Sainte Geneviève - Delphine Pasteau - E-Book

Sainte Geneviève E-Book

Delphine Pasteau

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Beschreibung

Depuis 1600 ans, la figure de Sainte Geneviève est liée à l’histoire de France. De la défense de Paris contre les Huns au baptême de Clovis en passant par la construction de la première basilique Saint-Denis, elle a marqué le destin de notre pays et de sa capitale. Sa longue vie foisonne d’épisodes plus fascinants les uns que les autres que la reine Clotilde demanda à un moine de consigner dans un livre, juste après la mort de la grande sainte.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Enseignante et passionnée d’Histoire, Delphine Pasteau a écrit plusieurs albums sur la vie des saints. Sainte Geneviève l’éblouit par sa foi, sa personnalité et sa modernité. Elle a donc à cœur de la faire connaître.

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Delphine Pasteau

Sainte Geneviève

Conception couverture : © Christophe Roger

Illustration couverture : © Ixène

Relecture : Le Champ rond

Composition : Soft Office (38)

 

© Éditions Emmanuel, 2023

89, boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

 

ISBN : 978-2-38433-075-1

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.

Dépôt légal : 1er trimestre 2023

À mes parents qui m’ont transmis la foi et qui m’ont donné le goût de l’Histoire et des « petites histoires ».

À Sylvie et Cécile, deux précieuses amies, grâce à qui j’écris.

À tous mes élèves d’hier, d’aujourd’hui, de demain.

Sainte Geneviève en quelques lieux

Été 520

Île de la Cité, Paris, 6 heures du matin

Le moine Boniface presse le pas dans les ruelles étroites de Paris. Le soleil est à peine levé mais la chaleur estivale se ressent déjà et Boniface sue à grosses gouttes sous sa robe de laine sombre. Il s’arrête un instant pour reprendre son souffle.

« Je n’aurais pas dû manger autant ce matin. J’ai encore péché par gourmandise, se gronde-t-il. Et me voilà bien puni. Je suis déjà épuisé alors que je n’ai même pas encore commencé ma mission », songe-t-il en s’épongeant le front de sa main moite.

Il reprend sa route mais ses jambes courtes peinent à porter son corps massif.

Boniface s’arrête une nouvelle fois et s’assied sur la margelle d’un puits. Tout en buvant plusieurs gorgées d’eau, il repense à l’événement extraordinaire de la veille. Il s’est repassé la scène dans sa tête toute la nuit et a encore de la peine à y croire.

Hier, son père abbé lui avait fait savoir que la reine Clotilde en personne, la veuve du roi Clovis, voulait le voir, lui, Boniface. Complètement sidéré par cette requête, il s’était dépêché d’aller au palais. Impressionné par le lieu et plus encore par la noblesse de la reine, il s’était incliné maladroitement face à elle. Heureusement, Clotilde avait rapidement pris la parole, tirant ainsi le pauvre moine de son embarras.

— Frère Boniface, j’ai à vous parler, avait énoncé la reine d’une voix claire et ferme. Dans la prière, le Seigneur m’a inspiré la réalisation d’une œuvre importante. Geneviève, que vous avez peu connue car vous êtes encore bien jeune, a joué un rôle essentiel pour Paris et pour tout le royaume des Francs. Il faut la faire connaître. Or, on m’a grandement fait l’éloge de votre talent d’écriture. C’est donc vous qui allez écrire le récit de la vie de cette sainte femme.

À ces mots, Boniface avait écarquillé les yeux puis baissé la tête et vacillé de surprise. Mais Clotilde avait enchaîné, faisant comme si elle n’avait rien remarqué :

— Pour réaliser cette tâche, vous devrez aller à la rencontre de personnes qui l’ont bien connue. Je vous livrerai bien sûr mon propre témoignage. Et mon nom vous ouvrira toutes les portes. Je compte sur vous pour me rendre régulièrement compte de l’avancée de votre manuscrit. N’oubliez pas que vous ferez cela par amour du Christ et uniquement pour lui. Allez !

Tout en regardant Boniface avec bonté, la reine avait accompagné son dernier mot d’un geste impératif de la main. Un léger sourire était apparu sur ses lèvres quand le moine rougissant avait balbutié un accord qui ne lui était pas demandé. Boniface était sorti du palais complètement stupéfait. Pourquoi lui ? L’un des plus jeunes moines de Paris, affublé d’un physique aussi peu avantageux que possible. Tout en rondeurs et court sur pattes, d’une timidité presque maladive, ses nombreuses maladresses lui valaient souvent des moqueries. Malgré son talent pour écrire des histoires, il se sentait bien indigne de la mission que lui avait confiée la reine Clotilde. Aussi l’avait-il remise au Seigneur dans la prière, car, se répétait-il, « rien n’est impossible à Dieu ».

Un chat renverse le seau posé aux pieds du moine, le tirant de sa rêverie. Autour de lui, la place commence à s’animer. Les marchands installent leurs étals de fruits, de légumes et de poissons.

« Allez Boniface, s’encourage le moine, plus que quelques mètres et tu seras parvenu à destination ! »

Arrivé devant la porte en bois d’une petite maison, le moine frappe plusieurs coups avant d’entrer dans l’humble logis composé de seulement deux pièces. Les ouvertures calfeutrées par des planches ne laissent passer que quelques rayons de lumière afin de garder un peu de fraîcheur.

— Sœur Aude ? appelle-t-il en n’osant pas pénétrer dans la seconde pièce.

— Entrez, frère Boniface, lui répond la voix de la vierge consacrée. La reine Clotilde m’a parlé de votre mission et m’a fait part de votre visite.

Rassuré, le moine s’avance vers une modeste paillasse sur laquelle est assise une femme, dont l’obscurité ne parvient pas à cacher les nombreuses rides.

— Asseyez-vous, je vous en prie, reprend la vieille dame de sa voix frêle et douce.

— Bonjour, sœur Aude, murmure le moine. Puis-je me permettre de recueillir votre témoignage sur Geneviève ? En effet, vous avez été l’une de ses disciples et votre talent de conteuse est connu de tous dans la cité. J’espère ne pas vous déranger ni vous fatiguer.

Une légère brise se faufile par les interstices entre les lattes des fenêtres et fait voleter légèrement le voile mauve qui ceint le front d’Aude. Son rire cristallin et étonnamment jeune résonne dans la pièce minuscule.

— Vous ne me dérangez pas du tout, jeune homme. Je serai heureuse de vous raconter tout ce que je sais. Je n’ai pas la santé de ma chère Geneviève qui, elle, à mon âge, parcourait encore la cité pour secourir les miséreux, mais je peux encore parler pour la gloire de Dieu. Pour ce qui est des premiers événements de la vie de Geneviève, je ne pourrai que vous transmettre le récit des personnes qui l’ont connue jeune. En effet, je suis née bien après elle. Mais le Seigneur m’a dotée d’une très bonne écoute et d’une excellente mémoire !

La vieille femme ferme les yeux quelques instants et s’humecte les lèvres avant de reprendre :

— Voyons, voyons, par où commencer ? Par le début, bien sûr ! Cela se passait donc il y a près d’une centaine d’années, Geneviève avait alors environ 7 ans…

Boniface, subjugué par le regard bleu clair presque transparent de son interlocutrice, oublie toute sa fatigue pour plonger, complètement captivé, dans le passé.

L’enfance

Une fillette mystérieuse

Un vent frais pénètre par la porte ouverte dans la plus belle maison du village de Nanterre. Dans l’embrasure se dresse la silhouette fine et longue d’une femme au front haut et au port de tête altier. Elle est vêtue de plusieurs tuniques ornées de pierreries. Souliers colorés, bracelets et collier précieux montrent le prestige de son sang autant que l’importance de cette journée qui commence.

« Va-t-il se mettre à pleuvoir ? Seigneur, pitié, pas aujourd’hui ! » implore Gerontia en silence.

Ses yeux bleu-gris observent avec inquiétude les nuages sombres qui s’amoncellent dans le ciel de printemps. Ses lèvres se pincent et laissent échapper un cri impatient :

— Geneviève ! Où es-tu ? Ton père est déjà parti depuis longtemps. Dépêche-toi !

Une petite main se pose calmement sur celle de Gerontia.

— Mère, j’étais tout près. Je priais, dit une ravissante fillette blonde aux longues nattes.

Gerontia pousse un soupir de soulagement.

« Quelle étrange enfant », songe-t-elle en observant sa petite fille au regard si intelligent.

Calme et énergique, Geneviève a hérité de la force de caractère de sa mère, mais pas de son impétuosité. Et, de son père, elle a le regard clair et néanmoins sans jugement sur ceux qui l’entourent. Mais ce qui impressionne le plus Gerontia, c’est surtout la piété de son enfant. Naturellement, Geneviève l’accompagne à la chapelle pour assister à la messe et prier, et elle l’aide dans ses œuvres de charité auprès des pauvres et des malades. Pourtant, il y a en Geneviève quelque chose de mystérieux que même elle, sa propre mère, peine à saisir. Toujours près d’elle et pourtant si loin. Comment comprendre qu’une fillette de 7 ans à peine, après avoir accompli tous ses devoirs de bonne chrétienne, se mette à genoux au pied de la croix pendant des heures plutôt que d’aller jouer ? Cette profonde intériorité est-elle normale à un si jeune âge ?

Une lourde goutte de pluie tombe sur le nez de Gerontia et la sort brusquement de ses pensées.

— Bon, au moins, tu es correctement vêtue, dit-elle avec autorité. Tu sais que ce qui se passe aujourd’hui est très important ?

Geneviève opine sagement de la tête en silence.

— Bien, reprend sa mère en vérifiant les détails de sa tenue, aujourd’hui est un grand jour car l’évêque Germain nous fait l’honneur de faire escale dans notre ville. Te rends-tu compte ?

— Oui, Mère, répond docilement la petite fille.

— Germain est connu dans tout le territoire gallo-romain et même au-delà comme un saint homme de Dieu, poursuit Gerontia. C’est vraiment un homme de prière et il est d’une charité sans égale. En plus, on dit qu’il a accompli de nombreux miracles à Auxerre et alentour. Sais-tu qu’il est même allé évangéliser les hérétiques de Bretagne1, par-delà les mers, avec Loup, l’évêque de Tours ? Il sera là, lui aussi ! Quel événement pour notre ville !

— Oui, Mère, répète posément l’enfant.

— Et ce sont nous, ton père, toi et moi, qui allons accueillir ces éminents personnages ! Quelle grande grâce nous fait le Seigneur ! s’enflamme Gerontia.

Face à l’attitude immobile et silencieuse de sa fille, elle insiste :

— Nous sommes les aristocrates de la ville. Ton père est général, magistrat de Lutèce2, il occupe une place importante. Nous avons, tous les trois, le devoir de montrer l’exemple à la population. Surtout avec toutes ces hérésies et pratiques païennes partout, nous devons être de bons chrétiens et servir l’Église. Alors, je t’en prie, Geneviève, pour l’honneur de notre famille et la gloire de notre nom, cesse de disparaître ainsi.

— Mère, je vous obéirai, prononce la fillette de sa voix encore fluette mais déjà ferme. Mais je préfère rendre gloire à Dieu plutôt qu’à ses serviteurs.

— Comment ça, ses serviteurs ? De qui parles-tu ?

— De nous tous ! Les saints évêques, mon père, vous et moi, bien sûr. Nous sommes tous au service de Jésus et c’est à lui seul que nous devons rendre gloire et honneur.

Bouche bée, Gerontia saisit vigoureusement la main de sa fille et l’entraîne à sa suite vers le port.

— Très bien, Geneviève, très bien. Disons que tu serviras parfaitement la gloire de Dieu en accueillant dignement les évêques Germain et Loup auprès de nous. Maintenant, ton seul devoir est de te taire et de me suivre. Hâte-toi, nous ne devons pas être en retard.

Mère et fille se frayent un chemin dans la foule qui se presse sur le port pavoisé de couleurs. Que de monde ! Toute la population de Nanterre semble s’être rassemblée pour ne pas manquer l’événement. Hommes, femmes et enfants fixent la Seine des yeux, guettant la flottille. Les nuages, chassés par la brise légère, se font rares. Un rayon de soleil aveugle Gerontia qui met sa main en visière pour chercher du regard son époux. Enfin, elle aperçoit sa haute silhouette et tire plus fort sur la main de Geneviève. Quand elles arrivent auprès de Severus, celui-ci ne peut s’empêcher de laisser échapper un sourire d’admiration et d’amusement à la vue de celles qu’il aime plus que tout. Elles sont si belles l’une et l’autre ! Mais le teint rougi de son épouse et sa coiffure un peu échevelée contrastant avec le calme olympien de sa fille lui laissent imaginer la scène domestique qui vient de se dérouler et dont il est un observateur coutumier. Il tapote la tête de son enfant avec tendresse et pose sur sa femme un regard rassurant.

— Tout va bien, ma chère. Ils ne sont pas encore arrivés.

Gerontia reprend son souffle, jette un œil sur Geneviève puis rajuste ses boucles.

Soudain une voix fuse :

— Je vois un bateau ! Ça y est ! Ils arrivent !

Une clameur de joie s’élève de la foule. Le navire se rapproche, se faisant chaque minute plus gros, plus réel. Le cœur battant, Gerontia saisit quelques instants la main de son époux. Ils échangent un regard d’amour et de joie profonde, puis ils se tournent ensemble vers leur unique enfant, souhaitant partager avec elle l’importance de cet événement.

Mais leurs yeux ne rencontrent que le sol. Geneviève… a disparu.

1. Grande-Bretagne actuelle.

2. Ancien nom de Paris.

L’inspiration de Germain

Immédiatement, Gerontia tourne vers son époux des yeux désespérés :

— Severus ! Ce n’est pas possible ! Où est encore passée cette enfant ? Il faut partir à sa recherche avant qu’il ne lui arrive quelque chose de grave.

Au moment où Gerontia s’apprête à partir en courant, Severus la retient fermement par le coude.

— Non, ma chère, non. Oublieriez-vous notre mission du jour ? Il est de votre devoir d’être à mes côtés pour accueillir les évêques Loup et Germain comme il se doit.

La réplique qui brûle les lèvres de Gerontia n’a pas le temps d’en franchir le seuil car le général, en bon militaire, sait couper court à toute attaque, y compris dans son propre foyer. Il enchaîne sur un ton à la fois ferme et apaisant :

— Notre chère Geneviève est comme ça. Elle sait ce qu’elle veut et va où elle l’entend. Mais elle ne fait jamais rien de déraisonnable et ne disparaît jamais bien loin. Faites-lui confiance pour une fois. Le Seigneur nous a fait patienter dix longues années avant de nous donner notre fille unique et nous lui avons promis d’accueillir l’enfant qu’il nous enverrait selon sa volonté. Si vous continuez à paniquer dès qu’elle est hors de votre vue, vos cheveux auront complètement blanchi avant qu’elle ait atteint ses 10 ans… Et vous savez combien j’aime vos boucles blondes, termine-t-il avec un regard taquin en caressant doucement l’ovale du visage de Gerontia.

Celle-ci ferme les yeux avant de les rouvrir et de dire en un souffle :

— Vous avez raison, mon ami. Comme toujours.

À la vue du sourire de son mari, elle ajoute avec un regard complice :

— Enfin, comme souvent. Oh ! Regardez, les voilà !

En effet, tout à leur échange, les époux ont fait fi des exclamations de joie grandissantes de la foule et n’ont pas vu le bateau approcher.

Sur le pont se dressent deux hommes dont les chapes violettes volent au vent : le premier est dans la force de l’âge, le second semble plus grand et plus jeune. Tous deux arborent de larges sourires. La mitre qu’ils portent chacun sur leur tête et la crosse qu’ils tiennent dans leur main ne laissent aucun doute sur leur identité. Le plus âgé bénit la foule, tandis que le second évêque, respectueusement placé un pas derrière son aîné, salue les habitants de Nanterre d’un discret signe de la main.

— Là, c’est Germain ! Et le grand derrière, c’est Loup ! s’exclame une femme près de Gerontia, pointant du doigt les prélats.

Le navire accoste enfin et les deux évêques descendent sous les vivats de la population. Severus s’avance solennellement vers eux, accompagné de sa femme.

— Messeigneurs, soyez les bienvenus dans notre modeste bourgade. Tous les habitants de notre cité, mon épouse et moi-même sommes extrêmement honorés de votre visite. Et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre votre séjour agréable. Nous avons fait apprêter notre chapelle pour la sainte messe. Un grand banquet est ensuite préparé à votre intention.

Au fur et à mesure des paroles de Severus, la foule s’est tue. Tous peuvent ainsi entendre la voix douce et pleine de Germain qui prend la parole avec ces mots :

— Je vous sais gré, chers Severus et Gerontia, d’avoir prévu la nourriture céleste avant la nourriture terrestre. Cela signifie que vous mettez Dieu à sa juste place, la première.

Puis, se tournant vers la foule, il reprend :

— Je vous bénis, vous, habitants de Nanterre. Que notre Seigneur Jésus Christ vous garde de tout mal et vous comble de ses bénédictions. Vous…

La voix de l’évêque s’interrompt, soudain suspendue dans l’air. Pourtant, nul bruit, nul événement ne semble avoir perturbé son discours. Le regard de Germain erre dans la foule comme s’il cherchait quelque chose ou… quelqu’un. À ses côtés, Loup écarquille les yeux d’étonnement. Il sait bien que son ami prie l’Esprit Saint pour recevoir l’inspiration divine avant de mettre pied à terre à chaque fois qu’ils font escale sur les bords de la Seine, mais jamais Germain ne s’interrompt ainsi. Que se passe-t-il donc ? « Il a sans doute reçu une soudaine inspiration de Dieu », songe Loup. C’est vrai que son ami a parfois une attitude étrange à cause de son don de prescience qui lui permet, dans la prière, de deviner l’avenir. Mais qu’a-t-il donc vu cette fois-ci ?

L’évêque d’Auxerre semble reprendre ses esprits et annonce subitement :

— Chers habitants de Nanterre, finalement nous allons prendre un temps de prière ici même, avant de célébrer la sainte messe, car telle est la volonté de Dieu. Je vois une grande croix dressée là-bas au bout de la place. Je vous invite tous à vous mettre à genoux en vous tournant vers elle, et vous remercie de me laisser un passage pour que je m’en approche.

Sans un bruit, la foule obéit aux paroles de Germain et tous se mettent à genoux. Mais, au pied de la croix, une unique silhouette menue reste encore debout. Celle d’une enfant qui a les mains jointes et les yeux fermés. Une fillette dont les nattes sont si longues qu’elles semblent faire le lien entre le ciel et la terre. Une petite fille qui paraît n’avoir rien entendu.

Le visage de Gerontia rougit de honte. La seule personne qui n’a pas obéi à l’évêque Germain, c’est sa fille, Geneviève.

Une rencontre décisive

Le cœur de Gerontia bat si violemment que Severus, à ses côtés, pourrait presque l’entendre. Lui-même n’est pas très à l’aise mais réussit à garder bonne contenance lorsque l’évêque Germain se tourne vers eux pour les interroger :

— Qui sont les parents de cette enfant ?

Gerontia bredouille de manière précipitée :

— Nous, Votre Excellence. J’implore votre indulgence. Notre fille ne fait jamais le mal pour le mal. Quand elle est en prière, elle semble ne rien entendre du monde qui l’entoure. Si elle vous avait entendu, elle vous aurait obéi comme nous tous et…

Germain l’interrompt d’un signe de la main et la rassure d’un regard d’une infinie bonté. Puis, d’un pas calme et ample, il se dirige vers Geneviève toujours en prière. La foule reste figée, telle des statues de sel. Tous attendent la réaction du prélat.

L’évêque pose doucement sa main sur l’épaule de Geneviève. La fillette ouvre les yeux et se tourne vers lui d’une manière tellement naturelle qu’il semblerait qu’elle n’attendait que cette rencontre.

— Qui es-tu et que fais-tu là, petite fille ? demande Germain.

— Je m’appelle Geneviève et je prie pour vous, répond l’enfant.

— Pourquoi n’es-tu pas restée auprès de tes parents pour m’accueillir ?

— Jésus voulait que je prie pour vous, dit avec simplicité la petite. Alors, je me suis mise auprès de lui. C’est à lui que je dois d’abord obéir.

À ces mots, Germain se tourne vers Severus et son épouse, qui se sont, à leur tour, approchés de la croix. Gerontia est rouge de confusion. Quelle va être la réaction du saint évêque face à une telle impertinence ?

Mais Germain proclame d’une voix forte :

— Heureux êtes-vous d’être les parents d’une telle enfant. Cette fille est née pour servir la gloire de Dieu d’une manière toute particulière. Soyez bénis !

Aussitôt, l’atmosphère sur la place se détend. La mâchoire de Severus se relâche imperceptiblement tandis que Gerontia pousse un discret soupir de soulagement et a enfin l’impression de respirer normalement. Tout semble reprendre son cours normal. Geneviève suit ses parents sagement jusqu’à la chapelle. Après la messe, les festivités se déroulent dans la liesse populaire. Tous mangent et trinquent à la santé des évêques et pour la bonne réalisation de leur mission.

Alors que la fête bat son plein, Germain se lève, s’approche de Geneviève et lui demande :

— Geneviève, Dieu t’a choisie pour être son humble servante. Mais tu es libre de lui répondre par oui ou par non. Veux-tu lui donner ta vie ?

Sous les yeux ébahis de ses parents, la petite fille répond avec un grand sourire :

— Oh ! Oui !