Seirens - Tome 3 - Melissa Scanu - E-Book

Seirens - Tome 3 E-Book

Melissa Scanu

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Beschreibung

Un dangereux secret tapi dans la Baie de la Lune pourrait chambouler le calme qui s'était installé à Rénatia...

L’hiver s’est installé à Rénatia et Fey fête son premier anniversaire en tant que Seiren dans un état d’esprit mitigé. Garten lui manque plus qu’elle ne veut l’admettre. Arthur a pris ses distances. Tyfenn, en terre depuis deux mois, ne lui donne plus de nouvelles. L’entente entre Rénatia et Lamynte ne tient qu’à un fil à cause de la Baie de la Lune dont ils ne cessent de se disputer l’appartenance. Pourtant, cet endroit tant convoité semble renfermer un lourd et dangereux secret qu’il aurait mieux valu laisser dormir…

Plongez-vous la suite des aventures de Fey au fond de la mer !

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Seirens
ISBN : 978-2-38199-024-8
ISSN : 2492-6485
Seirens, Sauvage
Copyright © 2021 Éditions Plume Blanche
Copyright © Illustration couverture, Jean-Mathias Xavier
Copyright © Illustrations intérieur, Jean-Mathias Xavier
Tous droits réservés
Maquette : Marion Barril
Corrections : C. Sekine

Melissa Scanu

Seirens
Sauvage
(Roman)
« Tu sais ce qu’il faut faire pour vivre au milieu des sirènes ? […] 
Tu descends au fond de la mer très loin. Si loin que le bleu n’existe plus.
Là où le ciel n’est plus qu’un souvenir. 
Une fois que tu es là, dans le silence, tu y restes. 
Et si tu décides que tu veux mourir pour elles.
Rester avec elles pour l’eternité. 
Alors elles viennent vers toi et jugent l’amour que tu leur portes. 
S’il est sincère. S’il est pur. Et si tu leur plais
Alors elles t’emmèneront pour toujours »
Le grand bleu, JACQUES MAYOL à JOHANNA
Moon river wider than a mile,
I’m crossing you in style someday.
Oh, dream maker, you heartbreaker,
Wherever you’re going I’m going your way.
Two drifters off to see the world,
There’s such a lot of world to see.
We’re after the same rainbow’s end,
Waiting round the bend,
My huckleberry friend,
Moon river and me.
Rivière de lune, plus large qu’un kilomètre,
Je te traverserai bien un jour.
Oh, créateur de rêves, toi bourreau des cœurs,
Où que tu ailles, j’irai aussi.
Deux êtres sans but partis voir le monde,
Il y a tellement de choses dans le monde à voir.
Nous cherchons le même bout d’arc-en-ciel,
À attendre au tournant,
Mon ami de toujours,
Rivière de lune et moi.
“Moon River” – AUDREY HEPBURN (Breakfast at Tiffany’s, 1961)
1.
Immersion
C’était comme voler dans l’eau. La vitesse engendrait une impression grisante de vertige. 
Fey ondoyait à toute allure au milieu des récifs, des collines et des plantes aquatiques. Le corps bien à l’horizontale et le menton rentré pour accélérer, elle fonçait en appréciant le rythme et la sensation de vitesse sur sa peau immergée dans cet environnement clair-obscur.
Dans le courant abyssal, aussi puissant que fluide, elle croisait des bancs de poissons qui s’écartaient précipitamment de son chemin, les plus petits à vive allure, les plus gros lentement, comme si elle était un prédateur. C’était une expérience assez amusante.
Après plusieurs minutes de cette course folle, elle réduisit sa vitesse en constatant qu’elle arrivait près d’un quartier résidentiel. Elle finit par s’arrêter totalement lorsqu’elle fut devant les premiers bâtiments, tout en savourant mentalement les émotions entêtantes qu’elle venait juste de vivre.
Elle adorait nager à Lamynte.
Katell ne tarda pas à apparaître à sa suite et ralentit sa course en tournoyant sur elle-même, ses cheveux flamboyants ressortant dans la pénombre et les lumières artificielles, suivie de près par Catilda, son Kotrein. Chacune avait sa manière bien personnelle de nager. Katell gardait généralement les bras serrés contre son buste tandis que Fey aimait tendre les siens devant elle, avec la particularité de placer une main sur l’autre. Arthur, lui, mettait simplement ses bras devant lui, légèrement fléchis, et poings serrés. Il y avait autant de façons de nager que de marcher, et Fey ne se lassait pas de les découvrir.
Elle attendit quelques instants pour reprendre ses repères, et fit signe à Katell de la suivre en descendant davantage. Elles parvinrent vite à l’entrée d’une cavité où elles s’engouffrèrent ensemble pour faire surface quelques secondes plus tard.
— Ah… Je savais bien qu’il y avait une grotte à oxygène près d’ici, déclara Fey après avoir repris son souffle.
— Heureusement. C’est quand même bien plus pratique que de remonter jusqu’à la surface.
Katell semblait ravie. Depuis le rétablissement de la paix et le retour d’un gouvernement stable à Rénatia comme à Lamynte deux mois auparavant, Fey et Katell avaient pu se voir octroyer des laissez-passer pour le territoire lamyntien. Elles les avaient obtenus aussi bien grâce à leur travail à chacune, en lien avec l’Office, qu’en raison de l’aide qu’elles avaient apportée à Rénatia. 
Ainsi, régulièrement depuis plusieurs semaines, les deux amies se rendaient à Lamynte. Katell avait exprimé son désir de découvrir ce lieu dont son père biologique était originaire, et Fey n’avait été que trop heureuse de l’y accompagner, se languissant de ce comté qui l’avait toujours fascinée.
Katell appréciait ce qu’elle expérimentait, à mesure de ses visites, dans cet environnement sombre et aux lumières scintillantes, épuré et naturel, où le silence régnait en maître. Fey savait que la conclusion ultime de ces visites consisterait à rencontrer le véritable géniteur de Katell, Drustan Hurtel, mais qui, pour le moment, repoussait sans cesse l’instant ; et ce fut le cas une fois encore.
— Tu as toujours l’adresse en tête ? la questionna Fey avec douceur.
— Oui… Mais toute cette nage m’a fatiguée. Faisons encore un petit tour et rentrons, d’accord ? Catilda est épuisée aussi.
— Comme tu veux.
Fey n’insista pas. Elle avait conscience que Katell, même si elle ne le formulait pas clairement, ne se sentait pas encore prête. Fey le comprenait et le respectait, tout comme elle savait que si pour l’instant évoluer dans son environnement lui suffisait, elle le saurait lorsqu’elle serait finalement décidée à aller plus loin.
Cependant, la joie et le plaisir de se promener enfin à Lamynte en toute légalité étaient atténués par une ombre qui s’intensifiait au fil des jours.
Car c’était là qu’elle avait grandi et que Fey l’avait connue.
Car cela faisait deux mois qu’elle était partie. 
Lorsque Tyfenn lui avait fait part de sa décision de s’en aller en terre pour découvrir le lieu qui l’avait vue naître, Fey s’était sentie meurtrie et presque trahie. Mais elle savait qu’elle avait tort de penser ainsi, et qu’empêcher Tyfenn de partir aurait été aussi égoïste qu’injustifié. D’autant qu’elle lui avait promis qu’elle reviendrait. 
Seulement, deux mois s’étaient déjà écoulés, et elle n’avait pas reçu la moindre nouvelle. Filius, qui l’avait accompagnée en terre, avait assuré qu’il l’avait laissée en sécurité chez Charlotte Pond, la tante de Fey, qui avait accepté l’histoire qu’ils avaient mise en place. Or, depuis, Fey n’avait aucune connaissance de la manière dont Tyfenn menait sa vie là-bas. Filius était revenu vérifier si tout allait bien un mois plus tard, mais il n’avait pu rester longtemps, les contacts entre les deux mondes étant limités, et plus encore à certaines périodes de l’année pour des raisons de réglementation. Il avait simplement pu constater que Tyfenn se portait comme un charme, mais cela n’avait pas suffi à rassurer Fey. Se plaisait-elle là-bas ? Au point de, peut-être, ne plus jamais revenir ?
Elle n’en revenait pas de s’être si vite attachée à Tyfenn et qu’elle lui manquait à ce point, mais c’était réellement comme si elle était sa sœur et qu’elle l’avait perdue à peine retrouvée.
— Allons-y, décida Katell en la tirant de ses pensées.
Les deux jeunes Seirens remplirent leurs poumons d’air afin de pouvoir demeurer en apnée une bonne vingtaine de minutes, ce qui était suffisant pour quitter Lamynte, et s’élancèrent hors de la grotte. Ondulant droit devant elle parmi les récifs oniriques, Fey se laissa porter sans réfléchir ou se préoccuper de quoi que ce soit. Elle ne sentait que le courant caresser son épiderme et ses écailles, n’entendait que la mer chanter pour elle. 
Quelques instants plus tard, Fey et Katell étaient de retour à Rénatia. En embrassant du regard les bâtiments de pierre, les fontaines émergentes et les plantes se reflétant dans l’eau saumâtre et claire, Fey se sentit partagée, comme toujours, entre sa fascination pour Lamynte et son attachement intense envers Rénatia, ces deux comtés marins si différents.
L’hiver touchait bientôt à sa fin, mais toutes ses caractéristiques demeuraient présentes. À Lamynte, les saisons importaient peu, car, outre la végétation marine et les poissons qui variaient, dans les profondeurs froides et silencieuses l’atmosphère restait la même. En revanche, le lagon de Rénatia changeait à chaque période de l’année, et Fey n’avait pas encore expérimenté l’hiver. Il ne neigeait jamais, mais une atmosphère fraîche dominait, avec la végétation dénudée et le froid. Pour pallier cela, on installait toutes sortes de lumières et de décorations partout dans la lagune. En automne, les tons de mise étaient l’orange et le noir, alors qu’en hiver, le blanc et le bleu régnaient en maîtres. Et pour le maintien du confort des Rénatiens, le service de gestion des eaux, pour lequel travaillait Finn Grym, réchauffait la lagune de plusieurs degrés, de sorte que de la vapeur s’échappât un peu partout dans Rénatia qui, selon Fey, avait des allures de Jacuzzi naturel géant. 
À Rénatia, peu de choses avaient changé en deux mois. Le gouvernement s’était stabilisé et la vie avait repris son cours. Dans sa vie personnelle en revanche, des changements notables avaient eu lieu. Avec le départ de Tyfenn, elle vivait désormais seule et toujours au Quartier Éclat. Bleidd et Garten y habitaient encore eux aussi, mais étaient si pris par leur travail à chacun qu’elle ne les voyait que très peu. Elle ne regrettait pas leur séparation, ayant besoin de prendre du temps pour elle, mais le baiser inattendu qu’elle et Garten avaient partagé deux mois plus tôt à l’anniversaire de Tyfenn la hantait encore. 
Quant à Arthur, il poursuivait son quotidien en solitaire dans la maison de ses parents et travaillait toujours comme Éclaireur. Seulement, il avait pris ses distances, ainsi Fey le fréquentait-elle à présent peu. Ils étaient toujours amis, mais elle comprenait ce besoin de s’éloigner quelque temps. Elle avait fait souffrir Arthur, tout comme Garten lui avait brisé le cœur.
Elle s’était rapprochée de Katell qui était toujours très prise avec ses projets personnels concernant la mixité et sa collaboration avec le Secteur Médical. Les deux amies tâchaient néanmoins de se retrouver au moins une fois par semaine, comme ce jour-là, et depuis quelque temps, elles en profitaient pour se rendre à Lamynte. 
Elle voyait toujours Filius et Dione très régulièrement, mais ceux-ci étaient complètement accaparés par les préparatifs de leur mariage qui approchait. 
Aussi, la personne qui était restée présente et constante dans sa vie et y avait même pris une place plus importante était finalement celle qu’elle connaissait depuis le moins longtemps.
Finn.
Si, au départ, Fey ne le voyait que comme un joyeux fêtard et le fils de Manfred Grym, elle avait fini par apprendre à le connaître comme à l’apprécier à sa juste valeur. Finn était quelqu’un de calme, de sociable et d’agréable, avec lequel elle prenait plaisir à discuter et à passer du temps. Ils s’étaient rapprochés lors de la période difficile des derniers enlèvements, mais c’était depuis le départ de Tyfenn qu’elle avait réellement commencé à le considérer comme un ami proche. 
Finn avait voulu lui organiser une fête d’anniversaire chez lui, comme pour Tyfenn, mais Fey avait finalement décliné. Avec l’absence de Tyfenn, ses relations tendues avec Garten et Arthur, et le fait qu’il s’agisse de son premier anniversaire depuis la mort de ses parents terriens, elle ne se sentait pas le cœur à célébrer ses dix-neuf ans de manière très festive. Finn avait compris et lui avait alors proposé de l’emmener dîner pour marquer l’occasion. Si Fey avait été surprise et touchée de cette attention, elle l’avait accueillie avec plaisir. Cela devait avoir lieu le lendemain et elle avait hâte d’y être.
Sur le plan professionnel, elle s’était vue octroyer le poste de responsable adjointe des affaires de la Baie de Lune à l’Office de Rénatia et prenait ce travail très au sérieux, même si, pour l’instant, il consistait surtout en des tâches administratives. 
— Je vais rentrer, déclara Katell. Merci pour la promenade. J’aurais aimé y rester plus longtemps, mais j’ai du travail.
— Je rentre aussi, de toute façon.
— Je peux passer te voir vers quelle heure demain ? Pour te donner ton cadeau…
— À peu près n’importe quand dans la journée. Je vais dîner avec Finn le soir, mais avant je serai sans doute chez moi.
Les deux amies se saluèrent et se séparèrent à l’entrée du Quartier Éclat, au milieu des lotus, des roseaux et des nénuphars. Là, chacune alla rejoindre son propre logement et vaquer à ses occupations personnelles, celles de Katell concernant le travail tandis que Fey se contenterait de se reposer.
2.
Nouvelle saison
Le lendemain, Fey commença son anniversaire en paressant dans son lit d’algues, dans la tiédeur de l’eau qui la couvrait presque intégralement et dont elle se délectait. Toujours allongée, mais à présent bien éveillée, Fey accueillit le silence avec une impression mélancolique. Les matinées où elles n’avaient rien à faire, Tyfenn avait l’habitude de jouer de la harpe, et c’était l’un des premiers sons qu’elle entendait à son réveil. Elle taquinait parfois sa sœur en disant que cela la dérangeait alors qu’elle émergeait tout juste. Or, en cet instant, elle aurait tout donné pour l’entendre jouer encore.
Fey décida alors de chasser ces idées négatives. Il était hors de question d’avoir des pensées tristes ou d’être morose le jour de son anniversaire. Elle avait choisi de ne pas le fêter, mais n’avait pas l’intention d’en rajouter en se montrant maussade.
S’extirpant hors de son lit délicieusement mou et chaud, Fey se laissa glisser dans l’eau et roula plusieurs fois sur elle-même, en longueur, pour s’étirer et s’éveiller. L’un des murs de sa chambre étant entièrement composé de miroirs, elle avait coutume de s’observer un instant avant de sortir de la pièce, mais cette fois, elle prit le temps de se regarder plus longuement, plus en détail. Comme si elle s’attendait à voir quelque chose de changé, alors qu’elle avait un an de plus. 
Une nouvelle année, une nouvelle saison. Son premier anniversaire depuis qu’elle était redevenue Seiren. Ses dix-neuf ans. Le même âge que Tyfenn, et le dernier anniversaire que celle-ci avait célébré dans le milieu marin avant de partir en terre. Une fois de plus, leurs destins étaient liés, mais à l’envers. 
Fey s’observa quelques instants, étudiant ses mèches blondes humides et ondulées qui lui arrivaient à présent presque jusqu’aux épaules, ses yeux marron encadrés par des sourcils qu’elle avait toujours trouvés trop épais et foncés, et les traits de son visage, si semblables à ceux de Tyfenn en plusieurs points… Tyfenn, devenue sa sœur par un extraordinaire hasard à la fois sublime et effrayant, avec laquelle elle n’avait pourtant aucun lien de parenté… Tyfenn qui n’était pas là le jour de son anniversaire.
Voilà qu’elle recommençait ! Détachant son regard de son reflet, Fey sortit de la pièce et se dirigea vers la cuisine où elle se prépara un petit déjeuner. 
Quelques heures plus tard, Fey était de retour d’une petite promenade dans la lagune, qui était bien paisible en ce jour de repos général. En revenant au Quartier Éclat, elle croisa dans le hall Dione, qu’elle n’avait pas vue en sortant. Son amie était radieuse comme toujours, ses longs cheveux bruns coiffés de rubans mauves assortis à une écharpe nouée avec élégance autour de sa nageoire. Filius se tenait à ses côtés, moins coquet que sa fiancée, mais le bonheur prénuptial semblait le faire rajeunir, avec des cheveux un peu moins longs et un air plus détendu. Fey n’était pas étonnée de le voir, car il passait la majorité de son temps au Quartier Éclat avec Dione lorsqu’il était en repos. En apercevant Fey, le joli visage de son amie s’anima et elle lui fit de grands gestes avec les bras.
— Alors, comme ça, on se cache ? Viens là que je t’embrasse !
Fey sourit tandis que Dione lui souhaitait un joyeux anniversaire en la serrant dans ses bras. Lorsque vint le tour de Filius, il semblait légèrement ému. Fey en devinait aisément la raison. Si elle pouvait aujourd’hui célébrer son premier anniversaire en tant que Seiren, c’était notamment grâce à lui, qui était venu la chercher. Comme il avait emmené Tyfenn là-bas.
— Bon anniversaire, Fey, déclara-t-il à son tour. Que tes nouvelles saisons te soient prospères.
— Merci, Filius.
— Tu tombes juste bien pour recevoir ton cadeau ! Attends, claironna Dione sans laisser le temps à Fey de répliquer.
En attendant le retour de Dione, Filius prit de ses nouvelles et s’enquit de ce qu’elle avait prévu pour son anniversaire.
— Rien de spécial, avoua-t-elle.
— Pas de soirée en vue ?
— Non, j’avais déjà eu une grosse fête pour mes dix-huit ans, l’année dernière… Et je suis un peu fatiguée en ce moment, je préférerais ne pas faire de folies, répondit-elle vaguement, sans entrer dans les détails.
— Ah, je vois ! S’il y avait eu une soirée planifiée, j’aurais été vexé de ne pas avoir été invité.
— Rassurez-vous, vous auriez été parmi les premiers à le savoir, sourit Fey. En fait, je vais juste dîner ce soir avec un ami.
— Garten ?
— Non, Finn.
— Finnegan Grym ?
— Oui.
— Ah ! Je l’ignorais.
Devinant ce à quoi Filius faisait allusion, Fey se hâta de préciser les choses.
— En amis. Il pensait m’organiser une soirée, comme pour Tyfenn, alors pour compenser mon refus, nous allons au moins manger.
Fey espérait avoir été claire. Il n’y avait rien entre Finn et elle, et, ayant tour à tour fréquenté Garten puis Arthur ces derniers mois, elle ne voulait pas passer pour quelqu’un de volage.
À cet instant, Dione réapparut, avec un petit paquet enveloppé d’un tissu brillant.
— C’est de notre part à tous les deux, Filius et moi, précisa-t-elle en le lui tendant. Ouvre-le. 
Fey s’exécuta et après avoir retiré l’emballage, elle ouvrit la boîte pour découvrir une parure de bijoux fantaisie, que Fey savait devoir au bon goût de son amie.
— C’est ravissant, merci beaucoup à vous deux.
Tous les trois bavardèrent encore quelques instants, et avant de rentrer, Fey posa à Filius la même question qu’elle lui adressait constamment depuis deux mois :
— Rien de nouveau ? souffla-t-elle.
— Non, Fey, désolé.
Il s’agissait de la réponse habituelle, mais cette fois, Filius semblait réellement navré, car aujourd’hui était un jour particulier pour Fey, et elle le passerait sans doute sans aucune nouvelle de Tyfenn.
En rentrant chez elle, elle s’aperçut qu’elle avait reçu du courrier. Les Chroniques Voyageuses ne fonctionnant pas ce jour-là, elle se douta que ses expéditeurs avaient dû arriver lorsqu’elle était sortie. Elle saisit les cartes, comme toujours fascinée par le courrier en milieu Seiren, hermétique et épais. 
Il s’agissait de deux rubans d’anniversaire. Similaire à la carte de vœux terrienne, le ruban était de la couleur de la nageoire typique de l’âge de la personne en question (d’un argenté encore clair pour Fey) et rédigé de trois vœux clés. Le premier était de Bleidd, dans lequel il lui offrait des vœux de réussite, de partage et de bonheur amoureux. Et le second venait d’Arthur, et lui souhaitait de rester en bonne santé, de vivre de belles émotions, et du bonheur également, à l’exception que celui-ci n’était pas projeté sur un thème précis. Fey devinait qu’ils avaient dû passer ensemble, profitant d’une pause à leur travail.
Elle apprécia le geste de Bleidd. De par son lien fraternel avec Garten et sa relation très proche avec Tyfenn, Bleidd faisait naturellement partie de son cercle d’amis depuis leur rencontre. Elle l’aimait beaucoup, mais ne le connaissait pas aussi intimement que les deux autres, aussi trouva-t-elle son ruban charmant et approprié. En revanche, elle fut un peu déstabilisée de recevoir la même chose d’Arthur. Ils avaient partagé une amitié sincère et surtout, ils avaient été ensemble… jusqu’à ce que Fey décide de rompre avec lui, en partie à cause du fait qu’il s’était joué d’elle avec Garten, mais surtout parce qu’elle s’était rendu compte que ses sentiments pour lui n’étaient pas faits d’amour. Dans ces circonstances et à la réflexion, qu’espérait-elle ? C’était déjà gentil et courtois de la part d’Arthur de lui envoyer un ruban. C’était la solution la plus diplomate et la plus neutre. Elle aurait accueilli un présent avec gêne et suspicion, de même que ne rien recevoir du tout l’aurait blessée.
Plus tard dans la journée, ce fut Katell qui arriva pour lui présenter ses vœux et son cadeau. Il s’agissait d’une collection de livres d’auteurs Seirens pour lesquels Fey avait manifesté de l’intérêt les derniers mois. Celle-ci fut ravie et touchée de ce geste personnel, et Katell resta un moment chez elle à bavarder. Lorsque cette dernière partit, ayant du travail qui l’attendait, Fey s’aperçut que l’heure de son dîner avec Finn approchait et qu’elle devait commencer à se préparer pour la soirée. 
Son heure avec Katell l’avait rendue plus joyeuse, aussi décida-t-elle définitivement de laisser l’absence de Tyfenn et sa mélancolie de côté. Elle se lava dans la pièce à jets torrides, puis enfila ses plus jolies pensées coordonnées à une tenue rose, et acheva de se préparer. 
Alors qu’elle finissait de mettre les bijoux offerts par Dione et Filius, on toqua à la porte. Se demandant s’il était possible que Finn fût déjà là, car ils n’avaient pas rendez-vous avant une demi-heure, elle se hâta d’aller ouvrir.
— Salut.
Des mèches d’ébène tombant autour de ses oreilles et sur son visage, des yeux sombres, mais rieurs avec un sourire assorti, et une fine cicatrice légèrement perceptible sur la tempe.
Elle ne l’espérait pas.
— Garten ? s’étonna-t-elle.
— Bon anniversaire, beauté d’eau douce, souhaita-t-il en accentuant son sourire.
Fey frémit à l’entente de ce surnom qui lui rappela leur rencontre à Lamynte.
— Je me doute que tu dois être occupée, mais je suis juste venu t’apporter ça.
Il lui tendit alors une petite boîte entourée d’un tissu vert. Fey la réceptionna, légèrement décontenancée.
— Merci, bredouilla-t-elle.
Elle ignorait si elle devait inviter Garten à entrer ou si elle devait ouvrir son cadeau tout de suite, considérant l’étrangeté de la situation, mais le jeune Lamyntien prit la décision de lui-même.
— Tu me diras ce que tu en penses quand tu en auras l’occasion, rien ne presse. Bon, je vais emmener mes écailles au loin. Nage en liesse à ta soirée, conclut-il en faisant mine de s’en aller.
Comment savait-il qu’elle avait une soirée de prévue ? L’avait-il deviné par sa tenue habillée, ou savait-il plus précisément qu’elle devait dîner avec Finn ? Elle décida d’en apprendre davantage tout en faisant preuve de courtoisie, ce qui, en réalité, ne lui coûtait pas un réel effort.
— J’ai un peu de temps, l’informa-t-elle.
Garten la considéra alors quelques instants, comme s’il était surpris, et parut légèrement gêné.
— En fait, je dois y aller, désolé, mais on se verra bientôt, d’accord ?
Il hocha la tête avec un dernier sourire avant de conclure par une nouvelle référence à leurs premiers temps ensemble. Enfin, il s’en alla, pour de bon cette fois :
— Tu es belle comme une jacinthe d’eau. Et ce n’est pas que la robe.
3.
Celebration privee
La nuit était tombée depuis déjà plusieurs heures sur Rénatia lorsque Fey sortit du Quartier Éclat, accompagnée de Finn.
Ils nageaient en direction de l’endroit où Finn avait prévu d’emmener Fey, et qu’elle ne fréquentait pas. Mais à mesure qu’ils approchaient de leur destination, elle reconnaissait le quartier, qui était réputé pour être animé de nuit, avec des lieux pour se retrouver, se restaurer ou danser, et parfois, tout cela à la fois, dans une ambiance allègre et décontractée, et où tout brillait déjà de l’extérieur. 
Pour le même genre d’occasion, Arthur l’aurait sans doute invitée dans un restaurant chic, avec une atmosphère posée et romantique. Garten, lui, aurait opté pour un repas improvisé en mer ou à la maison, et aurait lui-même cuisiné. Quant à Finn, il l’emmenait dans un endroit original et branché, ce qui était parfait pour passer une soirée festive et se changer les idées, ce dont elle avait besoin.
Le lieu dans lequel Finn la guida était doté d’un charme très particulier, à la fois traditionnel et moderne, où jeunes et moins jeunes étaient réunis à boire, manger et danser dans une atmosphère sombre et colorée, où l’eau brillait de tons multicolores au rythme de la musique, avec des vaguelettes artificielles divertissantes. Cette ambiance conviviale mit Fey à l’aise et elle cessa alors de penser à Tyfenn, à Garten.
Ils s’installèrent à une table où on leur servit des boissons avant de leur tendre le menu. Au lieu de plats traditionnels, on proposait toutes sortes de petites bouchées chaudes et froides, salées et sucrées, légères ou plus consistantes. Finn et Fey choisirent un plateau à partager avec un peu de tout, ainsi qu’un lyf pour deux, juste pour marquer l’évènement, précisa Fey qui n’avait pas envie de finir comme la fois précédente. Ils commencèrent donc agréablement la soirée. Elle était détendue, c’était exactement ce dont elle avait besoin.
— À tes soixante-seize saisons, ou dix-neuf ans, déclara Finn en prenant un bout de pétale du lyf.
— Je ne peux croire que j’y sois déjà, soupira Fey avec un sourire.
— Attends d’arriver à vingt ans. Là, ça défile encore plus vite. Mais à quoi bon s’en faire ?
— C’est vrai, d’autant que les Seirens vieillissent mieux que les Terriens, et ont une espérance de vie plus élevée. 
Du souvenir de ses lectures, elle était d’environ quatre-vingt-douze ans pour les Rénatiens, et cent quatre ans chez les Lamyntiens. Encore une fois, cela lui fit penser à Tyfenn. Celle-ci avait-elle retrouvé toutes ses caractéristiques terriennes, en perdant tout ce qui avait fait d’elle une Lamyntienne d’adoption ? Elle savait qu’en passant d’un monde à l’autre, on retrouvait son métabolisme d’origine, sauf si on prenait des comprimés d’adaptation terrestre, comme Filius lorsqu’il partait en terre. Elle aurait aimé être là pour partager cela avec elle. 
Malgré ses résolutions, Fey prit un second pétale de lyf, tandis que Finn déclarait :
— Je peux t’offrir ton cadeau maintenant ?
— Oui, approuva Fey en finissant sa bouchée de pieuvre fumée. Avec plaisir.
Elle ne l’avait pas vu apporter de cadeau visible et se demandait de quoi il s’agissait. Finn sortit alors une enveloppe hermétique et la lui tendit. 
— Que tes nouvelles saisons te soient prospères, souhaita-t-il. Ceci concerne le futur proche.
En ouvrant l’enveloppe avec l’impatience d’une enfant, Fey comprit. Il s’agissait de deux tickets pour un concert donné par un groupe lamyntien et qui devait avoir lieu quelques jours plus tard. Un concert aquatique… Elle n’avait jamais assisté à cela de manière officielle, et était ravie. Finn avait eu une bonne idée. 
— Il y a deux places, donc tu peux emmener qui tu veux.
— Je me demande bien à qui je pourrais le proposer, glissa Fey avec un regard entendu.
Ils se sourirent et Fey porta entre ses lèvres un troisième pétale de lyf qu’elle prit le temps de savourer, pour se laisser envahir par sa douceur sucrée et son pouvoir d’oubli, se sentant de plus en plus détendue et gaie à mesure que la soirée se poursuivait.
Si elle le connaissait déjà, ce fut là qu’elle découvrit à quel point Finn était intelligent, attentionné, et plus profond qu’il en avait l’air au premier abord, au-delà de son allure de pirate avec ses cheveux longs retenus d’un bandeau noir, sa barbe naissante et ses tatouages. Quelqu’un qu’elle pouvait considérer comme un véritable ami.
La soirée se passa agréablement. Ils dînèrent, dansèrent, et discutèrent jusqu’à une heure avancée, qui ne faisait pas diminuer le nombre de Seirens présents. Fey était étonnée de constater à quelle vitesse les heures avaient filé.
— En tout cas, je n’aurais pas pu espérer une plus belle soirée d’anniversaire, affirma-t-elle sincèrement.
— Tu ne regrettes pas de ne pas avoir eu de fête où tu aurais pu voir tout le monde ?
— Non. Tous sont passés me voir aujourd’hui de toute façon. Et ça aurait été difficile pour moi de voir tout le monde réuni… sans elle.
Elle ne voyait pas l’intérêt de mentir à Finn sur cela. Tyfenn lui manquait, et particulièrement ce jour-là.
— Tu as eu des nouvelles ? interrogea Finn avec douceur.
— Aucune, et je pensais que, peut-être, aujourd’hui, j’en recevrais enfin.
Elle savait que le contact entre les deux mondes était très limité, mais elle espérait malgré tout que pour ce jour d’anniversaire, Tyfenn lui enverrait un signe, même infime.
— Elle reviendra, Fey. Ça ne fait que deux mois.
— Mais c’est long…
Elle sentait qu’elle redevenait morose, et commanda un nouveau lyf entier pour elle, ce sur quoi Finn ne fit aucun commentaire, paraissant même approuver cette initiative.
Au bout de plusieurs minutes de conversation et de pétales ingérés supplémentaires, elle se sentit mieux et reposa son dernier lyf. C’était la limite avant qu’elle ne finisse par se sentir mal. En revanche, elle se sentait presque trop détendue.
Ainsi, elle laissait ses pensées vagabonder dans toutes les directions, qu’elles aient ou non un rapport avec Finn et leur soirée. 
Agacée par la présence non désirée de Garten dans son esprit, elle se concentra d’autant plus sur Finn, mais la quantité de pétales de lyfs ingérée la rendait moins inhibée qu’elle ne l’aurait souhaité. Aussi se surprit-elle à rire bêtement, dont plusieurs fois pour rien, et à toucher Finn à maintes reprises, sur le bras et la main. Elle s’amusa même à lui montrer la manière dont elle pouvait plier sa nageoire comme des jambes, car elle était la seule à y parvenir et Finn lui en avait fait compliment lors de leur toute première rencontre. 
Alors que la nuit était déjà bien avancée, Finn, probablement troublé par l’attitude bien trop joviale de Fey, décida :
— Il se fait tard, je vais te raccompagner.
— D’accord, accepta-t-elle d’emblée.
Elle sortit de son siège trop rapidement, car elle glissa et se retrouva le visage dans l’eau – ce qui, en version terrienne, aurait correspondu à une chute ridicule.
— Oh, ça va ? s’enquit Finn en l’aidant à se redresser.
— Oui, oui.
Elle était trop éméchée pour se sentir honteuse, aussi attrapa-t-elle simplement le bras que Finn lui tendait et se laissa flotter vers la sortie. 
Ils parlèrent peu sur le chemin du retour. À l’extérieur, loin du bruit, de la musique, et à présent qu’elle était mobile, Fey sentait plus clairement les effets des lyfs. Elle s’était arrêtée à temps pour ne pas être malade comme la dernière fois, mais son cerveau restait affecté par ce qu’elle avait consommé, et elle savait que seule une bonne nuit de sommeil pourrait réparer cela, à condition de ne pas faire de bêtise avant…
— On y est. J’ai vraiment nagé en liesse ce soir, déclara Finn au moment de la laisser.
— Moi aussi, répondit Fey, les joues rouges. Je me suis bien amusée.
— Pareil.
— Et j’ai bien mangé aussi.
— Tant mieux.
Alors que Finn semblait prêt à partir, Fey l’attrapa par les coudes.
— Et mon bisou ?
Sans l’effet des lyfs sur elle, elle n’aurait jamais minaudé de la sorte, mais elle ne s’en rendait pas encore vraiment compte. Tandis que Finn la fixait d’un air interrogateur, elle tendit le visage bien en avant, tout en le regardant droit dans les yeux, de manière à lui faire comprendre qu’elle ne parlait pas d’un simple baiser sur la joue.
— Ton bisou ?
— D’anniversaire, précisa-t-elle. Il me faut mon bisou avant qu’on passe au jour suivant. 
— Ah ! 
— C’est comme sous le gui à Noël. On est obligés de s’embrasser.
— Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
— C’est vrai que les Seirens ne fêtent pas Noël… C’est en hiver. On y célèbre la naissance du Christ et on s’échange des cadeaux autour d’un sapin. 
— Nous ne faisons pas ça. Mais à Lamynte, en hiver, ils ont la fête de Njörd. Ils y font flotter des lampions aquatiques dans lesquels chacun sacrifie un objet possédant une certaine valeur sentimentale, qui s’en va au loin en haute mer. Les Lamyntiens y voient à la fois une offrande à Njörd et un détachement matériel, pour purifier leur âme. 
— C’est beau.
Mais Fey était ennuyée de parler. Aussi décida-t-elle de prendre les devants, et, sans prévenir, elle planta ses lèvres sur celles de Finn. 
Cela lui fit tout drôle, elle qui n’avait jamais été très entreprenante avec les garçons. Elle n’en avait jamais eu besoin, mais cette audace lui rappela son premier baiser avec Garten, après qu’elle lui eut demandé de l’embrasser, ce qu’il avait fait sans hésiter.
Finn s’était-il montré réticent en raison de son état d’ébriété ou parce qu’elle ne lui plaisait pas vraiment ? Quelle que fût la réponse, il semblait avoir à présent changé d’avis et répondait à son baiser avec langueur. 
— Tu viens ? demanda-t-elle à Finn.
— Où ? chuchota-t-il.
— À l’intérieur.
— Il est tard.
— Je sais.
— Sérieusement ?
Finn paraissait hésiter. Certainement parce qu’il doutait de son état de lucidité, mais elle savait ce qu’elle voulait. Les lyfs l’aidaient juste à faire preuve d’audace, et elle tâcha de lui montrer qu’elle était tout à fait sérieuse et maîtresse de ses décisions.
— Oui, Finn.
— Tu veux vraiment ?
— Je te l’ordonne, même. C’est encore mon anniversaire, je te signale.
En souriant, elle attrapa la main de son pirate et l’entraîna en nageant plus vite que d’habitude à l’intérieur du Quartier Éclat et, bientôt, chez elle. 
Elle en avait assez de laisser les hommes décider pour elle.
Cette fois, elle était et serait souveraine de ses choix et surtout de ses envies.
4.
Etape
En s’éveillant le lendemain matin, Fey avait l’esprit un peu embrumé, et mit quelques instants à se remémorer tous les évènements de la veille. À ce sujet, la vue de Finn, endormi à ses côtés, lui fut d’une certaine utilité. 
Était-ce réellement arrivé ? Comme ça, aussi vite ? Il était évident que oui. Certes, les lyfs qu’elle avait pris l’avaient aidée à se détendre et à se lancer, mais elle n’était pas suffisamment éméchée pour avoir agi contre sa volonté. Elle l’avait voulu.
Avait-elle changé ? Était-elle différente pour avoir sauté le pas si vite ? Ou était-ce une évolution naturelle, du fait qu’elle devenait adulte et par conséquent plus sûre d’elle ?
Elle se concentra alors sur le garçon qui, lui, était à ses côtés à cet instant, dormant paisiblement. Finn était sur le ventre, les bras croisés devant lui, le visage reposant sur ses mains. Elle observa la peau de son dos, enveloppée d’eau jusqu’à ses omoplates. Son corps n’était pas aussi massif que celui d’Arthur, ni aussi fin que celui de Garten. Cela rappela à Fey qu’elle avait déjà songé au fait que Finn fût le parfait compromis entre ces deux garçons. De plus, non seulement il était plus âgé et mature, mais il avait également une personnalité plus simple et gaie, avec une manière de voir la vie qu’elle aimait beaucoup.
Elle étudia les tatouages entourant ses biceps en des signes qu’elle reconnaissait être écrits en ancien langage Seiren, pour ce qu’elle avait rencontré au cours de ses lectures. Puis son regard remonta sur son visage. Ses longs cheveux bruns habituellement attachés étaient lâchés et flottaient à présent sur sa nuque, assortis à sa barbe naissante. Ses yeux clairs étaient clos, mais ce fut sur eux que Fey s’attarda en se remémorant les évènements de cette nuit surréaliste. 
Elle n’avait eu qu’un seul véritable petit ami en terre, mais c’était la première fois qu’elle franchissait le cap depuis qu’elle était redevenue Seiren. La Continence Estivale, durant laquelle elle avait connu Garten, ajoutée à l’existence précaire et étrange qu’elle avait menée à Lamynte, avait fait que leur relation était restée platonique. Il en était de même avec Arthur qu’elle avait fréquenté peu de temps, mais jamais elle n’aurait pensé que les choses se concrétiseraient avec Finn, le dernier qu’elle avait rencontré.
Mais après tout, pourquoi pas ?
— Bien dormi ?
Finn venait d’ouvrir les yeux et lui posait d’emblée la question avec un sourire endormi. 
— Oui. Et toi ?
— Très bien. Tu n’as pas mal à la tête ?
— Non, pas du tout. 
Faisait-il référence aux lyfs ? Elle savait qu’elle n’avait pas franchi la limite et n’avait agi que selon son envie, en toute conscience. Mais si Finn avait un doute, pourquoi avait-il accepté de la suivre ? Certes elle lui avait forcé la main, mais il était supposé être responsable, et avait bien vu la manière dont elle avait fini, à sa première soirée chez lui, des mois auparavant. Elle décida de chasser cette idée désagréable en reprenant :
— Je vais bientôt aller travailler. Tu as le temps pour un petit déjeuner ?
— Volontiers.
Si Fey se sentait un peu gênée par l’intimité qui venait de naître entre eux, la banalité de ce qui suivit – partager un repas – la détendit, et très vite elle se trouva plus à son aise. C’était comme la veille, avec la même complicité, intensifiée par ce qui s’était produit.
— Dis, je me demandais ce que signifiaient tes tatouages ?
— Tu veux dire, depuis que tu as eu le temps de mieux les observer ?
Finn eut un petit sourire amusé. Fey était déjà familière des tatouages qu’il avait sur les bras, mais celui qu’il arborait sur le dos lui était nouveau.
— Oui, reconnut-elle.
— Ce sont des inscriptions en ancien langage Seiren. Celui sur mon bras gauche est le symbole qui signifie « audace ».
— Pour te souvenir de toujours oser faire ce en quoi tu crois, devina Fey.
— Exact. Et il va de pair avec celui du bras droit qui veut dire « raison ». Pour garder l’équilibre. 
Cette alliance antithétique résumait si bien la personnalité de Finn que Fey ne put s’empêcher d’être fascinée.
— Et celui sur ton dos ?
Là, le regard de Finn se chargea un peu de mélancolie et Fey sut avant même qu’il ait pu répondre.
— C’est un prénom en alphabet Seiren. Mara.
— Le prénom de ta maman ?
— Oui, fit Finn avec un petit sourire. Tu as un bon instinct. 
Au moment où chacun allait partir travailler de son côté, Finn lui posa la question qu’elle-même se posait silencieusement :
— Tu veux qu’on se voie ce soir ?
— Bien sûr, pourquoi pas, répondit-elle, se voulant détachée, mais contente.
Après s’être échangé quelques détails à ce sujet, ils quittèrent le logement de Fey et sortirent rapidement du Quartier Éclat. Le hall d’accueil était déjà bien rempli, mais Fey ne vit pas Dione, ce qui la soulagea, car elle était certaine que son amie lui aurait posé des questions, impatiente de savoir pourquoi Finn était là de si bon matin.
La matinée passa vite et, comme prévu, Fey retrouva Katell pour déjeuner dans un petit restaurant entre l’Office et la Clinique. Elles s’installèrent devant leur repas, Catilda en train de nager joyeusement non loin de Katell tout en grignotant des petits poissons apportés par sa maîtresse. Les deux amies avaient à peine échangé quelques mots sur la manière dont s’était déroulée la soirée d’anniversaire de Fey, lorsque Katell, comme si elle n’y tenait plus, lâcha :
— Finn a dormi chez toi.
— Quoi ?
— Il a passé la nuit avec toi.
— Oui, j’ai entendu. Mais je veux dire… comment tu le sais ?
— Nalu vous a vus ce matin en cheminant près du Quartier Éclat. Vous sembliez en sortir. Ensemble.
Nalu était l’ami de Katell, comme elle, moitié Rénatien, moitié Lamyntien. Elle ne l’avait pas vu, mais se sentait gênée de savoir qu’elle était observée et qu’on commentait ce qu’elle faisait.
— Les nouvelles vont vite, dis donc !
— Il me l’a dit ce matin, mais juste comme ça, dans la conversation. Il s’en fiche.
Katell poursuivit alors, un ton plus bas :
— Moi, par contre, ça m’intéresse… Qu’est-ce que vous avez fait ?
— On a joué aux cartes.
— C’est vrai ?
— Bien sûr que non, patate. À ton avis, on a pu faire quoi ?