Sénégal - Sabine Cessou - E-Book

Sénégal E-Book

Sabine Cessou

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2020
Beschreibung

L’âme du Sénégal est marchande. Le commerce coule ici comme le fleuve. Il nourrit les espoirs, porte les familles, relie les émigrés à leur terre, lance vers l’Europe et les États-Unis une jeunesse prête à tout pour s’en sortir. Les Sénégalais sont fils de l’esprit et des échanges. Les confréries veillent sur un islam « noir » empreint de soufisme et d’animisme, permettant avec le pouvoir, résolument laïc, de garantir la paix sociale et de contenir le radicalisme.
Dakar est un poumon commerçant et démocratique. Une rente aussi, car le Sénégal vit de son modèle depuis son indépendance. Le soutenir revient à porter à bout de bras un pays qui, jusque-là, s’est refusé à sombrer dans les luttes violentes. Le Sénégal est un rythme que la langue wolof sert à merveille. Cette Afrique-là est celle de l’ouverture après avoir été celle de toutes les blessures.
Ce petit livre n’est pas un guide. Il vous promène de Dakar à Ziguinchor, sur les rives du fleuve Casamance.
Et au fil de ces pages, l’âme du Sénégal se découvre comme jamais.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sabine Cessou, journaliste indépendante, est ancien grand reporter pour L’Autre Afrique, ex-correspondante de Libération en Afrique du Sud et aux Pays-Bas, aujourd’hui basée à Bruxelles et collaboratrice de RFI, Le Monde diplomatique et La Croix.

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Couverture

Page de titre

L’ÂME DE SPEUPLES

Une collection dirigée par Richard Werly

Signés par des journalistes ou écrivains de renom, fins connaisseurs des pays, métropoles et régions sur lesquels ils ont choisi d’écrire, les livres de la collection L’âme des peuples ouvrent grandes les portes de l’histoire, des cultures, des religions et des réalités socio-économiques que les guides touristiques ne font qu’entrouvrir.

Ponctués d’entretiens avec de grands intellectuels rencontrés sur place, ces riches récits de voyage se veulent le compagnon idéal du lecteur désireux de dépasser les clichés et de se faire une idée juste des destinations visitées. Une rencontre littéraire intime, enrichissante et remplie d’informations inédites.

Précédemment basé à Bruxelles, Genève, Tokyo et Bangkok, Richard Werly est le correspondant permanent à Paris et Bruxelles du quotidien suisse Le Temps.

Retrouvez et suivez L’âme des peuples sur

www.amedespeuples.com –  (âme des peuples)

 (@amedespeuples) –  (amedespeuples)

Carte

AVANT-PROPOS Pourquoi le Sénégal ?

Avec leur petite théière bleue et leur porte grande ouverte, Badou et Sow, mes voisins de chambre à la Cité universitaire internationale du boulevard Jourdan, m’ont donné le goût de leur pays et de ses débats. Comme je ne comprenais pas tout, je suis allée voir. Après un premier voyage en 1989, des cours de wolof à l’Institut des langues orientales de Paris (Inalco), puis de nombreux reportages, le Sénégal m’a adoptée. Et laissée naviguer en paix. Yaré, Yatma, Grain, Assane, Bouna, N’Goné, Aminata et les deux Mamadou… J’ai eu beau vivre en Afrique du Sud et aux Pays-Bas, la liste de mes amis issus de ce plat pays, situé à la pointe la plus occidentale de l’Afrique, n’a fait que s’allonger au fil des ans.

Le mot Sénégal viendrait de suñu gaal, « notre pirogue » en wolof. C’est ce qu’a avancé en 1853 l’abbé David Boilat, métis né à Saint-Louis et prêtre assimilationniste, dans Esquisses sénégalaises1. Divers experts contestent cette idée2. Le nom pourrait tout aussi bien venir de l’expression berbère sina id-noughal, « là où sont nos frontières, d’où nous revenons ». En arabe mauritanien, Singhane désigne la région du Cayor où coule le fleuve… Sénégal.

Cette terre se serait donc laissée définir par ses voisins. Quoi d’étonnant ? Toujours prête à absorber toutes les influences – salsa, jazz, hip hop dans la musique par exemple – la société sénégalaise n’oublie jamais sa base propre, comme en atteste l’éternelle durée de vie du beat national, le mbalax, socle du succès planétaire de Youssou N’Dour.

Sur un territoire bordé par l’Atlantique et baigné par deux fleuves, différents groupes se sont ancrés pour n’en devenir qu’un, grâce à la langue wolof et son impérialisme non calculé, dérivé d’une culture profondément inclusive. L’histoire se transmet à l’oral, de génération en génération, dans cette langue nationale issue de l’un des plus entreprenants de sa douzaine de peuples.

Qu’il soit urbain ou rural, brassé ou Wolof, Lébou, Sérère, Peul, Toucouleur, Laobé, Soninké, Mandingue, Bassari, Diola, Mankagne, Balante ou Mandjak, le Sénégalais connaît ses lignées et ses époques sur le bout des doigts. Il sait parfaitement qui il est. Nul besoin de quiconque pour le lui expliquer ! En revanche, les questions sont toujours possibles… La formule interrogative représente d’ailleurs un art en soi, au quotidien, une question étant souvent suivie d’une réponse en forme de question. Il est donc permis de se demander pourquoi l’histoire du pays regorge d’esprits rebelles, alors que le conformisme est roi. Pourquoi une spiritualité diffuse et les valeurs de respect portées par la tradition n’empêchent ni la vénalité, ni la monétisation des rapports. Ou comment le Sénégal relève d’une exception absolue en Afrique de l’Ouest parce qu’il n’a jamais connu de coup d’État.

On ne « fait » pas le Sénégal. Ce pays s’écoute et s’observe. Il se sent, il s’apprend. À ceux qui cherchent à le comprendre, et se laissent embarquer confiants sur la pirogue, il donne sans compter. De toute ma vie adulte, il ne m’a pas quittée. « Ton mari, c’est lui » me taquine l’ami Mike Sylla, styliste, dans son atelier parisien. J’y reviens toujours. Où que j’aille, je le transporte corps et âme, comme un bagage mental, un talisman doté de pouvoirs magiques. Car ce lien se fait famille, comme par enchantement, partout dans le monde. Il suffit de faire un pas, saluer en wolof et tendre la main. Bien des exilés bitim rew – « hors pays » littéralement – à l’étranger, à Venise, Athènes, New York ou au Cap, sont prêts à engager la conversation pour partager ce qu’il y a de plus important : le moment.

1 Éd. Bertrand, 1853 ; rééd. Karthala, 1984.

2 Théodore Monod en 1960, Paul Marty en 1971 et Saliou Kandji, auteur de Sénégal n’est pas Sunugal – De l’étymologie du toponyme Sénégal, Presses universitaires de Dakar, 2006.

La pirogue des marchands

Août 1989, je suis partie sans rien lire. J’ai suivi un électron libre dans la bande d’étudiants qui faisait la fête à Lucien Paye1, un bâtiment aussi appelé la « maison de l’Afrique », à la Cité universitaire internationale de Paris. Khaf m’a proposé de partir trois semaines au Sénégal. Ce n’était pas idéal, avec la chaleur de la saison des pluies, mais j’avais hâte de voir de plus près ce pays dont j’entendais tellement parler. En moins d’un an, ces étudiants à la fois turbulents et érudits m’avaient conquise. Très simplement, en me faisant une place par terre autour du bol de tieb (« riz ») le dimanche, dans l’une ou l’autre de ces chambres de la Cité où tout le monde se regroupait. Avec le rituel des trois thés à la menthe, les après-midis glissaient tranquillement dans les soirées, sans courir derrière un quelconque programme. Le seul plan valable, c’était d’être là, ensemble, à se raconter des histoires et rire jusqu’à la nuit.

Sow, mon voisin de chambre à la maison de l’Asie, m’avait invitée plusieurs fois dans le restaurant de sa tante, Yaye Aïda, à la Goutte d’Or. Badou, son camarade de chambrée, m’avait incluse dans sa bande d’amis, les Diouf, qui avaient un appartement à Montparnasse. Ces fous de jazz, de guitare basse et de musique parlaient de leur vie à Dakar à longueur de soirée. Et parfois, se levaient tous d’un bond, sur un air de Thione Seck ou Youssou N’Dour, à un moment précis quand le tama (talking drum, ou petit tambour d’aisselle) se mettait à s’emballer. Et les voilà qui dansaient en cercle, heureux.

J’aimais déjà le cocon douillet de cette vie en société à laquelle je ne comprenais encore rien. Tout m’emportait loin des codes étriqués de ma province tourangelle, où il fallait faire allégeance à la bande, se retrouver au bar le samedi soir et tâcher de s’amuser devant un pauvre flipper. « Monter » à Paris était perçu comme une trahison. Ici, je n’étais plus seule dans ma capitale. J’appartenais sans conditions. Mes parents étaient en train de divorcer, et voilà qu’une nouvelle famille me tombait du ciel, toute cuite, alors que je n’avais rien demandé.

J’étais calculée pour ce que j’étais, et non ce à quoi je ressemblais ou ce qu’on pourrait éventuellement tirer de moi. Il n’y avait plus de « fille de prof », de « petite blonde » aux cheveux longs, d’étudiante à la Sorbonne. Plus de mur de Berlin, de mémoire sur l’Allemagne, de cours de science politique, mais juste le noyau dur de ma personne. Observé, moqué, commenté, mais toujours avec cette overdose de bienveillance que je n’avais jamais connue en France. En allant à Dakar, j’avais l’intuition que je serais guidée comme un enfant. Je me suis retrouvée portée au dos, embarquée dans les mouvements de tout un grand corps rassurant, libre de regarder le monde alentour comme j’en avais envie.

Vingt ans plus tard, je retrouverais mes impressions intactes sous la plume de Felwine Sarr, dans son premier livre, Dahij2 (« Jihad » à l’envers) : « Ici, les relations sont exigeantes. Les visages sont scrutés, analysés ; la moindre expression y est décelée. Un ami vient vous voir : il vous regarde, évalue votre forme physique et psychique, tente d’entendre ce que vous ne dites pas. Proximité et intensité des rapports. Vérité des rapports, vérité du dire, vérités en face. » Son ami philosophe Bado Ndoye, rencontré en 2019, enfonce le clou sur la terrasse de l’hôtel Djoloff, une bâtisse ocre avec vue sur la baie de Soumbedioune : « L’autre est envisagé comme un tout, parce que la relation est sacrée chez nous ». Sans même y penser, je fête avec ce nouveau complice trente ans de compagnonnage avec le Sénégal.

Dakar est une fête

Le vol Air Afrique a des airs de gros taxi collectif, avec tous ces papas dignes à grands boubous, bardés d’énormes sacs Tati, bon marché mais pas très solides. Des jeunes à jeans déchirés, blousons de cuir et lunettes de soleil ont acheté des bouteilles de whisky en duty free, pour épater la galerie et régaler à l’arrivée. Ils picolent sec dans l’avion. No limits, telle semble être leur devise. Les stewards font deux mètres de long et arborent des airs d’aristocrates éthérés. Les hôtesses, la mine pincée, se montrent capables de vous relever ce dossier de siège d’un coup sec, sans prévenir, alors que vous êtes en plein sommeil. Ne manquerait presque plus qu’une paire de baffes. Aucune importance ! Arrivée au tout petit aéroport Léopold Sédar Senghor, à Dakar-Yoff, la bouffée d’air chaud, chargé d’iode et d’humidité, souhaite une bienvenue qui promet. Ici, tout est différent. Les « Mamelles », ces deux collines qui bordent l’aéroport et l’Atlantique, sont le point culminant le plus visible du pays, tout entier à ras au niveau de la mer – à l’exception des collines du Sénégal oriental.

La terre est rouge, les taxis jaunes et les gens souriants. Beaucoup se connaissent, se reconnaissent ou se découvrent des liens de parenté éloignée. Tous les adultes traitent tous les enfants comme s’ils étaient les leurs. Aucune femme n’est ordinaire. Elles arborent des tenues spectaculaires et ajustées, taillées sur mesure chez leurs couturiers. Les habitudes dans les transports en commun ont de quoi faire passer les Parisiens pour de sombres barbares. Dans les bus, aucune personne âgée ou femme enceinte n’a besoin de réclamer un siège. Il lui est cédé tout de suite. Un écolier debout avec un sac trop lourd le posera sur les genoux de son camarade assis, sans avoir besoin d’échanger un mot. Et surtout, sans que l’autre ne rechigne. Nit nitay garab am, dit le proverbe wolof. « L’homme est le remède de l’homme ».

Si je veux rire de manière synchrone quand les blagues fusent, il va bien falloir que je comprenne cette langue. Il fait chaud, mais ça me va. Je ne vais pas gémir tout du long, comme Albert Londres, qui se sent cuire en 1929 comme un pain dans un four. Il trouve la ville « imbibée d’une oppressante tristesse » dès la première page, dans Terre d’ébène3. Tant pis pour lui.

Au début, je suis perdue dans la topographie de Dakar, une ville coincée sur sa péninsule du Cap-Vert. Île de Ngor, l’université à Fann sur la corniche, le Plateau, ce vieux centre-ville colonial où se trouvent le grand marché Sandaga et l’embarcadère pour Gorée, la baie de Hann avec sa plage privée… La mer de tous côtés, où que l’on aille !

Mes premières impressions, sonores, restent gravées par les coassements nocturnes de ce qui me semble être des centaines de milliers de crapauds, revigorés par la pluie, derrière l’Institut de la statistique où un copain de fac nous a trouvé des chambres. La feuille de route est hédoniste en diable : déjeuner ici ou là, les trois thés, se dégourdir les jambes en fin d’après-midi et s’aventurer dans la nuit. Il n’y a que l’embarras du choix.

Le Super Diamono joue au Kilimandjaro, une boîte près de la plage de Soumbedioune. Incroyable voix d’Omar Pène, immobile derrière son micro, les yeux fermés, en transe, communion totale avec son public. Des jeunes gens élégants et parfumés remuent allègrement leur joie de vivre autour de lui. On se termine au Sahel, une boîte de nuit où l’entrée n’est pas trop chère et où les garçons, nombreux à faire les pitres sur la piste, sont regardés de biais par des brochettes de filles. Sagement assises, ongles faits, sac à main sur les genoux, les belles se font prier pour aller danser. Ensuite, direction « dibiterie », tard dans la nuit, pour déguster dans la rue de la viande de mouton fraîchement grillée, avec sauce à l’oignon, moutarde et piment.