RUR : Rossum's Universal Robots - Karel Capek - E-Book

RUR : Rossum's Universal Robots E-Book

Karel Čapek

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Beschreibung

Depuis de longues années la compagnie R.U.R. inonde la planète de ses « robots », parfaitement semblables à l'homme et produits en masse dans son usine insulaire. Mais l'humanité, privée de travail, inactive et oisive, décline, et la révolte gronde au sein des nouvelles masses... Écrite en 1920, la célèbre pièce de Karel Capek a non seulement posé une des pierres fondatrices de la science-fiction, elle a inventé un mot devenu universel : « robot ».

Traduction de H. Jelinek, 1924.

EXTRAIT DU PROLOGUE

DOMIN. — Continuez. (Dictant.) « Que nous ne prenons aucune responsabilité pour les avaries arrivées en cours de route. Nous avons attiré l’attention de votre capitaine lors du chargement sur ce fait que le navire n’est pas approprié au transport des Robots, de sorte que l’avarie ne peut pas être mise à notre charge. Recevez, monsieur... — Pour Rezon’s Universal Robots. » Terminé.
SYLLA. — Oui, monsieur.
DOMIN. — Une autre : « E. B. Huysums Agency. New York. La date. Nous vous accusons réception de votre commande de cinq mille Robots. Comme vous envoyez votre propre navire, veuillez charger — à titre de compensation — des briquettes de houille pour R. U. R. Agréez... » Terminé ?
SYLLA (finissant de taper.) — Oui, monsieur,
DOMIN. — Continuez : « Friedrichswerke, Hamburg. La date. Nous vous accusons réception de votre commande de quinze mille Robots. » (Sonnerie au téléphone de la maison. Domin prend le récepteur.) C’est le directeur général. Oui. Certainement. Mais oui, comme toujours. Mais oui, câblez. Bien. (Il raccroche.) Où en sommes-nous ?
SYLLA. — Nous vous accusons réception de quinze mille Robots...
DOMIN (songeur.) — Quinze mille Robots. Quinze mille Robots...

À PROPOS DE L'AUTEUR

Karel Čapek, né le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice dans la région de Hradec Králové en Bohême et mort le 25 décembre 1938 (à 48 ans) à Prague, est l'un des plus importants écrivains tchéques du XXe siècle. Le mot robot, qui apparaît pour la première fois dans sa pièce de théâtre de science-fiction R. U. R. en 1920, sous-titre en anglais du titre tchèque Rossumovi univerzální roboti, a été inventé par son frère Josef à partir du mot tchèque robota, qui signifie « travail » ou « servage ».
Dans une autre de ses œuvres, La Guerre des salamandres, Čapek peint avec un humour noir et joyeux la géopolitique de son temps, et tourne notamment en dérision le national-socialisme.

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BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

— LITTÉRATURE TCHÈQUE —

Karel Čapek

1890 – 1938

R. U. R.

1920

Traduction de H. Jelínek, Paris, Cahiers dramatiques, n° 21, 1924.

© La Bibliothèque russe et slave, 2015

© H. Jelinek, 1924

Chez le même éditeur — Littérature russe

1. GOGOLLes Âmes mortes. Traduction d’Henri Mongault

2. TOURGUENIEVMémoires d’un chasseur. Traduction d’Henri Mongault

3. TOLSTOÏLes Récits de Sébastopol. Traduction de Louis Jousserandot

[...]

Littérature tchèque

1. ČAPEKR. U. R.Traduction de Hanuš Jelínek

Littérature bulgare

1. KONSTANTINOVBaï Gagno. Traduction de Matei Gueorguiev et Jean Jagerschmidt

R. U. R.

Comédie Utopiste en Trois Actes et un Prologue

Représentée pour la première fois

sur la Scène de la Comédie des Champs-Élysées,

le 26 Mars 1924.

Personnages

Harry DOMIN, directeur général des Usines Rezon’s Universal Robots.1

Ingénieur FABRY, directeur technique des Usines R. U. R.

Docteur GALL, chef de la section physiologique et expérimentale des Usines R. U. R.

Docteur HALLEMEIER, chef de l’Institut pour la psychologie et pour l’éducation des Robots.

Consul BUSMANS, directeur commercial de R. U. R.

ALQUIST, architecte en chef de R. U. R.

MARIUS, Robot.

RADIUS, Robot.

PRIMUS, Robot.

DAMON, Robot.

Hélène GLORY.

HÉLÈNE, Robote.

NOUNOU.

Sylla, Robote.

Un domestique Robot.

La foule des Robots.

Dans le prologue :

DOMINa 38 ans, grand, rasé.

FABRY, également rasé, blond, visage fin et sérieux.

HALLEMEIER, un géant roux : moustache et cheveux en brosse.

Docteur GALL, petit, vif, teint hâlé, moustache noire.

BUSMANS, gros juif chauve, myope.

ALQUIST, plus âgé que les autres ; mise négligée ; longs cheveux, longue barbe ; grisonnant.

HÉLÈNE, très élégante.

Dans la comédie, tout le monde est vieilli de dix ans.

Dans le prologue, les Robots sont habillés comme tout le monde. Il y a quelque chose de sec, de cassant, dans leurs mouvements et dans leur prononciation. Visages sans expression, regard fixe.

Dans la comédie elle-même, ils portent des blouses en toile, serrées par des courroies avec des plaques en cuivre, portant un numéro.

1. Dans le texte original tchèque, le nom de l’« entreprise » est Rossumovi univerzální roboti (en anglais : Rossum’s Universal Robots). Dans cette première traduction française de la pièce, Hanuš Jelínek a remplacé Rossum par Rezon. (N.d.É.)

PROLOGUE

Bureau central de l’usine Rezon’s Universal Robots. Entrée à droite. Par les fenêtres du fond, on voit une interminable file de bâtiments d’usine. À gauche, l’entrée des autres bureaux de la direction.

DOMIN, assis sur un fauteuil tournant, a un grand bureau américain. Sur le bureau, une lampe électrique, téléphone, un classeur, des lettres, des presse-papier, etc. Sur le mur, à gauche, de grandes cartes indiquant les lignes des chemins de fer et des paquebots, un grand calendrier, une pendule indique bientôt midi. À droite, sur le mur, de grandes affiches imprimées : « Travail à meilleur marché. Le Rezon’s Robot, 150 dollars la pièce. » « Qui n’a pas son Robot ? » « Voulez-vous vendre à bas prix ? Commandez des Robots. » D’autres cartes, indicateur du service maritime, fiche indiquant les cours du change, etc. Un magnifique tapis turc jure avec cet arrangement. À droite, une table ronde, un divan, quelques fauteuils en cuir, une bibliothèque garnie de bouteilles de liqueurs et de vin au lieu de livres. À gauche, un coffre-fort. À côté du fauteuil de DOMIN, une machine à écrire, sur laquelle tapote la jeune fille SYLLA.

DOMIN. — Continuez. (Dictant.) « Que nous ne prenons aucune responsabilité pour les avaries arrivées en cours de route. Nous avons attiré l’attention de votre capitaine lors du chargement sur ce fait que le navire n’est pas approprié au transport des Robots, de sorte que l’avarie ne peut pas être mise à notre charge. Recevez, monsieur... — Pour Rezon’s Universal Robots. » Terminé.

SYLLA. — Oui, monsieur.

DOMIN. — Une autre : « E. B. Huysums Agency. New York. La date. Nous vous accusons réception de votre commande de cinq mille Robots. Comme vous envoyez votre propre navire, veuillez charger — à titre de compensation — des briquettes de houille pour R. U. R. Agréez... » Terminé ?

SYLLA (finissant de taper.) — Oui, monsieur,

DOMIN. — Continuez : « Friedrichswerke, Hamburg. La date. Nous vous accusons réception de votre commande de quinze mille Robots. » (Sonnerie au téléphone de la maison. Domin prend le récepteur.) C’est le directeur général. Oui. Certainement. Mais oui, comme toujours. Mais oui, câblez. Bien. (Il raccroche.) Où en sommes-nous ?

SYLLA. — Nous vous accusons réception de quinze mille Robots...

DOMIN (songeur.) — Quinze mille Robots. Quinze mille Robots...

MARIUS (entre.) — Monsieur le directeur, c’est une dame qui...

DOMIN. — Quelle dame ?

MARIUS (Il présente la carte.)

DOMIN (lisant.) — Le président Glory. Faites entrer.

MARIUS (ouvrant.) — Entrez, madame.

(Entre Hélène Glory. Marius sort.)

DOMIN (se levant.) — Vous désirez ?

HÉLÈNE. — Ai-je l’honneur de parler au directeur général ?

DOMIN. — À votre service.

HÉLÈNE. — Je me permets de venir vous voir.

DOMIN. — Avec une carte d’introduction de la part du président Glory. Cela suffit.

HÉLÈNE. — Le président Glory est mon père. Mon nom est Hélène Glory.

DOMIN. — C’est un grand honneur pour nous, mademoiselle, de... de...

HÉLÈNE. — De ne pas pouvoir me mettre à la porte.

DOMIN. — De pouvoir saluer la fille du grand président. Veuillez vous asseoir, mademoiselle. Vous pouvez vous retirer, Sylla.

(Sylla sort.)

DOMIN. — En quoi puis-je vous être agréable, mademoiselle ?

HÉLÈNE. — Je suis venue...

DOMIN. — Pour voir notre fabrication d’hommes. Comme tous les visiteurs. À votre service, mademoiselle.

HÉLÈNE. — J’avais cru qu’il était défendu...

DOMIN. — D’entrer dans l’usine, oui. La fabrication de l’homme artificiel, mademoiselle, est le secret de la maison.

HÉLÈNE. — Si vous saviez à quel point...

DOMIN. — Cela vous intéresse. Je sais. La vieille Europe ne parle que de cela.

HÉLÈNE. — Pourquoi ne me laissez-vous pas finir ma phrase ?

DOMIN. — Je vous demande pardon. Auriez-vous voulu dire autre chose ?

HÉLÈNE. — J’ai seulement voulu vous demander...

DOMIN. — De vous montrer exceptionnellement notre usine. Mais certainement mademoiselle.

HÉLÈNE. — Comment savez-vous que j’ai voulu vous le demander ?

DOMIN. — Tout le monde demande la même chose. (Il se lève.) Pour vous prouver notre respect, mademoiselle, on vous fera voir plus qu’aux autres, bref...

HÉLÈNE. — Merci.

DOMIN. — Si vous vous engagez à ne dire à personne la moindre chose.

HÉLÈNE (se levant et lui tendant la main.) — Parole d’honneur.

DOMIN. — Merci. Seriez-vous assez gentille pour ôter votre voilette ?

HÉLÈNE. — Ah ! je comprends. Excusez.

DOMIN. — Pardon.

HÉLÈNE. — Si vous voulez bien lâcher ma main.

DOMIN. — Je vous demande pardon.

HÉLÈNE. — Vous voulez voir si je ne suis pas une espionne. Comme vous êtes prudent !

DOMIN (la considérant avec admiration.) — Hum, naturellement, c’est ça.

HÉLÈNE. — Vous vous méfiez de moi ?

DOMIN. — Oh non ! mademoiselle Hélène. Pardon, mademoiselle Glory. Vous avez fait une bonne traversée ?

HÉLÈNE. — Oui, très bonne ! Pourquoi ?

DOMIN. — Parce que... Je veux dire... Vous êtes encore très jeune.

HÉLÈNE. — Est-ce qu’on ira tout de suite à l’usine ?

DOMIN. — Oui. Vingt-deux, n’est-ce pas ?

HÉLÈNE. — Vingt-deux quoi ?

DOMIN. — Vingt-deux ans.

HÉLÈNE. — Vingt et un. Pourquoi voulez-vous le savoir ?

DOMIN. — Parce que... parce que... (Avec extase.) Vous resterez ici longtemps, n’est-ce pas ?

HÉLÈNE. — Cela dépend de ce que vous me montrerez de la fabrication.

DOMIN. — Au diable la fabrication ! Mais certainement, mademoiselle Glory, vous verrez tout. Asseyez-vous, s’il vous plaît. Est-ce que vous vous intéressez à l’histoire de l’invention ?

HÉLÈNE. — Mais oui. (Elle s’assied.)

DOMIN. — Eh bien. (Il s’assied sur le bureau, regarde Hélène, saisi d’admiration il récite vite.) Ce fut en 1920, que le vieux Rezon, un grand physiologiste, mais à cette époque encore un jeune savant, vint en cette île lointaine pour y étudier la faune maritime. Il essayait d’imiter par la synthèse chimique la substance vivante qu’on appelle le protoplasme et, un beau jour, il découvrit une matière qui avait absolument les qualités de la substance vivante, tout en étant de composition chimique différente. Ce fut en 1932, juste quatre cent quarante ans après la découverte de l’Amérique. Ouf !

HÉLÈNE. — Vous savez tout cela par cœur.

DOMIN. — Oui, mademoiselle ; car la physiologie n’est pas de mon ressort. Eh bien, dois-je continuer ?

HÉLÈNE. — Si vous voulez.

DOMIN (d’un ton solennel.) — Et alors, mademoiselle, le vieux Rezon écrivit ceci : « La nature n’a trouvé qu’un seul moyen d’organiser la substance vivante. Mais il existe un autre moyen plus simple, plus commode et plus rapide que la nature n’avait point abordé. Cette seconde voie que l’évolution de la vie aurait pu prendre, je viens de la découvrir aujourd’hui. » Figurez-vous, mademoiselle, qu’il a écrit ces grands mots à propos d’une saumure colloïdale et dont un chien ne mangerait pas. Figurez-vous le vieux Rezon, assis devant son éprouvette et songeant que tout un arbre de la vie y poussera, que tous les animaux en sortiront, à commencer par le moindre vibrion jusqu’à l’homme lui-même. Mais jusqu’à l’homme composé d’une substance différente de la nôtre. Ce fut un moment énorme, mademoiselle.

HÉLÈNE. — Et puis ?

DOMIN. — Et puis ? Maintenant, il s’agissait de faire sortir la vie de l’éprouvette, d’accélérer l’évolution et d’inventer les diverses matières, des catalyseurs, des enzymes, des hormones, etc. Bref, vous comprenez ?

HÉLÈNE. — Je... Je ne sais pas. Pas beaucoup, je crois.

DOMIN. — Moi, je n’y comprends rien du tout. Maintenant, vous savez, à l’aide de ces tisanes, il pouvait faire ce que bon lui semblait. Il aurait pu obtenir, par exemple, une méduse avec un cerveau de Socrate ou bien un ver de terre, long de cinquante mètres. Mais comme il était dépourvu d’humour, il s’est mis dans la tête de faire un vertébré normal et peut-être même un homme. Alors, il s’y est mis.

HÉLÈNE. — À quoi ?

DOMIN. — À imiter la nature. D’abord, il essaya de construire un chien artificiel. Cela lui a demandé plusieurs années ; il en sortit une sorte de veau rabougri qui creva au bout de quelques jours. Je vous le montrerai au muséum. Et ensuite, le vieux Rezon se mit à construire l’homme.

(Un temps.)

HÉLÈNE. — J’ai lu tout cela encore à l’école.

DOMIN. — Tant pis. (Il descend de son bureau et va s’asseoir à côté d’Hélène.) Mais, savez-vous ce qui n’y est pas, dans les livres que vous avez lus à l’école ? (Il se frappe le front d’un doigt.) Que le vieux Rezon était fou à lier. Sérieusement, mademoiselle Glory, mais gardez cela pour vous. Ce vieil excentrique croyait décidément faire des hommes.

HÉLÈNE. — Mais vous ne faites pas des hommes, vous ?

DOMIN. — Pas tout à fait des hommes, mademoiselle Hélène. Mais le vieux Rezon voulait détrôner Dieu. C’était un matérialiste terrible, et c’est à cause de cela qu’il le faisait. Il ne s’agissait pour lui que de fournir une preuve qu’on a pas besoin de Bon Dieu. Voilà pourquoi il s’était mis dans la tête de faire un homme exactement tel que nous. Connaissez-vous un peu l’anatomie ?

HÉLÈNE. — Très peu.

DOMIN. — Comme moi. Figurez-vous qu’il s’entêtait à fabriquer tout exactement comme dans le corps humain. L’appendice, les amygdales, le nombril, des choses inutiles. Et même — hum — des glandes sexuelles.

HÉLÈNE. — Mais celles-ci, voyons, ne sont pas...

DOMIN. — Inutiles, je le sais. Mais s’il s’agit de la fabrication artificielle des hommes. Alors, hum ! elles ne sont nullement...

HÉLÈNE. — Je comprends.

DOMIN. — Je vous ferai voir au musée tout ce qu’il a bâclé en dix ans. Cela devait être un homme, et cela n’a vécu que trois jours. Le vieux Rezon n’avait aucune espèce de goût. C’était terrible, ce qu’il a fait. Mais cela avait, dedans, tout ce qu’il faut pour faire un homme. Il n’y a pas à dire, un travail extrêmement minutieux. À ce moment, arrive ici le neveu du vieux Rezon, un ingénieur. Une tête de génie, mademoiselle. Dès qu’il a vu ce que le vieux fabriquait, il dit : « C’est une bêtise que de construire un homme pendant dix ans. Si tu n’arrives pas à le fabriquer plus vite que la nature, fiche-moi la paix avec ton invention. » Et il s’est mis à étudier l’anatomie.

HÉLÈNE. — Les livres de classe racontent autre chose.

DOMIN (se levant.) — Ce qui est dans les livres de classe, c’est de la réclame payée ; c’est une bêtise d’ailleurs. On y lit, par exemple, que c’était le vieux qui a inventé les Robots. Le vieux était peut-être bon pour l’université. Mais il n’avait aucune idée de la fabrication industrielle. Ce ne fut que le jeune Rezon, qui eut l’idée d’en faire des machines de travail vivantes et intelligentes. Ce que vous avez lu dans les livres de classe sur la collaboration des deux grands Rezon, c’est de la blague. Les deux se chamaillaient terriblement. Le jeune finit par l’enfermer dans un laboratoire avec ses avortons et se mit à fabriquer lui-même à la façon des ingénieurs. Le vieux Rezon l’a littéralement maudit ; avant de mourir, il bâcla encore deux monstres physiologiques et un beau jour, on le trouva mort dans son laboratoire. Et voilà toute l’histoire.

HÉLÈNE. — Et le jeune ?

DOMIN. — Le jeune Rezon, mademoiselle, c’était l’époque nouvelle. L’époque de la fabrication après l’époque de la connaissance. Après s’être un peu familiarisé avec l’anatomie de l’homme, il comprit de suite que c’était trop compliqué et qu’un bon ingénieur le ferait plus simplement. Alors, il se remit à faire l’anatomie et à essayer ce qu’on pourrait laisser de côté et simplifier, bref. — Dites donc, mademoiselle, cela ne vous ennuie pas ?

HÉLÈNE. — Au contraire. C’est extrêmement intéressant.

DOMIN. — Eh bien, le jeune Rezon s’est dit : Un homme, c’est quelque chose qui sent, mettons, la joie, qui joue du violon, qui veut aller faire un tour, qui, en somme, a besoin de faire un tas de choses qui, au fond, sont inutiles.

HÉLÈNE. — Oh !

DOMIN. — Attendez ! Un tas de choses qui sont inutiles, lorsqu’il s’agit de tisser ou d’additionner. Ce n’est pas pour vous que je le dis. Est-ce que vous jouez du violon ?

HÉLÈNE. — Non.

DOMIN. — C’est dommage. Mais une machine de travail n’a pas besoin de sentir la joie, ni de jouer du violon, ni de faire un tas de choses de ce genre. Un moteur à pétrole n’a pas besoin d’avoir des pompons ni des ornements, mademoiselle. Et fabriquer des ouvriers artificiels, c’est la même chose que fabriquer des moteurs à pétrole. L’essentiel, c’est que la fabrication soit aussi simple que possible et que le produit soit aussi bon que possible au point de vue pratique. Quel est le meilleur ouvrier au point de vue pratique, qu’en pensez-vous ?

HÉLÈNE. — Le meilleur ? Peut-être celui qui est honnête et dévoué.

DOMIN. — Mais non, c’est celui qui est le meilleur marché. Celui qui a le moins de besoins. Le jeune Rezon a inventé l’ouvrier ayant le minimum de besoin. Il supprima tout ce qui rend l’homme plus cher et ce qui ne sert pas directement au travail. Ainsi, il arriva à supprimer l’homme et il créa le Robot. Chère mademoiselle, les Robots ne sont pas des hommes. Au point de vue mécanique, ils sont plus parfaits que nous, ils possèdent une intelligence admirable, mais ils n’ont pas d’âme. Est-ce que vous avez déjà vu l’intérieur d’un Robot ?

HÉLÈNE. — Non.

DOMIN. — C’est très propre, très simple. Vraiment, du travail soigné. Peu de pièces, mais tout est très bien arrangé. C’est net comme un sou neuf. Le produit de l’ingénieur est plus parfait au point de vue technique que le produit de la nature.

HÉLÈNE. — On dit que l’homme est le produit de Dieu.

DOMIN. — Le vieux bon Dieu n’avait pas la moindre idée de la technique moderne. Mais le jeune Rezon a essayé de jouer le rôle d’un Dieu nouveau.

HÉLÈNE. — Comment cela, je vous prie ?

DOMIN. — Il s’est mis à fabriquer des super-Robots. Des géants de travail. Il a essayé d’en faire de quatre mètres de hauteur, mais vous ne croiriez pas, combien ces mammouths se cassaient facilement.

HÉLÈNE. — Ils se cassaient !

DOMIN. — Oui. À chaque instant, ça craquait : une jambe ou autre chose. Il paraît que notre planète est petite pour les géants. Maintenant, nous ne fabriquons que des Robots de grandeur naturelle et d’un extérieur humain très potable.

HÉLÈNE. — J’ai vu des Robots pour la première fois chez nous. La commune les a achetés, je veux dire engagés.

DOMIN. — Achetés, chère mademoiselle. On achète les Robots.

HÉLÈNE. — Engagés comme balayeurs des rues. Je les ai vus balayer. Ils sont tellement bizarres, tellement silencieux.

DOMIN. — Avez-vous remarqué ma dactylo ?

HÉLÈNE. — Je n’ai pas fait attention.

DOMIN (sonnant.) — La société anonyme des Rezon’s Universal Robots ne fabrique pas encore un article uniforme. Nous avons des Robots fins et des Robots ordinaires. Les meilleurs vivent vingt ans.

HÉLÈNE. — Ils meurent ensuite ?

DOMIN. — Ils finissent par s’user.

(Sylla entre.)

DOMIN. — Sylla, montrez-vous à mademoiselle Glory.

HÉLÈNE (se levant et lui tendant la main.) — Charmée de faire votre connaissance. Vous devez être très triste si loin du monde, n’est-ce pas ?

SYLLA. — Connais pas, mademoiselle Glory. Asseyez-vous, s’il vous plaît.

HÉLÈNE (s’asseyant.) — D’où êtes-vous, mademoiselle ?

SYLLA. — D’ici, de l’usine.

HÉLÈNE. — Ah ! Vous êtes née ici !

SYLLA. — Oui. C’est ici qu’on m’a fabriquée.

HÉLÈNE (sursautant.) — Comment ?

DOMIN (riant.) — Sylla n’est pas une femme, mademoiselle. Sylla est une Robote.

HÉLÈNE. — Je vous demande pardon.

DOMIN (posant la main sur l’épaule de Sylla.) — Sylla ne vous en veut pas. Regardez, mademoiselle, le teint que nous faisons. Tâtez sa joue.

HÉLÈNE. — Oh non ! non !

DOMIN. — Vous ne reconnaîtriez pas qu’elle est faite d’une autre substance que nous. Regardez, elle a jusqu’au duvet caractéristique des blondes. Il n’y a que les yeux qui sont un tout petit peu... Mais en revanche, quels cheveux ! Tournez un peu, Sylla !

HÉLÈNE. — Mais assez, assez !

DOMIN. — Causez avec mademoiselle, Sylla. C’est une visiteuse de marque.

SYLLA. — Asseyez-vous, mademoiselle, s’il vous plaît. (Elles s’assoient toutes les deux.) Vous avez fait une bonne traversée ?

HÉLÈNE. — Mais oui, certainement.

SYLLA. — Ne retournez pas sur l’« Amélie », mademoiselle Glory. Le baromètre baisse fortement, il est à 705. Attendez plutôt le départ de la « Pennsylvania ». C’est un bâtiment excellent.

DOMIN. — Combien ?

SYLLA. — Quarante nœuds à l’heure. Tonnage de 95 mille. Un des derniers paquebots, mademoiselle.

HÉLÈNE. — Merci.

SYLLA. — Quatre-vingts hommes d’équipage, capitaine Harpy, huit chaudrons.

DOMIN (riant.) — Cela suffit, Sylla, cela suffit. Montrez-nous, comme vous parlez anglais.

HÉLÈNE. — Vous parlez anglais ?

SYLLA. — Je parle quatre langues. J’écris : Dear Sir ! Monsieur ! Geehrter Herr ! Cteny pane !

HÉLÈNE (sursautant.) — C’est de la blague ! Vous n’êtes qu’un charlatan ! Sylla n’est pas une Robote. Sylla est une jeune fille comme moi. Sylla, c’est honteux. Pourquoi jouer cette comédie ?

SYLLA. — Je suis une Robote.

HÉLÈNE