Un homme presque ordinaire - Emy Bloom - E-Book

Un homme presque ordinaire E-Book

Emy Bloom

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Beschreibung

Toute personne peut être considérée comme faisant partie d''une unité à part entière, celle des êtres humains, dotés d'une intelligence. Le sujet se voit alors affublé de différents qualificatifs qui le caractérisent. D'une sous entité, ce dernier s'intègre dès lors à un groupe. Mais en fin de compte, toutes ces belles théories ne sont que des vraisemblances. Paul n'a jamais eu une vie "ordinaire". Malentendant depuis son enfance, il a dû se confronter et s'adapter à ce monde qui n'est pas le sien. Mais alors qu'il se pense enfin épanoui, le sort s'acharne sur lui. Contaminé par le virus du VIH, Paul va devoir accepter cette nouvelle vie jusqu'alors idéalisée, ne soit plus. La question est: réussira-t-il malgré tout à trouver sa place et accéder à cette normalité tant désirée? #handicap #VIH #Trance de vie 58 118 mots

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Seitenzahl: 271

Veröffentlichungsjahr: 2023

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SYNOPSIS

Toute personne peut être considérée comme faisant partie d’une unité à part entière, celle des êtres humains dotés d’une intelligence. Le sujet se voit alors affublé de différents qualificatifs qui le caractérisent. D’une sous entité, ce dernier s’intègre dès lors à un groupe. Mais en fin de compte, toutes ces belles théories ne sont que des vraisemblances.

Paul n’a jamais eu une vie « ordinaire ». Malentendant depuis son enfance, il a dû se confronter et s’adapter à ce monde qui n’est pas le sien. Mais alors qu’il se pense enfin épanoui, le sort s’acharne sur lui. Contaminé par le virus du VIH, Paul va devoir accepter que cette vie jusqu’alors idéalisée, ne soit plus.

La question est : réussira-t-il malgré tout à trouver sa place et accéder à cette normalité tant désirée ?

#Handicap

#VIH

#Tranche de vie

58 118 mots

DÉDICACE

Cette histoire est inspirée de faits réels.

Elle aborde certes, des vérités mises sous silence ; mais ces mêmes vérités, une fois réunies, apportent le témoignage d’une expérience humaine.

Les patronymes ont été modifiés. Néanmoins, les faits relatés sont, en majorité, authentiques tout comme l’impact qui en résulte sur la vie de ces individus.

Ce roman, je le dédie à celui qui me l’a inspiré, à toi et à tous les Paul qui se reconnaîtront à travers cette histoire.

N’oubliez pas que vous n’êtes pas seuls.

TABLE DES MATIÈRES

SYNOPSIS

DÉDICACE

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Épilogue

NOTE DE L’AUTEURE

LIENS UTILES

BIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE

L’espoir, c’est ce petit oiseau qui se perche sur notre âme, qui chante sans les paroles, et qui ne se tait jamais.

Emily Dickinson

CHAPITRE 1

« Comme le vent abat un chêne, une simple phrase détruit un rêve. »

Gilles Martin-Chauffier, extrait de « Une vraie Parisienne »

De ma petite enfance, mes souvenirs sont flous et pourtant ponctués de chaos. Je suis un « bébé miracle ». Après deux fausses couches menées à bien, cette grossesse avait été un parcours douloureux pour mes parents. À ma naissance, mon pronostic vital n’était pas optimiste. Malgré tout, j’avais survécu. Au fil des années, j’étais devenu un enfant vif, plein d’énergie et curieux de tout, élevé par ma mère alors en congé parental. Je fus choyé et privilégié jusqu’à l’âge de mes trois ans. Puis, de nouveaux horizons se dévoilèrent avec mon entrée à la maternelle. Au côté de mes camarades, tout n’était qu’émerveillement tant nous étions enthousiastes et avides d’apprendre. Après l’école, nous aimions nous retrouver dans ce parc aux multiples structures, toutes aussi colorées que fantaisistes. Ce dernier se trouvait sur le chemin de retour que nous empruntions ma mère et moi-même tous les jours. Dans ces moments-là, nous laissions notre imagination nous emporter dans des jeux de rôles de policiers ou voleurs entraînant des parties de cache-cache endiablées. Ma mère, heureuse de me voir m’épanouir, me surveillait depuis les bancs non loin de là, auprès d’autres parents avec qui elle discutait de choses de grandes personnes.

J’avais la vie d’un enfant de trois ans somme toute ordinaire. Rien, à cet instant, ne présageait le drame à venir. Comment aurais-je pu imaginer que je ne sois pas « normal » ? Certes, j’avais un léger retard d’apprentissage, certains mots s’écorchant lorsque je les prononçais, comme une majorité de mes camarades. Alors, pourquoi s’alerter ?

Les choses ont commencé à se compliquer lors de ma deuxième année de maternelle. Je présentais de plus en plus de difficultés à suivre les consignes données par mon institutrice. Ma diction, quant à elle, se faisait de plus en plus laborieuse. Je n’arrivais pas à faire une phrase structurée, mon vocabulaire était « pauvre » par rapport aux autres enfants de mon âge. Malgré l’aide de mon enseignante et de notre ATSEM qui m’accordait plus d’attention qu’à l’accoutumée, je ne faisais aucun progrès. Pire, je régressais. Ces arriérations ne faisant qu’accroître vis-à-vis du reste de la classe, la maîtresse s’était décidée à convoquer ma mère afin de discuter de la situation. Au cours de l’entretien, elle avait pris le soin d’évoquer mes troubles d'élocution ainsi que les difficultés de compréhension. Ce décalage dans mon apprentissage était, selon elle, des signes avant-coureurs de troubles du langage, appelé aussi troubles « dys » qui pouvaient être corrigés par l’intermédiaire d’une rééducation orthophonique. Aucun reproche ne m’avait été adressé, pourtant je notais une certaine perplexité dans le regard de ma mère à cette annonce. Bien que je ne saisisse pas les tenants et aboutissants, il était indéniable que cette conversation ne l’avait pas laissée indifférente. Bien qu’elle taise ses maux, quelque chose la préoccupait. L’après-midi s’acheva dans une atmosphère pesante. Ce n’est qu’au retour de mon père que ma mère avait enfin eu le courage d’extérioriser toutes ses appréhensions. Ce dernier l’avait écouté avec application lui rapporter la teneur de l’entretien qui s’était déroulé plus tôt. Notant son accablement, il s’était évertué, comme à son habitude, à modérer ses craintes me concernant.

— Mathilde, Paul va bien. Il n’est plus aussi vulnérable qu’à sa naissance. Je sais que tu as tendance à t’inquiéter facilement et c’est tout à fait légitime, mais regarde-le. Notre fils se porte comme un charme. Paul a des retards ? Nous en sommes conscients, mais il n’a que quatre ans ! Il est encore en maternelle. Chaque enfant se développe à son rythme. Paul prend plus de temps que les autres ? Et bien soit. Il ne va pas passer un examen à la fin de l’année que je sache, alors il est inutile de commencer à envisager le pire ! Je suis persuadé que sa maîtresse a raison de ne pas s’inquiéter outre mesure. Elle-même te l’a dit, cela est fréquent. Nous pouvons nous estimer heureux qu’il ait été détecté si tôt. Un panel de solutions peut lui être apporté afin de l’aider à combler ses lacunes. Prends l’exemple de la fille de mon collègue Benoît ; elle a été diagnostiquée dyslexique et dysorthographique il y a quatre ans lorsqu’elle était en grande section. Aujourd’hui, elle est en CM1 et bien que cela ne soit pas évident, elle réussit à suivre sa scolarité comme les autres. Étant donné le contexte, oui, c’est handicapant, mais on peut vivre avec, lui avait-il répondu avec une certaine sérénité.

— Je le sais bien… Mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour les années à venir. Je ne veux pas qu’il se retrouve dévalorisé vis-à-vis de ses camarades. Tu ne peux m’enlever de l’esprit que c’est de ma faute s’il a ces difficultés aujourd’hui !

— Mais pourquoi culpabiliser ? Tu n’as jamais été responsable de quoi que ce soit enfin ! Ne commence pas à reporter tes propres craintes sur Paul. Cela va plus l’angoisser qu’autre chose et lui faire perdre confiance en lui.

— Tu as raison, ça va aller. Tu me le promets, hein ? s’était-elle enquise, dans l’expectative.

— Mais oui mon amour. Je suis persuadé que tout va s’arranger. Il faut juste lui laisser du temps. Et puis, il n’est pas seul. Tu entends Paul ? Nous serons à tes côtés pour t’aider, n’en doute jamais, avait-il conclu en me caressant doucement les cheveux.

À cet instant, j’admirais mon père. Il avait toujours eu cette capacité à trouver les bons mots pour nous rasséréner et redonner ce sourire si éblouissant que ma mère ne réservait qu’à nous. Quant à moi, j’étais persuadé qu’il ne pouvait dire que la vérité. Tout allait s’arranger, j’en étais certain. C’est donc confiant que nous nous étions rendus une semaine plus tard chez un pédiatre en ville qui nous avait été recommandé par la mère d’un camarade, lui aussi diagnostiqué dyslexique. Alors qu’il m’auscultait, le médecin avait engagé la conversation d’un ton posé :

— Ta maman m’a rapporté que tu as des difficultés à suivre les ordres de ta maîtresse. Peux-tu m’expliquer pourquoi ?

Devoir une fois de plus me justifier me mit en colère. J’avais cette désagréable impression que l’on me considérait comme un attardé. C’est presque en hurlant que j’avais rétorqué d’une voix chevrotante :

— Je vous jure que je fais de mon mieux. Seulement, je n’entends pas bien ce que Agathe me demande. Comme je lui fais répéter plusieurs fois la même chose, elle finit par s’énerver sur moi, car elle pense que je fais exprès. Quand j’essaie de me justifier, elle me dit d’arrêter de mentir et je me retrouve toujours puni. C’est tout le temps comme ça ! On ne me croit jamais, avais-je conclu en chuchotant sans que je puisse estomper mes pleurs.

— Tout va bien, Paul. Sèche donc tes larmes. Moi, je te crois, m’avait-il répondu tout en m’invitant à rejoindre ma mère. Je ne doute aucunement que tu es un très gentil petit garçon qui fait de son mieux. Ainsi, si je comprends bien, tu as des difficultés à entendre quand on te parle de loin ?

— Oui, m’étais-je repenti, tout penaud.

— Mais pourquoi ne pas nous l’avoir dit mon chéri ? m’avait demandé ma mère, totalement abasourdie par cette révélation.

— Je ne sais pas. Je ne voulais pas te voir encore une fois triste. Déjà que je suis nul…

—Personne n’a jamais pensé cela, Paul. Tu as des difficultés, mais cela ne signifie pas que nous te jugerions, Agathe, papa ou moi, incapable de quoi que ce soit. Tu aurais dû nous le signaler plus tôt. Cela t’aurait évité bien des malentendus. Mon chéri, enfin…

Alors que ma mère tentait de calmer une nouvelle crise de larmes, le pédiatre reprit avec attention son interrogatoire.

— Comme te l’a dit ta maman, tes soucis d’auditions pourraient expliquer bien des choses. À présent Paul, j’ai besoin de savoir quel est le problème avec tes oreilles. Perçois-tu davantage les sons quand nous sommes proches de toi ou est-ce tout aussi difficile que lorsque nous sommes éloignés ?

— J’entends mieux de près bien que certaines fois, j’ai tout de même du mal à tout comprendre, avais-je rétorqué en reniflant.

— Merci pour ta franchise Paul et ne te juge pas trop sévèrement. Tu n’es nullement plus bête qu’un autre. Bien au contraire. Grâce à toi, je pense que nous avons découvert une cause qui pourrait expliquer toutes les difficultés que tu subis au quotidien : tes oreilles sont dysfonctionnelles. Cela signifie que le son n’arrive pas correctement jusqu’à ton cerveau, me dit-il tout en faisant un schéma illustratif. De ce fait, tu as du mal à comprendre et faire ce qui t’es demandé, mais je te promets que nous allons tout faire pour trouver des solutions qui compenseront ce désagrément. À présent, je vais devoir parler avec ta maman. Que dirais-tu de me faire un dessin en attendant ? Voici du papier et des feutres.

Je hochais la tête en guise de réponse tout en soufflant de soulagement. On pouvait enfin mettre des mots sur mes maux. On me croyait et cela changeait tout à mes yeux. C’est donc apaisé que je m’étais mis à reproduire le schéma du docteur aux côtés de ma mère qui tentait de conserver une certaine contenance bien que sa posture trahisse sa vulnérabilité.

— Il est noté qu’il a eu une méningite bactérienne à la naissance ? avait demandé le pédiatre après avoir feuilleté mon carnet de santé.

— En effet, j’ai contracté une septicémie suite à une rupture anticipée de la poche des eaux. Bien qu’à trente-trois semaines de grossesse, mon gynécologue a été contraint de déclencher le travail une semaine avant le début du terme. Les premiers signes sont apparus trois jours après l’accouchement. Paul a été soigné par le pédiatre de la maternité avec un traitement à base d’antibiotiques. Quoique légèrement prématuré, il a vite repris du poids et les tests n’ont jamais montré un quelconque problème physiologique. Oui, mon fils a des retards de langage, mais en aucun cas il n’a été question d’un dysfonctionnement intellectuel ou autre.

— Il faut que vous ayez conscience, Madame, que malgré les soins prodigués à l’époque et par la suite, les nouveau-nés qui survivent à une telle infection et qui évoluent sans séquelles apparentes peuvent tout de même présenter des retards du développement. Cela expliquerait les troubles relevés par l’institutrice de Paul. Néanmoins, je persiste à penser qu’il ne s’agit pas d’une quelconque déficience mentale, mais plutôt la conséquence de son absence d’ouïe. C’est une des complications qui peut se manifester à la suite d’une méningite. Lors de mon auscultation, j’avais noté son manque de réaction à une de mes remarques alors qu’il se dirigeait à l’autre bout de la pièce pour la pesée. Par la suite, Paul nous a clairement exprimé sa difficulté à entendre et comprendre son interlocuteur quand celui-ci n’est pas à proximité. Un autre signe avant-coureur qui me conforte dans ce diagnostic est qu’il a tendance à hausser la voix pour répondre. Tout cela tend à prouver que votre fils pourrait être atteint de surdité. Avant que vous me posiez la question, non, on ne peut émettre une quelconque négligence de qui que ce soit. Jusqu’alors, il n’avait été relevé que des difficultés de langages à surveiller qui pourrait être comblé par des séances d’orthophonie. La faute n’incombe pas non plus à Paul. Je pense que ces problèmes d’auditions sont apparus sans qu’il n’en prenne réellement conscience. Cette gêne devait être si minime qu’il a compensé, mais aujourd’hui, cela n’est plus suffisant. Quoi qu’il en soit, il est primordial d’avoir l’avis d’un spécialiste.

— Vous pensez que mon fils est…

— Je ne prétends rien, madame. Je fais juste mon travail. Il est nécessaire de faire ces examens afin d’éliminer d’autres éventuels dysfonctionnements internes. En plus d’une visite chez un ophtalmologue pour vérifier sa vue par acquit de conscience, je vais vous prescrire une ordonnance pour faire un bilan auditif. Je vous encourage à consulter le docteur Fadiœr. C’est un ORL pédiatrique avec qui je collabore régulièrement. Je sais que ce n’est pas ce à quoi vous vous attendiez, mais il est clair que Paul est en souffrance. Il est impératif de prendre les choses en main dès à présent afin de minimiser les séquelles.

À l’annonce de cette nouvelle, j’avais été soulagé, voire heureux que l’on me promette de me faire aller mieux. Pour moi, tout allait rentrer dans l’ordre, j’allais redevenir un petit garçon comme les autres. Après coup, en notant la tristesse défigurer ma mère, je m’en voulais d’avoir avoué mon secret. Depuis notre départ du cabinet, elle s’était réfugiée dans un mutisme anxiogène, son regard perdu et empli d’inquiétudes. Une fois à la maison, après s’être assurée que j’avais de quoi m’occuper dans le salon, elle s’était isolée avec mon père, revenu entre-temps du travail suite à son appel téléphonique, dans la cuisine. Ne pas discuter de mon rendez-vous en ma présence ne leur ressemblait aucunement, ce qui ne fit que décupler mon propre mal-être. Dans mon esprit, j’étais le seul responsable de cet état de fait. Je culpabilisais davantage en apercevant à travers l’interstice, mon père essuyant les yeux humides de ma mère tout en lui chuchotant des mots, que je devinais être réconfortant. À cet instant, j’avais l’impression que le poids du monde pesait sur mes épaules tant elles s’étaient affaissées. Bien que j’essaie de camoufler mes appréhensions. Mes parents, loin d’être dupes, prirent le temps de m’expliquer, une fois ressaisi, avec bienveillance, les tenants et aboutissants de ma révélation.

— Tu verras mon chéri, tout va s’arranger, m’avait confié mon père. Nous allons aller consulter de nouveaux docteurs qui pourront certainement soulager tes bobos.

— Mais ils vont me faire du mal ! m’étais-je insurgé, la panique me saisissant.

— Non, je te promets que tu ne risques rien, m’avait affirmé ma mère d’un ton catégorique avant de poursuivre avec plus de modération : le premier médecin va regarder tes yeux noisette et te montrer de belles images. Le second va ausculter tes adorables oreilles, peut-être même te faire écouter de la musique dit-elle en m’offrant de douces caresses. Tu vois, ils ne vont pas te faire de mal, bien au contraire. Et puis, nous serons avec toi, papa et moi. Tu ne seras pas seul. Rassure-toi mon ange, on s’occupe de toi.

Bien que je ne puisse lutter contre cet inconnu, j’avais fini par succomber à la fatigue accumulée à force de câlins et de mots apaisants. Malgré tout, je ne pouvais lutter contre cette sourde peur de l’inconnu.

En attendant le rendez-vous tant redouté, nous avions préféré taire nos inquiétudes, mes parents et moi-même. La journée, je faisais semblant de faire comme si de rien n’était, mais une fois la nuit tombée, quand je me retrouvais seul dans le noir, je pleurais à chaudes larmes, appréhendant la suite. La consultation chez l’ophtalmologue se déroula sans accroc. Ma vue était parfaite, ce dont je n’avais jamais douté. Le problème n’était pas mes yeux, mais mes oreilles. Nous fûmes de retour à l’hôpital deux semaines plus tard pour notre rendez-vous avec l’ORL. Malgré les circonstances, je pris plaisir à découvrir ce nouveau service aux murs égayés par des affiches aussi colorées que intrigantes. Je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui était écrit sous ces images de bouches et autres oreilles. Au mépris de mon insistance, mes parents ne prirent pas la peine de me répondre, toutes leurs attentions étant tournées vers la secrétaire. Agacés par mes incessantes réclamations, ils m’avaient encouragé à aller vers le coin des enfants que nous avions entre aperçus plus tôt afin de me faire patienter. Totalement obnubilé par les petites voitures que j’avais repérées dans la caisse, je n’avais pas remarqué ce jeune garçon, un peu plus âgé que moi, attablé non loin de moi, en train de mimer un combat singulier et silencieux entre deux dinosaures. Alors que je l’invitais à se joindre à moi, je le vis se mettre à faire des gestes avec ses doigts sans qu’une seule parole ne franchisse ses lèvres. Devant mon incompréhension, il m’avait confié les figurines avec bonhomie puis était reparti auprès de celui que je supposais être son père. Je ne pouvais m’empêcher de le regarder échanger en se mouvant avec tant de fluidité. Ce qui me déconcertait encore plus était de constater que son vis-à-vis lui répondait de la même façon, tout en souriant. Le garçon eut l’air satisfait et s’assit avant de se mettre à lire un livre. Trop interloqué par le comportement de mon compagnon de jeu, ne trouvant plus d’intérêt à jouer, j’étais, à mon tour, retourné auprès de mes parents qui s’étaient installés entre-temps. Alors que ma mère s’était enquise de connaître la cause de ma soudaine contrariété, je lui faisais part de ce qui venait de se produire tout en pointant du doigt celui qui m’avait délaissé. Sur l’instant, elle parut mal à l’aise en jetant un regard en coin en direction du binôme qui ne se souciait guère de nous, chacun concentré sur leur lecture. Rassurée qu’ils n’aient perçu mon impolitesse, elle m’avait prié de m’asseoir et attendre sagement le médecin.

— Pardon, maman, mais je ne comprends pas. Pourquoi il est allé voir son père plutôt que d’essayer de me parler, alors ? avais-je insisté, ne saisissant toujours pas la raison de cette esquive.

— C’est une très gentille attention que de lui avoir proposé de jouer avec toi, mais je ne pense pas qu’il est compris ta demande.

— Pourtant, j’ai bien prononcé chaque mot, lui répondis-je embarrassé.

— Le problème ne provient pas de toi mon chéri, m’expliqua-t-elle avec bienveillance ; mais de lui. Tu m’as dit qu’il s’exprimait à l’aide de ses mains ? C’est une autre manière de communiquer quand on est sourd.

— Comment ça ?

— Il n’entend pas les sons.

— Oh ! Je ne savais pas qu’on pouvait parler de cette manière. C’est génial ça, m’étais-je exclamé avec ardeur. Tu imagines ? Il ne peut pas être puni pour bavardages vu qu’il ne fait pas de bruit ! Il a des super-pouvoirs comme les super héros !

— Certainement Paul, avait-elle rétorqué amusée par ma vision si enfantine. Néanmoins, avait-elle ajouté avec peine, sa situation ne doit pas être facile au quotidien.

— Mais maman, il n’a pas l’air malheureux. Regarde-le !

— Certes, mais cela reste limité. De par cette barrière de la langue, il n’a pas pu jouer avec toi. Lui ne peut s’exprimer oralement et toi, tu ne pratiques pas la langue des signes. J’imagine que ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’il se voit confronté à une telle situation. Cela doit être très handicapant au quotidien.

— Mais pourquoi on ne nous l’apprend pas alors ?

— Ah mon Paul… Les personnes comme ce jeune garçon sont trop peu nombreuses pour envisager d’enseigner à tout le monde ce genre de communication.

— Mais ce n’est pas juste ! m’étais-je insurgé, interloqué par sa remarque, ce qui m’avait valu un nouvel avertissement.

J’avais beau essayer, je ne comprenais pas pourquoi on nous privait de pouvoir échanger librement avec ces personnes. Après tout, mes parents parlaient en anglais et espagnol, alors pourquoi ne pas proposer la langue des signes aussi ? C’était une langue étrangère comme tant d’autres.

Trop pris dans mes réflexions, je n’avais pas fait attention à cet homme en blouse blanche d’un certain âge nous priant de le rejoindre pour nous rendre dans son bureau. Ma mère, après m’avoir enjoint à me mettre en marche, me tint fermement la main, signe flagrant de sa nervosité. Une fois installé, le praticien lut le courrier du pédiatre et fit un point avec mes parents. Par la suite, il m’invita à suivre « la gentille assistante » pour faire les tests. Bien que je ne sois pas rassuré, je m’étais laissé accompagner jusqu’à la cabine insonorisée. On m’avait expliqué qu’on allait me faire écouter des sons et que je devrai les prévenir dès que je les entendrai. Au départ, je trouvais cela amusant ; souriant en levant la main avec entrain. Les ondes acoustiques se succédèrent, puis ce fut le silence. Le temps passant, je commençais à m’ennuyer. Je ne comprenais pas pourquoi on me faisait signe de rester sagement assis. Après ce qui me parut une éternité, l’infirmière me rejoignit tout en me félicitant puis m’invita à regagner la pièce adjacente où mes parents patientaient.

À peine avais-je franchi le sas que je fus saisi de voir ma mère en larmes, mon père presque inanimé, totalement impuissant. Dans mon esprit, j’étais de nouveau responsable de la tristesse qui inondait leurs visages. Je m’étais précipité vers eux, me réfugiant dans le giron de ma mère en m’excusant. De quoi ? Je n’en savais rien, mais je ne voulais qu’une chose, la réconforter comme elle le faisait avec moi quand j’étais malheureux. Mais cela eut l’effet contraire. Ses larmes redoublèrent, ce qui m’avait fait pleurer à mon tour, alors que je sentais la main de mon père me caresser machinalement les cheveux. Il s’était penché vers mon oreille et m’avait chuchoté d’une voix tremblante que tout allait bien se passer, que je ne devais pas m’inquiéter. Tandis que je relevais la tête vers lui, le médecin s’était incliné en avant. Bien qu’il se montre affable, je ne pouvais contenir ce fort sentiment d’imputabilité.

— Paul, il n’y a rien à te reprocher. Tu as été très sage et tu as parfaitement fait ce que je t’avais demandé. Je suis très fier de toi. Certains ne le sont pas autant, je te le garantis, m’avait-il assuré avec bienveillance. Le test que tu as passé révèle que tu n’entends pas certains sons. Cela explique les difficultés que tu as rencontrées jusqu’alors. Tu n’es en aucun cas responsable de cela. Ce sont tes oreilles qui ne fonctionnent pas correctement, d’accord ?

— Que cela signifie-t-il exactement, docteur ? rétorqua précipitamment mon père, commençant à réaliser l’ampleur de la nouvelle.

— Votre fils est atteint d’hypoacousie, c’est-à-dire une diminution de la capacité à percevoir les sons. On parle aussi de baisse de l’audition. Les tests ont révélé qu’il ne distingue pas les sons aigus. La perte d’acuité auditive est consécutive à sa méningite bactérienne. Elle est survenue brutalement et a atteint les deux oreilles. Il n’est pas sourd, la preuve étant qu’il entend quand on lui parle à proximité, mais il a une altération de la fonction auditive.

— Mais… cela va-t-il empirer à l’avenir ? Notre fils va-t-il devenir sourd ?

— La perte d’acuité auditive est, dans le cas de Paul, irréversible. Les tests nous informent qu’il est atteint de surdité moyenne… Son test montre qu’il n’a pas réagi à 40 décibels. C’est pour cette raison qu’il fait répéter son interlocuteur et qu’il a tendance à parler à voix haute.

— Mais… y a-t-il une chance que ça s’améliore ?

— Il va lui falloir un suivi régulier à l’avenir, mais vous devez garder à l’esprit qu’il ne retrouvera jamais une audition « normale ». Il est inutile de culpabiliser sur quoi que ce soit. Il n’y a pas eu d’erreur médicale ni de négligence de votre part. Cela est rare, mais une perte d’audition peut survenir à n’importe quel âge, en particulier après une méningite.

Mes parents incapables d’accepter un tel diagnostic s’étaient résolus à demander un second avis auprès d’un autre ORL, dans un autre hôpital. Hélas, la sentence fut la même… Ma mère fondit de nouveau en larmes. Je la vis se lever et commencer à parler d’une voix hystérique alors que le médecin, lui, gardait son calme ; essayant de tempérer son désarroi.

— Certes, ce n’est pas une nouvelle réjouissante, mais voyez le positif. Vous avez dépisté Paul assez rapidement. Quels que soient vos choix dans le futur, il est indispensable de vous impliquer dans son évolution et son apprentissage. Cela déterminera son avenir. Il faut comprendre qu’un dépistage pris en charge dès la petite enfance va lui éviter de trop grands retards d’acquisition du langage et favoriser son intégration dans le monde qui l’entoure. Vous allez devoir vous armer de patience. Mais gardez à l’esprit que vous n’êtes pas seuls. Je vais vous donner les coordonnées d’un service médico-social approprié pour les sourds et malentendants. Une panoplie de spécialistes : psychologues, psychomotriciens, phoniatres, orthophonistes prendront en charge la rééducation de votre enfant, et ce, sous ma responsabilité. Notez que ces services ne vous sont absolument pas imposés. Vous pouvez aussi recourir à des professionnels exerçant dans le secteur libéral. En parallèle, je vous encourage à établir un dossier auprès de la MDPH afin de faire reconnaître Paul comme un enfant en situation de handicap. Il pourra vous être attribué une AEEH1. Cette allocation a pour but d’aider les familles à faire face aux frais supplémentaires engendrés par le handicap d’un enfant à charge jusqu’à ses vingt ans. Je sais que pour le moment, vous devez encaisser cette nouvelle. Mais ne tardez pas à faire ces démarches. Mettez tous les moyens disponibles à la disposition de votre fils afin qu’il puisse préparer au mieux son avenir.

Jusqu’alors, personne n’aurait pu se douter de quoi que ce soit. Comme l’avait prédit mon pédiatre, j’avais compensé mon handicap instinctivement, observant le visage de mes interlocuteurs et décryptant le mouvement de leurs lèvres. À présent, on reconnaissait mon handicap et on me promettait d’y pallier un tant soit peu. Bien que cela me soulageait grandement, je n’avais pu envisager que cette annonce déclenche une telle débâcle. Au vu de cette imputabilité et les inquiétudes qui en découlaient, il n’était plus question de chercher un coupable. Le temps de l’accablement devait laisser place à la résignation. Nous devions à présent nous concentrer sur cette nouvelle vie à laquelle nous allions devoir faire face.

Sans tarder, nous fûmes mis en relation avec l’ARIEDA2. Cette association a pour vocation de conseiller et d’accompagner les familles dont les enfants sont sourds ou malentendants dans leur inclusion scolaire pour, par la suite, suivre leurs évolutions une fois adultes. Les interventions s’effectuaient dans les différents lieux de vie et d’activités ou dans leurs locaux. Nous avions été conviés à une réunion informelle afin de faire connaissance avec d’autres adhérents tout aussi hétéroclites qu’unis dans leurs épreuves. Je me souviens encore de notre toute première visite et cette profonde consternation ressentie alors. À peine avions-nous franchi le seuil que nous nous étions confrontés à cette nouvelle réalité. En observant mes compagnons, je m’étais aussitôt senti exclu. La majorité était silencieuse, communiquant avec cette langue qui m’était étrangère. Alors que j’en avais fait part à ma mère, elle avait tout mis en œuvre pour me rassurer, avec un sourire empreint de tendresse me remémorant notre échange que nous avions eu quelques jours plus tôt dans la salle d’attente. Je devais me souvenir que même si les mois à venir s’avéraient laborieux, je resterais toujours Paul. Seulement, je ne serais jamais plus quelqu’un d’ordinaire, et pour cause ! m’avait-elle affirmé avec entrain :

— D’ici quelque temps, tu vas, toi aussi, être doté de super pouvoirs ! Tu vas apprendre à surmonter ton handicap. Tu seras différent, mais c’est cette même différence qui sera ta force. Mon fils est un super héros qui va changer le monde ! C’est trop cool ! Tu imagines combien je suis fière de toi ?

— Merci maman, lui avais-je répondu, quelque peu rassénéré.

— Même si tu doutes, n’oublie jamais que moi, je crois en toi. Quoiqu’il advienne, tu réussiras à surmonter tous les obstacles qui se présenteront à toi.

Crédule, je l’avais cru ne saisissant pas encore le poids de ses mots bien qu’en mon for intérieur, je devinais que l’insouciance de mon enfance venait de prendre fin.

1 Allocation d’éducation d’enfant handicapé

2 L’ARIÉDA OCCITANIE (Association Régionale pour l’Intégration et l’Éducation des Déficients Auditifs) est une association loi 1901, qui accompagne les enfants et adultes sourds depuis 1982.

CHAPITRE 2

« Ne prends la parole que si ce que tu vas dire est plus fort que le silence. »

Euripide

Cela me fut confirmé par la suite, tant mon quotidien se vit bouleversé. Oubliez les instants chaleureux avec les copains au parc. J’enchaînais les rendez-vous thérapeutiques. L’objectif était d’acquérir une certaine autonomie à l’aide de moyens médicaux, paramédicaux, psychosociaux, éducatifs et pédagogiques adaptés. Tout ce dispositif avait pour but de me faire accepter mon handicap. La fréquence des consultations me demandait des efforts surhumains. Bien qu’harassé, je préserverais à grand renfort de soutien de mon entourage. Je ne désirais pas être plus victimisé que je ne l’étais déjà. Néanmoins, plus les jours passaient et plus je réalisais l’ampleur de la tâche qui m’incombait. En dépit de mon aversion pour toutes ces contraintes, je dus reconnaître qu’à force de persévérance et d'entraînement, j’obtenais des résultats probants.

Dans un premier temps, il fut question d’un appareillage. On nous expliqua qu’il était fortement recommandé de porter des prothèses auditives. Celles-ci seraient faites de telle manière qu’elles prendraient la forme du contour de mes oreilles avec des embouts sur mesure. Elles me garantissaient une puissance d’amplification plus importante. Plus tard, à mon adolescence, je pourrai prétendre à un microcontour d’oreille adaptable, mais à manœuvrer avec plus de soin. Cette solution dépendrait toutefois de l’évolution de ma perte auditive.

Le jour de la pose de mes premières prothèses, même si la manipulation était qualifiée « de douce », j’étais loin d’être serein. En dépit de mes appréhensions, contraint à l’immobilité la plus totale, l’opération se fit sans douleur et de manière rapide. Par la suite, je dus apprendre à faire moi-même les réglages selon la situation sonore donnée, n’ayant pas à cette époque la technologie qui est mise à notre disposition de nos jours ; les téléphones portables et autres applications n’étaient pas encore disponibles sur le marché. Cependant, cela se révéla insuffisant. Bien que je sois doté d’appareils auditifs, rien n’était acquis. Mon appareillage me permettait d’entendre les voix, certes ; mais ce dernier ne s’avérait d’aucune utilité alors que je ne pouvais pas saisir le sens des