Renaître des glaces - Christophe Bladé - E-Book

Renaître des glaces E-Book

Christophe Bladé

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Beschreibung

Tout est en perpétuelle mouvance. L’aventure et l’audace conduisent toujours à renforcer les capacités de chacun…
2085… Nous avons laissé nos deux rescapés, Sylvia et Peter du clan Mackenzie, dans le « Berceau du Nouvel Homme », plongés dans le Grand Sommeil cryogénique et livrés à l’intelligence artificielle des machines. Auront-ils conservé toutes leurs facultés à leur éveil ? Armés de leur science et fidèles à leur idéologie, ils devront composer avec tout ce qui anime l’âme humaine pour affronter l’inconnu de ce nouveau monde, notre planète Terre, glacée, comateuse mais pas morte. Enfin, c’est ce qu’ils devront découvrir…
Quel voyage et quel challenge pour nos voyageurs du temps ! Seront-ils assez forts pour ne refuser ni l’action ni la réflexion afin d’exister encore, aimer encore ?…
Ce deuxième volet de Mémoire de glace vous projette là où tout a commencé, là où tout finit. À vous de choisir, mais prenez garde de ne pas vous engourdir dans votre confort et vos certitudes, le choc thermique pourrait-être fatal !   


À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Bordeaux en 1960, Christophe Bladé a écrit pour la jeunesse et jeunes adultes, bousculant les certitudes et les idées reçues, tout en gardant un regard humaniste sur le monde.
L’auteur de "Mémoire de glace " ne pouvait pas laisser refroidir la dynamique de cette aventure, mêlant action et découvertes, ni geler le suspens scientifique engageant la résilience de l’espèce humaine.

 

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Christophe Bladé

Renaître des glaces

Roman

ISBN : 979-10-388-0794-5

Collection : Atlantéïs

ISSN : 2265-2728

Dépôt légal : janvier 2024

© couverture Ex Æquo

© 2024 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

Préambule

« Renaître des glaces » est un roman d’anticipation et d’aventures. Surtout d’aventures… Si les références au domaine scientifique — la cryogénie — y sont présentes, elles ne peuvent ternir la volonté de construire une histoire où présent et futur se télescopent. Ce n’est presque plus de la science-fiction, mais plutôt la fiction d’une science prometteuse, où beaucoup reste à faire encore. Nous ne connaissons pas grand-chose de ses applications à long terme, cependant les techniques de régénérescence par le froid — sur l’organique en tout cas — sont suffisamment maîtrisées pour, un jour peut-être ! …L’impact sur le fonctionnement cérébral cependant mobilise encore bien des chercheurs.

Comme pour le premier recueil « Mémoire de glace », l’action est toujours présente et reste accompagnée d’images fortes, nécessaires au suspens. Le côté dramatique est cependant moins appuyé pour forcer le trait sur le comportement humain en milieu extrême. Notre propre espèce est en devenir et nous méconnaissons notre potentiel d’adaptation face aux humeurs de Mère Nature. Les changements climatiques plus que d’actualité nous le prouvent. Les réflexions existentielles conséquentes aussi…

Au-delà de la trame climato-scientifique, j’ai souhaité emmener le lecteur dans une épopée où les émotions et les ressentis sont omniprésents, sans être guimauve. Enfin je crois. L’action et ses divers rebondissements délivrent les personnages d’une morosité sur l’avenir. Sylvia et Peter du clan Mackenzie ; nos héros, en font leurs bagages dans ce voyage. J’espère que le lecteur, lectrice, aura bien saisi le degré d’espoir et de résilience contenu dans toute situation chaotique. Rien n’est sombre ! (La glace ne réfléchit-elle pas la lumière).

Enfin, même s’il est préférable, pour la compréhension de l’univers de ce roman et l’origine des personnages principaux, d’avoir lu le premier volet « Mémoire de glace » (édition 2022), j’ai fait en sorte que cette suite n’en soit pas totalement entravée. L’aventure est ici amplifiée, l’intrigue davantage axée sur la survie en milieu hostile. Et cela, comme à l’origine, en respectant le bien-fondé des sujets abordés, qu’ils soient d’ordre scientifique, géophysique, météorologique ou sociétal. Cependant, par rapport au premier recueil, je ne pouvais me projeter dans le futur en ne retenant que les ingrédients d’un thriller. Mais ne vous inquiétez pas, ça décoiffe quand même !

Aussi suis-je heureux à présent de vous proposer un « véhicule » pour aller ailleurs, totalement, essentiellement, tout en gardant les pieds sur Terre. Peut-être aussi vous questionner sur les rapports humains, leur fragilité et leur richesse.

Et pourquoi pas vous rafraîchir aussi en période de canicule ou même, au coin du feu…

Bonne lecture.

Les noms des personnages sont empruntés aux diverses langues des peuples amérindiens (Miwok, Algonquin, Sioux, Cheyenne, etc…). Je leur trouve surtout une belle sonorité, de l’exotisme et leur signification respective bien adaptée aux caractères de nos acteurs. Ainsi :

Taadikaou large souffle

— Dis-moi ?

— Oui.

— Tu crois que ça peut marcher ?

— Quoi donc ?

— De garder espoir…

Prologue

Mariage entre la glace et la roche. L’écorce terrestre s’égratigne sous les griffes d’un vent blanchi par le froid…

L’univers respire à son rythme, guidé par ses nouveaux flux d’énergies. Les atomes s’ébrouent dans leur magma pour transformer, sans jamais se lasser.

Nous sommes en 2330 sur la Terre, mais cette référence ne représente plus grand-chose. Lorsque les éléments naturels se déchaînent, la notion de temps n’a plus de prise et la place de l’Homme est un détail. Son histoire même n’est qu’un pâle reflet sur la glace triomphante, après qu’un chaos climatique ait effacé tous ses ouvrages et toutes ses ambitions.

L’An 0 de son ère cultuelle, inscrit dans bien des concepts religieux ou autres, n’a pas plus d’importance que ce grain de cristal sur le granite battu par les vents. L’empreinte de l’espèce même estompe malgré tout l’héritage culturel ou technologique que son ère a su porter. La planète s’est lassée de sa présence, elle veut tourner la page et, peut-être, essayer d’autres locataires… Pétrie par les humeurs du soleil qui a ralenti ses cycles, bousculée sur son orbite, elle est condamnée dans tous les cas à modifier son biorythme. Mais son noyau, son cœur bat toujours et, sur son écorce, si le minéral s’offre à toutes les transformations, il a su préserver une activité volcanique profonde.

Les « soupes primitives » ont perduré malgré tout, perpétuant ainsi les échanges chimiques basiques, compatibles avec le développement d’organismes cellulaires. Plus encore, des formes de vie animale ont eu la capacité de muter pour survivre autrement sur la planète bleue, devenue blanche.

Quelque part, peut-être se souvient-elle de l’Homme ! À condition qu’il se réinvente…崍

C’est le froid qui la réveille.

Une sensation venant du tréfonds de son être, un rappel au danger, la peur et la douleur mélangées…

Ses paupières frémissent puis s’entrouvrent, laissant transpirer la fièvre d’un regard perdu. Telle une éponge, son corps inerte et lourd semble se gorger de l’espace blanc, et ses doigts engourdis s’agrippent au vide laiteux.

Les sensations se multiplient et se faufilent dans toutes ses articulations. Elle frissonne sans pouvoir contrôler quoi que ce soit et la tenaille du froid l’empêche de respirer. Un instant haletante, elle lisse de son souffle la dalle gelée puis, relève la tête pour regarder autour d’elle. Rien…

Rien que des vapeurs glacées balayées par le vent ; seule présence animée. Face contre terre, elle tente de se relever, mais une masse l’entrave et l’oblige à retomber à plat ventre. Pourtant, si sa mécanique est engourdie, sa conscience elle, est en fusion. Des émotions jaillissent, se connectent à sa raison et soudain elle se met à crier comme au premier jour de sa naissance. Un cri se muant en une longue plainte, plus déchirante encore que celle du vent.

Et le vent l’entend, le vent se tait presque, le vent l’attend…

IL

L’Alien n’est pas maître du jeu.

Si jeu il y a…

À la différence des héritiers des prototypes terrestres de 2090, il sait depuis longtemps qu’une intelligence le contrôle sans pour autant le soumettre. Il le sent au plus profond de lui sans reconnaître la manifestation d’une… émotion. Pourtant, il sait ce qu’est le bien et le mal, le plaisir et la douleur. Son raisonnement est bien moins mécanique qu’au tout début. Il a évolué malgré lui.

De vagues souvenirs le replacent dans un chaos lointain : des flashs de bris de matières et de bruits déchirants dans un brouillard électrique.

Au début…

Un compte à rebours s’était enclenché quelque temps avant qu’il ne sente l’attraction terrestre lui vriller ses organes. Il y avait eu ce contact violent, et cependant calculé, avec la surface d’un monde gelé qu’il avait enfin découvert au sortir du cocon d’hibernation. Celui-ci s’était ouvert lentement, le laissant libre de ses connexions aux machines de bord. Libre, mais condamné à une errance froide, avec pour compagnie la technologie embarquée d’une autre planète.

Engendré par la Matrice, il ne savait pas encore s’il avait été projeté sur la Terre pour une mission ou parce qu’il avait été banni du Système…

Il avait vécu. Seul. Pendant des jours et des nuits. Pendant plusieurs rotations terrestres avec ses machines et ses écrans.

Il avait vécu des cycles lunaires sans vraiment les compter. À quoi bon s’encombrer du temps et de son usure puisque son anatomie pouvait être régénérée à l’infini. Ou presque…

Et puis il y avait eu les Autres. Ces êtres étranges dotés d’émotions qu’ils ne domptaient pas vraiment. Des individus forts et fragiles à la fois qui s’étaient montrés curieux de sa présence et s’interrogeant sur le sens de celle-ci.

Il avait partagé ses connaissances ; celles que ces Autres pouvaient comprendre, et ces Autres lui avaient « rappelé » le pouvoir des sentiments, des sensations, d’une communication à travers un même langage.

En outre, depuis son intégration chez les « primaires » il avait appris de sa personne des choses qu’il ne soupçonnait pas, des limites qu’il devait atteindre avec prudence. À travers ses défaillances physiques d’abord.

En effet, de mini nécroses le faisaient souffrir depuis quelque temps sans l’inquiéter tout à fait. L’inquiétude, cette sensation étrange, était venue longtemps après au contact des « primitifs », avec la prise de conscience d’une possible fin des choses comme des Êtres.

Alors il avait travaillé, il avait fabriqué des machines et modifié la vie des habitants des glaces, pour les aider à ne plus craindre. Il avait même découvert la dynamique positive de partager son savoir, car les « primitifs » apprenaient vite et se montraient curieux.

Les « primitifs »… Ces Autres qui lui ressemblaient un peu anatomiquement, mais qui ne disposaient pas de son pragmatisme froid. Ils évoluaient sans grand raisonnement mathématique et leurs actions étaient souvent empreintes de sentiments qui les mettaient parfois en échec. Paradoxalement, lui, l’Alien, leur trouvait une attractivité à cause de ces mêmes sentiments qui, par ailleurs, conduisaient les indigènes à une organisation sociale avec son cadre de règles.

Il avait évalué le potentiel constructif de cela…

Ensemble, ils avaient pu récupérer tout un assortiment d’équipements et d’émetteurs d’énergie des crashes successifs de navettes. Pendant des cycles et des cycles lunaires, ils avaient œuvré pour construire et se protéger.

Se protéger de quoi ?... Il n’en savait rien alors. Cela demeurait confus dans sa tête contrairement aux habitants des glaces qui, eux, s’embarrassaient d’un sentiment puissant : la peur.

Cette peur qu’il avait associée à l’idée de disparition de l’individu. Comment cela se pouvait-il !? L’alien qu’il avait été jusque-là ne se projetait pas, il ne s’envisageait que dans l’instant avec la gestion de son stock d’expériences. Car enfin, pourquoi s’occuper de ce qui n’était pas encore ? D’ailleurs, la raison même de sa venue chaotique dans ce monde étrange ne l’avait jamais interpellé.

Avant…

Aujourd’hui, quelque chose s’éveillait en lui ; des sensations perçaient l’épais brouillard d’une conscience muselée. Au-delà de la mécanique des choses il y avait un sens et surtout un temps à concevoir pour tout ce qu’il avait construit, car, ce qui était pouvait être détruit.

Il avait intégré cela le jour où une énorme tempête avait ébranlé le camp. Il avait vu malgré tout, cette immense gerbe de glace et de feu s’élever au loin dans un fracas assourdissant. Après deux jours de marche avec un groupe de « primaires », il avait constaté le crash d’une énorme navette recelant du matériel dont lui seul en connaissait le fonctionnement. Et puis, au sol, inertes, déchirés, des individus semblables à lui. Aucun reconditionnement ne pouvait s’envisager pour eux, sauf que…

Sauf qu’en amont du Crash un gros cube avait été expulsé, libérant des cocons habités et en bon état. À l’intérieur : des aliens comme lui, vivants, en sommeil artificiel.

Grâce à quelques engins embarqués que le crash n’avait abîmés, le groupe avait pu rapporter en plusieurs voyages, des matériaux, beaucoup d’équipements encore utilisables, des batteries nucléaires et les quatre caissons de conservation cryogéniques exploitables.

Alors, Il n’était plus Le seul à venir de la Matrice.

L’Alien n’est pas maître du jeu.

Les jours et les nuits s’enchaînent sans que ce sentiment ne le quitte. Car aujourd’hui, il est à son tour un nouvel habitant des glaces et il a appris à exprimer des sentiments.

Peut-être bientôt, des émotions…

Le premier jour…

Hébétée, bousculée par les bourrasques, Sylvia se retrouve assise sur un glacis dont l’écume cristalline lui confère un semblant de vie.

Elle respire enfin, plus calmement, maîtrisant ses émotions et essayant d’ordonner ses pensées.

Que fait-elle au milieu de nulle part et qu’a-t-elle vécu avant pour en arriver là ?

Alourdie par un équipement sophistiqué ancré sur son dos, elle tente de se mettre debout, en quête de repères quelconques, mais surtout, de son identité précise.

Elle se sent fragile et encore commotionnée par un épisode dont elle cherche le déroulement. Ça devait être violent pour en altérer sa mémoire ! La tête lui tourne, un goût acide dans sa bouche, son cœur et sa mémoire s’emballent, elle retombe soudain à genoux.

Le vent se reprend en la bousculant par des vagues glacées, mais elle lui offre son visage, levant la tête vers un ciel diaphane, cherchant dans ce néant un peu de compassion. C’est alors que des images s’entrechoquent, des images qu’elle laisse dérouler, car elle sait qu’elle peut faire confiance à sa raison, elle le sent au plus profond d’elle-même…

Beaucoup plus tôt…

Un cône sombre dont elle s’était extraite, des tuyaux et des câbles qu’elle avait débranchés avec attention, des manipulations précises de liquides sous une faible lueur verte pulsant dans un cube qui ronronnait en émettant des bips réguliers, et puis une grande chaleur s’était diffusée dans son corps.

Le cube était un espace clos, protégé, habité ! Son équipement élaboré lui avait très vite rappelé sa propre condition de scientifique. Sylvia était une excellente professionnelle. Elle s’était souvenue de tout, mais à ce moment, dans cet abri insolite, il n’y avait qu’une priorité : la survie.

Quelques pas hésitants dans le bunker pour stimuler un corps et un esprit en veille, et son mouvement, détecté par un capteur, avait déclenché la présentation d’une tablette informatique. L’écran s’était allumé pour afficher un texte dont les termes lui étaient étrangement familiers : une longue série de consignes, de protocoles d’entretien des machines et d’analyses sanitaires.

C’est alors que toute l’histoire lui était revenue…

Le bunker enfoui à des centaines de mètres sous terre, ce «Berceau du Nouvel Homme» résumait l’histoire de Craig Mackenzie, un scientifique génial et humaniste dont le patrimoine génétique avait attisé les convoitises de partisans à l’exode de prototypes humains sur la planète Mars. Seule son équipe rapprochée s’était accrochée à la théorie de l’adaptation de l’espèce humaine sur la Terre dans des conditions extrêmes grâce au développement des techniques cryogéniques. Craig était devenu un dissident, traqué pour avoir modifié le projet initial de «Biogénécry», sa firme d’alors. Son propre fils, porté disparu une grande partie de sa vie, lui avait été restitué fortuitement. Comme son père, Peter était doté d’un patrimoine génétique résistant entre autres au plus grand froid. Génétique qui s’avérait compatible aux applications complexes des techniques de cryogénie.

Entraîné dans l’aventure la plus folle, Peter avait été conservé, comme Sylvia, dans un cocon cryogénique programmé pour le Grand Sommeil. Craig, lui, s’était sacrifié pour la dernière étape, laissant sa place à sa fidèle collègue Sylvia. Alors qu’elle était quasi mourante après une dernière attaque d’une faction de la Confédération des États du Monde, il avait reconditionné sa carte génétique après avoir puisé dans ses propres ressources physiques. Misant sur la consolidation du génome de Sylvia, il avait finalement choisi l’hypothèse d’une renaissance naturelle du genre humain à travers une femme et un homme dans la pleine force de l’âge. 

Un homme, une femme… Le Grand Réveil !

Sylvia avait alors fait tourner la grande paroi bardée de câbles, pour découvrir l’autre cocon. Il était vide. Peter avait disparu, la laissant seule endormie au sein du bunker. Pour quelle raison ? La programmation du Réveil s’était-elle accidentellement modifiée ? Avait-il fui pour une raison majeure en espérant ainsi la protéger ? Était-il encore vivant ?

Ces questions avaient décidé Sylvia à tenter une sortie, abandonnant le «Berceau du Nouvel Homme» pour le rechercher. En consultant la tablette de Peter, elle avait compris qu’il avait organisé sa «désertion» : un check-up avait été opéré de toute évidence. Par ailleurs le soin apporté à remiser l’appareillage de son cocon le confirmait. Mais pourquoi l’avoir laissée dans ce cas sans aucune information ? Elle ne pouvait rester au fond de cette forteresse sans réponse.

Il fallait de toute manière avancer et comprendre.

 Sylvia titube en se relevant. Sa décision de quitter le Berceau est peut-être une folie. Elle se voit entrer dans cet ascenseur baigné dans une douce lumière verte puis pousser la manette pour s’élever vers le sas de sortie. Les gestes alors avaient été presque automatiques comme s’ils avaient été répétés. Sa mémoire lui avait restitué des images ; sans doute les conséquences de l’apprentissage subliminal des machines lors du sommeil cryogénique.

Elle se voit encore enfiler sa combinaison thermique et endosser le lourd barda de survie avant sa sortie dans l’inconnu.

L’inconnu. Pas tout à fait…

Elle connaît ce paysage cruellement blanc et figé, elle en a déjà ressenti les dangers, il y a longtemps. Tout semble inscrit dans son Être.

Et puis il y a eu cette défaillance après avoir marché en direction d’une colline de granite sombre, cette soudaine absence d’informations contrôlées. Elle s’est sentie lâchée par sa raison et rattrapée par une torpeur qui l’a finalement assommée là, à même la glace…

Maintenant, elle admet que celle-ci soit son univers et qu’il faille non pas la combattre, mais fonctionner avec elle, comme si elle faisait partie d’elle-même.

Debout…

Se tenir debout et continuer d’avancer pour comprendre. Retrouver Peter. Vivre ou survivre dans ce monde hostile. À quoi ressemble-t-il au-delà de ces dômes scintillants ?

Décidée, Sylvia se remet en route vers la première colline rocheuse dont elle apprécie mal la distance. Sa combinaison souple, étonnamment chaude, est d’un confort surprenant, mais le casque semi-rigide, disloqué, ballotte sur ses épaules. La visière s’est endommagée dans sa chute précédente et elle a dû l’escamoter pour améliorer sa visibilité. Pour l’instant le vent ne lance plus ses flèches glacées et l’air est respirable sans protection particulière.

Il faut éviter de transpirer des yeux ! pense-t-elle avec humour.

Un voile ondulant enveloppe le maigre relief qu’une lumière tamisée éclaire par intermittence. La navigation est compliquée, cependant Sylvia sait qu’elle peut faire confiance à son équipement. Plus tôt dans le bunker, sa tablette lui a rappelé que les matériels, à la conception desquels elle a contribué, sont très performants.

Elle consulte instinctivement les données sur le cadran serti dans sa manche gantée : — 42 ° C, taux d’humidité 45 %, vent modéré tournant.

Curieux ! se dit-elle, cela ne correspond pas vraiment à une ère de glaciation extrême. Il doit y avoir de l’eau en mouvement pas très loin affectant l’hydrométrie.

Précédemment, sa tablette lui a appris à son grand étonnement qu’elle n’a passé que deux cent quarante-cinq ans en sommeil cryogénique. Pour le programme initial, c’est peu. Cela prouve qu’un incident s’est bien produit pour l’interrompre et explique peut-être la disparition de Peter.

Il faut absolument le retrouver, se convainc-t-elle.

65° 53’Sud/92° 35’Est : telles sont les coordonnées géographiques dans sa mémoire. L’île de Drygalski. Mais en vérifiant sur son écran, il y a une légère différence qui suffit à la faire douter. L’axe de rotation de la planète s’est encore modifié depuis l’intégration de l’équipe dans le Bunker en 2085.

C’est bien possible sous l’effet conjugué de l’impact de météorites avec une distorsion du champ magnétique terrestre, se dit-elle. 

Comme pour lui donner raison, une étrange lueur embrase le ciel. Des dizaines de points incandescents filent vers l’horizon, accompagnés d’un sillage de poussière blanche. Une pluie de météorites griffe un ciel rose, à présent débarrassé de ses brouillards givrants. À la fois anxieuse et émerveillée, Sylvia ne peut qu’ironiser en prononçant tout haut :

— Bienvenue au pays… de nulle part !

Soupirant, elle se remet en marche après avoir programmé l’injection automatique d’un composé nutritif toutes les trente minutes. En effet, le protocole de sortie du Berceau prévoit le contrôle d’un dispositif de survie portatif, combinant des cathéters reliés au pack dorsal. Cette machinerie est indispensable dans les premiers moments du réveil afin de booster les cellules, de réinitialiser le système nerveux et d’approvisionner correctement la circulation sanguine. Des mélanges se distillent ainsi dans son corps en sous-cutané ou intraveineuse.

Sylvia s’interroge un instant sur leurs réelles efficacités chez elle puisqu’elle a été génétiquement modifiée, contrairement à Craig ou Peter. Peut-être lui faudra-t-il plus de temps que les autres pour atteindre une parfaite lucidité ainsi qu’une forme physique satisfaisante ?

Soudain, un craquement lugubre se répercute au sol. Un grondement sourd ensuite la fait vaciller. Elle se fige puis se met à courir maladroitement en direction des monts de granite. La curiosité est plus forte, il faut qu’elle sache et se met à grimper vers le petit sommet. Le contact avec la pierre grise la rassure.

Elle se hisse, malgré le poids de son équipement, pour espérer avoir un point de vue plus large de cet espace vierge. Haletante, elle parvient à se tenir debout sur le belvédère gelé au moment où un crissement désagréable lui déchire les tympans. De sa position, elle peut alors suivre les mouvements d’une banquise se fractionnant, se tordant, souffrant sous la pression d’une eau sombre. La glace vibre, gémit, elle parle avec la puissance des éléments.

— La glace fond ! s’écrie Sylvia.

Et elle se dit que si la glace fond et bouge sous l’action des courants c’est donc qu’il y a du changement dans l’air…

Cette nouvelle la réjouit, car, sans être une spécialiste, elle sait que tout changement de climat est propice à l’évolution ou révolution d’une espèce. Si cela pouvait favoriser le devenir de l’espèce humaine !...

Elle sourit en embrassant du regard tout le désert blanc strié de rivières aux reflets pourpres, comme autant de frontières : l’eau sombre réfléchit la couleur du ciel étrangement rose.

Le soleil pâle irise les particules d’eau en suspension, mais il semble si lointain !

L’orbite terrestre a dû se modifier également, déduit-elle, notre planète s’est peut-être éloignée de son étoile. Existe-t-il un jour et une nuit à présent ? Reste-t-il deux ou trois saisons comme à l’époque ancienne, comme dans mon ancienne vie ?

Il est évident qu’elle ne peut plus raisonner en comparaison puisqu’elle n’était que chrysalide il y a peu. Et c’est ainsi qu’elle se considère à présent, il lui faut composer avec la force de la nouveauté, sans regret, sans remords, sans nostalgie. Sa nouvelle vie sera courte ou longue, qu’importe, elle est enfant dans un monde à découvrir.

Le défi la réjouit jusqu’à ce qu’elle découvre en redescendant l’autre versant, abandonné sans précaution, cathéters arrachés :

le sac de survie de Peter ! …

Il s’est passé quelque chose de brutal, c’est évident, s’inquiète-t-elle. Pour qu’il se soit débarrassé de son équipement ainsi, avec le risque que ça représente pour sa survie !

Elle ne peut comprendre la motivation de Peter de s’être ainsi exposé seul face à un évènement singulier. S’échapper du refuge du Berceau pour finalement abandonner son précieux paquetage sanitaire ne rime à rien. À moins qu’il ait été surpris, pourchassé, enlevé peut-être !

Mais qui d’autre pourrait bien vivre ici dans cette contrée hostile ?

Sylvia scrute autour d’elle, prête à déguerpir ou se défendre. Croyant son collègue en détresse quelque part, elle décide d’arpenter tout le promontoire glissant, à l’affût du moindre indice, de traces de pas ou pire, de traces de sang.

Le vent se renforce quand elle boucle son tour. Fatiguée, elle modifie la séquence d’injection des sérums, mais ne peut entamer la réserve. Il lui faut retourner au Berceau pour réfléchir en sécurité. L’équipement de Peter est alors bienvenu, il lui double presque ses capacités, car il n’a que très peu consommé.

Cela prouve qu’il n’était pas en détresse ni en carence avant «l’accident».

Il va falloir cependant se charger davantage pour le retour dans un vent qui repart à la guerre. Sylvia réajuste son casque après avoir consolidé sa visière tant bien que mal, mais la visibilité est mauvaise. Des volutes de neige s’enroulent autour de chaque aspérité de terrain, le ciel passe du rose au mauve en salissant un soleil lointain.

À présent lestée de deux sacs de survie, dont celui de Peter sur la poitrine, elle marche avec précaution sur le glacis tourmenté, se retournant parfois pour scruter ses arrières. Pourra-t-elle retrouver le chemin du bunker ?

Ne pas céder à la panique, rester pragmatique et concentrée. Dans la ceinture de sa veste-scaphandre : l’appareil de géolocalisation qu’elle clipse sur son manchon. Dans sa poche de pantalon de combinaison : une paire de jumelles à vision nocturne augmentée. Cette dernière peut permettre de voir le rayonnement de n’importe quelle forme en mouvement, même sans émission de chaleur. Elle s’en saisit hâtivement pour tenter de percer le rideau de glace qui masque sa progression. Sans succès.

Le vent ici a raison de tout.

Elle se rassure en pensant que même sans son sac, Peter dispose de ces mêmes accessoires puisqu’il a vraisemblablement conservé combinaison et scaphandre. Essoufflée, Sylvia s’impose plus de calme pour ne pas offrir un visage transpirant derrière les fêlures de sa visière. Les conséquences de gerçures seraient dramatiques…

Plus aucun repère, le mont de granite est maintenant bien derrière et le bunker est invisible sous les assauts des vagues glacées.

Brancher le GPS avec son bip sonore.

Marcher encore, toujours plus loin.

Courber l’échine sous les bourrasques.

L’air exhalé se condense dans le casque, l’équipement lui écrase la poitrine, elle consulte son GPS qui reste désespérément muet. Elle s’effondre à genoux en hurlant de rage.

Finalement, la nuit existe sur cette latitude, car le mauve du ciel, sans s’éteindre vraiment, s’obscurcit encore pour effacer tous les contours d’un relief trompeur. Sylvia trébuche en se relevant, glisse pour s’affaler lourdement cette fois sur une dalle minérale, s’arrachant une ou deux perfusions dans le choc.

Situation tragique qu’elle tente de gérer en se recroquevillant sous son barda, protégeant ce qui peut l’être, puis en se dépliant lentement malgré les rafales de vent. La visière en lambeaux, elle peine à respirer tant la glace infiltrée lui pique le visage. Ses mains sont déjà ensevelies sous une couche de neige lorsqu’une lueur rouge irradie celle-ci : le GPS réagit !

Ivre de vent, elle se met à rire nerveusement en regardant le petit écran de l’appareil, arrive à se redresser en titubant, réajuste les sacs de survie sur ses épaules meurtries. L’appareil indique la position du Berceau, sa lueur est un phare, les bips sonores et réguliers, un appel. Elle n’est plus très loin.

— J’arrive ! parvient-elle à articuler.

Sylvia est forte, elle a traversé d’autres tourments avant. Avant…

Autour d’elle tout est désespérément tamisé à présent.

La couleur du ciel se répand sur la glace comme sur un buvard blanc. Il n’y a plus ni verticalité ni horizontalité et le vertige alors n’a pas besoin d’alcool.

Le bip du GPS est de plus en plus rapide, mais Sylvia progresse de plus en plus lentement sous les coups de boutoir glacés, mais elle y est ! Là, tout proche ; le Berceau qui l’a vue naître dans ce monde nouveau. 

Rien ne peut signaler le bunker dans cette contrée. Sylvia se souvient que c’était bien le but recherché au tout début de l’aventure. Jadis, il fallait fuir et se cacher de la prédation de la Confédération des États du Monde. À l’époque, c’était sans compter sur l’opportunité qu’offrirait en plus le super changement climatique.

Une fois arrivée dans l’anfractuosité rocheuse abritant le sas d’entrée du bunker, Sylvia se positionne devant l’ascenseur, secouée de sanglots incontrôlables.

Le passage au scanner d’identification finit par la plonger dans un abandon rassurant.

Intrusion

Débarrassée de tout son équipement, débranchée de ses cordons de perfusion, Sylvia se connecte à la tablette des informations mémorielles.

Le protocole des conditions de survie qu’elle veut suivre à la lettre prévoit en effet une consultation régulière. Jadis, son équipe a pu constater la nécessité de stimuler ainsi les capacités de raisonnement après épreuves en période post-cryogénique. Si l’action mécanique des organes est la première à être boostée grâce aux sérums distillés lors de la dernière phase d’éveil en caisson, il y a malgré tout une part d’inconnu en ce qui concerne le cerveau. Surtout dans le cas de Sylvia dont la formulation génétique a été modifiée.

J’ai fait confiance à Craig Mackenzie, en ses compétences, mais je ne suis quand même que bricolée ! pense-t-elle gravement. Peter, son fils, a certainement plus d’aptitudes et donc plus de chance que moi de survivre sans assistance…

La présence de celui-ci lui manque cruellement, les questions sur sa disparition tournent en boucle dans sa tête.

L’écran de la tablette fait défiler du texte et des images. Des choses lui rappelant des situations, des actions et des expériences vécues, des connaissances exploitées. 2085 a été riche en épisodes dramatiques avant l’intégration du Berceau du Nouvel Homme. Adriana, la combattante et Craig l’ingénieux, son mentor, y ont laissé leur vie. Elle n’a pas vécu l’agonie de ce dernier.

— Il a pourtant dû s’éteindre ici, dans le bunker ! s’écrie-t-elle.

Le cube sombre lui renvoie soudain l’écho de ses paroles. Un instant déstabilisée, elle se retourne pour essayer d’apercevoir le corps de son ex-collègue, quelque part avachi dans un coin. Depuis tout ce temps ! … Elle se surprend même à vouloir cette macabre présence pour soulager sa solitude, mais à l’évidence, il n’y a qu’elle et la respiration des machines dans ce refuge.

Décidée à en savoir le plus possible, elle mise sur la possible trace des derniers faits et gestes enregistrés par le scientifique dans la mémoire informatique.

C’était un méticuleux ce Craig, il a bien dû consigner… pense-t-elle tout en pianotant sur le clavier tactile à la recherche de fichiers secondaires.

Peut-être dans ce fichier isolé baptisé curieusement «mortel» ?

Hésitant une seconde, le doigt en suspens, elle clique sur l’icône en reconnaissant le côté pathétique de l’intitulé du fichier : c’est une vidéo.

— Bingo ! souffle-t-elle.

Elle découvre enfin les derniers mouvements fébriles de Craig se filmant avec sa tablette, les images vacillent, se stabilisent bientôt sur un gros plan un peu flou. La voix du scientifique lui fait venir les larmes. Il relate ses derniers instants de lucidité lorsqu’il comprend que le fils qu’il avait perdu plus jeune se trouve là, dans le cocon cryogénique, voué et dévoué au projet qu’il avait lui-même accompagné en tant que collègue. De collègue seulement, ne sachant rien de son identité jusqu’alors.

Le plan s’élargit, on y voit une grande partie du bunker et, en retrait, abandonné, le corps d’Adriana.

Ils sont donc bien restés là, se dit-elle médusée.

Elle repense à Peter. Écartant l’hypothèse d’un incident technique, elle opte pour un réveil véritablement programmé pour celui-ci. Il aurait pris le temps de tout réorganiser ensuite, d’enlever les corps, les sortir du refuge certainement, et puis après…

Elle se lève en soupirant, fait quelques pas dans cette curieuse « maison » détaillant son équipement high-tech, admirative et perplexe à la fois.

— Je ne vais pas rester ici toute ma vie quand même ?dit-elle tout bas en étirant ses membres endoloris.

Certes le refuge est autonome pour longtemps encore grâce à ses batteries enrichies au tritium 4, mais quel sens donner à tout cela si c’est pour vivre en ermite ?

S’organiser.

Ne pas se laisser gagner par la frustration.

Avoir un projet.

Telles sont les ambitions de Sylvia pour donner force à cette « renaissance ». Le monde extérieur est peut-être vierge à présent de toute activité humaine, cependant, comme à l’origine de Tout, il y a une impulsion, une volonté irrationnelle de construire et de perpétuer. Serait-elle aujourd’hui le premier élément d’une nouvelle espèce ? L’idée lui est vertigineuse et galvanisante à la fois…

Titubant presque en s’imaginant à l’aube d’une nouvelle Histoire, Sylvia s’installe devant un nouvel écran pour consulter le protocole de mise en autonomie totale des individus cryogénisés du Berceau du Nouvel Homme. Le souffle coupé, elle se fige. L’ordinateur est en veille alors qu’elle ne l’a jamais sollicité auparavant. Elle sait pourtant que seule la reconnaissance faciale le met en route immédiatement et, qu’en l’absence de lecture prolongée de morphotype, l’appareil s’éteint. Même si Peter l’a consulté avant sa sortie, l’écran ne serait pas resté ainsi en pause. Les autres ordinateurs restant logiquement « off ». Un dysfonctionnement ? Impossible sans aucune anomalie signalée dans l’historique en page d’accueil.

Sylvia frissonne en pensant à une possible intrusion intelligente pouvant pirater le système de sécurité. Cela lui rappelle alors la nécessité de rester sur ses gardes, mais ravive aussi le mauvais pressentiment sur le sort de Peter. Ses faits et gestes, même à l’intérieur du bunker, seraient-ils captés ? Par qui ? Dans quel but ?

Elle veut calmer la tempête dans sa tête en tentant de s’alimenter par voie orale, espérant ainsi relancer au plus vite le fonctionnement normal de ses organes.

Devenir opérationnelle le plus rapidement possible. Profiter au mieux de sa nouvelle identité génétique, réapprendre à tenir l’effort et endurer le froid extrême. C’est là son programme prioritaire qu’elle va suivre durant sept jours — échelle de temps 2085 — en s’astreignant aux diverses pratiques sportives et conditionnements prévus au protocole.

En l’absence de repères visuels, l’horloge numérique calée sur son ère est la seule référence lui permettant de séquencer ses journées.

Sept jours et sept nuits à enchaîner les entraînements dans la cellule de conditionnement progressif, soumise autant aux exercices physiques qu’aux stimulations cérébrales.

Elle se sent bien. Investie, méthodique, déterminée.

Son objectif premier : retrouver la trace de Peter, connaître la raison de sa désertion.

— Ma mission ne fait que commencer, lance-t-elle dans le bleu nuit du bunker. Je n’vais pas moisir ici malgré tout ce confort !

Quelque part, très loin, un autre écran s’allume soudain au son de sa voix. 

Au-dessus…

Au-dessus, la glace est maîtresse de tout mouvement rebelle. En alliance avec le vent, c’est elle qui impose sa loi, sculptant le paysage à sa guise. Il y a bien longtemps qu’elle a étouffé les derniers spasmes de vie, tel un python enroulé autour de sa proie. Pourtant, dans son étreinte, un cœur continue de battre.

Un seul peut-être.

Ou pas…

Au Berceau du Nouvel Homme, Sylvia a réglé tous les capteurs de surface afin de se caler sur une fenêtre météo favorable à une sortie. La première a été trop précoce et elle en a payé le prix. Il faut plus de maîtrise et de préparation pour s’éloigner du Berceau et tenter un raid efficace.

S’armer aussi. Et des armes, le bunker lui en propose de toutes catégories ; en passant du fusil longue portée à balles perforantes aux armes de poing — blanche ou à émission laser — et jusqu’aux mini grenades de gaz neuro-paralysants.

Le but est de voyager léger pour être mobile en toutes circonstances.

Avec hésitation, Sylvia opte pour le pistolet à rayon paralysant et un poing armé à double lame en cas de combat rapproché. Mal à l’aise à l’idée de devoir s’en servir, elle se rassure pourtant en pensant à son nouveau capital génétique. En cas de fuite et d’abandon de son équipement dorsal, elle pourrait espérer survivre en se réfugiant un temps, recluse dans les glaces. Certainement.

Enfin, peut-être…

Le champ des hypothèses est trop vaste pour envisager une stratégie, un plan défini d’avance. Le seul plan qui vaille à présent est l’investigation extérieure pour retrouver les traces de Peter. Il lui faut préparer de quoi s’alimenter et vérifier l’état des cathéters et capteurs biorythmiques. Elle soupire à l’idée de devoir rebrancher l’attirail sur son corps, mais la scientifique reprend le dessus en sachant qu’à partir de ces branchements, toute phase d’éveil et de repos peut être programmable. Et du repos, elle en aura certainement besoin, considérant l’énergie à déployer dans les conditions extrêmes qu’elle devra affronter. Un combat…

Un combat avec elle-même avant tout !

Mon cher confrère, mon frère cryogénique s’est-il battu lui aussi contre les éléments ou contre une autre présence, quelque part ? s’interroge-t-elle.

Sylvia se sent soudainement lasse. Étourdie par les questions qui s’entremêlent ou par le manque de lumière naturelle, elle décide de se détendre sous une douche tiède. Elle s’efforcera de la rafraîchir progressivement pour gagner en endurance et ne pas perdre le bénéfice de ses entraînements. Assidue jusqu’au bout…

Le bunker avait vraiment été bien édifié pour extraire les éléments minéraux divers et les convertir en combustible lent grâce à une machinerie alimentée en tritium 4. L’approvisionnement en eau n’était pas un problème, même à l’époque de sa conception, considérant la réserve de glace à la surface terrestre.

— Aie ! s’écrie-t-elle en se dénudant.

Elle n’a pas pris le soin s’ausculter en détail après son retour au Berceau. Elle se souvient avoir chuté lourdement sur la glace, mais sans en garder a priori de séquelles. Pourtant, là, dans le dos, du côté droit…

Elle grimace encore en tâtant au-dessus de son rein. Le miroir radiant à effet de jour lui renvoie une ecchymose suintante à l’endroit où s’insinue la tête d’un cathéter. Selon le protocole, elle se doit de conserver les aiguilles fixées dans les zones stratégiques de son corps, afin de n’avoir qu’à emboutir les raccords lors de l’endossement du sac de survie. Elle se tourne, s’arc-boute pour mieux apercevoir une vilaine plaie. L’agrafe de maintien a déchiré légèrement le muscle. Suffisamment pour craindre une infection sans soins immédiats.

L’eau, tiède d’abord, la soulage un bref instant, mais elle s’entend gémir lorsque la petite plaie s’assouplit sous le fluide.

Au même instant, l’écran de contrôle du secteur sanitaire du bunker s’allume. Sylvia reste interdite. Seule la douche est mouvement dans la lumière tamisée. En face d’elle, cet œil virtuel avec son bip de mise en veille semble la scanner.

Impossible ! pense-t-elle, je ne l’ai volontairement pas déclenché tout à l’heure… Qu’est-ce que c’est que ce bordel !?

Il est en effet impossible qu’une anomalie se répète alors qu’elle y a précédemment intégré un pare-feu adéquat.

Après s’être soulagée malgré tout et soignée de plus près, elle s’affaire à auditer toutes les tablettes, tous les écrans puis le central informatique. Sans être une technicienne dans ce domaine, elle connaît les manipulations élémentaires de vérification.

R.A.S, tout semble normal et opérationnel.

Pourquoi ces déclenchements aléatoires ? pense-t-elle ense levant soudain de son siège.

Un pressentiment : il n’y a rien d’aléatoire dans tout ça. Les écrans de proximité s’allument lorsqu’elle émet un son, lorsqu’elle parle. Ce n’est pas normal ! Elle a beau visualiser dans sa tête tous ses faits et gestes depuis le premier incident, cela est clair. Le programme d’origine, elle en est sûre, n’intègre pas ce genre de fonctionnement.

Sylvia est mal à l’aise, car son comportement semble dès lors scruté par une autre intelligence. Une intelligence capable de s’immiscer dans le programme, de capter les données. Visualiser sans doute l’intérieur du Berceau.

Il y a donc une autre présence que les habitants du Berceau dans cette contrée ! Éloignée ou non, il existe une entité dotée d’un savoir-faire informatique.

Cela la renvoie bien avant la conception du Berceau du Nouvel Homme avec l’équipe. Du temps où, pourchassés par la faction paramilitaire de la Confédération, Craig, Mickaël, Adriana et elle avaient subi le harcèlement des chasseurs et des drones d’attaque. La mission de son équipe avait réussi de justesse et leur idéologie avait été épargnée, mais à quel prix !...

Aujourd’hui, il faut craindre encore. Deux cent quarante-cinq ans plus tard, les faits se répéteraient-ils ? Et dans quel but pour les éventuels survivants de la planète gelée ?

Pourquoi tant d’intérêt pour moi ? pense tristement Sylvia.

Raisonner… Il faut raisonner et reconnaître qu’une intention malveillante soit déjà passée à l’action.

Pourtant, à ce niveau de technologie avancé, j’aurais dû être repérée dès ma première sortie, et mon sort, déjà scellé !

À moins que…

À moins que je ne sois jaugée ou étudiée d’une certaine façon, comme un cobaye ! Dans ce cas, je vais devoir jouer d’astuces et être constamment sur mes gardes.

Sylvia s’allonge, malgré l’inconfort de ces réflexions, sur sa couche étroite, s’administre un mélange d’anxiolytiques et de somnifères. Elle se sent bientôt légère, comme un fluide glissant entre la glace et le brouillard, la respiration lente et profonde, les paupières mi-closes. Soudain, une idée surgit violemment, elle se redresse en grimaçant sous la brûlure de sa plaie.

Et si on se servait de moi pour nous piéger tous les deux avec Peter ?

Mais quelle sorte de marchandage offraient-ils vraiment alors que la planète Terre était à l’agonie ?

Ou à un nouvel état embryonnaire !

IL

L’Alien a une nouvelle identité depuis son adoption par les habitants des glaces.

Désormais il est « Taadika » (Celui qui vient avec le vent).

Les progrès pour apprendre la langue des « primaires » ont été rapides. Un mélange de sons gutturaux nuancés et de cris retenus accompagnés de gestes. Dans cet univers glacé, il n’y a pas de besoin d’expression véritable, toute action étant tournée vers la survie du groupe. L’âpreté de la vie excluant la construction de phrases complexes.

Selon le contexte et l’association de gestes, le nom « Taadika » peut signifier d’autres choses chez les « primaires ». L’alien l’a bien assimilé sans y attacher une grande importance, mais en reconnaissant tout de même le côté pratique en ces lieux. En effet, ce nom hurlé, même dans le vacarme du vent, reste bien audible…

Maintenant, Taadika considère ses hôtes différemment. Si ceux-ci gardent globalement un comportement animal, basique en apparence, ils sont cependant dotés de belles capacités intellectuelles, parfois méconnues d’eux-mêmes dans certains domaines. Un peu comme s’ils avaient oublié leur véritable potentiel au fil des temps.

Taadika, conditionné à exécuter des missions, avait su y trouver une certaine dynamique. Jusqu’à appréhender un tout nouveau sentiment, celui du plaisir.

Oui, le plaisir d’enseigner pour augmenter la volonté d’action de ce peuple et répondre ainsi à leurs questions existentielles.

À condition de pouvoir étoffer l’équipement technique présent et d’être efficacement secondé.

Le rapatriement des cocons cryogéniques avait été un épisode sensible pour la communauté. Bien que se ressemblant tous, les aliens, réveillés de leur sommeil cryogénique, présentaient quelques différences subtiles. Des comportements et des attitudes en cours d’évolution pour certains. Cela déstabilisait les « primaires ».

Ils avaient l’air à la fois si détachés de leur propre sort et tellement focalisés sur une mission non révélée véritablement ! Qu’en serait-il de leurs fonctionnements avec le temps ? Quelles seraient leurs réelles intentions vis-à-vis de la jeune communauté ? Et puis, ces aliens étaient-ils présents sur d’autres territoires dont même les « primaires » ignoraient les frontières ?

Frontière : curieuse notion pour ce peuple indigène. Le « Peuple des Glaces ».

Pressentant leurs interrogations, pouvant engendrer la méfiance, Taadika choisit de procéder par étape. Les nouveaux arrivants seraient réveillés en fonction des besoins. Il fallait réaliser un stockage d’Êtres de savoir et de science, ceux-là même tombés du ciel…

De toute façon, Taadika avait besoin de ses semblables pour mener le grand projet à son terme.

Il devait bâtir une cité solide et sûre, aussi viable que possible, sans lésiner sur l’équipement technologique. Cela ne pouvait donc s’envisager sans l’apport et le savoir-faire des maîtres en la matière ; ceux qui venaient d’ailleurs dans leur étrange cocon.