Soleil Bleu - Vera Mar - E-Book

Soleil Bleu E-Book

Vera Mar

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Beschreibung

Fils d’une adolescente et d’un écrivain reconnu qui l’abandonne à la naissance, Dylan passe ses premières années dans une famille d’accueil chaleureuse. 
Lorsque sa mère le récupère, il a six ans. 
Sous le joug de la jeune femme, distante et obsessionnelle, sa vie change radicalement.
Initié sexuellement très tôt par une amie qu’il considère comme sa grande sœur, il développe dès l’adolescence une addiction au sexe. 
Sa rencontre avec Margot, jeune femme charismatique et experte en massages sensuels lui ouvre la voie d’une nouvelle vie. Binôme ultra-sexy, les deux complices offrent leurs services, en solo ou en duo, réalisant les fantasmes d’une clientèle où les femmes se taillent une place de choix, pansant parfois leurs blessures ou comblant leurs manques. 
Très vite, leur chiffre d’affaires explose, au gré de rencontres tarifées où le sexe se décline sous toutes ses formes.
Mais l’Escorting n’est pas qu’un chemin de roses et certaines expériences difficiles fracturent la personnalité fragile de Dylan.
Saura-t-il trouver le chemin de la résilience ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


Observatrice des phénomènes sociaux marginaux, Vera Mar publie un premier roman sur le thème du suicide assisté dans les milieux sadomasochistes (Chair d’Ombre, Éd. Tabou), plusieurs nouvelles (Éd. La Musardine), et un essai avec Julie-Anne de Sée, (Paysages de la Soumission Masculine, Éd. Ex Aequo).

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VERA MAR

SOLEIL BLEU

Itinéraire d’un escort-boy

Roman

ISBN : 979-10-388-0237-7

ISSN : 2678-2553

Collection : Alcôve

Dépôt légal : Novembre 2021

© couverture Ex Æquo

© 2021 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite

Éditions Ex Æquo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières Les Bains

www.editions-exaequo.com

« Les gens font des choses qu’ils trouvent absolument insoutenables et pourtant ils continuent à vivre. Leur esprit devient leur allié : il cache, modifie, se ment à lui-même.

Il existe un large éventail de processus mentaux qui vont dans ce sens. Certains sont qualifiés de pathologiques, mais c’est en réalité grâce à eux que nous réussissons à vivre avec les actions que nous avons commises que nous considérons comme répréhensibles.

Cependant, il y a parfois des failles à travers lesquelles ce que nous désirons ignorer remonte à la surface. »

DAVID LYNCH

(présentation de Elephant Man, traduction Vera Mar)

Préface

Soleil Bleu est un roman dans lequel le narrateur, un Genevois prénommé Dylan, et escort boy, ne vous épargnera rien. Ce récit en trois parties, débute avec des mots d’enfant, continue par les jeux d’adolescents, et se poursuit avec les actes d’un adulte qui vit des situations singulières, propres à sa profession particulière et rarement relatée. La prostitution masculine visant essentiellement une clientèle féminine a peu fait couler d’encre et c’est presque avec un regard « vierge » que vous allez découvrir ce qu’il en est.

Ce que vous vous apprêtez à lire est librement inspiré d’une histoire vraie. Certes, ici, elle est romancée, mais gardez bien à l’esprit cette information quand vous entrerez dans la danse de Dylan. Il ne se cache pas tant il est cash ; naturellement bien fait de sa personne, il ne s’enrobe pas dans des atours de charme ; il est brut, loin d’un diamant, et bander est son leitmotiv. Il croit trouver l’amour, à deux reprises, se trompe doublement, enfants en supplément et croule sous les dettes. Quand la belleMargot lui explique qu’il peutse constituer un joli magot et jouir par-dessus le marché, il n’hésite plus et devient un travailleur du sexe — enfin sous le manteau, faut bien sauvegarder les apparences. Et là. Accrochez-vous.

Vera Mar vous propose d’entrer dans un monde où l’esprit et le corps vont œuvrer de concert pour vous emmener jusqu’au tréfonds de l’âme du protagoniste. Elle jongle parfaitement avec les âges, les genres et nos émotions. Vous ressentirez parfois de la tendresse, rougirez sous la crudité des phrases ; pâlirez de frayeur lors de certaines scènes, frémirez sous l’attitude glaçante de personnages ou du narrateur. L’écriture de Vera Mar vous happera dès le départ et ne vous lâchera plus jusqu’à la fin de l’histoire de Dylan. Quelle sera-t-elle ? À vous de le découvrir.

Bonne lecture à vous !

Jeanne Malysa

Préambule

Vas-y !

C’est dur !

Je pousse de toutes mes forces, je pousse le bac à fleurs pour le faire tomber du balcon.

Sur Elle.

Un bac à fleurs en ciment gris empli de terre noire et de pétunias violets montés en graine.

Vas-y !

Le bac tombe ! Bien visé ! Exactement comme je voulais.

Dans l’asphalte le bac a fait un gros trou, un trou en étoile autour de sa tête.

Sa tête ! Il n’en reste qu’une bouillie jaunâtre qui déborde du bac, c’est tout ce qu’on peut en voir, une bouillie jaunâtre et du sang.

Du sang qui coule, qui forme une mare rouge qui s’élargit lentement.

Sur le gris du trottoir.

Oh ! Des gamins ! Un garçon et une fille qui se tiennent par la main et se dirigent vers le bac à fleurs.

La peur me tord le ventre !

Ils vont me prendre, me mettre en prison !

Pas les gamins, les flics !

J’essaie de m’enfuir par l’escalier de service, mais mes pieds sont cloués au sol.

Cours !

Impossible !

Mes jambes ne répondent plus…

Une main émerge du bac à fleurs, gratte l’asphalte.

La peur me dévaste.

Bizarre, cette lumière bleue qui vient du soleil.

Un soleil froid qui me regarde droit dans les yeux et qui se fend la pipe…

Première partie

Chapitre 1

Le vase est cassé.

Je ne l’ai pas fait exprès !

Qu’est-ce que maman va dire ?

Six dodos chez tante Marielle, un dodo chez maman, c’est comme ça depuis que papa est parti. Je ne m’en souviens pas, de papa, maman a dit que quand il est parti, j’étais tout petit et que c’est pour ça qu’elle a dû me mettre en famille d’accueil, chez tante Marielle et oncle Pierre. Tante Marielle a des cheveux blancs, elle est très grosse et très gentille. Son mari, oncle Pierre, est très grand, son ventre ressemble à un ballon. Il n’a plus de cheveux, enfin si, mais ses cheveux ont poussé sur ses bras, c’est pour ça qu’il n’en a plus sur la tête.

Un jour, j’ai entendu tante Marielle qui parlait de maman, elle disait que maman n’est qu’une gamine, beaucoup trop jeune pour s’occuper d’un gosse, et puis j’ai entendu son mari qui disait : « elle aurait pu le faire passer, ce marmot… » Passer où ?

Hier, en arrivant à la maison avec maman, elle m’a dit : « Tu es un grand garçon maintenant, Dylan, tu peux commencer à m’aider pour le ménage ! »

On est entrés dans le salon. Maman a pris un torchon et m’a montré comment enlever la poussière, ensuite elle a dit : « À toi maintenant, et fais bien attention de tout nettoyer comme il faut et de tout remettre en place après ! » Et puis elle est partie.

J’ai commencé par nettoyer la table, une grande table ronde, en bois. C’est comme ça que j’ai cassé le vase, avec des fleurs en tissu qui ont l’air de vraies fleurs.

Maman est revenue avec l’aspirateur, elle m’a montré comment le brancher à la prise et comment aspirer la saleté. Et puis, elle a vu le vase cassé. Elle m’a regardé sévèrement, avec ses yeux tout noirs et elle a dit : « C’est comme ça que tu vas m’aider, Dylan ? »

Elle m’a attrapé par l’oreille et m’a conduit dans ma chambre. Elle a sorti la clé de la serrure, claqué la porte, et j’ai entendu la clé qui tournait dans la serrure, de l’autre côté. J’ai retiré mes pantoufles et je les ai rangées près de mon lit, bien alignées, j’ai pris mon nounours et je l’ai serré très fort contre moi, puis je me suis assis par terre en pensant à tante Marielle. Pourquoi est-ce que je dois dormir chez maman, si je la dérange tellement ?

Elle est jolie, maman, très jolie, j’aimerais tellement qu’elle soit contente ! Mais je vois bien que je ne fais que l’énerver.

Maintenant, quand je rentre à la maison pour le dodo avec maman, je dois commencer par le ménage. Un jour, c’est la cuisine, un autre jour, le salon. Il y a aussi la salle de bain, les toilettes et ma chambre. J’aime pas nettoyer les toilettes ! C’est sale. Maman dit que c’est mon caca qui sent mauvais. Moi, je ne sens rien, c’est sûrement parce que je suis petit que je ne peux pas sentir aussi bien qu’elle.

Pendant que je nettoie, maman met le linge sale dans la machine et quand c’est prêt, c’est moi qui le sors et qui l’étends sur le séchoir. Maman veut que je me lave les mains très soigneusement avant de toucher le linge, pour ne pas le tacher. Elle m’a montré comment il faut pendre les habits, un à un, bien alignés aussi, en faisant très attention à ne pas les laisser tomber par terre, parce que si on les laisse tomber ils se salissent et maman doit tout relaver. Je mets les culottes ensemble, les chemises, et puis les soutiens-gorge de maman. J’aime bien toucher les soutiens-gorge, ils sont doux, très jolis, avec de la dentelle, il y en a des roses, des blancs et des noirs, ceux que je préfère. Je les mets sur mes yeux comme si c’étaient des lunettes, je regarde à travers les dentelles. J’aime sentir le froid du mouillé et respirer l’odeur de la lessive, ça sent les fleurs, ça enlève les odeurs de caca. Peut-être que, quand je serai grand, j’en aurai un aussi, de soutien-gorge, si mes tétines poussent et qu’elles deviennent aussi grosses que celles de maman.

Je m’applique à faire de belles rangées, pour que maman soit contente. Quand elle arrive, elle dit : « c’est bientôt fini ? Oui ? Alors, va jouer maintenant, j’ai du travail ! »

Maman est comme ça, jamais contente, pas comme tante Marielle qui m’embrasse quand j’ai fait quelque chose de bien, par exemple porter la poubelle au container, ou éplucher les carottes, elle me dit : « Bravo, mon biquet, tu t’es bien débrouillé ! Tu es un grand garçon maintenant, ta maman sera contente ! » Mais maman n’est jamais satisfaite. Elle ne sourit pas, ne me prend pas dans ses bras comme tante Marielle.

Pour le ménage, maman s’occupe elle-même de sa chambre. Je n’ai pas le droit d’y entrer. Une fois, elle a laissé la porte ouverte, alors j’ai regardé à l’intérieur. J’ai vu un grand lit avec une couverture rose à franges et au-dessus du lit une dame toute nue, très belle, avec des tétines roses et des poils au derrière. Je me suis demandé si elle avait perdu ses habits, ou si quelqu’un les avait pris pour les cacher quelque part. Je me suis dit que j’aimerais bien voir maman toute nue pour savoir si elle a aussi des poils au derrière. Il y avait aussi une télévision posée sur une commode avec plein d’autres choses, des boîtes, des bijoux, du parfum, des photos. Je voulais regarder les photos, pour voir s’il y avait papa, mais maman est arrivée et elle m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais là, nom d’un chien, je t’ai pourtant dit de ne pas entrer dans ma chambre, file, sale gamin ! »

Ma chambre à moi est toute petite, j’ai un lit et une table pour faire mes devoirs. Maman veut que ma chambre soit très bien rangée, rien ne doit traîner sur le lit, ou par terre, ça met maman très en colère si j’oublie de ranger quelque chose, par exemple mes jouets. Maman ne joue pas avec moi, c’est pour ça que j’aimerais bien avoir un petit frère, mais elle ne veut pas, elle dit que c’est bien assez fatiguant comme ça, avec moi.

Maintenant que j’ai six ans et que j’ai appris à lire, tante Marielle me prête des livres. Maman n’aime pas les livres, elle dit que lire c’est perdre son temps, elle ne veut pas que je devienne comme papa qui a lu beaucoup de livres. Maman dit que c’est pour ça qu’il est devenu méchant. Elle dit aussi que je ressemble à papa et ça me rend triste.

Un soir, maman m’a appelé : « Viens vite, viens voir papa ! » J’ai couru jusqu’à la chambre de maman. Je croyais que mon papa était arrivé et que j’allais enfin le voir. J’ai trouvé maman sur son lit, devant la télé, elle disait : « C’est papa ! c’est papa ! » Elle me montrait un monsieur avec des cheveux noirs, une barbe et des lunettes, qui parlait à la télé. Je ne comprenais pas les mots qu’il disait. Ça m’a rendu triste, de le voir, de l’entendre dire toutes ces choses difficiles. Moi je veux un papa normal, comme les autres papas, pas un papa qui passe à la télé, parce qu’un papa qui passe à la télé, je ne le verrai jamais, c’est sûr !

J’étais tellement fâché que je me suis mis à pleurer.

Maman a dit : « Quel crétin, ce gamin ! » Et puis elle a crié : « Tu ne peux pas te taire, pour une fois ! File dans ta chambre ! » J’ai filé dans ma chambre et j’ai grimpé dans mon lit, tout habillé, avec mes pantoufles. Aïe ! mes pantoufles dans le lit ! J’ai regardé si maman me voyait, avec les pantoufles sur le lit, mais non ! Puisqu’elle était en train de regarder mon faux papa à la télé.

Je me suis dépêché d’enlever mes pantoufles et de les ranger. J’ai passé un grand moment à les aligner, jusqu’à ce qu’elles soient bien droites sous la commode.

J’ai pleuré un peu, en pensant à mon papa normal.

Et puis, je me suis endormi.

Le lendemain, c’était dimanche. Comme tous les dimanches, on est allés chez tante Marielle pour souper. Après manger, maman est partie. Elle n’a pas pensé à me dire au revoir, alors tante Marielle lui a dit : « Vous oubliez d’embrasser le petit ! » Maman est revenue vers moi et m’a fait un bisou sur la joue en disant : « Sois bien sage, Dylan, à samedi ! »

Chez tante Marielle, c’est bien ! Quand je suis sage, ou que je fais comme elle veut, elle me dit : « Bravo, mon biquet, tu es un bon garçon. » Elle m’appelle toujours mon biquet quand elle est contente. Je ne sais pas ce que c’est qu’un biquet, mais je n’ose pas demander, pour ne pas avoir l’air bête. J’essaie de comprendre par moi-même, je dis dans ma tête, biquet, biquet, biquet, mais le mot ne veut pas s’ouvrir.

Il s’ouvrira sûrement quand je serai plus grand.

Tante Marielle et oncle Pierre ont deux filles, Danièle et Pascale. Danièle, c’est la plus grande, elle est très, très jolie, avec de longs cheveux blonds qui frisent au bout. Quand je lui demande : « Je peux les toucher, tes cheveux ? », Danièle, elle me dit : « Mais oui, mon chou », et elle baisse la tête pour que je puisse mettre mes doigts dedans. C’est tellement doux ! Sa joue rose est tout près de moi, avec des petits poils. Les poils, je les vois seulement quand je regarde bien. Ça me donne très envie de mordre dans la joue de Danièle, parce qu’elle a l’air d’être en gâteau.

Pascale est un peu plus petite, elle est très jolie aussi, mais moins que Danièle, parce qu’elle a des cheveux courts, je n’ai pas envie de les toucher, peut-être qu’ils piquent ?

Maman a des cheveux noirs, très courts. J’aimerais bien les toucher, pour savoir s’ils sont aussi doux que ceux de Danièle ou s’ils piquent, comme ceux de Pascale. Si je lui demandais : « Maman, je peux toucher tes cheveux ? », elle me dirait sûrement : « Qu’est-ce que c’est encore que ces simagrées, mon pauvre garçon ! » Maman aime bien dire « simagrée ». C’est un mot difficile, mais comme elle le dit souvent, je l’ai appris. Maintenant, quand je suis chez tante Marielle ou à l’école, je dis aussi : « simagrée, simagrée, simagrée » et quand je dis ce mot je me sens grand.

L’autre jour, Danièle m’a dit : « Tu veux monter au grenier avec moi, Dylan ? » Tante Marielle ne veut pas qu’on monte au grenier, elle dit que c’est trop dangereux parce qu’il faut grimper à une échelle très raide. Comme elle était sortie faire des courses, on y est allé quand même. Danièle a pris un long bâton avec un crochet au bout et a descendu l’échelle, elle m’a dit : « Passe devant moi, mon chou, et fais bien attention à ne pas tomber ! »

On est montés au grenier. Il faisait froid et très sombre, parce qu’il n’y a qu’une toute petite fenêtre dans le toit et que la vitre est toute sale. Maman n’aimerait pas voir ça. Le toit est incliné, moi je pouvais me tenir debout, mais pas Danièle, parce qu’elle est trop grande, sa tête touchait les poutres du plafond. C’était tout sale par terre aussi, avec plein de poussière qui s’envolait quand on marchait dessus et il y avait des tas de cartons, quelques-uns fermés avec du gros scotch et d’autres ouverts. On a regardé dans un carton ouvert et on a vu qu’il était plein d’assiettes à fleurs très jolies, Danièle a dit : « C’est la vaisselle de grand-maman, on ne peut pas l’utiliser parce qu’il ne faut pas la casser. » J’ai pensé que maman aurait dit la même chose. Dans un autre carton, il y avait des albums de photos avec plein de gens bizarrement habillés, tout en noir, avec des chapeaux et des chaussures montantes, de drôles de parapluie. Sur une photo il y avait une carriole tirée par un cheval. Tout le monde était très sérieux.

« T’as vu ça ! Qu’est-ce qu’ils ont l’air de s’embêter ! » a dit Danièle. Elle était tout près de moi et elle me regardait, et puis elle m’a caressé la joue en disant : « Tu es tellement mignon, Dylan, tu es à croquer. » J’ai eu très envie de lui toucher la joue, mais je n’ai pas osé, je pensais, qu’est-ce que ça fait, quand on nous croque ? J’ai eu un petit peu peur, mais pas trop, parce que c’est Danièle et qu’elle est tellement jolie, et qu’elle a des cheveux blonds, les filles qui ont des cheveux blonds sont gentilles, ce sont les filles aux cheveux noirs qui sont les méchantes dans les histoires que tante Marielle me lit le soir avant de m’endormir. J’aurais bien aimé une maman avec des cheveux blonds.

On est redescendus du grenier, avant le retour de tante Marielle.

Mais on y retournera bientôt, pour regarder dans les autres cartons ! Danièle me l’a promis. J’ai eu de la peine à m’endormir, parce que je pensais à Danièle, à ses cheveux blonds et à ses joues en gâteau. Et puis j’ai rêvé d’elle : elle ouvrait tout grand sa bouche pour me croquer et maman lui disait : « Vas-y, croque-le ! » En rigolant.

Dans le ciel, il y avait un grand soleil bleu, avec des yeux, un nez et une bouche, il rigolait avec maman en me regardant avec ses grands yeux rouges.

Chapitre 2

À la fin des grandes vacances, maman est venue me chercher. Elle a parlé un long moment avec tante Marielle, qui avait l’air toute triste et puis elle m’a appelé et m’a dit : « Tu es un grand garçon maintenant, Dylan, tu peux venir habiter avec moi ! » Habiter avec maman ? Non ! Tout s’est brouillé dans ma tête. Non ! Je ne voulais pas quitter tante Marielle, Pascale, Danièle et oncle Pierre. Je ne voulais pas ! Qui jouera avec moi, chez maman ? Et puis maman travaille tout le temps, j’ai entendu oncle Pierre qui en parlait avec tante Marielle. J’avais comme une grosse pierre dans la poitrine, je me suis accroché à la jupe de tante Marielle, je pleurais, je disais que je ne voulais pas partir ! « Tu reviendras souvent nous voir, mon biquet », a dit tante Marielle en me caressant la joue. J’ai bien vu qu’elle était triste, elle aussi.

Maman m’a regardé sévèrement et elle a dit : « Tu ne veux pas habiter avec moi, Dylan, si je comprends bien tu n’aimes pas ta maman ? » J’ai pleuré encore plus fort et alors maman a dit : « Quelle barbe ce mioche, il n’est jamais content ! »

Je pleurais pour tante Marielle, parce que je ne la verrai plus, et pour maman qui dit que je ne l’aime pas. On est rentré chez maman. Elle m’a envoyé au lit sans manger parce que j’avais fait des simagrées. Ça m’était égal, j’étais tellement triste que je n’avais pas faim. Je pensais à tante Marielle, et au grenier où on devait aller, avec Danièle. Je me suis remis à pleurer. Maman a ouvert la porte de ma chambre et elle a dit : « C’est bientôt fini, ce cirque ! » Elle a refermé la porte en la claquant. Alors j’ai pensé qu’elle avait raison, je ne l’aime pas, ma maman, elle est trop méchante.

Le lendemain, j’ai commencé l’école. C’est maman qui m’a emmené. Elle a dit : « Regarde bien par où on passe, Dylan, parce que demain tu iras tout seul. » J’ai bien regardé. Maman marchait devant moi. J’aurais bien voulu qu’elle me prenne par la main, comme tante Marielle, mais j’ai dû arrêter d’y penser parce que je devais regarder la rue pour me rappeler où on doit tourner pour arriver à l’école. On est arrivés à l’école et maman a parlé avec une grosse dame qui s’appelle Nina. C’est la maîtresse. Ses cheveux sont rouges, avec du blanc dessous. Elle parle fort.

Au début, j’avais peur des autres enfants, je restais dans mon coin sans parler pendant la récréation. Un jour, la maîtresse m’a fait venir près d’elle et m’a demandé : « Pourquoi tu restes tout seul, Dylan, il faut aller jouer avec les autres, ils ne vont pas te manger ! » Non, ils ne vont pas me manger, d’ailleurs la seule qui a le droit de me manger, c’est Danièle ! Je pense au grenier, et à ce qu’elle a dit quand on regardait dans les cartons, que je suis à croquer ! « Allons Dylan », a dit la maîtresse, « Va jouer avec les autres, tu te feras vite des copains ! »

Nina n’aime pas qu’on babille en classe, parce qu’alors elle doit crier. Elle dit : « Vous me cassez les oreilles, taisez-vous ! » Je regarde pour voir si ses oreilles sont cassées, mais je ne vois rien, ses oreilles sont toujours en place, devant les cheveux rouges avec le blanc dessous.

Maman travaille toute la journée, à midi, elle mange au bureau. C’est pour ça que je vais en classe d’accueil, le matin de bonne heure, à midi et à quatre heures. J’aime bien l’école, avec les copains et Nina. Lire, c’est facile, quand on a compris les lettres et comment elles jouent ensemble, mais ce que j’aime le plus, à l’école, c’est le calcul. Je suis très fort en calcul, plus fort que tous les autres de ma classe, je finis les exercices très vite. La maîtresse dit : « Tu as déjà fini, Dylan, apporte-moi ton cahier ! » J’ai toujours tout juste.

L’autre jour, elle m’a regardé et a dit : « Il faut que je parle à ta mère, tu pourrais sauter une classe, c’est trop facile, pour toi, ce programme ! » Elle a écrit quelque chose dans mon carnet. J’ai eu peur de sauter une classe. Je ne cours pas assez vite, c’est sûr, alors je vais tomber et tout le monde se moquera de moi.

Quand maman a lu ce que la maîtresse avait écrit, elle m’a regardé sévèrement et elle a dit : « J’ai pas le temps de m’en occuper, je vais demander à Marielle d’aller voir ce qu’il se passe, qu’est-ce que tu as encore fait, Dylan, pour te faire remarquer, tu ne vas pas te monter la tête, j’espère, comme ton abruti de père ? »

Maman a beaucoup de travail. Et puis elle a Fabrice. Il fume des cigarettes et boit du vin. Quand il en boit trop, il se fâche. Une fois, il a tapé maman, alors maman lui a dit de ne plus revenir à la maison. Le lendemain, elle avait une grosse tache bleue sur la joue. Il est revenu quand même. Il dort dans le lit de maman.

Avant Fabrice, elle avait Bertrand. Bertrand avait des grosses moustaches qui me piquaient quand il m’embrassait, il était très gentil et me faisait des cadeaux. Le plus beau, c’est une Ferrari rouge qui roule toute seule quand on la frotte par terre. Avant Bertrand, je ne me souviens pas, j’étais trop petit. Peut-être que c’était papa.

À l’école, on joue au ballon à la récré, ou bien on parle de nos mamans. Ceux qui ont des papas parlent de leurs papas. Il y en a beaucoup comme moi, qui n’ont pas de papa, ou bien qui en ont un, mais qui ne le voient pas souvent, ou pas du tout, parce qu’il habite ailleurs, tout seul, ou avec une dame. Quand ils sont gentils, les papas, ça va. C’est même bien. Mais quand ils sont méchants, qu’ils crient et qu’ils tapent, je me dis que j’ai de la chance de ne pas en avoir. Quand on me demande, ton papa, qu’est-ce qu’il fait, je ne sais pas quoi dire. Une fois, j’ai raconté que je l’avais vu à la télé. Tout le monde s’est mis à rire et à dire : « Mon pauvre Dylan, ce que tu peux te la péter ! »

J’ai eu honte. Mais c’est bien ce que je pensais, c’est bien mieux d’avoir un papa normal, plutôt qu’un papa qui passe à la télé.

Quand je rentre des classes d’étude, je me fais ma tartine et puis je m’assieds sur mon lit pour lire les livres de tante Marielle. Maman n’aime pas ça. Elle dit : « C’est pas des manières de manger au lit ! Tu ne vois pas que tu mets des miettes partout ? J’aime pas te voir avachi sur ton oreiller, à bayer aux corneilles et à rêvasser, le nez dans les bouquins, comme ton alcoolo de père ! »

C’est ce qu’elle dit.

Maman veut que je fasse du sport. Que je me secoue. Elle m’a inscrit au judo, en bas de chez nous, pour que je puisse y aller tout seul, le samedi après-midi, après le ménage. Elle a dit que comme ça, je ne serai plus dans ses pieds, à l’embêter.

Le monsieur du judo s’appelle Étienne, c’est lui qui va nous apprendre à jouer. Il est très vieux, au moins quarante ans. Maman dit qu’il est ceinture noire, ça veut dire qu’il est très fort et qu’il faut lui obéir.

Étienne nous a fait faire un exercice, toucher le sol avec les mains, sans plier les genoux. Ça s’appelle un exercice d’assouplissement. J’ai senti que je pouvais être bon, en judo. Très bon, comme en calcul. Étienne m’a dit : « Bravo, Dylan, tu te débrouilles bien, mon grand ! »

Ça m’a fait très, très plaisir. Tout d’un coup, j’ai pensé qu’Étienne était peut-être mon vrai papa.

Et que je veux devenir ceinture noire.

Comme lui !

Chapitre 3

Juste avant mon dixième anniversaire, ma mère a dit qu’on allait déménager.

Et que j’allais changer d’école. Ça m’a fait un coup ! Je ne voulais pas perdre mes copains et Nina ma maîtresse. Je ne voulais pas qu’on s’en aille ! Je me suis mis en colère, j’ai crié : « Je ne veux pas déménager ! »

Ma mère m’a regardé et elle a dit, entre ses dents, avec la bouche toute droite : « Sale morveux, tu ne crois quand même pas que tu vas me dicter ce que je dois faire ! » J’ai demandé pourquoi elle voulait qu’on déménage. Elle a dit : « C’est comme ça, un point c’est tout ! »

J’étais tellement en colère contre elle que j’ai eu envie de la taper, mais je n’ai pas osé, alors je me suis mis à pleurer. Elle m’a dit : « Arrête de faire ta poule mouillée, on ne pleure pas quand on a presque dix ans ! » Mais moi, j’ai pleuré quand même, le soir, dans mon lit.

On a déménagé dans le nouvel appartement, au quinzième étage de la tour du Lignon, un quartier en périphérie de Genève. Une chambre pour ma mère, une chambre pour moi, un grand salon, avec la cuisine dedans. Et un balcon. Depuis le balcon, quand on se penche, on voit la rue, tout en bas. Avant de déménager, ma mère a donné mes jouets à la ludothèque, elle a dit que j’étais grand maintenant et que je n’avais plus besoin de ces trucs de mioches. À la place de mes jouets, j’ai eu un vélo d’occasion, rouge avec une selle un peu râpée. « C’est pour économiser l’abonnement de bus », a dit ma mère.

À l’école, au début, tout le monde se moquait de moi. Ma mère a raconté à la maîtresse que je n’ai pas de père. Je ne comprends pas pourquoi elle a dit ça. J’ai eu l’air d’un idiot, au milieu des autres qui racontent ce que font leurs paternels, en frimant : banquier, toubib, aviateur. Je n’ose pas dire que mon père passe à la télé, ça aggraverait encore les choses, parce que personne ne me croirait. Et ma mère serait furieuse, elle n’aime pas que je la contredise.

Avant, quand ma mère se fâchait, j’avais peur, je pleurais. Maintenant, je suis en colère, j’ai envie de la taper, et puis je me demande souvent si c’est ma vraie mère. Oui, c’est ce que je me demande de plus en plus souvent. Peut-être qu’elle m’a adopté ? En tout cas, elle aurait mieux fait de me laisser chez Marielle.

Pour avoir sa paix royale.

Juste avant Noël, il a fait très froid. Un soir, je rentrais à la maison en marchant à côté de mon vélo parce que j’avais peur de glisser. J’espérais que maman serait déjà rentrée, qu’il y aurait quelque chose de bon à manger, des saucisses et des frites, mon plat préféré. Quand j’ai tourné la clé dans la porte et que j’ai vu l’appartement tout noir, tout vide, j’en ai eu marre. Marre d’être tout seul. J’étais très en colère contre ma mère et je me suis mis à penser que je devrais la faire disparaître, comme ça je n’aurais plus besoin de l’attendre, elle serait partie pour de bon. Peut-être que je pourrais retourner chez Marielle ?

J’ai rempli un gros ballon à eau au robinet, jusqu’à ce qu’il soit bien gonflé, bien lourd, et puis je suis allé sur le balcon, tant pis pour le froid. Au bout d’un moment je l’ai vue arriver, tout en bas, elle avait l’air très petite. J’ai attendu qu’elle soit près de la porte d’entrée de l’immeuble et j’ai lâché le ballon, en visant sa tête comme je pouvais parce que depuis le quinzième étage, je ne voyais pas très bien. Le ballon s’est écrasé sur son pied, l’eau a giclé, ma mère a levé la tête pour voir d’où il était tombé, mais j’avais déjà refermé la porte-fenêtre et couru me mettre au lit. Quand elle est entrée dans ma chambre, j’ai fait semblant de dormir. Elle est ressortie en claquant la porte.

Je l’entendais marmonner : « Saloperie de mioche ! » Et puis, le bruit d’une bouteille qu’on débouche. Depuis que Fabrice ne vient plus dormir dans son lit, ça arrive de plus en plus souvent, la bouteille.

À l’école, je suis devenu teigne. Je ne parle pas beaucoup, mais j’écoute, c’est comme ça que je sais plein de choses, sur plein de gens. Certaines choses sont secrètes, comme les films, sur les portables. Des films de nanas à poil, qui font des drôles de trucs, comme avaler des bites ou en prendre une dans le derrière. Même si je trouve ça dégueu, j’aime quand même, quand je peux mâter un bout de film sur le portable d’un copain.

Moi, je n’ai pas de portable, ça coûte trop cher. Dès que je le pourrai, je ferai des petits boulots, comme mettre des prospectus dans les boîtes aux lettres après l’école, pour pouvoir m’acheter un portable.

Ce qui est sympa, c’est que les filles m’aiment bien parce que je suis mignon. Elles me regardent, et puis elles rigolent entre elles.

Et puis, un après-midi, j’ai compris ! Pourquoi les garçons aiment regarder des films sur leur portable.

L’effet que ça leur fait.

Chapitre 4

Je venais d’avoir onze ans et c’était dimanche.