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Je suis Sade. Mon nom, murmuré dans les rues de Paris comme une malédiction, est un hymne à la Mort. Même elle, n’a pas voulu de moi. Dans ce monde où tout peut être détruit et dominé, je ressors seul, invincible. Je m’apprête à bâtir une armée, forgée dans l’ombre et la vengeance. Je souhaite conquérir la Capitale et ses Nivines les plus pures. Bienvenue dans mon monde. Celui de toutes les luxures. J’incarne celui qui brise les chaînes. J’offre le pouvoir à ceux qui osent. Je suis Sade Joyce. Je détruirai tout ce qui se dresse sur mon chemin. Et mon règne ne fait que commencer.
Bienvenue dans mon monde. Celui de toutes les luxures.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Nade Arslan est née à Viriat en 1991. A l’âge de 8 ans, elle se passionne pour la poésie et se découvre un amour pour les mots en participant à un concours d’écriture. Auteure de la saga « "Sade" »,
Nade Arslan met seize ans à développer l’univers tout entier de la chronique à travers les péripéties d’un personnage à la fois mystérieux, dangereux et captivant.
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Seitenzahl: 334
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Couverture par Scarlett Ecoffet
Maquette intérieure par Scarlett Ecoffet et Emilie Diaz
Correction par Emilie Diaz
© 2025 Imaginary Edge Éditions
19 chemin des cigalons 83400 Hyères
© 2025 Nade Arslan
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385721282
Ce roman est une darkromance, abordant des sujets comme le viol, l’emprise psychologique, les violences, le stress post-traumatique, l’addiction, les meurtres, la mort et le sang.
Des scènes, des propos peuvent heurter la sensibilité d’un lecteur non averti.
Ce roman est interdit aux -18 ans.
À ma fille, la lumière la plus précieuse de ma vie.
À mon père qui lit mes silences mieux que n’importe quel livre.
À mon mari, pour son soutien et sa présence constante,
même quand les mots m’échappent.
À ma mère présente à chaque page de mon histoire.
À Nico dont chaque appel est un rappel précieux de ce que signifie être là l’un pour l’autre.
À Alex qui a la chance de vivre au cœur du fief de Sade, où l’écho du passé se mêle à celui de notre propre histoire.
À Micka dont le regard sur mes mots a toujours éclairé mon chemin.
À Juliette, une @inspirarosa pour habiller mes personnages avec élégance et charisme.
À Camille merci pour ta présence, toujours précieuse dans ma vie.
Au L., porteur de mémoire et de résilience.
À Gari, qui m’a vendu plus de livres du premier Tome que je ne pourrai jamais lire !
À mes patients, ma deuxième famille, qui ont cru en Sade bien avant que je n’y croie moi-même.
À vous qui tenez ce livre entre vos mains, sachez ceci : une fois plongés dans l’univers de Sade, vous ne serez plus jamais les mêmes.
Je suis profondément reconnaissante envers ma famille, mes amis et mes lecteurs. Vous êtes une source constante d’inspiration. Pour ceux qui souhaitent suivre mon parcours, mes projets, découvrir les coulisses de l’écriture ou simplement échanger, je vous invite à me retrouver sur Instagram @nadearslan. C’est avec plaisir que je continuerai à partager mes projets et mes réflexions avec vous.
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En acceptant la vie, on accepte la mort.
Mais qu’en est-il quand aucune d’elles ne vous accepte vous ?
Sade Joyce.
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La mort.
Cet état irréversible de cellules ayant cessé de fonctionner. La rupture définitive marquant la fin du vivant. Ce silence brutal, éternel et de tout repos que tant d’humains cherchent à apprivoiser pour faire taire des souffrances persistantes.
La mort ne nous appartient pas, elle s’impose à nous. Elle se déplace, de corps en corps, toujours en quête de nouvelles proies. Sa soif est insatiable. Écrasante. Son existence flotte au-dessus de nos têtes, prête à nous arracher à sa rivale.
La vie.
Son opposante était de taille et leur combat de tout temps demeurait impérissable. Mais leur adversité n’était pas moins unilatérale. Revenir de la mort à la vie n’était possible pour aucun d’entre nous. Une fois éteinte, la vie ne nous désirait plus. Elle nous cédait à la mort sans daigner nous maintenir à ses côtés.
Or quand l’une et l’autre ne voulaient pas de vous, la faucheuse trouvait le moyen de déjouer ce précepte, contraignant l’existence à vous offrir l’hospitalité à nouveau.
Ce choc des Titans portait un nom.
La Résurrection.
Là où la mort n’inscrit pas. Là où la vie ne subsiste jamais. L’idée d’un dernier souffle et d’une ultime heure impossibles. La perspective d’une éternité monotone. Elle était un lieu où l’on demeurait rejeté par deux compétitrices antagonistes. Un moment hors du temps où la mort et la vie ne voulaient pas de vous. Un présent continu sans aucun début ni aucune fin.
Surtout sans aucune fin.
J’avais senti mon corps succomber. J’avais entendu les derniers battements de mon cœur lutter contre l’acier qui avait perforé ma chair et dont les rouages avaient été freinés par la pointe de la dague du Circé. Mon cœur était coriace et ne voulait pas abandonner. Je ne l’aidais pas à me sauver. Au lieu de ça, je le laissais faire, aspirant à gagner la mort le plus rapidement possible. Ma main s’était tenue à l’épaule de l’ennemi relâchant celle d’Europe, désespérée et démolie. J’avais trouvé appui sur mon tortionnaire qui me fixait, imperturbable. Il ne lui avait fallu aucun effort et je n’émis aucune résistance. Je n’avais qu’une parole.
Qu’un objectif.
Maintenir la vie sauve de mon frère à charge de sacrifier la mienne.
La troquer contre ma propre fin.
La douleur était délicieuse. Elle fit taire mes sens, tout comme le cognac avant elle. Le supplice créait une confusion chez eux. Puis le calme m’envahit. Mon crâne cessa toutes pensées, tout traitement de l’information. Il était rasséréné. Paisible.
Mes paupières devinrent intensément lourdes à mesure que je m’éteignais. Un illustre rictus se dessina sur le coin de mes lèvres effaçant soudain celui de mon bourreau tout à coup déçu de constater que je prenais plaisir à mourir.
Lorsque j’entendis un dernier battement, je sentis mon corps retomber violemment au sol bercé une ultime fois par les sanglots de la Nivine et les hurlements barbares de Nash.
Puis plus rien.
Le silence.
L’attente.
Et le noir.
***
— Sors-le d’ici !
— Là-bas, jusqu’à l’abri !
— Ne perds pas une seconde, sèche tes larmes et emmène-le.
— Il… Il est lourd, je… n’y arrive pas seule…
Le vacarme, à nouveau. Combien de temps durait le calme après l’extinction ?
Quelqu’un me tirait. Pourquoi pouvais-je encore ressentir ce genre de chose ?
Je compris qu’on me traînait difficilement. N’étais-je pas censé être mort ?
Tout était confus, les voix étaient distantes et entremêlées. Il m’était impossible de voir ou de bouger. Mon odorat paraissait davantage exacerbé : le parfum du sang était délicieusement tentant et onctueux, l’environnement était terreux, la sueur contaminait mes narines et l’haleine des chevaux infectait les lieux. Ce qui apparaissait loin de moi était ressenti plus intensément que ce qui semblait m’avoir entouré avant mon élimination. Je me rappelle avoir cherché l’effluve sécure de la Nivine, mais elle n’existait plus.
Ce que je comprenais à ce moment-là c’était que même en enfer, mes sens s’efforçaient de me réanimer.
Était-ce bien réel ?
Et quand bien même : était-ce tout simplement possible ?
— Laisse, je vais le faire. Va-t’en, ne reste pas là, c’est dangereux.
— Pour aller où ? Je suis finie, peu importe où j’irai.
— Sauve-toi, Europe.
— Je ne veux pas m’éloigner de lui.
— Ils l’ont tué, regarde-le. Il n’y a plus rien à faire.
J’étais donc bien mort.
Et elle semblait encore en danger. Ce n’était pas pour qu’elle le soit que j’avais sacrifié ma vie.
Écoute les ordres Europe, bordel.
Mes sens frappèrent à nouveau. Après l’ouïe et l’odorat, ils cherchèrent à relancer les rouages de mon cœur.
Une impulsion retentit.
Non.
Une seconde.
Arrêtez.
Puis une troisième…
Et merde.
Répandant ainsi un afflux de sang suffisant aux organes cruciaux d’abord.
Une quatrième permit d’atteindre les extrémités de mes mains et de mes pieds.
Je ne bougeais pas pour le moment, mais je me pensais capable de le faire. Mes poumons relancèrent leur mécanique m’arrachant une douleur indicible et mutique.
J’entendis alors la Nivine pousser un cri d’effarement.
Que faisait-elle encore là si elle était en danger ?
Je la sentis sursauter également. Les bruits devenaient de plus en plus distincts.
— Qu’est-ce que tu as encore ? On n’a pas le temps, je dois retourner aider les autres…
— Il… Il…
— Quoi ?
— Il a bougé !
— C’est impossible Europe. On y est presque, allez.
— Je te dis que je l’ai vu bouger.
— Il est mort ! Voilà. Maintenant, va-t’en.
J’entendis des affrontements jaillir de toute part. Mes capacités sensorielles orientèrent mon attention vers eux. Des épées s’entrechoquèrent, des doléances s’en suivirent. Des hommes se battaient excitant mes habiletés, les assoiffant de combat et de sang. Aussitôt, mes instincts alignèrent mes aptitudes motrices et la coordination de celles-ci semblait accordée avec mon cerveau. La mort est étrange. Je me souviens m’être demandé si Thalia avait, elle aussi, ressenti la même chose peu de temps après qu’elle ait été tuée. M’avait-elle senti à ses côtés ? M’avait-elle entendu l’appeler ? La supplier de revenir à la vie ?
La vie. Justement.
J’eus cette sensation surprenante d’en faire partie à nouveau. Comme si la mort n’avait pas de place pour moi. Comme si mes instincts décidaient si je devais partir ou rester. Comme si j’intégrais de nouveau ma propre existence parce qu’ils l’avaient exigé. Comme si les rouages de mon cœur s’étaient réanimés parce qu’ils le désiraient.
Non…
C’était impossible.
Tout bonnement impossible.
Et pourtant.
Soudain, je rouvris les yeux et, avec eux, ma bouche en quête d’air. Mon corps se souleva d’instinct pour amasser un monceau d’oxygène. Ma poitrine se déchira et je laissais échapper un cri rauque de supplice et de fureur. Europe porta ses deux mains à ses lèvres retenant un hurlement qu’elle étouffa pour ne pas attirer l’attention. Elle recula quand mes iris gris se plantèrent dans les siens.
Était-elle morte elle aussi ou était-ce encore le monde des vivants ?
Je n’attendais pas réellement de réponse, je crois.
Je pivotais la tête avec prudence, le corps envahi de douleurs. Mon regard se posa sur un homme que je ne connaissais pas. Celui qui s’était adressé à Europe ainsi qu’à un autre qui manquait désormais à l’appel. J’en déduisis qu’il m’avait traîné jusqu’ici avec la Nivine alors qu’il me pensait décédé. Ses yeux écarquillés affichaient son effarement. Ils demeurèrent silencieux, figés, dans l’incapacité de bouger. Quant à moi, j’observais l’environnement. Nous nous trouvions derrière l’abri de la Basilique. La nuit était tombée, mais j’étais en mesure de voir chaque détail qu’eux ne pouvaient pas discerner.
Je tentais de me relever, mais mes sens me sommèrent de rester assis. Cette renaissance était d’une violence sans nom. J’esquissais une grimace. La souffrance ne me quittait pas. Je devais attendre. Je le sentais. Instinctivement et à la hâte, Europe se rapprocha de moi, posant ses doigts tremblants et hésitants sur mon avant-bras. Elle chercha ma chaleur, comme pour s’assurer que j’étais bien…
— Vivant… tu… es… vivant ? chuchota-t-elle à nouveau prise d’un sanglot.
— Je… commençai-je par dire me freinant, violemment rattrapé par l’affliction que je ressentais au moindre effort que je menais.
Je laissais sortir un grognement et elle porta une autre main sur moi me suppliant en silence de me ménager. L’inconnu était resté figé, sidéré. Je le toisais du regard, ce qui ne lui échappa pas. Il frémit.
— Je te présente Qin Musashi, le frère de Miyamoto, déclara la Nivine. Un soldat de ton père.
— Mon… repris-je par réflexe avec déjà moins de difficulté.
— Oui, il est là, chuchota-t-elle précipitamment, comme pour m’obliger à ne pas poursuivre ma phrase et ainsi ne pas me voir souffrir. Il est arrivé avec ses troupes au moment où Vike te plantait la dague.
— V… Vike alors ? questionnai-je en tentant de me tourner pour me relever, mais sans succès, grimaçant à nouveau.
— Reste tranquille, Sade, me conseilla le frère du samouraï avec un accent plus prononcé que lui.
— Où est mon père ?
— Il se bat avec nos hommes. Et je dois retourner avec eux.
— Je… viens… avec… commençai-je par dire avant de laisser échapper des caillots de sang à la place des mots.
Je fronçai des sourcils. C’est quoi ça, bordel ?
— Non, toi tu restes ici.
— Ne me donne pas d’ordre le japonais.
— Tu étais mort il y a quelques minutes Sade, s’interposa la Nivine. Ton cœur ne battait plus. Et voilà que tu rouvres les yeux. Tu peines à te réparer. On comprend à peine ce que tu dis. Tu souffres et ça se voit. Tu ne peux pas les rejoindre. Attendons d’assimiler ce qu’il se passe, s’il te plaît, enchaîna Europe sans que l’on ne puisse intervenir.
— Allez vous faire foutre.
Je me relevai difficilement, titubant quelque peu.
Tous deux se redressèrent presque aussitôt, suivant mes mouvements, prêts à me rattraper. Je stabilisais ma posture, ajustant mon équilibre, quelques secondes durant. Je me sentais revigoré, subitement plus redoutable que je ne l’avais été. Mes sens retrouvaient leur puissance, la démultipliant.
Je regardais mes mains, les articulant presque normalement. J’en portais une à hauteur de mon cœur meurtri quelques minutes auparavant. Rien n’était apparent, mais je pouvais encore ressentir la douleur perforant ma peau, atteignant violemment cet organe vital jusqu’à le condamner.
J’avais été mort le temps d’un instant. Il était évident que je ne l’étais plus à présent.
J’en déduisis que je ne pouvais être tué. Chaque fois qu’un adversaire me coupera la tête, deux autres en surgiront. Au sens figuré, il était question de puissance exponentielle. L’Hydre de Lerne1 n’était rien à côté du monstre que j’incarnais et qu’ils avaient façonné.
Mes instincts n’étaient pas prêts à s’avouer vaincus et j’étais à leur merci.
Je fermais les yeux un instant, observant l’affrontement au loin, sur la plaine en pente à quelques mètres derrière l’abri. Je discernais l’odeur de Vike ainsi que de ses soldats. Ils étaient une vingtaine. De nouveaux effluves, sans doute les hommes de mon géniteur, étaient présents et combattaient avec lui. Sans difficulté aucune, je reconnus l’essence d’Ellias. Elle dégageait une puissance stupéfiante.
Il se bat pour nous et m’a probablement vu mourir.
Une pensée me traversa au contact d’un parfum familier.
— Nash…
— Ton frère livre une bataille aux côtés de ton père, s’empressa Europe en m’attrapant le bras comme pour me retenir.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Je posai mes yeux sur sa main qui venait de m’agripper.
— S’il te plaît, reste.
— Et les laisser se faire tuer ?
— Nous gagnerons, intervint Qin avec conviction.
— Regarde-les ! m’écriai-je en indiquant la direction du combat. Ne vois-tu pas qu’ils sont en difficulté ? Certains d’entre vous respirent la mort jusqu’ici.
— Qu’est-ce que tu en sais ? questionna-t-il sourcils froncés.
— Je le sens.
— Comment peut-il faire ça ? interrogea le frère du samouraï en direction de la Nivine.
— Je vous ai dit qu’il était incroyable.
Elle souriait, ravie de gagner du temps.
— Est-ce que c’est vraiment le moment, Europe ? m’exaspérai-je.
— Attends, insista la Nivine qui me vit repartir en direction du champ de bataille.
— Quoi encore ? grognai-je en me retournant.
— Tu n’as même pas d’arme !
Je levais les bras, excédé, secouant la tête et disparus sans prendre la peine de lui répondre.
Lorsque je rejoignis les terres où se livrait une guerre sans merci, je découvris un combat sanglant entre les hommes de Vike et ceux de mon père.
Ellias. Je le fixais longuement. Il était plus en muscles que dans mes souvenirs. Il était aussi imposant que le Circé. Il maniait l’épée comme jamais je n’avais vu un Vampire le faire avant lui. Ses gestes étaient précis et glorieux, ceux de Vike semblaient plus fluides et vifs. Mon père était envahi par la colère et, à chaque coup, laissait échapper un grognement. Tous deux ne baissèrent pas la garde si bien qu’ils ne se touchèrent pas encore. Mes sens m’indiquèrent qu’ils tâchaient mutuellement d’affaiblir la défense de l’adversaire. Mon attention se porta sur Nash qui se battait tant bien que mal contre un autre Circé : il tentait d’éviter l’assaut du guerrier tout en restant en vie. Pour quelqu’un qui ne dominait pas, mon frère semblait hors de danger. Il ne lui manquait que la maîtrise pour attaquer et tuer l’ennemi. Miyamoto fut le premier à remarquer ma présence. Il stoppa son duel, et le soldat ennemi en fit de même, fronçant des sourcils quand son regard se posa sur moi. D’aussi loin qu’il se trouvait, je pus l’entendre distinctement murmurer sa surprise. Alors, le samouraï m’adressa un sourire à la fois stupéfait et satisfait. Je compris intuitivement ce qu’il s’apprêtait à faire : il profita de la consternation du Circé qu’il affrontait, me scrutant encore, pour lui asséner un coup à hauteur de sa gorge. Le soldat chercha à se défendre, mais il avait une seconde de retard. À la place, il porta d’instinct ses mains au niveau de l’entaille d’où s’échappaient des jets de sang bientôt réduits en chutes dévalant la peau de son cou. À nouveau l’homme au sabre se retourna pour me faire face et m’adressa un signe de tête, preuve d’estime et d’amitié. Je le lui rendis. J’avais grandi et lui n’avait pas vieilli. Le Vampire était stabilisé depuis des siècles et rien n’avait changé. Les hommes de mon père l’observèrent faire. Puis leurs regards suivirent le sien, se posant un à un sur moi. Alors, tous freinèrent leurs batailles respectives.
Mon frère fit volte-face, comme s’il comprit, par un simple coup d’œil que me jetaient nos alliés, qu’ils venaient de voir un fantôme. Lorsque Nash intégra que j’étais bien réel, il s’élança vers moi laissant retomber l’épée avec laquelle il combattait.
Son attitude me renvoya au souvenir de notre première rencontre. Son corps percuta le mien et son bras gauche entoura mon cou. Il serra le poing pour maîtriser toute l’ardeur et l’euphorie qui le gagnait, retenant des larmes qui n’avaient plus leur place. J’esquissai une grimace, mes tissus souffrant encore quelque peu. Nos regards se croisèrent et seuls eux se comprirent. Il laissa retomber la tristesse qui s’était abattue sur lui de longues minutes auparavant. La culpabilité l’envahissait toujours, mais le soulagement fut plus fort.
— Allons terminer ce qu’on a commencé, lui suggérai-je alors qu’il acquiesça, un sourire amusé et victorieux au coin des lèvres.
Mon père tendit son épée en direction de Vike le temps d’assimiler pourquoi ses hommes, Nash et les Circés avaient tous arrêté de combattre. Il le tint à une distance suffisante. Ses yeux se plissèrent tant il ne croyait pas en ce qu’il voyait. Ses sourcils se haussèrent et il cacha maladroitement sa fierté et son enthousiasme.
Personne ne comprenait — pas même moi — comment j’avais pu passer de la mort à la vie.
Mais l’heure n’était pas aux questionnements. Mes sens mobilisèrent leur plus grande férocité, ne me laissant plus le choix que de me dresser face à mes adversaires.
— C’est impossible, murmura celui qui m’avait exécuté.
— Tu sauras que tout est possible avec un Joyce, rectifia mon père, affichant un rictus familier.
— Je l’achèverai un millier de fois s’il le faut.
Vike était conscient que je pouvais l’entendre.
Alors je décidais de m’avancer vers eux, dangereusement. Mes yeux d’acier défièrent les siens. Les soldats de mon géniteur me tendirent leurs armes. Je les ignorais un à un.
— Fils… souffla mon père lorsque j’arrivais à leur hauteur.
— Il est à moi, lançai-je dans sa direction, l’attitude naturellement froide.
— Sois prudent.
Ellias ne protesta pas. Il recula, hésitant. Il n’avait pas discuté mes intentions. Il ne m’avait pas proposé son épée non plus. Il semblait me connaître mieux que personne. Je ne le lui prêtais pas attention tandis que lui, Vike et leurs hommes me fixèrent longuement. Plus personne ne combattait. Naturellement, les deux espèces formèrent un cercle imparfait autour de nous.
Europe et le frère de Miyamoto nous avaient rejoints. La Nivine ne me quitta pas du regard, s’assurant de rester derrière le plus jeune des samouraïs.
— Alors quoi, tu es le nouveau Christ ? suggéra Vike moqueur, accompagné des rires de son bataillon.
— Tout dépend, précisai-je, un rictus au coin des lèvres. Est-ce que la résurrection n’est réservée qu’aux Hommes charitables ?
Je n’attendais pas de réponse. Je fis taire cependant tous les Circés par cette rhétorique arrogante.
— Comment as-tu fait ?
— Je crois que même la mort a eu peur de moi, annonçai-je l’attitude perverse, le sourire débordant de démence, amusant à mon tour les troupes de mon père.
— Finissons-en.
— Je suis prêt pour la seconde manche.
Vike lança son arme non loin de ses hommes et se jeta sauvagement sur moi. Mon corps ne sut faire face à sa ténacité et nous tombâmes tous deux au sol. Il saisit ma chevelure avec détermination, relevant ma tête sans effort. Il abattit un poing, puis un second, suivi par d’autres, sans ne jamais s’arrêter. Ses genoux bloquaient mes bras et sa force était à la hauteur de la mienne. Je compris que je devais miser sur la rapidité et la stratégie. Lui pouvait mourir, moi non. C’était une différence de taille. À mesure qu’il tapait, j’esquissais un sourire enragé. Mes sens furent piqués et ils laissèrent échapper ma folie avec excès et impétuosité. Je sentis Nash et mon père vouloir intervenir. Mais tous deux se retinrent in extremis lorsque je parvins à frapper mon front contre celui du Circé avec fureur, tous les os de son visage se fracturèrent. Il hurla de douleur et de colère. J’éclatais d’un rire perfide. Il me porta à nouveau un coup brisant ma mâchoire pour me faire taire. Il fut consterné de la voir se consolider aussitôt dans un crépitement terrifiant, tandis que ses blessures à lui déformaient encore ses traits. Il comprit que je ne pouvais rester ne serait-ce qu’éraflé. Il saignait au visage et ses plaies ne pouvaient guérir aussi vite. Il lui faudrait des jours. Un Circé ne pouvait être mutilé si facilement, mais le risque, en baissant sa garde, était d’être touché. Un Vampire n’avait pas la force de le faire et encore moins à main nue. Or, je n’étais pas de la même espèce que mon père et tous ces hommes qui le servaient.
Alors, Vike sortit sa dague et la plaqua à hauteur de mon cou me menaçant en silence.
Aussitôt, un souffle chaud embauma mon œsophage.
Le Mugi ressuscita à son tour.
L’Appel du Dragon retentit et tout le monde recula, y compris ceux de mon propre sang.
Le Circé me fixa avec stupeur. Il fronça des sourcils. Il n’était pas préparé à ça. Dès lors il eut l’intention de m’égorger, cependant j’eus, comme toujours, une longueur d’avance. Ma main se dégagea avec force, agrippant son avant-bras. Ses yeux se posèrent, horrifiés, sur mes doigts qui se plantèrent dans sa chair. Il comprit ainsi que la légende disait vrai quand il sentit se répandre une chaleur acide dans sa peau. Le venin gagna ses veines qu’il ressentit bouillonner et éclater une à une. Son sang se propagea en une hémorragie et il se savait condamné.
Tous ceux qui assistaient à cet affront en déduisirent également que c’en était fini pour lui.
Alors, perdu pour perdu, il se saisit de sa dague, précipita son geste avant que ne sonne son heure en assénant ma chair d’une dizaine de coups, à hauteur de mes côtes. La douleur était acerbe et m’arracha un Mugi plus bestial si bien que mes sens me sommèrent d’agripper violemment son cou.
Et c’est ce que je fis plus brutalement encore manquant de briser sa nuque. De mon autre main, je lui extirpais son arme et la plantais dans son ventre avec fureur, le découpant en remontant jusqu’à atteindre son cœur. Ses tripes se répandirent sur moi, son sang chaud et contaminé accompagnant ses intestins se déversa de part et d’autre.
Cela ne suffit pas à mes sens. Ils étaient devenus incontrôlables et déchaînés.
Je rejetais le corps de Vike sur le côté, me relevais à la hâte en faisant glisser l’estomac du Circé à terre. Je lançais ensuite bestialement la dague sur un de ses hommes pris au hasard. La lame se planta entre ses orbites et il tomba au sol. Je poussais un cri proche du Mugi. J’étais à nouveau insatiable, m’élançant sur deux autres Circés coincés entre les soldats de mon père. Mes mains frappèrent simultanément à hauteur de leur poitrine, déchirant leur chair de mes doigts devenus le symbole de deux griffes, empoignant leurs cœurs respectifs que j’arrachais sans effort. Ils n’eurent pas le temps de sentir une quelconque douleur. Ils ne virent même pas la mort arriver.
Mon visage se retrouva recouvert de ce rouge vermeil faisant davantage ressortir mes pupilles grises translucides.
J’ouvris la gueule.
J’avais soif de sang.
Terriblement avide de cette substance.
C’était une explosion sensorielle et émotionnelle. Je revenais d’entre les morts et plus fort encore. Je perdais néanmoins le contrôle et une certaine déraison était érigée par mes capacités. C’était le prix à payer. Le retour à la vie contre la cruauté et la folie. Je compris qu’à chacune de mes extinctions, je gagnerais en fermeté, en puissance, et davantage en frénésie et en froideur. Je me sentais moins conciliant, plus malveillant et moins indulgent. Je trompais mon empathie et devenais plus impitoyable.
J’étais inarrêtable si bien que mon père fit signe à Miyamoto de rester là où il se trouvait quand ce dernier chercha à me raisonner. Dans mon élan, je me baissais à la hâte pour ramasser l’épée que Vike avait jetée au sol dans ce combat d’égal à égal et je fis patiner la lame à hauteur des entrailles de six de ses soldats alignés face à moi, encore hésitants à s’enfuir. Je hurlais bestialement pour accompagner mon geste. Nash me fixait, stupéfait, voire impuissant. Le sang tapissa à nouveau mon visage et mes bras, recouvrant celui de mes précédentes victimes. Tous les Circés de la troupe prirent la fuite, le premier entraînant le second, suivi d’un autre et enfin du reste du régiment. Je décidais de lancer l’épée sur l’un d’eux. Elle vint s’enfoncer sur le haut du crâne du déserteur, le plantant sur place.
Puis mon regard croisa celui de la Nivine, hébété et brillant, dont les larmes perlaient sur ses joues. Mes sens exprimèrent leur dégoût, m’ordonnant de lui faire ressentir de la peur à la place de la tristesse. Je me jetais alors sur elle, la saisissant par le cou avec fermeté. Elle laissa échapper un cri étouffé par mes doigts, agrippant ma prise. Elle était désormais terrifiée. Mes yeux gris percèrent violemment les siens, écarquillés et choqués.
— Pourquoi tu pleures ? questionnai-je la mâchoire serrée.
— Tu… Tu me fais p...
— Je te fais quoi, Nivine ?
— Tu me fais peur… sanglota-t-elle.
Ma respiration se fit plus forte encore. On pouvait l’entendre. On pouvait la voir gonfler mon torse. Je tentais de calmer l’ardeur de mes instincts me hurlant de goûter au sang de la femelle jusqu’à la dernière goutte. Je luttais et j’avais besoin que l’on me vienne en aide.
— Assez, rétorqua mon père.
Et mon regard quitta celui d’Europe la soulageant quelque peu. J’avais soudainement honte et je fis en sorte qu’elle ne le comprenne pas.
— Relâche-la, m’ordonna-t-il.
J’hésitais quelques secondes, mes sens défiant les commandements de mon géniteur. Mais je décidais de l’écouter. Lorsque je la relaxai, elle manqua de tomber à la renverse. Qin la rattrapa et aussitôt avait-il posé les mains sur elle que je l’avertissais d’un simple coup d’œil, libérant le Mugi. Il s’écarta avec prudence. Miyamoto se mit en travers de nous, l’allure naturellement et faussement calme.
Je ne me contrôlais plus.
La mort avait rendu mes instincts plus saillants.
Mon attitude animale me poussait à fuir.
Nash tenta de s’avancer vers moi et je le menaçai, lui aussi. Il n’insista pas lorsqu’il croisa le regard de notre père.
Lui seul semblait me comprendre.
Je ne voulais pas que l’on m’approche.
Je ne supportais pas que l’on touche à la Nivine.
Je désirais goûter à ce qui me revenait de droit.
Et pire encore, le nombre de cadavres que je comptabilisais ce soir n’était pas suffisant.
Je me sentais de taille à en exécuter une centaine d’autres.
Je compris alors que j’étais né pour tuer,
Choisi pour défier.
Attendu pour vaincre.
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Je ne suis pas célèbre, je suis une légende.
Joe Strummer.
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J’avais couru sans jamais m’arrêter, parcouru des kilomètres sans effort, le cerveau bouillonnant de pensées similaires à ce dialogue interne entre mes sens et moi. Ils prenaient le dessus désormais. Je les sentais indomptables. J’avais lâchement fui mon frère, Ellias, Europe et les autres Vampires venus pour nous secourir. Je me savais d’humeur barbare à édifier une boucherie et j’avais commencé par le faire avec les soldats de Vike. Mais les Circés avaient déserté en assistant au massacre de leurs semblables. Ils n’étaient plus en position de force. Et quand plus aucun ennemi n’était là pour satisfaire mes désirs d’extraire des vies, l’idée de le faire avec les hommes de mon père me traversa l’esprit. Je réussis à étouffer ces intentions de justesse par le simple regard que me lança mon géniteur et qui me suffit pour m’en dissuader.
Mais celle dont j’avais le plus honte et qui me rongeait encore concernait la Nivine.
Mes sens me forçaient à goûter à son sang, mais ce n’était pas tout. Ils me sommaient de lui arracher ses accoutrements et de la prendre, quelle qu’en fût sa décision à elle.
Là, au milieu de tous, peu importe que me soient témoins les Vampires qui nous entouraient ou non.
Jamais.
Jamais je n’oserai lui faire de mal, avais-je tenté de me convaincre.
Cependant, je me sentais dangereusement capable de le faire.
Ils me poussaient à succomber à de pareilles intentions.
C’est pourquoi j’étais parti et personne n’avait couru pour me retenir quand mon père avait ordonné à Nash et Miyamoto de ne pas me suivre.
Au moment même où je me remémorais ces intentions qui m’avaient envahi, je m’élançais sur un pan de mur, m’agrippant habilement jusqu’à atteindre les toits. Je cherchais à me fatiguer pour éteindre les voix dans ma tête, mais rien n’y faisait. Je me glissais ainsi au travers d’une ouverture et rattrapais les combles d’une bâtisse que j’arborais depuis des années. Je me déplaçais en silence, vigilant. Lorsque je rejoignis le fond de la pièce entièrement sombre, je me saisis de trois bouteilles d’une réserve que je m’étais faite depuis des années maintenant et rebroussais chemin, gagnant à nouveau les tuiles de la demeure.
Je pris place en ne quittant pas des yeux la lune surplombant la Capitale, pleine et rouge.
Je fermais ensuite les paupières et offrais à mes narines l’effluve ambré d’un des trois contenants que je débouchai en brisant le bec de celle-ci. Dans mon geste, je me fis une entaille qui se répara immédiatement. Je frémis au contact de l’arôme de cognac qui déploya un souffle suave et sulfureux. Je penchai la tête et portai à mes lèvres la substance… D’une traite. Je jetai l’objet vidé en quelques secondes. Ma gorge brulait et je toussais presque aussitôt. Dieu que c’était bon.
Mes sens se révoltèrent, me renvoyant le parfum de femelles humaines à l’intérieur même de la bâtisse comme pour me pousser au vice et garder ainsi le contrôle.
Je décidai alors d’entamer une seconde bouteille, la terminant de moitié.
Et ce fut un silence dans ma tête.
Je pouvais enfin souffler.
Je venais d’éteindre ces instincts.
Je rouvris les yeux, à demi clos, gagnés par les effluves entêtants de l’alcool. Je pris une profonde inspiration et expirais plus paisiblement. Je n’anticipais plus rien. Je n’écoutais plus les milliers d’informations gravitant autour de mon environnement. Je ne percevais plus chaque vibration des êtres vivants m’encerclant. Je ne ressentais rien d’autre que le tilleul séché du cognac, la fleur de vigne de cette substance ainsi que la vanille. Ce n’était plus une cacophonie émotionnelle.
Je me sentais… Comme tout le monde. Je vidais la seconde bouteille et me saisis alors de la troisième me réconfortant avec l’excédent de réserve qu’il me restait encore en cas de besoin.
— Tu ne m’as pas entendu approcher. C’est rare venant de toi, fils.
Je sursautai quand je reconnus la voix de mon père. Mes sens anticipaient toujours tout. Mais je venais de les mettre à la porte et avec eux, leurs atouts infaillibles. Je m’exposais au danger et j’en avais conscience.
Qu’est-ce que je risquais après tout ?
La mort ?
Elle ne voulait même pas de moi.
Il m’avait rejoint tandis que j’avais fait volte-face, me relevant pour me redresser debout devant lui, manquant de tomber dans le vide. Je ne parvenais plus à me tenir en équilibre et il le comprit lorsqu’il aperçut les bouteilles. Ses réflexes agrippèrent mon avant-bras pour me retenir et je profitais de ce maintien pour avoir une meilleure prise. Il m’invita de la main à m’asseoir et je m’exécutai. Il en fit de même, non loin de moi. Je n’osais pas le regarder. J’avais honte de ce que j’avais fait à Europe quelques minutes auparavant, sans compter qu’il semblait lire dans mes pensées…
Et qu’accessoirement, j’étais presque ivre.
— Si tu veux mon avis, tu passes trop de temps à boire, commença-t-il par dire alors que ses mots eurent l’effet escompté.
Je fus gagné par l’humiliation et mon cœur se serra tant j’avais l’impression de le décevoir. Nous regardâmes ensemble dans la même direction, face à nous, tous deux presque gênés par notre rencontre.
— Si tu veux mon avis, tu passes trop de temps à m’observer, rétorquai-je malgré moi.
— Tu ne devrais pas rester ici, notamment dans ton état. Retourne à la Cour.
— Tu n’es pas sérieux ?
— On ne peut plus, si.
Nous nous faisions face.
— Tu sais qu’on est en danger là-bas.
— Je ne crains plus rien pour toi maintenant que je t’ai découvert à l’œuvre, me confiait-il avec admiration. J’en étais gêné pour Nash. Après tes exploits de ce soir, personne ne cherchera à te trahir, crois-moi. Tu es époustouflant, fils. Je n’ai jamais observé personne se battre comme toi en quatre siècles d’existence.
— Arrête ça.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne suis pas mieux qu’un autre.
— Tu t’es vu sur le champ de bataille avec les hommes de Blaise et ceux de Vike, Sade ?
Il semblait agacé.
— Et après, ça, tu m’as vu à l’œuvre, père ? répliquai-je avec affront.
— Tu veux parler du massacre ?
— Je veux parler de ce que j’aurais pu faire à Europe.
Alors, je détournai le regard, n’osant plus croiser le sien.
— Tu ne peux pas aller à l’encontre de ta nature.
— Arrête. Je ne parlais pas de son sang…
— Tu n’acceptes pas ce que te dictent tes instincts, reprit-il pour me pousser à être plus clair.
— Je ne souhaite pas abuser d’elle ni d’aucune autre ! m’écriai-je en plantant mon iris gris dans les siens, noirs et impénétrables.
— Tu portes donc les gènes des Circés également… chuchota-t-il pour lui-même.
Il comprenait enfin quelles étaient mes intentions.
— De quoi tu parles ? le questionnai-je les sourcils froncés.
— Tu as la beauté de ta mère, celle d’une Nivine. Aucun homme n’a ce privilège, il n’y a rien qu’à voir la manière dont les femmes te reg...
— Viens-en au fait, m’impatientai-je, les effluves d’alcool réduisant mon seuil de tolérance.
— Tu as la rapidité et la soif incontrôlable de sang d’un Vampire. Mais également l’instinct de prédateur d’un Circé, sans compter sa puissance.
— Quel est le rapport avec la Nivine ?
— Quand je parle d’un instinct de prédateur, je veux dire ton appétence sexuelle, Sade. Et c’est une chose que tu dois apprendre à maîtriser, car, crois-moi, jamais tu ne pourras te pardonner un tel geste.
— Comment font-ils eux alors ? m’enquis-je en faisant référence aux Circés.
— Ils n’ont aucun scrupule à le faire, malheureusement. Europe et toutes les autres en sont victimes au quotidien.
— Je les tuerai tous dans ce cas.
— Tu vois. Tu tiens ça de ta mère. Elle ne supportait pas l’injustice et tu te dois d’appréhender et de contrôler ces désirs, car tu serais rongé par la culpabilité si tu étais amené à écouter ces besoins-là, fils.
— Apprends-moi alors.
— Je ne sais pas ce que tu vis, Sade… Je suis un Vampire et rien d’autre. Si j’ai bien compris ce soir, tu ne peux être tué avec ou sans stabilisation, tu reviendras sans cesse à la vie. Mieux vaut apprendre dès à présent à te maîtriser sans quoi cette culpabilité te suivra toujours.
— Pourquoi suis-je revenu à la vie ?
— C’est ce que je me demande aussi…
— Personne ne l’a jamais fait avant moi ?
— Pas à ma connaissance.
Sous le regard impuissant de mon géniteur, je portais à nouveau la bouteille à mes lèvres. Je sentis que cela lui déplut, mais je repris une seconde gorgée lorsque je perçus ces voix dans ma tête me rappeler ce que j’étais.
— Sade, l’alcool te fait perdre le contrôle.
— Personne ne cherchera à te trahir, crois-moi… répétai-je dans un murmure, n’écoutant plus mon père.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Je reviens sur tes mots. Qu’est-ce que tu voulais dire par là ?
— Les Vampires nous sont déloyaux parce qu’ils ont peur des Circés. Mais ce soir, j’ai demandé à mes soldats de répandre le récit de tes exploits partout dans la Capitale, sans compter que les Circés s’en chargeront aussi. Aucun homme de mon espèce cohabitant avec toi n’osera prendre le risque de tromper quelqu’un de plus à craindre qu’un Circé.
— Je n’ai pas besoin de tes apôtres.
— Montre-leur un peu de respect. Ils sont prêts à sacrifier leur vie pour toi.
— Pourquoi es-tu revenu ?
— Je ne suis jamais parti.
— Réponds-moi.
— Tu avais besoin de moi. Et ton frère aussi.
— Alors maintenant qu’on a fait nos preuves qu’est-ce que tu comptes faire ?
— Si ta question est de savoir si je vais rester, la réponse est non.
De colère, et par vexation, je bus une autre gorgée. Il baissa la tête. Il était désolé, je crois. Mes sens n’étaient plus là pour me le préciser. Ce que je savais avec certitude c’était que j’avais terriblement besoin d’un père. J’allongeais mon corps sur les tuiles, laissant échapper une larme sur le coin de mes yeux. Il porta une main ferme à hauteur de mon épaule et nous restâmes silencieux. Je bouillonnais et, dans le même temps, je me sentais envahi par une tristesse excessive.
— Reste, l’implorai-je contre toute attente.
— Ils m’ont vu vivant ce soir… les Circés doivent déjà l’avoir annoncé au roi. Ils vont probablement associer ta résurrection avec mon retour.
— S’il te plaît… tentai-je à nouveau.
— Je ne peux pas.
— J’ai besoin de toi.
— Je reviendrai.
— Pourquoi te cacher maintenant qu’ils savent ?
— Je ne suis pas invincible comme toi. Je suis un Vampire. Je me dissimule par nature, comme tous les autres…
— Je te protègerai.
— Ce n’est pas ton devoir.
— Laisse-moi te servir alors.
— Quoi ?
— Fais de moi un de tes soldats.
— Regarde-toi, Sade. Ce n’est pas dans ta nature d’obéir aux ordres. Tu es un meneur, pas un suiveur.
— Je ne sais même pas qui je suis…
— Fils, tu es un tribride.
— Un quoi ?
— Un tribride. Un être possédant sa propre espèce à partir des caractéristiques de nos trois spécimens réunis.
— Comment connais-tu ce terme ? Y en a-t-il eu d’autres avant moi ?
— Parce que la légende disait vrai, soupira-t-il, presque peiné que ses fils aient à porter un tel fardeau. Et qu’elle parle de toi comme d’un être d’une extrême force à même d’anéantir une armée de Circés jusqu’alors intouchable. Tu es doté d’une puissance capable de survivre à la mort, ajouta-t-il, désormais plus admiratif. Tu déjoues les plans de l’ennemi. Tu es le seul à pouvoir sauver un monde sous emprise depuis des siècles et des siècles, m’expliqua-t-il avec estime. Tu es attendu en dieu. Tu es un surhomme et je suis fier de t’avoir comme fils, finit-il par me dire, malgré ses craintes pour nous.
Je me raclais la gorge, ne me sentant pas légitime de recevoir de tels éloges. Je me relevais pour me rasseoir à ses côtés, la bouteille en main. Je restais silencieux, ne sachant quoi répondre.
— Va au bout de tes projets, m’implora-t-il avec une fermeté déroutante. Fais-le pour ta mère. N’oublie jamais qu’elle est morte pour vous. Construis ton armée telle que tu envisageais de le faire. Ne tente rien avant mon retour, mais je reviendrai.
— Promets-le.
— Je suis un Joyce, murmura-t-il dans un sourire. Je n’ai qu’une parole.
— Fais attention à toi, chuchotai-je sans le lâcher du regard, le devinant prêt à s’éloigner.
— Ta mère serait fière de toi.
— Pas autant que je le suis de vous deux.