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Le 6 décembre 1921, la Cour pénale de Liverpool se réunit pour juger la responsabilité de la White Star Line dans le naufrage du Titanic, survenu neuf ans plus tôt. Alors que le procureur semble avoir l’avantage, le président de la compagnie adopte une défense audacieuse en accusant le commandant et l’équipage, afin de prouver la solidité du « paquebot de rêve » pour sauver la réputation de la firme. Ce procès, fondé sur des documents historiques et les récentes explorations de l’épave, plonge le lecteur dans une joute judiciaire fascinante. Le plaideur parviendra-t-il à restaurer l’honneur d’une entreprise condamnée d’avance par l’opinion publique ? Découvrez les vérités cachées derrière le plus célèbre naufrage de l’histoire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Vincent Gobin, historien-juriste et enseignant-chercheur, conjugue son expertise en droit et en histoire avec sa passion pour le théâtre. Comédien et metteur en scène au sein de la Compagnie des Cordeliers, il signe des pièces à la fois sombres et percutantes, explorant des thèmes historiques, judiciaires et politiques. Ses créations allient rigueur académique et intensité dramatique, offrant des récits profondément humains.
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Seitenzahl: 151
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Vincent Gobin
Requiem pour un naufrage
Le procès du Titanic
Théâtre
© Lys Bleu Éditions – Vincent Gobin
ISBN : 979-10-422-4698-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La Chambre criminelle de la Couronne, dans le comté de Merseyside
Liverpool, décembre 1921
N.B. :
La pièce étant destinée à un public francophone, son action obéit aux règles du procès pénal romano-germanique afin que les spectateurs y trouvent facilement leurs repères. La procédure est donc inquisitoire plutôt qu’accusatoire (comme le voudrait la common-law) ; les conclusions de l’instruction étant défendues par un procureur du roi (laquelle fonction n’existe que dans les pays de tradition romaniste). La disposition du plateau répond également à la configuration pratiquée en France plutôt qu’en Grande-Bretagne.
Pour la même raison, toutes les unités de mesure sont empruntées au système français.
Scénographie
La scène est habillée dans les tons boisés et solennels d’une salle d’audience de l’entre-deux-guerres.
Au centre : la barre des dépositions, orientée en direction du public.
Côté jardin : un chevalet et les écriteaux nécessaires, déjà en place ; une petite baguette en bois reposant à leur côté.
Côté cour : le bureau du procureur sur une petite estrade, légèrement orienté vers le public, pourvu d’un sous-main recouvert de plusieurs papiers, d’un porte-documents en cuir, d’une règle en fer, de crayons à papier, d’un verre, d’une carafe d’eau, de cigarettes de théâtre, d’un taille-crayons à manivelle et d’un briquet.
Au lointain, vers cour : un tableau à craie, équidistant entre le bureau du procureur et la barre.
***
Ce dispositif place les spectateurs dans la position des jurés (et non celle du public d’une salle d’audience).
Personnages
Matthew Gillingham (en costume de ville)
Dans la force de l’âge et d’une parfaite instruction, cet avocat de formation assume par intérim la présidence de la White Star Line qui affrétait le paquebot. Modèle d’application et de minutie, il met tout en œuvre pour faire entendre des arguments auxquels il croit sincèrement, mais dont il occulte souvent ce qu’ils peuvent avoir d’heurtant au regard des circonstances…
David contre Goliath dans ce duel judiciaire, il fait montre d’une remarquable résilience dans la joute.
Le Procureur du roi (portant la robe)
D’un cœur humaniste qui le rend perméable à la souffrance des disparus ou de ceux qui les pleurent, ce magistrat « de la vieille école » est dominé par la rage que lui inspirent ces nombreuses vies inutilement détruites. Ce sentiment viscéral le pousse à se montrer cassant et gratuitement sarcastique.
Sa prestance, renforcée par le décorum judiciaire, l’incite aussi à écraser son contradicteur d’une façon parfois abusive.
Format
Acte unique (avec possibilité d’entracte).
Durée estimée : 2 h 30 en scène.
N.B. :
Émancipé de la convention du théâtre classique, le découpage par scènes ne correspond pas à l’entrée ou la sortie d’un personnage, mais sert seulement à structurer différents temps dans le dialogue, entrecoupés d’une légère pause dans le jeu des comédiens.
Utile aux acteurs, ce séquencement restera insensible pour le public.
Prélude
Scène I : Ouverture
Scène II : Les alternatives
Scène III : Les embarcations
Scène IV : L’évacuation
Scène V : Les passagers
Scène VI : L’équipage
Scène VII : Le commandant
Scène VIII : La navigation
Scène IX : La vigie
Scène X : Le bâtiment
Scène XI : La coulaison
Scène XII : La manœuvre
Scène XIII : La faille
Scène XIV : Les secours
Scène XV : La supplique
Scène XVI : Le réquisitoire
Clôture
Si l’instance judiciaire représentée est entièrement fictive, l’intégralité des faits et des éléments d’analyse débattus émanent d’explorations scientifiques réalisées sur l’épave du Titanic.
Du fond de l’affaire, rien n’est inventé.
La pièce Requiem pour un naufrage, Le Procès du Titanic a été présentée au public au Théâtre de L’Étincelle, du 30 juin au 21 juillet 2024, dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, dans une version raccourcie à 1 h 35, interprétée par la compagnie Les Cordeliers.
Distribution :
MATTHEW GILLINGHAM : Amaël Godin.
LE PROCUREUR DU ROI : Vincent Gobin.
LE PRÉSIDENT (voix off) : Benjamin Dutel (non crédité).
UN HUISSIER (voix off) : Vincent Gobin (non crédité).
Création technique :
Scénographie : Benjamin Dutel.
Régie technique : Pierre Coaillet, Thomas Lesage.
Régie plateau : Clélia Damade.
Il n’y a ni richesse ni force, que d’hommes.
J. Bodin, Les six livres de la République, 1576.
Le plateau s’éclaire à mi-intensité, sur le fond sonore d’un bruit de foule feutré, durant une trentaine de secondes qui permettent de découvrir le décor.
Seul dans cette semi-pénombre, le Procureur passe en revue quelques documents.
UN HUISSIER (en off) : Le très honorable Juge Wolsey préside la 23e journée d’audience du procès de la Couronne contre la White Star Line Compagnie.
Le plateau s’éclaire entièrement. On entend quelques bruits de portes, de pas et d’installation durant lesquels le Procureur se lève, salue d’un signe de tête le magistrat (qu’il situera au centre, légèrement au-dessus du public) puis se rassoit. Il pourra tailler un crayon à papier durant les allocutions à suivre.
LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE (en off) , d’un ton lent et débonnaire : Bonjour à vous, Mesdames-Messieurs et, si je puis me permettre : une très belle St Nicolas – journée de notre Saint Patron, ici à Liverpool, en ce 6 décembre 19211.
Ainsi donc, comme nous le disions hier, la Chambre criminelle du Comté de Merseyside reçoit aujourd’hui la déposition de Monsieur Matthew Gillingham, en sa qualité de Vice-Président de la White Star Line. Nous lui consacrerons l’intégralité de la matinée.
Huissiers, voulez-vous bien faire entrer, s’il vous plaît ?
[Gillingham s’avance à la barre sous le regard de prédateur du Procureur]
Bien. Comparaissant comme représentant et organe de la société de commerce inculpée, vous êtes dispensé de la prestation de serment, Monsieur Gillingham – mais vous savez déjà tout cela, n’est-ce pas…
[Gillingham esquisse un sourire discret]
Vous aviez formé une demande particulière en vue de la présentation de documents au jury ; je devine que ceci est à votre disposition…
M. GILLINGHAM, respectueux, avisant le chevalet et les écriteaux : Absolument.
LE PRÉSIDENT (en off) , sur le ton de la conclusion puis de l’apostrophe : En ce cas : Monsieur le Procureur du Roi…
LE PROCUREUR DU ROI, se levant : Je vous remercie Votre Honneur.
Monsieur Gillingham ; si vous me permettez de ne pas vous appeler « maître », étant donné que vous avez quitté le barreau et que vous n’êtes pas co-défenseur dans cette affaire…
M. GILLINGHAM, respectueusement : Je vous en prie.
LE PROCUREUR : Je m’adresserai donc à vous en tant que représentant de la Compagnie que vous présidez et non pas comme auxiliaire de justice.
M. GILLINGHAM : C’est naturel…
LE PROCUREUR, portant une fiche à ses yeux : Né en juin 1886, à Londres, dans le quartier de Chelsea, vous obtenez votre Degré de droit privé début 1911 et prêtez serment en tant qu’avocat dans la foulée. La même année, vous entrez au service de la White Star, comme 1er assistant dans son département de défense juridique ; position qui vous a conduit, l’année suivante, à « piloter » – j’ignore si on peut le dire ainsi – la campagne de presse qui a suivi le naufrage.
[Un brun condescendant]… Ce qui a incité la Défense à nous rappeler longuement, hier après-midi, que vous n’exerciez aucune fonction directionnelle au moment des faits –, précision d’autant plus indispensable que personne ne le remettait en question…
[Se détournant de ses notes] Toujours est-il que votre voix s’est en quelque sorte « imposée » parmi les défenseurs de votre société, avec, dira-t-on, les encouragements et l’aimable reconnaissance d’une bonne part de la profession journalistique…
[Saisissant une coupure de presse] Le Daily Mirror parmi d’autres, avait salué, dans ce papier en date du 4 mai 1912, votre « application à apporter des réponses construites dans la gestion “proactive” – [au jury, s’étonnant du terme] c’est dans le dictionnaire ! – d’une crise sans précédent ».
[Regardant Gillingham dans les yeux] Vos parents ont dû être très fiers... !
M. GILLINGHAM, avec un sourire maîtrisé : Mes parents ne lisent pas le Mirror.
LE PROCUREUR, mettant l’article de côté : On le leur fera parvenir…
[Reprenant sa lecture avec rythme] Mobilisé en 1915, vous effectuez plusieurs mois de service dans un bataillon d’infanterie, avec lequel vous prenez part aux batailles de l’Artois, avant d’être affecté à l’administration centrale des transmissions, avec le grade de capitaine.
M. GILLINGHAM, confirmatif : C’est cela.
LE PROCUREUR, poursuivant : Nommé 3e Vice-Président de la White Star Line après la guerre, vous assumez la présidence de son conseil, par intérim, depuis le 2 septembre dernier, suite aux démissions successives de vos différents devanciers ;
[Entre le compliment et la dérision] Ce qui fait de vous – j’ai vérifié – le 4e plus jeune dirigeant du pays pour une firme de cette importance ; et encore les trois premiers ont-ils hérité d’une position familiale, ce qui n’est pas votre cas…
M. GILLINGHAM, se raidissant dans l’attente des coups : Effectivement.
LE PROCUREUR : L’issue de cette brillante ascension vous aura donc amené à représenter en ces murs la personne morale dont vous êtes de facto devenu le tout premier organe ; et qui se trouve, en l’espèce, poursuivie des chefs d’inculpation [en lecture] de mise en danger de la vie d’autrui, au titre de l’exposition des 711 rescapés à un risque immédiat de mort par noyade, et d’homicide involontaire causé par une négligence qualifiée, en violation d’une obligation particulière de prudence, au titre des 1 490 personnes déclarées disparues ou décédées, des suites du naufrage du RMS Titanic, survenu dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 avril 1912, dans le secteur dit « des Grands bancs », au large de Terre-Neuve, sur le trajet qui devait le voir rallier New York depuis Southampton.
[Se tournant vers le public en se rasseyant] Je rappellerais donc à mon tour au jury que Monsieur Gillingham n’est accusé de rien en son nom personnel et n’encourt évidemment aucune sanction pour lui-même. Il doit plutôt être perçu comme… Je dirais « l’incarnation », à cette barre, du sujet de droit abstrait qu’est sa Compagnie ; responsable quant à elle de la disparition en mer de près de 1 500 individus dans le naufrage de son plus grand transatlantique.
M. GILLINGHAM, réactif : Ce que nous contestons.
LE PROCUREUR, aussitôt : Le naufrage ?
M. GILLINGHAM : La responsabilité.
[Enchaînant à destination du jury, en tirant un document de la poche intérieure de sa veste] J’ajouterais que le conseil d’administration de la White Star Line m’a autorisé à prendre un engagement envers les ayant-droits de tous les disparus, en vue de leur indemnisation, quelle que soit l’issue du procès, à hauteur de…
LE PROCUREUR, l’interrompt : Monsieur Gillingham… Dans la mesure où cet échange n’est pas une interview pour le Daily Mirror, je me contenterai quant à moi d’une parole moins proactive que réactive ; ce qui sous-tend que vos réponses devront attendre mes questions.
Vous aurez tout loisir d’agiter vos hochets financiers devant les photographes, aux marches du Palais ; dans son enceinte il n’est question que de Justice, et elle n’est guère sujette aux transactions.
[Gillingham range discrètement le papier qu’il espérait lire]
D’autant plus qu’il m’a semblé lire que cette indemnité amiable devait être indexée sur le prix initial de la croisière ; ce qui laisse présager un fossé vertigineux entre les morts de 3e classe à 3 £ à peine le billet, et ceux de 1re dont le séjour à bord du Titanic a pu coûter jusqu’à 870 £… !
[Grinçant] Fort heureusement pour votre trésorerie, les morts de cette valeur furent cinq fois moins nombreux…
M. GILLINGHAM, rapidement : À ceci près toutefois que…
LE PROCUREUR, délibérément brusque : Mais je n’ai pas le souvenir d’avoir formulé une question… !
[Après un instant suspendu, s’adressant au jury avec emphase]
Messieurs les Jurés, avant de prétendre réparer le mal, il est indispensable d’en détruire la cause… Vous êtes réunis ici, au service du Roi, pour châtier les coupables et prononcer, au nom de Sa Majesté, les condamnations qui s’imposent…
[Se tournant vers Gillingham] Car enfin, il faut bien qu’il y ait des responsables !
[Avec ironie] À moins que vous ne préfériez croire en la fatalité…
M. GILLINGHAM : C’est une question ?
[Après un échange de regards tendu] Ce que je crois, Monsieur le Procureur, c’est qu’il est certains responsables que l’on n’a pas le droit de juger.
LE PROCUREUR : Tiens donc !
[Traçant des circonvolutions dans l’air] Et en vertu de quelle sorte d’immunité… ?
M. GILLINGHAM, d’un ton grave : Parce qu’ils n’appartiennent plus au Monde des Hommes ; lorsqu’ils ont eux-mêmes péri des suites de leurs fautes…
LE PROCUREUR, dans une crispation presque menaçante : Qui accusez-vous très précisément, Monsieur ?
M. GILLINGHAM : La Compagnie n’accuse personne… Nous rappelons seulement la responsabilité majeure, irrécusable et objective des marins qui se trouvaient à bord…
LE PROCUREUR, les sourcils froncés : Que je sois bien sûr de vous suivre…
Pour dédouaner la White Star Line, vous voudriez rejeter la faute sur les membres de l’équipage en leur faisant porter la responsabilité du naufrage ?
M. GILLINGHAM : Du naufrage, pas nécessairement ; mais du drame c’est une certitude.
LE PROCUREUR : Quelle différence ?
M. GILLINGHAM : Le naufrage est une réalité physique, qui correspond à la disparition en mer du Titanic. Mais aujourd’hui ce n’est pas la perte du bâtiment qui pose problème – la Compagnie y a fait face. Le drame dont il est question à présent répond à la gestion de cette avarie. Une gestion foncièrement humaine. Or, si ladite gestion avait été plus performante…
LE PROCUREUR, l’interrompt : « Performante » ?
M. GILLINGHAM, pour arrondir son propos : À tout le moins, plus raisonnée, plus pragmatique ; le naufrage n’aurait pas viré au drame.
LE PROCUREUR, anticipant la conclusion :… Parce qu’il y aurait eu moins de victimes ? Mais même en admettant qu’un certain nombre d’erreurs humaines aient pu aggraver le bilan – ce qui resterait à démontrer – à partir de quel chiffre le « ratio de pertes » aurait-il été raisonnable, selon vous ?
À 1 500 morts, c’est un drame ; au-dessous du millier, c’eut été un accident ; à moins de 500, un fait divers ; à 170, une péripétie?
M. GILLINGHAM, d’une voix blanche et concentrée : Aucun, Monsieur. Aucune vie sacrifiée.
D’après nos simulations, toutes les personnes présentes à bord pouvaient théoriquement être sauvées, jusqu’au dernier des passagers.
LE PROCUREUR, dans un léger mouvement de recul : D’après vos « simulations »…
M. GILLIGHAM, avec plus d’allant : Une quarantaine d’expériences au total, conduites entre mars 1919 et septembre 1920, à partir des maquettes de construction du Titanic, par une équipe de 9 experts internationaux qui ont été rémunérés forfaitairement, avant le début de leurs travaux, pour en garantir l’impartialité.
LE PROCUREUR, songeur : Une organisation millimétrée…
M. GILLINGHAM, s’orientant vers le chevalet à Jardin : Si vous me permettez d’en faire une présentation sommaire…
LE PROCUREUR, ironiquement : Oh j’en suis vraiment très curieux…
[Avisant le public] Et je suis sûr que nos jurés brûlent de savoir comment, en l’espace de 2 h 40, les 8 officiers de bord et les 43 marins d’équipage ont trouvé le moyen de scier leur navire planche après planche en se répartissant bien les tâches et les outils… !
M. GILLINGHAM, d’un ton mat : Avec tout le respect que j’ai pour votre fonction, ne croyez-vous pas, Monsieur le Procureur, qu’un sujet comme celui qui nous préoccupe intime une certaine gravité qui doit dispenser du sarcasme ?
LE PROCUREUR, pénétré : Le sujet fait bien plus que nous préoccuper, Monsieur : il nous hante… Et ce n’est qu’avec des précautions infinies que l’on peut se risquer à manipuler quoi que ce soit de sa vérité…
M. GILLINGHAM, désireux de poursuivre : Je serais donc très précautionneux en vous proposant les cinq principales alternatives auxquelles ont pensé nos experts.
LE PROCUREUR, pour casser la dynamique : Commencez par une, on se fera une idée…
M. GILLINGHAM, présentant à l’aide d’une baguette le plan en coupe du navire installé sur le chevalet : Avant tout, comme vous pouvez le voir sur cette coupe longitudinale, la coque du Titanic se divise en pas moins de 16 compartiments – tous pareillement étanches – dont seuls les 5 premiers, ici, ont été directement impactés lorsque le paquebot fut éperonné par l’iceberg. La collision s’est donc produite au niveau des 4e et 5e compartiments2, d’après la ronde d’observation effectuée par Thomas Andrews – l’architecte du Titanic, qui était présent à son bord.
[Avec pédagogie] Il faut en déduire que les 11 cales laissées intactes par le choc se sont progressivement remplies au rythme d’une douzaine de minutes chacune, entre environ 0 h 103 (heure de saturation des 5 premières) et 2 h 20 (quand le Titanic a pleinement sombré).
[Faisant quelques pas entre le chevalet et la barre] Parallèlement, le Carpathia, qui a porté secours aux rescapés, est parvenu sur les lieux à 5 h 30 du matin, par 41° 46′4 de latitude Nord et 50° 24′ de longitude Ouest. Or, le signal transmis par les télégraphistes du Titanic renseignait une position de 50° 14’ Ouest ! 14 minutes au lieu de 24 ! Cette erreur d’un chiffre équivaut en fait à 9 miles5 nautiques, soit 17 km de distance !
[Devenant professoral] Comprenez qu’à son allure de 15 nœuds, le Carpathia a dû mettre aux environs de 40 min pour accomplir un tel détour ; ce qui signifie que sans cette erreur, Messieurs les jurés…
LE PROCUREUR, sur le ton d’un rappel à l’ordre :