Salvatore Falnerra - Delly - E-Book

Salvatore Falnerra E-Book

Delly

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Beschreibung

Avant de mourir, Gérault de Varouze a fait promettre à sa jeune femme d'aller se réfugier avec leurs deux enfants, Étienne et Ourida, chez son oncle, le comte Marcien, avec qui il était fâché. Le comte Marcien, vieillissant, est tombé entre les mains d'une femme ambitieuse et perverse, Angelica, qui s'est fait épouser. Elle règne en maîtresse dans le somptueux château de la Roche-Soreix. Un noir dessein l'obsède : cacher à son mari l'existence du petit Étienne et de la jolie Ourida. Elle les loge avec leur mère dans une modeste maison, les surveille, les humilie, les maltraite... Puis elle fait enlever Étienne, l'héritier du nom. De chagrin, la veuve de Gérault meurt à son tour. Voilà Ourida seule au monde, et toujours captive. Un jour, le jeune prince Salvatore Falnerra l'aperçoit. Séduit par sa sur-prenante beauté, il veut percer le mystère qui l'entoure. Mais la redoutable Angelica veille...

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Salvatore Falnerra

DellySalvatore FalnerraPage de copyright

Delly

Salvatore Falnerra

Delly est le nom de plume conjoint d’un frère et d’une sœur, Jeanne-Marie Petitjean de La Rosière, née à Avignon en 1875, et Frédéric Petitjean de La Rosière, né à Vannes en 1876, auteurs de romans d’amour populaires.

Les romans de Delly, peu connus des lecteurs actuels et ignorés par le monde universitaire, furent extrêmement populaires entre 1910 et 1950, et comptèrent parmi les plus grands succès de l’édition mondiale à cette époque.

Salvatore Falnerra

Ce volume fait suite à :

Ourida.

Prologue

Au cours d’une promenade en automobile aux environs de La Bourboule, le prince Salvatore Falnerra, un garçonnet d’une dizaine d’années, et sa mère sont victimes d’un grave accident. Si le prince est indemne, ainsi que le chauffeur Barduccio, la mère de Salvatore, en revanche, est blessée et le valet qui les accompagnait, tué.

Un jeune homme, attiré par le bruit de l’accident, vient immédiatement porter secours aux automobilistes et constate avec stupeur qu’une roche s’est détachée du talus au moment même du passage de l’automobile sur la route. Coïncidence ? Attentat contre la vie du prince ? Mais il faut parer au plus pressé et le jeune homme, Gérault de Varouze, propose de conduire la blessée au château de la Roche-Soreix, non loin de là. Cette proposition est acceptée par le prince.

Le château de la Roche-Soreix est habité par le comte Marcien de Varouze, qui y a recueilli sa nièce devenue veuve, Angelica d’Artillac, née Manbelli, et son fils Lionel. Habite également avec eux un neveu du comte : Gérault de Varouze, encore célibataire.

Que sa nièce refasse sa vie avec Gérault, voilà qui comblerait le désir du comte Marcien de Varouze, mais le jeune homme ne semble guère répondre aux avances de la veuve, pourtant fort belle.

La princesse Falnerra et son fils restent une huitaine de jours au château. Peu après leur départ, un garde forestier demande à parler à M. de Varouze. Mis en sa présence, il lui remet un étui à cigarettes en argent, gravé aux initiales O. M., et qu’il a trouvé sur le lieu de... l’accident. Angelica tressaille en voyant l’objet – importante pièce à conviction – que le comte confie à son neveu. Celui-ci le dissimule, sur l’ordre de M. de Varouze, derrière un des livres de la bibliothèque murale du salon. Quelques jours plus tard, on s’apercevra avec stupeur que l’étui à cigarettes a disparu de sa cachette. Qui a pu se rendre coupable de ce vol ? Sans qu’il puisse étayer ses soupçons d’une preuve quelconque, M. Gérault de Varouze n’est pas loin de croire que Brigida, la servante toute dévouée d’Angelica, s’est indélicatement approprié l’objet. N’auraient-elles pas partie liée ?

Le comte Marcien de Varouze, décidé à faire aboutir son projet, demande à son neveu de lui dire la raison de la froideur qu’il manifeste à l’égard d’Angelica, froideur qu’il ne cherche même pas à dissimuler. Gérault lui répond avec franchise qu’il ne pourra jamais épouser la veuve, car il aime une jeune Arabe, Medjine, qu’il a connue à Alep, quelques mois plus tôt, au cours d’un voyage en Orient. C’est elle qu’il veut prendre pour femme... et il demande à son oncle de vouloir bien donner son consentement à ce mariage. Le comte s’insurge contre le projet de son neveu, le désavoue et réserve sa décision.

Quelques jours plus tard, M. de Varouze, Gérault, Mme d’Artillac et le petit Lionel se rendent à La Bourboule pour répondre à l’invitation que leur avait faite la princesse Falnerra, avant son départ de la Roche-Soreix. Au cours de cette visite, Mme d’Artillac s’écarte de ses hôtes sous un prétexte quelconque pour rencontrer à leur insu Orso Manbelli, son cousin.

Orso Manbelli... O. M. : les initiales de l’étui à cigarettes... Orso Manbelli a aimé sa cousine Angelica, qui lui a préféré Félix d’Artillac, dépouillé de sa fortune par elle, condamné à mort par elle. Toujours à court d’argent, Orso est toujours amoureux d’Angelica. Pourquoi le repousse-t-elle encore ? Elle est veuve, libre... Mais la jeune femme a des vues plus hautes et, pour l’instant, elle veut seulement savoir pour le compte de qui Orso a agi en essayant de tuer la princesse Falnerra et son enfant. Mais Angelica ne saura rien, son cousin ne veut pas donner le nom de celui qui a guidé sa main. Tout ce qu’elle peut obtenir de son cousin, c’est qu’il lui écrive chez Ricardo Clesini, en adressant ses lettres au nom de son amie Sephora Galbi.

Le lendemain, le comte Marcien de Varouze fait connaître sa décision à son neveu Gérault : jamais, il ne consentira à son mariage avec Medjine. Pour réaliser son rêve, le jeune homme quitte définitivement le château de la Roche-Soreix pour retrouver en Orient celle qui l’attend et qu’il aime.

Dix ans ont passé et que d’événements se sont déroulés pendant cette période !

Au château de la Roche-Soreix, le comte Marcien de Varouze, paralysé des jambes à la suite d’une fièvre typhoïde, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il n’a pas quitté sa chambre depuis trois ans. Voilà déjà quelques années qu’il s’est marié en secondes noces avec Angelica.

Angelica de Varouze reste maintenant le seul maître du château. Elle impose sa loi despotique sur les choses et les gens du vaste domaine, sans pitié pour le personnel et les vieux serviteurs qu’elle congédie brutalement pour les remplacer par des personnes à sa solde.

Bien qu’entouré par sa femme d’une sollicitude de tous les instants, le comte de Varouze n’est pas heureux. Affaibli par la maladie, sans volonté pour mettre obstacle aux décisions de sa femme, il n’a même pas la joie de se sentir aimé par la fille qu’il a eue d’elle : Lea, celle-ci restant complètement sous l’influence de sa mère. Il ne se rend pas compte qu’Angelica poursuit l’élaboration d’un sinistre dessein : l’attente de sa mort qui lui échoira et dont elle pourra, ainsi que Lionel, profiter alors pleinement.

Ce soir-là, un train transporte vers la Roche-Soreix, dans un modeste compartiment de troisième classe, une mère épuisée par la douleur, la maladie et le long voyage : Mme Gérault de Varouze et ses deux enfants : un petit garçon, Étienne, et une fillette de neuf ans, Ourida, à la chevelure aux tons fauves, aux yeux noirs d’une saisissante beauté.

Ces enfants n’ont plus de père : le bon Gérault est mort à Alep, après une longue maladie. Avant de mourir, il a conseillé à Medjine, maintenant sans ressources, de partir pour la France avec ses enfants, de frapper à la porte du château de la Roche-Soreix où son oncle, le comte Marcien de Varouze, ne pourra pas – il connaît sa foncière bonté – ne pas les accueillir et les aider. Certes, le comte n’a jamais répondu à ses lettres, mais il n’est pas possible qu’il n’ait pas pardonné à son neveu une union dans laquelle celui-ci a trouvé le bonheur.

Hélas ! c’est Angelica de Varouze que Medjine rencontrera la première à sa sortie de la gare et Dieu sait dans quelles dramatiques circonstances.

Terrassée par un évanouissement prolongé, elle ne pourra empêcher la femme du comte, venue à son secours, de connaître son identité, qu’elle eût voulu lui cacher à tout prix. Son alliance, tombée à terre, révèle à Angelica, par les noms gravés à l’intérieur de la bague, qu’elle se trouve en présence de celle que Gérault lui avait préférée et de ses enfants.

Angelica de Varouze ne laisse rien voir de sa découverte. Elle fait semblant de croire l’histoire que, comme une fable bien apprise, lui récite Ourida : sa maman s’appelle Mme Lambert et ils viennent tous trois de Constantinople. Medjine et ses enfants sont emmenés au château de la Roche-Soreix et logés dans une chambre de la tour la plus retirée. Bien entendu, Angelica ne révèle pas à son mari l’identité de ceux qu’elle a recueillis : ce sont, lui dit-elle, de pauvres gens qu’il convient de secourir pendant quelque temps.

La comtesse ne tarde pas à capter la confiance de Medjine, qui lui raconte sa pénible odyssée et lui avoue sa détresse. Angelica la réconforte, tout en lui demandant de ne pas chercher à rencontrer son mari hors de sa présence, de continuer à porter le nom de Lambert, Ourida devant répondre à celui de Claire. Plus tard, laisse-t-elle espérer à la pauvre femme, elle arrangerait les choses au mieux de leurs intérêts. Elle réussit cependant à subtiliser les papiers de Medjine, qui s’apercevra de leur disparition quelques jours plus tard.

Medjine et ses enfants ne restèrent pas longtemps dans la chambre du château. Une maison en partie délabrée, située à une centaine de mètres de là, devint bientôt leur nouvelle demeure. Dans les jours qui suivirent leur installation, Ourida fit la connaissance de Lea, une enfant vaniteuse et de caractère peu facile. L’autorisation pour les deux fillettes de jouer ensemble dans le parc fut accordée par Angelica, à la condition que Mlle Luce de Francueil, la préceptrice de Lea, ne quitterait pas les enfants.

C’est à cette époque que le prince Salvatore Falnerra fut reçu au château de la Roche-Soreix par Lionel, devenu son ami.

Un matin, se promenant seul de bonne heure dans le parc, il eut la surprise d’entendre chanter Ourida. C’était une chanson arabe. Intrigué, il s’approche de la fenêtre ouverte, entend le nom d’Ourida prononcé par Medjine, se montre à la fillette qui ne peut réprimer un mouvement de surprise. Le prince promet à Ourida de garder pour lui le secret de leur rencontre.

Un événement fortuit devait bientôt bouleverser la vie monotone des réfugiés : la mise en présence d’Ourida avec son grand-oncle, le comte Marcien de Varouze.

Punie par la sévère Brigida et enfermée dans la cave de l’habitation, Ourida découvrit que cette cave communiquait avec un souterrain, lequel conduisait à la resserre des provisions du château. S’enhardissant, elle suit un couloir, monte un étroit escalier de pierre menant au premier étage, pousse une porte au hasard. Celle-ci donne accès à une vaste chambre où, dans le lit, semble dormir un homme au visage creusé, la barbe grisonnante. Et soudain jaillit de ses lèvres un nom : Gérault, le nom du père d’Ourida.

Un mouvement instinctif pousse la fillette vers son grand-oncle, elle se fait connaître, lui livre la vérité. Le comte Marcien de Varouze est atterré par les révélations d’Ourida : sa femme, en qui il avait pleine confiance, lui a menti. Il rassure Ourida, lui promet de la revoir bientôt. Quand Angelica, quelques heures plus tard, s’approche de son lit, le comte, ne pouvant contenir sa colère, lui demande raison de ses mensonges. Angelica répond que cette Lambert prétend être, en effet, la veuve Gérault, mais ne peut faire la preuve de son identité. C’est, à son avis, une folle qu’il convient de surveiller de près.

Devant les menaces d’Angelica, Ourida avoue qu’elle a vu le comte Marcien de Varouze.

Première partie

1

Dans la rue du Cherche-Midi, au rez-de-chaussée d’une maison étroite et haute, existait depuis nombre d’années un magasin d’antiquités, qui avait appartenu d’abord à un sieur Erdhal, se disant sujet hollandais, mais que des gens initiés assuraient originaire de la très prussienne province de Silésie... Après fortune faite – ou bien sa mission secrète réalisée, prétendaient certains de ces gens clairvoyants que personne n’écoute – l’antiquaire s’était retiré, en cédant son fond à un Italien du nom de Ricardo Clesini.

Ce personnage arrivait de Rome, où il tenait auparavant un commerce de joaillerie. Sa femme l’accompagnait – la belle Sephora, ancienne danseuse à l’Alfieri de Florence, qu’un accident de voiture avait rendue infirme... Ils s’étaient installés dans la maison de la rue du Cherche-Midi, achetée par eux, et s’étaient aussitôt activement occupés de leur nouveau commerce. Ricardo allait et venait, en province, à l’étranger, pour l’achat de meubles ou d’objets anciens. Ce petit homme maigre, chauve, au teint jaune et aux yeux brillants, possédait un flair extraordinaire pour dénicher l’objet rare, et une adresse non moins remarquable pour l’obtenir à petit prix... La vente regardait surtout Mme Clesini. Elle s’y entendait fort bien et, tout en roulant gracieusement le client, s’arrangeait pour qu’il se trouvât généralement satisfait de son marché.

Un après-midi, vers deux heures, un homme vêtu avec une certaine élégance ouvrit la porte du magasin dont le timbre résonna longuement. Au fond, une portière de damas vert fut soulevée, une femme apparut et dit en italien, d’une voix calme, au timbre profond :

– Ah ! c’est vous, Manbelli.

– Votre message m’a été remis tout à l’heure, signora.

– Venez par ici.

Orso Manbelli traversa le magasin encombré, mais où chaque meuble, chaque objet, était placé dans un ordre parfait et un sens artistique incontestable... Sephora l’attendait, sa belle tête aux lourds cheveux noirs ressortant sur le fond vert de la portière qui retombait à demi derrière elle. Son visage d’une pâleur ambrée, dont quelques traits rappelaient l’origine sémitique de sa famille maternelle, portait les marques d’une santé précaire ; une de ses mains serrait le bec d’ivoire de la canne qui aidait sa jambe infirme. Mais rien n’aurait pu éteindre le feu de ses yeux noirs, l’ardeur inquiétante de ce regard où brûlait une vie intense.

Orso la suivit, d’abord dans une petite arrière-boutique éclairée à l’électricité, où se trouvaient les objets les plus précieux, puis dans une autre pièce plus grande, que fermait une porte capitonnée.

Une grande baie vitrée, donnant sur la cour, éclairait les murs tendus de tapisseries du seizième siècle, les peaux de bêtes sauvages qui couvraient le parquet, les meubles de la Renaissance italienne, toutes pièces d’une très grande valeur... Sur un divan de soie jaune s’amoncelaient des coussins brodés d’argent. Une Junon de marbre reposait sur un socle de malachite, entre deux énormes candélabres d’argent, qui avaient dû appartenir à une église. Devant elle s’élevait la fumée légère et parfumée qui sortait d’un brûle-parfums de bronze. À côté, un grand portrait de femme apparaissait, encadré d’ébène à incrustations d’ivoire.

Orso, un moment, s’arrêta sur le seuil... Bien qu’il fût à plusieurs reprises venu chez les Clesini, c’était la première fois qu’on le recevait ici. La singulière somptuosité du décor le surprenait et l’émerveillait... Mais la signora Clesini dit d’un ton impératif :

– Allons, venez vous asseoir.

Elle-même prenait place parmi les coussins. Et elle déclara aussitôt, sans préambule :

– Angelica m’a téléphoné ce matin... Elle a besoin de vous là-bas.

– Besoin de moi... là-bas ?... Pour quoi faire ?

– Elle vous l’expliquera... Vous partirez d’ici tout à l’heure en automobile, vous laisserez celle-ci sur la route de Clermont, à quelques kilomètres de Champuis, et vous gagnerez à pied la Roche-Soreix. Mais vous n’irez pas au château. Longez le mur du parc vers deux heures, demain dans l’après-midi, vous trouverez une petite porte ouverte. Votre cousine vous attendra tout près de là pour vous donner ses instructions.

– Bien... Mais l’automobile ?

– Mon mari s’en est chargé. Elle sera prête dans une heure, avec un chauffeur très sûr.

– Il s’agit donc d’une affaire... sérieuse ?

– Je le suppose. Angelica n’a pu me dire que fort peu de chose, naturellement, mais sous les formules conventionnelles usitées entre nous, j’ai compris qu’il fallait beaucoup de précautions. Aussi trouverez-vous dans l’automobile de quoi vous grimer, en cas de besoin, ainsi que le chauffeur, et celui-ci emportera le nécessaire pour camoufler convenablement la voiture.

– Très bien. Alors, je rentre chez moi pour me préparer vivement. Où rejoindrai-je l’auto ?

– Elle vous attendra rue de Sèvres, le long des magasins du Bon Marché... Avez-vous de l’argent ?

– Un peu, oui. Le signor Clesini me paye bien, quand il me donne du travail.

– Prenez ceci, en acompte sur le prix dont Angelica payera l’aide que vous lui apporterez.

Elle entrouvrit un petit sac de cuir fauve pendu par une chaîne d’or à la ceinture de sa robe de velours noir et en sortit un billet de mille francs qu’elle tendit à Orso.

L’Italien remercia, tout en se levant... Comme il se détournait un peu, son regard tomba sur le grand portrait, qu’il se prit à considérer longuement.

– Vous admirez la belle Sephora, Orso Manbelli ?

La voix dure, amère, pleine de raillerie, fit tressaillir Orso.

– Oui, signora. Quelle merveille que ce portrait !... Mais que ne pouvait-on pas faire, avec un pareil modèle !

Elle était, en effet, superbement belle, la jeune femme dont l’image était reproduite sur cette toile avec une vérité saisissante. Grande, souple, drapée avec une suprême élégance dans les plis harmonieux d’une somptueuse robe de brocart jaune pâle, elle dressait avec une grâce orgueilleuse sa tête brune parée de rubis et dardait sur un être invisible l’éclat passionné de ses yeux noirs, tandis qu’un sourire séducteur entrouvrait les lèvres longues, d’un rouge très vif.

À la réponse d’Orso, la signora Clesini eut un rire étouffé, qui parut lui déchirer la gorge.

– Oui, c’est un très beau portrait... Le comte Dorghèse le fît peindre par Luigi Sardo, à l’époque où il m’appelait sa vie, son idole, et m’assurait que, sans moi, l’existence lui serait impossible... Trois mois plus tard, j’étais victime de cet accident terrible, dû aux chevaux difficiles dont il avait l’habitude de se servir. Il se montra empressé près de moi pendant quelques semaines... puis se déclara appelé à Rome pour ses affaires. Je ne le revis plus... Et je conservai le portrait qu’il ne me redemanda jamais.

Elle parlait d’une voix lente, avec un accent d’ironie glacée qui fit un peu frissonner Orso. Dans les coussins de soie jaune, elle blottissait son corps infirme et sur sa main très belle, aux ongles brillants, elle appuyait son visage frissonnant où les yeux étincelaient d’une flamme étrange.

– ... Mais vous connaissiez toute cette vieille histoire, Manbelli ?... Cela fit un peu de bruit, à son heure, dans le monde élégant de Rome et de Florence. Puis on oublia tout à fait cette pauvre Sephora, qui avait fait battre tant de cœurs et dont le comte Dorghèse, un des plus grands seigneurs du royaume, avait songé à faire sa femme. Il n’était bruit dans la société mondaine de Rome, à ce moment-là, que d’une nouvelle beauté, une Française, Mlle de Francueil, de passage chez un de ses parents qui occupait une importante situation diplomatique. Don Cesare l’aimait follement, disait-on, elle n’en était pas moins éprise, et ils venaient de se fiancer... Comment le mariage manqua, presque à la veille de la cérémonie, comment Luce de Francueil disparut si mystérieusement, voilà ce que personne ne comprit... n’est-il pas vrai, Manbelli ?

Elle attachait sur Orso un regard dont la lueur presque sauvage le fit à nouveau frissonner.

Il balbutia :

– En effet, personne n’a compris, signora... Mais j’ai été fort surpris de trouver Mlle de Francueil institutrice à la Roche-Soreix...

– C’est moi qui l’ai donnée à Angelica... Oh ! je m’intéresse à elle... énormément.

Elle laissa échapper un rire étrange et ses yeux brillèrent d’une cruelle, d’une triomphante joie.

Étendant la main, elle désigna la statue de Junon, vers laquelle montaient les spirales bleuâtres de la fumée odorante.

– Tenez, voici mon modèle... Cette reine de l’Olympe s’y connaissait, en fait de vengeance. Moi, je crois que je n’y suis pas trop maladroite non plus. Luce de Francueil expie... elle expiera jusqu’à la fin de sa vie l’amour qu’elle a inspiré au comte Dorghèse, traître à ses serments à mon égard.

– Mais comment... par quoi la tenez-vous ainsi à votre merci ?

– Ah ! c’est mon secret, cela !

– Et de don Cesare, – le seul coupable, en réalité, – vous n’avez pas songé à vous venger ?

Sephora eut un étrange sourire.

– Il aura son heure, lui aussi... Patience !... Dites donc, Manbelli, il paraît que la grosse fortune de sa femme commence à s’épuiser ? Dans quelques années, de nouveau, il se trouvera complètement à sec. Ne pensez-vous pas qu’alors il songera encore à devenir possesseur des biens du prince Falnerra ?

Orso blêmit et ne put réprimer un mouvement de recul, en balbutiant :

– Comment puis-je le savoir ?

Elle sourit avec ironie.

– Non, vous ne le savez pas... mais tout ce que vous connaissez de lui doit vous le donner à penser. Ayez soin, alors, de ne pas vous faire l’exécuteur de ses hautes œuvres. Oh ! ne prenez pas cet air effrayé ! Je n’ai pas l’intention de vous dénoncer, rassurez-vous... et même je vous préviens charitablement de ne plus vous faire le complice de don Cesare, car celui-ci n’aura pas toujours la chance de conserver l’impunité.

– Oh ! j’ai rompu avec lui depuis longtemps ! C’était un homme trop dangereux... et habile à se servir des autres en restant dans l’ombre.

– Oui, un lâche.

Ces mots sifflèrent, comme un coup de lanière, entre les dents de Sephora.

– ... Mais nul comme lui ne possède l’art de séduire, de persuader... Nul, aussi, ne marche avec autant de cynisme sur tous les scrupules... Vous doutez-vous pourquoi, il y a dix ans, il était si pressé de supprimer le petit prince Falnerra ?

– Sa ruine était presque complète, disait-on...

– Oui. Mais il aurait pu se refaire par un très riche mariage, car il ne manquait pas d’héritières éprises de lui, dans la noblesse et ailleurs. Amoureux de Mlle de Francueil, qui était sans fortune, et sans doute s’étant assuré qu’elle ne l’écouterait pas s’il ne lui parlait mariage, il s’est avisé que le meilleur moyen d’acquérir cette fortune indispensable était d’hériter de son jeune cousin... Malheureusement pour lui, vous avez raté l’affaire, Manbelli...

Orso tressaillit, en pâlissant de nouveau.

– ... Et d’ailleurs, peu après, Luce de Francueil rompit les fiançailles... Le comte Dorghèse se consola assez vite, car un an après, comme vous l’avez appris sans doute, il épousait une riche veuve, pas très belle, mais qui est en adoration devant lui et aveugle à souhait.

– Je vois que vous êtes très au courant de son existence, signora.

– Oh ! beaucoup mieux encore que vous ne le pensez !... Mais allez, Orso Manbelli, vous n’avez que le temps de vous préparer pour ce voyage. Au revoir.

Elle lui tendit sa belle main sur laquelle il appuya ses lèvres.

Quand il fut sorti, Sephora demeura longuement immobile, absorbée dans une profonde songerie... Le bruit de la porte capitonnée qui s’ouvrait lui fit lever la tête. Sur le seuil se tenait un homme de petite taille, correctement vêtu d’un complet gris foncé.

– Ah ! te voilà, Ricardo... Manbelli vient de venir. Tout est bien convenu avec Ternier ?

– Tout, oui... Orso n’a pas fait d’objection ?

– Pas la moindre... Trop heureux de rendre service à sa charmante cousine... Nous avons un peu parlé du comte Dorghèse...

Les sourcils de Ricardo se rapprochèrent et ses yeux brillants devinrent très sombres.

Sephora eut un léger rire moqueur.

– Toujours jaloux, mon pauvre Ricardo ?

Il dit sourdement :

– Oui... parce que, vois-tu, je me figure toujours que tu l’aimes encore... malgré tout.

Une rapide lueur passa dans le regard de Sephora, qui, tout aussitôt, devint d’une caressante langueur.

– Ne te mets pas ces idées dans la tête, Ricardo. Cet homme m’a fait une injure que n’oublie pas une femme de mon caractère. Devant toi, j’ai juré de me venger de lui... Ne t’en souviens-tu pas ?

– Si... mais on peut haïr par amour.

Elle leva légèrement les épaules et avança la main pour prendre la canne posée près d’elle.

– Je ne te convaincrai jamais, mon pauvre Ricardo.

– Non, jamais... Tu as trop aimé ce misérable... tu as trop souffert de son abandon... Je t’ai vue, Sephora... j’ai été ton confident, alors, quand, mal remise encore, tu t’es fait transporter à Rome, chez ma sœur Laura, pour savoir... pour savoir ce qu’il devenait et au bénéfice de quelle femme il t’abandonnait.

Sephora, le visage soudainement contracté, dit avec irritation :

– Ne me rappelle pas ces heures abominables !... Ta sœur et toi, vous avez été parfaits pour moi. Je l’en ai remercié en acceptant de devenir ta femme... à condition que, toujours, tu aiderais à ma vengeance.

– Oui, tu as accepté par reconnaissance... par intérêt aussi, car j’étais riche. Mais de l’amour, jamais tu n’en as eu pour moi, Sephora... Oh ! je ne te le reproche pas ! ajouta-t-il, prévenant les mots qui allaient sortir des lèvres de la jeune femme. Tu m’avais averti que tu n’en pouvais plus avoir pour personne au monde, don Cesare l’ayant tué en toi... Mais c’est précisément pour cela que je crains toujours... le souvenir.

Elle secoua la tête et se leva lentement.

– Ne crains rien, Ricardo. Ne te fais pas de ces soucis. Viens, que je te montre la merveilleuse petite chose dont j’ai fait l’acquisition tout à l’heure, pour quelques billets de cent francs.

Elle alla vers un cabinet florentin, aux précieuses incrustations, et l’ouvrit pour y prendre une miniature ancienne. Lui, pendant ce temps, l’enveloppait d’un regard d’angoisse et de doute, qu’elle surprit en se détournant avec une vivacité que l’on n’eût pas attendue de son corps infirme. Sans en rien laisser paraître, la jeune femme tendit à son mari la miniature, et tous deux se mirent à en discuter les mérites, avec une apparente liberté d’esprit.

2

Ainsi que l’avait prévu Angelica, M. de Varouze, cessant tout à coup l’usage du lent poison dont sa femme avait su lui donner l’habitude, s’était trouvé en proie à une accablante dépression, le lendemain de sa discussion avec la comtesse. Certes, en dépit de tout son désir, il lui eût été bien impossible de quitter sa chambre, ni même de recevoir qui que ce fût. Cet état, d’ailleurs, ne s’était pas amélioré le lendemain. Le pauvre homme n’avait plus de force, il souffrait dans tous ses membres et le vide semblait s’être fait dans son cerveau.

Néanmoins, une insinuation d’Angelica, relative à l’effet favorable que produirait une piqûre de morphine, – oh ! à très petite dose ! – n’obtint aucun succès... Le malade grommela même, en jetant vers sa femme un coup d’œil méfiant :

– Tenez-vous donc à me tuer ?

Elle soupira douloureusement, en levant au plafond des yeux pleins de tristesse... Puis, serrant la main glacée du comte, elle murmura pathétiquement :

– Ah ! mon ami, pourquoi me déchirez-vous le cœur avec de pareils soupçons ?

Il ne parut pas l’entendre et retomba dans la torpeur qui lui était habituelle depuis quarante-huit heures.

Angelica n’essaya pas de l’en tirer. Jetant les yeux sur la pendule, qui marquait deux heures moins vingt, elle quitta la chambre de son mari et gagna la lingerie où travaillait Brigida.

À mi-voix, elle demanda :

– Le petit est dehors ?

– Oui, à droite de la maison. C’est là que j’ai fait mettre le tas de sable. Il s’amuse comme un bienheureux, avec sa pelle et son seau.

– Bien... Alors, je vais là-bas. Donne-moi les clefs, les fioles... tout ce qu’il faut.

La femme de charge sortit de sa poche deux clefs qu’elle tendit à la comtesse. Puis, se levant, elle alla ouvrir une armoire soigneusement fermée où elle prit deux petits flacons, un grand mouchoir et un assez long morceau de cordelette.

– Voilà... Qu’il ne laisse pas traîner le flacon de chloroforme dans le jardin, une fois qu’il s’en sera servi.

– Je le lui recommanderai... Toi, veille à ce que Lea ne quitte pas le château, car elle pourrait nous gêner grandement.

– Oui, oui, j’y aurai soin... D’ailleurs, elle prend sa leçon de musique avec Mlle Luce et, comme c’est la seule chose qui lui plaise, elle reste tranquille pendant ce temps-là.

La comtesse glissa les objets que venait de lui remettre la femme de charge dans un sac à ouvrage qu’elle tenait à la main, puis se dirigea vers la porte. Au moment de l’ouvrir, elle se détourna en murmurant :

– Tu sais, Brigida, le comte a décidément une vraie défiance, maintenant... Je crains d’avoir beaucoup de peine à changer ses idées.

Brigida haussa les épaules.

– Eh ! si donc, tu les lui changeras ! Son cerveau est à moitié abruti...

– Pas tant que je le croyais.

– S’il veut nous gêner, nous aviserons, va, ma petite belle. Ne t’inquiète pas à l’avance et occupe-toi pour le moment de nous débarrasser du petit garçon, dont la ressemblance avec son père est réellement ennuyeuse.

Angelica eut un geste affirmatif et sortit de la pièce. Elle descendit l’escalier d’un pas tranquille, prit au passage, dans le vestibule, une écharpe de laine mauve qu’elle jeta sur ses épaules et quitta le château du même pas sans hâte.

Pendant un moment, elle flâna dans les allées du jardin, s’arrêtant pour regarder quelque massif de fleurs d’automne, se penchant pour cueillir l’une d’elles. Ainsi, en paraissant marcher au hasard, elle passa non loin de la maison de Mahault. À quelques pas du vieux logis, le petit Étienne, muni d’une pelle et d’un seau, confectionnait avec ardeur des pâtés de sable. Cette occupation l’absorbait tellement qu’il ne vit pas Mme de Varouze... Celle-ci, d’ailleurs, ne se rapprocha pas de lui. Elle s’éloigna dans la direction du parc ; et, après dix minutes de marche, atteignit un point du mur de clôture où se voyait une petite porte basse, rarement utilisée.

Angelica l’ouvrit avec une des clefs qu’elle prit dans son sac. Puis, la laissant légèrement entrebâillée, elle alla s’asseoir un peu plus loin, sur un banc de pierre d’où elle pouvait apercevoir l’entrée.

Son attente ne fut pas très longue. Cinq minutes plus tard, le battant était poussé par une main prudente, laissant apparaître Orso Manbelli, vêtu d’un cache-poussière brun, coiffé d’un feutre beige.

Vivement, Angelica se leva et avança vers lui.

Il alla au-devant d’elle, prit la main qu’elle lui tendait et la serra énergiquement.

– Je suis exact au rendez-vous, Angelica.

– Très exact... Viens, que nous causions sans perdre de temps.

Il la suivit, une cinquantaine de mètres plus loin, jusqu’à un petit pavillon de briques en partie couvert de lierre et dissimulé dans un fouillis de verdure... Il se composait d’un rez-de-chaussée surmonté d’un comble en ardoises où s’ouvraient de petits œils-de-bœuf. Derrière les portes vitrées, les volets grisâtres étaient rabattus, achevant de donner à ce logis un air d’abandon et de tristesse.

Avec la seconde clef dont elle s’était munie, Angelica ouvrit une petite porte basse qui donnait directement dans une cuisine délabrée située sur les derrières du pavillon. De là, en traversant un étroit couloir, elle entra, suivie de son compagnon, dans une petite salle parquetée plongée dans une obscurité presque complète, car les volets clos ne laissaient pénétrer que de minces filets de jour.

Mme de Varouze alla écarter un peu l’un d’eux et Orso put voir alors que la pièce contenait seulement, en fait de meubles, un vieux canapé d’acajou recouvert de reps déchiré, deux fauteuils au dossier en forme de lyre, dont le bois était mangé par les vers, et une table boiteuse placée devant la cheminée de marbre gris, fort belle, que surmontait une glace verdie par l’humidité.

Orso demanda :

– Qu’est-ce que cette maison ?

– Un pavillon qui servait jadis de logis aux membres pauvres de la famille. Allons, assieds-toi et venons-en vivement au fait.

– Oui, dis-moi un peu le motif de cette convocation...

Tout en parlant, il s’asseyait près d’elle, sur le canapé déchiré. Prenant la main de sa cousine, il la baisa longuement.

– Le motif, le voici : j’ai besoin que tu me débarrasses de quelqu’un, Orso.

L’autre eut un sursaut et balbutia :

– Hein ?... Te débarrasser ?... Comment l’entends-tu ?

– Oh ! pas de la mauvaise manière !... Et c’est une chose sans danger pour toi. Il s’agit d’un enfant...

– Un enfant ?... Quel enfant ?

– Un petit être qui me gêne... qui pourrait peut-être, surtout, me gêner plus tard. Tu n’as pas besoin d’en savoir davantage pour agir.

– Eh ! mais, dis donc !... j’ai besoin tout au moins de savoir quels risques je cours !

– Aucun... Oui, aucun, je te l’affirme. Sa mère est malade, presque mourante, sa sœur est elle-même une enfant. C’est moi qui ferai les recherches, quand sera constatée sa disparition. Tu penses bien que je n’y mettrai pas un zèle... excessif !

– Ah ! comme cela... oui, je ne dis pas... Explique ton affaire, ma petite Angelica.

– Voilà... L’enfant, un petit garçon de cinq ans, joue en ce moment dans le jardin, tout seul, près de la maison où il habite avec sa mère et sa sœur. Tu t’approches de lui, avec un air aimable, pour qu’il ne se sauve pas, tu lui adresses la parole... et tu lui passes sous le nez ce flacon de chloroforme...

Elle sortit la fiole de son sac.

– ... Une fois le petit endormi, tu l’emportes vivement, jusqu’ici, où tu l’enfermes. Ce soir, à la nuit complète, tu reviens le chercher, tu lui fais avaler cette potion soporifique...

Elle sortit la seconde fiole.

– ... Tu l’emportes jusqu’à l’automobile qui t’attendra à peu de distance d’ici sur la route. Puis vous partez aussitôt en direction de Paris... Au cas où l’enfant s’éveillerait en cours de route et où tu craindrais de sa part quelque ennui, donne-lui encore la valeur d’une cuillerée à bouche de cette potion. Il restera sans doute passablement abruti pendant quelques jours, mais ce ne sera pas plus désagréable que cela pour Sephora, qui aura ainsi moins de peine avec lui.

– Sephora ?

– Eh ! oui, c’est à Sephora que tu conduiras le petit. C’est à Sephora que tu diras : « Angelica vous confie cet enfant et vous prie de lui trouver un asile sûr, chez des gens qui devront toujours ignorer qui il est, d’où il vient. » Il importe de s’arranger pour que, dans quelques années, je puisse cesser tout paiement et qu’il soit impossible à ces gens de découvrir la véritable identité des personnes qui lui auront ainsi confié ce petit étranger...

– En un mot, tu veux qu’il soit abandonné, livré à la charité publique ?

– Oui, pour qu’il n’existe aucune possibilité, plus tard, de découvrir la vérité sur son compte.

– Bien. J’expliquerai la chose à la signora Clesini.

– Alors, tu vas opérer dès maintenant... Viens, que je te montre de loin le petit. Nous n’avons d’ailleurs pas de rencontre à craindre, car j’ai envoyé le jardinier en courses pour tout l’après-midi, et les domestiques, à cette heure, sont occupés à leur travail.

– Oh ! je pense bien que tu as pris toutes tes précautions !... Mais, dis donc, je voudrais bien que tu sois aussi prudente et discrète quand il s’agit de moi. Crois-tu qu’il m’ait été agréable d’apprendre que la signora Clesini était au courant de... de ce que je suis venu faire dans ce pays, autrefois ?

Angelica eut un léger mouvement d’épaules.

– Sache, mon cher, que je n’ai pas de secret pour mon amie Sephora. Elle te connaît aussi bien que moi... mais tu n’as rien à craindre d’elle, je te l’affirme.

– Oui, oui, on dit cela... et puis, un beau jour, l’indiscrétion se produit... Avec cela que la signora doit avoir une belle dent contre le comte Dorghèse, et qu’elle serait bien capable, par vengeance, de lui raconter qu’elle n’ignore rien de ce qu’il a tenté autrefois contre son jeune cousin... par mon intermédiaire. Or, don Cesare, vindicatif entre tous, n’aura rien de plus pressé que de s’en prendre à moi, qui lui ai juré, sur ma tête, de ne dire mot à personne de cette affaire... Et jamais il ne voudra croire que j’ai tenu mon serment... ce qui est pourtant la vérité, car je ne t’ai rien dit, Angelica, et si tu n’avais pas trouvé mon porte-cigarettes, tu ignorerais toujours...

– Oui... mais je te répète que tu n’as rien à craindre. Quand Sephora voudra se venger du comte Dorghèse, elle saura le faire sans compromettre personne.

– Je veux bien te croire... mais j’aimerais beaucoup mieux qu’elle ignorât cette affaire-là... Maintenant, ma petite Angelica, il nous reste encore une question à régler. Combien me donneras-tu pour le service que je te rends ?

– Cinq mille francs... et le porte-cigarettes en question, que je conserve depuis dix ans.

– Oh ! cela !...

– Eh bien ! mais, c’est la seule pièce à conviction qui existe contre toi.

– Oui... mais comme tu ne voudrais pas me dénoncer, moi, ton cousin, elle ne te sert à rien...

– Soit... mais c’est un souvenir d’autrefois... et je pensais que tu y tenais... un peu...

Elle le regardait avec un reproche câlin... Il se rapprocha d’elle et lui saisit la main, en murmurant d’une voix frémissante :

– Oh ! Angelica !... Angelica si cruelle, tu le sais bien que cet autrefois n’est jamais sorti de ma mémoire... ni de mon cœur ! Et je t’aime toujours, comme en ce temps-là...

Elle l’interrompit, d’un geste à la fois gracieux et impératif.

– Nous parlerons de cela plus tard. En ce moment, occupons-nous de notre affaire... Repousse tout à fait ce volet... Bien... As-tu une lampe électrique pour cette nuit ?

– Oui, il y en a une dans la voiture.

– Il faudra bien enfermer l’enfant dans cette pièce et, pour plus de sûreté, l’attacher, le bâillonner. J’ai là ce qu’il faut. Par impossible, le jardinier ou quelqu’un d’autre viendrait rôder par ici, entendrait ses cris... Tout notre plan serait à l’eau !

– Je ferai le nécessaire, tu peux t’en rapporter à moi.

– Tiens, voici le mouchoir et la corde... Maintenant, partons.

Ils sortirent du pavillon, dont Angelica referma la porte. Puis elle en remit la clef à son cousin et y joignit celle de la petite porte du parc.

– Tu me les feras renvoyer par Sephora, dans quelques jours, lui dit-elle.

Par des petits sentiers, ils gagnèrent les jardins et atteignirent bientôt un bosquet d’où, sans être vus, ils pouvaient apercevoir la maison de Mahault.

Mme de Varouze étendit la main dans cette direction.

– Regarde, l’enfant est là. Il joue toujours tranquillement.

– Mais la mère et la sœur ne peuvent-elles pas me voir ?