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Madame la commissaire Anita Rubence se rend dans les Côtes d'Armor savourer quelques jours de repos après avoir résolu l'affaire des meurtres à l'arbalète. Mais voilà qu'à peine arrivée à Landrellec, où Birgit, une amie, lui a prêté sa maison, Maryse, la voisine, lui confie ses problèmes.
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Seitenzahl: 207
Veröffentlichungsjahr: 2024
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« La justice, c’est comme la Sainte Vierge, si on la voit pas de temps en temps, le doute s’installe »
Michel Audiard
Epigraphe
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
RETROUVEZ ICI LA VERSION AUDIO DE
DU MÊME AUTEUR
REMERCIEMENTS
Fort de sa carapace et solidement ancré sur ses six pattes arrière, le crustacé se défendait pinces grandes ouvertes. Anita se demandait à quoi pouvait bien penser un crabe, et puis, est-ce que ça pense un crabe d’abord !? Elle souleva le bâton avec lequel elle le harcelait et celui-ci s’éleva dans les airs sans pour autant lâcher sa prise. Anita observait du coin de l’œil une mouette qui fixait la scène en pensant certainement récupérer le crabe pour en faire son petit-déjeuner ! Mais, il n’y avait pas plus de raison pour qu’une mouette pense davantage qu’un putain de crabe !! Elle allait le becqueter un point c’est tout. Madame la commissaire reposa la bestiole sur le sable en lui concédant le bâton, pensant qu’il allait en avoir fort besoin pour éloigner le volatile qui raillait déjà de plaisir. Elle s’éloigna d’un pas, laissant au crabe le temps de se protéger sous un rocher. Preuve en était qu’un crabe ne pensait pas, il restait immobile, le bâton dressé dans la pince droite tel un Templier partant en croisade. La chaîne alimentaire était peut-être en relation avec la taille du cerveau, pensa-t-elle. Cela lui rappelait un salopard qu’elle avait serré alors qu’il tenait un pistolet en plastique braqué sur elle. Finalement, un mec con comme un crabe. Elle n’avait pas fait cent mètres que la mouette s’attaquait déjà à son petit-déj’.
Nous étions en septembre, et après avoir résolu l’affaire des meurtres à l’arbalète, Anita avait ressenti la nécessité de faire un break. La pression subie lors de cette enquête qui avait défrayé la chronique, l’avait littéralement lessivée. Elle avait demandé à l’une de ses amies la possibilité d’aller se poser en Bretagne, celle-ci lui avait remis les clés de sa maison secondaire à Landrellec. La vague déferlante de touristes s’étant retirée, les habitants avaient réinvesti leur territoire. Le soleil était encore clément et les températures acceptables. Anita écoutait le sable crisser sous ses pieds, s’incrustant entre ses orteils à chaque enjambée. L’air et le cri des mouettes étaient propices à la réflexion. Elle pensait à sa vie sentimentale, et ce n’était pas très folichon. Bien sûr, elle avait aimé et avait été aimée en retour mais les saloperies de la vie ne l’avaient pas épargnée. Un connard de chauffard, que l’on n’avait jamais identifié, lui avait arraché son aimé. Alors la fureur avait commencé à lui rendre visite comme un feu dévastateur, brûlant son âme de désir de justice. Vingt-cinq ans plus tard, elle était maintenant commissaire principale de la police criminelle de Dijon. Elle avait une trentaine d’inspecteurs sous ses ordres. Thomas, son inspecteur principal, la remplaçait le temps de son absence. Elle leva la tête et crut reconnaître la mouette qui partait au loin, une patte de crabe dans le bec. À bientôt quarante-cinq ans, elle était là, les pieds dans la vase, la tête dans les nuages et le cœur à marée basse.
La sonnerie de son téléphone portable la sortit de sa rêverie.
- Ouais !
- Salut Anita, c’est Loïc…
- Loïc ! s’exclama-t-elle surprise. Alors ça, ce n’est certainement pas une coïncidence, je me trompe ?
- Birgit m’a appelé pour une affaire en cours et du coup, elle m’a laissé entendre que tu étais dans le coin.
- Tu m’étonnes !
- Un petit moules-frites ce soir ça te dirait ?
- Pourquoi pas.
- Au Vieux Rafiot, comme autrefois ?
- Tu ne me ferais pas le coup du vieux nostalgique des fois ?
- Allez, fais pas chier, 20 heures, ça te va ?
- C’est bien parce que c’est des moules. Elle raccrocha.
Loïc Bretéché, un vrai breton celui-là, appelé plus couramment, Monsieur le divisionnaire. Il avait fait du chemin depuis Clermont-Ferrand. Elle était alors sous ses ordres, il était commissaire, elle était inspecteur. Elle avait su sortir du lot et ils avaient fait du bon boulot ensemble. Et puis de fil en aiguille…
Le Vieux Rafiot n’avait pas rajeuni lui non plus et osait encore afficher une déco de filets de pêche où étaient accrochés étoiles de mer et autres trophées un peu démodés. Mais bon ! L’ancien patron aimait dire, à qui voulait bien l’entendre, que son rafiot avait trois étoiles ! Anita n’en comptait plus que deux et la mouette empaillée, clouée sur une poutre, ne devait pas y être pour grand-chose. Bretéché était là, debout, sirotant un petit muscadet au bar avec le nouveau capitaine du rafiot. Apercevant la commissaire, il posa son verre sur le comptoir et ouvrit grand les bras pour l’accueillir.
- T’en ferais pas un peu trop là ? lui lança-t-elle tout en se laissant enlacer.
- Je suis vraiment content de te voir tu sais ! Viens que je te présente Yffic, c’est lui le nouveau taulier et de plus, c’est lui qui tient les fourneaux, et crois-moi, il connaît son affaire.
Anita serra la main qui lui était tendue et accepta le verre que l’autre main lui offrait. L’homme était jeune, dans les trente-cinq ans, beau gosse, visage amical et visiblement très accueillant.
- Yffic est le neveu de Gaël, tu te souviens ? Lessart, Gaël Lessart, l’ancien proprio.
- Ouais, ouais bien sûr, répondit Anita, comment aurais-je pu l’oublier ? Franchement !
- Bienvenue à bord, lança le beau gosse.
Il l’invita à trinquer et ils firent tinter leur verre l’un contre l’autre. Anita remarqua alors la couleur océan de ses yeux et admira sa magnifique moustache et sa chevelure rousse. Ils avaient cela en commun, à part la moustache évidemment.
- Ce sont des retrouvailles, si j’ai bien compris alors je vous confie à notre douce Lucille qui va vous installer, moi, il faut que je retourne en cuisine. Ravi de faire votre connaissance, termina-t-il en se retirant.
Lucille était ravissante avec son t-shirt marin. Ils se laissèrent guider, verre à la main, jusqu’à une table près de la baie vitrée. La vue sur le port était agréable. Ils s’installèrent et le divisionnaire posa la bouteille de muscadet qu’il avait prise sur le comptoir.
- Alors, comment vas-tu ? attaqua-t-il.
- Ben tu vois, on survit.
- Tu fais du bon boulot à Dijon d’après ce qu’on dit !
- D’après ce qu’on dit, ouais ! Tu parles de Birgit là ?
- Nan, monte pas sur tes grands chevaux tu veux ! T’as pas changé hein, toujours sur la défensive ! J’ai eu l’occasion d’avoir le grand serin au téléphone et on a causé. Quoi, c’est tout.
Le grand serin était le surnom que l’on donne au commissaire divisionnaire de Dijon, dont Anita dépendait.
- Ah oui, je vois le tableau. T’es allé à la pêche aux infos en fait ?
- Ben quoi, on n’a pas le droit de prendre de tes nouvelles ? Si je devais attendre que tu m’appelles…
- Bon, on n’est pas parti du bon pied là, raconte plutôt, toi.
- Oh, quoi dire… Boulot à fond, les enfants ont quitté le bercail alors Béa tourne un peu en rond, le temps qu’elle s’acclimate tu vois, tout ce qu’il y a de plus banal. Et toi, t’as quelqu’un en ce moment ?
- Ah, nous y voilà. Ça t’intéresse tant que ça de…
Anita n’eut pas le temps de finir sa phrase que Lucille leur apportait déjà un grand faitout rempli de moules odorantes.
- Je vous apporte les frites, vous désirez autre chose ?
- Non merci Lucille, c’est parfait comme ça. La jeune serveuse s’éloigna et Anita reprit.
- Ben non tu vois, personne. Pas tellement le temps de m’occuper de moi.
- Ouais, ben tu devrais prendre le temps, parce que tu sais…
- Ouais je sais, ça passe vite et patati et patata.
- Tiens, attention ! Les voilà tes patata.
Lucille posa un grand saladier de frites sur la table, leur adressa un grand sourire et repartit à son service.
- Bon, toi t’as besoin de souffler un peu on dirait.
- Ah ça, c’est Birgit !
- Arrête tu veux, t’es chiante. Si j’organisais une petite pêche en mer, tu serais partante ? Y z’annoncent du beau demain, en revanche, faudrait que tu viennes jusqu’à Saint-Brieuc.
- Allez, ok pour une petite partie de pêche, répondit-elle enthousiaste.
À 9 heures le lendemain, la mer était à son plus haut et Anita embarqua sur un autre type de vieux rafiot.
- Ça va, tu n’as pas eu trop de mal à trouver ?
- Du velours, à part la rocade où ça bouchonne grave avec leurs travaux à la con, j’ai cru que je n’arriverai jamais.
- Ah ouais, j’ai oublié de te le dire hier mais bon t’es là, c’est le principal. Allez, on décolle !
- Dis donc elle est pas mal ta coquille de noix !
- Tu sais combien je l’ai payée la coquille de noix comme tu dis ?
- Non, mais je m’en fous !
- D’accord, pose tes affaires dans la cabine et fais gaffe aux marches, elles sont raides.
Anita émit un petit sifflement.
- Purée, sympa, t’as raison, c’est un yacht !
- Te fous pas de moi, tu veux !
- On peut dormir à combien là-dedans, quatre ?
- Je n’aurais pas pu dire mieux Madame la commissaire.
- Là, c’est toi qui te fous moi, dit-elle en remontant sur le pont.
Loïc avait lâché les amarres et démarré le moteur. Il se tenait assis à l’arrière et dirigeait le voilier pour sortir du port. Anita était debout sur la dernière marche, accoudée au toit de la cabine, appréciant la petite brise qui faisait flotter sa crinière rousse pareil à un étendard.
- Qu’est-ce que tu préfères, criait Loïc pour couvrir le bruit du cinq chevaux, on reste au moteur et on pêche à la ligne un peu plus loin, ou on fait une balade à la voile ?
- T’avais parlé de pêche, non ?
- Ok, alors on va aller jusqu’à la Pointe des Guettes, il y en a pour dix minutes, y a du merlu làbas.
Après avoir jeté l’ancre et monté les cannes à pêche, nos deux compères étaient assis l’un à côté de l’autre à l’avant du bateau en sirotant un café que Loïc avait apporté dans un thermos.
- Alors, on n’est pas bien là ?
- C’est pas dégueu, répondit Anita. Et ta femme, elle aime bien le bateau ?
- Ben là tu touches un point sensible, c’est pas son truc du tout, mais moi tu vois, j’adore ce bateau et me balader avec. Ça me lave la tête à un point que j’en serais presque à relire les dossiers quand je retourne au bureau.
- Ouais ça je comprends sans problème. Finalement c’est mieux comme ça !
- Comment ça ?
- Ben que ça soit ton petit refuge à toi tout seul.
- Ouais, c’est pas faux.
- Et, t’emmènes souvent des pauvres femmes seules comme moi ?
- Tu vas pas me croire, t’es la première !
Ils rirent de bon cœur en levant leur gobelet d’un même geste.
- Je voulais te demander, continua Anita après avoir bu une gorgée de café, qu’est-ce qu’il est devenu le Gaël Lessard ?
- Ben, il est mort, tu savais pas ?
- Non, mais c’est bizarre, j’ai senti ça dans le ton de ta voix ! Et il est mort comment Lessard ?
- Pourquoi tu me demandes ça maintenant ?
- Parce que je n’ai pas osé hier au Vieux Rafiot, c’était gênant.
- Il s’est pendu.
- Merde alors, pourquoi tu ne me l’as jamais dit ?
- Parce que tu ne me l’as jamais demandé ! T’aurais pas fait le déplacement de toute façon.
- C’est pas une raison. Et c’est son neveu qui a repris ?
- Pas du tout, il avait déjà racheté le resto, au moins sept ans avant.
- Ben alors qu’est-ce qui s’est passé ?
- Un truc à la con, des mecs sont venus le trouver et lui ont monté le bourrichon sur une superbe affaire, soi-disant… Un complexe immobilier haut de gamme en train de se monter à Saint-Brieuc. Il y avait une belle place à prendre. Alors il s’est laissé embarquer, a vendu son Vieux Rafiot qui tournait à fond. C’est pas compliqué, il savait plus quoi faire de son fric. Son neveu n’a pas fait une mauvaise affaire remarque, alors que lui, il a investi dans un gouffre sans fond et quand il a compris qu’il avait fait une grosse connerie…
Le moulinet du lancer d’Anita se mit à se dérouler à toute vitesse et Loïc se leva brusquement, renversant son café.
- Non de dieu, prends ta canne et freine le fil, tu sais faire ?
- C’est où ton putain de frein là ?
Il l’actionna en se plaçant derrière elle, puis la tint par les épaules.
- Voilà, comme ça, laisse-le se fatiguer.
- Qui ça, le poisson ou le gros merlan qu’est derrière moi ?
- Qu’est-ce que t’es conne ! Vas-y maintenant ferre-le et mouline, ramène-le nom de dieu, ça à l’air d’être un beau morceau !
- Ah ouais tu crois ? Il se traîne non, il est peut- être trop vieux ?
D’un coup la canne se courba violemment et le fil cassa net, projetant Anita et Loïc l’un sur l’autre sur le bastingage.
- Je vais te montrer moi, s’il est trop vieux ton merlan !
Le soleil était au rendez-vous et Anita avait bien l’inten-tion d’en profiter. Elle avait décidé d’aller marcher vers Ploumanach pour admirer les rochers qui font la fierté de la fameuse côte de granit rose. Chaussures de marche aux pieds et sac sur le dos, elle sortit de la maison qu’elle verrouilla. Elle se dirigea vers sa voiture quand une femme, d’à peu près son âge, l’aborda.
- Bonjour, excusez-moi, je ne voudrais pas vous ennuyer, mais je crois savoir que vous êtes une amie de Birgit ?
- Oui, tout à fait. Bonjour.
- Je suis sa voisine, enfin vous voyez, la maison là-bas juste dans l’angle de la rue, dit-elle en montrant la maison du doigt.
- Oui, bon et bien, que puis-je faire pour vous ?
- Oh, je connais bien Birgit et je l’aime beaucoup, on marche souvent ensemble quand elle vient ici. Je sais qu’elle travaille dans la police et elle m’a parlé de vous. À moins que je ne me trompe, vous êtes bien commissaire de police ?
Aïe ! Anita n’avait pas du tout envie de ce genre de conversation. Elle prit sur elle en essayant de rester sympathique.
- Oui, et alors, lâcha-t-elle sans desserrer la mâchoire.
- J’aimerais vous parler de ma sœur qui a disparu cet été parce que j’ai l’impression que tout le monde s’en fout !
- Ah, ouais je vois. Écoutez, voyez avec la gendarmerie, je suis très loin de mon secteur et je suis en vacances, alors excusez-moi mais je ne peux rien pour vous, désolée.
Sans autre préambule, Anita jeta son sac à dos sur le siège passager et s’engouffra dans la voiture, claqua la portière et mit le contact. La femme frappa sur la vitre en se penchant légèrement. Anita démarra, laissant la voisine sur place. Zut ! Elle n’allait quand même pas se laisser emmerder dès les premiers jours, ça va ouais, c’est bon ! se dit-elle en prenant conscience de la grossièreté de sa réaction.
Arrivée à destination, elle gara son véhicule et emprunta le sentier côtier. Elle pensait toujours à cette femme et s’en voulait encore de l’avoir jetée comme une merde. Mais elle était comme ça Anita, très soupe au lait, ça débordait d’un coup sans qu’elle ne puisse contrôler quoi que ce soit, ça débordait c’est tout. Ses collègues étaient habitués à ses sautes d’humeur soudaine. Son visage virait alors au cramoisi. Pour cette raison, ils la surnommaient la Golmotte, ce champignon qui, lorsqu’on le brise, prend la couleur du vin rouge, d’où l’appellation, amanite vineuse ou encore, pour les plus férus, amanita rubescens. Alors vous pensez, avec un nom comme Anita Rubence, c’était une évidence ! Cela dit, personne n’aurait osé le dire à haute voix, de peur d’être foudroyé sur-le-champ. Thomas peut-être, pourrait tenter le coup, mais il n’avait pas encore osé franchir le Rubicon.
Anita marcha toute la journée, s’arrêtant juste une petite heure pour dévorer son sandwich et boire une petite bière qu’elle avait emportée dans son sac à dos. Elle avait fait une belle boucle, quinze kilomètres, ni plus, ni moins. Elle retrouva sa voiture là où elle l’avait laissée et retourna à Landrellec. Elle était claquée mais détendue, de bonne humeur, voire, prête à faire une bonne action. Arrivée devant la maison de Birgit, elle laissa son sac dans la voiture et marcha jusqu’au coin de la rue et sonna chez la voisine. Des pas claquèrent sur le carrelage et la porte s’ouvrit.
- Je suis désolée pour ce matin, commença Anita, j’avais juste besoin de décompresser.
- Je vous en prie, coupa la femme un peu gênée, vous n’avez pas à vous excuser, c’est ma faute, vous aborder comme ça dans la rue ! Je suis ridicule…
- Non, non, vous avez bien fait, c’est moi qui ne suis pas toujours agréable. Vous vouliez me parler de votre sœur, c’est ça ?
- De ma demi-sœur plus exactement, mais je vous en prie, entrez.
- Merci.
Elles allèrent dans le salon où trônait une magnifique maquette d’un trois mats. Anita tourna autour fascinée par la beauté du voilier.
- Quel travail incroyable ! Vous l’avez trouvé dans une brocante ? demanda Anita un peu naïvement.
- Non, c’est mon mari qu’il l’a fabriqué, c’était sa passion. Il y passait des heures. Il est décédé quelques jours après l’avoir terminé.
- Oh ! Je suis désolée !
- Vous ne pouviez pas savoir. Je n’ai jamais pu me faire à l’idée de le déplacer. Je vous en prie asseyez-vous. Un thé vous ferait-il plaisir ?
- Allez, va pour un thé, merci.
La femme disparut dans la cuisine et Anita courait déjà sur le pont du bateau, imaginant le grand mât gonflé par les vents qui l’entraînaient au large. Elle était sur le Belem, ce magnifique voilier construit à Nantes en 1896 qui rapportait des fèves de cacao du Brésil pour les chocolats Meunier. Il était, aujourd’hui, classé monument historique. Elle se souvenait l’avoir visité avec Loïc, mais cela faisait bien une bonne dizaine d’années.
Le tintement des tasses la sortit de sa rêverie.
- Vous savez que je suis montée à bord de ce bateau ?
- Sérieusement commissaire ?
- Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas en service, alors appelez-moi Anita.
- Pardonnez-moi, bien sûr Anita, moi c’est Maryse.
- Entendu Maryse. Alors dites-moi ce qui vous tracasse !
- Je n’en dors plus la nuit, figurez-vous. Ma jeune sœur Caroline… Comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas le même père, mais cela ne nous a jamais empêchées d’être très proches. Elle est venue passer plusieurs jours avec son amie Valérie il y a un mois aujourd’hui et elles ont disparu du jour au lendemain.
- Vous avez prévenu la gendarmerie je suppose ?
Maryse lui répondit tout en servant le thé. Anita en profita pour s’asseoir dans un fauteuil.
- Bien sûr, j’ai fait une déposition le lendemain, car je n’avais aucune nouvelle et elles n’étaient pas rentrées de la nuit. J’étais vraiment inquiète et je le suis encore plus aujourd’hui. Je suis retournée plusieurs fois à la gendarmerie de Perros-Guirec, mais à chaque fois on m’a répondu que ce n’était pas la peine que je me déplace comme ça et que l’on me tiendrait au courant dès qu’ils en sauraient davantage. Cela me rend folle vous comprenez ?
- Je comprends. Écoutez, je vais voir ce que je peux faire mais je ne vous promets rien. Par contre, je vous promets que je vais faire de mon mieux…
Anita était rentrée et elle avait pris une douche. Voilà que le boulot la rattrapait à nouveau. C’était bien sa faute, pensait-elle, mais elle n’aurait pas réussi à se sortir Maryse de la tête. C’était comme ça et elle devait l’aider. Elle avait encore le temps de passer à la gendarmerie avant la nuit et ensuite, elle irait dîner au Vieux Rafiot. Cuisiner n’était pas son truc, alors ce resto à cinq minutes de Landrellec était une aubaine. Le capitaine Trifalec était à la gendarmerie et la reçut dans son bureau.
- Vous avez de la chance de me trouver commissaire. Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de vous voir ?, lança Trifalec en l’invitant d’un geste rapide à prendre une chaise.
Elle resta debout et lui fit un résumé de sa position dans cette affaire, si affaire il y avait !
- Écoutez, c’est un peu délicat car pour l’instant nous essayons de ne pas trop ébruiter l’affaire, car oui, il y a bien une affaire. Mais bon, vous me dites bien connaître le divisionnaire Bretéché alors je pense pouvoir vous faire confiance en comptant sur votre discrétion ?
- Bien évidemment capitaine, merci.
- Eh bien, il n’y a malheureusement pas que ces deux jeunes femmes qui ont disparu. On en compte six maintenant.
- Purée ! Ce n’est pas une mince affaire dites donc, et de quand date la première disparition ?
- Trois ans à quelques mois près.
- Vous avez une piste ?
- Non, pas grand-chose. Ce sont principalement de jeunes touristes, uniquement des femmes, la trentaine.
- Principalement ?
- On a aussi une sexagénaire, disparue il y a un an environ, fortunée. Le frère était un promoteur bien connu dans la région.
- Pas de corps, pas d’indice, pas de lien entre elles ?
- Rien je vous dis, on est dans le brouillard total. Le divisionnaire est furieux, il commence à remuer la vase et ça ne sent pas bon pour nous, mais je ne sais même pas par où commencer !
- Toutes françaises ?
- Heu non, il y a une Allemande et une Hollandaise, les autres sont Françaises, une de Marseille et les deux que vous connaissez.
- Que je connais ! Comme vous y allez. À part les prénoms que m’a communiqué ma nouvelle voisine, si je puis dire, je ne les connais pas !
- Enfin, qui vous amènent je voulais dire. Eh ! Vous le connaissez bien le commissaire divisionnaire ?
- Ça fait bien une vingtaine d’années, je dirais. J’étais sous ses ordres à l’époque à Clermont-Ferrand.
- Ah oui quand même !
- Pas de témoin, pas de trace, elles avaient bien des sacs, vous n’avez rien retrouvé ?
- Rien je vous dis, à se manger les doigts ! éructa le capitaine, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’est la merde totale !
- Bon, je comprends, ce n’est pas toujours simple.
- Excusez-moi commissaire, mais je suis un peu sur les nerfs pour tout vous dire.
- On le serait à moins capitaine, on le serait à moins. Bon, je vais vous laisser. Merci de m’avoir mise au parfum.
- Vous en savez autant que moi maintenant, c’est vous dire !
Le lendemain matin, après avoir pris un bon petit-déjeuner composé principalement de café et de galettes bretonnes au beurre salé, Anita monta dans sa voiture avec bâton de marche et sac à dos. Elle s’arrêta boire un café au Vieux Rafiot et remplit son sac de sandwichs qu’elle avait commandés à Yffic la veille au soir, après y avoir dîné.
- Vous avez de la chance commissaire, commenta le jeune Lessart, ils avaient annoncé une espèce de tornade qui venait de je ne sais où et qui finalement s’est perdue quelque part dans la mer d’Irlande, semble-t-il, et finalement tout ça nous a balayé le ciel et nous garantit un soleil d’été toute la semaine !
- Que du bonheur ! répondit-elle.
- Alors vous allez dans quel coin aujourd’hui ?
- De l’autre côté de Lannion, vers le Yaudet, par là quoi !
- Ah, vers Locquémeau, c’est très chouette là-bas, mais vous verrez, ils sont en train de construire une espèce de verrue sur les falaises. Toujours les mêmes histoires, avec les mêmes salopards qui s’en mettent plein les fouilles ! Enfin, ce que j’en dis hein !
- Ouais, et si j’ai bien compris, votre oncle a déjà donné, non ?
- Ah, vous êtes au courant de ça, vous ?
- Ben oui, tout finit par se savoir un jour ou l’autre vous savez !
- Ouais, cette histoire me met vraiment en colère. Mon oncle, ils l’ont dépouillé avec leurs affaires douteuses. Parce qu’au début, tout était beau sur le papier, et tout doucement ça a glissé et la réalité n’est pas devenue aussi belle que leurs maquettes et que leurs plans à la con. Une fois que vous en avez fait les frais, ce sont eux qui rachètent les commerces pour un euro symbolique. Pour moi, ce sont des escrocs en costume cravate, les pires !
- Bon, j’y vais Yffic, je vous dois combien pour les sandwichs ?