Teufteuf le minot marseillais - Stéphane HARMAND - E-Book

Teufteuf le minot marseillais E-Book

Stéphane HARMAND

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Beschreibung

Envie de sourire ou de rire, ou simplement envie de vous changer les idées ? Venez parcourir Marseille et sa région à travers les yeux de Sébastien, durant sa jeunesse.

Ce livre est une véritable thérapie contre le stress pour jeunes et moins jeunes, parole de Marseillais. Partagez les péripéties de ce minot de Marseille, certes turbulent, plein de vie, un brin inconscient, mais des plus sympathiques.

Plongez-vous dans son univers des années soixante-dix à quatre-vingt-dix !

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Stéphane Harmand

TEUFTEUF LE MINOT MARSEILLAIS

“Quand j’étais petit ma mère m’a dit que le bonheur était la clé de la vie. À l’école, quand on m’a demandé d’écrire ce que je voulais être plus tard, j’ai répondu “heureux”. Ils m’ont dit que je n’avais pas compris la question, je leur ai répondu qu’ils n’avaient pas compris lavie.”

John Lennon

PROLOGUE

–Remontez vos manches s’il vous plaît, car je vais poser des électrodes sur vos avant-bras. C’est un peu douloureux car vous allez recevoir une petite décharge électrique.

–D’accord. Mais vous savez, j’ai l’habitude. J’ai un électro-stimulateur à la maison, que j’utilise en sport.

–Dites-moi ce qui vous amène à passer cet examen ?

–Cette année, j’ai enchaîné en quelques mois une phlébite, une embolie pulmonaire massive bilatérale, et j’ai eu deux fois le Covid. Mais après la deuxième infection au virus, mon état a empiré et j’ai entre autres symptômes des crampes et des fourmillements dans les deux avant-bras et les jambes. J’ai aussi du mal à me concentrer, et…

–Houlà ! En effet ça fait beaucoup ! Vous faisiez régulièrement du sport ?

–Oui et plutôt de façon intensive : triathlon, cyclisme…

–Le sport vous a certainement sauvé, Monsieur.

–C’est assez paradoxal car, d’un côté le fait de faire du sport de manière assez intensive m’a épargné lors de mon embolie, comme on me dit souvent, mais d’un autre côté le Covid provoque beaucoup de dégâts chez les grands sportifs…

–Attention ! Tendez le pouce vers le haut ! J’envoie une impulsion électrique qui ne dure qu’une seconde. Voilà ça y est !

À la fin de l’examen, un électromyogramme des membres supérieurs, je me risque à demander au docteur le résultat, car au guichet des consultations, l’hôtesse d’accueil m’avait averti que les résultats ne seraient disponibles que sous quarante-huit heures.

–Si possible, pouvez-vous m’expliquer en termes simples, car j’ai des problèmes cognitifs également, si j’ai quelque chose ou pas ? Je vous remercie car je vois demain mon médecin traitant.

–Vous souffrez de poly-neuropathie sensitive, certainement à associer aux symptômes du Covid long que je ne peux pas démontrer; clairement c’est une atteinte des nerfs périphériques qui sont enflammés.

Bizarrement, ce diagnostic me donne de la joie. J’identifie enfin mon mal en lui donnant un nom : neuropathie. Je sais ce que j’ai. Enfin un examen qui révèle scientifiquement mon mal, une preuve qui me convainc personnellement que je suis malade, pas une vue de mon esprit qui me jouerait des tours.

Jusqu’à maintenant, tous les examens cliniques ne révélaient rien; tout était à peu près normal : Dopplers, I.R.M cérébrale, analyses de sang détaillées, électrocardiogramme,… Je n’ai que des ressentis à partager, au risque de passer, pour ceux qui ne me connaissent pas intimement, pour un affabulateur.

Il est 11h ce mardi 22 novembre 2022. Je suis soulagé même si c’est l’inconnu devant moi : est-ce que je vais récupérer ? Combien de temps va durer ma convalescence ? Vais-je avoir des séquelles ?

Je viens d’avoir cinquante-deux balais, depuis quelques jours. Drôle d’anniversaire cette année ! Le Covid long en cadeau !

Mais cette année, l’année 2022, restera pour moi une année maudite, une année où les déboires se sont enchaînés. Je prends l’habitude de dire : “Cette année j’ai tout pris, mais je file le relai à quelqu’un d’autre pour l’année 2023 !”

Heureusement, ma femme, mon fils, ma belle-fille, ma famille, mes amis, mes collègues, mes voisins, ma petite chienne, tous me soutiennent et me permettent d’endurer mon quotidien.

Mon tempérament de sportif, mon mental, ma croyance, mon caractère bon vivant, sont mes atouts. Je m’en sortirai ! C’est certain !

Je suis bien plus chanceux que beaucoup d’autres, frappés par ce même virus mortel. J’essaie de rester un peu actif dans ma journée ou mes deux journées car il y a une journée le matin puis plus rien, jusqu’à réparation après une sieste qui s’apparente plus à un profond sommeil, puis à nouveau un peu d’énergie pour finir ma deuxième journée.

Je ressemble à Cendrillon qui, jusqu’aux coups de minuit, a une vie de princesse. Puis les douze coups commencent à retentir. Vite, la malédiction la rattrape ; elle doit rentrer. Le prince charmant ne doit plus la voir, ne pas découvrir sa véritable identité : une simple bonne !

Le matin après trois cafés et beaucoup de motivation, je remplis ma matinée. Mais dès midi la malédiction me rattrape. Les douze coups vont sonner. Je dois vite aller me coucher. Je ne tiens plus sur mes jambes, mes bras se tétanisent et une fatigue presque surnaturelle m’envahit. Je troque mes vêtements contre mon pyjama et je sombre dans monlit.

Je compare mon état à un smartphone qui a une batterie qui se décharge trop vite. L’apparence du téléphone ne révèle en rien son état défectueux : il est beau de l’extérieur mais l’énergie qui l’alimente se réduit considérablement jusqu’à le rendre inutilisable de manière trop précoce. Je me vide trop vite.

Néanmoins, j’ai conscience de toutes les belles choses que je vis auprès des miens, pendant cette période troublée, confuse, déroutante.

J’ai du mal à m’exprimer comme je le veux. Je cherche mes mots quand je n’en dis pas un à la place d’un autre; j’ai un débit plus lent, et du mal à me concentrer.

Récemment, un soir, en promenant ma petite chienne, une mignonne Cavalière King Charles, au bord de la mer, j’admirai un très beau coucher de soleil. Je laissai vagabonder mon esprit ; je repensai à cet examen clinique, et je me demandai si j’allais récupérer toutes mes sensations altérées à cause d’une atteinte des nerfs sensitifs périphériques. Est-ce que cette asthénie permanente me quitterait et me permettrait de refaire du sport, de reprendre une activité professionnelle ? Est-ce que mon état pourrait empirer au point de me paralyser ? Comment laisser une trace de tous ces événements personnels ? Et si je les listais point par point ? Ou mieux, pourquoi ne pas les retracer en écrivant monmal ?

Ce matin, je décide d’écrire. Je ne sais pas par où commencer. Je me lance, un carnet et un stylo à lamain.

Étrangement, je ne rencontre pas de grosses difficultés à écrire; j’éprouve même du plaisir et les idées fusent.

Je voudrais partager mon expérience en parlant des symptômes post Covid. Je veux utiliser l’écriture comme une sorte de thérapie, d’échappatoire et je pense que toutes ces récentes péripéties doivent être la résultante de mon parcours, mon chemin de vie. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une prédestination mais d’une forte influence génétique et de choix plus ou moins volontaires dans ma vie.

Les maladies affectent différemment les individus, et le virus SARS-CoV-2, responsable de la Covid-19 avec ses variants, n’échappe pas à la règle. Ce dernier semble s’attaquer aux points faibles desgens.

J’ai besoin de comprendre, d’analyser, d’écrire.

“Et si au lieu de m’apitoyer sur mon sort, j’écrivais quelque chose de joyeux, d’entraînant, de positif ? Si je parlais de mon enfance, de mon adolescence, de ma vie passée, dès lors devenu quinquagénaire, par petits épisodes notoires ?” pensé-je.

Je me surprends à me rappeler de bons souvenirs passés. Après une courte réflexion, c’est décidé : je vais raconter mon histoire de minot de Marseille, l’histoire de Teufteuf, le surnom que me donnait affectueusement mon père, rien à voir avec Sébastien, mon prénom, parce que lorsque bébé je faisais des gazouillis et que je soufflais joyeusement, la sonorité donnait l’impression que je disais “teuff feu”. Depuis lors, il me susurrait “Teufteuf” pour me faire rigoler, au point de m’étouffer de joie spontanée. Teufteuf devint mon identifiant.

Je vais donc baptiser cette histoire : “Teufteuf, le minot marseillais”. Ça sonne pasmal !

Je suis bien assis dans mon bureau largement éclairé par la lumière naturelle diffusée par de larges baies vitrées. J’ai la vue sur mon jardin, que j’entretiens avec beaucoup de cœur. Quelques photos-souvenirs sont accrochées au mur, à droite de l’écran de mon ordinateur. De bons souvenirs : une photo de moi bébé, plein de vie, où je disais “Cassé ! Tout est cassé !” C’est vrai, j’aimais casser et ça a duré longtemps. Une autre photo où l’on me voit courir sur une piste d’athlétisme, portant fièrement le maillot du club de la SCO Ste-Marguerite de Marseille. Certains m’encourageaient en criant : “Allez la bête !” J’aimais courir et encore plus être devant, jouer le rôle de lièvre, imposer un tempo ravageur jusqu’à exténuer mes adversaires. Il fallait que le rythme soit endiablé pour éviter aux finishers de me doubler avant la ligne, car j’étais endurant, résistant, mais pas sprinter. Plus d’une fois, je finis au pied de la boîte !

Une, qui me rappelle mon inconscience d’adolescent, une lampe Wonder à la main et l’autre main sur une corde en train de descendre en rappel dans une grotte : la grotte de la Castelette dans le Massif de la Sainte-Baume. J’étais en compagnie de mon frère et de deux copains d’école ; aucune expérience, aucune préparation, aucune reconnaissance, aucun moyen de communication. Simplement, une vieille corde, une lampe de bricolage et un sourire, qui en disait long : le plaisir de braver le danger, l’Aventure avec un grand A.

Il y a une autre photo de moi avec une poupée sur la plage qui deviendra ma femme, la femme de ma vie.

Je repense aux quatre cents coups que j’ai faits depuis mon enfance. Une vie de défis sportifs, de défis plutôt casse-cou ! Une chance d’être encore en vie ! Un vrai bonheur de me remémorer ces instants…

J’écris à n’en plus finir, du matin au soir, depuis un bon mois, maintenant; mes journées défilent et c’est tant mieux, vu que je dois rester au repos strict, pour guérir au plus vite. Mes notes s’alourdissent, même si elles sont régulièrement raturées. J’essaie d’avancer dans mon récit de façon méthodique, mais je repars trop souvent en arrière ; j’oublie des détails qui me reviennent après coup. Je les ajoute, alors. Je me prends à rêver en revoyant des photos des calanques de Marseille, accessibles après une bonne marche d’approche récompensée par une vue plongeante, époustouflante, comme celle de Sormiou avec sa plagette de sable fin, ou encore celle de Sugiton, plus accidentée avec son îlot, un rocher appelé le Torpilleur, à cause de sa forme très évocatrice.

Je fais, parallèlement, des recherches sur internet, pour m’assurer des lieux avec exactitude. L’histoire prend forme petit à petit. Étonnamment, ma mémoire des événements passés ne me joue pas de tours, bien au contraire. J’en profite donc pour enchaîner les épisodes.

*

Dring ! Dring !…

–Salut P’pa ! Salut, petite Polka ! Que tu es belle avec ton petit museau ! Eh eh, tu me fais des fêtes… bel accueil !

–Salut fiston ! Oh, t’es tout seul ? Et ta femme ?

–Je t’avais dit qu’elle ne viendrait pas. Elle bosse toute la journée.

–Ah c’est vrai … Allez entre !

–Bonjour M’man !

–Bonjour Sévan ! Je suis contente de te voir mais je ne savais pas que tu venais. C’était prévu ?

–Beh oui, je l’ai dit àPapa.

–Oh ton père ! Il oublie tout en ce moment. Depuis qu’il est suivi pour son Covid Long, les choses ne se sont pas améliorées. Il a de nombreuses absences, heureusement passagères. Mais bon, avant son Covid, il était déjà un peu comme ça, pas vrai chéri ?

–Mouais…

–Je ne sais pas quoi vous faire à manger, j’ai rien prévu.

–Ne t’inquiète pas maman, je vous ai amené trois portions de pizza et des gâteaux. Tu feras un café, ça suffira !

–Ça nourrit pas son homme ! Une pizza et un gâteau, tu veux qu’on défaille ! Il me reste de la ratatouille d’hier. Je vais cuire des œufs au plat et mettre du fromage sur la table. J’ai aussi un bon pain bio et des clémentines. Je peux aussi décongeler des escargots pour l’apéroet...

–Maman, c’est bon… je ne vais plus rentrer dans mon jogging avec toutça !

–Eh oui, Monsieur est prof de sport ! Il faut qu’il soit au top.

–Prof d’EPS,papa.

–Oui, oui, c’est pareil, minot. Regarde-moi : je suis pas beau avec mon ventre ! Figure-toi qu’à ton âge, j’étais au top aussi ; je faisais des ravages avec lesf...

–Avec qui, chéri ?

–Euh … rien ! Bon, Sévan, viens on va dans mon bureau, on laisse ta mère tranquille à la cuisine. Ma chérie, tu nous appelles quand c’est prêt ?

–Ok... Eh, tu sais que je t’aime comme tu es, même avec ton petit ventre.

–Je sais ! Je suis irrésistible ! Bon, Sévan, j’ai besoin de ton avis. Assieds-toi. Viens Polka, viens ! Ça te dérange pas qu’elle se colle àtoi ?

–Non, non, elle est trop belle !

–Elle a son caractère aussi… Les cavaliers King Charles, ce sont des pots de colle. Tu auras un peu des souvenirs d’elle sur tes beaux vêtements de sportWW !

–C’est pas bien méchant. Alors, qu’est-ce que tu voulais me dire ? Rien de grave ?

–Mais non… Si je devais t’annoncer ma mort prochaine, je serais un peu plus dépité. Là, au contraire. Voilà : l’idée serait d’écrire un livre qui retrace ma jeunesse, sous la forme d’un roman historique, de mon enfance jusqu’à ce que je rencontre ta mère. Qu’est-ce que tu en penses ?

–Oui c’est pas mal. Mais tu n’as pas peur que le lecteur s’ennuie si c’est trop plat ? Ta vie était plutôt bien rangée, calme, assez linéaire, non ? Enfin, de ce que j’ensais.

–Justement, je ne t’ai pas tout raconté. Je n’avais pas envie que tu saches ce que je faisais à l’école, ni que tu découvres mon côté pour le moins imprudent, à vélo, à moto, en voiture…

–Ah le coquin ! Je ne le crois pas ! Toi qui me rabâchais tout le temps que je devais étudier, faire du sport dans les règles de l’art… En fait, tu as fait tout le contraire, c’estça ?

–C’est-à-dire que… comment dire ? Aujourd’hui, tu as fini tes études, tu bosses, t’es marié, alors je pense que ça ne peut plus interférer dans ton éducation...

–Ah ah ah ! Si je m’attendais à ça ! J’ai hâte de découvrir le personnage, ton autre visage !

–Bon, je reste le même, champion. C’est juste que tu vas apprendre des choses de mon passé, assez vivant. J’étais turbulent, contrairement à maintenant…

–Tu as gardé un côté brancheur, tout demême.

–Forcément, je suis marseillais, champion du monde !

–Champion d’Europe, P’pa ! Sinon, as-tu un titre pour ton livre ?

–“Teufteuf le minot marseillais”.

–C’est sûr qu’un titre comme ça, tu ne l’as pas volé ! Et comment va commencer ton histoire ?

–Je crois que je vais commencer par parler en premier de mon père, ton grand-père que t’as pratiquement pas connu, parce que dans la vie, les chats font pas des chiens ; autrement dit, si j’étais comme j’étais, je le lui devais en partie.

–Allez vas-y, raconte !

–Je peux faire mieux ; je peux te lire ce que j’ai écrit au brouillon.

–Tu as déjà commencé alors ?

–En fait, j’ai presque tout écrit, mais je rafistole à chaque fois que je me relis, parce que j’oublie tout le temps un détail… si bien que je rature, je reprends, bref mon carnet on dirait des hiéroglyphes : y’a que moi pour comprendre mon charabia !

–Je suis impressionné ! Il ne te reste plus qu’à le mettre en page …

–Mouais, PLUSQUE !

–J’imagine que tu as pensé à une photo particulière pour la couverture du livre,non ?

–Oui, une photo qui remonte à la maternelle, où je suis déguisé en marin, tout fier de poser avec mes godasses que j’avais escagassées en jouant avec, à la récré, comme si c’étaient des ballons, avec mes camarades. On shootait dedans en chaussettes, que je déchirais du reste, sur le bitume de la cour. Et en arrière-plan, je mettrai les calanques de MARSEILLE !

–“Le minot marseillais”… Tu aurais pu aussi écrire “le sauvageon de Marseille”, hahaha ! Vas-y, lis-moi ton premier chapitre !

–Bon, tu connais ma date de naissance…

*

CHAPITRE 1 MON PÈRE L’ETERNEL INSOUCIANT

Je naquis à Marseille le 09 septembre 1970 dans le 6è arrondissement, à l’époque des soixante-huitards. Mes parents, tout juste vingt ans, faisaient partie de cette génération qui voulait casser les codes. Les jeunes ambitionnaient une société plus libre, plus libertine, moins cadenassée par le gouvernement. Ils n’hésitaient pas à le crier haut et fort, peut-être un peu trop fort par moments quand des manifestations tournaient à l’émeute.

Mon père Luc et ma mère Natacha entendaient bien mener leur barque au gré du vent. Ma mère, bien que très jeune, demeurait la tête sur les épaules, malgré son petit brin de folie, tandis que mon père s’épanouissait dans l’insouciance la plus complète. Rien ne semblait l’arrêter dans ses délires, si ce n’était ma mère à coup de mandoline, une sorte de guitare décorative, sur sa tête, lors de ses accès de colère !

Mon père était un coureur de jupons, aussi un joyeux luron avec ses potes au bar du quartier et notamment Roro, qui osait suivre mon père en titubant dans les escaliers jusqu’à notre appartement, dans le quartier de la Capelette. Mais la maîtresse des lieux qui veillait sur sa maisonnée, les renvoya manu militari avec l’obligation d’être sobre pour franchir le pas de la porte.

Luc, encore une empreinte des idées saugrenues de mes parents qui refusaient d’être appelés Papa et Maman sous prétexte que tous les enfants le faisaient, changeait régulièrement de travail, souvent à cause des règles jugées trop contraignantes. J’en veux pour preuve le refus de porter l’uniforme ou le casque sur la tête en tant que marin-pompier de Marseille. Ce corps d’élites ne pouvait déroger à la règle, même si mon père était des plus sympathiques.

En tant qu’entrepreneur cela ne s’arrangea pas ; il faisait dans l’import-export de marchandises avec un 38 tonnes qu’il avait acheté. L’idée était là, mais pas encore le pétrole ! On n’en verra jamais la couleur, car mon père avait décidé de ne payer aucune charge. Cette activité très prometteuse s’arrêta aussi soudainement qu’elle eut commencé avec la saisie du beau camion, qui trônait pourtant fièrement sur le grand trottoir face à notre bâtiment.

Il était d’un calme naturel olympien, où rien ne semblait le déstabiliser. Toujours d’humeur joyeuse, il aimait l’instruction, la chimie, avait un faible pour la culture anglo-saxonne jusqu’à jouer au scrabble en anglais et aimait ou plutôt se passionnait de musique : des Beatles, en passant par Freddy Mercury, Genesis ou Pink Floyd,jusqu’à la musique classique. D’ailleurs, il jouait dans un orchestre en tant que bon batteur et animait des soirées de temps en temps lors de tournées nocturnes.

Il tapait sur tous les supports avec ses baguettes de batteur ou simplement avec ses mains : le canapé, la table, le volant et le tableau de bord de la voiture ; tout y passait, pour rythmer le tempo des musiques.

J’ai souvenir du tableau de bord de la R5 en train de tomber pendant un concert privé rien que pour moi dans la légendaire Renault orange ; batteur et conducteur en même temps. J’étais admiratif de ses percussions à la Phil Colins du groupe Genesis.

Les voitures, mon père en avait eues quelques-unes qui, souvent, finirent leur parcours prématurément, jetées ou accidentées. Mais certaines marquèrent mon esprit, comme l’Alfa Roméo Giulia Sprint, un coupé sport rouge. Le bruit de l’échappement, le ronronnement du moteur, le tableau de bord avec l’aiguille indiquant la vitesse donnaient envie de foncer, de monter dans les tours, et mon père ne s’en privait pas. L’odeur du cuir intérieur si singulière me revient aux narines plus de quarante ans après.

Les routes départementales durent trembler au passage d’un autre bolide : une Ford Taunus GXL, car la vitesse de croisière donnait plus l’impression de voyager en avion qu’en voiture. Marseille-Grenoble en moins de trois heures sans autoroute ! Impossible aujourd’hui de réaliser ce chrono avec tous les radars qui pointent leur caméra à tous les endroits stratégiques des trois cents kilomètres qui séparent les deux villes.

J’ai en mémoire une Triumph Spitfire blanche avec un volant en bois, une Alfa Romeo Alfetta, une autre Alfa Romeo Alfasud. Aussi, dans un style complètement différent, une Citroën Traction Avant noire où les vitesses étaient passées grâce au levier positionné à droite du volant. Même si cette dernière ne développait que quarante-six chevaux pour plus d’une tonne de carlingue, les trois vitesses étaient passées coup sur coup pour atteindre au plus vite la vitesse maximum dans les ruelles marseillaises.

Malheureusement, dès mes huit ans, et sept pour mon frère, mes parents divorcèrent et ces moments de complicité petit à petit s’évanouirent. Luc, de statut de père, devint un ami puis un copain, toujours agréable lors de nos rencontres épisodiques.

À l’école, je camouflais cette situation, éprouvant de la honte à avoir un père qui ne vivait plus sous le même toit. Le divorce m’avait certainement fracturé de l’intérieur et je n’abordais jamais ce sujet.

Mon père se remaria et eut une petite fille, avec laquelle je ne réussis pas à tisser de liens, malgré quelques tentatives.

À l’adolescence, je faisais de l’athlétisme et le demi-fond devint mon sport de prédilection. Les saisons d’hiver, faisant suite aux saisons d’été sur piste, étaient jalonnées de cross country.

C’est lors du cross du Méridional au parc Borély, que mon père vint m’encourager. Dans un virage, devant la longue ligne droite longeant les bassins, j’entendis : “Vas-y Teufteuf !” Ce sobriquet était le mien, et une seule personne, hormis ma mère, pouvait m’appeler de la sorte ; un surnom que je portais depuis ma plus tendre enfance.

Incroyable ! C’était bien la voix de mon père qui m’avait fait la surprise d’être là ! Je ne courais plus, je volais. Je n’éprouvais plus aucune fatigue; j’étais le plus heureux, avec la sensation de flotter dans l’air et de ne plus toucher le bitume. Je devais encore accélérer pour atteindre le plus vite la ligne d’arrivée. Malgré tout, je ne finis que neuvième, même pas déçu du résultat alors que la course était qualificative pour le cross du Figaro à Paris. Peu importait, j’étais persuadé d’avoir connu l’extase, un instant hors du temps.

Luc s’éteignit, beaucoup trop tôt, à l’âge de cinquante-six ans, d’une septicémie. Mais quand j’évoque son nom, je vois un homme très charmant, souriant, charmeur, instruit, calme, beau parleur et toujours d’humeur légère. Mais l’autre partie de sa personnalité teintée d’insouciance, de folie, pas forcément décelable au premier regard, est inscrite dans mes gènes. Luc continue de vivre à traversmoi.

*

–Les enfants ! A table, c’est prêt !

–Ok, on arrive !

–Eh beh dis donc, un sacré numéro le grand-père ! J’aurais aimé mieux le connaître. Je me souviens juste de ses grandes moustaches quand il me soulevait pour m’embrasser.

–C’est vrai que tu étais encore tout petit avant qu’il nous quitte…

–Ah, il t’a parlé de son livre, à ce que je comprends. Il se prend pour un écrivain, maintenant !

–Mais je suis un écrivain !

–En attendant, Monsieur Sébastien l’écrivain, la maison s’écroule sur ta tête et tu bronches pas. Tu m’avais promis de t’occuper de la toiture. Bientôt, il va falloir porter un ciré avec une capuche sur le crâne dans le bureau à cause des ruissellements d’eau quand il pleut !

–Il pleut jamais chez nous, dans le midi ! Et toi tu devais pas me repasser une chemise ?

–Oh oh oh… Ne vous chamaillez pas ! Si tu veux je peux m’en occuper de ton toit et je peux te repasser ta chemise, P’pa !

–Il est parfait ce minot ! Mais de qui tu tires ? C’est qui tes parents ? Ah ahah !!

–On reprendra notre discussion un peu plus tard. “Allez, mangez, vous ne savez pas qui vous mangera !” C’est pas comme ça qu’elle disait ta grand-mère, mon chéri ?

–C’est moi qui vais te manger… Tiens Polka…

–Ne lui donne rien à table, tu sais que c’est pas bon pour elle !

–Tu lui as demandé ?

–Pfff…

–Excellent ta ratatouille. Faut que j’apprenne à faire la même !

–Reste tranquille ! Bricolage, repassage, cuisine... et puis quoi encore ? Tu veux pas faire le ménage aussi ?

–Pourquoi pas, si vous avez besoin !

–Non, mon minou, t’es brave. Il te branche. Pour mettre le feu, ton père est un champion, à défaut d’être un champion du bricolage. La dernière fois, je lui ai demandé de s’occuper de l’aspirateur qui ne marchait plus… il a cramé le circuit imprimé à coup d’eau. Résultat : je fais la poussière à l’ancienne, au balai. Tu connais sa délicatesse et sa patience légendaires !

–Qu’est ce que tu as contre les techniques à l’ancienne ? Ce sont les meilleures. Tout ce qui est ancien prend de la valeur : les voitures de collection, la déco vintage, les disques vinyles, le vin et surtout ton mari et ton père à toi, fiston ! Et ouais, ne vous en déplaise !

–Je vois que t’as pas changé. Au moins on ne s’ennuie pas avec toi. En tout cas, c’est bien bon, ce repas. M’man, tu peux me faire un café avec les gâteaux ?

–Bien sûr ! T’en veux un aussi, l’artiste ?

–Avec plaisir, mon amour.

–P’pa, tu m’as parlé de Luc. J’aimerais bien que tu me racontes comment Mamie t’a élevé avec oncle Dimi ? Ce devait pas être si simple pour elle, toute seule, de s’occuper de deux garçons ?

–Non c’est vrai. Mais elle avait son caractère bien trempé ; ça aide. Il fallait se tenir à carreaux. Je me souviens encore de ses torgnoles…

–Elle aurait dû taper plus fort sur ta cabosse. Tu aurais filé plus droit, vu ce que tu m’asdit…

–Mais c’est qui l’a de l’humour ce petit ! T’as avalé un clown, ou quoi ?… Alors ta grand-mère…

–Je suis toutouïe.

*

CHAPITRE 2 MA MÈRE ASSUME NOTRE ÉDUCATION

Natacha, et non maman, toujours référence faite à ses idées marginales, était infirmière. Une grande partie de sa carrière se déroula à la clinique Granada dans le quartier de Saint-Loup, clinique active pendant de nombreuses années.

Ma mère au tempérament explosif était aux antipodes de mon père. Mais les couples ont sans doute besoin de ces différences pour se compléter, s’associer, se bâtir. Plutôt hyperactive, elle alternait ses journées entre rires aux éclats et cris de fureur dès que des bêtises plus ou moins graves étaient commises. Là, mieux valait se planquer car tout valsait dans l’appartement et les objets variaient en fonction du destinataire.

Lorsque mon père quitta la maison, je partageai ces éruptions volcaniques avec mon frère Dimitri. Quatorze mois nous séparaient. Ces quatorze premiers mois d’absence de vie commune, de connivence, de dualité, de complicité, la vie allait se charger de combler ce retard où les fameux quatre cents coups forgèrent notre caractère.

Ma mère veilla sur nous pour que nous ne manquions de rien. Les devoirs devaient être faits et les appréciations des enseignants de l’école élémentaire Capelette à Mireille Lauze dans le dixième arrondissement de la cité phocéenne, devaient être élogieuses sinon gare à nos fesses !

Nous avions la chance de partir en vacances l’été pendant un mois. Nous louions une maison avec l’aide généreuse de ma grand-mère Galou, surnom depuis toujours, dans différentes régions de France. La R5 blanche cinq portes emmenait tout ce petit monde : ma mère aux commandes, ma grand-mère copilote, avec les cartes routières sur les jambes et plus tard le guide routier, les deux garnements à l’arrière qui devaient partager l’espace avec la caisse du chat Domino qui miaulait ou plutôt qui braillait pendant toute la durée du trajet, et le chien Taillaud dans le coffre. La galerie sur le toit de la voiture supportait les valises bourrées de vêtements et tout le nécessaire pour notre séjour. Les amortisseurs étaient mis à rude épreuve mais l’essentiel était de partir vers de nouveaux horizons : l’Ardèche, le Vaucluse, l’Aveyron, le Cantal, la Lozère, le Puy de Dôme, la Drôme, le Tarn, l’Aude, l’Ariège, les Pyrénées, les Alpes, les Landes… Chaque département où nous posions nos valises recèle de souvenirs indélébiles qui bercèrent mon enfance.

Natacha devait sans cesse trouver une parade pour séparer les deux zouaves lors du périple ; Dimi et moi étions agités au point de transformer l’arrière du véhicule en véritable ring. Alors, nous étions missionnés : retrouver les indications kilométriques nous rapprochant de la destination; trouver le numéro des départements traversés; participer au poste de co-pilotage en donnant les directions à suivre aux intersections.

Le calme revenu dans l’habitacle n’en demeurait pas moins très éphémère !

Auparavant, le voyage se faisait dans la R5 orange trois portes qui malheureusement finit encastrée dans le mur d’un hôtel : de nuit, sur le trajet du retour nous ramenant à notre maison louée en plein Auvergne, au milieu de nulle part, une voiture nous percuta violemment sur le côté. La jeune conductrice qui roulait sans permis tous feux éteints avait fait fi des règles du code de la route en empruntant une voie en sens interdit pour finir sa course irresponsable dans l’orange à quatre roues, comme les autos-tamponneuses des fêtes foraines.

Le fracas dans le mur fit l’effet d’une bombe dans la voiture. Mais très vite, l’émotion du choc passée, les interrogations à voix haute de ma mère fusèrent :

–Tout le monde va bien ? Qui est blessé ?

Ma grand-mère assise “à la place du mort” semblait la plus amochée ; la douleur dans la poitrine laissait supposer de multiples contusions au niveau de la cage thoracique. Et la voiture ? Plus de doutes en sortant pour une première inspection : la carrosserie avait plié à l’avant et devenait une prolongation insolite du mur de l’hôtel, juste en dessous des fenêtres d’où les gérants de l’établissement pouvaient souhaiter la bienvenue à leurs résidents de passage. Pour le coup, les fenêtres s’ouvrirent et les gérants interloqués furent plus que surpris par cette arrivée des plus fracassantes.

Les gendarmes et les pompiers jaillirent du brouillard qui commençait à envelopper le village et ses environs. Après les démarches d’usage à la gendarmerie pastorale, un jeune papa qui écoutait dans le hall, proposa gentiment son aide pour nous amener à la clinique où Galou se rendait, transportée par le camion de secours, pour passer des radios.

L’aspect de cet homme providentiel pouvait nous inquiéter ; c’était un gitan, imposant par sa carrure de déménageur, mal fringué, avec un tee-shirt beaucoup trop petit qui laissait déborder son ventre proéminent. Un gendarme dû ressentir notre malaise :

–Ne vous inquiétez pas, Madame, je le connais personnellement. C’est mon beau-frère et il est très serviable. Vous pouvez lui faire confiance

Notre nouveau conducteur attitré s’improvisa chauffeur de taxi et après le passage et l’attente singulière des urgences, il insista pour terminer sa mission en nous déposant à notre logement. Dès l’arrivée, je crus bon de montrer comment je rentrais à l’intérieur sans clé, simplement en soulevant l’espagnolette du volet entrebâillé.

–Et s’il revient, tous nous estourbir dans la nuit, maintenant qu’il connait l’astuce ? pensait tout haut Natacha.

Son dévouement fut récompensé par ma mère, qui en insistant, réussit à lui glisser un billet pour son enfant puisqu’il décréta qu’il n’acceptait pas d’argent pour un service rendu de bon cœur.

Dès le lendemain, hormis les douleurs de ma grand-mère, rien ne viendrait modifier l’entrain de l’équipe, à nouveau sur le qui vive pour sillonner la région ; sans voiture, qu’à cela ne tienne, chacun possédait une paire de baskets qui s’userait plus rapidement.

Mon oncle, en apprenant la nouvelle et qui possédait deux véhicules, nous prêta généreusement et spontanément sa Citroën 2CV verte pour terminer notre séjour et assurer notre retour à Marseille.

À chaque ondulation de la route, la Deuche fière de ses trente-deux chevaux et pouvant atteindre la vitesse de pointe de 110 km/h, à condition d’être lancée de très loin et sans aucun obstacle, nous donnait des hauts le cœur au sommet des bosses et nous poussait à crier de concert :

–Olé !Olé !

La voiture qui tanguait à chaque virage, propulsait mon frère sur moi et inversement en fonction de la direction. Le bruit inimitable du clignoteur était annonciateur d’embardée à l’arrière du véhicule car je crois bien qu’avec mon frère, nous amplifions volontiers le phénomène.

Ma mère et ma grand-mère avaient le chic de découvrir notre future destination estivale grâce aux petites annonces, notamment dans le journal Le 13 distribué gratuitement dans les boîtes aux lettres. Les deux cheftaines se partageaient les tâches; Natacha relevait les annonces et Galou appelait et réservait la location.

Je me souviens de vacances passées dans une grande maison dans l’Aude. Il y avait un champ en pente, que j’associe à celui où Carrie tombe, se relève et sourit lors du générique de la série télévisée La petitemaison dans la prairie. C’était vrai que j’aimais dévaler à toute vitesse cette prairie, au point où mes petites jambes ne pouvaient plus suivre le rythme ; je finissais en rouler-bouler en enchaînant les galipettes. Ma course folle se termina une fois brutalement dans un barbelé qui délimitait l’espace. J’y étais accroché comme un oiseau pris dans un piège. Mes vêtements étaient en lambeau. Ils seraient rapiécés à la maison, après quelques recommandations énergiques.

Tout était prétexte à jouer, inconscient que j’étais des dangers environnants. Je courais dans toutes les pièces de la maison après le chat, où le mobilier servait d’appui pour relancer ma vitesse.