Sur le turf - Crafty - E-Book

Sur le turf E-Book

Crafty

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "L'ensemble d'un spectacle se compose de deux éléments: la troupe qui l'exécute et le public qui y assiste. Comme corollaire de cet axiome, on peut ajouter que la valeur de chacune de ses parties est proportionnelle l'une à l'autre, et que le public est d'autant plus nombreux que la troupe est plus talentueuse; en un mot l'acteur a le public qu'il mérite..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

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EAN : 9782335086683

©Ligaran 2015

AU BARON FINOT,

MONSIEUR

Comme le bon père de famille qui attend un nouvel enfant, je me suis demandé, au moment de publier ce nouveau volume, quel était le parrain qui pourrait exercer sur son avenir la plus bienfaisante influence.

 

Votre nom, qui est certainement le plus populaire sur le Turf, m’est venu le premier à l’esprit.

 

Vous avez bien voulu me permettre de l’inscrire en tête de ce volume : c’est une faveur que j’apprécie à toute sa valeur, et dont je vous suis très cordialement reconnaissant.

CRAFTY.

Paris, novembre 1898.

Pendant la lutte finale
Au lecteur

Sur le turf, comme autrefois sur le pont d’Avignon, « tout le monde y passe, y passe. » Tout Paris et le Monde entier ! et rien ne paraît s’opposer à ce qu’on y danse en rond (l’espace est généralement suffisant) ; mais les résultats les plus habituels du pari mutuel ne sont pas assez régulièrement favorables pour provoquer chez la majorité des spectateurs de semblables manifestations d’allégresse.

 

Si tout le monde passe à un moment donné sur le Turf, peu y retournent, et un moins grand nombre encore y séjournent.

C’est un monde spécial composé de la façon la plus hétéroclite, mi-partie ultra select, grands propriétaires, oisifs opulents, véritables et demi mondaines superlativement élégantes, et mi-partie des déclassés de toutes espèces qui, sortis de leurs milieux naturels pour des motifs variés, se maintiennent miraculeusement dans le courant de la vie parisienne, grâce à une série de procédés aussi peu scrupuleux qu’aléatoires, parmi lesquels la poursuite acharnée et parfois la rencontre du Tuyau constitue une ressource très peu probable, mais possible, et à coup sûr très escomptée.

 

L’Encyclopédie la plus volumineuse serait insuffisante à enregistrer la foule qui encombre les hippodromes, et les monographies qu’on consacrerait à chaque catégorie d’habitués équivaudraient à la nomenclature de toutes les professions exercées dans la capitale. La revue des spécialistes, professionnels ou amateurs, peut être passée dans un cadre moins étendu, c’est la tâche que nous avons acceptée, et que nous allons nous efforcer d’accomplir le plus exactement et le plus complètement possible.

Décembre 1898.

Les courses

Considérations générales. – Les acteurs. – Leur recrutement. – Élevage et ventes publiques. – Propriétaires éleveurs et propriétaires acheteurs. – Les mécomptes de l’éleveur. – Ah ! c’est un métier difficile. – Établissements de vente. – Saint-James. – Le Tattersall. – Dressage. – Entraînement. – De l’importance des engagements.

L’ensemble d’un spectacle se compose de deux éléments : la troupe qui l’exécute et le public qui y assiste.

 

Comme corollaire de cet axiome, on peut ajouter que la valeur de chacune de ses parties est proportionnelle l’une à l’autre, et que le public est d’autant plus nombreux que la troupe est plus talentueuse ; en un mot l’acteur a le public qu’il mérite : la foule, s’il est éminent, – voyez Coquelin ! ! ! – le désert, s’il est nul ! – Ne nommons personne.

 

Ces vérités admises, le rôle des sociétés de courses est tout indiqué : fournir des allocations suffisantes pour attirer les compétiteurs les plus nombreux et les plus estimés ; et c’est ce qu’elles font toutes, poussées par la plus louable émulation.

Les considérables allocations fournies, il s’agit de trouver les chevaux dignes de les disputer : c’est la tâche des propriétaires d’écuries, et chacun d’eux s’efforce de mettre en ligne les concurrents qu’il croit capables, à tort ou à raison, de jouer les premiers rôles.

 

Tous poursuivent le même but : fournir le vainqueur des épreuves capitales ; mais, tandis que les uns cherchent à produire eux-mêmes les chevaux incomparables appelés à triompher dans les solennités du turf et accumulent les sacrifices pour améliorer leur élevage, d’autres, mieux avisés, si l’on en juge d’après les résultats obtenus pendant ces dernières années, se contentent d’acheter tout faits les animaux qui leur semblent les plus séduisants, ou qui, d’après leur origine, paraissent devoir réunir les qualités de vitesse ou de tenue nécessaires pour tenir la tête de leur génération.

L’examen des produits à la prairie

Les propriétaires qui ont adopté ce mode de recrutement ont deux façons de renouveler leur effectif.

 

Les réclamations sur les champs de courses et les achats en vente publique, à Saint-James (Chéri-Halbronn), à Neuilly (Tattersall) à des dates variables, et à Deauville, après la semaine des courses.

 

L’éleveur a certainement droit à une plus haute considération, au point de vue spécial des services rendus à la race chevaline, que le propriétaire qui se borne à acheter l’animal tout produit et cherche à confisquer à son profit les bénéfices que sa bonne conformation peut faire espérer ; le premier correspond, dans la hiérarchie commerciale, par exemple, au grand industriel qui construit des usines, crée un outillage onéreux, fait toutes les avances de fonds nécessaires pour fabriquer dans les conditions les plus favorables ; le second peut être assimilé au commerçant de détail qui ne risque rien au-delà de la valeur des marchandises qu’il se propose de revendre, simple intermédiaire entre le producteur et le consommateur.

Les enchères après la course

Malheureusement, quand l’objet fabriqué est un cheval pouvant, à la suite d’un certain nombre d’expériences publiques qui démontrent sa supériorité, prendre une valeur absolument impossible à prévoir non seulement au moment de sa naissance, mais encore pendant les premières phases de sa formation, il arrive souvent que ce n’est pas à son producteur que profite cette bienfaisante plus-value.

 

Quand l’éleveur ne fait pas courir, la déconvenue d’une pareille mésaventure n’existe pas pour lui ; l’excellence de ce cheval exceptionnel augmente la valeur de ses autres produits, et il rentre dans la catégorie de tout producteur dont la fabrication a reçu une récompense exceptionnelle, médaille d’honneur ou décoration.

 

Cela lui permet d’augmenter ses prix.

 

Si, au contraire, il est à la fois éleveur et turfiste, et que ce soit pour réduire son effectif qu’il a vendu le cheval hors ligne, quelle suite de désillusions et de regrets il s’est préparée en éliminant le meilleur spécimen de sa production !

À quel degré d’exaspération doit arriver un malheureux propriétaire constamment battu par son propre cheval, perpétuellement classé second derrière lui-même, et réduit à se contenter de la prime réservée à l’éleveur, alors qu’il n’aurait eu qu’à ne pas réformer son cheval pour toucher le montant du prix avec tous les accessoires y afférant !

Le comble de la guigne. – Être régulièrement battu par le cheval qu’on a élevé et volontairement réformé

Pour les chercheurs de combles, c’en est un tout trouvé : avoir élevé et vendu à un concurrent le cheval qui bat régulièrement dans toutes les épreuves importantes le cheval que vous lui avez préféré et que vous avez conservé en vertu d’une série de considérations plus judicieuses les unes que les autres sur la construction, les points de force, la profondeur de la poitrine, la largeur des articulations, la puissance des leviers, etc., etc.

 

Sic vos, non vobis, a dit le poète, c’est vous qui l’avez fait, mais c’est sous votre nez que passe la récompense.

 

C’est une des déceptions les plus douloureuses du métier d’éleveur, dans lequel elles sont cependant exceptionnellement nombreuses, poulinières vides, poulains mort-nés, épidémies, morts multipliées, accidents à l’herbage, etc., etc., toutes mésaventures qui ne diminuent aucun des frais généraux, qui seuls continuent à courir avec une persévérante vitesse.

 

Je sais bien que ceux dont le haras confine à leur habitation ont le plaisir de voir galoper sous leurs fenêtres leurs yearlings, et que rien ne donne à une prairie une plus joyeuse animation que les ébats d’un nombreux lot de poulains et de pouliches ; spectacle agréable, j’en conviens, mais combien plus coûteux que la loge la plus convoitée à la plus exceptionnelle des représentations théâtrales !

Achat de poulinières, prix des saillies, entretien des boxes, appointements du personnel, frais de voyages pour l’envoi des juments à l’étalon, nourriture, soins vétérinaires, etc., etc.

Le grand avantage d’une pareille entreprise est qu’elle absorbe tout le temps que son fortuné propriétaire pourrait consacrer à la dilapidation de ses capitaux par des moyens plus rapides : séjours prolongés à Monaco, par exemple, ou assiduités régulières auprès de nos plus réussies demi-mondaines.

APRÈS LA COURSE

– Ai-je assez bien fait d’acheter votre cheval !…

– Autant me dire que j’ai eu tort de vous le vendre !…

Quelques-uns mènent de front ces diverses occupations, obéissant à ce tempérament spécial de viveurs irrémédiablement destinés à devenir de prématurés décavés.

Il ne faudrait pas croire que, même affranchi des charges d’un élevage personnel, le métier de propriétaire soit un passe-temps économique à la portée de toutes les bourses.

– Pour se décaver plus rapidement qu’aux courses, il n’y a que la roulette ; et ce n’est pas toujours elle qui va le plus vite.

Pour être pratiqué, je ne dirai pas utilement mais seulement impunément, il demande une somme de qualités dont la réunion ne se rencontre pas fréquemment : une grande présence d’esprit, beaucoup d’activité, énormément de sang-froid, et assez de bon sens pour résister à la tendance que nous avons tous d’attribuer au cheval que nous possédons, fût-ce la plus médiocre des haridelles, toutes les qualités connues.

 

Les résultats obtenus par une écurie de courses à la fin d’une année tiennent souvent moins à la qualité de ses chevaux qu’à l’estimation que le propriétaire a su faire de sa cavalerie. Tout l’art des engagements est là, et tel qui s’est obstiné à faire inutilement courir à ses produits les grandes épreuves, aurait utilement employé les mêmes chevaux s’il avait consenti à les engager dans une société moins relevée.

L’animal vraiment supérieur est une exception, par conséquent une rareté sur laquelle il ne faut jamais compter.

 

Le talent est de savoir utiliser les sujets moyens, et, pour en tirer parti, il est indispensable de ne pas garder d’illusions sur leur véritable valeur, et savoir se résigner à les laisser gagner leur prix à réclamer, quand on les voit incapables de figurer à l’arrivée des grandes épreuves.

Tel brille au second rang qui s’éclipse au premier.

C’est la réflexion d’un sage, et plus d’un propriétaire aurait trouvé son compte à la faire graver sur le boxe de son élève favori, dont la carrière de crack manqué aurait pu, avec une moindre ambition, être utile à l’écurie et payer largement sa part d’avoine…

 

Il serait difficile de décider lequel des établissements de Saint-James ou de la route de la Révolte est le plus pittoresquement installé et le mieux approprié à sa destination.

 

Pour être impartial, il faut constater que tous deux sont également bien aménagés pour l’installation et la présentation des chevaux.

 

Le second est plus rapproché du centre, mais le chemin qui conduit au premier est plus agréable, et plus familier aux habitués des grandes ventes.

Il y a donc compensation.

Je crois, sans en être autrement sûr, que la succursale de l’établissement Chéri a été construite sur l’emplacement où l’étalon de feu Moreau-Chaslon, « le Petit Caporal », se livrait à ses saillies habituelles.

Spécialement en vue du but qu’il remplit, il est très bien conçu.

 

Les boxes, suffisamment nombreux, sont vastes, clairs, bien aérés.

On peut y examiner utilement les animaux.

Les dégagements sont larges, et les voies par lesquelles les chevaux sont amenés à la tente où les enchères ont lieu sont suffisamment ouvertes pour éviter l’encombrement et les accidents que les excès de gaieté des poulains pourraient amener dans un espace plus restreint.

C’est à la fois confortable et élégant.

Le Tattersall a trouvé toute faite son annexe de la route de la Révolte, construite pour les écuries de lord Seymour.

Piste en cercle abritée par des arbres déjà anciens, vastes pelouses, boxes nombreux, pavillon central pour le service administratif et le logement du directeur.

Tout y est, et il a suffi de dresser un hangar destiné à abriter les acheteurs les jours de vente pour que l’installation fût complète…

Le spectacle, quand quelque animal de valeur incontestée figure au programme, mérite qu’on s’y arrête et qu’on examine avec soin la composition de la chambrée.

Tout le monde sportif est là.

L’ÉTABLISSEMENT DE SAINT-JAMES

VENTE DE PUR-SANG.

Les journalistes spéciaux, la majorité des entraîneurs, tout un lot d’hommes d’écurie, jockeys, lads et garçons de voyage, puis tous les propriétaires ou leurs représentants chargés de pousser, en leur lieu et place, jusqu’à concurrence d’une somme déterminée à l’avance, à seule fin d’éviter l’emballement de la lutte, le cheval qu’ils ambitionnent d’ajouter à leur effectif.

 

Tous se sont installés sur les gradins, s’appliquant à se dissimuler dans des groupes insignifiants, composés de simples curieux, afin d’éviter le contact des spécialistes, dont les observations ou les conseils pourraient les influencer.

Les enchères commencent.

Le premier cheval présenté est généralement un personnage de peu d’importance, concurrent malheureux jusqu’alors, ou bon cheval éloigné du turf par un accident quelconque, plus ou moins bien raccommodé.

Le marteau réclame le silence : on fixe un prix.

« À mille francs, il y a marchand ». – Personne ne dit mot.

Le public a besoin d’être encouragé.

« Voyons, messieurs ! » Et une voix à la tribune donne à nouveau lecture du catalogue, appuyant sur l’origine, s’il s’agit d’un cheval inconnu, insistant sur le montant des sommes gagnées, s’il est question d’un revenant.

En amateur se déclare.

« Mille vingt francs, cinquante, soixante, quatre-vingts, onze cents. »

 

Les enchères montent, poussées plus ou moins activement, pendant qu’on se montre les capitalistes soupçonnés de vouloir acquérir le numéro sensationnel de la vacation.

« Ce petit gros là-bas en paletot mastic, c’est bien le comte de B… ?

– Pas du tout, le voilà là-bas, dépassant de tout le buste la masse du public.

– L’on m’avait bien dit qu’il avait un certain embonpoint, mais je ne le savais pas si grand.

– Vous aurez confondu avec son beau-frère, la circonférence dans sa plus grande pureté de ligne.

– Montrez-moi donc le propriétaire de Doge. C’est ce petit mince, n’est-ce pas ? avec un pince-nez, là-bas, à gauche de la tribune…

– Mais, pas du tout ! C’est M. V. P… que vous désignez. M. A… n’a pas tout à fait deux mètres, mais il ne s’en faut guère ; il est à droite, debout, en gris…

– Celui qui a les épaules en porte manteau ?

– Parfaitement.

– Est-ce que Mlle M. B… est ici ?

– Je ne la vois pas, madame sa mère non plus, mais je crois bien que son fondé de pouvoir est derrière la tribune…

– Qui est-ce ?

– Ce n’est pas moi qui vous le dirai…

– Cette forte brune là-bas, n’est-ce pas Mme R… i ?

– Pourquoi voulez-vous qu’elle soit brune ?

– Je pensais qu’une Italienne…

– Eh bien, vous vous mettiez simplement le doigt dans l’œil : d’abord, elle n’est pas là, et ensuite elle est blonde, mais blonde comme je vous en souhaite.

– Ça ne serait pas de refus…

– Quelqu’un que je voudrais bien voir, c’est M. J. de B… On m’a dit qu’il ne pontait jamais moins de cent mille, et qu’il gagnait toujours…

À LA SUCCURSALE DU TATTERSALL.– ROUTE DE LA RÉVOLTE

VENTE DE PUR-SANG.

– C’est parfaitement exact.

– Vraiment ?

– Seulement vous confondez avec le pari mutuel.

– Vous n’êtes pas sérieux.

– Pas quand on me récite des contes de fées… »

Cependant un grand silence se fait : on vient d’introduire le Crack, qu’on place de façon que sa silhouette se découpe sur la plinthe de la tribune. Toutes les têtes se penchent vers lui, dans un examen à la fois attentif et respectueux.

Lui paraît absolument indifférent à l’émotion qu’il produit.

Il arrive souvent que c’est précisément le moment où l’attention se concentre sur lui qu’il choisit pour lever la queue, écarter les jambes de derrière, et se vider consciencieusement.

On lit sur l’estrade la notice : « Rayon d’or Il, né en 189… par Fil de Soie et Escarboucle, son père gagnant de plus de deux cent mille francs d’argent public ; père de Luisant, de Voyeur, de Conquérant, de miss Henriett, de Bouton d’or, et de nombreux autres gagnants. Sa mère, fille de Tardigrade, importée d’Angleterre, gagnante de plusieurs prix à deux et trois ans, etc., etc. »

La lecture est terminée.

 

Un silence, et la voix reprend plus grave : « Nous avons marchand à vingt mille. »

Nouveau silence, un peu plus long et sensiblement plus profond, après lequel les enchères commencent.

« Vingt et un, cinq cents, deux mille, cinq cents, vingt-cinq mille, cinq cents, trente mille, cinq cents, trente, trente-cinq. » Les chiffres s’accumulent sans qu’aucun des enchérisseurs se fasse entendre.

Les crieurs seuls articulent le montant des sommes atteintes sans qu’il soit possible de voir à quels ordres ils obéissent.

 

La plus humble des professions exige, par le temps de civilisation raffinée où nous vivons, des qualités poussées à la perfection ; les aptitudes comme l’agriculture doivent, pour obtenir un résultat rémunérateur, recourir aux procédés intensifs, et le coup d’œil des Peaux-Rouges devient de la myopie si on le compare à celui des modestes salariés qui sont chargés d’énoncer à haute voix les mises consenties par des mouvements de physionomie imperceptibles à l’ensemble du public.

– Messieurs, nous avons marchand à vingt mille !…

« Quarante mille francs à gauche. » Aucun des spectateurs n’a perçu, malgré les plus grands efforts d’attention, le moindre signe ; pourtant l’enchère a été mise, et la preuve c’est qu’on adjuge.

 

En résumé, les moyens dont dispose un gentleman désireux de monter une écurie de course sont l’élevage, la réclamation, l’achat soit à l’amiable, soit en vente publique.

Une fois en possession d’une cavalerie suffisamment nombreuse, il ne lui reste plus qu’à trouver le moyen de l’employer utilement, et pour obtenir ce désirable résultat il lui faut exceller à la fois dans l’art délicat de la préparation et dans celui, non moins difficile, des engagements.

La préparation commence par le dressage, et se termine, pour employer le terme technique, par l’entraînement.

 

Les soins infinis, les précautions minutieuses à apporter dans la première partie de cette éducation dont le but est avant tout de familiariser le poulain, d’atténuer progressivement la crainte instinctive qu’il a de l’homme, ne sauraient être trop recommandés aux gens d’écurie chargés d’entrer les premiers en contact avec des animaux dont la sauvagerie résulte surtout d’une excessive pusillanimité.

C’est cette appréhension qu’il faudrait apaiser tout d’abord, et, malheureusement, les ignorants qui s’imaginent qu’il faut avant tout se faire craindre se rencontrent encore en trop grand nombre, et leurs brutalités laissent dans la mémoire des animaux qu’ils maltraitent un souvenir souvent ineffaçable.

On ne saurait trop répéter que le cheval est un animal essentiellement craintif, et que sa principale, pour ne pas dire sa seule qualité intellectuelle, est la mémoire.

Le cheval est un animal essentiellement craintif dont on n’acquiert la confiance qu’au prix d’une persévérante douceur.

Ces deux points admis, il est facile de concevoir que les violences subies sont le point de départ de toutes ses résistances, de toutes ses défenses, qui ne sont en réalité que des ripostes aux mauvais traitements dont il se souvient, ou des parades à ceux qu’il prévoit.

C’est certainement parce qu’il aimait et connaissait à fond les animaux que La Fontaine a dit : « Mieux vaut douceur que violence », car vis-à-vis des hommes, du moins pour certains, le second moyen est bien souvent le plus efficace.

Les propriétaires qui tiennent à ce que le caractère de leur cavalerie ne soit pas exaspéré, doivent donc surveiller avec une extrême sévérité leurs premiers rapports avec l’humanité.

Pour l’opération infiniment délicate qui consiste à prendre au moment du sevrage le poulain à la mère, ils ne doivent employer que des hommes d’une douceur et d’un courage éprouvés.

La violence chez les gens qui affrontent obligatoirement ou professionnellement un danger quelconque n’est bien souvent qu’une façon de dissimuler un trac intense, l’équivalent des chants que les poltrons profèrent la nuit pour ne pas entendre la chute des feuilles mortes et éviter le tressaillement maladif que leur cause le moindre bruit inexpliqué…

La mise du premier licol est une opération de la plus haute importance, dont la réussite ou l’insuccès peut influer de façon définitive sur toute la carrière d’un poulain : faite avec la patience nécessaire, après une série de caresses, de frôlements répétés autour des oreilles, de pressions légères sur le chanfrein et la ganache, elle aura donné assez de confiance au yearling pour qu’il ne redoute plus le contact de l’homme et n’oppose désormais aucune résistance quand il s’agira de lui faire porter un harnais plus compliqué ; brusquée, réussie par surprise, elle lui laissera au contraire une impression souvent bien difficile à faire oublier.

LE DRESSAGE DES YEARLINGS
LE DRESSAGE DES YEARLINGS
LE DRESSAGE DES YEARLINGS

Pour avoir voulu gagner quelques instants à la première tentative, on aura compromis l’ensemble du dressage, et l’embouchage donnera lieu à toute une série de résistances plus ou moins violentes suivant l’énergie de l’animal, qui se renouvelleront à chaque tentative nouvelle, quand il faudra le panser, le seller, etc.

La même patience, indispensable pour le dressage, sera tout aussi nécessaire pour la préparation matérielle du poulain.

 

L’entraînement consiste dans une série d’exercices dont le but est d’amener l’animal auquel on les impose au mieux de sa condition, à l’époque précise où il doit disputer les épreuves qu’on l’estime capable de remporter.

 

C’est un travail progressif qui doit être conduit avec prudence, car il faut éviter non seulement les accidents, mais jusqu’à l’apparence de la fatigue.

 

Toute interruption dans le travail est un recul, bien souvent irréparable : l’ensemble de l’entraînement est une progression qu’il faut obtenir sans arrêt, par accumulation d’efforts multipliés, mais avec une telle sagesse que le résultat acquis ne puisse pas être compromis.

 

Il faut que la santé générale reste, pendant toute cette période, à l’abri de toute fluctuation, que par conséquent il y ait équilibre parfait entre l’acquisition et la dépense des forces obtenues.

 

Un excès de travail anticipé, un galop trop prolongé ou trop vif, une suée donnée hors de propos, le plus léger refroidissement peuvent avoir des conséquences déplorables non seulement pour la préparation poursuivie dans un but déterminé, mais encore pour toute la carrière de l’animal imprudemment surmené.

 

Un effort prématuré, tenté avant qu’un accord complet se soit établi entre l’état des voies respiratoires et les forces musculaires, peut et doit amener des désordres souvent irréparables ; et, sans aller aussi loin dans les prévisions pessimistes, on peut affirmer que toute précipitation qui arrête l’entraînement nécessite une mise au repos d’une durée telle qu’elle coûte fatalement à l’imprudent la perte de toute une année.

L’entraînement interrompu ne peut pas être repris, et c’est toute une opération nouvelle à reprendre par le commencement, travail au pas, trotting, suées, purgations, etc. Tout ce qui a été fait est perdu, et bien perdu, puisqu’au lieu d’une augmentation des forces on n’a obtenu qu’une fatigue plus ou moins profonde, mais toujours très longue à réparer.

C’est à l’entraîneur qu’il appartient sans doute de régler le travail de chacun de ses pensionnaires, mais le propriétaire doit au moins se faire rendre compte de la marche adoptée, veiller par lui-même à ce qu’aucune imprudence ne soit commise, et que, sous le prétexte de hâter la mise en condition, on ne compromette pas par des efforts excessifs les résultats acquis.

 

Combien d’essais ont coûté la victoire à des chevaux qui avaient dépensé dans ces répétitions inutiles l’énergie emmagasinée qui leur aurait permis un effort décisif au moment de la lutte !

Les économies se retrouvent toujours, affirme la sagesse bourgeoise.

 

C’est aussi vrai pour les forces physiques que pour les valeurs accumulées, et ce sont bien souvent les économies faites pendant l’entraînement qui permettent les dépenses excessives de certaines fins de courses.

 

Admettons que les efforts combinés du propriétaire et de l’entraîneur aient amené au mieux de sa condition le cheval qu’ils veulent faire courir : s’ils n’ont pas de sa valeur une juste appréciation, tout le mal qu’ils se sont donné ne produira aucun résultat, car, pour gagner une course, il ne suffit pas de bien faire un parcours, il faut le faire mieux que les autres, et, si vous engagez dans une société qui lui est supérieure l’animal le mieux préparé, vous pouvez vous attendre à le voir atteindre le poteau à distance respectueuse de ses concurrents.

 

Qu’un père de famille s’illusionne sur la beauté, les qualités morales et l’intelligence de son héritier, il n’y a que demi-mal ; il en sera quitte, au moment des examens, pour maudire la sévérité des professeurs qui lui renverront, sans aucun diplôme, l’objet de son admiration paternelle, et son opinion sur la valeur de son produit pourra demeurer aussi favorable sans qu’il en résulte un bien grand dommage pour ses intérêts.

Il n’en sera pas de même pour le propriétaire qui persisterait dans ses illusions : les frais courent, le montant des engagements, le prix des montes s’accumulent, et la carte à payer s’élève rapidement à un total d’autant plus douloureux à solder, que l’on a espéré un résultat diamétralement opposé.

Ajoutons que, la plupart du temps, on aurait pu l’atteindre si l’on avait eu de moindres ambitions.

Connais-toi toi-même ! a dit le sage.

Connais ton cheval, dirai-je aux propriétaires, et je crois que je leur aurai donné un bon conseil.

 
Examen mutuel
Le chapitre des paris

Quel serait le véritable conseil à donner en matière de paris ? – Serait-il suivi ? – Du jeu en général. – Systèmes variés. – Tous sont bons ! – Tous sont mauvais !

Le vrai conseil serait de ne jamais parier ; mais, comme il ne serait certainement suivi que par une infime minorité, je pense qu’il est plus qu’inutile de développer les raisons tendant à démontrer que c’est le meilleur parti auquel un homme à la fois avisé et prudent doive s’arrêter : le malheur est que l’amour du jeu est encore plus répandu qu’on ne croit, et beaucoup en sont possédés qui fulminent le plus énergiquement contre lui.

 

Combien de gens ne se croient pas joueurs qui succombent à la première tentation !

 

Les bonneteurs le savent bien, et ce n’est certes pas parmi les habitués des tripots qu’ils vont chercher leurs victimes : il leur faut des clients plus naïfs, et, comme leur expérience les a convaincus que le joueur existe à l’état latent chez la plupart des humains, il leur suffit de choisir de bonnes figures émergeant de vêtements assez cossus pour leur faire supposer qu’ils renferment des porte-monnaie et des portefeuilles abondamment approvisionnés.

Que sont, au surplus, les souscripteurs des valeurs à lots, sinon des joueurs qui s’ignorent ?

Qu’est l’appât du jeu ? L’espoir d’un gain facile, rapide et considérable ! Il faut avouer que c’est bien tentant, et ne pas s’étonner que tant de gens n’y résistent pas.