Seirens - Tome 2 - Melissa Scanu - E-Book

Seirens - Tome 2 E-Book

Melissa Scanu

0,0

Beschreibung

Fey se fait à sa nouvelle vie sous l'eau, notamment avec sa soeur Tyfenn, après les événements récents. Mais bientôt les troubles recommencent...

Deux mois après l'assaut de Lamynte, la divulgation du complot et alors que les deux comtés Seirens essaient de se reconstruire, la paix, elle, ne semble pas vouloir perdurer.
Veralyn, la collègue de Fey à l'Office, disparaît. Dans le même temps, cette dernière échappe de peu à une tentative d’enlèvement. Ce n’est que le début du cauchemar quand les disparitions s’intensifient et que, dans l’ombre, des rebelles menacent à nouveau la sécurité de Rénatia.
Fey, elle, est prête à se battre, à protéger ceux qui sont chers à ses yeux et son monde.

Parviendra-t-elle à rétablir la sérénité au sein de Rénatia ?

EXTRAIT

— Bonjour.
Fey tressaillit et se retourna. Chaque fois que Tyfenn s’adressait à elle avant qu’elle ne la voie, elle avait l’impression d’entendre sa mère terrienne, Sarah Pond.
Ses yeux verts étaient encore pleins de sommeil, et ses cheveux châtains en partie secs, preuve qu’elle venait juste de se réveiller.
— Bonjour. Tu as bien dormi ?
— Oui.
Tyfenn ne retournait jamais les questions, c’était une habitude. Lorsque Fey lui avait proposé d’emménager avec elle dans la maison d’Arthur, avec la bénédiction de ce dernier, elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Étant donné son statut de réfugiée – ayant aidé une Rénatienne à Lamynte en risquant sa propre sécurité –, Tyfenn se voyait également offrir un logement au Quartier Éclat, mais elle avait accepté la proposition de Fey. Celle-ci avait alors appréhendé cette cohabitation. Bien sûr, elles avaient vécu sous le même toit à Lamynte, mais les circonstances étaient alors différentes. Fey se cachait, Garten et Bleidd étaient là aussi, et surtout, c’était avant.
Avant la révélation.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

​En résumé, un second tome qui m'a, dans l'ensemble, plu. Entre disparitions, effets secondaires sur les Seirens et intrigues politiques, Melissa Scanu nous offre une histoire intéressante et bien menée. Je suis très curieuse de découvrir le tome 3 et voir ce que nous réserve l'auteure ! Blog Lire-une-passion

J’ai retrouvé avec plaisir l’univers tellement riche de l’auteure, qui a créé ses propres expressions et habitudes de vie en relation avec la vie marine. Avoir l’écaille chanceuse par exemple ; ce fut mon cas car, comme je m’y attendais, j’ai beaucoup plus aimé ce second tome. [...] Je ne sais pas du tout ce que nous a concocté Melissa pour la suite mais je plongerai encore une fois en royaume Seirens sans hésitation. Blog You Can read

Dans ce volume-ci, les péripéties s'enchaînent, le rythme est plus soutenu et les intrigues politiques qui sont en jeu nous happent sans retenue. Les pages défilent toutes seules, la plume est fluide, claire et nous permet une lecture des plus agréables. Ophelya, Booknode

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 367

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Seirens
ISBN : 979-10-9478688-8
ISSN : 2492-6485
Seirens, Mirage
Copyright © 2020 Éditions Plume Blanche
Copyright © Illustration couverture, Jean-Mathias Xavier
Copyright © Illustrations intérieur, Jean-Mathias Xavier
Tous droits réservés
Maquette : Marion Barril
Corrections : C. Sekine

Melissa Scanu

Seirens
Mirage
(Roman)
« À minuit quand les poulpes dorment,
Les sirènes mènent y boire
Le coeur des hommes naufragés
Pour qu’il perde toute mémoire. » 
Peter Pan, JM BARRIE
What would I give if I could live
Out of these waters?
What would I pay to spend a day
Warm on the sand?
Je donnerais tout ce que j’ai
Pour partir d’ici.
Pour caresser les grains dorés
Du sable chaud.
“Part of Your World” – JODI BENSON (The Little Mermaid, 1989)
1.
Reperes
Sa nageoire caudale prise dans la petite cascade du balcon, appuyée sur ses paumes derrière son bassin, Fey profitait de la quiétude de l’aube tandis que le soleil se dévoilait. Les paupières mi-closes dans l’éclatante luminosité environnante, elle se sentait paisible. 
En ce début d’automne, le temps demeurait doux, mais le soleil timide. Fey se plaisait à admirer son lever, moment où la lagune dormait encore et où les premiers rayons s’y reflétaient délicatement, en accord avec le silence le plus parfait. 
Un silence presque aussi pur qu’à Lamynte.
La maison d’Arthur était petite, mais confortable, et dotée d’un charme particulier. L’eau s’échappant en cascade du balcon en faisait partie, et Fey aimait s’y installer pour des ablutions matinales : son rituel journalier depuis qu’elle avait emménagé. 
Arthur n’était pas encore rentré de sa mission en haute mer, pour retrouver les rebelles lamyntiens toujours en fuite. Les nouvelles étaient rares, mais Fey restait fidèle à sa promesse de prendre soin de sa maison de famille, le temps de son absence. 
— Bonjour.
Fey tressaillit et se retourna. Chaque fois que Tyfenn s’adressait à elle avant qu’elle ne la voie, elle avait l’impression d’entendre sa mère terrienne, Sarah Pond.
Ses yeux verts étaient encore pleins de sommeil, et ses cheveux châtains en partie secs, preuve qu’elle venait juste de se réveiller.
— Bonjour. Tu as bien dormi ?
— Oui.
Tyfenn ne retournait jamais les questions, c’était une habitude. Lorsque Fey lui avait proposé d’emménager avec elle dans la maison d’Arthur, avec la bénédiction de ce dernier, elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Étant donné son statut de réfugiée – ayant aidé une Rénatienne à Lamynte en risquant sa propre sécurité –, Tyfenn se voyait également offrir un logement au Quartier Éclat, mais elle avait accepté la proposition de Fey. Celle-ci avait alors appréhendé cette cohabitation. Bien sûr, elles avaient vécu sous le même toit à Lamynte, mais les circonstances étaient alors différentes. Fey se cachait, Garten et Bleidd étaient là aussi, et surtout, c’était avant.
Avant la révélation.
Quand elle avait su que le bébé terrien qu’on avait échangé contre elle pour la protéger n’avait pas péri, et que ce bébé n’était autre que Tyfenn, Fey avait été chamboulée. Autant que lorsqu’elle avait appris le décès de ses parents, ou le fait qu’elle appartenait au peuple Seiren. Néanmoins, elle avait été soulagée que Garten ait déjà tout révélé à Tyfenn. Il la connaissait mieux qu’elle, et Fey aurait redouté une telle responsabilité, d’autant qu’elle ne savait jamais vraiment à quoi s’attendre, avec Tyfenn.
À la suite de débuts difficiles à Lamynte, où, après l’avoir gratifiée de son indifférence la plus totale, Tyfenn avait fini par se confier puis même par risquer sa vie pour l’aider, avec ses camarades, elles se retrouvaient à présent toutes les deux. Si Tyfenn s’ouvrait un peu plus depuis, elle n’en restait pas moins réservée et secrète. Elle avait été élevée par des parents adoptifs à Lamynte, ce qu’elle ignorait, contrairement à Fey qui avait vécu dans la véritable famille de Tyfenn. Aussi Fey s’était-elle attendue à de nombreuses questions à son sujet, mais Tyfenn continuait à les éviter. Cependant, Fey sentait que ce n’était pas de l’indifférence, simplement de l’appréhension. En apprenant cette nouvelle, et par conséquent le fait qu’elle n’était pas Seiren mais Terrienne, l’existence entière de Tyfenn avait été chamboulée. Fey préférait donc ne pas la brusquer, estimant que lorsqu’elle serait prête, elle l’en informerait.
Tyfenn nagea jusqu’à elle et prit place à ses côtés. En voyant sa nageoire caudale s’introduire dans la cascade, Fey se fit une fois de plus la réflexion que des jambes humaines auraient dû s’y trouver. Tyfenn continuait à suivre son traitement et conservait son apparence de Lamyntienne, avec ses deux nageoires, mais la vie à Rénatia et la respiration aérienne que cela supposait étaient beaucoup plus adaptées, et elle n’avait plus eu de crises depuis son arrivée.
— Tu pars bientôt travailler ? lui demanda Fey. 
— Oui… Dione m’a dit que je pouvais venir en milieu de matinée, mais je vais voir si je peux déjà me rendre utile.
— Bien. Je ne vais pas tarder non plus.
Tyfenn opina sans rien ajouter.
Lorsque Fey avait commencé à travailler, elle avait craint que Tyfenn ne se retrouve seule. Certes, ce n’était plus une enfant et elle n’était pas censée s’occuper d’elle constamment, mais elle se serait sentie coupable de la savoir toute seule dans un milieu qu’elle connaissait encore peu. Aussi avait-elle été soulagée et reconnaissante quand Dione lui avait proposé de l’aider au Quartier Éclat à des petites choses comme la réception, les réservations et l’accueil des clients. 
— On déjeune ensemble, tout à l’heure ?
Fey esquissa un léger sourire avant de répondre. Derrière sa réserve et sa nonchalance, ce genre de petites réflexions, l’air de rien, montraient que Tyfenn était attachée à sa présence. 
— Oui. Je te rejoindrai au Quartier Éclat.
Fey s’extirpa de la cascade pour retourner à l’intérieur et manger un peu avant de partir. Elle ne proposa pas à Tyfenn de lui préparer quelque chose, car celle-ci avait peu d’appétit le matin et devait attendre au moins deux heures après le réveil pour ingérer le moindre aliment.
En route vers l’Office, Fey nageait sans se presser. Elle était en avance et n’avait donc pas besoin de se dépêcher. Il y avait environ dix minutes en nage lente – seule vitesse autorisée dans la lagune – de la maison d’Arthur à l’Office de Rénatia, trajet que Fey réalisait quotidiennement depuis un mois.
Après l’attaque de Lamynte et la révélation du complot, Fey s’était vu offrir un poste à l’Office, au sein du Secteur Frontières. Nouvelle, elle démarrait en bas de l’échelle en tant que copiste. Comme Tyfenn l’avait été, au Dôme de Lamynte. Ce n’était pas le travail le plus passionnant, mais il lui avait permis d’entrer à l’Office où, par la suite, elle pourrait gravir les échelons et convoiter des postes plus importants avec davantage de responsabilités.
Gravir les échelons, c’était justement ce qui s’était passé pour plusieurs membres de l’Office, ce qui avait libéré une place pour Fey. Après la démission du Président Isel, Monsieur Grym, grâce à qui les attaques avaient pu cesser, avait été nommé au poste de Président du domaine, à titre provisoire, jusqu’aux prochaines élections présidentielles, qui étaient imminentes. Ainsi, le poste de directeur du Secteur Frontières s’était retrouvé vacant. Fey avait espéré que ce serait Filius, son ami et guide, qui l’obtiendrait, mais la place était revenue à Adda Ifan, une collègue plus ancienne dans le Secteur. Il s’agissait d’une Seiren cinquantenaire, aussi travailleuse qu’excentrique et volubile, et Fey l’appréciait.
Une fois sur place, elle parcourut la cour environnante pour se diriger vers le bâtiment de verre central. Elle traversa le hall d’accueil après avoir salué de la tête les Seirens qu’elle y croisa, et nagea d’emblée vers le Secteur Frontières.
Après quelques passages en glissaire, dans ce chemin vertigineux qu’elle connaissait bien à présent, elle se retrouva dans son Secteur et rejoignit aussitôt son poste, dans un bureau qu’elle partageait avec une autre copiste, Veralyn Shipka. 
Celle-ci n’était pas encore là quand Fey s’installa à son poste où elle commença à classer et à trier les documents laissés la veille. Elle n’eut le temps de s’affairer à sa tâche qu’un court moment avant qu’un bruit d’éclaboussement ne retentît derrière elle, marquant l’arrivée de quelqu’un dans la pièce.
Fey tourna la tête pour découvrir sa collègue, l’air joyeux. Veralyn avait quelques années de plus qu’elle, et Fey s’était immédiatement bien entendue avec celle-ci. C’était une ravissante Rénatienne de vingt-deux ans, amusante, dynamique et sûre d’elle. Son teint basané, en accord avec sa chevelure bouclée et brune, contrastait avec le clair de ses yeux verts et de sa nageoire caudale argentée concluant sa silhouette élancée. Elle était aussi jolie que sociable, avec un regard malicieux. Fey avait été ravie de faire sa connaissance.
— Salut, la fée, lui lança Veralyn en la gratifiant d’un grand sourire dévoilant de belles dents. Toujours l’écaille aussi bien sonnée, à ce que je vois ?
— Je suis simplement ponctuelle et sérieuse, répliqua Fey sur le ton de la plaisanterie. Et tu ferais bien d’en faire autant !
Veralyn rit en nageant pour rejoindre son poste, à quelques mètres en face du sien. Fey admirait son assurance ainsi que sa spontanéité. Veralyn était une rebelle, mais dans le bon sens du terme. Pas grand-chose ne lui faisait peur, et elle agissait toujours selon son instinct et ses envies, ce qui apparemment lui réussissait plutôt bien. Si Fey avait obtenu ce poste à l’Office notamment grâce au rôle qu’elle avait joué lors de l’attaque de Lamynte, Veralyn ne le devait qu’à sa seule détermination. Elle pouvait s’en vanter, car ce n’était pas chose aisée d’y entrer, surtout si jeune.
La matinée passa rapidement. À deux et en discutant, le travail était plus efficace, et à quelques minutes de la pause déjeuner, Veralyn cessa son activité.
— Je pars quelques minutes en avance, déclara-t-elle. Je retrouve des amis pour déjeuner au Quartier Marchand.
— Dernière arrivée, première partie, commenta Fey en grimaçant un sourire. 
— Fais-en autant. On n’est pas surveillées et on avance bien, c’est ce qui compte.
— Ça ira, je ne suis pas à quelques minutes près.
— À tout à l’heure, la fée, lança Veralyn en quittant le bureau d’un battement de nageoire plein d’assurance. 
Dès qu’elle l’avait rencontrée, Veralyn l’avait immédiatement surnommée « la fée ». Fey affectionnait ce sobriquet, car certains de ses amis terriens l’appelaient ainsi, ce qui n’était plus jamais arrivé depuis qu’elle vivait à Rénatia.
Ce n’était pas le genre de tout le monde que de faire preuve d’une telle familiarité dès les premiers abords. Tyfenn, secrète comme elle l’était, en était le contre-exemple parfait, tout comme Katell. Quant à ses autres amis… Filius et Dione étaient des adultes, et Arthur se trouvait loin. Tout comme Garten.
Garten… qui l’avait aidée et accueillie lorsqu’elle était à Lamynte. Qui lui avait enseigné la communication par la pensée. Avec qui elle avait commencé une relation amoureuse, avant qu’il ne parte à la poursuite des rebelles lamyntiens. À qui elle avait promis de l’attendre.
Et Arthur, qui, en dépit des différends, était devenu son premier et plus cher ami depuis le début de sa vie de Seiren. À qui elle avait manqué durant son séjour à Lamynte. Qu’elle avait laissé l’embrasser avant son départ.
Les reverrait-elle bientôt tous les deux ?
Déjà, l’heure indiquait la fin officielle de son poste de la matinée. Elle chassa ses spéculations pour se hâter de rejoindre Tyfenn qui l’attendait.
2.
Partagee
Le lendemain, Fey ne travaillait pas, aussi décida-t-elle d’en profiter pour passer une partie de la journée au Quartier Éclat. Cela lui permettrait de tenir compagnie à Tyfenn et de discuter avec Dione, si celle-ci n’était pas trop occupée.
Mais avant cela, elle avait fort envie d’une escapade en mer. Elle avait gardé cette habitude depuis son retour à Rénatia et ne pouvait s’en passer trop longtemps. Elle savait que la mer n’était pas sûre, avec les rebelles lamyntiens en liberté. Même si les Éclaireurs étaient à leur recherche et que rien n’interdisait l’accès à l’extérieur, l’Office recommandait néanmoins la prudence, ainsi que d’éviter de nager seul. Fey le savait bien, mais elle était dépendante de cette sensation grisante de liberté en nage libre et rapide. Cela lui rappelait Garten et Arthur. Les deux seuls avec lesquels elle faisait ce genre d’escapade avant. 
Elle s’élança hors de la lagune et plongea pour s’engager au cœur de la mer fraîche. Épousant les vagues en se laissant porter par le courant, elle nagea un long moment, appréciant le silence ainsi que la faune et la flore sous-marines qu’elle prenait plaisir à redécouvrir à chaque fois. Ondoyant avec lenteur pour se délecter et savourer chaque détail visuel et sensoriel environnant, elle s’enfonça vers les profondeurs.
Dans sa promenade sous-marine, elle s’approcha de Lamynte, mais resta à distance. Elle n’y était plus retournée depuis qu’elle était parvenue à s’en échapper, et son accès était actuellement interdit aux particuliers. Depuis la fuite de la Présidente Beryglus, le domaine de Lamynte, sans gouvernement stable, était dans une situation précaire et fragile. De toute façon, Fey n’aurait pas eu le cœur à s’y rendre puisque Garten n’y était plus. Les seules personnes qu’elle y avait connues et appréciées étaient toutes parties.
Au bout d’une petite heure de nage qui lui avait permis de se dépenser et se détendre, elle regagna la lagune et le Quartier Éclat. Elle trouva Dione dans l’allée, occupée à un arrangement de lumières – gracieuse, comme toujours, avec sa longue masse de cheveux bruns tombant négligemment par-dessus son épaule. Son chat de mer, Herm, flottait près d’elle. En voyant Fey, l’animal nagea joyeusement vers elle. Fey s’approcha aussitôt et en l’apercevant, Dione hocha la tête dans un sourire.
— Fey, j’espérais justement te voir aujourd’hui. Comment vas-tu ?
— Bien, j’étais passée dire bonjour. Et toi, tu vas bien ?
— Oui, je suis en train d’installer des lumières supplémentaires. Avec l’arrivée de l’automne, et bientôt de l’hiver, il y a moins de végétation et de fleurs, alors il faut décorer autrement. Et j’essaie de créer déjà une ambiance avant la Foire Automnale.
— Je peux t’aider ? offrit Fey en caressant la tête d’Herm.
Tandis que Fey s’ingéniait à son tour à placer les petites lumières bleues avec minutie, elle sentait que Dione brûlait de lui annoncer quelque chose, aussi ne tarda-t-elle pas à lancer le sujet :
— Pour quelle raison espérais-tu me voir aujourd’hui, Dione ?
— Filius me l’a appris ce matin… La première équipe d’Éclaireurs partie à la recherche des rebelles lamyntiens est sur le retour.
La première équipe… Autrement dit celle dont Garten, Bleidd et Arthur faisaient partie. Garten et Arthur…
— Ils vont revenir ?
— Ils devraient être là dans deux jours.
Dione sourit tandis que le cœur de Fey s’affolait. Deux jours… C’était à la fois lointain et si proche. Après deux mois d’attente, elle s’était habituée à cette absence qu’elle avait apprivoisée, et espérait ce retour avec ardeur. Or, à présent que les choses devenaient concrètes, elle appréhendait la manière dont elle allait gérer tout cela. Dione sentit son trouble car elle fronça les sourcils en battant des cils, comme toujours lorsqu’elle était préoccupée.
— Une arête dans l’histoire ? Tu n’as pas l’air réjouie, remarqua-t-elle.
— Je le suis, objecta Fey. 
— Tu es un véritable poisson des glaces, ça se voit tout de suite quand tu es soucieuse, sourit Dione avec tendresse. Dis-moi ce qui ne va pas.
— Eh bien, je suis contente, vraiment, mais… c’est un peu… Disons que ça risque d’être un peu…
Elle cherchait ses mots avec maladresse. Comment pouvait-elle formuler ce qu’elle ressentait ?
— Bizarre ? compléta Dione. Parce que vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps ?
— Oui… C’est un peu ça.
— Rassure-toi, les choses vont vite reprendre leur cours. Je suis certaine qu’Arthur a beaucoup pensé à toi.
— Et Garten…
Fey se mordit la lèvre et baissa les yeux. Elle n’avait jamais parlé à quiconque de sa relation avec Garten. À l’exception de Tyfenn, tous à Rénatia, y compris Dione, les croyaient simplement amis. 
— Garten ? releva Dione. L’ami de Tyfenn ?
— Le mien également, et même plus… En fait, lorsque je vivais à Lamynte, tous les deux, nous… nous étions ensemble, lui apprit-elle, le visage légèrement crispé.
Dione hocha la tête avec lenteur, étonnée, sans quitter Fey des yeux.
— Vraiment ? Oh, excuse ma maladresse, dans ce cas, Fey… Je ne savais pas.
— Je n’avais rien dit.
Garten était demeuré son secret, mais à présent qu’il allait revenir, il ne pourrait plus le rester.
— Je pensais que c’était Arthur que tu attendais de cette manière. Lorsque vous vous êtes retrouvés, vous sembliez très proches.
— C’est le cas… Avant qu’il s’en aille en haute mer, nous nous sommes embrassés.
Fey se sentit soulagée de se confier enfin à quelqu’un. Cela n’enlevait en rien l’impression d’appréhension mêlée de culpabilité qu’elle éprouvait et traînait partout où elle allait, mais cela la délestait néanmoins d’un poids. Elle crut que Dione allait être choquée, voire la réprimander, aussi fut-elle stupéfaite de la voir étouffer un petit rire. Même Herm semblait amusée, continuant à tournoyer joyeusement. 
— C’est pour ça que tu es inquiète, alors ?
— Comment ça ?
— Parce que tu as deux amoureux ?
Fey rougit comme un oranda. C’était le cas, en quelque sorte.
— Ce n’est pas bien, je sais…
— Allons, c’est de ton âge ! J’ai fait pire, moi, ah, ah. D’autant qu’il ne s’est rien passé de plus avec Arthur ? Vous vous êtes simplement embrassés. Ton petit ami, c’est Garten, donc ?
— Oui !
C’était exactement cela et son choix était tout arrêté. Fey éprouvait une affection et une estime toute particulière pour Arthur, et elle ne pouvait nier que si elle n’avait jamais quitté Rénatia, quelque chose aurait pu naître entre eux. Or, elle avait connu Garten… Et Garten avait tout bouleversé. C’était Garten qu’elle aimait, elle le savait. Elle s’était laissée aller à embrasser Arthur dans un instant de vulnérabilité, car elle était triste et qu’il était là pour elle.
Mais la réelle raison de son inquiétude était ailleurs.
— Ils sont partis ensemble, poursuivit Fey. Pendant deux mois. En deux mois, ils ont dû discuter. Et parler de moi. Que va penser Garten en sachant que j’ai embrassé Arthur alors que nous étions ensemble et que je lui avais promis de l’attendre ? Et Arthur, qui me croyait célibataire quand il m’a embrassée ?
— C’est lui qui t’a embrassée ?
— Oui, mais je lui ai rendu son baiser. 
Dione conserva son air léger et tâcha d’apaiser Fey tout en continuant son arrangement lumineux.
— Les garçons ne parlent pas tant que ça de ces choses. Et même si c’était le cas, ce n’était qu’un baiser d’au revoir, Fey. Ne culpabilise pas comme ça. Tu es quelqu’un de bien, et la manière dont tu te tortures le prouve. Mais il n’y a vraiment pas de quoi !
Ses paroles l’apaisèrent. Dans deux jours, elle retrouverait Garten et aurait une discussion avec Arthur pour tout lui expliquer. Elle était certaine qu’il comprendrait, du moins, elle le souhaitait… Arthur lui avait déjà montré à quel point il pouvait être rancunier, surtout lorsqu’il s’estimait trahi…
— Il te faudra trouver les mots, poursuivit Dione. Je suis certaine que tout se passera bien.
— J’espère.
— Bon, en tout cas, tu es contente ?
— Oh, oui ! 
Elle était sincère. Elle allait revoir Garten…
— Je vais faire préparer votre logement ici, à Tyfenn et toi. Et un pour Garten également… Pas très loin, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.
Fey se félicitait d’avoir une amie si gentille et avisée. Elle espérait à présent que les choses se dérouleraient de manière aussi simple.
Assise dans le bureau de Filius, amusée, Fey ne put s’empêcher d’entamer la conversation par une petite blague.
— C’est toujours aussi bien rangé, ici.
— Ce n’est pas de ma faute si j’ai tellement de travail ! Il me faudrait au moins dix assistants, certains jours.
— Dix esclaves, vous voulez dire.
— Hum, oui, j’admets que ce ne serait pas de refus.
Après cette boutade, Fey en vint aux faits :
— Dione m’a dit, pour le retour des Éclaireurs.
— Je savais que cela lui plairait de t’annoncer elle-même la nouvelle. Dione aime faire plaisir aux autres.
— C’est vrai. 
Fey savait Filius et Dione amoureux, mais l’heure était à d’autres questions que la vie sentimentale de ses amis – ou la sienne, plus incertaine – aussi reprit-elle :
— Où en sommes-nous ? Y a-t-il eu des pertes de notre côté ?
— Tout le monde va bien aux dernières nouvelles. Et pour cause, les rebelles sont toujours en fuite et introuvables, lui apprit Filius. Comme tu le sais, en plus des recherches, ces deux mois ont surtout servi à la formation des nouveaux Éclaireurs et à des entraînements intensifs en haute mer. La première équipe, composée entre autres de tes amis, a achevé sa formation et revient donc pour une durée indéterminée, notamment pour la protection du domaine.
— Ce qui signifie qu’ils pourront être rappelés dès qu’on aura retrouvé la trace des rebelles ? devina Fey.
— Sûrement, mais tu sais, Fey…
Filius fronça les sourcils en entrelaçant ses doigts.
— En deux mois, il n’y a eu aucune piste. Pas une seule. Ce qui veut dire qu’ils sont bien cachés et préparent sans doute une riposte. Protéger Rénatia est une priorité. Des renforts ne seront pas de trop.
Fey resta songeuse. Ce silence n’augurait rien de bon, en effet, et il faudrait sans doute se préparer à se défendre à nouveau. Mais en attendant, c’était ses propres affaires qu’elle allait devoir gérer, avec ce retour imminent.
3.
Retour des eclaireurs
Lorsqu’elles rentrèrent du travail le lendemain, Fey et Tyfenn passèrent une partie de la soirée à nettoyer la maison d’Arthur. Elles rangèrent leurs affaires, renouvelèrent l’eau, et remplirent la résidence en provisions de sorte qu’Arthur ne manque de rien à son retour. Fey avait tenu sa promesse de prendre soin de son habitation. Elle n’était pas mécontente de retourner au Quartier Éclat. Elle vivrait toujours avec Tyfenn qui serait sur place pour son travail, et elles seraient dans un environnement plus animé. 
Il avait été décidé tout naturellement que Tyfenn et Fey partageraient le même logement, comme avant, mais avec le retour des garçons, cela compliquait les choses. Dione avait prévu d’installer Garten et Bleidd dans la maisonnette voisine. Les deux frères d’un côté, et elles de l’autre, puisque, indirectement, le même genre de relation familiale les liait. Or Garten souhaiterait peut-être qu’ils cohabitent tous les quatre, comme avant. Ou lui, seul avec Fey… Cette perspective l’effrayait un peu en même temps qu’elle l’exaltait. 
— Tu crois qu’ils seront à l’heure ? demanda Fey à Tyfenn tandis qu’elles purgeaient une nouvelle pièce.
— Bien sûr. 
Fey attendit avant de poursuivre :
— Nous allons sans doute les trouver changés…
— Garten ne t’a pas oubliée, Fey.
Sous ses airs nonchalants et parfois égoïstes, Tyfenn était fine observatrice, et elle avait d’emblée saisi ce qui préoccupait réellement sa camarade. Dione s’était montrée rassurante, mais elle n’était toujours pas complètement apaisée. Aussi, entendre Tyfenn, qui connaissait Garten depuis des années, lui faire cette affirmation la tranquillisait quelque peu. Fey se dit un instant qu’elle aurait dû se confier. Tyfenn aurait peut-être été de bon conseil.
— J’espère.
Le retour des Éclaireurs était prévu en fin de journée le lendemain, et Fey était tellement surexcitée que, pour une fois, elle n’attendit même pas la fin officielle de son poste pour commencer à rassembler ses affaires.
— Ah, tu te décides enfin à prendre exemple sur moi, la fée ? s’amusa Veralyn.
— C’est exceptionnel. Les Éclaireurs ne vont pas tarder à arriver.
Le regard clair de Veralyn se mit à pétiller d’une lueur curieuse.
— Et tu attends le retour d’un certain Éclaireur en particulier ?
Fey sourit sans répondre. Elle était restée discrète sur sa vie sentimentale jusqu’à présent, mais si tout se passait comme elle l’espérait, elle n’aurait bientôt plus à le faire.
— Je te raconterai, promit-elle en s’apprêtant à sortir.
— Il y a intérêt !
Fey avait prévu de rejoindre Tyfenn au Quartier Éclat pour accueillir leurs amis. À l’Office, une certaine effervescence régnait déjà et elle préférait attendre tranquillement en dehors, sachant que les garçons les y retrouveraient dès qu’ils le pourraient. Leur arrivée était imminente, on l’avait annoncée aux abords de la lagune quelques minutes auparavant. Fey était si stressée qu’elle passait le temps à nager en rond et à arracher puis déchiqueter des doigts tous les branchages qui se trouvaient près d’elle. Tyfenn finit par s’en amuser :
— Dione ne va pas apprécier, si tu détruis tout son jardinage.
— C’est juste nerveux, avoua Fey.
— Ils seront bientôt là.
— Merci pour le commentaire, ça me détend encore plus, grogna-t-elle.
Tyfenn lui lança un regard à la fois vif et apaisant, comme si elle lui ordonnait mentalement de se calmer. Fey soupira, quitta sa place et, après un dernier coup d’oeil vers l’horizon – toujours vide –, elle déclara à Tyfenn :
— Je vais boire. Je reviens.
— D’accord.
Fey s’éloigna rapidement. Elle savait que l’arrivée des Éclaireurs était proche, mais l’attente était un supplice. Il fallait qu’elle bouge un peu pour se détendre et extérioriser son effervescence, ou au moins essayer.
Elle nagea jusqu’à l’intérieur du bâtiment où elle alla boire à l’une des fontaines publiques prévues à cet effet. Il y avait moins de monde que d’habitude. Beaucoup accueillaient les Éclaireurs directement à l’entrée du domaine, mais cela n’aurait fait qu’ajouter à son appréhension.
Elle déambula quelques instants avant de retourner près de l’entrée. Là, elle découvrit Tyfenn dans les bras de Bleidd qu’elle serrait fortement. Les joues de son amie avaient pris une teinte rosée et son visage exprimait un bien-être évident, à travers ses yeux clos et les commissures de ses lèvres légèrement retroussées vers le haut. Fey savait qu’entre Tyfenn et Garten, il avait toujours été question d’une amitié fraternelle, en revanche, elle n’était pas certaine que la relation qui la liait à Bleidd était aussi platonique. Elle avait pu observer comme elle était constamment près de lui, et comme Bleidd s’inquiétait et prenait soin d’elle. Vers la fin de leur cohabitation à Lamynte, c’était un peu comme s’ils étaient deux couples d’amis.
À présent, Garten et Bleidd étaient là… Comme une idiote, elle s’était éloignée, et à quelques secondes près, elle avait manqué leur arrivée ! 
En sortant, elle balaya la cour du regard, cherchant des visages connus parmi les Seirens présents. Elle ne voyait Arthur nulle part. Bleidd et Tyfenn étaient toujours serrés l’un contre l’autre, et derrière eux, elle aperçut enfin celui qu’elle espérait le plus.
Garten.
Elle était dans un état de fébrilité extrême, mais son appréhension disparut dès qu’elle le vit, au milieu des lotus. L’ayant repérée à son tour, Garten sourit et s’approcha d’elle. En quelques battements de nageoire chacun, ils furent face à face.
— Fey.
Garten ouvrit les bras et ils s’enlacèrent. Fey avait envie de pleurer, mais elle s’efforça de rester forte. Même s’il lui avait terriblement manqué, elle ne voulait pas se laisser aller devant lui. Aussi se contenta-t-elle de le serrer avec ardeur. 
Lorsque leur étreinte prit fin, ils s’écartèrent et, les bras toujours enlacés, se contemplèrent quelques instants. Deux mois avaient passé, mais Fey se rappelait chaque détail du physique de Garten, en surface ou sous l’eau, et il n’avait pas changé. Ce même visage décidé, ces mêmes yeux noirs où flottait toujours une lueur d’amusement, en accord avec son sourire moqueur, cette fine cicatrice sur la tempe, et ces cheveux ébène, juste un peu plus longs qu’avant. Il semblait toujours aussi robuste, mais légèrement plus mince… Ou peut-être était-ce une illusion ?
— Tes cheveux ont poussé, sourit Garten.
— Je me disais la même chose des tiens.
— On manque de bons coiffeurs, en haute mer, plaisanta-t-il.
Un ange passa. Fey était troublée. Elle avait imaginé maintes fois ces retrouvailles, et dans chaque version, chacun avait du mal à en placer une tant ils avaient de choses à se dire et d’anecdotes à partager. Dans la réalité, ce n’était clairement pas le cas. Elle ne savait pas trop quoi lui raconter, presque comme si elle avait un étranger en face d’elle. Garten lui-même semblait un peu gêné et sur la réserve, lui d’habitude si bavard et provocateur.
— Fey !
L’arrivée de Bleidd et Tyfenn eut le mérite de briser le silence entre eux. Tyfenn et Garten s’étaient manifestement déjà salués lorsqu’elle était à l’intérieur, aussi laissèrent-ils Bleidd et Fey s’étreindre brièvement pour marquer ces retrouvailles.
— Alors, raconte-moi, lança-t-elle.
Ils finirent par s’installer tous les quatre sur un banc de laitues d’eau, toujours dans la cour. Après quelques détails concernant leur retour, par lesquels Fey apprit notamment qu’Arthur et la plupart des autres Éclaireurs revenus étaient encore à l’Office et allaient sans doute arriver, les garçons commencèrent leur récit. Ils racontèrent comment ils s’étaient rendus jusqu’en haute mer, plus loin qu’ils n’avaient jamais été, jusqu’à implanter un camp de formation entre surface et profondeur. Là, les Éclaireurs avaient reçu un entraînement intensif, que suivait également, dans une moindre mesure, l’équipe médicale, dont Garten faisait partie. En parallèle, des patrouilles avaient été régulièrement envoyées à la poursuite des rebelles en fuite, en vain. Au moins, la formation avait pu se dérouler sans encombre, et sans pertes, mais l’échec des recherches était inquiétant et de mauvais augure pour Rénatia et Lamynte, ce pour quoi plusieurs Éclaireurs avaient été renvoyés sur place afin de protéger les domaines. Cela confirmait ce que Filius lui avait récemment appris, dans les grandes lignes. Les détails, Fey espérait les découvrir par la suite. 
 Un peu plus tard, Tyfenn annonça qu’elle avait froid. Bleidd lui proposa de nager jusqu’à l’intérieur du bâtiment et ils s’éclipsèrent, laissant Fey et Garten seuls à nouveau. La sensation de légère gêne réapparut alors, et Fey se demanda à quoi cela était dû. Certes, deux mois avaient passé, mais ils étaient toujours les mêmes. Peut-être au bout de plusieurs minutes de discussion le naturel reviendrait-il ?
— Et toi, raconte ? commença Garten. Qu’as-tu fait, ces deux derniers mois ?
— Rien d’aussi valorisant que vous, j’en ai peur.
— Je n’en crois rien. Allez, raconte-moi tes dernières bêtises.
L’amusement dans sa voix, celui dont elle se souvenait et qu’elle attendait, l’encouragea. Aussi reprit-elle :
— J’ai du travail à l’Office. Au Secteur Frontières. Pour l’instant, je ne suis que copiste, mais j’ai l’espoir d’y évoluer. 
— Oh, bravo, c’est bien pour toi. Ça se passe comment ?
— Plutôt bien. Je vois régulièrement Filius et je travaille avec une collègue qui est juste un peu plus âgée que moi et avec laquelle je m’entends bien.
— Parfait.
Garten semblait sincèrement content pour elle, mais quelque chose continuait à sonner faux. Comme si leur discussion n’était pas naturelle. Fey embraya alors sur un sujet plus personnel.
— Tyfenn et moi avons emménagé ensemble. Par rapport à… notre histoire commune, que tu as découverte, cela me paraissait être une bonne chose à faire.
C’était Garten qui avait indirectement appris la nouvelle à Fey, concernant les origines de Tyfenn, véritable fille de ses parents terriens contre laquelle elle avait été échangée lors de la guerre ayant opposé Lamynte et Rénatia une vingtaine d’années auparavant. Mais ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’en discuter ensemble.
— Je ne voulais pas bouleverser votre vie à toutes les deux…
— C’était nécessaire. Et je suis contente d’avoir Tyfenn auprès de moi.
— Comment ça se passe entre vous ?
— Pas trop mal. Mais je t’avoue qu’en deux mois, je ne la connais pas beaucoup plus.
— Cela ne me surprend pas. Tyfenn est très secrète, mais si elle a bien voulu vivre avec toi, c’est qu’elle te fait confiance, et ça, peu de personnes y ont droit. Tu verras qu’elle finira par s’ouvrir de plus en plus. 
— J’espère.
— Elle a refait des malaises ?
— Non. Rénatia lui réussit.
— Tant mieux.
— Et l’atmosphère paisible doit aider aussi. Jusqu’à hier, nous vivions dans la maison d’Arthur. Il nous avait invitées à y séjourner pendant son absence.
— Je sais, il me l’a dit.
Arthur et Garten avaient donc discuté ensemble. D’elle, entre autres. Cela ne plaisait pas du tout à Fey. Dione lui avait affirmé que les garçons parlaient peu de leurs histoires personnelles entre eux, mais elle n’était pas du tout sûre que c’était la seule fois où elle était apparue dans la conversation. Arthur lui avait-il dit, pour le baiser ? Était-ce pour cela qu’elle trouvait Garten si distant ?
— Vous avez parlé d’autre chose ? demanda-t-elle prudemment.
Garten haussa les épaules d’un air évasif.
— Nous ne faisions pas partie de la même équipe, donc on ne passait pas beaucoup de temps ensemble. Il était plus souvent avec Bleidd, je pense. Mais on a discuté quelques fois. C’est un type sympa.
Un type sympa… Voilà qui était bon signe. Fey était certaine que Garten n’aurait jamais qualifié un garçon embrassant sa copine dans son dos de « type sympa ». Quoique… Arthur n’était pas au courant. Il n’était donc pas en tort… Elle, si.
Elle choisit néanmoins de changer de sujet pour le moment :
— Dione a préparé un logement pour Bleidd et toi… À côté du nôtre, à Tyfenn et à moi.
— Super.
La contrariété de Fey augmenta. Elle qui pensait que leur cohabitation allait lui manquer !
Elle décida de cesser ce petit jeu des retrouvailles timides et maladroites. Cela ne leur ressemblait pas. Après tout, Garten était son petit ami. 
— Ça m’a manqué, de ne plus te voir tous les jours, chuchota-t-elle en approchant son visage du sien.
S’attendant à un baiser alors qu’elle était tout près de ses lèvres, Garten détourna soudain son visage, perdant son sourire. L’air embarrassé, il repoussa Fey par les épaules avec lenteur et délicatesse.
— Fey… Il faudrait qu’on… mette des choses au clair.
Mettre des choses au clair ? Cette fois, aucun doute, il y avait un problème. Fey, frustrée et se sentant humiliée, parla la première, démarrant d’emblée par le point qu’elle jugeait problématique.
— C’est à cause d’Arthur, c’est ça ? attaqua-t-elle.
Les yeux de Garten s’agrandirent d’hébétement.
— Arthur ?
— Il t’a dit qu’il m’avait embrassée.
Mieux valait se montrer honnête et claire, comme il le souhaitait. 
— Avant de partir en mission, précisa-t-elle. Il m’a dit au revoir, puis m’a embrassée. Et… je l’ai laissé faire. Il ne savait pas, pour nous deux. Mais ça ne voulait rien dire. C’est toi que…
Elle laissa sa phrase en suspens. Elle en avait assez dit, et c’était à son tour.
— Ça… Je suis au courant, oui, avoua Garten d’un air à la fois gêné et complaisant. Mais Fey, je comprends. Ce sont des choses qui arrivent, et comme tu l’as dit, ce n’était qu’un baiser, une seule fois. Et dans des circonstances un peu ambiguës, apparemment. Je ne t’en veux pas. Et je suis d’ailleurs content que tu aies été honnête avec moi.
Il avait eu la réaction qu’elle espérait à ce sujet. Mais la situation ne semblait pas s’arranger pour autant.
— Donc… Ce n’est pas pour ça que tu m’as repoussée ?
Garten expulsa un long soupir. Il avait l’air réellement mal à l’aise, voire perturbé, à présent. Son visage était crispé et, pour une fois, il paraissait chercher ses mots.
— Fey, tu comptes beaucoup pour moi. Vraiment. Ce que nous avons traversé ensemble à Lamynte, cela nous lie quoi qu’il arrive, et je tiens à toi autant qu’à Bleidd et Tyfenn. Et j’ai beaucoup… beaucoup d’affection pour toi, tu n’imagines pas.
Fey déglutit avec lenteur. Parmi tous les scénarios anticipés, aucun ne ressemblait à celui-là. Et ce mot, « affection », n’augurait rien de bon. Pour elle, ressentir de l’affection pour quelqu’un était le maximum qu’on pouvait faire lorsqu’on ne parvenait pas à éprouver un véritable amour.
— Tu es en train de me quitter, devina-t-elle.
Il la fixa alors droit dans les yeux, sans plus se détourner. Fey ne sut pas lire tous les curieux sentiments qui y jouaient. Le seul qu’elle percevait avec clarté, c’était celui de la tristesse… Envers elle ?
Il poursuivit avec douceur et une certaine distance, comme s’il avait bien préparé son discours.
— Ces deux mois, le camp, les recherches… Tout ça a été un mode de vie intense et différent. J’ai beaucoup appris sur moi-même, et tout n’est pas encore bien clair. J’ai besoin de temps. Je ne dis pas que c’est définitif, mais… ça vaut mieux. C’est compliqué. La seule chose qu’il faut que tu saches, c’est que tu n’as rien fait de mal, Fey. Rien du tout.
— Tiens donc. Je t’ai connu plus original. 
Comme à chaque fois qu’elle était contrariée ou qu’elle se sentait humiliée, Fey devenait sarcastique, voire méchante, pour cacher sa vulnérabilité. Pourtant, derrière ce masque d’orgueil, elle se sentait détruite.
— Fey, je suis désolé.
— Il n’y a pas de problème. Je comprends. Ce n’est pas trop compliqué, ironisa-t-elle. 
Craignant de ne pas pouvoir donner le change encore bien longtemps, Fey le planta là et s’éloigna en nageant jusqu’à sortir de la cour. 
Garten ne l’appela pas et ne partit pas à sa suite. Il ne vit pas les larmes qui cheminaient le long de ses joues pour venir mourir sur les eaux de la lagune. 
4.
Brisee
Fey s’éloigna du Quartier Éclat, pleurant en silence. Il était hors de question de retourner là-bas. Pour le moment, tout ce qui comptait, c’était de partir loin de Garten. Elle se mit à nager sous l’eau, comme pour noyer sa peine et se débarrasser des larmes qui continuaient fatalement à jaillir. Pourquoi maintenant ? Pourquoi Garten ne voulait-il plus d’elle ? Elle avait envie de faire demi-tour, d’exiger une explication réelle, mais sa fierté l’en empêchait. Il était hors de question qu’il voie à quel point elle était blessée.
Elle finit par arriver devant l’Office, où la plupart des Éclaireurs de retour se trouvaient encore. Ils étaient accueillis par leurs proches et se dispersaient progressivement dans des directions différentes. 
— Fey ?
À quelques mètres devant elle, Fey aperçut Arthur qui lui faisait signe. Il était avec son oncle, sa tante et sa cousine, les Coel, venus le chercher. Il les salua, semblant leur dire qu’il les verrait plus tard, et nagea rapidement vers elle pour parvenir à son niveau.
Si Garten était à peu de choses près resté le même qu’avant son départ, du moins en apparence, Arthur, lui, avait changé. Sa silhouette déjà massive avait encore pris en volume et en muscle. Ses courts cheveux blonds paraissaient d’une nuance plus claire, et son hâle impliquait qu’il avait dû passer beaucoup de temps en surface. Il semblait fatigué, mais content d’être rentré, et Fey le trouva encore plus beau et grand qu’avant. Devant lui, elle se sentit minuscule, et plus fragile que jamais. 
— Arthur…
Fey se jeta dans ses bras, et Arthur accueillit cette étreinte en la serrant fort contre lui. Mais, sitôt au creux de ses bras, elle éclata en sanglots. Arthur en fut déstabilisé, mais ne chercha pas à briser le contact. Au contraire, il l’étreignit plus fort, et Fey sentit l’une de ses mains se poser sur sa nuque et sa tête, pour l’apaiser. Elle se détestait de se laisser aller ainsi, pour un garçon et devant un témoin. Cela ne lui ressemblait pas.
— Fey… Tout va bien.
Elle laissa couler ses larmes quelques instants en se haïssant encore plus de le faire, même si cela la soulageait. Elle, si orgueilleuse, pleurait rarement, même lorsqu’elle était seule. Mais elle en avait besoin, et elle laissa Arthur la bercer en lui caressant les cheveux jusqu’à ce qu’elle soit apaisée. 
— Nageons un peu.
Arthur se détacha d’elle en gardant son bras autour de son épaule, et ils s’éloignèrent vers les rues marines rénatiennes, comme lors de leurs débuts, ensemble. Traversant les allées jonchées de bâtisses et de geysers illuminés, la jeune Seiren se calma peu à peu. Au bout de quelques instants de nage silencieuse, elle reprit la parole :
— Je suis désolée. La fatigue, l’émotion de vous revoir…
Elle n’avait pas l’intention de le lui avouer, mais la vérité sortit d’elle-même :
— Garten m’a laissée tomber.
Arthur ne parut pas surpris, mais afficha en revanche une compassion sincère.
— Ah… Je suis navré, Fey.
— Tu le savais ? Il t’en avait parlé ?
— Non. Mais tu sais, deux mois de mission, c’est long, et ça laisse des traces.
— C’est ce qu’il m’a dit…
Fey rejeta sa tête en arrière avec impuissance. Elle songea un instant qu’elle aurait dû en vouloir à Arthur d’avoir vendu la mèche, pour le baiser, mais après tout, il n’était pas censé savoir… Et Garten avait bien dit que cela n’avait rien à voir avec sa décision. Mieux valait ne rien dire. Elle ne voulait pas perdre ou éloigner Arthur, en plus.
— Je peux faire quelque chose ?
Fey haussa les épaules puis parvint à esquisser un embryon de sourire.
— Être là.
Fey et Arthur nagèrent jusqu’à chez ce dernier. Il eut le plaisir de retrouver sa maison dans un meilleur état encore qu’il l’avait laissée. Fey et Tyfenn en avaient pris soin, et il était content de la récupérer. Fey n’y habitait à présent plus, mais Arthur l’invita à partager son dîner. D’abord, Fey et Tyfenn avaient vaguement pensé qu’ils se verraient tous au Quartier Éclat, mais dans les circonstances actuelles, elle n’en avait plus aucune envie, et Arthur ne le lui proposa pas non plus. 
Ils improvisèrent un petit repas avec ce que Fey et Tyfenn avaient acheté en prévision de son retour. Ils dégustèrent donc leur salade froide de crustacés sur le balcon, assis sur la petite cascade qui massait agréablement leur nageoire tandis qu’ils mangeaient.
— Je dois quand même avouer que le confort d’une maison m’avait un peu manqué, confessa Arthur.
— Pourtant, tu es un aventurier.
— Oui, mais au bout d’un moment, on se languit de chez soi… quand on l’a trouvé. Et de ceux qui nous sont chers.
Fey eut un nouveau froissement au cœur en songeant à Garten. C’était douloureux. Comme une blessure fraîche à vif. Ainsi, avoir le cœur brisé faisait cet effet-là. Elle s’en serait bien passé.
— Et toi, tu penses avoir changé ?
— Pas réellement changé, disons plutôt évolué. J’ai beaucoup appris. Sur l’environnement des Seirens, mais aussi sur moi-même. Ça remet les choses en perspective. On comprend ce qui importe vraiment, et ce à quoi on tient. 
Cela lui donnait encore plus de difficultés à saisir la réaction de Garten et son changement d’état d’esprit.
— Arthur, excuse-moi de revenir sur ça, mais… Tu penses qu’il y a quelqu’un d’autre ?
Elle savait que parmi les Éclaireurs, il y avait quelques femmes. Comprenant où elle voulait en venir, Arthur secoua immédiatement la tête.
— Non, Fey, je ne crois pas. J’en suis même sûr. Je ne connais pas Garten tant que ça, mais c’est quelqu’un d’honnête. Et il n’a jamais fricoté avec une autre pendant ces deux mois. Je l’aurais su et je ne te le cacherais pas.
— Vraiment ?
— Bien sûr. Tu es mon amie. 
Fey allait rester sur le même sujet, mais Arthur le dévia :
— N’empêche, c’est bizarre, cette situation… Tu te rends compte qu’en deux mois, nous n’avons eu aucune piste ?
— La mer est grande.
— Pas si grande que ça, Fey, nous ne sommes pas à l’échelle terrestre. La superficie de toute la mer du monde des Seirens, sans compter les deux domaines, est d’environ deux cent cinquante mille kilomètres carrés. Soit à peu près la taille de la mer Égée, ce qui est loin d’être immense. Nous sommes restés longtemps et nous étions nombreux. Nous avons vraiment cherché partout. 
— Alors, où sont-ils ?
Arthur expira en secouant la tête.
— C’est la grande question. Personne ne le sait. Et ça ne présage rien de très bon. 
Un bruit non loin d’eux les fit se retourner au même moment. Cela signalait la venue de quelqu’un dans la maison. Fey appréhenda légèrement l’arrivée imminente. Était-ce Tyfenn ? Ou Garten ? 
Mais ses spéculations ne durèrent pas en découvrant la nouvelle arrivante, au petit visage rond souriant sous sa masse de longs cheveux flamboyants. 
— Je pensais bien vous trouver là, tous les deux.