Terre ancienne - Tome 2 - Gérald Garon - E-Book

Terre ancienne - Tome 2 E-Book

Gérald Garon

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Beschreibung

La dernière glaciation est la conclusion de l’aventure débutée 18 ans plus tôt avec la chute sur Terre d’une navette spatiale ayant à son bord quelques cosmonautes. Ils ont reculé dans le temps d’environ 35 000 ans et se retrouvent prisonniers d’une époque lointaine où Néandertaliens et Homo Sapiens occupent le territoire qui deviendra l’Europe. Ils doivent louvoyer entre les conflits de clans tout en essayant de survivre.
Un jour, leurs voisins et amis de la grotte de l’Ours sont attaqués par des pillards. Quatre jeunes filles sont capturées et les kidnappeurs fuient vers le nord où est situé leur village. Demandés en renfort par leurs alliés, David et ses amis forment un commando pour poursuivre les assaillants et, si possible, ramener les prisonnières.
Cette expédition les amènera dans le nord de l’Europe de l’Est où les signes avant-coureurs de la dernière glaciation de notre planète commencent à poindre. Le glacier, déjà présent sur la Baltique, descend lentement vers le sud, créant à son approche un paysage de toundra et des hivers arctiques.
 
Le commando réussira-t-il à accomplir sa mission? Tous pourront-ils revenir? Quelles seront les conséquences de cette équipée? Qu’adviendra-t-il des descendants des cosmonautes?

À PROPOS DE L'AUTEUR


Gérald Garon est un auteur québécois. Historien de formation, il a enseigné au Cegep de Rimouski puis occupé diverses fonctions administratives au même collège jusqu’à sa retraite. Il utilise, dans cette deuxième fiction préhistorique, ses connaissances du passé humain et ses expériences de vie dans la nature pour offrir à ses lecteurs la suite tant attendue de Terre ancienne, son premier roman.

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Seitenzahl: 515

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Titre: Terre ancienne : science-fiction / Gérald Garon.

Noms: Garon, Gérald, 1944- auteur. | Garon, Gérald, 1944-. Dernière glaciation.

Description: Sous-titre du tome 2 : Roman historique préhistorique. | II. La dernière glaciation.

Identifiants: Canadiana 20200077147 | ISBN 9782898091544 (vol. 2)

Classification: LCC PS8613.A7797 T47 2020 | CDD C843/.6—dc23

Auteur :Gérald GARON

Titre :La dernière glaciation

S/Titre :Terre Ancienne 2

Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire cet ouvrage en totalité ou en partie, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation écrite préalable de l’auteur, conformément aux dispositions de la Loi sur le droit d’auteur.

©2021 Éditions du Tullinois

www.editionsdutullinois.ca

ISBN version papier : 978-2-89809-154-4

ISBN version E-Pdf : 978-2-89809-155-1

ISBN version E-Pub : 978-2-89809-156-8

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives du Canada

Dépôt légal papier : 1er trimestre 2022

Dépôt légal E-Pdf : 1er trimestre 2022

Dépôt légal E-Pub : 1er trimestre 2022

Corrections grammaticales: Éditions du Tullinois

Illustration de la couverture : Mario ARSENAULT -Tendance EIM

Imprimé au Canada

Première impression : Février 2022

Nous remercions la Société de Développement des Entreprises Culturelles du Québec (SODEC) du soutien accordé à notre programme de publication.

SODEC - QUÉBEC

Avertissements

Pour bien comprendre le contexte et certaines situations de ce roman, il est préférable d’avoir lu le roman «Terre ancienne», du même auteur, paru en 2020 aux Éditions du Tullinois.

Pour une meilleure compréhension du texte, les paroles prêtées par l’auteur aux Néandertaliens et aux Sapiens sont écrites dans un français international. Plusieurs mots, constructions de phrases et procédés d’expression sont incompatibles avec l’époque où se situe le roman. De plus, les nombres, les chiffres, les points cardinaux, les unités de mesure (longueur, masse, temps, superficie, température, volume, vitesse), toutes ces conventions internationales qui permettent aux humains actuels de se comprendre, n’existaient pas, mais nous avons généralement choisi de les utiliser pour éviter de trop longues périphrases ou embrouiller le texte.

Remerciements

A Claude Rey . Des Éditions du Tullinois,

pour ses précieux conseils.

À Ruth Gagné, ma conjointe, qui m’a appuyé à chaque étape de la conception et de la réalisation de ce roman.

Et

À mes filles et mes petits enfants qui sont ma source principale de motivation à écrire.

PROLOGUE

Terre ancienne, le premier roman de l’auteur, raconte les aventures de quelques astronautes partis dans l’espace en 2048 dans un énorme vaisseau spatial international. Leur objectif était d’explorer un système solaire situé à 2000 années-lumière de la Terre. À peine rendus, un accident inexpliqué détruit le vaisseau spatial et tous ses occupants. Une navette, éloignée du vaisseau-mère au moment de l’explosion, réussit, malgré les dommages subis, à entreprendre son voyage de retour vers la Terre.

Alors qu’elle pénètre dans l’atmosphère terrestre, tout se met à dérailler. Échappant à tout contrôle, le petit véhicule spatial se précipite vers le sol, loin du point d’atterrissage prévu, et s’écrase dans un lac. Seuls ses neuf passagers résistent à l’impact et réussissent à regagner la rive. Ils attendent des secours pendant quelques jours, mais comme personne n’arrive et qu’il n’y a aucun signe de vie humaine dans les environs, ils décident d’envoyer quelques individus explorer la région et prendre contact avec leur base de lancement.

À leur grande surprise, ils assistent à une scène violente commise par ce qui semble être des hommes primitifs. Ils fuient pour rejoindre leurs camarades demeurés au lieu d’arrivée. Où sont-ils? À quelle époque? Ils parviennent à la conclusion qu’ils sont quelque part en Europe de l’Est et surtout, qu’ils ont reculé d’environ 35 000 années dans le temps. C’est là le point de départ d’une histoire de survie de gens résilients qui, assistés de leurs connaissances individuelles, n’hésiteront pas à affronter les dangers qui s’annoncent. Se réchauffer, se nourrir, se loger, se vêtir, s’armer dans un monde possiblement hostile, deviendront leurs priorités.

CHAPITRE 1

L’ÉVEIL D’UN CHASSEUR

Penché sur l’encolure de sa monture, la main gauche agrippée fermement à la solide crinière, Cra encourageait sa pouliche à courir. Il lui parlait à l’oreille et lui pressait faiblement les flancs de ses talons pour la diriger.

Un peu plus tôt, avec Mouc, son ami et élève, il avait croisé une piste récente de cerf. Cela faisait des heures qu’ils chassaient en vain et voila que se présentait peut-être une occasion de fournir de la viande fraîche au clan de la Rivière-Verte où vivait Mouc depuis deux ans. Le jeune homme avait atteint depuis longtemps son âge d’homme, mais ayant perdu sa mère tout jeune et son père étant mort à la chasse quelques années plus tard, il avait été laissé à lui-même. Il errait dans son village natal du Grand Lac, perdu dans des pensées qu’il n’exprimait jamais, vivant aux crochets de voisins compatissants qui avaient beaucoup respecté son père. Privé de stimulation paternelle pour apprendre à maitriser les armes et les techniques de chasse indispensables à sa survie, il était devenu avec le temps un objet de honte pour sa communauté et la risée des jeunes du village. Sans aviser qui que ce soit, un matin, très tôt, il avait quitté sa communauté du Peuple-des-Eaux. Empruntant l’embarcation de roseaux d’un pêcheur, il avait traversé l’embouchure du Grand Fleuve et abandonné la barque aux caprices des vents. Puis il avait marché en direction de l’ouest, sans arme ni provision, suivant plus ou moins la rive du fleuve, avec le seul objectif de s’éloigner de ceux qui le tourmentaient.

Heureusement, c’était la saison où les fruits abondaient, ainsi que les plantes d’eau et les champignons. Presque miraculeusement, il réussit à éviter les nombreux fauves de la région, parfois en grimpant aux arbres, parfois en se jetant à l’eau car il avait appris à nager avec les autres enfants du village. De même, sans être vu, il réussit à contourner les quelques pêcheurs d’esturgeons et les rares groupes de chasseurs-cueilleurs étrangers qui auraient pu essayer de le dissuader de fuir son village, et qui sait, le capturer ou même le tuer. Après plusieurs semaines de pérégrinations, affamé et hagard, il aboutit au campement de la Rivière-Verte. Les habitants l’avaient accepté, mais ils lui avaient fait comprendre qu’il devrait, par son travail, mériter sa nourriture et son logis. Constatant son incompétence au travail du cuir ou à la taille du silex, ils avaient décidé de l’incorporer dans les groupes de chasse. Cependant, comme il ne connaissait rien aux pistes de gibier ou au lancer de la sagaie, il devait accompagner les hommes chargés du rôle ingrat de rabattre les proies vers les meilleurs chasseurs du village. Devenu soudainement conscient de la nécessité d’apprendre à survivre par lui-même, il avait cherché des mentors au village. Les autres chasseurs étaient trop occupés à répondre aux besoins de leurs familles et à ceux du clan pour aider un jeunot qui n’avait pas su écouter et apprendre quand il en avait eu l’occasion. À l’indifférence de tous, entre les expéditions de chasse, Mouc vagabondait donc dans les bois environnant le village du clan, lançant son épieu vers des gibiers imaginaires ou le faisant tournoyer au-dessus de sa tête pour impressionner des ennemis tout aussi chimériques.

La rencontre de Mouc et de Cra, ces deux êtres solitaires, était sans doute planifiée de longue date par le Grand Esprit qui mène le monde; quoique les déplacements continuels de chacun devaient bien, un jour ou l’autre, les amener face à face.

Tout en galopant, cheveux au vent, Cra pensait aux dernières lunes écoulées après cette rencontre.

-∆‡∆-

Depuis des années, dès la fonte des neiges, inlassablement, Cra patrouillait à cheval une nouvelle partie du territoire environnant le clan du Loup, où il vivait avec sa mère, ses oncles, tantes et cousins. Régulièrement, il explorait le territoire de la rivière Verte où de plus en plus d’amis d’enfance et d’anciens parents du Peuple-des-Eaux étaient venus se réfugier. Cet éternel inquiet n’aimait pas les nouvelles occasionnelles rapportées de son village natal du Grand Lac par les rares voyageurs. Ou plutôt, il redoutait l’absence de nouvelles. Où étaient passés Radac et ses hommes? Six étés plus tôt, le tyrannique chef avait disparu du village avec 20 guerriers. La rumeur avait couru à l’époque qu’il allait joindre ses forces à celles d’un ancien chef de la grotte de l’Ours, Grit, pour se venger des étrangers du clan du Loup et de quelques renégats de son peuple qui avaient fondé le clan de la Rivière-Verte. Et puis, plus rien. Cra se souvenait vaguement de l’arrivée d’Arg au clan du Loup. Le shaman des Ours venait avertir ses amis d’une attaque imminente. Mais il ne s’était rien produit. Il en avait parlé souvent à ses parents, à ses oncles et tantes. Chacun avait des souvenirs tellement vagues de l’incident qu’il n’avait pu en tirer aucune conclusion. Aussi préférait-il vérifier lui-même si danger il y avait. Il en profitait pour augmenter sa connaissance du territoire, des particularités du terrain, des zones les plus giboyeuses, des arbres fruitiers, des plantes comestibles ou médicinales, des cachettes et refuges utilisables en cas de guerre, de la qualité des pierres pour la production d’armes et d’outils ou pour allumer un feu.

Un jour, à proximité de la rivière Verte, il était tombé sur Mouc qui chassait à l’épieu durci au feu. Les deux jeunes gens avaient immédiatement sympathisé. Mouc avait été prévenu par des membres de son nouveau clan de la possibilité de rencontrer un jour un chasseur-guerrier, monté, chose extraordinaire, sur un cheval, peut-être même accompagné d’un loup qui lui obéissait. On lui avait vaguement raconté l’histoire déjà tumultueuse de ce jeune homme et il rêvait de lui parler. Malheureusement, souvent il revenait à son village d’une expédition de chasse pour apprendre que le jeune guerrier du Loup était passé pour saluer ses amis de la Verte et qu’il était reparti.

Cra, de son côté, avait souvent ressenti le besoin de fréquenter des personnes de son âge. Il avait toujours vécu avec des adultes et des enfants plus jeunes. À 26 ans, il était un guerrier accompli de 1,83 mètre. Il égalait ses vieux oncles en endurance, en souplesse et en adresse au combat, même s’il était incapable de surpasser en force son chef, David, et Casimir, son père adoptif. L’admiration de Mouc envers son ainé était tellement évidente que Cra n’avait pu s’empêcher d’y répondre. C’est ainsi que, sans particulièrement se cacher, les deux jeunes prirent l’habitude de se rencontrer, au moins une fois par semaine, dans une petite clairière, à l’écart des sentiers utilisés habituellement par les gens du clan. Ils se racontaient leur passé, rêvaient de leur futur, mais surtout, Cra profitait de ces moments pour former son jeune ami afin qu’il devienne un chasseur efficace et indispensable pour son clan d’adoption. Entre autres choses, il entreprit d’enseigner à Mouc la langue des premiers habitants de la région, les Anciens, comme les appelaient les gens de son peuple natal, ou les Néandertaliens, comme les nommaient parfois entre eux ses oncles et tantes. Même si les étrangers du clan du Loup, parlaient certaines langues qu’il ne comprenait pas, il crut utile d’enseigner également l’anglais, la langue commune de ses oncles et tantes, ce qui pourrait être utile un jour au jeune homme. Chaque rencontre se terminait par un entrainement au combat à mains nues, au maniement de certaines armes, particulièrement la fronde, à laquelle Cra avait toujours excellé, et au lancer de la sagaie avec propulseur, une arme moins lourde que l’épieu, mais mortelle à de plus longues distances.

Peu à peu, Cra avait ajouté au maniement des armes l’art de reconnaître les traces des principaux animaux de la région. Il arrêtait son protégé sur chaque piste de félin ou de canidé; il lui apprenait à les distinguer par la grosseur de l’empreinte, le nombre de doigts, la forme des griffes, l’absence ou l’aspect des coussinets digitaux et plantaires, leurs dimensions et la présence ou non de poils dans la boue de l’empreinte.

Les pistes d’ongulés étaient nombreuses dans la région. On pouvait cependant les différencier par la grosseur et l’écartement des deux ongles formant les sabots de l’orignal, des antilopes, des sangliers et des différentes espèces de cerfs. Dans certains cas on pouvait voir l’empreinte des ergots, ces anciens doigts de pied assez haut placés sur la patte. Le cheval, par contre, était facile à identifier par son sabot unique.

Cra expliquait à Mouc :

— Pour chaque animal, il est possible de déterminer son sexe et sa taille par sa façon de poser ses pieds au sol, sa démarche et la grosseur de son empreinte. Le chasseur chevronné sait que les bords nets d’une empreinte dans la vase indiquent une piste fraiche alors que les anciennes pistes ont des bords flous. Il peut le faire également en examinant minutieusement les branches mâchouillées, la terre grattée, les excréments récents qui sont luisants et mous, les litières et nids dans l’herbe haute, les frottages sur les arbres et arbustes. En hiver, la neige n’est pas gelée au fond d’une empreinte fraiche. Il est possible également d’évaluer la vitesse de déplacement par la foulée de l’animal: le pas, le trot, le galop, le saut et le bond. Interpréter une piste et déterminer l’objectif d’un animal est possible en observant son allure générale: un pas lent et régulier dénote le calme; une course folle montre la frayeur; un pas erratique caractérise la recherche de nourriture et un pas feutré la chasse. Chaque fois que tu croises une piste, tu dois tenter de deviner la raison du déplacement de cet animal par l’allure adoptée. Au début, tu te tromperas souvent, mais, avec le temps et la pratique, tu pourras un jour réussir une interprétation correcte sur deux. C’est actuellement ma moyenne et, avec mon aide, tu y parviendras plus vite que moi. Penses toujours que plus tu connaitras les mœurs de chaque espèce, meilleures seront tes chances de l’éviter ou de le chasser.

-∆‡∆-

C’est lors d’un exercice pratique que l’apprenti et le maitre, qui marchait auprès de lui en tenant la laisse de son cheval, avaient croisé la piste d’un cerf. Après avoir attaché sa monture à un buisson, dont elle pourrait se libérer en cas de nécessité, Cra et Mouc avaient suivi lentement les traces jusqu’aux abords d’une petite clairière. Mais aussitôt à découvert, ils avaient vu le cerf jaillir des hautes herbes et bondir dans la forêt en soufflant bruyamment des OUICHHH répétés.

— Celui-là nous a bien vus et sentis, constata Cra. Il va courir tant qu’il ressentira un danger et comme il est plus rapide que nous, nos chances de l’attraper sont assez minces.

— Je pense la même chose. Alors, est-ce qu’on abandonne?

— Nous pourrions essayer quelque chose. Tu vois ce flanc de montagne escarpé à droite de sa ligne de fuite ? Je ne pense pas qu’il va y grimper immédiatement. Il va plutôt essayer de s’éloigner de nous et, plus loin, comme tu le sais pour avoir déjà chassé dans les parages, la pente devient rapidement trop abrupte pour lui. Il sera donc obligé de continuer tout droit sur le plat ou d’obliquer vers la gauche. Si tu le poursuis de loin en faisant un peu de bruit, il t’entendra et focalisera son attention sur son poursuivant en gardant suffisamment d’avance pour toujours savoir où tu es. Moi, pendant ce temps, je pourrais aller chercher mon cheval et entreprendre rapidement un très long arc de cercle par la gauche de façon à le devancer au goulot d’étranglement que tu connais. S’il tourne à gauche quelque part sur ce trajet, nous ne le retrouverons pas, mais s’il continue tout droit, comme je l’espère, il se présentera devant moi sans se douter de ma présence et je pourrai probablement l’abattre. Qu’en penses-tu?

— Tu as raison comme toujours. Si nous abandonnons maintenant, nos chances d’abattre ce cerf sont nulles alors qu’avec ton plan, il y a encore de l’espoir. Je sais bien que nous pourrions laisser passer cette occasion et attendre une chasse peut-être plus facile un peu plus loin. Je comprends cependant que dans une autre région, moins giboyeuse que celle-ci, il faudrait sans doute se concentrer sur la seule proie rencontrée. J’accepte donc ton plan et je me lance à sa poursuite immédiatement.

À la tombée du jour, lorsque Mouc retrouva Cra au goulot traversé par un torrent impétueux, ce dernier finissait d’éventrer le cerf. Il n’était pas très gros, mais il avait été l’occasion d’une belle aventure et surtout d’une leçon de persévérance qu’il retiendrait toute sa vie.

Lorsque les deux amis se séparèrent au bord de la rivière Verte, la nuit était installée depuis longtemps. Avec les encouragements de son ami, Mouc hissa sur ses épaules la carcasse du cerf, jusque là portée par le cheval.

Cra sauta sur sa monture pour prendre la direction de la faille qui traversait la paroi du cratère. Il avait choisi le chemin le plus court pour se rendre au logis fortifié de son clan.

Pour sa part, Mouc se dirigea fièrement vers l'entrée de son village. Son arrivée fut saluée joyeusement par le guerrier chargé de la surveillance. Le bruit réveilla peu à peu les adultes qui sortirent un par un de leurs huttes de peaux. Le premier succès du jeune homme entraina une fête improvisée où on sortit quelques outres de boisson fermentée, de la viande séchée et des fruits. Mouc dut raconter à quelques reprises les enseignements de Cra depuis plusieurs saisons : les différentes langues, les armes, le combat à mains nues, la compréhension des pistes et les quelques promenades à cheval. Celles-ci impressionnèrent particulièrement les membres du clan qui regardaient toujours le cheval de Cra avec une certaine crainte quand il les visitait.

Lorsque chacun retourna se coucher, Mouc se rendit à sa hutte, solitaire mais heureux pour la première fois de se sentir accepté.

CHAPITRE 2

LE CLAN DU LOUP

Cra s’introduisit à pas lents par le portail entrouvert de la palissade, guidant Éclair par sa laisse jusqu’à son enclos où la pouliche trouverait de l’eau fraiche et du foin. Les deux jeunes poulains, qu’il avait capturés avec ses oncles, l’été précédent, hennirent doucement et s’ébrouèrent. Cela lui rappela l’enclos de capture qu’il avait élevé avec ses oncles et son père adoptif à cette l’occasion.

Un soir, en parlant de chevaux sauvages, David leur avait raconté que les autochtones des Premières Nations d’Amérique capturaient parfois au lasso ces animaux intelligents. Au cours de poursuites endiablées, ils chevauchaient leurs broncos à demi-sauvages en poussant des cris stridents. Lorsqu’ils repéraient une harde, ils la suivaient de loin, identifiant le chef, l’état de santé des bêtes, les principales voies de fuite en cas de menace et, surtout, l’endroit propice à l’érection de l’enclos. Puis, quand la harde était dans un autre secteur, ils revenaient sur les lieux pour édifier, avec des arbres morts, une sorte de long entonnoir végétal de quelques mètres de hauteur, qui menait à un petit enclos où ils laissaient une ouverture avant de se retirer. (Illustration 1) Cela leur prenait parfois plusieurs jours pour ériger cet ouvrage qui avait souvent plusieurs centaines de mètres de longueur. Chaque jour des observateurs discrets surveillaient les chevaux qui, de retour dans le secteur, examinaient soigneusement les barrières, flairant l’odeur humaine, cherchant une menace qui n’existait pas puisqu’ils pouvaient traverser l’ouvrage de part en part sans conséquence. Quand l’entonnoir et l’enclos de capture étaient terminés, des guerriers à pied allaient se cacher à proximité du petit enclos dont ils refermaient, le moment venu, l’extrémité avec des troncs d’arbres déjà prévus à cet effet. Les guerriers à cheval étaient chargés de pousser la harde vers le piège en faisant beaucoup de bruit.

Parfois certains chevaux sauvages déviaient leur course avant d’entrer dans l’entonnoir ou viraient subitement de bord pour foncer entre leurs poursuivants et s’échapper. Régulièrement, plusieurs se rendaient jusqu’à l’enclos et après y avoir pénétré, cherchaient une sortie qui n’existait plus parce que des humains étaient sortis subitement du bois pour condamner l’entrée avec de longues perches. Quand tout se passait bien, il ne restait plus qu’à entraver les captures pour les ramener au village, les parquer dans de grands et solides enclos où, l’année suivante, ils seraient domptés, «cassés» comme on le disait souvent, pour la monte ou le transport de charges. Il arrivait quelque fois que les mustangs soient tellement énervés que certains se lançaient contre la barrière espérant l’enfoncer de leur poitrail. D’autres tentaient de la franchir d’un fabuleux bond. Ces tentatives finissaient régulièrement par la mort du cheval. C’est ce qui était arrivé à leur première et unique chasse avec enclos de capture.

Illustration 1 – Enclos de capture – Source auteur

À force d’insister, Cra avait convaincu Casimir, son père adoptif, de l’utilité de capturer des chevaux pour le transport de charges lourdes. À son tour, le Russe en avait discuté avec quelques camarades jusqu’à ce que cela devienne un projet du clan. L’été suivant, les hommes partirent en expédition pour descendre la rivière Verte jusqu’à la plaine des Bisons et des Chevaux, ainsi qu’ils la désignaient depuis leur arrivée de l’espace. Pendant ce temps, les femmes, à l’abri des palissades, protégées par les loups et plusieurs arbalètes chargées dont elles connaissaient bien le maniement, s’étaient engagées à ne jamais ouvrir le portail avant d’avoir bien identifié les arrivants.

Les hommes dressèrent un campement temporaire à proximité de la prairie et se mirent à surveiller les allées et venues des chevaux sauvages, notant le nombre de jours qu’ils prenaient avant de revenir devant eux. Lorsqu’ils eurent identifié un endroit favorable pour dresser le piège, ils attendirent une journée complète avant de commencer à récupérer les arbres tombés, mais encore suffisamment solides pour dresser la barrière. À la fin de la première journée le travail n’était pas complété, mais craignant le retour prématuré des chevaux, ils décidèrent de se retirer à l’écart. Le lendemain matin, les chevaux étaient revenus et l’étalon principal examina avec suspicion les modifications survenues sur son territoire. Puis il se calma et retourna brouter avec ses femelles. Lorsque les chevaux quittèrent les lieux, trois jours plus tard, les humains se dépêchèrent de compléter le piège et laissèrent Cra et Casimir en charge de refermer l’unique sortie. L’attente recommença pour quelques jours, chacun se demandant si ce travail pénible donnerait des résultats à hauteur de leurs attentes. À leur retour, les chevaux semblaient encore plus nerveux, examinant régulièrement les alentours, sentant une menace invisible. Le vent jouant en leur faveur, David commanda une approche silencieuse, en éventail, où chacun devait ramper sur les coudes et les genoux pour approcher jusqu’à 500 mètres des chevaux. À son commandement, tous se levèrent en criant, provoquant une fuite éperdue des équidés. Malheureusement, les humains étaient trop peu nombreux pour combler les espaces libres entre eux et pas assez rapides pour talonner les bêtes. Celles-ci, après avoir pris une forte avance, s’arrêtèrent pour examiner la situation. Repartant au galop, la majorité d’entre elles esquiva facilement l’entonnoir. Cependant, un petit groupe, formé d’un mâle, de cinq femelles et de deux poulains, étant plus près du dispositif au début de l’attaque, se jeta directement dans l’entonnoir et aboutit dans l’enclos de capture où Casimir et Cra s’empressèrent de fermer l’ouverture derrière lui. Le mâle tourna quelques fois pour inspecter les murs de sa prison puis, oubliant sa propre sécurité, tenta de sauter par-dessus la barrière. Malheureusement, ses genoux frappèrent la traverse la plus élevée qui fut catapultée devant sa masse, avant qu’il aille s’empaler, un peu plus loin, sur les branches cassées d’un arbre. Aussitôt, les femelles, une à une, franchirent d’un bond gracieux l’obstacle soudainement devenu moins élevé et s’enfuirent. Deux d’entre elles restèrent un moment derrière, appelant leurs poulains à les suivre. Les poulains hésitèrent longuement devant la barrière, ils écoutèrent et regardèrent le mâle qui gémissait, laissant ainsi le temps aux humains de s’approcher et d’ajouter quelques perches de bois à la place de l’arbre renversé. Cra se retourna alors vers le mâle pour l’achever d’un coup de lance au cœur. Oui, ils avaient capturé deux chevaux, mais il se souviendrait toute sa vie de cette scène déchirante de la mort de l’étalon et des plaintes des mères qui fuyaient.

Cra ne voulait éveiller personne, mais le son d'une barrière ouverte et refermée, ajouté à l’accueil, même silencieux, des six loups qui vinrent lécher sa main et frotter leurs museaux contre lui, ne pouvaient passer inaperçus.

Cela lui rappela Louveteau, son premier compagnon de jeu que Françoise et David avaient capturé, peu après sa naissance. Il avait été son ami fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Il avait eu une nombreuse progéniture avec différentes femelles rencontrées lors de ses excursions de nuit. Lorsque sevrés, plusieurs étaient partis, mais quelques-uns, dont ceux et celles qui l’entouraient, avaient choisi librement de vivre dans la commune des hommes. Ils pouvaient partir quand ils le voulaient et plusieurs sortaient la nuit par la porte du campement pour chasser ou rencontrer leurs congénères. Jusqu’à présent, la plupart étaient revenus, parfois avec des blessures de bataille. Une des femelles était grosse et mettrait bas dans quelques mois d’une portée qui, espérait-on, augmenterait la meute du clan du Loup.

Les règles, fixées à l’unanimité, étaient très claires: un loup qui mordait, menaçait de mordre ou attaquait un humain était chassé ou tué immédiatement. Chacun devait traiter les loups avec le respect dû envers des guerriers qui protégeaient le clan, prêts à donner leur vie pour ses membres et les aidaient souvent à se nourrir. En conséquence, personne, quelle que soit la raison, ne devait jamais lever la main sur eux sous peine d’une forte réprimande pouvant aller jusqu’à l’expulsion en cas de récidive.

Dans la pratique, Croc-Brisé, le chef de meute, surveillait étroitement sa troupe et les loups qui ne faisaient que gronder, même de loin, contre un humain, étaient impitoyablement tués ou bannis. Rien n’échappait à sa surveillance et aucun incident n’avait été rapporté depuis quelques années.

Dès leur arrivée à cette époque de la préhistoire, les hommes et les femmes avaient développé, quant à eux, un grand respect les uns envers les autres; une condition indispensable à la cohésion du groupe et à sa survie. Cette attitude avait été reportée naturellement sur leurs compagnons à quatre pattes et David, leur chef, ne manquait pas une occasion de les en féliciter.

Après avoir caressé brièvement la tête de chaque loup, Cra ouvrit lentement la porte grinçante de l’atelier, monta au dortoir où il était seul à dormir quand il n’y avait pas de visiteurs. Il se rendit à sa paillasse sur laquelle il s’étendit avant de sombrer rapidement dans le sommeil.

-∆‡∆-

À l’étage du chalet, David était éveillé depuis l’arrivée de Cra. C’était toujours comme cela. À l’affut de la moindre menace contre sa communauté, son clan, il ne dormait que d’un œil, tel l’ancien soldat au front qu’il avait été. Son long bras entourant les épaules de Françoise, sa bien-aimée qui ronflait doucement appuyée de dos contre lui, il n’avait pas bougé à l’arrivée de Cra mais avait suivi, au son, chacun de ses gestes.

Quel merveilleux jeune homme pensait-il. Toujours prêt à aider les autres, même de parfaits étrangers. Protecteur comme un grand frère envers mon fils Axel et Hayato, celui de Jia et Hisako. Je continue à penser qu’il a été un peu désappointé du fait qu’il ne puisse jouer un plus grand rôle dans l’éducation de nos fils. Ces gamins, maintenant âgés de 14 ans, avaient eu la chance d’avoir des parents, des oncles et des tantes, experts dans plusieurs disciplines et qui aimaient partager leurs connaissances. Alors que certains avaient cherché à inculquer dans leurs jeunes esprits des notions pratiques en biologie, géologie, botanique, chimie, mécanique et anthropologie, d’autres avaient veillé à leur développement physique en leur enseignant l’auto-défense, la natation et la plongée. Pour sa part, il avait voulu les préparer à la vie rude de cette époque en leur apprenant des techniques de survie, alors que Françoise leur montrait comment soigner diverses blessures, utiliser les plantes médicinales et respecter la vie en général. Par contre, Cra était nettement supérieur à tous dans l’art de lire une piste et de capturer une proie. Il était plus que temps qu’il lui demande d’enseigner à Axel et Hayato ce savoir essentiel qu’il avait dispensé depuis quelques mois au jeune homme du clan de la Rivière-Verte.

Par ailleurs, il était toujours content de la décision prise à l’unanimité, un peu plus tôt, par les survivants du crash de 2048. Cra, sa mère Bara et Mira, la femme d’Harry, avaient été instruits de la vérité sur eux, les Étrangers comme les désignaient les Sapiens et les Néandertaliens. Jusqu’à présent, d’un commun accord, les survivants répondaient aux questions gênantes sur leur origine par la fable d’un pays très lointain, situé au-delà des mers. Leurs armes, expliquaient-ils, étaient faites d’une pierre très dure, le métal, qui n’existait que là-bas; leurs surprenantes techniques de construction en bois étaient habituelles dans ce pays; leur arrivée dans la région s’était faite à bord d’immenses bateaux de bois qui étaient repartis et dont on attendait un jour le retour pour les ramener chez eux.

L’explication était tirée par les cheveux, mais tout le monde devait s’en contenter.

Il était cependant de plus en plus évident que Bara, Cra et Mira, ces trois personnes qui vivaient avec eux dans l’intimité du chalet et comprenaient leur langue commune, l’anglais, saisissaient chaque mot émis autour de la table et ne croyaient plus à cette fable, si elles y avaient un jour cru. Il était également apparent qu’elles étaient fort peinées de ce manque de confiance envers elles.

Comme leur avait rappelé un jour leur chef, puisqu’eux, les survivants, étaient certains de l’amour de ces trois personnes qui considéraient le clan comme leur seule famille, ils devaient en retour se fier pleinement à leur discrétion.

C’est ainsi que, quelques mois plus tôt, David avait été chargé par le groupe de leur apprendre la vérité. Un soir après le repas, il avait commencé, à leur parler:

— Bara, Cra, Mira, ce que je vais vous dire maintenant sera difficile à entendre et à comprendre. Je parle au nom de ceux et celles qui sont réunis autour de cette table et que vous appelez parfois les Étrangers. Ils sont pour vous des parents et je l’espère, des amis très chers.

Nous sommes conscients, depuis longtemps, que notre silence vous fait de la peine, mais la vérité est tellement incroyable que nous-mêmes avons mis longtemps à l’accepter. S’il est vrai que nous habitions des pays lointains, nous venons surtout d’une autre époque, d’un futur qui arrivera dans un millier de générations, aussi loin dans l’avenir que toutes les générations passées du Peuple-des-Eaux.

Je vois sur vos visages l’incrédulité, l’incompréhension. Vous vous demandez si nous vous mentons encore. Laissez-moi poursuivre notre histoire et nous tenterons de répondre à vos questions par la suite.

À l’époque où nous vivions auparavant, avant de venir ici, les humains habitaient des villes plus populeuses que tous les villages de votre peuple mis ensemble. Nous pouvions voler dans le ciel, dans de gros oiseaux de fer que l’on appelle des avions. Le métal, dont nos armes sont faites, était extrait de la terre comme plusieurs autres métaux et on en faisait toutes sortes d’objets et d’autres armes plus meurtrières encore. Elles pouvaient tuer d’un seul coup toute la population de villages situés à plusieurs journées de marche. Il y avait toujours des guerres entre les peuples de notre ancien monde pour la nourriture, les richesses, les religions, les idées, le pouvoir. À bien y penser, cette époque, maintenant lointaine, n’avait rien d’enviable.

Je dois maintenant vous expliquer que le territoire que nous partageons avec vous et les Anciens n’est qu’une petite partie d’une planète que nous appelons la Terre. En fait, la Terre est une immense boule qui tourne sur elle-même tout en orbitant autour du Soleil. Le Soleil est lui-même une boule de feu, mille fois plus grosse que la Terre. Il nous éclaire et nous réchauffe chaque jour. La lune, que vous voyez tous les soirs, est plus petite et tourne autour de la Terre. Je sais que vous êtes déjà complètement perdus par mes paroles, mais au cours des prochains jours, moi et les autres survivants reprendrons ces explications jusqu’à ce que vous compreniez. Tous les soirs, lorsqu’il n’y a pas de nuages, vous voyez dans le ciel un nombre incalculable de points brillants. Chaque point est une étoile, un soleil comme le nôtre, autour duquel tournent des planètes, trop petites pour que nous les voyions d’ici. Si je vous explique cela, c’est que cette connaissance est indispensable pour comprendre la suite de notre histoire.

Comme je vous l’ai dit plus tôt, dans un futur de plusieurs milliers de générations, accompagnés d’autant de personnes que tous les doigts de nos mains réunies, nous sommes partis de notre planète, la Terre, dans un immense bateau de métal qui volait dans le ciel. Notre but était de visiter une étoile beaucoup plus loin que notre soleil. Nous pensions pouvoir en ramener des métaux indispensables à notre vie. Nous nous sommes rendus à cette étoile, mais il s’est alors produit un accident terrible. Notre grand bateau s’est brisé et nous sommes les seules personnes à avoir pu revenir sur la Terre sur un bateau plus petit.

Cependant, nous ne sommes pas revenus dans notre pays de départ. Notre petit bateau, on ne sait pas pourquoi, est tombé ici, dans le lac devant le chalet et il a coulé au fond de l’eau. Nous avons encore perdu quelques compagnons, mais les autres, qui sont ici ce soir ont pu regagner la rive à la nage. Notre bateau est encore au fond de l’eau et demain, pour vous prouver que ce que je dis est vrai, j’amènerai Cra qui est bon plongeur, sur les lieux du naufrage. Il pourra descendre sous l’eau, avec moi ou Jia, et voir les restes du bateau. Nous avons nous-mêmes plongé sur la carcasse et en avons ramené des objets, des outils et un peu de métal, dont nous avons fait d’autres armes et d’autres outils. Regardez la hache de Casimir, la hotte au-dessus du foyer, mon poignard, les bâches de toile, nos anciens vêtements… Pensez-vous qu’ils appartiennent à votre époque?

Ce qui reste mystérieux pour nous, c’est que notre bateau soit tombé du ciel ici et, surtout, à votre époque. Avant même notre arrivée, Hisako et moi connaissions un peu votre époque pour l’avoir étudiée dans des livres qui ressemblent un peu à l’herbier de Françoise. Ces livres contiennent toutes les connaissances de milliers de personnes, à toutes les époques, sur une multitude de sujets. Quiconque parlant notre langue et comprenant les signes écrits par Françoise, ce que l’on appelle l’écriture, pourrait lire l’herbier et vous dire immédiatement tout ce que vous savez sur chacune des plantes : où elle pousse; est-elle consommable; peut-elle guérir. Même s’il n’a jamais vu une plante, il pourra parfois vous apprendre des utilisations que vous ne connaissez pas. Chaque humain de notre ancien monde peut lire ces livres et savoir d’où vient votre peuple; quand il est arrivé dans cette région; qui étaient les Anciens; comment ils vivaient; quels animaux habitaient cette région et d’autres régions où vous et moi ne sommes jamais allés. Les mammouths et les rhinocéros laineux étaient disparus à l’époque où nous sommes partis dans le ciel et pourtant, nous les connaissons mieux que vous. De même, nous connaissions, avant même de vivre ici, ce que vous appelez la Grande Mer du Sud et le Grand Lac où vous êtes nés.

N’importe quel d’entre nous pourra répondre à vos questions désormais et ceci en tout temps. Je vous demande cependant une seule chose : ne jamais divulguer ce que vous avez appris ce soir, ou ce que nous vous dirons dans les prochains jours, à qui que ce soit, même si vous avez confiance dans la discrétion de cette personne. Nous ne voulons pas être questionnés continuellement sur notre passé. Pour toutes les autres personnes que vous trois, nous continuerons donc de répandre la fable du pays lointain pour expliquer notre présence. Peut-être ajouterons-nous un jour d’autres personnes dans ce secret, mais ce sera à nous seul d’en décider.

Est-ce bien compris et accepté?

Assommés par l’excès d’information, les trois Sapiens acquiescèrent machinalement. Après, chacun alla s’étendre sur son lit, mais bien peu réussirent à dormir cette nuit-là. Les jours suivants, ils vinrent, un à un ou en groupe, faire répéter en tout ou en partie les informations déjà obtenues. Ils semblaient regarder d’un œil nouveau tout ce qui les entourait : le chalet, les armes, les loups, les chevaux, la palissade, l’aqueduc, les outils, l’entrainement aux armes et le combat à mains nues. Étaient-ce les esprits de leurs ancêtres qui venaient les hanter?

Après les plongées de Cra et qu’il ait remonté certains débris métalliques, les questionnements s’espacèrent. Pendant quelques mois encore, il arriva qu’une question accessoire soit posée à l’un d’entre eux, du genre : «tes parents sont-ils encore vivants? Connaissais-tu David avant?» Des questions sans trop d’importance, mais qui démontraient que même s’ils ne comprenaient pas complètement la situation, ils l’acceptaient.

-∆‡∆-

Au début du printemps précédent, Cra avait à nouveau offert à son ami Mouc de monter à cheval derrière lui. Toujours craintif, Mouc avait d’abord refusé puis, se ravisant, avait accepté. Pendant quelques semaines les amis firent des balades d’abord au pas du cheval, puis au trot et enfin au galop. Un jour Cra proposa de se rendre jusqu’à la grotte de l’Ours pour y rencontrer des amis et alliés néandertaliens. En deux jours à peine, ils y arrivèrent et furent accueillis avec joie. Cra présenta Mouc à chaque membre du clan, peu importe leur âge, lui fit visiter la grotte et discuter de divers sujets avec les hommes. Sur la route du retour, Mouc, mine de rien, s’informa des mœurs des Anciens, de leur bienveillance envers les autres peuples, de la possibilité qu’une personne du Peuple-des-Eaux, sa race, soit acceptée jusqu’au point de vivre avec eux. Après quelques instants d’hésitation, Mouc demanda à Cra s’il connaissait le statut de la jeune Calou qu’il avait remarquée. Était-elle mariée? Promise? Libre de toute attache?

— Je suis certain, répondit Cra, qu’elle n’est pas mariée. Je ne pense pas qu’elle soit promise car tu as vu que les hommes sont peu nombreux dans ce clan et qu’ils ont tous une compagne ou plus. C’est là une conséquence de la vengeance de Grit, leur ancien chef, dont je t’ai parlé. Il a tué ou fait tuer ceux qu’il accusait de traitrise envers lui-même. Depuis, vu sa faiblesse, le clan craint d’être attaqué par d’autres clans de leur race qui voudraient s’emparer de leurs femmes et de leurs bébés. Peut-être est-elle promise mais je n’en ai jamais entendu parler et le seul moyen de le savoir est de t’informer auprès d’elle ou de sa mère qui, soit dit en passant, est veuve et très protectrice. Maintenant que tu as été présenté, tu peux revenir, même si tu es seul. Je suis certain que l’on te fera bon accueil. Les membres de ce clan sont des alliés et des amis fidèles depuis plusieurs années.

Mouc demeura peu loquace pendant tout le reste du voyage de retour, mais remercia très chaleureusement Cra avant de glisser en bas du cheval un peu avant d’arriver au village de son clan.

Cra dirigea sa monture vers la brèche qui traversait la paroi nord du cratère pour arriver tout près du village fortifié des Loups.

La semaine suivante, Mouc n’était pas au rendez-vous hebdomadaire de la clairière. Après une heure d’attente, Cra continua sa tournée d’inspection sans s’inquiéter de cette absence qui pouvait être motivée par une chasse de groupe organisée par le chef de Mouc.

Une semaine plus tard, son ami l’attendait dans la clairière, l’air radieux:

— Pardonne-moi mon frère pour mon absence à notre dernier rendez-vous. Le lendemain de notre voyage à la grotte de l’Ours, j’y suis retourné en courant, impatient de connaître l’intérêt de Calou et de sa mère à mon égard. D’abord, laisse-moi te dire que j’ai été très bien accueilli par le chef et tous les membres du clan qui se demandaient qu’est-ce que je venais y faire. J’ai demandé à voir Calou mais Arg s’est opposé à ce que je la vois sans la présence de sa mère. J’ai naturellement accepté et, en attendant l’organisation de cette rencontre, on m’a servi un très bon repas tout en me félicitant pour ma connaissance de leur langue, et surtout, en me questionnant, pas très subtilement, sur ce que j’avais appris à ton contact comme chasseur et guerrier.

Enfin je fus autorisé à voir Calou et sa mère. J’ai commencé par leur expliquer mon intérêt pour la jeune femme dès ma première rencontre et mes interrogations sur la disponibilité de son cœur. J’ai bien peur d’avoir profité un peu de ton amitié en disant que tu m’avais personnellement entrainé au combat et à la chasse, faisant de moi un bon pourvoyeur et un bon protecteur pour ma future épouse. La mère m’a demandé quelques jours pour réfléchir à ma proposition. Pendant cette attente, le chef, probablement au courant de ma demande, a décidé d’organiser une chasse d’une durée maximum de trois jours. J’ai compris qu’il voyait là une occasion de m’évaluer. J’ai cependant accepté, craintif toutefois à la pensée de peut-être me ridiculiser.

On avait signalé, tout près, la présence d’un petit troupeau de chevaux qui semblait se diriger vers le soleil levant. Toujours prêts à saisir une occasion, les cinq chasseurs du clan, et moi-même, nous nous engageâmes dans une petite vallée sinuant dans la direction prise par le gibier. Nous espérions que ce creux nous cacherait à la vue des chevaux et nous permettrait de leur couper la route pour leur tendre une embuscade. C’est ce qui se produisit après une épuisante épreuve d’une demi-journée de course. J’avais apporté seulement deux sagaies avec mon propulseur. J’étais placé, avec deux autres chasseurs, d’un côté d’une barricade improvisée, formée d’arbres déjà renversés qui laissaient quelques passages invitant pour le gibier. Les chevaux hésitèrent à la vue de l’obstacle, mais n’apercevant nulle menace, ils se dirigèrent vers le passage du nord, le plus éloigné de moi. Le chef de chasse donna le signal, un peu trop vite selon moi, et une seule bête fut atteinte mortellement. Les autres, dont une femelle atteinte à la cuisse, se dirigèrent affolées vers notre passage, mais à cause de leur fuite erratique, les armes de mes compagnons les manquèrent. Allongeant le plus loin possible vers l’arrière mon bras armé du propulseur et d’une sagaie, comme tu m’as montré à le faire, j’ai visé un peu devant la femelle blessée et j’ai laissé partir le coup. Un lancer formidable selon mes compagnons. Ils m’en ont parlé tout le long du chemin de retour malgré le poids des chevaux sur les travois. Ils ont chanté mes louanges devant Calou et sa mère qui a fini par accepter que je courtise sa fille.

À compter de ce jour, les rencontres entre les deux amis furent moins fréquentes puisque Mouc se rendait aussi souvent qu’il le pouvait à la grotte de l’Ours pour voir sa belle. Mouc chassait à plein temps. Il partageait ses efforts entre son clan de la Verte, son ami Cra et, le plus souvent, avec les chasseurs de l’Ours. Il courait d’un site à l’autre et acquit ainsi une grande endurance physique en plus de devenir particulièrement habile à la chasse. Sa compétence était tellement reconnue au clan des Anciens qu’Arg lui demanda d’enseigner ses techniques aux plus jeunes.

En quelques mois, il avait changé complètement d’apparence: plus grand, plus large d’épaules, il était plus fort et avait davantage confiance en lui. Le maigrichon qui avait fui les risées de ses camarades du Peuple-des-Eaux était devenu un homme que n’importe quel clan aurait accepté comme membre.

-∆‡∆-

Un jour de fin d’été, un messager, épuisé par sa longue course, était arrivé au clan du Loup. Il venait annoncer aux habitants du camp fortifié que, comme on le craignait depuis longtemps, la grotte de l’Ours avait été attaquée par un groupe d’Anciens venus s’emparer de femmes. Les pillards avaient dû se cacher un certain temps dans les environs pour observer les allées et venues des membres du clan. Quelques jours plus tard, ils avaient vu quatre chasseurs partir vers le soleil couchant pour une expédition qui semblait préparée pour une longue durée. Ils avaient attendu une journée de plus pour s’assurer de la faiblesse du clan. Au petit matin suivant, en l’absence de guetteur, ils avaient grimpé l’unique sentier montant vers la grotte et attaqué en hurlant. Les quelques personnes qui étaient à la grotte avaient été incapables de se défendre efficacement. Deux vieillards avaient été tués en essayant de résister de même qu’un enfant de huit ans qui avait attaqué un assaillant avec ses poings. Un excellent chasseur qui, blessé au dos, était resté alité à la grotte, avait été achevé sans pitié et même avec plaisir car les assaillants s’étaient amusés à se moquer de lui avant de le tuer. Les réserves avaient été pillées, les femmes plus âgées violées et battues et quatre jeunes filles avaient été ligotées, sans être cependant malmenées.

Le lendemain, quand Saur, le messager, était arrivé à la grotte pour annoncer la réussite de leur chasse et leur besoin d’aide pour rapporter le gibier, une scène de désolation s’était présentée à ses yeux. Il entendit les pleurs et les gémissements des survivants qui avaient déjà enveloppé les corps de leurs proches dans leurs fourrures. Les attaquants, apprit-il, étaient repartis la veille en trainant les jeunes filles en laisse. Il avait demandé à une femme moins perturbée de décrire les assaillants et d’indiquer la direction de leur fuite. Il avait rapidement fait le tour de la situation, constaté les dégâts et retiré de leurs caches secrètes des provisions qui y étaient enfouies pour les jours creux. Enfin, ne pouvant rien faire de plus, il était reparti à la course vers les chasseurs du clan qui approchaient à quelques jours de là. Arrivé près d’eux, il avait fait le récit de l’attaque, telle qu’elle lui avait été rapportée, insistant sur le fait qu’il ne restait plus à la grotte de l’Ours qu’un vieillard, six femmes âgées et trois bébés en bas âge.

Arg, le shaman et chef du clan, avait demandé à Saur s’il lui restait suffisamment de force pour courir jusqu’au clan du Loup pour demander de l’aide. C’est ainsi que Saur était arrivé trois jours plus tard pour présenter sa requête devant le clan du Loup assemblé.

— Bien sûr que nous allons porter assistance à nos alliés de l’Ours, répondit David, mais j’aurais quelques questions à te poser pour déterminer qui ira à la grotte de l’Ours et quelles provisions et effets devrons nous apporter. Y-a-t-il des blessés qui nécessiteraient l’intervention de Françoise, notre femme-médecine? Le produit de votre dernière chasse a-t-il été rapporté à la grotte et sera-t-il suffisant pour quelques semaines? Avez-vous des vêtements chauds et des fourrures pour passer le prochain hiver?

— Il y a des morts, commença Saur, mais pas de blessé. Pour la nourriture, quand je l’ai quitté, Arg avait déjà entrepris son voyage de retour avec deux carcasses de chevaux et je pense qu’il est déjà revenu à la grotte à ce moment-ci. Nous avons de la viande pour quelques semaines, mais je ne crois pas qu’il y aura une nouvelle expédition de chasse avant longtemps. De plus, j’ai noté que les plus belles fourrures avaient été volées ainsi que les sacs de légumes séchés. Bien des denrées essentielles ont été volontairement détruites. Il nous sera très difficile de passer le prochain hiver.

— D’où venaient les assaillants selon ce que les femmes t’ont dit? Les connaissiez-vous? Par où sont-ils partis?

— Ils venaient du soleil couchant et sont repartis dans cette direction. Ils étaient une dizaine et les femmes ne les avaient jamais vus. Elles m’ont dit qu’ils étaient particulièrement sales et hirsutes. Leurs fourrures, mal entretenues, descendaient jusqu’à leurs genoux pour rejoindre leurs bottes. Chacun avait un capuchon fait d’une fourrure tournée vers l’intérieur et portait, en bandoulière, un sac dont personne n’a vu le contenu. Ils étaient tous armés d’un lourd épieu peu adapté au tir. On aurait dit, m’ont rapporté quelques femmes, qu’ils étaient prêts pour l’hiver. Ils parlaient notre langue, mais avec un accent particulier qu’aucune femme n’avait jamais entendu.

— Bien, tu as le choix de rester un temps avec nous pour te reposer ou de repartir après un bon repas. Je me doute bien, à voir tes mimiques, que tu feras le second choix pour rapporter au plus vite des nouvelles à ton chef. Dis-lui que, dès demain matin, plusieurs guerriers partiront pour vous approvisionner en fourrures et en nourriture et assurer votre protection le temps qu’il faudra. De plus, informe mon ami Arg que je prendrai la tête d’une expédition punitive pour ramener les jeunes filles, d’où qu’elles soient. Dis-lui cependant que j’ai besoin d’une journée supplémentaire pour préparer cette expédition qui pourrait durer longtemps, compte tenu de l’avance considérable des voleurs. Quand nous arriverons à la grotte de l’Ours, ils auront une douzaine de jours d’avance et on peut penser qu’ils marcheront le plus vite possible, redoutant d’être poursuivis. Nous devrons également perdre un temps précieux pour déterminer leur destination car je ne doute pas qu’ils tenteront de brouiller leurs pistes.

— Alors je mange un peu et je pars avec ces nouvelles que mon chef appréciera. En son nom, avant qu’il le fasse en personne, je vous remercie sincèrement. Nous apprécions particulièrement que nos alliés nous portent secours alors que des gens de notre peuple nous agressent et condamnent notre clan à mourir à court terme. Nous ne l’oublierons jamais.

— Merci Saur. Je suis content d’avoir fait ta connaissance. Tu vas m’excuser, mais il faut que je commence immédiatement à identifier les membres de mon groupe d’intervention et les besoins particuliers pour une mission d’environ deux mois. Bon retour.

— Puis-je vous adresser un dernier mot?

— Oui, tu l’as bien mérité.

— Si c’est ce que vous pensez de moi, je suis donc moins gêné de vous demander la faveur de m’inclure dans votre groupe. L’une des jeunes filles enlevées m’intéresse beau-coup, même si je ne lui ai jamais avoué mes sentiments. Par ailleurs, mon chef voudra qu’au moins un guerrier représente notre clan dans cette expédition. Ce ne pourra pas être lui parce qu’il aura beaucoup de travail à faire pour sauver les restes de notre communauté. Alors pourquoi pas moi.

— Je vois que tu as réfléchi à la chose. Je te donnerai ma réponse en arrivant à la grotte de l’Ours mais commence à t’équiper au cas où tu serais retenu. Pour l’instant, dis-moi le nom de la jeune fille.

— Elle s’appelle Nour.

— Merci et à bientôt.

David invita immédiatement Thomas, qui l’attendait à l’écart, à le rejoindre au chalet.

— Tu as entendu que je montais une expédition pour retrouver les jeunes filles du clan de notre allié. Je te dis immédiatement que tu ne feras pas partie du commando. Je comprends que tu sois déçu, mais j’ai besoin que tu restes ici et que tu gères notre clan pendant mon absence. Par contre, j’aimerais que tu m’assistes pour deux choses: identifier les guerriers qui seront retenus pour le commando et, avant la nuit, prendre en charge la préparation de l’expédition qui partira demain matin pour la grotte de l’Ours avec le matériel et les provisions nécessaires pour eux-mêmes et nos alliés. J’espère que le chan de la Verte puisera généreusement dans ses réserves pour aider nos alliés. Il se réjouit souvent de notre alliance commune avec les Anciens, mais il ne s’est pas trop impliqué jusqu’à présent.

Parlons quelques instants du commando. Qui vois-tu?

— De notre clan, à part toi, je verrais Cra comme premier choix. Il est jeune, fort, habile, excellent pisteur et ami avec Mouc de la Verte qui ne sait pas encore que sa douce a été enlevée. Mouc partira, que tu l’invites ou non; il serait donc préférable que tu l’intègres au groupe pour l’encadrer. Cela fait déjà trois personnes. J’ajouterais Wolfgang qui est célibataire, excellent soldat, très bon en orientation et cartographie. Combien veux-tu de personnes dans ton commando?

— Bien je pensais à un petit groupe qui pourrait voyager rapidement pour rattraper notre retard. Il faudrait que nos équipements soient légers et nos armes efficaces contre une troupe certainement plus nombreuse que nous. J’envisageais environ huit personnes. À propos, connais-tu le nom de l’amie de Mouc?

— Oui. Elle s’appelle Calou. Pourquoi cette question?

— Parce que j’ai reçu une demande pour participer à l’expédition de la part du jeune homme de l’Ours qui a apporté la nouvelle. Il m’a dit qu’il s’intéressait à une des jeunes filles enlevées. Sachant que l’ami de Cra avait une promise parmi les personnes disparues, j’ai craint un instant que ces deux fougueux garçons s’intéressent à la même jeune fille. Comme ce n’est pas le cas, j’aimerais bien les prendre tous les deux à la condition qu’ils sachent réfréner leur ardeur naturelle. Je devrai d’abord les rencontrer pour sonder leur capacité à se contrôler et à obéir. Si les deux font l’affaire, nous serions cinq, deux archers et trois lanceurs de sagaies. Idéalement il me faudrait deux autres personnes. J’ai pensé à Hisako qui manie aisément toutes les armes y compris l’arc. Il ne faut pas oublier qu’étant en nombre réduit, nous devrons recourir à la ruse, éviter la mêlée générale et privilégier le tir à une distance supérieure à celle que nos ennemis peuvent atteindre. Ce serait le cas avec Hisako, mais je redoute qu’il y ait quelques morts dans notre groupe et, si la malchance tombait sur Hisako, je ne pourrais jamais plus regarder Jia dans des yeux où le bonheur aurait disparu.

— As-tu pensé à quelqu’un d’autre ?

— J’ai éliminé les femmes qui, même si elles savent se défendre, ne sont pas trop portées sur l’offensive. J’ai écarté Harry, qui se remet mal de sa blessure à la cuisse, ainsi que Casimir qui souffre beaucoup des genoux et qui, en plus d’être mauvais marcheur, est bon seulement au combat rapproché avec sa grande hache. Il reste donc Humberto, mais ses poignards sont lancés à courte distance et sa fronde n’est pas souvent mortelle. De plus, il n’a pas la force et l’endurance qu’exige une telle expédition. Je préférerais encore y aller à cinq plutôt que risquer la vie de ce bon camarade.

Un appel provenant de l’extérieur du chalet leur parvint :

— Puis-je vous parler demanda Harry? Je pense que cela ne peut pas attendre.

Intrigué, David alla ouvrir la porte au géologue qui vint s’installer à la table auprès de Thomas.

— Je m’excuse de vous déranger dans la préparation de votre expédition, mais j’ai quelque chose à vous dire. Selon ce que j’ai compris du récit du jeune Néandertalien, les ravisseurs sont partis vers l’ouest, mais aucune femme des Ours ne les a reconnus alors que toutes connaissent depuis longtemps la plupart des habitants des grottes situées à l’ouest de celle de l’Ours. De plus, ces grottes de l’ouest sont prospères et pleines de guerriers qui n’auraient jamais toléré le passage d’une bande rivale sur leur territoire. Auraient-ils pu traverser les territoires de plusieurs clans sans être vus, à l’aller comme au retour, je n’y crois pas. Leurs vêtements et leur saleté démontrent un long voyage et une provenance nordique, un coin plus froid qu’ici. Que pensez-vous de ce raisonnement?

— J’en suis arrivé aux mêmes conclusions, mais j’attends de lire leurs traces avant de décider de la suite. Je te remercie de nous avoir fait part de tes déductions mais…

— Attendez. Je n’ai pas fini. J’ai à peine commencé et vous ne regretterez pas de m’avoir écouté jusqu’au bout.

— Si tu penses que cela nous sera utile, alors vas-y.

— Bon, je vais essayer d’être le plus bref possible. Vous savez que je suis géologue, ce qui veut dire que quelque part dans mon parcours universitaire, j’ai étudié les grandes ères géologiques de la Terre, comme le précambrien et le mésozoïque avec leurs périodes dont certaines appellations sont bien connues, je pense particulièrement au jurassique et au crétacé, le temps des dinosaures. Ces divisions géologiques sont faites à partir de l’étude des roches et des fossiles. J’ai également étudié les grandes périodes glaciaires de notre planète et les périodes interglaciaires de réchauffement. J’avoue bien humblement que j’ai oublié la majorité de ces notions théoriques puisque mon travail en laboratoire faisait rarement appel à ces connaissances.

Depuis que nous sommes ici, je suis intrigué par la température. Nous ne disposons pas de thermomètre, mais il me semblait que les saisons ne correspondaient pas à ce que je supposais être la latitude de notre campement. J’ai demandé à Wolfgang de m’assister pour évaluer notre position. Dans un premier temps, nous sommes partis du récit de votre voyage sur le Danube vers la mer Noire, il y a une quinzaine d’années, et de nos rapports fréquents avec le clan de l’Ours qui vont parfois pêcher sur le fleuve à trois ou quatre jours de marche au sud de leur grotte. Nous avons donc situé la grotte de nos alliés un peu au nord de la ville de Bucarest au XXIe siècle, soit à 45° de latitude nord environ. Si cela était exact, notre campement serait approximativement à 45,5° de latitude.

Ensuite, faisant appel à nos souvenirs personnels de voyage et à nos vieux cours de géographie, nous avons, chacun de notre côté, dessiné une carte approximative de l’Europe en situant les capitales de certains pays et la latitude estimée pour chacune. Nous avons été assez surpris de constater que les évaluations de l’un correspondaient assez bien à celles de l’autre. Ainsi des villes comme Paris, Vienne, Prague et Kiev se situent, depuis leurs fondations, entre les 49° et 50° de latitude, soit environ 4° plus au nord de notre position. Pourtant, le climat de ces villes est beau-coup plus clément qu’ici. Les étés sont plus longs et plus chauds alors que les hivers sont moins rigoureux.

L’étape suivante a consisté à vérifier cette assertion. En fait cela était devenu un jeu et nous ne savions pas où cela nous mènerait. Nous l’avons pratiqué durant trois années complètes, notant, chacun de notre coté, à chaque jour vers midi, la température estimée par tranches de 5° centigrades. Ainsi, si un jour donné, Wolfgang estimait qu’il faisait entre 15° et 20°, il notait 15° dans son journal et si j’estimais qu’il faisait un peu plus de 20° la même journée, je notais 20°. À la fin, convenue entre nous, de chaque mois, nous comparions nos chiffres pour établir la moyenne du mois.

Pour faire plus court, après un travail de moine, nous avons convenu que l’été durait environ 90 jours avec une température moyenne de 21° à notre campement, contre environ 120 jours, avec une température moyenne de 25°, pour les quatre capitales européennes retenues. Ce n’était pas un travail très scientifique, mais il venait confirmer mon impression de départ.

Depuis ce temps, je cherche, seul, à comprendre pour-quoi cet écart. Je sais, et vous le savez également, que sur notre planète la température ne suit pas la latitude et, qu’à cause des courants marins, il peut faire moins froid en janvier à Moscou, au 56°, qu’au même moment dans la ville de Québec, au Canada, qui est située au 51°.

C’est alors que j’ai pensé au phénomène de la glaciation et plus particulièrement à la dernière période glaciaire sur la Terre. En tant que Nord-Américain, je me suis surtout intéressé à la glaciation dite du Wisconsin. Elle aurait commencée 90 000 ans avant notre départ pour l’espace pour se terminer 6 000 ans avant Jésus-Christ. Dans toute période glaciaire, il y a des moments où les glaces avancent et d’autres où elles fondent partiellement, donc que le glacier, que l’on appelle un islandsis, stagne ou recule. Au Canada, au maximum glaciaire, la glace faisait 5 000 mètres d’épaisseur sur la Baie d’Hudson et de 2 000 à 3 000 mètres sur la vallée du St-Laurent, les plaines de l’Ouest et à l’ouest des Rocheuses. Il y aurait eu cependant un étroit corridor sans glace entre l’islandsis de la cordillère des Rocheuses et celui des plaines. Ce serait ce passage que les premiers hommes venus d’Asie auraient emprunté pour peupler l’Amérique. Aux États-Unis, la glace a recouvert tout le nord-est presque jusqu’à la hauteur de Washington.