Sur le fil - Dominique Dejob - E-Book

Sur le fil E-Book

Dominique Dejob

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Dominique Dejob

Sur le fil

Roman

ISBN : 979-10-388-0041-0

Collection Blanche

ISSN : 2416-4259

Dépôt légal : novembre 2020

© couverture Ex Æquo

© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite

Préface

Comme dans son précédent roman « Les petits vieux dans l’arbre », l’auteure fait preuve d’une grande humanité. Par le biais d’un fil de laine ou d’acier autant réel que symbolique, elle tisse un lien puissant entre quatre survivants du crash d’un Airbus A320 aux abords de Strasbourg.

Nicolas, l’enfant défiguré, Gilbert le tolérant discret, Pierre l’amoureux compulsif et Sophie en souffrance de culpabilité, vont étrangement se retrouver quelques années après la catastrophe et élaborer un maillage affectif parfois déconcertant.

Ces destins croisés révèlent des comportements humains parsemés d’idées préconçues et d’élans chaleureux, d’angoisses profondes et d’espoirs recouvrés. Revers de l’esprit allant de l’effondrement à la résilience.

« Il m’importe peu de déplorer, d’accuser, de critiquer… de vouloir que les hommes fussent comme je voudrais qu’ils soient… L’important est d’abord de comprendre. »

L’Éthique, Spinoza

« Un post à midi, un flash à vingt heures

C’est un chuchotement dans un haut-parleur

Court et court, elle t’a dans son viseur

15 NOVEMBRE 1999 : VIES EN SUSPEND

Chapitre 1L’Airbus A320

Nicolas ne connaît des avions que ceux qu’il a vus dans les livres, à la télévision ou observés dans le ciel. Combien de fois le bruit annonçant leur approche lui a-t-il fait lever la tête ? Tout là-haut, l’engin n’était qu’un minuscule point blanc glissant sur l’azur et semant derrière lui une longue trace blanche. C’est comme s’il avait labouré le ciel pour creuser un message à ceux restés à terre. Nicolas pensait aussi aux escargots qui laissent une traînée sur leur passage. Bien sûr, c’est moins beau et ça colle, mais c’est un peu pareil : les avions crachent une bave toute propre derrière eux. Il se demandait surtout comment autant de voyageurs tenaient dans ce petit, si petit engin qu’il pouvait d’ici, nicher entre son pouce et son index.

Alors, ce matin du 15 novembre 1999, on imagine sans peine l’impatience qui l’agite. Dans une heure, il sera enfin dans l’un de ces grands oiseaux métalliques, un Airbus A320. Mais pour l’instant, depuis son poste d’observation ilcontemple les fuselages posés sur l’aéroport de Lyon-Satolas.Les mots de sa mère anxieuse ricochent contre ses tympans. « Nicolas… bien compris ?… l’hôtesse de l’air… soin de toi… chez ton parrain… bien sage… bonbons… un jeu… » Elle lui a déjà fait ses recommandations une dizaine de fois depuis la veille, alors, il peut bien se permettre de zapper la onzième !

Puis vient le moment : embrassades, signes de la main, salle d’embarquement, premier pas dans la carlingue, installation sur le siège. Et tout cela sous les consignes de l’hôtesse de l’air qui veillera sur lui jusqu’à destination. Nicolas risque immédiatement son regard au-delà du hublot, car finalement,il aurait bien aimé lui faire un dernier coucou à sa mère. Là, tout à coup, il se sent un peu abandonné à lui-même et une certaine appréhension le saisit. Il se tient cependant bien sage, déterminé à être courageux.

L’Airbus se remplit peu à peu de passagers, puis une voix s’élève :

« Mesdames, Messieurs, bonjour. Je suis votre chef de cabine. Le commandant de bord et l’ensemble de l’équipage ont le plaisir de vous accueillir à bord de l’Airbus A320. Nous nous assurerons de votre sécurité et de votre confort durant ce vol à destination de Strasbourg-Entzheim. Nous vous souhaitons un très bon voyage. Nous vous informons que… »

Nicolas n’entend pas la suite, car il attend fébrilement le décollage. Il imagine un truc incroyable qui va peut-être même lui faire un peu peur. Il s’accroche de toutes ses forces à son siège au cas où ses fesses s’envoleraient elles aussi. Mais l’opération s’avère un peu décevante, un tour de chenille à la fête foraine de son village lui fait plus d’effet. Nicolas espérait vraiment autre chose : une expérience hors du commun qui le marquerait à jamais. Il lui faudra en rajouter un bon peu pour épater ses copains, Luc et Paul.

Une fois l’avion stabilisé, le bruit du moteur qui remplissait la cabine et semblait mugir de colère s’assagit et n’est plus qu’un lointain ronron. Le vol rassemble dans cet espace exigu des personnes que le hasard a réuni pour quelques heures. Les soixante vies suspendues dans les airs se côtoient sans vraiment se voir. On échangera peut-être des politesses, un sourire, parfois une brève discussion. Quelques regards sans doute un peu indiscrets se poseront sur les uns ou les autres, mais il faut bien faire passer le temps. Ce sera tout.

 Ce lieu singulier représente une sorte de sas bien étanche entre deux milieux : celui que l’on a quitté, celui que l’on rejoint. On est là entre deux quelque chose, comme un tiret entre deux mots, et l’on peut pour quelques heures faire comme si seule la seconde comptait. Et ce n’est pas si mal de se savoir calé dans un espace-temps qui ne demande rien et laisse chacun en apesanteur au-dessus du grand tournis du monde. Lorsqu’enfin tous débarqueront, ils s’éparpilleront comme une volée de moineaux pour reprendre leur course à l’assaut de leur avenir. Chacun ira à la rencontre de son destin qui ne croisera probablement plusjamais celui de son voisin de cabine.

Nous, nous en savons davantage sur ces soixante existences. Permettons-nous un bref arrêt sur quelques-unes.

Dans la partie avant de l’avion par exemple, ce jeune couple installé au premier rang est fraîchement marié et débute son voyage de noces. Des promesses, les regards enamourés, les mains soudées, ils sont tout à leur bonheur et déjà ils se racontent avant de les avoir vécues, leurs deux semaines à venir. Pour les rendre inoubliables, Élodie cache un secret qu’elle ne dévoilera à Jérémie que demain : ils auront un bébé pour le mois de septembre prochain.

À partir du neuvième rang, la famille Bonassieux occupe cinq sièges. La mère avec la fille, les deux garçons ensemble et le père à côté d’un inconnu qui prend un peu trop ses aises, débordant largement sur la zone de son voisin. Il a été très facile de convaincre les petits de rester tranquilles : il a suffi de les menacer d’annuler leur visite au parc Cigoland, en Alsace. Seule la petite dernière de la fratrie n’est pas de la partie. Âgée d’un an, elle est beaucoup mieux avec papi et mamie.

 Gilbert, jeune professeur de maths installé à l’arrière de l’avion, rejoint le lycée Bartholdi à Colmar où il remplacera pour six mois le titulaire absent. Il se débrouillera pour rentrer chaque week-end à Chaise-Blanche, petit village du Haut-Forez, car il l’a promis à Laure, sa petite amie du moment. Ce qu’il ne lui a pas révélé, c’est l’inquiétude qui le ronge :l’autorité n’est pas son fort et son dernier remplacement s’est mal passé. Son manque d’assurance est une faille que les élèves chahuteurs détectent dès qu’il se présente à eux.

 Son voisin, côté hublot, se prépare à courir un trailauquel il s’entraîne depuis des mois. S’il a vérifié, revérifié, re-revérifié sa valise, il ne peut s’empêcher d’énumérer mentalement son contenu. Le moindre oubli serait une catastrophe. Les organisateurs ne rigolent pas, la liste donnée doit être respectée à la lettre, sinon… vous restez sur la ligne de départ ! Mais Côme est soudainement tiré de ses pensées par de petits gloussements provenant des sièges devant lui. Il ne voit de leurs occupants que deux tignasses de cheveux longs, les uns châtains, les autres blonds, qui s’agitent constamment.

Il s’agit de Sophie et de Claire, trente-cinq et trente-six ans, les deux copines d’enfance. Elles avaient juré qu’elles iraient ensemblefaire leur prochaine cure thermale à Niederbronn-les-Bains. Les deux femmes, l’une responsable des ressources humaines dans une grande entreprise, l’autre, directrice d’une Maison d’enfants, ont laissé tomber leurs lourdes responsabilités professionnelles sur le carrelage de l’aéroport de Lyon. Se dépouiller ainsi de leurs tracas quotidiens, de leurs époux et marmaille pour quinze jours a sur elles un effet euphorisant. En ce moment, elles pouffent d’un fou rire qu’elles tentent sans grand effet de retenir. Rompre les amarres les a littéralement propulsées dans la cour de récré qu’elles fréquentaient il y a trente ans.

Si les deux femmes sont rieuses, Pierre, à quelques mètres de là, n’a pas sa tête des beaux jours. Il rumine encore sa colère contre son épouse. Au dernier moment elle lui a fait faux bond, prétextant une grosse gastro. Belle excuse ! Elle n’avait surtout pas envie de l’accompagner à Strasbourg. Sa conférence ne durant qu’une journée, ils auraient prolongé de deux jours pour en profiter un peu. Il n’est pas dupe, leur couple bat sérieusement de l’aile. Depuis cinq ans, ils vivent comme deux colocataires… Et encore, les colocataires partagent plus qu’eux. Pierre s’était imaginé que ce séjour leur permettrait peut-être de raccommoder quelque chose, comme un vieux pantalon râpé dont on refuse de se séparer, trop habitué à le porter et que le fil de la couturière rapièce patiemment. Sa femme à lui, elle ne veut rien recoudre. Bientôt leur couple ne sera plus qu’un lambeau à mettre à la poubelle. Mais ce ne sera pas lui qui le jettera aux ordures. Il ne peut pas, il ne veut pas !

***

Une main se dépose doucement sur le bras droit de Nicolas, attirant son regard vers sa voisine de siège.

— Alors, pas trop stressant pour toi, le décollage ?

— Ben non. Je croyais que ça serait plus rigolo ! C’est la première fois que je monte dans un avion.

— Oh, mais tu peux me croire, beaucoup appréhendent et sont stressés. Ce n’est pas ton cas et tu sembles être un petit gars plein de courage. En plus, j’ai compris que tu voyageais seul.

— Je vais passer une semaine chez mon parrain à Strasbourg. Comme mes parents ne pouvaient pas m’emmener, ils ont eu l’idée de l’avion. Je suis trop content !

— Eh bien, je pars aussi une semaine. Je vais à Mulhouse, chez ma fille. Et mon grand bonheur, c’est de retrouver mon petit-fils ! Je viens de Bordeaux, j’ai dû changer d’avion à Lyon. Quel âge as-tu donc ?

— Onze ans.

— Tout comme Marc ! Mais lui n’a jamais pris l’avion pour venir me rendre visite. Moi, c’est Suzanne Drevet. Tu peux m’appeler par mon prénom si tu veux. Cela me ferait plaisir.

— Moi, c’est Nicolas.

 Cette Suzanne plaît immédiatement à Nicolas et d’instinct il lui fait confiance. Il se dit que c’est une dame un peu vieille, mais sa voix, on dirait qu’elle chante. Et puis ses yeux, on dirait qu’ils sourient. La sienne, de mamie, a cinquante-huit ans et à vue d’œil, Suzanne doit-être dans ces eaux-là. Tiens, la voilà qui sort un tricot de son sac.

— C’est un cadeau pour Marc, un pull de sa couleur préférée. J’ai de la chance, car ce n’est pas sur tous les vols qu’ils autorisent ce genre d’activité. Là, il suffit d’avoir des aiguilles en bois et pas de problème.

— Il va être content. Moi, ma mamie elle tricote pas. Ma maman non plus.

— Attends, je vais te montrer si tu as envie.

Envie est un grand mot, mais Nicolas n’a rien d’autre à faire alors pourquoi pas ? Et puis, c’est quand même génial qu’avec un bout de laine et deux bâtons de bois, onpuisse fabriquer un vêtement. Il a envie de savoir comment ons’y prend. Il se promet cependant de taire l’expérience à ses copains, ils se moqueraient de lui. Studieusement, il regarde œuvrer Suzanne, mais se lasse assez vite jusqu’à ce que…

— J’ai une idée. J’ai une autre paire d’aiguilles et une petite pelote dans mon sac. Tu vas te mettre au travail. Je vais te monter quelques mailles et on verra de quoi tu es capable.

L’entreprise s’avère tout d’abord bien compliquée, mais Suzanne est patiente et surtout, elle semble avoir un don pour les explications. De plus, ses doigts experts guident Nicolas et s’accrochent aux siens les menant ici ou là, pile au bon endroit.

— Hop, tu fais passer ton aiguille dans cette maille un peu comme si elle voulait aller voir ce qu’il y a de l’autre côté. Et là, tu passes ton fil autour de cette aiguille… Comme un petit serpent qui voudrait s’enrouler autour de son cou. Maintenant, attention, l’acrobatie est difficile. Roulement de tambour… Hop ! Marche arrière et toc, tu fais sauter cette maille. Allez, la suivante tu la fais seul.

L’hôtesse de l’air frôle alors Nicolas et s’arrête à son niveau. Elle s’adresse à quelques passagers leur expliquant qu’une dame assise en queue d’avion ne se sent pas bien. En fait, rien de bien grave, juste l’appréhension du vol. Quelqu’un voudrait-il bien lui céder sa place ? Assise plus en avant, elle sera rassurée.

 Ce que nous savons de la voyageuse en question, Sabine, c’est sa phobie de l’avion. Elle s’était promis de ne jamais monter dedans et tant pis si Gérard, son mari, lui reproche de les priver tous deux de supers voyages. Mais sa fille qui réside à Strasbourg va accoucher et Sabine lui a promis d’être présente. Elle et son mari habitent Bordeaux et auraient pu voyager en voiture, mais la sciatique de Gérard l’empêche de se déplacer, et elle, elle n’a pas le permis. Sabine a décidé de se forcer, de se maîtriser et surtout d’avaler une moitié de xanax pour l’y aider. Malgré tout, une crise d’angoisse l’a prise d’assaut, elle aurait dû l’avaler entière sa pilule !

Immédiatement, Suzanne se propose. Seulement, voilà : Nicolas veut poursuivre sa leçon. Alors, il déménage aussi, c’est comme ça ou sinon... Les paroles de l’hôtesse l’incitant à rester à sa place ne le font pas changer d’avis. De fait, les voilà tous les deux installés au fond de l’avion.

— On se remet au travail ? demande Suzanne.

Ils reprennent alors leur ouvrage là où ils l’ont laissé quelques minutes plus tôt. Nicolas n’aurait jamais imaginé prendre autant de plaisir à ce petit jeu. Il se demande même si l’apprentissage du tricot n’est pas plus excitant que son baptême de l’air. Oui, il y prend goût, d’autant plus que Suzanne ne cesse de le féliciter pour son adresse et déclare même qu’il est très habile, très doué. Il apprend que les trous qu’il fait malencontreusement s’appellent une maille sautée. Suzanne rattrape ses erreurs tout en commentant : « Oh, mais ! Veux-tu bien revenir à ta place, bougre de polissonne ! Tu veux n’en faire qu’à ta tête et donner du fil à retordre à Nicolas, mais tu ne t’en tireras pas comme cela, petite fugueuse. » Chaque phrase de Suzanne est un délice, une poésie, une petite histoire. Nicolas s’amuse follement avec elle et travaille avec application, récitant mentalement : « L’aiguille veut aller voir de l’autre côté de la maille, mais le serpent s’enroule autour d’elle. Hop, elle lui échappe. »

— Tu crois que je pourrais faire une écharpe pour ma petite sœur ?

— Pourquoi pas. Mais tu n’auras pas le temps avant l’atterrissage. Et puis, il faut encore t’entraîner.

— De toute façon, j’en ai un peu marre là. Je voudrais bien arrêter.

— Tu vas garder le début de ton tricot et la pelote de laine. Regarde, je passe les mailles dans ce fil. Chez toi, tu les replaceras sur l’aiguille.

— Ouah ! Trop bien ! En plus ça me fera un petit souvenir de toi.

— Tu es vraiment un gentil garç… 

L’avion se met à vibrer sous des secousses soudaines. La fin de phrase de Suzanne est interrompue autant par la violence des trépidations que par l’annonce du commandant de bord :

« Veuillez attacher vos ceintures, nous allons traverser une zone de turbulences. »

 Cette fois-ci, Nicolas n’en mène pas large. L’avion tangue vraiment très fort. Les gens autour de lui ont des réactions diverses : certains ne semblent pas s’affoler, d’autres affichent sur leur visage une inquiétude ou parfois un soupçon d’effroi, ce qui ne le rassure pas. Et il ne manquait plus que ça, la dame qui a changé de siège pousse des petits cris de terreur. L’enfant ne peut s’empêcher de saisir le bras de Suzanne pour s’y accrocher de toutes ses forces. Un « Maman ! » s’échappe de sa bouche comme chaque fois qu’il a besoin de la savoir à ses côtés pour être tranquillisé.

— Ne t’inquiète pas, l’apaise Suzanne. C’est un peu stressant, mais tout est normal. Dans le ciel, l’air qui se déplace fait parfois bouger l’avion. Tu vois, sur la mer il y a des petites vagues, et bien là c’est pareil, notre avion danse sur les petites vagues, c’est tout. C’est juste un peu déconcertant. La seule chose qui peut t’arriver, c’est de tomber si tu te lèves. L’avion, ces petites vagues ne le dérangent pas, il s’amuse à glisser sur elles. Je reconnais que là, il s’agit vraiment de gros remous et en queue d’avion on les ressent un peu plus. Tu aurais peut-être dû écouter les conseils de l’hôtesse de l’air.

— Je savais pas pour les vagues dans le ciel, alors j’ai eu peur. Au moins, j’aurai un truc chouette à raconter à Luc et à Thomas et aussi à parrain, dès qu’on arrivera.

 Ce qui d’ailleurs ne tardera pas puisqu’une demi-heure plus tard, les consignes du commandant de bord informent les passagers : « Mesdames, Messieurs. En vue de notre proche atterrissage, nous vous invitons à regagner vos sièges et à attacher votre ceinture. Assurez-vous que vos bagages à main sont… ».

— Voilà, nous allons bientôt nous quitter. J’ai passé un très bon moment avec toi, Nicolas. Je te souhaite de très bonnes vacances chez ton parrain. Et tricote une belle écharpe pour ta sœur.

— Merci, Suzanne. Je dirai à papa et à maman que tu es très gentille et que j’aimerais bien qu’ils t’invitent à la maison. Comme ça, tu pourras corriger mes trous dans l’écharpe.

— On regarde par le hublot ? On va bientôt voir les lumières de la ville. 

 Sinon que…

L’équipage se croit à la verticale de Strasbourg alors que l’aéroport est encore à trente kilomètres de là. C’est ce que les journaux du lendemain apprendront à leurs lecteurs dont les regards seront happés par les titres des unes. Mais il n’est que vingt heures, alors, nous n’en sommes pas encore là.

***

Robert Savergnon termine sa journée et c’est tant mieux. Sale temps aujourd’hui ! Il faut dire que depuis quelques jours, dans le Bas-Rhin, la météo est exécrable. Le petit village de Sturpach est détrempé par une pluie torrentielle et pour ne rien arranger, le tonnerre s’invite, hurlant sa mauvaise humeur aux habitants. Ses vêtements ruissellent, ses bottes sont maculées de boue. Alors qu’il tape une de ses chaussures contre le paillasson de sa ferme, un avion attire son attention. « Il vole bien bas celui-là, bien plus bas que d’habitude », constate-t-il, sans y prêter plus d’attention. Il ferme la porte afin de laisser sur le seuil l’orage qui voudrait bien s’inviter dans la cuisine et il se dirige illico dans la salle de bain pour se laver et enfiler des vêtements secs et propres. Un coup de tonnerre assourdissant le fait presque sursauter. « Décidément, bougonne-t-il, c’est du jamais vu ce temps ! »

***

Cela ne dure que quelques secondes. Nicolas, Suzanne et les autres n’ont le temps ni de comprendre, ni d’être alarmés, ni d’enregistrer non plus la succession d’événements annonciateurs : des branches d’arbres se brisent contre la carlingue, puis des troncs d’arbres sciés en deux produisent des craquements sinistres. Pour les passagers, aucune chronologie des faits, seulement un « tout » instantané et indifférencié du choc final indescriptible par la démesure de sa violence.

18h20 : l’A320 ne répond pas aux appels de la tour de contrôle, sa trace disparaît sur les écrans alors qu’il devrait survoler la région boisée d’Altitona surplombant la plaine d’Alsace.

19h : le plan Sater qui organise les recherches est déclenché.

21h : les patrouilles de gendarmerie et de pompiers se lancent à sa recherche dans la vaste zone de 6000 hectares, soit 60 kilomètres carrés. Autant dire, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin !

***

22h : Robert est vautré dans son fauteuil, tout à sa joie de se réchauffer près de la grande cheminée. Et bonheur divin, il tient danssa main un verre de liqueur dont les fragrances chatouillent ses narines. La première gorgée est une explosion d’arômes dans sa bouche. Lorsque l’élixir ruisselle dans son gosier, il se laisse envahir par une douce sensation de bien-être. Là, vraiment, il savoure les premières minutes du week-end. Les yeux fermés, il écoute la radio diffusant les tubes du moment et attend patiemment l’heure des infos. Enfin, le journaliste de France Inter, Jean-Claude Bouret, égrène les nouvelles du jour : la loi instituant le Pacs, pacte civil de solidarité, est instaurée. « Enfin ! Depuis le temps qu’ils nous cassent les pieds avec ça », marmonne Robert. Il apprend ensuite que le Word Wild Web sera bientôt à disposition du domaine public. « Qu’est-ce que c’est que ça, le Web ? », ronchonne-t-il à présent. Mais Robert, qui se sent somnolent, se laisse peu à peu et délicieusement glisser dans une douce léthargie. Le son du transistor se fait de plus en plus lointain. Juste avant de basculer dans le sommeil, il capte les mots « Info… nous parvenir… avion disparu… 18h30… direction de Strasbourg ». Son cerveau engourdi est tiré de sa torpeur et se met soudainement à tourner à plein régime. L’avion qui volait trop bas, le coup de tonnerre inhabituel et étrangement trop fort… Définitivement réveillé, il n’a plus qu’une idée en tête : rouler jusqu’à la gendarmerie et faire part de sa presque certitude.

***

Lorsque l’avion s’est fracassé contre le sommet du pic Molet, le fuselage s’est coupé en deux, et la partie arrière dans laquelle se trouvaient Nicolas et Suzanne a été projetée à deux cents mètres de la carlingue déchiquetée. Le reste de l’avion est en miettes. Ne subsistent que des débris de ferrailles et des corps disloqués gisant par terre, coincés entre les troncs d’arbres ou déposés sur de lourdes branches à trois mètres du sol.

La situation est tellement invraisemblable qu’il faudra du temps aux survivants pour donner un début de sens à ce qui leur arrive. Quelques voix trouent la nuit et le brouillard : « Sophie ? Sophie ? », « Tout va aller, hein ? », « Ne bougez pas, les secours arrivent », « J’ai mal, j’ai mal ». Si certains semblent conscients de la réalité du crash, d’autres, dans un état second, ont des réactions singulières : « Où est ma pochette ? Il me la faut pour aller donner mes cours demain ! », crie Gilbert.

— Suzanne ? Suzanne ? gémit Nicolas.

— Je suis là mon petit, tout va bien, je suis là.

***

La pluie, le vent et le froid ralentissent la progression des sauveteurs qui avancent péniblement. Le chemin abrupt et escarpé n’est qu’un étroit couloir s’efforçant de trouer cette forêt si compacte. Les résineux, fiables sentinelles végétales, s’évertuent à barrer la route à ceux qui veulent pénétrer sur leur domaine. Mais le pire, c’est l’obscurité. La nuit et le brouillard, indifférents à l’urgence de la situation, enfouissent le paysage sous leur sombre couverture. On n’y voit rien. On chemine à grand-peine, lentement, trop lentement, à la faible lueur des lampes torches. On doit éviter les pièges des racines à fleur de terre. On doit s’assurer à chaque pas que les chaussures sont bien arrimées au sol gorgé d’eau, boueux et glissant. Si l’on sait que l’avion se trouve bien quelque part dans la montagne grâce au témoignage de Monsieur Savergnon, on ignore sa localisation exacte. Pour fouiller toute la zone, six équipes ont été formées et chacune remonte un flanc différent en direction du sommet.

L’accident s’est produit à vingt heures, il est à présent minuit.

***

— Suzanne, y a plein de choses sur moi et puis j’ai très mal à ma figure et à un œil, hoquète Nicolas.

— Je ne suis pas loin de toi, essaie de tendre ton bras pour attraper ma main.

Nicolas parvient péniblement à toucher le bout des doigts de Suzanne, mais tous deux ne sont pas assez proches pour pouvoir unir leurs mains. De plus, son amie ne semble pas avoir suffisamment de forces pour tenir son bras aussi tendu.

— On va continuer à parler tous les deux jusqu’à l’arrivée des secours. Bientôt, on nous sortira de là.

— Je veux mon papa et ma maman ! J’ai mal ! pleure le garçonnet.

— Ne t’inquiète pas, tu seras bientôt dans leurs bras et les docteurs te soigneront. Tu es un garçon courageux, c’est le moment de le montrer. On va venir nous chercher, ce n’est qu’une question de temps, tu dois patienter. Je vais te raconter comment, lorsque j’étais plus jeune, j’ai…

— Je veux te donner la main ! sanglote Nicolas.

— On ne peut pas, mais j’ai une idée. As-tu toujours le début du tricot et la pelote de laine sous ton pull ? Tu sais, tu les avais mis là en attendant de les ranger dans ta valise. Essaie de me faire passer la pelote et toi, tu tiendras l’autre bout. Ce sera un peu comme si on se tenait la main. Comme ça, on ne se lâchera pas.

— Oui, je l’ai. Tiens. Et si tu t’endors, je te réveillerai en tirant la laine. J’aurai trop peur, sinon. J’ai mal, Suzanne. J’ai froid.

Autour d’eux, quelques voix s’encouragent mutuellement se mêlant aux plaintes et gémissements épars. Aux côtés de Nicolas est étendue une personne dont la proximité du corps le réchauffe un peu. Il s’y colle afin de préserver cette source de chaleur salutaire dans le froid ambiant. Suzanne ne sait comment alléger les souffrances physiques de l’enfant, mais elle n’a de cesse de le rassurer, de le réconforter. Elle lui parle, lui raconte même de petites histoires pour tenter de le faire patienter. Elle tait la douleur qui brûle dans son ventre. Elle veut que le garçonnet résiste et trouve la force de tenir. Voici bien longtemps qu’ils gisent là dans leur petit habitacle de fortune. Elle ne sait pas exactement depuis combien de temps. Trois heures ? Quatre heures ? Mais bon sang, quand viendra-t-on les secourir ?

— Suzanne, raconte-moi la fin de ton histoire de quand tu étais plus jeune et que tu avais coupé tous tes cheveux parce que tu voulais ressembler à un garçon. Quand tu me parles, on dirait comme un pansement que tu mets là où j’ai mal.

Alors Suzanne parle, parle au-delà de ses forces, au-delà de l’incendie qui s’embrase dans son ventre. Elle fait participer le garçonnet, tente de le détourner de ses douleurs. Mais elle doit s’être endormie à présent, car elle ne dit plus rien. Et si Suzanne dort, Nicolas a peur. Si Suzanne ne lui parle pas, il a peur. Sans Suzanne, il n’est plus rien. Il tire alors le bout de laine afin de la réveiller, mais il comprend alors que si elle a sombré dans le sommeil, elle a lâché le fil.

— Suzanne ! Suzanne ! Réveille-toi ! implore-t-il.

***

Une forte odeur de kérosène alerte soudain une équipe de secours approchant du sommet. L’avion est là, tout près. Durant les derniers mètres de leur ascension, les hommes doivent enjamber les débris de plus en plus nombreux maculant le sol. Chacun redoute les prochaines minutes, mais ravale son appréhension. L’un d’eux distingue enfin un morceau d’épave et hurle : « Là ! ». Alors, tous de concert, ils balaient l’endroit à la lueur de leurs lampes torches et découvrent une scène d’horreur : des fragments métalliques, des lambeaux de vêtements, des morceaux d’objets, des corps mutilés, des cadavres. Et sur ce paysage de désolation, une chape de silence : le silence des morts, le silence des secouristes dont les cris restent coincés au fond de la gorge, le silence de la nature que la pluie et le vent ont désertée.

 Soudain, un cri déchire les ténèbres : « On est là ! », puis l’écho d’une voix retentit : « Des survivants ! ». Une équipe a trouvé la queue de l’avion et a aussitôt ranimé une braise d’espoir dans les yeux effarés des sauveteurs. Plusieurs se précipitent tandis que les autres poursuivent leur triste besogne… Celle de vérifier si parmi les corps épars certains respirent encore.

Il y a du monde à présent : les patrouilles de gendarmes, les sapeurs-pompiers, les journalistes, le SAMU, deux médecins du village, des militaires, des habitants proches. Ils sont près de 1500 sur place. Les premiers soins sont prodigués aux rescapés que l’on descend sur des civières par le chemin déjà emprunté dans l’autre sens. Ils sont sept miraculés : Gilbert, Sophie, Nicolas, Pierre et trois autres, tous ceux qui étaient installés à l’arrière de l’avion. Sauf Suzanne qui ne respire plus à présent, mais Nicolas ne le sait pas encore. Deux bras le soulèvent et le dégagent de la carlingue.

La vie ne tient qu’à un fil. La place qu’occupait chacun dans l’avion a décidé de son sort. La phobie de Sabine a permis à Nicolas de survivre. Sophie s’en est sortie parce qu’au moment de l’annonce du commandant de bord, elle sortait des toilettes et a décidé de s’asseoir sur un siège vide du fond. Son besoin d’uriner lui donne un avenir.

Lorsque Thésée dut aller combattre le Minotaure dans le labyrinthe, Ariane se promit de lui sauver la vie. Elle lui confia une pelote de fil qu’il devrait dérouler afin de trouver le chemin du retour. De son côté, elle tenait l’autre extrémité du fil qui s’agitait dans ses mains au fur et à mesure de la progression de Thésée.

Dans la tragédie de l’A320, Nicolas dut combattre sa peur et sa douleur. Suzanne se promit de prendre soin de lui. Elle donna à l’enfant une pelote de laine qu’il devrait tenir jusqu’à l’arrivée des secours. De son côté, elle tint l’autre extrémité du fil lui assurant ainsi qu’elle l’accompagnerait jusqu’à la sortie de cet enfer.

Nicolas a connu Suzanne exactement six heures de sa vie. Cela lui a suffi pour l’aimer. Et lorsque les brancardiers, les infirmiers, ses parents ont tenté de lui prendre la pelote de laine et ses quatre rangs d’écharpe, il a hurlé. De guerre lasse, on les lui a laissés. Ils étaient ses fils d’Ariane.

***

« On appelle cela la microchirurgie », lui a-t-on expliqué.

Nicolas apprend aussi d’autres mots que les garçons de son âge ignorent : chirurgie réparatrice, enveloppe cutanée, reconstruction faciale, greffe, plaque en titane. Et puis, il en a redécouvert d’autres. Il les connaissait bien sûr, comme tout le monde, d’ailleurs certains étaient même notés sur son répertoire de vocabulaire et d’orthographe. Mais là, il est entré à l’intérieur d’eux, il est eux. Il est la « douleur », la « souffrance », le « désespoir », et en même temps toute la horde de synonymes qui courent à leurs trousses. Les mots sont devenus lui. Avant, ils n’étaient qu’une notion abstraite, ils sont à présent une expérience, un vécu. Et cela a tout changé. Ces mots-là ont quitté ses cahiers, ses livres et se sont écrits en lui depuis que l’A320 leur a permis de s’insinuer dans son corps.

L’A320 a su le séduire, l’attirer à lui en promettant monts et merveilles. Nicolas l’a suivi en toute confiance. Mais une fois que le jeu a lassé le monstre, il a refermé sa gueule sur lui, il l’a mastiqué, broyé et recraché, le délaissant à son sort. Et il y a perdu sa jolie frimousse.

Jusque-là, chaque jour il avait croisé son visage en faisant sa toilette et s’était reconnu dans le miroir. À l’hôpital, quand on lui a enfin permis de se regarder, son reflet n’était pas le sien. Il y avait erreur. Il y avait laideur. Il y avait horreur. Quelqu’un lui avait volé un bout de sa paupière que l’on avait remplacé par un sparadrap de peau. Quelqu’un lui avait ravi un bout de lèvre sur le côté gauche et pour cacher ce manque, on avait collé ensemble un peu du haut et un peu du bas de sa bouche. Et puis, toujours du côté gauche, quelqu’un lui avait enfoncé un petit morceau de front et une main avait colmaté ce creux avec une rustine un peu rugueuse, celle que l’on avait prélevée sur sa jambe.

Oui, l’avion l’a abîmé, cassé, déformé. Mais le chirurgien l’a réparé avec des lambeaux de peau, des morceaux de péroné, du fil et des aiguilles. Du bon boulot qui n’a pas tout « refait pareil », pense-t-il. « C’est très bien comme ça », le rassure-t-on.

Nicolas tente de fuir le miroir, mais chaque matin il a le besoin viscéral de vérifier. La nuit a peut-être tout fait disparaître, lui rendant son ancienne apparence. Il l’espère si fort chaque soir que son désir sera forcément exaucé. La déception ouvre chaque lendemain. Alors, il décide de ne plus voir que le morceau intact : il cache celui qui n’est pas le sien et se trouve là par erreur. Il fait ainsi comme si la partie endommagée n’existait pas. Tant qu’il ne se voit pas en entier, ça peut marcher. Un lundi, il se risque à une expérience. Il dissimule tout d’abord le mauvais côté, se regarde, puis il fait l’inverse : il couvre de sa main le bon côté, puis se regarde. Une moitié belle, une moitié moche. « Coucou, caché ». La surface normale c’est bien lui, mais l’autre reste une inconnue, plus encore… Une étendue monstrueuse. Les deux accolées, ça ne marche pas, ça ne se fond pas, ça reste illogique et incohérent. Nicolas pleure longtemps. Il pensait que vivre, c’était faire de la luge sur la neige, sauter sur les cailloux des rivières, manger du chocolat sur ses tartines de quatre heures. Vivre, c’était faire du foot pendant la récré, se disputer avec maman pour les devoirs et cuisiner avec elle. Vivre, c’était aider papa à l’atelier et faire le jardin avec lui, et puis, peut-être devenir pompier quand il serait grand. Mais il a compris que c’est aussi autre chose de moins sympa : c’est monter dans un avion et…

Depuis qu’il est dans sa chambre d’hôpital, sa lampe de chevet c’est sa mère. Elle le veille nuit et jour. Elle pose sur ses balafres des mots d’amour pour les aider à se résorber. Elle lui dit qu’il est merveilleux, courageux et beau, qu’il est leur miracle parce qu’il est vivant. Il a fini par se laisser convaincre d’autant plus que finalement, il ne va pas si mal que cela. Il s’habitue à l’idée. Son père passe le voir aussi. « Passe », cela signifie qu’il ne s’installe pas vraiment et reste un peu à distance. Comment dire ? Il lui parle de choses et d’autres, mais il ne s’adresse pas à lui droit dans les yeux. Il contourne son visage, il promène son regard tout autour.

— Papa, pourquoi tu me regardes plus ? Je suis trop moche, alors tu m’aimes moins ?

— Bien sûr que non, mon fils ! Je t’aime à la folie et pour toujours. Et si nous regardions un moment la télévision ? C’est l’heure des Minikeums sur France 3.

En fait, Pascal n’accepte pas, il est bloqué dans sa colère. Ne pas se confronter aux cicatrices, aux boursouflures, c’est annuler l’accident et rester dans l’hier. On appelle cela le déni. Alors, Pascal détourne la conversation, car il ne peut pas crier ses angoisses à son enfant. Il a peur, terriblement peur pour lui, de ce que les gens penseront quand ils le croiseront, des regards insistants ou fuyants qui se poseront sur lui, des moqueries inévitables de certains jeunes de son âge, et pour les autres, de ce qu’ils penseront sans le dire.

Pourtant, le premier à causer de la peine à Nicolas c’est bien lui, en ne faisant pas confiance en l’avenir, en s’interdisant de le penser autrement que triste. Par sa détresse et ses pensées figées, il est finalement celui qui stigmatise son propre fils. Et sa femme ne supporte pas, ses reproches se multiplient lorsqu’ils sont en tête-à-tête.

Bientôt, lorsque les médecins donnent le feu vert, les visites à l’hôpital se succèdent et avec elles, son parrain, les tontons, les tatas, sa grand-mère. Et ensuite, les parents des copains, la maîtresse, la voisine, l’entraîneur de foot. Un jour, des clowns.

Son parrain est là dès que l’autorisation a été prononcée. Son sourire et son entrain se précipitent dans la chambre lorsqu’il passe la porte : « Et alors, comment va-t-il mon « filliolo » préféré ? Tu nous as fait peur mon Nicolas. En tout cas, tout est en état de marche, tes jambes, tes bras, ta tête. Quel bonheur ! Quand tu en auras fini avec tout ça, il faudra vite reprendre les entraînements de foot, il paraît que sans toi, ils perdent tous leurs matches.

Nicolas sourit, mais il s’en veut d’avoir fait peur à ceux qu’il aime.

Parrain sourit aussi et fait des blagues. Mais il sait que l’accident ne laissera pas son neveu indemne. Cependant, il a foi en l’avenir, il sait que Nicolas est un résilient. Il croit en sa capacité au bonheur. Il ne doute pas.

Deux jours plus tard, c’est au tour de sa tata Évelyne de frapper à la porte de sa chambre. Elle l’enlace, les larmes aux yeux : « Mon Dieu, mon pauvre petit. Tu t’en es sorti, c’est un vrai miracle ! Un ange gardien devait veiller sur toi. Tu as été très courageux et tu l’es aujourd’hui encore. Je suis fière de toi. »