Terre Ancienne - Gérald Garon - E-Book

Terre Ancienne E-Book

Gérald Garon

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Beschreibung

2048. Le premier vaisseau spatial interstellaire construit par l’homme quitte notre planète pour explorer un lointain système solaire. À peine rendu sur place, c’est la catastrophe. Seule une petite navette endommagée par l’explosion peut entreprendre le retour vers la Terre. Elle y parvient, mais les survivants constatent qu’ils sont dans une région inconnue et, surtout, environ 35 000 années avant leur départ de l’espace.

Que feront-ils dans ce monde peuplé d’animaux sauvages et d’hommes des cavernes? Doivent-ils espérer des secours ou se résigner? Ils choisissent de s’adapter à cette nouvelle situation même si cela implique de nombreux apprentissages comme faire du feu, se nourrir, se loger, se vêtir, s’armer et se battre contre une nature hostile et des autochtones possiblement dangereux.

Qu’adviendra-t-il des rescapés? Comment, après ce traumatisme, réussiront-ils à se reconstruire?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Gérald Garon est un historien passionné. Il a été enseignant au niveau collégial, puis administrateur. Il est aussi un grand amateur de chasse, de pêche et de vie dans la nature.
Il conjugue dans ce premier roman à la fois ; sa formation et ses passions pour offrir au lecteur cette science-fiction à caractère préhistorique.

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Seitenzahl: 496

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Table des matières

Dédicace

Remerciements

PROLOGUE

CHAPITRE 2 - LE CRASH

CHAPITRE 3 - LE PREMIER CAMPEMENT

CHAPITRE 4 - VISION D’UNE AUTRE ÉPOQUE

CHAPITRE 5 - ADMETTRE L’IMPOSSIBLE

CHAPITRE 6 - INSTALLATION PERMANENTE

CHAPITRE 7 - LES SOUPÇONS D’ARG

CHAPITRE 8 - PROVISIONS POUR L’HIVER

CHAPITRE 9 - L’AFFRONTEMENT

CHAPITRE 10 - LES VOISINS SAPIENS

CHAPITRE 11 - LIMITER OU FAVORISER LES CONTACTS?

CHAPITRE 12 - LE SAUVETAGE DES SAPIENS

CHAPITRE 13 - L’HIVER

CHAPITRE 14 - LE NOUVEAU CHEF DE LA GROTTE DE L’OURS

CHAPITRE 15 - LE PRINTEMPS

CHAPITRE 16 - LE DÉPART DE BARA

CHAPITRE 17 - L’ACCUEIL DU PEUPLE DES EAUX

CHAPITRE 18 - DE NOUVEAUX AMIS

CHAPITRE 19 - RETOUR AU CLAN DU LOUP

Épilogue

Liste des principaux personnages

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Titre: Terre ancienne / Gérald Garon.

Nom: Garon, Gérald, 1944- auteur.

Identifiants: Canadiana 20200077147 | ISBN 9782898090134

Classification: LCC PS8613.A7797 T47 2020 | CDD C843/.6—dc23

Auteur :Gérald GARON

Titre :Terre Ancienne

Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire cet ouvrage en totalité ou en partie, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation écrite préalable de l’auteur, conformément aux dispositions de la Loi sur le droit d’auteur.

©2020 Éditions du Tullinois

www.editionsdutullinois.ca

ISBN papier : 978-2-89809-013-4

ISBN E-Pdf : 978-2-89809

ISBN E-Pub : 978-2-89809

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives du Canada

Dépôt légal papier : 1er trimestre 2020

Dépôt légal Epdf : 4e trimestre 2020

Dépôt légal Epub : 4e trimestre 2020

Corrections grammaticales: Éditions du Tullinois

Illustration de la couverture :Mario ARSENAULT -Tendance EIM

Imprimé au Canada

Première impression :Août 2020

Nous remercions la Société de Développement des Entreprises Culturelles du Québec (SODEC) du soutien accordé à notre programme de publication.

SODEC-QUÉBEC

Dédicace

À Ruth Gagné, ma conjointe, qui m’a apporté son support à chaque étape de la rédaction de ce roman. Ses critiques pertinentes et ses conseils précieux ont sans aucun doute amélioré

la qualité de ce récit.

Et

À mes filles et mes petits enfants,

un clin d’œil affectueux.

Remerciements

Un merci spécial à France Bélanger, Gilles Bellavance, Benoit Vaillancourt. Vos encouragements,

corrections et suggestions ont été

particulièrement importants

dans la genèse de

cet ouvrage.

PROLOGUE

Washington, The Washington Post, 2 février 2011.Découvertes étonnantes par le télescope spatial Kepler.

L’Agence spatiale américaine (NASA) a publié son rapport des observations effectuées par le satellite spatial Kepler depuis son lancement en 2009. Rappelons que le but de la mission était de détecter et étudier les planètes gravitant autour des milliers d’étoiles observables dans son télescope, soit à peine 1/400e de notre ciel. Déjà, 1 235 planètes auraient été repérées, ce qui laisse entendre qu’un nombre formidable de planètes orbiteraient autour des milliers d’étoiles semblables au Soleil dans notre galaxie. Des 1 235 planètes répertoriées, 54 seraient dans la zone «habitable», c’est-à-dire candidates à l’apparition d'une forme de vie quelconque.

Les scientifiques définissent cette zone habitable par la présence probable d’eau sous forme liquide et une masse planétaire suffisante pour empêcher l’eau de s’échapper. Il n’est pas nécessaire que toutes les conditions réunies sur notre planète soient présentes pour abriter une forme de vie mais l’eau liquide semble indispensable à un écosystème viable.

Découverte plus étonnante encore, à 2000 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Cygne, un système solaire, composé de six planètes orbitant dans la zone d’habitabilité d’une étoile baptisée Kepler 11, surprend les astrophysiciens. En effet, il semble rare dans notre galaxie de trouver un système composé d’un nombre de planètes approchant quelque peu les 10 planètes orbitant autour de notre soleil. De plus le système planétaire de Kepler est très compact. Les six planètes gravitent très près de leur étoile. La plus lointaine est située à environ la moitié de la distance de la Terre au Soleil. Composées de roches et de gaz légers, elles sont toutes plus grosses que la Terre et posséderaient probablement de l’eau. Codifiées de b à g, la planète Kepler 11f, à cause de sa température modérément élevée, semble particulièrement intéressante pour la présence de vie semblable aux formes de vie terriennes.

Australie, The Sydney Morning Herald, 6 juillet 2032.Un OVNI dans le désert?

Suite à certaines rumeurs provenant de la région isolée du Kununurra,dans le nord-est de l’Australie-Occidentale, notre journaliste d’enquête Tom Harding s’est rendu dans la petite ville de Kununurra ainsi que dans l’arrière-pays. Il y a rencontré des aborigènes et interrogé certains fermiers qui exploitent des ranchs parfois aussi grands que certains petits pays européens.

Plusieurs personnes ont signalé aux autorités de la ville la chute d’un objet volant au cours du mois de février 2032. Impossible de préciser s’il s’agit d’un météorite, d’un satellite ou d’une «soucoupe volante». Ce qui vient renforcer cependant la dernière hypothèse, la région s’est remplie dernièrement de nombreux étrangers: militaires, scientifiques, manœuvres, techniciens spécialisés... Des manutentionnaires du petit aéroport de Kununurra signalent, malgré la discrétion demandée, de nombreuses arrivées et départs de voyageurs provenant d’Europe, de Chine, des États-Unis et de Russie. Des véhicules militaires attendent ces «touristes» pour les transporter vers une région sauvage où il n’y a aucun hôtel ou restaurant. Ils reviennent quelques jours plus tard pour reprendre l’avion, sans dévoiler à quiconque l’objet de leur visite. Plusieurs sont clairement des militaires de haut-rang habillés comme des civils.

Les marchands de la petite ville de Kununurra font depuis quelques mois des affaires d’or en fournissant un camp militaire inconnu, qu’ils appellent «la Base», en nourriture, matériaux de construction et divers services. Des centaines de camions lourdement chargés ont emprunté les routes rurales et les pistes de brousse pour se rendre au ranch de M. Colin Hyden, un fermier qui a soudainement quitté la région avec sa famille, après avoir licencié ses employés avec de fortes primes pour garantir leur silence. Nous avons voulu nous rendre au ranch de M. Hyden mais nous n’avons pu pénétrer sur ses terres à cause d’un impressionnant barrage militaire. Interrogés, les voisins de M. Hyden ont raconté que le bétail et les équipements agricoles leur avaient été vendus, par des avocats représentant leur voisin, pour une bouchée de pain. Peu après, des dizaines de kilomètres de barrières électrifiées avaient été érigées sur le pourtour de l’ancien ranch et cette nouvelle «frontière» était régulièrement patrouillée par des militaires lourdement armés.

Définitivement, il y a un malaise palpable dans la population locale et il se répand rapidement dans les États limitrophes de la Fédération. On y parle de plus en plus de visite et même d’invasion d’extra-terrestres.

À Perth, capitale de l’Australie-Occidentale, la personne qui a reçu notre journaliste a refusé de lui accorder un rendez-vous avec le Premier ministre ou de le référer à un ministre. Elle s’en est tirée en disant qu’il n’y aurait aucun commentaire d’un membre du gouvernement. À Canberra, siège de l’état fédéral, notre journaliste n’a même pas eu droit à l’habituel «pas de commentaire».

Que se passe-t’il au Kununurra? La chute d’un météorite ou d’un satellite, même militaire, ne peut expliquer un tel déploiement de personnes et de ressources. Que font des militaires et des politiciens étrangers sur le sol australien? Pourquoi nos gouvernants refusent-ils de répondre à l’inquiétude légitime de nos concitoyens?

L’enquête se poursuit tant que nous n’aurons pas toutes les réponses à nos questions.

Londres. The Daily Mail, 12 mars 2037.Un vaisseau extraterrestre s’est écrasé en Australie en 2032. Les gouvernements ont gardé le secret absolu pendant cinq ans.

Un mystère évoqué par la presse australienne en 2032 vient d’être résolu. Il s’agissait bien d’un vaisseau extraterrestre qui s’est écrasé dans une région quasi désertique de ce pays. À l’époque, la découverte a fait rapidement le tour des milieux militaires, politiques et scientifiques des pays industrialisés. Toutefois, un embargo complet sur cette information fut imposé à tous les pays informés par une surprenante coalition formée des États-Unis, de la Russie et de la Chine. Le prétexte invoqué était d’éviter la panique engendrée par une possible invasion d’extraterrestres.

Les sanctions promises aux pays indociles furent sans doute élevées puisque le grand public n’entendit jamais parler de la découverte avant ce jour.

Un complexe de bâtiments aurait été érigé en vitesse sur les lieux de la découverte, au milieu d’un périmètre sécurisé. On y trouverait une centrale d’énergie, un dôme pour abriter le vaisseau extraterrestre, à la fois des regards et de la contamination, des laboratoires spécialisés pour étudier le vaisseau et ses occupants, ainsi que des casernes et baraquements divers pour le personnel.

Un ancien assistant de recherche, mis à pied parce que trop porté sur la boisson, aurait  raconté à notre enquêteur que l’étude des corps des deux extraterrestres avait révélé qu’ils seraient morphologiquement assez semblables aux humains. Leur taille atteindrait près de deux mètres. Deux membres supérieurs, terminés chacun par quatre longs doigts, seraient posés de part et d’autre d’un tronc ayant une colonne vertébrale apparente dans le dos. Des pattes, terminées par des pieds à trois doigts supportent le corps, rendant probablement leur démarche assez semblable à celle des oiseaux coureurs de grande taille, comme l’autruche et l’émeu. La peau serait une sorte de cuir brun foncé. L’autopsie des corps aurait révélé un système pulmonaire de petite taille, incompatible avec la respiration sur Terre. Leur tête, posée sur un long cou à peau plissée, aurait deux yeux globuleux, une bouche étroite sans dents, et des oreilles à pavillons orientables en tous sens. Leur crâne oblong contiendrait ce qui ressemblerait à un cerveau humain mais d’un poids deux fois supérieur.

Au moment de la découverte, ils étaient vêtus d’une combinaison faite d’un matériau inconnu sur terre. Des compartiments étanches étaient disposés sur leur torse pour atténuer, semble-il, les effets de l’accélération. La seule nourriture trouvée à bord était une sorte de liquide sirupeux contenu dans un grand réservoir relié par un tuyau au casque intégral de chaque pilote.

Quelque soit la part de vérité dans ces bavardages de laborantin, ils constituent une première brèche dans l’embargo imposé à l’information. Quand les langues commencent à se délier, la fissure devient rapidement une trouée. Nous espérons apporter rapidement d’autres informations sur cette histoire qui passionne nos lecteurs.

USA Today, 14 octobre 2039. Une avancée technologique empruntée aux extraterrestres.

Excédé par les questions des journalistes et soucieux du droit du public à l’information, un petit groupe d’ingénieurs américains travaillant sur un projet appelé SPACE48 a rencontré hier quelques représentants de journaux scientifiques, demandant toutefois que l’on taise leurs identités.

Ces hommes et femmes ont d’abord confirmé tout ce qui a été écrit dans les journaux sur l’écrasement d’extraterrestres en Australie, sur l’embargo décrété et la description des corps.

Concernant le vaisseau, ils ont indiqué qu’il était fortement endommagé mais non détruit malgré la violence de l’impact au sol. Sa carlingue était irréparable, car on ne possédait pas les mêmes matériaux, mais son «moteur» semblait encore fonctionnel.

Démonté et analysé, les ingénieurs et scientifiques ont pris des mois pour comprendre le principe de propulsion de ce moteur révolutionnaire utilisant les champs gravitationnels. Ils évaluèrent qu’il permettait au vaisseau de voler à une vitesse pouvant atteindre 275 000 km/s, soit un peu moins que la vitesse de la lumière qui est de 299 792 km/s. Encore plus intéressant, deux commandes, situées au centre du tableau de bord, semblaient avoir des fonctions essentielles concernant principalement la propulsion et la navigation.

Personne n’avait osé presser ces boutons avant d’en avoir compris l’utilité. Après quelques années d’hypothèses, suivies d’un lent démontage pièce par pièce de la console centrale, on procéda à son remontage lorsque l’on crut avoir déchiffré l’utilité de toutes ces commandes.

Le bouton rouge engageait un mécanisme que l’on baptisa «overdrive». Cet overdrive projetait le vaisseau en hyperespace. Ce n’était pas un propulseur proprement dit mais il permettait de faire passer le vaisseau dans une autre réalité physique et de faire des sauts instantanés aux coordonnées d’entrée et de sortie programmées dans le calculateur. La longueur des sauts semblait limitée seulement par la sécurité du point d’arrivée. Même si les coordonnées des étoiles et planètes étaient déjà inscrites dans le calculateur, il y avait toujours le risque de se «rematérialiser» dans un corps céleste en mouvement, dans un champ d’astéroïde, un autre vaisseau ou un satellite. Il était loin d’être certain que les boucliers de protection pourraient résister à un tel choc. Après tout, les extraterrestres s’étaient bien écrasés sur notre planète.

La progression par téléportation, c’est-à-dire la disparition dans une dimension pour réapparaître au même moment ailleurs, avait l’avantage d’éliminer les accélérations et décélérations excessives pour le corps fragile des humains.

Les combinaisons de vol des extraterrestres, faciles à reproduire et à adapter à la morphologie humaine, ne servaient donc, conclurent les savants, qu’en propulsion gravitationnelle. En effet, entre le point de départ sur une planète et les coordonnées choisies pour le saut en hyperespace, il fallait se déplacer en vitesse subluminique et ce trajet pouvait prendre des heures, des jours ou même des semaines. Il en était de même entre le point de sortie de l’hyperespace et «l’atterrissage» de l’appareil.

Le bouton vert enclenchait, pour sa part, ce que les savants appelèrent un compensateur spatio-temporel. Le temps ne s’écoulant pas de la même manière aux vitesses intersidérales, il pouvait arriver que des voyageurs partis pour quelques mois seulement se retrouvent, à leur retour sur Terre, quelques siècles plus tard, selon le calendrier terrestre. Sans cette compensation, les voyages en hyperespace n’auraient pas eu un grand intérêt pour ceux qui financeraient les coûts faramineux de telles expéditions et attendraient un retour sur l’investissement.

Au moment d’écrire ces lignes, les gouvernements américain, russe et chinois n’avaient toujours pas pris la décision d’avancer plus loin dans une aventure financière qui pourrait se révéler colossale. Les difficultés budgétaires que connait présentement la Russie pourraient sonner le glas d’une éventuelle opération conjointe.

The New York Times, 8 avril 2041.Un simple communiqué de presse nous annonce une paix durable face à une éventuelle menace venue de l’espace.

Il y a deux jours, le 6 avril 2041, les chefs des états les plus importants de la planète, se sont réunis à Paris pour signer un accord négocié secrètement depuis 2039. Hier matin, un communiqué de presse commun était émis simultanément dans toutes les capitales des pays signataires, diffusé par toutes les chaines de télévision et repris par la presse écrite.

Pressée de questions, la porte-parole de la Maison-Blanche a tenté hier après-midi de justifier le manque de transparence du gouvernement par l’impossibilité de négocier, sur la place publique, un tel accord qui équivaut à un traité de paix inimaginable il y a quelques semaines à peine. Elle a précisé que les pays signataires s’étaient entendus dès 2039 sur l’importance de la menace extraterrestre et sur la nécessité de coopérer pour y répondre. En effet, aucun d’entre eux n’auraient pu se payer seul le développement d’une telle technologie sans grever dangereusement le budget national. Cependant, il a fallu près de deux années pour établir les modalités de l’accord. La principale difficulté fut de s’entendre sur une formule de participation financière équitable, basée sur le Produit intérieur brut (PIB) de chaque partenaire, pour l’année 2040.

L’accord signé par les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et le Japon prévoit la formation immédiate d’un Consortium dont l’objectif premier est de concevoir et de construire, d’ici 2048, un vaisseau spatial capable de visiter les systèmes solaires environnant le nôtre. Le vaisseau devra prioritairement mesurer les dangers que pourraient représenter pour notre civilisation d’autres formes de vie intelligente dans notre galaxie. À cette fin, il se rendra d’abord dans les environs de Kepler 11, une étoile du même type que notre Soleil, située à 2000 années-lumière de la Terre. Sur place, sa mission consistera à enregistrer, pour chacune des planètes orbitant autour de ce soleil, toutes les données relatives à leur habitabilité et, s’il-y-a-lieu, à la présence de vie semblable à la nôtre. La cinquième planète de ce système solaire, Kepler 11f, recevra une attention particulière. Quoique plus chaude que la Terre, elle semble la plus propice à l'existence d'une forme de vie. De plus, les calculs faits à partir de la trajectoire et de la date probable de l’écrasement du vaisseau spatial en Australie en 2032 pointent dans cette direction.

La porte-parole de la Maison-Blanche a confirmé, à quelques détails près, tout ce qui s’est dit dans les journaux depuis 2032: écrasement d’un vaisseau spatial en Australie, technologie révolutionnaire du vaisseau et morphologie des pilotes. Elle a insisté sur l'inopportunité pour les gouvernements de confirmer plus tôt les rumeurs par l’incapacité actuelle de répondre à une possible menace extraterrestre. Cet aveu, malgré l’importance des budgets militaires des grandes puissances, aurait provoqué une panique générale et des bouleversements politiques rendant pratiquement impossible la négociation d’une réponse commune face à la visite d’extraterrestres dont on ne connaissait pas les intentions. Elle a précisé cependant qu’aucune arme n’avait été trouvée à bord du vaisseau extraterrestre.

Elle a aussi ajouté certains éléments qu’il nous semble important de rapporter à nos lecteurs. Deux répliques de l’appareil extraterrestre, ont été construites l’an dernier par des ingénieurs russes, chinois et américains dans des bâtiments édifiés sur le site d’essais militaires du Névada. Les matériaux utilisés étaient les plus solides actuellement connus. Chaque réplique était équipée du moteur gravitationnel et de toutes ses fonctionnalités. Des pilotes d’essai, volontaires, apprirent pendant des semaines à les conduire en vitesse subluminique. Les appareils étaient très manœuvrables et leur vitesse atteignait les prévisions.

L’étape suivante fut l’essai de l’overdrive dans un immense hangar construit à cette fin et situé à l’écart de tout autre bâtiment. Pour ne pas risquer la vie d’un pilote, un robot contrôlé à distance appuya sur le bouton rouge de la console. Instantanément, le prototype, le hangar et les appareils de mesure et d’enregistrement disparurent dans une gerbe de feu et une explosion formidable.

Au cours des semaines suivantes, les scientifiques comprirent que l’appareil devait être en vol gravitationnel, loin de tout objet ou même d’une planète, avant d’enclencher le saut en hyperespace. Ils avaient alors continué les vols d’essai sur le deuxième prototype et avaient appris à programmer, sur la console de navigation, les coordonnées d’un point de départ et d’un point d’arrivée, vides de tout objet volant, le premier situé entre la Terre et Mars et le second dans l’espace, à quelques années-lumière. Un robot avait piloté le premier aller-retour en hyperespace, sans aucun problème. Plusieurs autres essais réussis avaient été réalisés au cours des semaines suivantes.

Cette avancée technologique foudroyante était due à des êtres intelligents venus d’ailleurs. Il fallait les trouver, les contacter et s’assurer de leur bienveillance. 

CHAPITRE 1 - LA MISSION SPATIALE

Espace, juin 2048.

La navette spatiale numéro 1 venait de quitter  Kepler 11f et se dirigeait vers le vaisseau spatial international Youri-Gagarine, orbitant à environ 5 000 kilomètres de la planète. Un saut de puce d'à peine quelques heures pour un tel engin.

Elle était commandée par le Kapitan Nicolaï Kimnski de la Fédération de Russie, assisté du copilote Chin Lao Ming de la République populaire de Chine.

Le lieutenant Curt Sanders, de l’armée de l’air américaine, était confortablement installé, quelques pas derrière eux, entouré de ses instruments de navigation et de communication.

La navette, qui faisait environ 30 mètres de longueur sur 5 mètres de largeur, avait une section arrière plus large et plus haute que la partie avant. Lorsque posée sur ses huit pattes rétractables, elle avait vraiment l’apparence d’un insecte dont les ailes auraient été repliées. Les hommes la surnommaient la «Guêpe».

Elle comptait six petites pièces, séparées par des cloisons blindées, accessibles entre elles par des sas, comme dans un sous-marin. La section arrière était appelée «le garage» car elle contenait principalement un petit véhicule roulant d’exploration, le matériel de forage et des pièces de rechange. En se dirigeant vers l’avant, la pièce suivante était à peine assez grande pour ranger les scaphandres, les armes des militaires, un coin toilette, la douche de décontamination et l’espace nécessaire pour permettre à deux personnes d’enfiler leur encombrant équipement de sortie dans l’espace. On appelait cette pièce le «vestiaire». Suivaient, toujours vers l’avant, «l’hôpital», une pièce minuscule avec une table d’examen et le matériel pour soins d’urgence; «la cambuse», quelques placards où l’équipage pouvait s’approvisionner en nourriture sèche et en eau; puis «le salon», la pièce la plus vaste, contenant, de part et d’autre d’un étroit corridor central, douze sièges inclinables et pivotants, des compartiments accrochés au plafond comme dans un avion de ligne et des placards peu profonds sur le mur arrière. La navette n’étant pas conçue pour de longs séjours dans l’espace, c’est dans cette pièce que ceux et celles que l’on appelait les «passagers» voyageaient jusqu’au moment d’aller enfiler les scaphandres pour leur sortie au sol. Un grand écran mural permettait aux passagers de voir la même chose que les pilotes. Enfin venait «le cockpit», la cabine de pilotage où officiaient le pilote, son adjoint et un spécialiste en navigation et communication. C’est dans cette pièce qu’étaient contrôlés les armes laser, les boucliers de protection de l’appareil, la qualité de l’air, le chauffage, etc.

Neuf personnes seulement occupaient les sièges du salon pour cette première mission d’exploration sur Kepler 11f. Sanglés étroitement sur leurs sièges inclinés à la position maximale, deux femmes et sept hommes portaient la même salopette de couleur verte sans signe distinctif. Ceux qui étaient sortis sur la planète, quelques minutes plus tôt, s’étaient délestés au vestiaire des lourds scaphandres pour rejoindre leurs compagnes et compagnons au salon.

Une lumière douce, une chaleur agréable et l’absence de toute vibration incitaient au sommeil. Malgré cela, huit des neuf passagers avaient les yeux fixés sur l’écran mural et une certaine anxiété pouvait se lire dans les yeux de quelques-uns.

Allongé sur son siège au dernier rang. Un grand homme de très grande taille semblait dormir, une casquette militaire rabattue sur les yeux.

En réalité, le lieutenant-colonel David Fraser pensait aux 16 derniers mois de sa vie.

Quelques semaines plus tôt, il n’avait jamais volé plus haut que l’altitude que pouvaient atteindre un hélicoptère de combat, un bon vieux transporteur Hercule ou un avion de ligne. Et maintenant il se retrouvait dans l’espace, à près de 2000 années-lumière de la Terre. Un voyage irréalisable. Un voyage qui aurait dû prendre deux mille ans si l’homme avait pu voler à la vitesse de la lumière. Une vitesse impossible à atteindre et à dépasser selon les lois actuelles de la physique. Qu’est-ce que son vieux copain Gilles, professeur de physique au Collège de Rimouski, dans la Province de Québec, dirait de le voir ici, volant dans l’espace?

Depuis une cinquantaine d’années, les sondes spatiales chinoises, russes ou américaines se déplaçaient à des vitesses avoisinant les 30 kilomètres à la seconde. Elles prenaient des années pour atteindre Mars ou Jupiter. Les scientifiques avaient calculé qu’à cette vitesse, elles prendraient 100 000 ans pour atteindre les confins de notre système solaire et 20 millions d’années pour atteindre le point de l’espace où orbitait maintenant la base spatiale internationale.

Trente kilomètres à la seconde, soit 108 000 kilomètres à l’heure, c’était encore 10 000 fois moins vite que la vitesse de la lumière et environ 500 000 fois moins vite que le vaisseau interstellaire qui les avait emmenés ici!

Hallucinant !

Et pourtant, lui et ses compagnons de voyage avaient mis quelques semaines seulement pour se retrouver à pied d’œuvre!

Leurs instructeurs, au stage préparatoire à la mission spatiale, avaient été plutôt avares d’informations sur certains aspects scientifiques de la mission. De toute façon, la plupart des stagiaires n’y aurait rien compris.

Des scientifiques leur avaient parlé de combustion chimique à ergols liquides, de moteurs ioniques, de fission et de fusion nucléaire pulsée, pour conclure que tout cela était obsolète pour un voyage spatial. La charge de «carburant» à emporter pour quitter notre soleil aurait été phénoménale et il aurait été impossible de «refaire le plein» dans le vide intersidéral.

Il avait retenu de ces nombreuses conférences que des progrès rapides avaient été faits dans la navigation spatiale suite à la découverte en 2040 d’un nouveau mode de propulsion. Soudainement, on pouvait se rendre en quelques semaines dans des systèmes solaires très éloignés du nôtre et en revenir.

En fait, il ne s’agissait pas d’une découverte scientifique mais d’un hasard extraordinaire dont la presse avait tant parlé: la chute dans un désert d’Australie d’un appareil extraterrestre en 2032.

Leurs instructeurs leur avaient rappelé toute l’histoire de la mission SPACE48 jusqu’à la mise en service du navire amiral Youri-Gagarine et de ses deux navettes.

Quand la chose était devenue publique, en 2041, de nombreux scientifiques, partout dans le monde, s’exprimèrent dans les revues, les journaux, à la radio et à la télévision sur les dangers d’aller trop vite. Des biologistes laissèrent planer le doute d’une contamination rapportée de l’espace. Des ingénieurs dénoncèrent une technologie non encore contrôlée et exprimèrent de forts doutes sur la sécurité des vols. Des astrophysiciens plaidèrent que la connaissance des systèmes solaires et des planètes dans un rayon de 15 années-lumière autour de la Terre était encore embryonnaire. Aller encore plus loin, c’était comme sauter d’une falaise sans savoir si c’était de l’eau ou du roc qui nous attendait plus bas.

De nombreux hurluberlus se positionnèrent pour ou contre le projet. Certains prêchèrent l’inconvenance de déranger Dieu avec des bruits de moteur ou le danger de heurter un ange. D’autres posèrent leur candidature au premier vol pour être assurés d’une place au ciel.

Les partisans du voyage, payés disait-on par les gouvernements, avancèrent des arguments plus ou moins loufoques à l’appui de leur thèse.

Plusieurs soutenaient que la surpopulation dans le monde entraînait déjà un épuisement des ressources, la faim dans plusieurs contrées et des guerres pour la survie. Rendre possibles les voyages interstellaires et découvrir d’autres planètes habitables pourraient permettre une gestion de la surpopulation par l’implantation de colonies.

D’autres faisaient remarquer que les cataclysmes semblaient de plus en plus nombreux. On prévoyait même des éruptions volcaniques géantes avant la fin du siècle, ou le possible impact d’un astéroïde de grande taille qui viendrait éteindre l’espèce humaine à l’instar des dinosaures il y a 65 millions d’années. 

Les changements climatiques se révélèrent un argument de choix. Les conséquences de la hausse du niveau des océans étaient de plus en plus évidentes. Depuis quelques années, partout dans le monde, des communautés, établies sur certaines rives depuis des siècles, avaient dû déménager. Sollicités par les évacués pour les aider, les gouvernements devaient faire face à des coûts effroyables. Souvent, des conflits armés éclataient entre les réfugiés des anciennes villes côtières et leurs concitoyens du même pays déjà établis à l’intérieur des terres. Ces derniers se sentaient spoliés par l’arrivée des nouveaux arrivants qui provoquait une hausse de la valeur des terrains, une augmentation des taxes, un engorgement des hôpitaux, des écoles et des services publics comme les transports et les réseaux électriques.

Des inquiets soutenaient que, depuis quelques années, la diminution des réserves mondiales de combustibles traditionnels, charbon, pétrole, uranium, devenait inquiétante pour certains pays toujours utilisateurs de ces énergies. Les prix montaient, les pays riches continuaient à s’approvisionner mais bientôt, même avec leur argent, ils n’auraient plus rien à acheter. Dans ce contexte, lancer l’exploitation des autres planètes pourrait être très profitable et peut-être apporter de nouveaux carburants facilement exploitables et peu dispendieux.

Une secte américaine profita de l’agitation pour augmenter le nombre de ses généreux membres donateurs. Le gourou rappela d’abord que les scientifiques prévoyaient que notre étoile, le soleil, se transformerait, dans quelques milliards d’années, en «géante rouge» après avoir épuisé l’hydrogène de son noyau. Il annonça ensuite que, contrairement à ce que pensaient ces pseudo-scientifiques payés par les gouvernements, le refroidissement de notre planète était pour bientôt. Conséquemment la Terre refroidirait jusqu’à devenir une masse de glace inhospitalière pour l’Homme. La prière était donc la seule solution.

Les généreux plaidaient que l’augmentation des connaissances avait toujours été un puissant levier pour l’évolution de la race humaine ou bien que la vie intelligente semblant peu commune dans l’univers, les hommes avaient donc le devoir d’essayer de la répandre dans toutes les galaxies.

Dès l’annonce publique du projet SPACE48 en 2041, des milliers de volontaires, d’un peu partout dans le monde, avaient manifesté leur intérêt à être choisi comme «astronautes». Le concours fut lancé en 2046. On constata que certains postulants étaient des illuminés espérant se rapprocher de Dieu ou faire un transit vers les étoiles. D’autres, le plus grand nombre, étaient des sans-emploi, sans qualification particulière. Cependant, près d’un millier des postulants étaient des personnes ayant des formations techniques ou universitaires, désireuses de participer à ce renouveau planétaire.

Les partenaires du Consortium avaient déjà établi les exigences pour le personnel naviguant, officiers de pont et de sécurité, car il y avait un risque de mauvaises rencontres avec des extraterrestres. Ceux-ci seraient des militaires, autant que possible sans liens familiaux, provenant des pays membres du Consortium et reconnus pour leurs talents particuliers. Cependant, il restait de nombreux postes à pourvoir et même s’il était possible de combler  ces postes par des militaires, un consensus s’était établi très tôt entre les partenaires: il fallait intégrer à l’expédition «des civils» pour faciliter l’acceptabilité du projet qui grevait, dans chaque pays membre du Consortium, les budgets généralement alloués à la santé, à l’éducation et à la défense. S’il manquait encore quelques volontaires, on pourrait offrir ces postes à des spécialistes de pays non membres du Consortium.

Des comités de sélection avaient été mis sur pied et le millier de candidates et candidats avait rapidement été ramené à une centaine pour combler des postes de médecin, infirmier, psychologue, kinésiologue, mécanicien, personnel d’entretien général ou de cuisine.

L’accent avait été mis sur les formations et expériences multidisciplinaires, la connaissance d’une langue commune, l’anglais, et comme pour les militaires, des liens familiaux inexistants ou très faibles. Chacune et chacun avait dû accepter que l’embauche définitive se ferait seulement au terme d’un stage rémunéré d’environ 14 mois où la santé physique et mentale, la condition physique, la résistance à la claustrophobie, la capacité à travailler en équipe et le travail en apesanteur, seraient mesurés et, si possible, améliorés.

Au terme des quatorze mois de stage, il ne restait que 60 candidates et candidats pour les 40 postes civils à pourvoir sur les 125 membres de l’expédition.

Les pensées du lieutenant-colonel David Fraser, toujours allongé confortablement sur un siège de la navette, dévièrent peu à peu vers le stage préparatoire au choix de l’équipage, tant civil que militaire.

Tous les militaires et civils avaient été transportés par avion dans un camp érigé promptement aux États-Unis, dans un endroit gardé secret. L’information, sur les antécédents, la logistique et les objectifs de la mission, avait occupé environ le tiers des heures de travail. Un deuxième tiers avait été réservé, pour chaque corps d’emploi, aux difficultés qui pouvaient survenir dans l’espace. Enfin, le dernier tiers avait été consacré au conditionnement physique avec des normes à peine moins élevées pour les civils que pour les militaires.

Les officiers chargés de la formation et de l’évaluation avaient dit à David Fraser, au terme du stage, qu’il s’était particulièrement signalé tant par son calme que par sa capacité d’analyse et de décision dans des situations difficiles. Athlète accompli, il était arrivé parmi les meilleurs au tir de combat et, malgré ses 38 ans, aucun jeunot n’était parvenu à l’emporter au corps à corps avec ce géant de deux mètres pour 125 kilos. Les instructeurs n’avaient donc eu aucune hésitation à recommander sa candidature comme officier commandant les 20 soldats de l’expédition.

Le fait d’être Canadien, pays non membre du Consortium, avait, selon lui, été un facteur capital de sa nomination. On évitait ainsi une querelle de prérogative entre certains alliés. C’est ainsi que passant par-dessus des militaires plus haut gradés et de plus grande renommée, David Fraser se retrouvait responsable de la sécurité de l’expédition.

Le voyage du navire-base de la Terre à Kepler 11 avait duré à peine quelques semaines, devançant les prévisions du Consortium. On avait pris quelques jours supplémentaires pour inspecter les environs du point d’arrêt, pour s’assurer qu’il n’y avait pas de débris stellaires et se positionner en orbite. «S’installer» comme disaient les civils.

L’amiral chinois commandant le navire-base, avait ensuite ordonné le départ d'une première exploration de la planète Kepler 11f par une des deux navettes remisées dans la soute.

N’ayant eu ces dernières semaines qu’à superviser l’entrainement en gymnase de ses six soldates et 14 soldats, David Fraser avait décidé, ce jour-là, de laisser le commandement de la brigade à son lieutenant et d’accompagner dans la navette les deux soldats qui devaient protéger les six scientifiques participants à la première mission au sol.

En réalité, seul le responsable désigné de la présente mission, Hisako Kimura, le biologiste Humberto Acosta et le géologue Harry Peary, avaient foulé le sol de cette planète. Une sortie d’à peine une vingtaine de minutes, dans des scaphandres trop lourds, sous le regard vigilant des deux soldats armés de leurs fusils d’assaut M18 adaptés à leur encombrante armure.

L’archéologue et anthropologue japonais avait recherché en vain les premiers signes de présence d’êtres intelligents; l’Américain d’origine mexicaine avait scruté le sol pour trouver d’infimes traces de vie, alors que son concitoyen géologue avait ramassé des échantillons de roche.

Maintenant, tout le monde était de retour dans la guêpe, débarrassé des scaphandres et des armes, confortablement installé au salon et à quelques kilomètres du navire-base qui devait demeurer en orbite, loin de toute planète visitée.

— Qu’est-ce qui se passe?

L’angoisse dans la voix de la femme médecin sortit subitement David Fraser de son rêve éveillé.

Tout le monde avait les yeux fixés sur l’écran et une tension palpable se dégageait de certains, sauf du Russe et de l’Anglais à l’air ennuyé.

L’écran montrait toujours en gros plan le navire-base, stationnaire à une vingtaine de kilomètres de la navette, et rien ne semblait annoncer l’imminence d’un danger.

— Qu’est-ce qu’il y a? dit Harry Peary.

— Vous n’avez pas vu? répondit Françoise Préjean, ses yeux ne quittant pas l’écran.

— Qu’est-ce qu’on aurait dû voir? répondit Peary

— L’éclair sous le navire-base. Pendant une fraction de seconde, quelque chose a brillé sous la coque. On aurait dit une explosion.

— Je n’ai rien vu. Et vous autres?

— Non! répondirent quelques voix.

Une minute d’inquiétude s’écoula puis une communication arriva du navire-base. La voix calme du responsable des communications figea tout le monde.

— Attention. Attention. Base à navette. Il semble y avoir un problème ici. Restez à l’écart! Je répète, restez à l’écart!

La tension devint majeure au salon. Personne ne disait mot dans l’attente d’une explication ou d’une nouvelle rassurante.

— Navette à base. Message reçu! dit la voix rocailleuse du commandant Kimnski. Nous faisons une pause.

Soudainement, de nombreux éclairs apparurent sur la coque du navire-base.

— Commandant à équipage! Nous allons à leur secours!

Les éclairs se multipliaient à la surface du navire-base et on voyait, même à cette distance, des projections de débris. Puis le nez de l’immense vaisseau spatial commença à s’incliner et l’appareil partit dans une longue glissade vers les planètes de Kepler 11.

— Commandant Kimnski! Ici l’amiral Huang. Je vous ordonne de vous éloigner immédiatement.

Sa voix s’adoucit soudainement.

— Écoutez bien commandant. Il n’y a plus rien à faire pour nous. Le vaisseau est perdu ainsi que son équipage. Vous approcher davantage signifierait votre perte. Votre devoir est clair. Vous devez retourner sur Terre et avertir les humains de cesser de jouer aux apprentis-sorciers. Vous…

Brusquement, la communication fut interrompue. Sur l’écran, chacun vit le navire-base se rompre dans un immense éclair et des débris partir en tous sens.

Virant subitement à 180 degrés, la navette accéléra pour échapper à la projection de débris. Les secondes passèrent très lentement pour l’équipage, encore sous le choc, qui ne pouvait rien faire sauf espérer. Alors que l’on était en pleine accélération gravitationnelle et déjà à plusieurs centaines de kilomètres de l’explosion, des bruits de percussion sur la coque furent clairement perceptibles. Quelques minutes d’un silence sépulcral s’installèrent.

— Ici le commandant! La voix de Kimnski sembla éclater dans le salon. Les senseurs ne détectent aucun bris sur la coque. Le lieutenant Chin-Lao Ming et moi-même sommes d’avis qu’il faut enclencher l’overdrive pour rentrer au plus tôt sur Terre. Cela va prendre plus d’une semaine et nous ne sommes pas équipés pour un long séjour à bord. Nous n’avons pas le choix, il faudra se rationner et vivre à l’étroit. Nous sommes incapables de vérifier les conséquences des impacts entendus sur la coque. Vérifiez bien vos ceintures et si vous croyez en un être suprême, c’est le temps de le prier.

Quelques secondes plus tard apparut au coin du grand écran l’indication que la navette se trouvait en hyper-espace. Un instant de silence, une sensation de vide total, puis l’indication de retour en propulsion gravitationnelle s’afficha à l’écran. On était de retour dans le système solaire de la Terre, près de la planète Mars, et il ne restait que quelques jours peut-être avant de poser pied sur la bonne vieille planète bleue qui se pointait au loin.

Les premiers éclats de joie s’éteignirent rapidement. Chacun et chacune dans la navette sut que quelque chose n’allait pas. Tous sentaient une vibration inhabituelle de la coque et, réaction sans doute du pilote, une décélération rapide pour faire cesser la vibration.

— Attention! J’ai diminué la vitesse mais je sens un jeu anormal dans les commandes. Nous prendrons quelques jours de plus pour arriver à destination. La communication est toujours impossible avec la Terre. Je demande à l’ingénieur Alexéïev de faire l’inspection intérieure de la coque et de venir me faire son rapport. Terminé!

Le Russe détacha immédiatement ses sangles, se mit debout et se dirigea vers l’arrière de la navette. Comme chaque fois qu’elle le regardait, la doctoresse française se fit la même réflexion: «Quelle carrure, quelle énergie dégage ce mec».

Une grosse tête sur un cou presqu’inexistant, des épaules fortes et larges, un tronc épais sur des hanches sans finesse, des cuisses énormes et des mollets musculeux. Cet ancien athlète olympique en haltérophilie était un véritable bulldozer. À 40 ans, avec ses 150 kilos de muscles et son 1,85 mètre, il donnait à son vis-à-vis la sensation d’être face à un mur de granit. Elle n’aurait pas aimé rencontrer seule dans le noir cet ours russe qui semblait par ailleurs si gentilhomme.

Le signal de l’autorisation de quitter les sièges s’affichait à l’écran et tous les autres étaient debout, commentant les derniers événements.

— Il n’y avait rien d’autre à faire! dit Harry Peary. Nous ne pouvions pas rentrer au garage de la base et même si nous avions pu, nous n’aurions pu embarquer que quelques personnes.

— Cela aurait été quelques vies sauvées! dit Xing Jia que ses talents particuliers sous l’eau avaient amenée à secourir bien des marins.

— Ce qui est fait est fait! reprit Peary.

Ce Californien de 36 ans, beau garçon de 1,90 mètre, éternel célibataire, avait la réputation d’être plus à l’aise dans son laboratoire de géologie-chimie qu’en société. On racontait qu’il était particulièrement timide avec les femmes, surtout celles, et elles étaient nombreuses, qui lui faisaient du charme.

Humberto Acosta, à son habitude, gardait le silence, tête baissée. D’allure assez banale, renfrogné, ce récent divorcé de 42 ans n’avait pas été retenu dans la mission pour la qualité de ses rapports humains mais pour ses grandes compétences en biologie et en botanique. Américain d’origine mexicaine, il était accro au travail et n’ouvrait la bouche que pour répondre, brillamment il faut le dire, aux questions posées.

Sir Thomas Murdoch s’avança vers le groupe.

— Si vous voulez mon avis, commença-t-il, je pense, comme monsieur Peary, que notre commandant a pris la décision qui s’imposait. Maintenant notre devoir est de survivre pour rapporter le peu que nous savons.

Sir Thomas, comme l’appelaient familièrement tous les soldats, était réellement un baronet anglais avec domaine et château. Major dans l’armée britannique, cet aristocrate mince et droit aurait pu prétendre au commandement des soldats de la mission. Il avait cependant spécifié en postulant que, si sa candidature était retenue, il voulait servir comme simple soldat. L’honneur de participer à cette mission historique étant suffisant pour ce vieux garçon de 42 ans, militaire comme tous ses ancêtres et peu porté sur la vie de château. Il insistait auprès de chacun pour être appelé tout simplement Murdoch mais tous se faisaient un devoir de donner du «sir» à ce pince-sans-rire qui était très populaire.

David Fraser n’avait pas encore dit un mot. Il étudiait chacune des personnes présentes en se questionnant sur les aptitudes de chacune et chacun à faire face à une situation critique comme celle-ci. Certes, une fois la sélection des 125 membres d’équipage complétée et sa nomination à la sécurité annoncée, il avait lu tous les rapports des instructeurs, assimilant les qualités et parfois les lacunes détectées sur l’ensemble des membres de l’expédition. Maintenant, à part lui, il restait seulement 11 personnes qui se connaissaient peu et devraient vivre ensemble des moments peut-être difficiles.

L’archéologue Hisako Kimura, par exemple, ne parlait pas beaucoup. Calme et toujours respectueux des autres, cet homme mince, de 39 ans et d’à peine 1,72 mètre, n’avait pas l’air dangereux mais quand il entrait en action, selon les instructeurs, cette ceinture noire deuxième dan en kung-fu et en jiu-jitsu était redoutable. Il maitrisait également, selon son dossier, la voie du sabre et du bâton. Un homme sur lequel on pouvait compter au combat. Cependant, comment réagirait-il à un stress prolongé? Rien dans son attitude présente ne le laissait prévoir.

La doctoresse française, Françoise Préjean, était une sémillante jeune femme de 35 ans, blonde, volontaire, débordant habituellement de bonne humeur. Divorcée sans enfant, elle avait travaillé, selon son dossier, pour Médecins sans frontières dans le nord de l’Afrique où les guerres tribales faisaient rage depuis 40 ans. Confrontée aux blessures par balles, aux amputations à la machette, aux tortures et maladies endémiques, elle avait conservé son optimisme naturel. Décidément, même si elle avait présentement perdu son sourire coutumier, c’était une personne de confiance, un atout précieux en cas de catastrophe.

Le regard de David se reporta sur la jeune Chinoise qui s’était allongée à nouveau après avoir donné son avis. À la fin du stage, il avait mal compris l’intérêt des décideurs à retenir sa candidature. C’était une technicienne en communication de qualité mais plusieurs autres candidats avaient les mêmes qualifications. En relisant son dossier, il avait vu ce qui l’avait avantagé. À 15 ans, elle avait été championne nationale en nage synchronisée puis avait pratiqué tous les sports nautiques. À 32 ans, elle était devenue une spécialiste du travail de longue durée en vase clos. Sa capacité de travailler en solitaire dans les cloches de plongée, les bathyscaphes et les sous-marins de recherche et sauvetage de son pays lui avait permis de développer une habileté bien particulière en cas de panne prolongée au sol.

Le sas de la cambuse s’ouvrit et le Russe traversa rapidement le salon, sans répondre aux questions de ses collègues, pour s’engouffrer dans  la cabine de pilotage. Cinq minutes plus tard, il revenait au salon. Répondant à la question silencieuse de ses collègues, il se lança:

— J’ai fait une tournée rapide de tout l’arrière et je n’ai rien vu d’anormal. J’ai dit au commandant que je prendrais une bouchée et que je ferais une visite plus approfondie. Je recommencerai chaque jour jusqu’à ce que l’on pose ce rafiot. Alors, qui vient manger?

— Comment peux-tu penser à manger dans un moment pareil? dit Peary.

— Que veux-tu, les émotions me creusent l’appétit. Et puis pour nourrir la machine il me faut au moins 8 000 calories par jour. Allez, on y va.

En trainant un peu la savate tous les passagers et le copilote Chin Lao Ming, qui faisait rotation au pilotage avec le commandant, passèrent à la cambuse pour prendre une barre protéinée à 600 calories et un peu d’eau.

— Ce n’est pas avec cela que je vais entretenir mes muscles, râla l’ingénieur. Que ne donnerais-je pour une grosse assiette de blinis accompagnés de crème sure et de caviar d’esturgeon! soupira-t-il.

-∆‡∆-

Les jours passèrent, plutôt monotones car il n’y avait pas de gymnase, de bibliothèque ni de salle de jeu comme dans le navire-base disparu. L’humeur générale était à la nostalgie. Chacun pensait aux compagnons et compagnes disparus et, le moins souvent possible, aux dangers qui pouvaient survenir.

Seuls Xing Jia, qui remplaçait occasionnellement Kirk Sanders au poste de communication et navigation, ainsi que Casimir Alexéiëv, qui patrouillait la guêpe presqu’à temps complet, avaient un travail important pour s’occuper quelques heures chaque jour.

On voyait peu le commandant Kimnski. Son copilote le remplaçait régulièrement pour lui permettre une pause toilette et un ravitaillement à la cambuse mais il préférait passer le plus de temps possible à surveiller les nombreux écrans du tableau de bord.

Le cinquième jour après avoir quitté les environs de Mars, David Fraser demanda une consultation privée à la doctoresse Préjean.

— Que puis-je faire pour vous?dit celle-ci d’entrée de jeu.

— Et bien, docteure…

— Depuis le départ de cette mission, l’interrompit-elle, on s’est donné du «docteure» et du «colonel». Ne pensez-vous pas que dans la situation présente on pourrait s’appeler par nos prénoms et se tutoyer?

— Cela me conviendrait parfaitement mais on laissera faire les autres comme il leur plaira.

— Parfait. Alors, que me vaut l’honneur de ta visite?

— Et bien, un faux prétexte pour vous… pardon, pour te voir seule. Comme tu le sais, mon travail consiste à assurer la sécurité. Je n’ai rien pu faire pour les malheureux du navire-base mais je compte faire ce que je peux pour les survivants de cette navette. Je ne veux pas t’alarmer mais nous ne sommes pas encore sortis des problèmes. Pour l’instant, tout semble aller mais la rentrée dans l’atmosphère terrestre sera très difficile pour la navette. Elle peut exploser au contact et, si c’est le cas, il n’y aura rien à faire. Elle peut également dévier de sa trajectoire et se poser en catastrophe quelque part, en pleine jungle ou en plein désert. En ce cas, il faudra survivre et retrouver la civilisation. Il pourrait y avoir des blessés graves ou des morts. Tu me vois venir?

— Je pense que oui.

— Ce que je te demande c’est d’abord de préparer ta trousse médicale dans la perspective que nous soyons isolés pendant plusieurs jours. Ensuite, je voudrais que, discrètement, tu places cette trousse dans un placard inutilisé à l’arrière du salon. Il ne faut pas que les autres sachent, pour ne pas créer de panique. À l’atterrissage nous serons tous assis au salon et s’il arrive quelque chose et que nous survivons, nous n’aurons peut-être pas le temps de passer par l’hôpital pour récupérer la trousse. Qu’en dis-tu?

— Bien, répondit-elle, après une longue minute de réflexion, je vois que tu as cogité sérieusement sur la chose. Je suis d’accord pour faire ce que tu dis et laisser les autres dans l’ignorance. On se reparle s’il nous vient d’autres idées?

— Certainement et merci.

David quitta Françoise légèrement troublé par les yeux de félin de la jeune femme. Ils étaient d’un vert émeraude pailleté d’or et son regard étrange et magnifique transperçait son interlocuteur.

Se rabrouant mentalement pour cette distraction passagère, David revint aux préoccupations du moment. Maintenant que la probabilité d’une catastrophe à l’atterrissage augmentait, il voulait vérifier une dernière fois que le matériel de survie qu'il avait rassembler, avant le départ, comme responsable de la sécurité était complet.

Il était rangé dans un placard du salon à l’intérieur d’un sac à dos renforcé. Il comprenait notamment une machette, un couteau, une scie pliable, des allumettes à l’épreuve de l’eau et une pierre à feu en alliage de magnésium. Il y avait également une minuscule lampe de poche avec batteries de rechange, un miroir de signalisation, des fusées et une boussole. Enfin, un ensemble d’aiguilles et de fil à coudre, une bobine de ligne pour la pêche, du fil d’acier pour faire des pièges, une pierre à aiguiser et 50 mètres d’un petit câble de nylon très solide, venaient compléter la trousse de survie.

Chaque sac à dos pesait environ 12 kilos. Il y en avait un dans chaque navette et trois sur le navire-base.

David repensait aux choix qu’il avait dû faire en composant ses kits de survie. Pour réduire le volume et le poids, pas question d’apporter des vêtements convenant pour la pluie ou pour le froid, des sous-vêtements de rechange, de la nourriture, une arme à feu et ses munitions, des cartes topographiques, des tentes… Pour un groupe comme le leur, il était impensable d’apporter des vêtements à la taille de chacun pour résister, selon le cas, au froid ou à la chaleur. Juste à penser au «kamarad» Casimir boudiné dans un vêtement de taille universelle, il étouffa un rire solitaire.

Si les conditions d’atterrissage le permettaient, ils pourraient toujours s’approvisionner en vêtements, nourriture et armes à feu dans la navette. Sinon, il faudrait se contenter du sac de survie et de la trousse médicale de Françoise.

-∆‡∆-

Les dernières journées dans l’espace n’eurent rien de particulier si ce n’est que les communications avec la Terre étaient toujours impossibles et que la crainte devint palpable chez la majorité.

Quelques heures avant la rentrée en atmosphère, alors que tous étaient sanglés sur leur siège au salon, David demanda au commandant Kimnski la permission de s’adresser à tout le monde à bord. Ayant reçu son approbation, il commença:

— Écoutez bien! Comme vous tous, je ne sais pas ce qui va arriver tantôt. Je souhaite ardemment que tout se passe bien mais vous conviendrez avec moi qu’il vaut mieux prévoir. Si l’atterrissage est difficile et qu’il y a des morts ou des blessés, Françoise et moi avons préparé quelques effets pour faciliter la survie. Le sac médical de Françoise et le sac à dos de survie se trouvent dans le placard derrière moi. Ne sortez pas de la navette sans vous assurer que les deux sacs soient en possession de quelqu’un. J’insiste. Qu’il arrive quelque chose à Françoise ou à moi-même, vous devez emporter ces sacs. Que Dieu nous vienne en aide.

Le silence était total. La Terre se rapprochait à grande vitesse et on pouvait voir qu’un grand quartier de la planète était dans la nuit. Chacun semblait encore assimiler l’exhortation du militaire lorsqu’une luminosité intense, due à la friction de la rentrée en atmosphère, apparut sur l’écran. L’angle d’entrée était bon et le bouclier semblait jouer son rôle pour résister le mieux possible à l’échauffement.

Soudain la vibration reprit et des bruits d’arrachement se firent entendre.

— Les commandes n’obéissent plus! cria le pilote.

Quelques instants plus tard sa voix se fit plus anxieuse pour annoncer:

— Nous partons en vrille. Je ne sais pas si je pourrai redresser.

La navette, incontrôlable, se dirigeait du côté sombre de la planète.

— Je ne sais pas où nous allons, dit le pilote, après quelques minutes. L’échosondeur me dit que nous sommes à environ 22 000 mètres d’altitude. J’essaie de ralentir.

Tétanisés sur leurs sièges, la bouche sèche, certains préférèrent fermer les yeux dans l’attente de l’écrasement.

Miraculeusement, la navette sembla tout à coup obéir à la commande de ralentissement, sans cesser cependant d’aller de gauche à droite.

Un bruit de ferraille tordue et de déchirement se fit entendre quand la navette percuta le sol en angle aigu, ricocha dans les airs puis tomba vers le sol pour s’enfoncer dans une masse liquide. 

CHAPITRE 2 - LE CRASH

Jia avait mal partout et ne comprenait pas ce qui avait pu lui arriver. Elle entendait des bruits bizarres près d’elle. Elle essaya d’ouvrir les yeux et dut faire un effort pour y parvenir.

La première chose qu’elle vit était un grand écran mural brisé, sur le mur en face d’elle. Tout d’un coup, la mémoire lui revint. La navette s’était écrasée. Les bruits derrière elle étaient de plus en plus forts. Les sièges à côté d’elle étaient vides. Elle occupait un siège de la première rangée. Elle essaya de tourner la tête pour voir derrière mais les ailettes du siège enveloppant ne le lui permettaient pas. Fébrilement, elle parvint à détacher les sangles qui la retenaient prisonnière et, basculant sur le côté, elle se redressa en position assise.

Elle remarqua d’abord la pénombre qui baignait la pièce. Puis une voix et un mouvement attirèrent son attention. C’était l’immense officier canadien, penché sur un des sièges, qui demandait à l’occupant comment il se portait avant de passer au suivant.

La montagne russe se mettait également en branle, se levant péniblement en secouant sa grosse tête et en tâtant sa puissante carcasse. Toujours confuse, Jia leva la tête vers le plafond. L’éclairage habituel était éteint et seulement un éclairage de secours, fonctionnant sur batterie, jetait une lueur à peine suffisante pour voir.

Elle entendit à nouveau les bruits qui l’avaient réveillée. C’était des gémissements. Regardant dans cette direction, elle vit trois sièges arrachés du plancher et renversés. L’un d’eux n’avait visiblement pas été occupé avant l’impact. Des pieds inertes dépassaient du deuxième et les gémissements provenaient du troisième siège, tombé de côté, face à la cloison.

Elle se leva et se dirigea d’un pas incertain pour porter assistance. Elle fut cependant dépassée par la doctoresse qui se précipitait avec sa trousse médicale et s’agenouillait près du blessé. La Française tenta d’examiner la victime.

— David! dit-elle en parlant par-dessus son épaule. Pourrais-tu venir m’aider, je suis incapable de bouger ce siège et je ne vois rien?

En quelques secondes l’officier fut près d’elle. Sans sembler faire d’effort, il saisit le siège et son occupant et, délicatement, remit le siège debout.

L’étonnement devant une telle prouesse apparut sur le visage du médecin pendant quelques secondes mais les gémissements d’Humberto Acosta la ramenèrent à la réalité. Son patient avait le visage très amoché et sa jambe droite faisait un angle anormal.

Ouvrant sa trousse médicale, elle prit une paire de ciseaux et coupa avec délicatesse le tissu de la salopette jusqu’à hauteur du genou. L’os perçait un peu la peau.

Se tournant vers Jia qui arrivait pour l’assister, elle lui dit:

— Ne le détachez pas et venez immobiliser complètement sa jambe blessée. Il ne faudrait pas, qu’en remuant, il se blesse davantage. (Sans s’en rendre compte, elle passa au tutoiement). Tu vois l’os qui sort? Son bout est tranchant et il pourrait couper des vaisseaux sanguins, des nerfs et même des muscles. Il faut immobiliser la fracture.

Elle se retourna à nouveau vers David qui était maintenant occupé à redresser un Peary inerte sur son siège et lui dit:

— Pourrais-tu venir m’aider de nouveau?

Sans répondre, David arriva rapidement.

— S’il te plait, place-toi à ma droite et prend la cheville d'Humberto. Quand je te le dirai, tire-la fermement vers toi, le temps que je replace les os.

...

— C’est le moment, tire!

Un hurlement de souffrance sortit de la gorge de l’Hispano-Américain puis, la douleur diminuant, les gémissements reprirent. La doctoresse prit dans sa trousse médicale un sachet de sulfamide qu’elle saupoudra sur la plaie. Elle déposa délicatement un pansement qu’elle colla avec du diachylon et rabattit la jambe de la salopette sur la plaie.

La voyant chercher des yeux quelque chose qui lui manquait, David lui demanda ce dont elle avait besoin:

— Je voudrais lui éclisser la jambe et, si possible, les deux jambes. J’imagine qu’il faudra partir d’ici et le déplacer. Ce sera moins douloureux pour lui avec les deux jambes immobilisées.

À peine avait-elle terminé de parler que l’officier se dirigeait déjà vers les placards du fond de la pièce. Les ouvrant tour à tour pour examiner leur contenu, il choisit l’un d’eux et vida d’un mouvement rapide du bras les documents qui occupaient deux étroites tablettes en métal. Elles étaient bien fixées aussi les arracha-t-il littéralement du meuble. Ouvrant un tiroir, il prit un rouleau de ruban gommé d’électricien et revint avec son butin auprès de la jeune femme.

— Ça ira?

— Parfaitement.

— Que dirais-tu d’enrouler de la mousse-mémoire autour de la jambe avant d’éclisser?

— Où prendras-tu cela?

Sans répondre, le géant se pencha vers le dernier siège renversé et, d’une torsion de ses grandes mains, déchira le tissu recouvrant le meuble. D’un seul mouvement il arracha le rembourrage et l’offrit à la jeune femme abasourdie.

Rapidement, le rembourrage fut disposé autour des jambes du blessé et les attelles improvisées furent disposées de chaque côté des jambes.

— Aide-moi en lui soulevant les deux jambes en même temps. Je vais enrouler le ruban gommé.

Ils abandonnèrent bientôt Acosta et, pendant que les autres membres de l’équipage se remettaient tour à tour sur pied en tâtant leurs plaies et bosses, ils passèrent à Harry Peary.

— Il est encore assommé. Il doit avoir une commotion cérébrale. Il ne saigne ni du nez ni des oreilles. Il n’y a pas grand-chose à faire sauf le transporter délicatement en lieu sûr.

— Attention s’il vous plait! résonna soudain la voix puissante du Russe. J’ai évalué sommairement la situation. Nous savons déjà que nous sommes au fond de l’eau. Nous l’avons constaté après le ricochet de la navette sur le sol et maintenant, si vous vous donnez la peine de regarder la cloison arrière, vous verrez qu’il y a des infiltrations d’eau au plancher. Si vous collez votre oreille au sol, comme je l’ai fait, vous entendrez des bruits d’eau dans la cale. Je pense que la coque est percée.

Par ailleurs, aucun son ne nous parvient de la cabine de pilotage. Ce n’est pas bon signe. Nous ne savons pas à quelle profondeur nous sommes ni s’il sera possible de gagner la surface et d’atteindre une rive.

Ce qui est certain, continua-t-il, c’est que nous ne pouvons pas demeurer ici. L’eau va envahir la pièce et, si ce n’était pas le cas, nous manquerons certainement d’air dans quelques heures.

Je ne sais pas pour vous mais moi je n’ai pas l’intention de crever au fond de l’eau si je peux faire autrement. Alors c’est certain que ma décision de sortir conditionne la vôtre. Il n’y a pas de sortie extérieure dans cette pièce. Je devrai ouvrir le sas arrière ou le sas avant pour trouver une sortie. Vers l’arrière, la seule sortie est dans le garage et c’est plutôt loin si les pièces sont déjà noyées. Vers l’avant, comme vous le savez, la sortie est juste de l’autre côté du sas. Nous avons des blessés que je ne veux pas abandonner ici et j’aimerais bien savoir ce qu’il est advenu du commandant et des autres. Alors, je vote pour l’avant.

...

— Voilà la situation. Qu’en dites-vous?

Pendant l’exposé du colosse, personne n’avait dit mot mais aucun regard n’avait quitté celui du Russe.

David surveillait discrètement les visages à la recherche de signes de panique. La situation n’était pas très encourageante. Pour sa part, il partageait pleinement l’analyse et le plan de Casimir.

— Je suis inquiet pour notre sécurité, commença t-il, et vous l’êtes sans doute aussi. C’est normal.

Se voulant le plus rassurant possible, il continua :