Sapere Aude - Emy Bloom - E-Book

Sapere Aude E-Book

Emy Bloom

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Beschreibung

Nous sommes tous confrontés à ce long cheminement et à ces préjugés, à des us et des coutumes d'un temps révolu mais toujours bien présents dans la mémoire collective. Combien d'entre nous avons été ostracisés pour une question aussi primaire que celle des sentiments amoureux ? Je l'ai été, comme tant d'autres... Mais aujourd'hui, je décide de briser cette loi insidieuse du silence, parce qu'il est essentiel de comprendre ce par quoi nous passons: cette douleur qui reste à jamais dans notre coeur. Il est primordial de dire la vérité, d'échanger afin de changer cette situation. La parole doit se libérer, et cela commence ici et maintenant. Alors, laissez moi vous conter l'histoire de ce petit garçon qui, en grandissant, s'est retrouvé marginalisé du fait de sa différence et qui dû faire face au rejet des siens. #ComingOut #ThérapiedeConversion

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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SYNOPSIS

Nous sommes tous confrontés à ce long cheminement et à ces préjugés, à des us et coutumes d’un temps révolu, mais toujours bien présents dans la mémoire collective. Combien d’entre nous avons été ostracisés pour une question aussi primaire que celle des sentiments amoureux ?

Je l’ai été, comme tant d’autres… Mais aujourd’hui, je décide de briser cette loi insidieuse du silence, parce qu’il est essentiel de comprendre ce par quoi nous passons : cette douleur qui reste à jamais dans notre cœur. Il est primordial de dire la vérité, d’échanger afin de changer cette situation.

La parole doit se libérer, et cela commence ici et maintenant. Alors, laissez-moi vous conter l’histoire de ce petit garçon qui, en grandissant, s’est retrouvé marginalisé du fait de sa différence et qui a dû faire face au rejet des siens.

# ComingOut

#ThérapiedeConversion

59 480 Mots

DÉDICACE

Un roman va bien au-delà d’une simple succession de mots. C’est une histoire de partage, partage d’un fragment de vie, de quelque chose qui relève de l’intime. C’est une mise à nu, un saut dans le vide, dans l’inconnu.

Ces confessions sont loin d’être évidentes, mais elles sont indispensables. Se confier, c’est donner la possibilité à d’autres de comprendre. Ainsi, le savoir devient un moyen d’action, de changement.

Je dédie cette histoire à tous ces Romuald, à tous ceux et celles qui ont été brisés par des visions archaïques, des croyances ou des jugements superficiels.

Il serait bon de rappeler que l’amour est un sentiment complexe, composé de nuances, d’une palette aussi variée qu’un arc-en-ciel.

« La beauté de l’individualité est que l’expression de soi, tout comme les choix personnels et amoureux, peuvent se manifester d’une multitude de façons. » Écrivait un comité des Académies nationales de science, d’ingénierie et de médecine (NASEM)

TABLE DES MATIÈRES

SYNOPSIS

DÉDICACE

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Épilogue 1

Épilogue 2

Note de l’auteure

LIENS UTILES

BIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE

PROLOGUE

« Aucun terme n’est parfait ou parfaitement inclusif », écrivait un comité des Académies nationales de science, d’ingénierie et de médecine (NASEM) dans un rapport publié en 2020.

Ce 24 juin 2021, la députée LREM Laurence Vanceunebrock a annoncé le dépôt d’une proposition de loi visant à interdire les thérapies de conversion ; pratiques qui prétendent transformer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.

« Quand j’ai été saisie du sujet en 2017, je connaissais l’ampleur du sujet aux États-Unis, mais pas sur le territoire national. J’ai commencé à faire quelques recherches et, rapidement, je me suis rendue compte qu’il y avait différentes sortes de thérapies. » Avait-elle déclaré à France Info lors d’une interview.

Cette proposition de loi a pour but d’instaurer une infraction spécifique pour interdire ces pratiques. Elle prévoit des facteurs aggravants pour prendre en compte la situation des mineurs, grandes victimes de ces thérapies. Ce travail n’aurait pu aboutir sans la coopération des associations LGBTQ ainsi que tous les participant(es) qui ont eu le courage de témoigner leur expérience, aussi traumatisante soit-elle.

Quelques mois plus tôt

Ce jour-là, un des collaborateurs de la députée se rend dans cet établissement dont la réputation n’a fait qu’accroître depuis qu’il a reçu sa première étoile. C’est fébrile qu’il s’apprête à rencontrer un MOF1 de la pâtisserie française, un homme qui a longuement hésité à répondre à sa demande et pour cause… Ce dernier s’était montré réfractaire à lui accorder cet entretien, dans un premier temps. Heureusement que le président de l’association LGBTQ de la ville, un ami proche, avait réussi à le convaincre de la nécessité et du bien-fondé de sa démarche.

Arrivé à destination, Grégoire prend le temps d’observer la devanture aussi colorée qu’attrayante, d’où se dégage une douce odeur de café et de viennoiseries. Bien qu’il paraisse à l’aise avec l’exercice, il n’en mène pas large. Ce n’est pas la première confession qu’on lui accorde et pourtant, il le sait, cette dernière va être douloureuse. Chacune des personnes interrogées a sa propre histoire, ses propres maux. Néanmoins, il n’a que trop conscience que celle-ci diffère des entretiens que l’équipe a récoltés jusqu’alors. Il ne peut pas se laisser aller dans la mièvrerie, c’est pourquoi il enfile son masque d’homme courtois et professionnel. Ne pas craquer, sous aucun prétexte. Ses correspondants font déjà assez d’efforts pour ne pas recevoir, en plus du reste, une quelconque pitié de sa part. Ce combat, il le mène depuis des années, depuis que son propre frère a préféré se suicider plutôt que de survivre avec ses traumatismes. Cet engagement est devenu le sien.

Alors qu’il est accueilli par un homme avenant, il se présente. Son vis-à-vis lui offre un sourire engageant tout en le prévenant qu’il va prévenir le chef de sa présence et l’invite à s’installer dans la cour intérieure. Grégoire se détend dans ce halo verdoyant qui lui donne l’impression d’être coupé du reste du monde. Les bruits urbains sont atténués, remplacés par le chant des oiseaux sortant des haut-parleurs dissimulés dans les coins. Tout l’amène à l’évasion des sens. Perdu dans ses pensées, il sursaute en entendant son invité le saluer tout en lui servant un café, avant de prendre place à ses côtés. Bien que Grégoire ait noté la confusion dans le regard de l’homme qu’il va interviewer, il ne relève pas, prenant le temps de lui expliquer les tenants et aboutissants de sa démarche. Bien décidé à ne pas le bousculer, il amorce son interrogatoire par cette question en apparence simple, mais qui, il le sait, dissimule bien des maux : pouvez-vous vous présenter ?

Après avoir repris une gorgée de son breuvage, l’homme se réinstalle dans son siège de manière plus confortable et le regard perdu amorce d’une voix éraillée :

— Je me nomme Romuald et je suis…

L’homme marque une pause et après s’être raclé la gorge, il reprend d’une voix plus assurée :

— La réponse à cette demande implicite peut paraître si simple et pourtant, elle se complexifie dès l’instant où nous essayons d’y répondre de manière franche et honnête. En effet, celle-ci varie selon le moment donné, l’homme étant par définition, en constante évolution. Nous ne sommes plus ceux que nous étions hier, de même que nous serons différents de ceux qui se présenteront à la vue de tous, le lendemain. Alors, permettez-moi de me présenter tel que j’ai été afin de comprendre ce « moi » que je suis aujourd’hui, et peut-être que vous entreverrez celui en devenir...

1 M.O.F : meilleur ouvrier de France

CHAPITRE 1

On a tous des règles pour nous-mêmes, ce sont ces règles qui aident à définir qui nous sommes, donc lorsqu’on transgresse ces règles, on risque de se perdre et de devenir quelque chose d’inconnu.

Dexter

Donc, je me nomme Romuald et enfant j’étais…

Il m’est difficile de définir pleinement ce moi qui me définissait à cette époque, mais voilà comment on me présentait à ce moment-là : j’étais le cadet d’une fratrie de deux enfants, fils d’un propriétaire d’un domaine viticole renommé à travers le monde. J’étais un de ces individus que l’on étiquette comme étant la « propriété de… », un peu comme ces cartes de visite que l’on donne en gage de faire-valoir. N’est-ce pas une charmante attention ? Après tout, nous sommes le reflet de ceux qui nous ont élevés. Nous n’avons pas cette faculté d’être considérés comme une personne à part entière, simplement « le fils de… », celui que l’on compare à… Lors des soirées organisées en vue de futures collaborations avec de riches clients étrangers, nous étions exposés, mon frère et moi, tels des bêtes de foire, ceux sur qui nos parents surenchérissaient toujours plus nos capacités. Daniel, de cinq ans mon aîné était le plus sollicité tant il paraissait à l’aise dans cet exercice. Il était du genre solaire, celui sur qui l’on se retournait, celui qui ne laissait pas indifférent, que l’on fantasmait jalousement aussi, sachant qu’il serait l’un des successeurs de cet empire. Il représentait l’avenir, l’icône de cette nouvelle génération entreprenante et visionnaire et moi, j’allais le seconder dans cette tâche. L’héritage familial devait prédominer sur tout le reste. C’était dans l’ordre des choses, qu’ils disaient. Alors oui, en apparence, nous incarnions ces notions de fierté et de réussite. Mais cette image d’Épinal que mes parents laissaient transparaître n’était qu’illusion chimérique. Une fois les portes fermées, à l’abri des regards, la vérité s’avérait être plus nuancée.

En réalité, nous n’avions aucun choix en la matière. Nous étions soumis au bon vouloir de notre père qui prenait toujours un malin plaisir à rabaisser tous ceux qui n’étaient pas, selon lui, à la hauteur de ses exigences. Il était ce genre d’homme d’affaires intransigeant qui, derrière des courbettes et des apparences proprettes, était le premier à critiquer et imposer son point de vue, quitte à détruire une réputation si cela se révélait nécessaire. Il était craint de ses employés autant que de sa propre famille. Il était ainsi : inflexible, caractériel, et plus que tout, présomptueux. Tel un roi, il régissait son monde à la baguette. Chacun jouait un rôle bien défini. Après tout, il n’était pas envisageable de faire honte à ce patronyme qui était le nôtre et à ses précieuses honorabilités. « Une femme doit savoir où est sa place tout comme vous, les garçons », aimait-il nous répéter si nous ne satisfaisions pas ses exigences. Sa vision archaïque nous empêchait d’émettre le moindre avis.

Ma mère n’avait d’autre choix que de rester à la place qu’était la sienne : celle de la maîtresse de maison, toujours tirée à quatre épingles, consciencieuse et dévouée. Elle s’était retrouvée embrigadée dans un mariage où elle se soumettait aux désidératas du patriarche. Du fait de l’éducation que lui avaient donnée ses parents, c’était ancré en elle. Bien qu’elle n’ait pas eu la liberté de décider de sa propre vie, elle s’était satisfaite de celle qui était devenue la sienne. Tout comme ma mère, mon frère s’était résilié à cette prédestinée. Tel le digne descendant de notre père, Daniel était à son image : présomptueux. Et voir que je ne réussissais pas à rentrer dans le moule avait tendance à l’exaspérer, encore plus quand nous nous retrouvions entourés de ses amis, tous aussi arrogants les uns que les autres. Toute occasion était bonne pour me rabaisser, à me susurrer constamment, tel un venin pernicieux, des « Tu me fais honte. J’en ai marre que l’on te compare à moi. Tu n’es qu’un pauvre incapable. Tu ne vaux pas mieux que les saisonniers que papa emploie pour les récoltes. Tu es et resteras toute ton existence celui qui ne sera jamais en mesure de faire honneur à l’héritage qui nous attend. Tu n’es qu’un putain de parasite qui me pourrit la vie ! » aimait-il me rabrouer lorsque nos parents avaient le dos tourné et qu’il était chargé de s’occuper de moi. Je comprenais sa colère, somme toute justifiée, mais ce continuel antagonisme malsain avait désagrégé un peu plus les minces liens fraternels avec les années.

Petit, il avait été un modèle que je m’efforçais à devenir, mais plus je grandissais et plus l’image de mon héros se fissurait au point de ressentir des sentiments haineux à son encontre. En fin de compte, il ne faisait que reproduire les agissements du patriarche. Contrairement à mon frère qui jouait aisément de son statut d’élite, regardant de haut ces autres qui se trouvaient à notre service, moi j’étais trop doux, trop naïf. Je peinais à être à la hauteur de leurs exigences, ce que l’on aimait me rappeler inlassablement. C’était, selon eux, un moyen de légitimer cette idée d’excellence que l’on attendait de nous. Je subissais régulièrement leur courroux, pendant que mère, elle, ne montrait pas une once de sollicitude à mon égard. J’étais trop timide et réservé, je n’y mettais pas du mien. Je n’étais qu’un fainéant de première qui ne faisait aucun effort. « Romuald », disait mon père, « quand vas-tu arrêter de te faire remarquer ? Ton frère, lui, ne nous a jamais donné tant de problèmes » ; « mon chéri » disait ma mère, « pourquoi ne fais-tu pas d’efforts ? Regarde Daniel. Regarde où cela l’a mené… Prends exemple sur lui ». Les reproches tombaient tel un torrent. C’était devenu une litanie que j’entendais régulièrement, comme une berceuse que l’on vous conte le soir pour vous endormir. Cela ne renforça qu’un peu plus le malaise dans lequel j’évoluais. Je taisais mes maux, sachant pertinemment qu’ils étaient alimentés par la honte et l’amertume que je ressentais pour moi-même. Me plaindre n’aurait fait qu’attester une fois encore combien je n’étais pas à la hauteur, un sous homme, une « pauvre tâche » comme aimait m’affubler mon frère. Aux yeux de tous ces adultes bien-pensants, je ne faisais aucun effort pour me sociabiliser, trouver des centres d’intérêts communs avec d’autres garçons de mon âge. Cela me ramenait invariablement à ce statut de fils indigne. J’étais celui qui n’était pas aussi doué dans ses études que mon aîné, mais qui, au contraire, se faisait remarquer de manière fâcheuse… En étaient pour preuve mes camarades de classe qui me cataloguaient constamment, m’estimant aussi présomptueux que mon père. La jalousie prenait ainsi le pas sur leur humanité. Les regards qu’ils m’adressaient n’étaient que haine, haine de celui que j’étais et qu’ils ne seraient jamais, ceux dont les parents trimaient pour leur offrir de belles choses tandis que tout me tombait dans le bec d’un simple clignement de cils… Cette convoitise malsaine et l’aversion que je leur inspirais firent que je me retrouvais isolé du reste des groupes. Ajoutez-y mon apparence chétive de chérubin et mon caractère introverti, j’étais devenu une cible de choix, une victime des moqueries et brimades. J’étais bousculé, blessé de temps à autre, mais toujours loin des regards des surveillants. Je n’étais qu’échecs, déshonneur et faiblesse constante. Malgré tout, je n’avais d’autre choix que d’avancer en espérant des lendemains plus joyeux.

Quand vous entendez durant toute votre enfance que vous n’êtes pas à la hauteur, vous finissez par le croire. Cela crée une brèche dans votre cœur. Vous vous discriminez, vous pensant être réellement ce qu’ils prétendent. Je n’avais aucune confiance en moi, aucune perspective de sortir de ce marasme qu’était ma vie. Pourtant, il était inenvisageable de paraître défaillant.

Voilà comment je m’estimais à l’aube de ma puberté : un jeune garçon incomplet et inapte à mon statut.

CHAPITRE 2

L’évolution n’est pas une simple éclosion sans peine et sans lutte, comme celle de la vie organique, mais le travail dur et forcé sur soi-même.

Friedrich Hegel

Les années passantes, ces rejets répétés avaient engendré des complexes qui accroissaient toujours un peu plus mon mal-être. Avec les prémices de la puberté, j’avais dû de nouveau m’adapter dans cette jungle adolescente où tout n’était qu’apparence et réputation. Tout se résumait en une unique règle implicite : « Bouffer ou être bouffé ». Mon instinct de survie s’était alors mis en branle. Comme tout à chacun, j’avais essayé de trouver des alter ego, d’autres jeunes de mon âge auprès de qui je j’aurai pu m’identifier, qui m’auraient soutenu dans les moments difficiles. Mais voilà, cette règle tacite ne s’applique pas à tous. Je restais indéniablement parmi les esseulés, relégué au banc de cette pseudo société, ne correspondant à aucune des cases auxquelles appartenaient mes camarades. Je paraissais trop juvénile ayant un retard de croissance ; pas assez intelligent pour faire partie du groupe des intellos, pas assez vicieux non plus pour entreprendre des manigances et renverser le pouvoir des uns et des autres. Alors je restais seul, petit pantin fragile qu’on aimait bousculer pour se moquer, pour essayer de me faire réagir d’une manière ou d’une autre, en vain. Je préférais subir plutôt que me singulariser davantage. Après tout, j’étais habitué à être traité de cette manière. C’était presque rassurant de me dire que cela ne s’appliquait pas uniquement dans mon cercle familial. J’imagine que cela peut paraître fou. Pourtant, tel un naufragé en recherche d’un point d’ancrage, je m’accrochais à cette idée que malgré mes défauts et mes défaillances, on me remarquait, on s’intéressait à moi, même si c’était pour me faire du mal. Et puis tout changea ou du moins, quelqu’un me fit comprendre que ma vie ne devait pas être définie selon les autres.

Monsieur Martin, professeur d’Histoire Géographie et d’Éducation Civique était le genre d’enseignant qui parvenait à capter l’attention de son auditoire, à nous donner envie de prendre part à son cours, à ces bouts de faits passés qui avaient bâti ce que nous étions et allions devenir à l’avenir. Il aimait rendre ses leçons vivantes, nous faisant participer régulièrement, nous poussant à nous construire une réflexion qui nous était propre. Quelle que soit l’époque étudiée, il réussissait à transposer ces faits historiques à l’instant T, nous répétant maintes fois « et vous, comment auriez-vous réagi, si vous aviez été à leur place ? ». Beaucoup le pensait fou, un illuminé de plus ; mais pour moi, il représentait, tel un horloger enclenchant un mécanisme, celui qui avait débloqué cette barrière derrière laquelle je me confortais. Je me découvrais des intérêts qui m’étaient propres, des envies aussi de m’affranchir de ce carcan dans lequel on me poussait toujours davantage. Par son intermédiaire, j’apprenais la notion de libre arbitre. En prendre conscience fut tel un tremblement de terre fulgurant et pourtant salvateur. Dès cet instant, je me donnais des coups de pied au cul pour me départir de ma réserve, m’ingéniant à participer aux débats, d’abord avec retenue, puis avec plus de facilité.

Monsieur Martin reste un souvenir impérissable dans mon esprit. Il fut le précurseur de mon évolution. Il avait posé la première pierre de cet édifice que l’on nommera plus tard : « identité propre ».

Alors que j’étais sur le point de faire ma rentrée en dernière année de collège, je décidais de prendre ma vie en main. Je sentais mon cœur battre un peu plus vite face à ce désir de changement, ce besoin de sortir de ma solitude. Il était temps que je devienne celui que je rêvais d’être, quelqu’un qui aurait le droit à la parole, quelqu’un qui serait reconnu en tant qu’individu et non selon son patronyme. Je pressentais que cela n’allait pas être facile et pourtant, j’avais réalisé qu’il était temps de prendre les devants plutôt que de me laisser dicter leur volonté. C’est ce que me disait ma mère régulièrement en me voyant revenir avec cet air morne, alors que je me retenais de lui avouer les sévices subis quotidiennement : « Un jour, l’oisillon déploie ses ailes et découvre les joies de voler. Cela se nomme l’instinct. Pour Daniel, ça s’est fait naturellement, mais je ne doute pas qu’un jour, cela t’arrivera aussi, Romuald. Aie la foi. Elle te mettra sur la voie. Quand tu la ressentiras, laisse-la te guider et envole-toi ».

Ce vœu pieux prit vie de manière concrète durant l’été. Alors que je parcourais du regard les rayons d’un magasin dans lequel nous nous étions rendus, ma mère et moi, pour m’acheter de nouvelles chaussures de sport, mon attention avait été retenue par une foule massée aux abords du bâtiment. Ce jour-là, une initiation à la lutte était proposée. Poussé par la curiosité, je m’étais rapproché afin d’épier ces corps se mouvoir avec une agilité et une grâce qui me laissaient pantois. Tandis que j’observais ces deux athlètes faire une démonstration, j’éprouvais une certaine forme de convoitise, une envie féroce d’être à leur place, de paraître aussi majestueux qu’eux, de renvoyer une autre image que celle de ce looser qui me collait jusqu’alors à la peau. Mais à peine ressentais-je ce sentiment qu’un autre prenait le dessus, supplantant tout le reste : la désillusion. J’étais toujours chétif et maigre vis-à-vis de ses corps baraqués, embellis de muscles saillants. Alors que j’allais détourner le regard, un des animateurs qui m’avait remarqué, s’était rapproché de moi et m’avait murmuré d’une voix bienveillante :

— Ne t’arrête pas aux apparences. Nous sommes des adultes avec des années d’entraînement. Tu es encore jeune et en pleine croissance. Certes, tu n’as pas la carrure d’un ours, mais tu peux y remédier et prétendre postuler dans un club. Ce n’est pas la taille qui compte, mais l’agilité et la force. Que dirais-tu de venir avec moi. Je vais te montrer comment réaliser une prise, puis tu pourras t’exercer avec les autres participants.

Bien que cela paraisse illusoire, j’avais décidé de le suivre. Après avoir écouté scrupuleusement ses conseils, je m’étais retrouvé à devoir combattre face à un autre garçon de mon âge, en apparence, bien plus lourd que moi. À mon plus grand étonnement, je réussissais à le mettre à terre. Je me souviens de la perplexité de ma mère quand elle m’avait vu revenir vers elle le regard brillant de fierté qui reflétait un soudain engouement, alors que je n’avais jamais manifesté une once d’intérêt pour une quelconque pratique d’un sport jusqu’à ce jour. Face à mon insistance, elle avait commencé à poser des questions à l’animateur. Celui-ci lui avait vanté les bienfaits de cette pratique en mettant en avant le côté esprit d’équipe qui permettait à des enfants introvertis de se mêler aux autres. Il n’en avait pas fallu plus pour qu’elle me propose de faire un essai à la rentrée dans le club. Quand elle en avait fait part au reste de la famille le soir même au cours du repas, Daniel n’avait aucunement caché son amusement, ne croyant pas un instant que je puisse être sérieux. Pour lui, j’étais ce moucheron qui n’arrêtait pas de se faire bousculer continuellement. Il paraissait clair qu’à ses yeux, je n’aurais jamais de telles capacités, alors que mon père, lui, m’avait adressé un sourire qui ressemblait à de la satisfaction. À mon plus grand étonnement, il avait concédé que c’était une excellente initiative de ma part, ce qui avait stoppé net les moqueries de mon frère. Ce jour-là, j’avais compris que j’avais une opportunité, même infime, de rendre mon père fier de moi. C’était un test, un moyen comme un autre de lui prouver que je possédais une quelconque valeur.

Durant le mois qui suivit, je me mis à travailler mon endurance et porter de la fonte afin de développer ma musculature. Ce fut éprouvant. Mon corps n’était pas habitué à un tel effort. Passé les premiers jours, quelque chose céda en moi. Ma volonté avait pris le dessus sur la fatigue. Peu à peu, j’avais acquis de la résistance et je commençais à entrevoir des résultats probants.

Quelques jours après ma rentrée, je participais à une session d’entraînement afin de mesurer mes capacités. J’avais été soulagé de reconnaître l’animateur qui m’avait encouragé lors de mon essai. Je lui avais alors fait part de mon entraînement intensif, ce qui m’avait valu des félicitations et encouragements pour la suite. Sur l’instant, j’avais l’impression de ne plus toucher terre tant j’étais heureux de cette marque de reconnaissance. Mais mon allégresse était subitement retombée à l’instant où j’avais été présenté à l’équipe qui m’avait accueilli sous une huée de mécontentements. Pour eux, qui pratiquaient depuis des années ce sport, je dépeignais ce débutant qui serait plus un boulet qu’un coéquipier. Tous ne voyaient que le looser bien plus chétif et inexpérimenté qu’eux. Malgré leur accueil froid et distant, l’entraîneur avait fait fi de leurs contrariétés. Sans plus attendre, il m’avait poussé dans cette horde tout en nous adjurant de nous mettre au travail avec une série d’exercices afin de nous échauffer, nous obligeant à faire des tours de salle avant d’enchaîner sur des pompes. Tous s’y plièrent en me lançant des regards noirs. Alors que certains songeaient que j’allais supplier le coach d’arrêter et fuir à la fin de cet échauffement, beaucoup s’étaient ravisés en remarquant que j’étais toujours debout, prêt pour le prochain exercice, et ce, malgré la douleur criante que je ressentais dans l’ensemble de mon corps. J’étais déterminé à faire mes preuves. Personne ne pouvait envisager ce qu’était ma vie. Pour eux, mon entrée dans leur équipe n’était qu’un caprice, une lubie de gosse de riche pour se faire bien voir. Mais à mes yeux, c’était bien plus que cela. Je ressentais cette rage qui brûlait à l’intérieur de moi, cette flamme qui me consumait, qui désirait que je sorte de ce carcan dans lequel on me mettait, ce stéréotype qu’on alimentait.

Les premiers temps furent éprouvants. J’avais dû faire énormément d’efforts pour ne pas m’effondrer sous la pression. Peu à peu, je sortis de ma réserve, prenant même des initiatives, au point que mon entraîneur vit quelque chose en moi, quelque chose que personne n’avait jusqu’alors vu : ma témérité. Ragaillardi par ses encouragements, j’avais persévéré et mon assiduité avait commencé à payer. L’opinion de mes coéquipiers avait, elle aussi, changé. Dans leurs yeux, le mépris s’était transformé en quelque chose qui ressemblait à du respect. Exhorté par l’esprit d’équipe et mes performances, j’avais acquis en assurance dans mon quotidien. Enhardi par cette glorification, je redoublais d’efforts, me poussant toujours plus dans mes retranchements. En plus de mes entraînements, dans la pénombre du garage réaménagé pour l’occasion en salle de sport, je m’imposais des séances de musculation à l’abri des regards afin de parfaire mon corps et faciliter mes prises. Pour la première fois de ma vie, je ressentais une forme de plénitude qui m’exhortait à dépasser mes limites.

CHAPITRE 3

L’adolescence est l’âge de la vérité, après ce n’est plus qu’une question de compromis.

Johann Dizant - Romancier

En l’espace de quelques mois, je vis mon corps changer, prendre en amplitude. Ma poussée de croissance s’étant enfin déclenchée, je ressemblais à un poulain qui apprenait à marcher d’après ma mère. Je ne me reconnaissais plus, ne contrôlais rien. J’essayais d’apprivoiser ce corps qui se transformait, alors que je me découvrais une pilosité sur le torse, mon abdomen, mon pubis, sans parler de mon sexe qui se permettait de prendre des libertés que je n’étais pas prêt à assumer. Tout devenait excessif et étouffant.

La puberté n’est pas uniquement qu’une question de physiologie, n’est-ce pas ? Elle amène avec elle son lot de réflexions, de désirs inavouables après quoi l’on se retrouve désarçonné.

Ce qui paraissait sans grande conséquence pour les autres était devenu un calvaire pour moi. Plus le temps passait et plus je sentais que quelque chose clochait chez moi, que je n’étais pas « normal », pas comme mes camarades. Là où eux commençaient à montrer de l’intérêt pour nos consœurs et leurs corps formés, j’y restais complètement indifférent. Ce chant des sirènes ne m’atteignait aucunement en dépit des diverses tentatives de ces dernières, ce qui ne faisait qu’accroître ma honte. Pire encore, je réalisais avec abjection que mon regard s’échinait à s’attarder bien malgré moi, plus sur des physionomies masculines que féminines. Je devais constamment contrôler mes hormones pour ne pas me taper des érections à chaque fin d’entraînement tandis que nous devions partager des douches communes dans le vestiaire, au point de m’inventer une soudaine pudicité. Pourtant, je n’en éprouvais pas plus de sentiments amoureux. Non, ce n’était qu’une forme d’admiration mêlée à de l’envie. Néanmoins, je tentais de me déculpabiliser en me disant que j’avais d’autres centres d’intérêt, un objectif en tête : celui de me distinguer du fait de mes performances sportives afin de pouvoir prétendre un jour devenir quelqu’un de reconnu dans le milieu. Afin d’arriver à ce but, je m’exerçais d’arrache-pied de nombreuses heures en plus de mes cours. Alors oui, effectivement, j’avais moins de temps pour m’affairer d’une petite amie ; du moins, c’est ce que j’avançais à chaque fois que quelqu’un ramenait la question sur le tapis, car la réalité était bien plus difficile qu’elle en paraissait. Je ne pouvais me l’avouer à haute voix, tant cela me semblait inconcevable. J’essayais au contraire de m’en éloigner autant que faire se peut, tentant par tous les moyens possibles de la dénigrer. Cependant, plus le temps passait et plus cette dissemblance prenait une place omniprésente dans mon quotidien. Cette compétition constante pendant et en dehors de nos entraînements me pesait sans cesse. Malgré cela, je composais avec, n’ayant d’autres choix. J’agissais sur l’instant. Fort de ces dénégations, je pensais avoir réussi à surmonter mes pulsions, à me convaincre que j’étais comme autrui avant qu’Il arrive dans mon paysage et bouleverse mon monde. Ce qui n’avait été que des frémissements se transforma en une réalité aussi douloureuse qu’inattendue, me laissant totalement déconcerté.

Il se nommait Florent. Il avait dû se voir quitter ses amis d’enfance après la mutation de son père dans notre région. Je ne l’avais pas remarqué, même si nous allions au même lycée sans être dans la même classe. Ce n’est qu’en faisant sa connaissance au club que tout a pris une tournure inattendue. Mon attention s’était immédiatement focalisée sur ses pupilles azur qui contrastaient avec son teint hâlé. Quand nos regards s’étaient croisés, nos mains serrées, j’avais ressenti quelque chose me transpercer de part en part. Pourtant, il n’avait rien qui le sortait de la norme. Néanmoins, quelque chose avait fluctué avec lui, quelque chose qui m’attirait inlassablement. Un fragment de seconde, je m’étais retrouvé incapable de dissimuler mon indifférence, cependant je m’étais rapidement repris, tentant, tant bien que mal, de cacher cet engouement soudain. Ne souhaitant pas laisser perdurer cet instant de flottement embarrassant, je m’étais raclé la gorge et m’étais porté volontaire pour donner suite à la proposition de notre coach pour un combat amical afin de tester ses aptitudes. Alors que la lutte commençait, j’avais été surpris par sa force et son agilité. Il me fallut ruser et persévérer, mais je remportais le match. Bon joueur, Florent m’avait félicité avec une certaine admiration dans le regard, ce qui m’avait mis mal à l’aise. À la fin de notre séance, c’est tout naturellement qu’il s’était introduit dans l’équipe avec sa bonhomie et sa bonne humeur contagieuse.

Poussé par une curiosité presque malsaine à vouloir le connaitre, j’avais entrepris de tisser des liens avec lui en dehors du club, nous retrouvant durant les intercours. Notre rapprochement s’était très rapidement transformé en une réelle et profonde amitié. Évidemment, mon père, lui, n’avait pas vu cette camaraderie naissante d’un bon œil. Il m’avait maintes fois prévenu de me méfier de ce rapprochement opportuniste. De son avis, Florent était un provincial malhonnête qui ne désirait qu’une chose, profiter de mes largesses. Or, il n’était aucunement de cette trempe. Son père s’était vu attribuer une offre professionnelle si favorable qu’il n’avait pu refuser, contraignant Florent à le suivre. Sa mère, maître de conférences renommé, avait, elle aussi, réussi à obtenir un poste de titulaire vacant, mais celui-ci se trouvait sur la Capitale. De ce fait, il ne la voyait que les week-ends. Bien que cela soit douloureux pour lui, il avait appris à faire avec.

Grâce à Florent, j’avais enfin trouvé quelqu’un auprès de qui je pouvais me confier, qui se préoccupait de moi, chose que je n’avais jamais expérimentée jusqu’alors. À ses côtés, je m’octroyais l’opportunité de sortir de cette emprise à laquelle mon statut m’asservissait depuis tant d’années, me faisant découvrir cette notion d’insouciance dont j’avais été privé jusqu’alors. Peu à peu, il avait réussi à me dérider, m’encourageant toujours plus à profiter de nos moments d’évasion.

Évidemment, cela avait suscité de vives tensions entre mon père et moi. J’avais beau lui répéter que je ne faisais rien de mal, il n’en avait que faire. En revanche, ce à quoi je ne m’étais pas attendu, c’est que ma mère m’apporte son soutien dans ma démarche. Elle s’était positionnée face à son mari et lui avait dit, d’une voix éloquente :

— Romuald a le droit d’avoir des amis. Dois-je te rappeler que nous avons eu cette même discussion avec Daniel ? Tu refusais qu’il s’écarte de ses études. Il t’a prouvé qu’il pouvait concilier plaisirs et devoirs. Il ne t’a jamais déçu. Tu as toujours reproché à Romuald d’être asocial et maintenant qu’il sort enfin de sa coquille, tu voudrais le brider ? Je ne pense pas que Florent soit un mauvais garçon. Un fils d’enseignant universitaire ne peut pas être quelqu’un de malintentionné. Tu dois laisser un peu de liberté à Romuald, Jacques, auquel cas, jamais il ne réussira à s’intégrer. Il fait ses preuves. Fais-lui confiance.

Bien que mécontent, il avait fini par céder, tout en m’avertissant qu’il me gardait à l’œil, qu’au moindre faux pas, il n’hésiterait pas à me remettre sur le « droit chemin », comme il aimait le dire. Qu’importe. J’avais grandement remercié ma mère et promis à mon père de ne pas le décevoir.