de chances de grimper dans la hiérarchie sociale.

La baisse de la mortalité enfantine puis l’arrivée de la contraception ont permis le développement du travail professionnel de la femme, ce qui a influencé considérablement les relations conjugales : les femmes acquièrent une autonomie financière alors que les hommes restent généralement dépendants des femmes pour leur vie ménagère. L’ordre des choses s’inverse, car à présent, pour bien des femmes, la vie professionnelle et l’activité économique prennent le pas, dans le temps comme dans les valeurs, sur la vie familiale et la maternité.

Mais l’instabilité actuelle de la famille remet en cause la certitude de conserver sa position sociale d’origine : que le couple se sépare, que le parent resté seul avec les enfants ne trouve pas d’emploi, et voilà la famille plongée dans la précarité voire la pauvreté.

2.2.3. LA FAMILLE TRANSMET SES VALEURS ET SA CULTURE

Une valeur, c’est une idée forte à laquelle on croit fermement, une idée puissante qui oriente les comportements, une idée solide qui guide toute la vie, qui résiste aux années, qui pèse sur les actes et les opinions. Bref, une valeur modèle la personnalité tout entière et peut résumer la conception que l’on se fait de la vie.