Survivez vous êtes filmés - Julien Charreyron - E-Book

Survivez vous êtes filmés E-Book

Julien Charreyron

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Beschreibung

Parviendrez-vous à survivre à l'expérience Celebrity Survivor ?

Bienvenue à Celebrity Survivor ! Une émission aux moyens colossaux mélangeant téléréalité et jeu de survie. Dylan Chaplet, journaliste aussi arrogant que talentueux et sa partenaire au caractère de feu, Rose Gilian, pensaient s’offrir un voyage tranquille pour couvrir l’événement. Mais entre agressions et menaces, les deux compères vont devoir chercher qui se cache derrière ce jeu macabre. Sur une île isolée truffée de caméras, comment se cacher et enquêter sans craindre d’être la prochaine victime ?

Laissez-vous emporter par le tourbillon infernal de ce jeu macabre sur une île coupée du monde, dans ce thriller sombre et inquiétant !

EXTRAIT

— Si tu es aussi loquace, tu vas pouvoir plutôt faire toi-même un bond dans le temps et me dire ce qui te lie si étroitement à Corinne Delacour.
Celle-là, je dois avouer que je ne l’avais pas vu venir. Elle profite de la situation plutôt inconfortable où je me trouve pour revenir à la charge quand je m’y attends le moins. La connaissant, il y a peu de chance qu’elle abandonne avant d’avoir eu sa réponse. Je vais néanmoins essayer de résister, mais je sais que mes chances sont minces. Rose avait décidé de parler avec une extrême douceur, évitant de me faire paniquer encore plus.
Elle garda son calme tout le long de notre discussion, montrant juste sa détermination à ne pas abandonner avant d’avoir obtenu satisfaction.
J’essayais de la supplier, en vain.
— Crois-tu franchement que revenir maintenant sur ce sujet est primordial?
— Oui, en effet.
— Rose, s’il te plaît.
— Non, je ne lâcherai pas. Je suis désolée, j’ai besoin de savoir. Comme tu le sais, nous avons été attaqués deux fois déjà par un inconnu ayant une grande maîtrise des armes à feu. Corinne fait partie des potentiels suspects, et c’est même la seule personne sur cette liste actuellement.
— Ce n’est pas elle.
— Et, en effet, tu la défends aveuglément sans plus de précision. À croire qu’elle t’a ensorcelé !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Drômois de naissance et ardéchois d’adoption, Julien Charreyron nous livre son deuxième roman. Passionné de lecture et de musique metal, ses textes collent à son univers de prédilection : pesants et oppressants parfois, joyeux et délurés par moment… Violents et surprenants toujours !

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SURVIVEZ, VOUS ÊTES FILMÉS

Roman polar

 

Écrit par Julien CHARREYRON

 

 

 

Thriller

Éditions « Arts En Mots »

Illustration graphique : Siby Jean-Paul

 

1.

 

Après une magnifique journée d’été, le soleil se couche sur la capitale. Les rues s’agitent progressivement, sous les yeux attentifs de quelques touristes cherchant leur chemin et de passants voulant profiter encore des derniers rayons de soleil. S’engouffrant dans le cortège continu semblant infini, des personnes sortent de leur travail pour rentrer chez elles, énervées ou épuisées par la longue journée de dur labeur. Certaines se consolent en s’asseyant à une terrasse de café, contemplant le défilé de voitures se succédant devant elles, klaxonnant et s’invectivant de toute part, cherchant à se frayer un passage pour rentrer quelques secondes plus tôt dans la douceur apaisante de leur foyer. L’ambiance est festive en ce vendredi soir, les gens se préparant à un week-end de décontraction, deux jours salvateurs pour décompresser. Des bandes d’étudiants défilent, joyeux, prêts à s’amuser dans cette ville qui ne dort jamais. Le bruit des voitures disparaît peu à peu au profit des rires et des tintements des verres de clients trinquant à ce repos bien mérité.

Pourtant, au milieu de cette douce folie ambiante, un homme surgit au coin d’une rue, visiblement préoccupé. Ne se souciant absolument pas des gens s’affairant déjà à oublier tous leurs tracas accumulés ces cinq derniers jours, Thierry Degondo marche d’un pas pressé, le regard dans le vague. Il a enfin réussi à obtenir un rendez-vous avec la directrice de la maison de production où il travaille et il a hâte de pouvoir exposer ses craintes envers le prochain projet faramineux de cette dernière. Un jeu, moitié télé-réalité, moitié aventure de l’extrême. Si l’idée lui semble bonne, quelque chose dans ce projet cloche. Il en est convaincu et sa conscience professionnelle lui impose de prévenir sa supérieure hiérarchique. Il le doit à cet employeur qui croit tellement en lui. Il a même été débauché de l’entreprise Sidrat après que cette dernière ait été vendue par la famille Foreman. Très proche du patron d’alors, la mise en examen du dirigeant avait été un choc pour lui. Il avait tenté tant bien que mal de faire abstraction de tous les changements au sein de la direction, mais au fil du temps, il dut se rendre à l’évidence et le constat était sans appel : il ne se sentait plus heureux dans son travail de directeur financier.

Si seulement ce satané journaliste ne l’avait pas piégé, Patrick Foreman ne serait pas en prison et Thierry Degondo siègerait encore dans son bureau qu’il aimait tant, luxueux et confortable.

Il ne se plaignait pas, son nouvel employeur avait mis les moyens pour le débaucher avec une offre qu’il n’aurait en aucun cas pu refuser. Tout s’était toujours très bien passé pour lui depuis le premier jour, mais cette nouvelle émission, il ne la sentait pas, dès l’annonce du projet par la patronne. Plus le temps passait, plus cette entreprise pharaonique l’inquiétait. Il arriva devant la porte d’entrée des bureaux. Il ne restait plus beaucoup de monde, chose normale pour un vendredi soir. Il vint se présenter à l’assistant de sa chef, expliquant qu’il était attendu. Ce dernier, après avoir pris confirmation au téléphone, lui sourit et lui indiqua poliment la démarche à suivre.

— Vous pouvez y aller, elle vous attend. Voulez-vous que je prenne votre veste ?

— Euh oui, merci.

Il se dirigea ensuite vers la porte de l’antre de la directrice, frappa, puis entra après avoir entendu la voix rauque qu’il connaissait si bien lui intimant de s’approcher.

— Mademoiselle Lebosc, merci de me recevoir si vite.

— Je vous en prie monsieur Degondo, asseyez-vous. Vous aviez l’air si inquiet, je ne pouvais pas attendre. Voulez-vous boire quelque chose ?

— Non merci, je préfère en venir au fait.

Elle sourit.

Elle avait toujours apprécié cet homme. Simple, direct, il n’aimait pas les protocoles et priorisait constamment le fond à la forme. Il frottait ses mains énergiquement et secouait nerveusement ses jambes. Ce qu’il avait à dire lui tenait à cœur. Elle fixa le petit homme trapu, chauve, avec de grosses lunettes rondes, face à elle. Son costume un peu trop grand pour lui ne faisait que le rétrécir davantage, lui qui ne dépassait pas le mètre soixante.

— Je vous écoute.

— C’est à propos de notre nouveau jeu télévisé qui doit commencer dans quelques jours.

— Je m’en étais doutée.

Il leva les yeux vers elle. La voyant toujours souriante, il se racla la gorge, essuya ses lunettes sur le dos de sa cravate bleu clair, cherchant à bien argumenter ses révélations.

— Je sais que ce programme vous tient à cœur. Vous y travaillez depuis longtemps, mais je ne peux m’empêcher de vous avertir.

— M’avertir de quoi monsieur Degondo ?

Il soupira, ne trouvant pas de meilleure façon de formuler sa pensée.

— Je crains que ce jeu soit un véritable gouffre financier.

Surprise, mademoiselle Lebosc écarquilla les yeux, sans reprendre la parole. Après quelques secondes d’hésitation, Thierry s’expliqua.

— Les sommes dépensées pour la réalisation du camp de base sur cette île me paraissaient déjà exorbitantes. À cela sont venus s’ajouter les frais en tout genre, les salaires de l’ensemble du personnel présent là-bas, les cachets des célébrités qui sont relativement élevés…

— Nous étions obligés de mettre les moyens sinon nous n’aurions eu personne.

— J’entends bien, mais je me dois de me placer en tant qu’avocat du diable... Vous avez décidé de payer, non seulement l’avion, mais aussi l’hélicoptère à tous les journalistes venant couvrir l’événement ! En restant dans le factuel, si je me réfère simplement aux frais déjà effectués et à venir, je ne vois pas comment le jeu pourrait être rentable, même s’il est un succès énorme.

Il n’y eut plus un bruit. Tiffany Lebosc réfléchissait à ce qu’elle venait d’entendre. Les craintes affichées par son collaborateur semblaient la laisser perplexe. Elle parla alors d’un ton qu’elle voulait rassurant, en prenant bien soin de ne pas lever la voix.

— Avez-vous exprimé ces craintes à d’autres membres de la direction ?

— Non évidemment ! Je voulais vous avertir en premier lieu.

— Vous avez eu raison.

Elle s’approcha de lui doucement, puis mis une main sur son épaule. Elle tenait quelque chose dans son autre main que Thierry n’arrivait pas à voir.

— Rassurez-vous, ces craintes ne seront bientôt qu’un lointain souvenir pour vous, je peux vous le garantir.

Elle sortit alors de derrière elle l’objet en question. Elle le posa devant son employé qui hésita à s’approcher, surpris.

— C’est l’acte de propriété de l’île. Comme vous le voyez, bon nombre de frais n’ont pas été ponctionnés sur le compte de l’entreprise. L’exemple le plus significatif, c’est l’île que j’ai achetée à mon nom, et pas avec les finances de Davros Inc. Pareil pour l’avion et les hélicoptères. Je paye de ma poche.

— Pourtant, je suis persuadé d’avoir vu une dépense colossale pour cette île.

— Il est vrai que je l’ai d’abord acquise au nom de la société. La transaction était plus facile à conclure en tant que professionnel. Par la suite, j’ai travaillé en collaboration avec les avocats, afin de récupérer la propriété en mon nom propre, tout en réinvestissant dans la société. De facto, l’île est à moi et la société a récupéré son argent, au centime prêt ! Regardez par vous-même.

Elle lui tendit alors un ordre de virement.

Thierry paraissait perdu.

— Pourquoi ce rôle de mécène ?

Tiffany rigola doucement. Dès le début de sa nouvelle carrière professionnelle il avait apprécié le caractère et les idées novatrices de la femme à qui il faisait face. La quarantaine, les cheveux rouges, elle prenait toujours grand soin de son apparence. Thierry supposait qu’elle avait dû avoir recours à la chirurgie esthétique, le temps n’ayant eu aucune emprise sur elle. Pas de ride, pas de défaut visible, un nez un peu trop parfait pour être naturel, tout comme ses lèvres pulpeuses, la jolie femme haïssait l’échec et n’acceptait pas l’erreur, même minime.

Les immenses réussites se forgent dans les infimes détails.

Son haut de grande marque rouge vif et son tailleur impeccable d’un noir immaculé étaient là pour le rappeler. Cette quête constante de la perfection expliquait peut-être qu’elle ne soit toujours pas mariée. Difficile de trouver la perle rare avec tant d’exigences.

Mais cela ne la dérangeait pas, bien au contraire. Le meilleur exemple était son obstination à se faire appeler mademoiselle, et pas madame.

Toujours amusée, elle reprit comme un professeur expliquant un détail incompris à un élève.

— Pour le profit, voyons ! Si le jeu marche, et j’en suis persuadée, le site prendra de la valeur et j’en bénéficierai ! Location pour d’autres épisodes ou d’autres émissions, voire même une vente…les idées ne manquent pas !

Thierry hochait la tête, comprenant les intentions de sa patronne.

— Vous auriez pu me mettre dans la confidence, je ne vous aurais pas dérangée.

— Disons que ces transactions, si elles sont légales, ne plaisent pas à tout le monde. Je souhaitais ardemment que les démarches restent strictement confidentielles.

— Je comprends.

Le directeur financier, rassuré, se leva. Il se permit même un léger sourire à l’attention de sa responsable.

— Je ne vous embêterai pas plus longtemps. Je vous remercie de m’avoir reçu. Bonne soirée mademoiselle Lebosc.

— Bonne soirée à vous aussi.

L’entretien l’ayant rassuré, il s’en alla d’un pas bien moins pressé, bien plus léger. Il enfila sa veste, et ressortit tranquillement, en prenant cette fois grand plaisir à regarder les fêtards tout autour de lui, s’amusant, rigolant, prêts à se divertir jusqu’aux aurores.

Il pensa alors à ce qu’il allait bien pouvoir faire ce soir. Inviterait-il des amis ou resterait-il seul, telle était la question. Il repassa par la petite ruelle proche de ses bureaux. L’odeur en ce lieu y était très souvent nauséabonde, mais cela lui faisait gagner quelques précieuses minutes.

— Excusez-moi monsieur, où se trouve la bouche de métro la plus proche ?

Surpris dans ses pensées, Thierry se retourna pour répondre à la personne le suivant.

Il eut le souffle coupé, la surprise s’affichant sur son visage rougi par le manque d’oxygène.

Il baissa les yeux, fixant intensément la lame de couteau enfoncée dans son ventre bedonnant et les doigts gantés le tenant fermement. Son agresseur mit alors sa main libre sur sa bouche, l’empêchant de crier de douleur ou même d’appeler à l’aide. Il lui chuchota à l’oreille d’une voix froide, sans aucun remord, comme s’il lui avait dit quelques banalités d’usage.

— Ce n’est pas contre toi, tu n’y es pour rien. Dis-toi que tu fais partie d’un plan bien plus important pour détruire une personne qui ne mérite pas de vivre.

Puis il sortit la lame d’un coup sec et frappa à nouveau. Encore et encore, d’un geste sûr et frénétique, visant le ventre le thorax, le cœur. La douleur était tellement intense et continue que le pauvre comptable avait l’impression de ne plus rien ressentir. Il assistait impuissant à sa mise à mort, le vidant de ses dernières forces. Il était seul face à sa douleur et à son agresseur, les dents serrées, répétant à en perdre haleine « Je te hais ! Je te hais ! Tu es le prochain ! Je te détruirai de la même façon ! ».

Thierry Degondo comprit alors qu’il n’était qu’une vulgaire poupée vaudou pour un mauvais sorcier, déversant sur lui un torrent de rage qui ne lui était pas destiné. Toute cette violence inutile s’adressait à un autre homme, un crime passionnel par procuration.

Puis son esprit, en même temps que ses yeux, se troubla. Il n’avait presque plus conscience de ce qu’il se passait. Au mieux comprenait-il que les coups qu’il recevait par dizaine le vidaient de son sang, qui atterrissait sur ses lunettes par giclées, à chaque fois que son assassin, avec sa lame froide et parfaitement aiguisée, lui infligeait un nouvel impact sur sa peau déjà bien trop endolorie.

Des frissons traversèrent son corps quand il comprit que sa vie allait s’achever en même temps qu’il apercevait avec effroi quelques morceaux de chair s’extirpant des trous béants apparaissant un peu partout sur lui, s’envolant à chaque fois que le couteau lui laissait quelques secondes de répit, avant de tomber à ses pieds ou sur le bras diabolique de la personne qui s’acharnait sur lui. Il pouvait entendre la respiration saccadée de celui-ci, qui ne lésinait pas sur ses efforts pour enfoncer cette pointe mortelle en acier jusqu’au manche, à chaque nouvelle attaque qu’il lançait.

Il cessa finalement ce défouloir au moment où Thierry s’écroula au sol, la vie le quittant petit à petit. Il put apercevoir le sang froid avec lequel l’inconnu le laissait à son funeste destin, tout en essuyant calmement la lame rouge vif sur la manche de son pull noir, comme pour effacer les douleurs qu’il venait d’infliger et qui auraient dû le hanter. Le pauvre comptable ne ressentit pourtant aucun remord.

Le bourreau attendait patiemment face à sa victime, dont la respiration ressemblait plus maintenant à un râle douloureux, sa gorge étant obstruée par le sang qui s’échappait lentement de son corps, en même temps que ses espoirs et son âme, qu’il ressentait curieusement apaisée maintenant qu’elle acceptait le départ pour ce dernier voyage vers l’au-delà.

Il aurait tout de même voulu comprendre, savoir pourquoi lui, lui qui n’avait jamais rien fait d’incroyablement mauvais. Il ne méritait pas de mourir dans cette sombre ruelle malodorante, seul, loin de tout, sa chair souillant le sol, maculé d’hémoglobine.

Il sentit ses dernières forces s’envoler, une larme coulant sur son visage collé contre le bitume encore chaud après cette belle journée estivale. Ses yeux se fermèrent avec comme dernière vision, le pied de son agresseur baignant dans une immense flaque de sang, qui irriguait encore ses veines il y a seulement quelques minutes.

C’était pourtant une belle journée d’été.

2.

 

Je m’appelle Dylan Chaplet.

 

Pour ceux qui n’ont pas encore la chance de me connaître, je suis, en toute modestie, un des meilleurs journalistes de ma génération. Mes capacités de déduction m’amènent presque toujours aux bonnes conclusions, aussi surprenantes et inconcevables soient-elles pour certains de mes contemporains.

 

Si je dis seulement « presque toujours », ce n’est pas sans raison.

La dernière enquête que j’ai menée m’a conduit sur les traces de ma plus grande erreur professionnelle. Une affaire où, excessivement sûr de moi, j’ai tiré des conclusions beaucoup trop hâtives, ce qui m’a valu de perdre ma notoriété, mon travail, ma famille…ma vie.

 

Bien aidé par Rose Gilian, une jeune et talentueuse journaliste au tempérament de feu, je suis reparti au combat. Évidemment, nous avons triomphé, mais la victoire a eu un goût particulièrement amer pour moi.

 

Comment l’expliquer ? J’ai mis douze ans à tout récupérer…enfin quasiment tout. Le plus important, la prunelle de mes yeux, ma femme et ma fille, je ne pourrai jamais les retrouver.

 

Pas dans cette vie en tout cas.

 

Elles sont mortes dans un accident de voiture peu après le début de ma lente descente aux enfers.

Mais cette affaire qui m’a si longtemps hanté, une affaire d’agression incroyablement barbare à caractère satanique, m’a permis de retrouver celui qui avait commis pareille monstruosité. Il a tenté de se faire passer pour un fanatique de musique metal assoiffé de sang. Mais ma jeune partenaire, grande admiratrice de ce son paraissant si violent de prime abord, m’a été d’une aide précieuse pour dénicher quelques incohérences qui nous ont conduits vers le tueur, mon meilleur ennemi, un des plus puissants hommes d’affaires du pays.

Il s’avéra en effet que ce denier était également le responsable de la mort de mes deux amours. Un simple sentiment de vengeance à mon égard, voilà à quoi tient une vie. Deux existences auxquelles il mit fin. Trois si l’on rajoute la mienne. Bien plus encore si l’on prend en compte ce que j’ai réussi à découvrir.

Ce cinglé avait tabassé sa sœur afin qu’elle ne dévoile pas ses plus sombres secrets qui auraient pu mettre en péril toute sa carrière qu’il avait construite sur une image parfaite de lui. Il avait fait accuser le petit ami de cette pauvre fille, puis il a brisé ma carrière et ma réputation (immense, au demeurant) quand j’ai un peu écorné leur nom de famille et s’est assuré que je ne me remettrais jamais de tout cela en provoquant un accident de la route, fatal pour ma famille. Il a presque réussi, mais c’était mal me connaître d’imaginer un seul instant que je m’arrêterais sur un échec aussi cuisant.

À la vue de toutes ces atrocités, vous pensez certainement que cela fait déjà beaucoup pour un seul homme, mais pas assez pour lui. Il a ensuite tué son meilleur ami douze ans plus tard, l’unique être vivant au courant de ses petits travers et informé que sa sœur n’était plus dans le coma, mais hospitalisée et amnésique. Ce dernier le faisait chanter depuis toutes ces années et il a organisé patiemment son exécution afin de laisser le moins possible d’indices sur sa route macabre.

Pour achever son œuvre, il a ensuite tenté de faire taire bon nombre de témoins, essayant même au passage de nous exécuter, ma partenaire et moi. Mais nous avons été plus forts que lui, et justice a été rendue, même si sa famille a toujours eu du mal à accepter la vérité. Enfin, sauf sa sœur et son frère, qu’il a aussi essayé de tuer. Il faut avouer qu’il est plus facile de ne pas idolâtrer un proche si vous avez été dans son viseur et en ayant évité la mort de peu. Enfin pour résumer en un mot comme en cent, que peut-on dire sur ce monstre ? Une charmante personne que ce Patrick Foreman.

Cet immonde déchet de la société dort aujourd’hui derrière les barreaux d’une cellule et j’espère que ses compagnons de détention s’occuperont bien de lui.

 

Tout s’est ensuite enchaîné à une vitesse exponentielle. En ayant découvert le fin mot de l’histoire, comme par magie, sans avoir pu réellement comprendre ce qu’il m’arrivait, je suis donc redevenu celui que j’aurais toujours dû être : le meilleur.

On m’appelait sur des reportages pour divers médias, des interviews afin d’essayer de comprendre certaines affaires compliquées, ou simplement dans le but de donner mon avis sur tel ou tel phénomène de société… Mon Dieu, quelle horreur de devoir parler des émissions d’aujourd’hui ! Tous ces imbéciles acceptant d’être filmés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l’espoir d’acquérir un peu de notoriété sans comprendre qu’ils passaient pour de sombres idiots et qu’on les jetterait à la poubelle dès qu’ils n’intéresseraient plus le public avide de viande fraîche !

Faire des débats avec ces personnes était aussi intéressant pour moi que de parler de physique quantique à un poulpe : rigolo deux secondes avant d’avoir la certitude de perdre son temps face à un auditoire incapable de comprendre un traître mot.

Passé le plaisir de retrouver ma place au sommet que je n’aurais jamais dû perdre, j’ai rapidement commencé à me sentir ampli d’un vide sidéral. Le plaisir d’être réputé, respecté et écouté ne me satisfaisait plus.

 

Je pensais que le fait de trouver le responsable de la destruction de mon univers me soulagerait, au moins un peu. J’imaginais que comprendre ce qu’il s’était réellement passé, de mettre un visage sur mon chagrin me permettrait d’avancer. Évidemment, je ne serai jamais capable de tourner la page, encore moins de la déchirer. J’espérais au moins être capable de la garder gravée en moi, tout en continuant à écrire la suite de mon existence, influencé par ce pan de mon existence qui ne disparaîtrait jamais et qui influerait à jamais sur mes choix, sur ma destinée.

Certainement pas de tirer un trait sur ce passé qui me manque tant et qui me hante jour après jour, mais au moins de me permettre de regarder vers l’avant, en sachant que ma famille pouvait trouver le repos éternel qu’elle méritait tant, même s’il est arrivé bien trop tôt. Mais il n’en fut rien.

 

J’ai tenté de me changer les idées. Une année sabbatique, bientôt deux. De multiples voyages tout autour de la planète à la découverte de nouvelles cultures, de nouveaux peuples. À la recherche sempiternelle de nouveauté, à se fixer des objectifs afin d’oublier le vide en mon for intérieur.

Le dépaysement comme thérapie.

Tant de rencontres et de connaissances aussi inattendues que magiques qui, je dois l’avouer, n’y ont rien fait. Je me sens toujours comme une coquille vide, dépourvu d’ambition ou même de but dans ce qu’il me reste à vivre. À quoi bon être vu comme une référence aux yeux de tous si on ne peut partager une telle reconnaissance avec personne ?

 

Pourtant, bien malgré moi, je vais être une nouvelle fois au centre de l’attention au cours de cette histoire.

Cette histoire qui va me ramener au cœur de ces mystères que j’aimais tant élucider.

Cette histoire qui va montrer à quel point je suis un génie.

Cette histoire qui va me permettre de mettre en avant mes facultés intellectuelles hors du commun.

Cette histoire qui va me faire revivre intensément mon passé, dans les bons comme les mauvais moments.

Cette histoire, qui va raconter la fin de ma vie.

3.

 

Deux ans.

 

Deux ans à attendre ce moment délicieux. Tout a été pensé, anticipé, préparé, calculé. Rien n’a été laissé au hasard. Après des mois passés à imaginer inlassablement tous les cas de figure possible, toutes les probabilités, il fallait se rendre à l’évidence : il n’y avait aucune échappatoire possible.

Sa proie s’avancerait lentement et innocemment, inconsciente du piège qui se refermera inéluctablement sur elle.

Sa vengeance serait enfin là, après tant d’effort et d’épreuves.

Tuer sa proie, la regarder droit dans les yeux, lui faire comprendre sa suprématie sur le plan intellectuel, tel serait son plaisir ultime.

Son rire à gorge déployée fit trembler les murs, jusqu’à se transformer en une sorte de cri de rage à la vue de la photo de sa victime trônant sur la table basse lui faisant face. Un article de journal le mettant à l’honneur. Son regard se durcit, des flammes emplissant ses pupilles.

 

Je te hais. Tu es déjà mort à mes yeux.

 

Cet empêcheur de tourner en rond. Tant de soucis par le passé, par sa seule et unique faute. Dire qu’il ne savait même pas à quel point il l’avait fait souffrir !

Mais ce temps était révolu, sa soif de vengeance bientôt épanchée. La conséquence évidente : un maximum de douleur pour qu’il n’oublie pas son bourreau, même dans l’au-delà.

À côté, les dizaines de coups de couteau infligés au petit gros au cœur de cette petite ruelle sombre ressembleraient à de douces caresses. Cet imbécile en costard cravate avait eu le malheur de connaître son ennemi. Même si lui non plus ne l’aimait pas, son exécution était inéluctable.

Je devais le faire, c’était la première pierre du plan pour t’atteindre.

Ce meurtre, où toutes les preuves avaient été soigneusement maquillées pour faire accuser l’objet de sa haine. Pas la chose la plus simple à réaliser, mais le jeu en valait la chandelle. De plus, cet homme n’avait pas été choisi au hasard : peu d’amis proches, une famille habitant assez loin, personne ou presque ne s’inquiéterait de son sort avant quelques jours. Il avait juste fallu cacher ce cadavre et attendre patiemment le bon moment pour le faire sortir du placard. Le timing était parfait, la police ne serait sans doute pas avertie de sa disparition, avant de pouvoir abattre cette carte macabre. Grâce à cela, tuer sa proie et salir son honneur par la même occasion serait un jeu d’enfant. Encore une idée de génie !

Ses jambes s’actionnèrent d’elles-mêmes pour s’extirper du canapé après ce long moment de réflexion. Son regard fixé sur le mur en face, les mains croisées, si fortement serrées que ses doigts avaient commencé à s’engourdir.

 

C’était le moment ou jamais de fêter la mise en action de son plan machiavélique. Voilà pourquoi ses pieds l’emmenèrent d’un pas décidé vers le minibar pour se servir un whisky avalé d’un trait, avant de se resservir, une fois, puis deux.

 

Je suis prêt.

Tel un mantra, la phrase résonnait dans son cerveau, qui actionna sa main, serrant son verre de toutes ses forces sous la rage qui couvait en son for intérieur.

 

Demain serait le grand jour tant attendu. Le début de l’aventure qui allait l’amener à son unique objectif : la mort de son ennemi.

4.

 

Le téléphone sonna. Huit heures du matin…ce ne pouvait être que le boulot. Rose Gilian se dirigea vers le téléphone en poussant un soupir de désespoir. Que pouvait-il se passer de si important pour qu’on la dérange une nouvelle fois ?

— Bonjour mademoiselle Gilian. Désolé de vous importuner pendant vos vacances.

Rose rit intérieurement. C’était la troisième fois de la semaine qu’il lui sortait cette phrase d’excuse toujours aussi peu convaincante. Elle prit soin de ne pas relever ce fait et répondit d’un ton le plus naturel possible.

— Vous ne me dérangez pas, monsieur Alonzo. Comment allez-vous depuis avant-hier ?

Sans le vouloir, elle s’amusa tout de même à lui rappeler qu’elle ne serait pas contre quelques jours de tranquillité, sans entendre la voix dure et grave de son patron. Ce dernier riota en comprenant la demande indirecte de sa brillante employée.

— Il est vrai que je ne vous laisse pas beaucoup de répit ces derniers jours. Que voulez-vous ? Vous vous êtes rendue indispensable ici.

Rose s’esclaffa.

— Vous devez avoir quelque chose de très important à me demander pour me faire un si beau compliment de bon matin.

— En effet.

Monsieur Alonzo avait tout de suite repris son sérieux habituel ce qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : une enquête très importante attendait Rose dans les jours à venir.

— Je vous écoute patron, de quoi s’agit-il ?

— C’est une demande un peu particulière, une enquête toute simple, que je ne peux confier qu’à vous seule.

 

Cette phrase énigmatique réveilla la curiosité innée de Rose, ce trait de caractère qui l’avait poussée à embrasser la carrière de journaliste. En quoi une enquête simple ne peut être confiée qu’à moi seule ? pensa-t-elle. Il y a tellement de bons journalistes au sein de la rédaction qui n’attendait qu’une chance de faire leurs preuves ! Rose ne résista pas à l’envie d’en savoir plus.

— Si c’est une enquête si simple, comment pourrais-je être la seule personne apte à répondre à vos attentes.

Monsieur Alonzo marqua un temps d’arrêt, comme cherchant les mots pour expliquer son raisonnement de la meilleure façon possible. Il reprit d’un ton calme et posé, comme s’il cherchait à convaincre son employée tout en la rassurant quant à la teneur de la mission qu’il souhaitait lui confier.

— Avez-vous entendu parler de la future émission phare de la première chaîne de télévision du pays ?

La réponse de son chef prit Rose totalement au dépourvu. Bien sûr elle avait entendu parler de ce gros projet. D’une part, elle était en vacances et profitait de son temps libre pour lézarder sur son canapé, ses yeux suivant distraitement ce qu’il se passait sur le magnifique écran collé au mur de la chambre de l’appartement qu’elle avait loué au bord de la mer. De plus, elle était une journaliste qui avait la fâcheuse habitude de vouloir être au courant de tout ce qui se passait autour d’elle. Mais elle savait que son patron n’attendait pas une simple réponse par l’affirmative ou la négative. Elle se remémora tout ce qu’elle avait pu entendre au sujet de l’émission en question, soupira fortement comme pour montrer son intérêt modéré envers ce projet, avant de réciter ce qu’elle savait déjà.

— Difficile de ne pas en avoir entendu parler avec ce capharnaüm médiatique. Il s’agit du nouveau programme de téléréalité, basée sur un jeu de survie en milieu hostile, où différentes personnalités vont s’affronter sur fond de cagnotte à faire gagner à diverses associations, tout en permettant aux participants de rester sur le devant de la scène, n’est-ce pas ?

Alonzo s’esclaffa.

— Une présentation un brin cynique, mais l’essentiel est là. En effet, la chaîne va mettre en compétition des célébrités de divers horizons dans des épreuves de survie où chaque membre se verra remettre une somme d’argent conséquente qui grossira en fonction du temps qu’ils passeront sur l’île.

— Une sorte de Hunger Game version Jet-Set en somme…

— Ne soyez pas si négative. La chaîne fonde d’immenses espoirs dans cette immersion en milieu hostile. La société de production a réussi à réunir des stars dans beaucoup de domaines. Sport, télé-réalité, chanson, cinéma… De nombreuses gloires qui vont booster les audiences en réunissant des téléspectateurs avides de suivre leurs favoris dans un univers totalement différent de celui où on a l’habitude de les voir évoluer. Je crois même savoir qu’il y a une chanteuse d’un de vos groupes de hard rock…

— Le terme générique exact, c’est metal monsieur.

— Oui oui, si vous voulez, quoi qu’il en soit, c’est bien une chanteuse que vous connaissez non ?

— En effet. C’est d’ailleurs ce qui m’a interpellée en entendant une des multiples publicités promotionnelles.

— Tout à fait, et c’est bien là la force de ce programme ! Aucun téléspectateur n’a été oublié et je lui promets un avenir radieux !

Alonzo ne parvenait même pas à masquer son admiration envers cet ovni télévisuel. Rose paraissait totalement désappointée. Elle n’imaginait pas son supérieur regarder de telles émissions et s’amusa à se demander quelle célébrité pouvait bien le fasciner. Mannequin ? Star du cinéma ? Bimbo décérébrée ? Cette pensée l’amusa au plus haut point. Elle se reconcentra bien malgré elle sur sa discussion, cherchant à savoir où son patron voulait en venir. Elle passa délicatement une main dans ses cheveux lissés, cherchant à mettre ses idées en ordre, tout en se redonnant une contenance, comme si son patron était apparu face à elle. Elle se racla doucement la gorge, et reprit d’un ton neutre.

— Soit, peut-être que les téléspectateurs seront fascinés par les aventures de ces stars en vacances. Mais en quoi puis-je vous être utile ?

Alonzo semblait chercher ses mots, comme pour réciter une incantation magique apprise par cœur dans le but de convaincre sa si talentueuse employée.

— Le tournage de cette super production va démarrer dans quelques jours. Des moyens pharaoniques ont été mis en place afin de ne rien manquer des atermoiements de toutes ces personnalités. Des centaines de caméras disséminées un peu partout sur cette île coupée du reste du monde, des pièges, des récompenses cachées aux quatre coins de l'archipel, tout a été pensé dans les moindres détails. Les candidats ont suivi un entraînement spécifique depuis de nombreuses semaines et sont fin prêts. Ils vont passer leurs dernières nuits tranquilles dans le camp retranché construit pour l’occasion et participeront à la première retransmission en direct, dans quatre jours.

Rose commençait à comprendre où son responsable voulait en venir. Elle prit soin de ne pas intervenir afin que ce dernier lui dise exactement ce qu’il attendait réellement d’elle. Après un bref silence, celui-ci continua son exposé.

— L’ensemble de la profession a été convié à ce lancement en grande pompe. Télé, radio, journaux, presse people, personne n’a été oublié. Et…Je voudrais que vous soyez celle qui représentera notre cher journal sur place.

La reporter chercha à mettre ses idées en ordre. Quelque chose lui échappait dans cette proposition aussi subite qu’inattendue.

— Je suis flattée de votre demande. Mais pourquoi moi ? Tant de vos journalistes tueraient père et mère pour une chance de participer à cet événement !

— Ma principale raison est que vous êtes peut-être la seule à ne pas faire des pieds et des mains pour être l’heureuse élue.

— Il y a donc une autre raison.

Alonzo s’exaspéra de cette réponse qu’il semblait redouter.

— Voilà le principal inconvénient de travailler avec des journalistes ! Vous ne pouvez pas vous empêcher d’analyser chaque phrase que vous entendez ! Quoi qu’il en soit, j’ai mes raisons et vous savez que je n’aime pas avoir à expliquer chacun de mes choix. Je veux que ce soit vous, un point c’est tout. Je sais que vous êtes censée être encore en vacances pour plusieurs semaines, mais vous n’avez qu’à voir ces quelques jours sur cette île comme un prolongement de vos congés. À la différence que vous serez payée, que vos déplacements et vos frais divers seront pris en charge par votre employeur…dans la limite du raisonnable, cela va de soi.

Cette dernière phrase força Rose à sourire, ce que son patron ressentit.

Après tout pourquoi pas ? se dit-elle.

Des vacances payées, que demander de mieux !

Alonzo semblait lire dans les pensées de son employée, puisqu’il reprit, comme victorieux.

— Nous sommes donc d’accord. Vous passerez une dizaine de jours tous frais payés sur cette île dont la production vous dévoilera l’emplacement au dernier moment. Vous pourrez repartir pour une semaine de farniente supplémentaire dès la fin du tournage et je ne vous dérangerai plus, c’est une promesse.

Rose ne répondit pas, ce que son patron interpréta comme un acquiescement. Il semblait néanmoins qu’il ne lui avait pas tout dit. Après quelques secondes d’un lourd silence, le patron de Rose hésita, avant d’expliquer ce qui le tourmentait tant.

— Une dernière chose… la production a émis une condition sine qua non à la participation de qui que ce soit ici. Elle souhaite que vous soyez présente… en compagnie de notre cher ami Dylan Chaplet.

Cette fois-ci, Rose ne put retenir un rire nerveux qui parut sérieusement agacer monsieur Alonzo.

— Puis-je savoir ce qu’il y a de si drôle ?

Le ton de sa voix n’était plus du tout enjoué, et avait même retrouvé cette tonalité si dure qu’elle lui connaissait.

— Il me semblait bien qu’il y avait un « mais ».

— Les responsables ont été catégoriques. La présence de monsieur Chaplet est essentielle pour eux. Un journaliste aussi réputé en compagnie de son acolyte favorite serait un crédit incommensurable pour le programme.

— Dois-je vous rappeler qu’il a décidé de couper les ponts avec nous depuis plus de deux ans ?

— Non, je suis tout à fait au courant, merci.

Le patron de Rose commençait à s’impatienter. Il tenta de canaliser sa colère naissante pour ne pas froisser l’ego de sa reporter.

— Ceci étant dit, il vous tient toujours en très haute estime, et je suis sûr qu’il vous écoutera bien plus attentivement que moi.

— Il vous apprécie énormément, vous savez.

Alonzo marqua un temps d’arrêt, comme pour masquer l’émotion qu’il ressentait en pensant à son vieil ami qui n’avait pas daigné lui laisser un simple message lors des vingt-quatre derniers mois. Ces deux-là se tenaient en haute estime, mais jamais l’un ou l’autre ne se serait résolu à avouer l’admiration qu’ils ressentaient chacun de leur côté.

Dissimulant tant bien que mal son amertume d’être écarté de la sorte par son ami, il reprit d’une voix se voulant encore plus dure qu’à l’accoutumée.

— Je le sais. Mais il semble y avoir un lien entre vous deux extrêmement fort depuis qu’il a accepté de vous prendre sous son aile. Il vous écoutera. À vous d’être suffisamment persuasive. Il vous reste deux jours avant le départ de l’avion. Je vous donnerai toutes les informations nécessaires demain, probablement en fin de matinée. Bonne journée, mademoiselle Gilian, j’attends votre appel pour me signifier que Dylan aura accepté notre demande. Passez-lui le bonjour de ma part.

 

Rose voulait répondre que sa requête était quasi impossible à satisfaire, mais Alonzo avait déjà raccroché.

Dylan… Comment le convaincre de m’accompagner ? s’exaspéra-t-elle.

Elle avait suffisamment appris à le connaître pour savoir qu’il n’était pas du genre à se laisser dicter sa conduite et il ne ferait rien s’il ne jugeait pas que ce voyage puisse lui apporter quelque chose. De plus, si par le passé le fait de résoudre une énigme pouvait le satisfaire, qu’en serait-il après avoir vécu deux ans loin du journalisme ?

Rose attrapa son téléphone et chercha le nom de Dylan dans son répertoire, comme si la contemplation du numéro de son ami pouvait lui permettre de trouver la solution à ses questions.

À la vue de ces quelques chiffres, Rose s’écroula dans le canapé placé au centre de la pièce, tout en émettant un immense soupir de désespoir.

Elle avait déjà résolu plusieurs affaires extrêmement complexes, trouver des logiques inaccessibles à bon nombre de ses congénères dans des énigmes dont elle raffolait. Pourtant, aujourd’hui elle ressentait quelque chose qu’elle s’avoua n’avoir jamais connu dans sa carrière naissante : de l’impuissance.

Que dire à cet homme qu’elle appréciait tant, mais qu’elle savait presque impossible à influencer ?

La discussion qu’elle allait avoir avec son ancien partenaire s’annonçait très compliquée…

5.

 

Je déteste le réveil.

Je le hais réellement. La seule et unique chose que j’ai toujours méprisée, c’est bien cette satanée boîte retransmettant une musique dans le but de nous exploser les tympans, rappelant au cerveau qu’il serait opportun de réveiller le bras afin de taper violemment sur cet objet de malheur.

Mais ce que je supporte encore moins, c’est de se faire réveiller sans entendre ce son diabolique, être sorti de mes rêves par une chose encore plus abjecte : mon téléphone.

Il me semblait pourtant avoir été assez clair avec toutes les personnes ayant tenté de me contacter par ce moyen avant de m’être extirpé de mon lit, aux alentours de midi. Pourtant d’irréductibles optimistes tentaient encore de temps à autre de me contacter plus tôt, à leurs risques et périls.

Je jetais péniblement un coup d’œil vers l’heure projetée sur mon plafond. Le summum de la fainéantise : pouvoir connaître le temps qu’il reste à dormir sans aucun effort, allongé paisiblement sur le dos.

Treize heures quinze.

Peut-être que cette grasse matinée avait un peu trop duré… mais quand même, pour l’exemple, je ferai ce pour quoi je suis le plus doué : être antipathique.

Un coup d’œil sur l’écran de mon smartphone, immondice dont j’ai fait l’acquisition et que je suis incapable d’utiliser correctement, suffit à éveiller ma curiosité dès potron-minet.

Rose.

Une des rares personnes que j’apprécie et que je tiens en haute estime. À part elle et mon chef Geronimo Alonzo, peu de personnes dans le commun des mortels pouvaient se targuer de figurer dans le cercle privé de mes amis. Personne, en fait.

Curieux de connaître la raison de son appel, elle qui avait eu la décence d’accepter mon éloignement sans jamais chercher à me joindre, ma partenaire avec qui j’ai vécu une enquête tellement compliquée émotionnellement et sans qui j’aurais probablement échoué. Malgré mes qualités reconnues de tous.

Je ne pus résister à l’appel de la curiosité. Déformation professionnelle, ou réveil de mon sens inné de la soif d’en savoir toujours plus, à vous de juger.

— Dylan ?

Sa voix ne parvenait à masquer la crainte de se faire éconduire prestement. Je tentai une chose qui ne m’était pas habituelle, à savoir être aimable de bon matin.

— Bonjour Rose. Je suis ravi d’entendre ta voix.

— Euh… Merci, moi aussi je suis très heureuse de pouvoir te parler. Ça… Ça fait longtemps.

Si être aimable ne fait pas partie de mes grandes qualités, il y a quelque chose que j’adore réellement, c’est d’être imprévisible. Et, vu le trouble évident dans la voix de Rose, symbolisé par le discret soupir de surprise qu’elle laissa échapper bien malgré elle, j’avais réussi mon coup, une nouvelle fois. Je ne pus m’empêcher de sourire, seul dans mon appartement sobrement meublé, que j’avais loué au bord de la mer.

— Où es-tu en ce moment ? Toujours à te balader aux quatre coins du monde ?

Rose n’avait mis que quelques secondes à reprendre une contenance.

 

Elle est vraiment épatante cette petite.

 

Je l’ai toujours énormément appréciée, voire même admirée. J’étais à ce moment partagé entre le plaisir de lui parler et la honte de ne jamais lui avoir donné de nouvelles au cours de ces deux dernières années. Mais j’assumais totalement les raisons qui m’avaient poussé à m’éloigner de tout, même des rares personnes que j’aimais. Et Rose en faisait partie. Je décidai, ceci étant dit, de répondre aussi honnêtement qu’il m’était possible, c’était la moindre des choses que je pouvais faire pour ma partenaire.

— Toujours entre deux destinations en effet. Je suis actuellement à Rio de Janeiro, j’ai loué un petit appartement proche de la mer. Je m’assois sur ma terrasse, les yeux rivés sur la mer, à me perdre dans mes pensées. C’est tout ce dont j’avais besoin. Je m’excuse d’ailleurs de n’avoir donné aucune nouvelle, mais il m’était vraiment nécessaire de m’éloigner de tout ce que je connaissais.

Ma demande de pardon fut accompagnée de quelques secondes de silence. Mon amie paraissait totalement décontenancée. Il est vrai que je ne suis pas du genre à reconnaître mes erreurs facilement. Elle devait même se demander à l’heure actuelle si elle s’adressait à la bonne personne. J’en déduisis qu’elle devait en être à la même conclusion, ce qui m’amusa au plus haut point. Je décidai donc de crever l’abcès, ce qui permettrait à Rose de m’expliquer la réelle motivation de son appel. J’avais beau m’être éloigné du journalisme depuis de longs mois, mon don inné pour comprendre les réelles motivations des personnes m’entourant ne s’était pas évaporé comme par magie. Par conséquent, je me doutais que cet appel n’était pas anodin.

— Je te rassure, c’est bien moi. Je n’ai pas été remplacé par un robot bourré de bon sentiment, j’essaye juste de mettre en pratique tes bons conseils sur la politesse.

Rose s’esclaffa. Ma bonne humeur l’incitait à continuer cette discussion. Elle s’apprêta donc à m’expliquer les raisons de ce coup de fil aussi mystérieux qu’inattendu.

— Me voilà rassurée, j’avais peur que ce long éloignement t’ait rendu sociable.

Cette faculté à me dire des choses si peu aimables de manière adorable me força à rire de bon cœur.

— Ta gentillesse me touche. Trêve de civilité, je suppose que si tu m’appelles, ce n’est pas juste pour savoir où je suis et si la mer n’est pas trop froide.

J’entendis Rose prendre une grande respiration. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle attendait de moi, mais, vu sa réaction, j’étais persuadé qu’elle s’apprêtait à me demander quelque chose qui n’allait pas me plaire. Je l’écoutai tout de même le plus attentivement possible. Elle reprit de sa voix douce et persuasive, qui avait dû faire craquer tant de males, attirés comme les marins par de magnifiques sirènes, sa beauté faisant le reste.

— En effet, on ne peut rien te cacher. Nous nous connaissons assez pour éviter de tourner autour du pot, j’irai donc droit au but. Alonzo m’a confié un nouveau reportage, et…

— …félicitation.

— Merci, mais ne m’interromps pas pour succomber à un élan de sarcasme.

Je retrouvais là la véritable Rose, la seule personne qui n’hésitait pas à me répondre, pas toujours de manière sympathique. Je souris, content de retrouver mon amie, et je la laissai terminer son exposé.

— NOTRE patron m’a donc demandé de prendre en charge un nouveau reportage.

Elle avait fortement accentué son premier mot, cherchant à me rappeler que j’étais comme elle, un employé du journal, devant répondre à l’appel de ses supérieurs. Subtil, mais tout à fait clair.

— Ce n’est pas une enquête compliquée en soi. Je dois couvrir un événement très attendu du public : le démarrage d’une nouvelle émission de télé.

— De quelle émission parlons-nous ? Je suppose qu’il ne s’agit pas de quelque chose de très intellectuel si le grand public s’y intéresse…

— Je ne te le fais pas dire. Nous sommes conviés au démarrage du nouveau show de télé-réalité dont tout le monde parle. Un jeu de survie en milieu hostile. Des célébrités de toutes les sphères du show-business seront présentes. Et… Alonzo souhaiterait que tu m’accompagnes pour couvrir l’événement.

Je laissai passer quelques secondes suite à cette annonce. Je cherchai mes mots pour ne pas froisser ma partenaire.

— Je n’ai pas entendu parler de cette… chose. Je ne m’intéresse que très peu à ce qui se passe sur le petit écran français. Je suis désolé, Rose, ma réponse sera non.

— Je me doutais que tu dirais cela Dylan. Puis-je te demander cependant pourquoi ?

Je soupirai longuement. Vaste question… Comment résumer mon ressenti en quelques mots ?

— J’aurais été ravi de retravailler avec toi. Mais, je pense que le crépuscule arrive sur mes ambitions éternelles et qu’il serait opportun pour moi de me créer de nouveaux horizons et…

— … arrête la poésie et dis-moi les choses clairement.

Elle reprenait ce ton sec et directif qui m’avait toujours un peu intimidé. Je jouai donc cartes sur table.

— Je pense que le moment est venu pour moi d’arrêter ma carrière de journaliste.

 

Rose était maintenant sans voix. Mon annonce l’avait complètement abasourdie et j’étais persuadé qu’elle attendait que j’explique mon choix qu’elle ne comprenait visiblement pas. Nous avions partagé tant d’épreuves que je me résolus à ne pas la laisser dans l’ignorance. Je repris donc, m’efforçant d’être le plus précis possible.

— J’ai passé une vingtaine d’années à faire ce métier. Chercher à démêler le vrai du faux, réveiller mes congénères, mettre d’immenses coups de pieds dans des fourmilières pharaoniques. Je n’oublie surtout pas que j’ai passé dix-sept ans à ruminer ma vengeance, chercher à trouver le responsable de la mort de Clara et Sarah, les deux amours de ma vie. La dernière enquête que nous avons menée ensemble m’avait redonné le goût à tout cela. Mais j’ai ainsi trouvé le responsable de mon malheur et je crois que la boucle est bouclée. J’ai mis un terme à mon sacerdoce en rendant justice à ma famille. Rien ne parviendra à me remotiver pour partir à nouveau au front, j’en ai bien peur.

Rose ne trouvait rien à redire. Elle tenta tout de même de réengager la discussion. Mais la déception et la tristesse que je ressentis dans sa voix m’arrachèrent un bout du cœur, celui qu’elle avait conquis en devenant presque une seconde fille à mes yeux.

— Je comprends ton raisonnement et je l’accepte, même s’il m’attriste. Je suppose que le fait qu’Alonzo m’ait « obligée » à te convaincre ne changera rien…

— … j’en ai bien peur, en effet.

Je marquai un temps d’arrêt.

— Comprends-moi, je crois avoir vu suffisamment d’horreurs, expliqué tant d’actes inexplicables. J’aime ce métier, mais je suis à bout et je ne pourrai rien trouver de plus fort émotionnellement que de faire mettre en prison le bourreau de ma femme et de ma fille… Surtout si l’on me demande d’interroger des gens que le peuple adore alors qu’ils ont le quotient intellectuel d’un poulpe amnésique et sont quasiment incapables d’aligner trois mots sans massacrer notre belle langue.

— Et si je te demande cela comme un service ?

Rose jouait là sa dernière carte. Un atout majeur dans sa main, elle s’attaquait à ma corde sensible, l’affection que je lui portais. Je tentai de dédramatiser l’instant en rétorquant sur le ton de la plaisanterie.

— Tu m’imagines franchement au milieu de tous ces gens ?

Ma réponse guère convaincante l’incita à continuer, en voyant qu’elle avait peut-être trouvé le meilleur angle d’attaque pour me faire plier, voire même rompre.

— Je serais en effet curieuse de te voir interroger toutes ces personnes qui ne parlent pas forcément un français… soutenu.

— Soutenu ?

— Disons même un français intelligible.

Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Rose savait vraiment comment me parler pour parvenir à ses fins. Me contacter si tôt (oui, les derniers temps, le début d’après-midi était devenu des horaires matinaux pour moi) était peut-être une chance pour elle, car cela avait le mérite de me laisser de bonne humeur. Elle avait par ailleurs certainement parfaitement préparé notre dialogue, anticipant ce que je pouvais répondre. Il aurait suffi d’un rien pour que cet entretien se passe complètement différemment. Elle ne savait pas où j’étais et aurait tout aussi bien pu m’appeler en plein milieu de la nuit, ruinant ses chances de parvenir à son but. Un alignement parfait des planètes, un coup vicieux du destin, difficile à dire. Quoi qu’il en soit, Rose repartait à la charge, bien décidée à me faire changer d’avis.

— Je suis sûre que nous pourrions passer des moments vraiment comiques et agréables en couvrant cet événement. Comprends-moi, je respecte ton choix et je ne cherche pas à te convaincre de continuer ta carrière. Je trouve juste que ce serait un bon moyen de travailler ensemble une dernière fois et pour toi, de montrer à tous tes collègues journalistes ta supériorité sur chacun d’entre eux.

Je m’étais donc trompé, il lui restait encore une dernière carte à jouer et non des moindres. Elle se mettait à flatter mon ego.

Alors que je commençais réellement à vaciller, Rose porta l’estocade finale.

— Je t’en prie Dylan, prends cela comme un service que je te demande.

Je me laissai quelques secondes de réflexion. Rose connaissait toute l’affection que je lui porte. Elle savait qu’elle ne pouvait espérer me faire flancher qu’à la seule condition de jouer sur ces sentiments. Une partie de moi avait envie d’accepter sa demande, mais d’un autre côté, une voix continuait à m’inciter à tirer un trait définitif sur cette partie de ma vie, tourner la page, la déchirer. Je sortis de mes réflexions, tentant de trouver une réponse à la demande de mon amie.

— Je suis confus, Rose. Je ne veux pas dire non, mais je ne peux pas te dire oui. Il me faut un peu de temps pour mettre mes idées en ordre, savoir ce que je veux vraiment.

Rose sembla déçue, mais pas vraiment surprise de ma réponse. Elle reprit d’une voix se voulant le plus calme possible, certainement dans le but de ne pas me froisser définitivement.

— Je comprends, Dylan. Je ne peux de toute façon pas te forcer. Mon avion partira de Marseille après demain. Si tu veux me contacter avant, je te dirai quelle est la destination. À bientôt Dylan… J’espère.

J’aurais voulu lui dire que je n’avais rien contre elle, bien au contraire. Que j’aimerais tellement mener d’autres enquêtes avec elle. Mais elle avait déjà raccroché. Je restai à contempler l’immensité bleue face à moi. Je me décidai à partir en pèlerinage vers la grande statue mythique de la ville où je me trouvais. Peut-être que ce géant de pierre m’aiderait à mieux comprendre ce dont j’avais besoin ?

6.

 

Rose ne voulait pas perdre espoir. Cette discussion avec Dylan l’avait laissée complètement perplexe. Avait-elle réussi à faire changer d’avis son ami ? La contacterait-il avant le moment fatidique du départ de son avion ?

Elle eut bien du mal à dormir cette nuit-là. La journée suivante ne fut pas non plus de tout repos. Son patron la questionna sans relâche et elle fut obligée de répéter à maintes reprises les mots échangés avec son meilleur reporter, cherchant sans cesse une signification à chaque phrase lui étant rapportée, tentant de déceler des indices susceptibles d’espérer une issue positive.

Rose était exténuée de ressasser inlassablement les mêmes choses. Elle partit plus tôt qu’à l’accoutumée. Elle attendit en effet que son patron lui donne les billets d’avion, qu’elle reçût en milieu d’après-midi et prétexta devoir préparer ses affaires pour s’éclipser du bureau. Elle avait néanmoins réussi à inciter son patron à accéder à une dernière requête. Malgré son humeur massacrante, Christopher Alonzo grommela en guise d’acquiescement, rajoutant qu’il n’avait qu’une parole, ce qui la combla de joie.

Il y aura au moins eu un élément positif aujourd’hui, s’exaspéra-t-elle.

La dernière nuit avant le début de son reportage ne fut pas non plus très reposante. Elle se sentait excitée du départ vers l’aventure qui l’attendait le lendemain et dont elle ne savait pas grand-chose. En effet, elle avait juste une invitation à rejoindre un terminal où les billets lui seraient donnés et la destination enfin révélée. Elle était surprise de toutes les précautions mises en œuvre par la société de production pour garder ce lieu si mystérieux jusqu’au dernier moment. La façon de procéder donnait l’impression qu’il s’agissait d’une mission top secrète mise en place par l’armée.

Mais à ce sentiment se mêlait une appréhension qui l’emplissait de plus en plus. Le responsable de la relation avec les médias de « Celebrity Survivor » s’était avéré catégorique : si Dylan Chaplet n’était pas présent, il n’y aurait pas de compromis. Rose ne participerait pas au voyage. Quelle serait alors la réaction de son patron ? Ce dernier semblait bien plus tendu qu’à son habitude, aujourd’hui. Il était impatient et très irritable. Il avait le regard extrêmement dur et chacune de ses discussions avec Rose s’était terminée par un soupir d’agacement. Pire, quand il lui remit ses invitations, il lui avait lancé une menace lourde de sens, lui signifiant qu’il ne comptait pas la revoir avant la date de son retour inscrit sur le papier qu’il lui tendait.

Elle ne put fermer l’œil de la nuit. Elle décida donc de s’extirper de son lit aux aurores et s’obligea à faire un jogging afin de se vider l’esprit. Peine perdue. Elle courut le plus vite et le plus longtemps possible, mais les derniers mots de Dylan résonnaient dans sa tête comme un disque rayé.

« Je ne veux pas dire non, mais je ne peux pas te dire oui. »

Dylan, espèce de vieil imbécile, si je ne te vois pas à l’aéroport, je te tuerai de mes mains !

Elle s’était levée si tôt qu’elle eut le temps de prendre une douche, bouillante, et de déjeuner, avant d’attraper son sac et de sortir de chez elle, le cœur tapant dans tous les sens.

Elle prit son train, tenta de se reposer, mais rien n’y faisait. Dylan l’accompagnait dans toutes ses pensées. Elle mit ses écouteurs et tenta de s’apaiser en écoutant cette musique si énergique qu’elle affectionnait tant.

Quoi de mieux pour évacuer sa colère et ses doutes que d’écouter une bonne dose de heavy metal ?

Elle parvint à se détendre un peu en se concentrant sur les solos endiablés des magiciens de la guitare qu’elle mettait sur un piédestal. Elle ferma les yeux pour mieux apprécier les chants nerveux et emplis de puissance de ses « frontman » préférés. Cette musique qu’elle aimait tant et que nombre de personnes trouvaient diabolique.

Elle n’aurait pu dire combien de discussions elle avait eues avec des sceptiques ne trouvant que de la violence inutile dans ce qu’ils qualifiaient de « bruit », terme qui la mettait inévitablement hors d’elle. Rose parlait inlassablement de la qualité incroyable de ces musiciens, de la complexité de leurs compositions, de cette énergie débordante qui l’emplissait lorsque ses oreilles goûtaient aux quelques minutes délicieuses qui constituaient chaque morceau. Elle pourrait parler de cette passion pendant des heures. Dire à quel point son cœur bondissait de joie à chaque fois que ses oreilles se délectaient des guitares sortant des enchaînements de notes aussi incroyables que mélodiquement parfaits. Comment des frissons lui parcourraient la colonne vertébrale dès lors que les batteurs actionnaient leurs doubles pédales pour donner une rapidité et une puissance de percussion aussi inconcevable qu’inégalable.

Quoi qu’il en soit, se justifier restait irrémédiablement inutile. En tout temps et en toutes situations, la totalité des générations d’hommes et de femmes ayant vécu sur notre bonne vieille terre ont toujours eu le même réflexe : avoir peur ou diaboliser ce qu’ils ne comprenaient pas.

Mon bon vieux metal n’échappe pas à cette règle, s’exaspéra-t-elle.