The Beast - Tome 1 - Armelle Hanotte - E-Book

The Beast - Tome 1 E-Book

Armelle Hanotte

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Beschreibung

Olympe survivra-t-elle à la sombre terreur de Chicago ?

Les habitants de Chicago vivent dans l’angoisse permanente dès que la nuit tombe sur la ville. Une sombre terreur règne en maître dans les ruelles... Mythe ou réalité ? Olympe en est sûre : la Bête existe et est la cause de ces disparitions. Elle redoute plus que tout de croiser sa route. Sa rencontre avec Eyden et Jason, deux hommes séduisants et totalement opposés, sera la cause de nombreux troubles et changera sa vie à jamais.

Armelle Hanotte signe une nouvelle romance fantastique qui vous fera frémir de peur et de désir...

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"L’écriture d’Armelle Hanotte est immersive. Elle nous plonge dans la ville de Chicago Quand vous démarrez la lecture, vous avez du mal à vous arrêtez." - Océan livresque sur son blog
"L'auteure Armelle Hanotte mêle avec brio fantastique et romance, nous offrant un magnifique conte des temps modernes." Mjey sur Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

Armelle Hanotte est une jeune auteure belge. Pour elle, tout a commencé dans une bibliothèque à l’âge de 13 ans. Elle y a découvert son amour de la lecture, mais aussi et surtout son besoin d’écrire, qui ne la quitte plus. Après sa série Calypso, elle revient chez So Romance avec The Beast : Le baiser d’une rose enflammée.

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Prologue

Dans l’obscurité de la nuit, un homme vêtu d’une veste en cuir s’aventura dans une ruelle sinueuse. Sous la lumière des lampadaires, il s’engouffrait dans ce qu’on appelait la rue maudite. Plusieurs meurtres s’y étaient produits, et aucun policier n’avait réussi à élucider l’affaire. Tandis qu’il titubait, ivre et en rogne, il cria des injures entre ses dents. Il marchait, oui il marchait un pied devant l’autre, ou plutôt, il basculait de droite à gauche à la recherche d’un mur sur lequel s’appuyer. Alors que la ville était endormie, il leva les yeux vers le ciel puis observa les étoiles scintiller au travers des nuages sombres. La lune était magnifique, ronde, blanche, elle brillait de toute sa splendeur.

En réalité, cet homme était un touriste russe qui s’était perdu. Ses amis l’avaient laissé sortir du bar sans lui prêter attention, et voilà qu’il était égaré dans cet endroit mal réputé. Sa nationalité se remarquait à son accent très prononcé. Il avait des difficultés à parler correctement français. Ce dernier empestait l’alcool et l’urine à plein nez. Ses vêtements étaient tachés par de la nourriture ou les verres qu’il avait enfilés en une soirée.

Plus il avançait dans la ruelle, plus les ténèbres l’enveloppaient. Si seulement il savait ce qui l’attendait de l’autre côté. Il se dirigeait droit dans la gueule du loup, où nul n’en sortait. Marchant auprès des bennes à ordures, le Russe rit subitement en s’appuyant contre le mur. Brisant le silence pesant de la nuit, il réveilla ce qu’on appelait la Bête. Sous une ambiance angoissante et mystérieuse, l’inconnu continua son chemin puis jeta sa bouteille de bière au sol qui se fracassa en mille morceaux. Le bruit résonna dans les environs. Décidé à rentrer chez lui, ce dernier cheminait encore et encore jusqu’au moment où les lampadaires ne fussent plus suffisants pour l’éclairer.

La légende dit que personne ne le revit ni ne sut ce qu’il s’était passé ce soir-là. Les habitants du ghetto ne savaient qu’une chose à son propos : jamais il ne reviendrait du berceau de la Bête, car comme elle l’avait choisi, elle ne laissait aucun survivant.

Un nouveau jour

L’air frais du matin traversa l’appartement d’une fenêtre à une autre. Dans le cake, j’avais eu un mal fou à préparer le petit-déjeuner de Nicolas, mon petit frère. Entre le mélange de pâte, la cuisson et le beurre, sans oublier les casseroles que je déplaçais sans arrêt, cela m’avait pris une bonne heure. Du haut de ses neuf ans, mon frère ne cessait d’en faire qu’à sa tête. Il adorait jouer aux échecs ou s’occupait dans sa chambre, tandis que je nettoyais l’appartement.

Lorsque la table fut installée, je l’appelai puis bus une gorgée de café. Le liquide amer me brûla la gorge. Je grimaçai, voilà ce qu’il se passe quand on essaye de se presser. Néanmoins, sans ma dose de caféine, il m’était impossible de travailler. Je versai son jus d’orange dans son verre puis retournai dans la cuisine. Vite, vite, vite, je sentais qu’il arriverait en retard à l’école si je ne me dépêchais pas.

— Tu es bien de bonne humeur, pour une fois  remarqua Nicolas d’un ton sarcastique.

Je passai ma main dans ses cheveux et lui fis la bise.

— Je me suis levée tôt pour te cuisiner des pancakes, tu devrais me remercier 

Je répondis en lui donnant une frappe amicale. Nicolas ne riposta pas pour dévorer son plat. Chaque matin, il était affamé et avait l’appétit d’un ogre. Amusée par sa petite taille et son énorme estomac, je le resservis une dernière fois avant qu’il n’aille s’habiller. Nous n’avions pas de temps à perdre. Je devais rejoindre mon amie au bar pour travailler et gagner ma vie. J’avais honte de ce que je faisais. Je ne pouvais offrir des cadeaux à Nicolas ni lui promettre un Noël magique, ou un anniversaire des plus grands. Tout ce que je recevais partait dans les factures, le loyer et la nourriture. Je passai en vitesse face au miroir pour vérifier ma tenue. Ma longue chevelure noire attachée en une queue de cheval est parfaite, mes yeux foncés ne révélaient plus aucune douleur. J’avais appris à dissimuler tout mon passé derrière un sourire, en particulier au travail où la plupart des clients ressemblaient à ma famille. Ils étaient violents, alcooliques, ivres… Ces défauts mélangés à l’odeur du whisky et cela suffisait pour vomir une nuit entière.

Alors que je l’attendais, je m’avançai vers la fenêtre pour y observer la rue. Chaque nuit, je craignais d’y passer. Après tout, mon appartement se situait dans la rue maudite, là où la Bête attrapait ses victimes. Toutefois, je n’avais rien expliqué à Nicolas, même si au fond, il devait se douter de ce qu’il s’y produisait grâce aux rumeurs. Les enfants parlaient beaucoup entre eux, de tout âge, et je mettrais ma main à couper que les plus grands essayent d’intensifier la peur chez les plus petits.

— C’est bon, j’suis prêt, m’dame 

J’attrapai mon sac et mes clefs avant de sortir. Mon petit frère vérifia si tout était bien éteint, cela fait, nous partîmes en direction de l’école. L’air matinal nous réveilla brusquement quand le vent effleura notre peau. Je frissonnai, refermant correctement ma veste. Dans la ville, la plupart des murs étaient couverts de graffitis, et dégageaient une odeur épouvantable d’urine. C’était le sort qui nous était réservé, le sort des pauvres. Cet endroit était loin de ressembler à une destination paradisiaque, et les touristes, qui s’amenaient ici pour une journée, venaient voir l’état pathétique dans lequel nous vivions. Les ghettos de Chicago, ou plutôt, les déchets, les oubliés, les abandonnés.

Plus nous nous approchions, plus les cris des enfants se firent distincts. Certains jouaient sur les trottoirs, séchant ainsi les cours. L’instruction était un coût à assumer pour chacun de nous, un coût que certains parents refusaient de financer. Ces pauvres gosses, âgés d’une dizaine d’années, deviendraient peut-être des futurs délinquants. De toute façon, nous étions tous fichus dans cette décharge.

— Olympe, pourquoi personne ne sourit dans ce quartier ? Il y a encore eu un drame ? demanda Nicolas, d’un air songeur. C’est vrai, c’est bizarre, avant ils avaient l’air heureux.

Je grimaçai en guise de réponse. Les enfants avaient toujours des questions, celles où la vérité dérangeait. Que pouvais-je bien lui expliquer à part qu’un monstre était à nos trousses la nuit ? Cette chose engendrait la peur dans nos cœurs et l’angoisse, l’inquiétude, l’anxiété dans nos vies. Personne n’était apaisé ici. Nous étions toujours sur nos gardes, à se méfier des uns des autres. Qui ouvrirait sa porte le jour où la victime est poursuivie ? Personne. Nous tenions bien trop à notre petite vie. Tous les ans, il y avait un meurtre ou une disparition troublante. La semaine passée, ce fut le jeune Roger Stilinski, le fils du boulanger qui fut maudit par la Bête. Ce gosse s’amusait à agresser les jeunes filles dans les ruelles, ou se faisait passer pour ce monstre la nuit. Je ne l’appréciais pas et je recommandai à mon frère de ne pas l’approcher. Toutefois, nous étions tous en deuil. Cela restait un individu de trop massacré dans l’oubli des autorités. L’État ne nous croyait pas sur ce coup, trop féérique pour être réel. Et à compter le nombre de drogués dans ces quartiers, cela ne m’étonnait pas. Alors, nous avions appris à garder une bonne image de nous-mêmes pour remonter notre estime. Nous enfilions un masque afin de cacher la tristesse qui nous rongeait au plus profond de nous-mêmes. Malheureusement, cette mélancolie se reflétait dans nos regards, les miroirs de l’âme. À l’intérieur de cette prison gigantesque vivaient tant de personnes différentes. Les dernières rumeurs racontaient qu’une dame venait d’aménager au numéro 68, et qu’elle avait assassiné ses enfants avant de fuir la police. Les corps furent retrouvés dans une forêt, dévorés par les animaux sauvages. Nul ne se douterait de sa présence au ghetto, car la gendarmerie ne prenait plus la peine de s’y aventurer. Tout comme le boucher du quartier qui s’amusait à torturer les rats s’aventurant dans ses poubelles. Je n’osais imaginer ce qu’il se passait dans leur tête… Il expliquait qu’arracher leurs yeux le soulageait. Soit. Ce n’était pas mon problème, je nous éloignais juste suffisamment de lui pour l’éviter. Le cas le plus étrange vivait à troisième étage du 47, il vivait enfermé et ne sortait qu’une fois par mois. Sa présence s’avérait malsaine. Il cachait des choses bien trop de secrets pour qu’on puisse l’aborder sans crainte. Ses voisins entendaient souvent des cris provenant de son chez-soi. Et parfois, ils le croisaient armés, tachés de sang. Depuis cet instant précis, les habitants savaient qu’il ne valait mieux pas l’ennuyer. C’était chose faite.

Arrivée devant son école, Nicolas me fit un bisou sur la joue puis rejoignit ses amis. Des cris de joie, d’amusement remplissaient la cour. L’éducatrice me jeta un regard de travers avant de partir dans l’ombre. Oui, j’étais jeune, bien trop pour être maman. L’école ne me connaissait qu’en tant que sœur, non comme une mère. Peut-être qu’elle n’en savait pas plus sur moi pour m’observer avec de si grands airs. Bref, je fronçai les sourcils, perplexe, puis me pressai de me rendre au café. Ashley, ma collègue, m’y attendait. Par chance, je travaillais à quelques mètres de l’établissement scolaire.

Une fois à l’intérieur, l’odeur du café m’enveloppa. Des clients et les habitués me saluèrent. Je répondis poliment puis allai me changer dans les vestiaires. Les cadres de Marilyn Manson tomberaient bientôt vu leur état. Quant aux chaises au cuir craquelé, je n’osais même plus poser mes fesses dessus, entre la pisse qui collait sur le bois, les chewing-gums sur le dessous, et la transpiration sur le dos. L’image devrait suffire à vous dégoûter. Le café avait une décoration vintage, mais vintage à deux doigts de s’effondrer. Les habitués qui me connaissaient s’amusaient, bourrés, à détruire nos biens, comme les cendriers. Ils se rendaient la plupart du temps sur l’arrière de la boutique pour uriner contre nos bennes à ordure. Le patron ne tentait rien pour y remédier, alors je ne le faisais plus remarquer.

Je déposai mon sac et ma veste dans mon petit casier en fer. Chaque employé possédait le sien pour ranger ses affaires, enfin, chaque employé soit Ashley, la ménagère et moi, la barmaid. Face au plan de travail et aux centaines de bouteilles d’alcool, je préparai les verres et les cocktails demandés. Les hommes qui pensaient avoir une chance avec moi commandaient à multiples reprises. Ils finissaient affalés, ronflant comme de gros porcs sur la table, tout leur charme réduit à néant.

Alors que je nettoyais le bar, mon amie vint à ma rencontre. Cela faisait des années qu’elle travaillait en tant que serveuse dans ce café. Toutefois, le jour où j’en aurai l’occasion, je partirai.

— Comment vas-tu ma belle ? Les cernes sous tes yeux en disent suffisamment pour s’inquiéter. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Je haussai les épaules, le visage blême. Je détestais cet endroit qui empestait le cigare. Quand est-ce que le boss pensera à changer la décoration ou à aérer les pièces ? Le matin restait le seul moment agréable entre l’effluve du café ou du chocolat chaud.

— Oh, rien de spécial. Je ne suis pas tranquille la nuit. J’entends des bruits dans la rue, et tu sais ce qu’on dit… répondis-je d’un ton plat.

Ashley me jeta un regard attristé. Elle semblait avoir pitié de ma situation, pourtant, elle se moquait souvent de mes angoisses à ce sujet. Cette dernière ne croyait pas en tout ça. En même temps, elle dormait dans le centre où la Bête s’aventurait le moins, tandis que dans mon cas, je vivais sur la périphérie, là où son antre siégeait. Avant qu’elle n’ait le temps de répliquer, un client l’appela, agacé. Il était déjà ivre.

— Un jungle juice m’dzelle, bredouilla ce dernier.

Vodka, jus d’orange, citron, les ingrédients placés, je mélangeai comme à mon habitude avec force. C’était devenu un automatisme. Et bien que je me plaigne souvent de mon travail, j’adorais préparer ces cocktails pour ensuite voir les clients les déguster. C’était l’une de mes seules capacités. Mon père me répétait souvent que j’étais une moins que rien… Depuis, je n’avais plus confiance en moi et je mettais toutes mes émotions dans le travail pour exceller dans le domaine. Je rêvais de sortir de ce trou à rats pour concocter les meilleurs alcools du pays  Malheureusement, comment se faire remarquer quand on vit dans un ghetto pathétique ?

Concentrée sur mon mélange, je n’aperçus pas Drake, mon patron, se dirigeant vers moi. Je levai le regard sur lui, puis lui souris poliment.

— Tout va bien ?

Sa question me laissa perplexe. Pourquoi venait-il me parler pour me poser une question si crédule ? J’espérais sincèrement qu’Ashley n’ait rien dit sur mon sommeil, car cela ne regardait que moi. Tant que je faisais mon travail correctement, il ne pouvait pas me virer. J’avais besoin de ce boulot pour survivre, pour offrir à Nicolas une scolarité comme chaque enfant le souhaite. C’était tout ce qu’il me restait.

Néanmoins, Drake ne détacha pas son regard de mon visage, à croire qu’il était écrit insomniaque sur mon front.

— Oui. Excusez-moi, mais j’ai des commandes.

Je le quittai pour servir mon client, tandis qu’il pestait entre ses dents. Nous ne nous étions jamais vraiment entendus sur la qualité des produits, sa manière de diriger le café, ou sur la propreté des toilettes, mais le respect persistait tout de même. Je jetai un coup d’œil rapidement à ma montre. Les aiguilles affichaient huit heures. Cette journée allait être très longue… Je soupirai, exaspérée, puis fis bonne figure pour faire face à nos meilleurs clients. Ashley et moi savions très bien qu’ils venaient ici, car nous étions les seules femmes de la ville à servir dans un café, des objets soi-disant sexuels selon eux, de simples poupées.

*

La journée terminée, je sortis du bâtiment les bras croisés. Les nuages sombres se rassemblaient dans le ciel. La pluie ne tarderait pas à se manifester alors que le vent se faisait déjà violent.

— Tu es certaine que tu vas bien ? me demanda mon amie en fermant à clef le bar.

Je hochai la tête d’un air accablé. La fin de journée annonçait la nuit, et la nuit annonçait la Bête. Pourquoi était-elle toujours aussi paisible ?

— Oui… Je suis juste inquiète, mais ça va aller. On se voit demain ?

Je lui fis la bise sans lui laisser le temps de répondre. Elle m’enlaça rapidement puis nous nous séparâmes. Je me pressai de passer à la boulangerie où il n’y avait plus beaucoup de pâtisseries, cependant, je voulais absolument faire plaisir à Nicolas. Depuis déjà quelques mois, nous n’avions pas mangé de dessert. Je choisis donc un éclair au chocolat et une boule de Berlin. Après avoir réglé, je partis en direction de l’appartement sans traîner. Normalement, mon frère devait déjà y être puisqu’il terminait plus tôt les cours.

Face à la porte, j’arrangeai ma coiffure puis plaquai un sourire sur mon visage. Ne pas être faible, il fallait le rassurer sans fléchir. L’air joyeux, je rentrai de bonne humeur. La nuit tomberait bientôt, amenant avec elle les ténèbres. Néanmoins, je bougeais ces pensées noires de mon esprit pour m’occuper de lui.

J’allai dans le salon où Nicolas jouait à ses jeux de société. Il adorait les échecs, c’était son jeu favori, suivi de près par le poker. Ce dernier remarqua ma présence et s’émerveilla lorsque son regard se posa sur la boîte en carton de la boulangerie. Je l’ouvris et lui montrai ce que j’avais ramené. Il souriait et s’épanouissait pour des petites merveilles comme celles-là.

— Merci, Olympe  Je t’adore  Mais on partage, d’accord ?

Je hochai la tête, entièrement d’accord même. On ne refusait pas de si bonnes nourritures quand on les avait devant soi  J’installai des couverts pour engloutir ces bouchées.

Alors que nous nous apprêtions à les gober, un bruit strident provint de la rue et nous brisa les tympans. Je devins aussitôt livide, tremblante. Je tentai de contrôler ma nervosité. Les ténèbres n’étaient pas encore tombées sur le ghetto.

Inquiets, je déposai le paquet sur la table puis nous courûmes à l’extérieur. Un accident de voiture avait eu lieu. Ce n’était pourtant pas habituel, voire très rare, car peu en possédaient dans le quartier. Je compris à la plaque du véhicule que la victime était monsieur Stakir, soit l’homme le plus riche parmi nous. C’était une ordure. Nous le détestions tous pour son arrogance. Il s’amusait à nous jeter au visage sa richesse tout en se moquant de notre pauvreté. Je me souvenais très bien de cet instant, où, lorsque je l’avais croisé, il m’obligeait à m’excuser pour la poussière sur sa chaise. Il était au bar, et Drake avait été clair là-dessus, nous devions nous soumettre à ses désirs. Il valait mieux éviter de détailler le regard qu’il portait sur ma poitrine ou sur les fesses d’Ashley.

Je m’approchai du lieu. Le capot en feu et les portières arrachées, le véhicule était bien amoché. Tout le monde observait la scène sans bouger. L’ambiance s’assombrit. Qui aurait souhaité risquer sa vie pour un connard ? Il méritait de périr seul. C’était le chaos. Les flammes orange s’estompaient grâce aux bonnes âmes qui avaient appelé les pompiers. Le corps était coincé dans la voiture. L’odeur qui en émanait était nauséabonde. Je portai la main à la bouche, écœurée tandis que Nicolas semblait intéressé par ce qu’il se déroulait. Le quartier était réuni et refusait d’obéir aux pompiers qui nous demandaient de reculer un peu pour notre sécurité. La fumée noire s’envola dans le ciel.

La voiture était finalement détruite. Je n’osais même pas imaginer l’état de Stakir. Toutefois, l’un des pompiers alla voir le blessé au cœur des flammes. Il fallait vérifier s’il était vivant. Nous regardâmes attentivement, pris d’une curiosité malsaine. Au fur et à mesure que le temps passait, nous paniquions pendant que le feu se dissipait. Des questions se bousculaient dans notre esprit, elles circulaient dans la foule qui chuchotait. Est-ce bien lui ? Était-il mort ? Où ira son héritage puisqu’il n’a pas d’enfant ? Est-il encore temps de voler les objets de valeurs chez lui ?

Ce ne fut qu’une dizaine de minutes de recherches plus tard qu’il revint, sans la compagnie de qui que ce soit. La voiture était vide, aucune personne n’avait donc été touchée. Stakir n’était plus dans le véhicule, La Bête l’avait emporté… Cependant, ce dernier revint avec un liquide noir, épais, et gluant sur les mains. Les yeux grands, le corps tremblant, il pleurait sous l’emprise de l’effroi. La police ne nous croyait pas, mais les pompiers, eux, étaient persuadés de son existence puisqu’ils logeaient auprès de nous. Chacun savait alors ce qu’il s’était passé, la Bête était réveillée, la Bête avait faim, elle réclamait son dû.

Nuit d’horreur

La journée avait été éprouvante aujourd’hui. Le boulot, l’accident et le manque d’argent ne nous permettaient pas de vivre tranquillement. J’étais fière de me débrouiller seule, mais parfois, j’aimerais qu’une personne apparaisse et me dise : viens, je t’amène vivre loin d’ici. Cela m’accorderait une pause, ou deux. Et puis, à plusieurs, on est plus fort que seul. Tandis que je rêvassais sur ce que ma vie pourrait être en dehors de ce quartier, Nicolas me sortit de mes pensées en me souhaitant bonne nuit.

— Bonne nuit, fais de beaux rêves, répondis-je du salon.

J’éteignis donc la télévision. Nous allions dormir à la même heure puisque nous devions nous lever tôt pour les cours ou le travail. Le silence s’imposa dans l’appartement. Je me redressai pour me diriger vers la cuisine. Comme chaque soir, je me préparais un verre d’eau pour la nuit. La chaleur de cet appartement me donnait une sensation d’étouffement. J’avais beau ouvrir les fenêtres, en vain, rien n’y faisait. Cette atmosphère oppressante persistait.

La nuit tombait à petit feu, alors que les ténèbres prenaient part des pièces. Je bus rapidement ma boisson, les mains tremblantes. L’obscurité dans laquelle j’étais plongée intensifiait mes peurs sans scrupule. Elle annonçait son réveil, sa venue. Je n’avais pas envie de la voir ni de l’entendre. Juste à y penser, je me sentais nauséeuse. Depuis mon arrivée, cette chose était mon pire cauchemar. Évidemment, personne ne connaissait son existence à part nous. Qui croirait des personnes aussi pauvres, ignobles ou ivres que notre ghetto ? La moitié de la population dans cette banlieue se droguait, violait, ou buvait sans arrêt. La police répétait que c’était l’œuvre d’un serial killer qui laissait sa signature après chaque meurtre, mais qu’ils ne l’avaient toujours pas retrouvé. Pourtant, la Bête existait bel et bien. Chacun lui donnait un nom approprié. Certains la nommaient Malédiction, d’autres la Tueuse silencieuse, ou encore le Démon. La Bête était simplement le surnom le plus utilisé entre nous. D’ailleurs, aussi loin que je me souvienne, tout le monde parlait d’elle depuis mon emménagement. J’avais vécu longtemps avec cette phobie qui me hantait, et malheureusement, elle ne m’avait pas quittée. Elle symbolisait ce monstre que l’on croit cacher sous le lit la nuit, mais auquel personne ne croit en dehors de l’enfant. Je me souvenais encore de ce jour où mes amis vinrent m’expliquer que Tomy, mon meilleur ami ici, avait été capturé par celle-ci. J’avais pleuré toutes les larmes que mon corps pouvait le permettre. Tomy avait une personnalité désagréable de temps à autre, cependant je passais outre ce détail. Il m’aidait et m’appréciait à ma juste valeur, ce qui suffisait à mes yeux pour en faire un bon ami. Nicolas était trop petit à ce moment-là pour s’en souvenir, néanmoins, quelques scènes lui restaient à l’esprit.

Subitement, le cri de mon frère m’interpela alors que je me situais dans la cuisine.

— Olympe, il y a une araignée dans ma chambre  hurla-t-il apeuré.

Il courut jusqu’à moi pour se cacher. Voilà pourquoi je refusais de lui parler d’Elle, parce qu’un simple arachnide l’effrayait. Toutefois, je ne pus m’empêcher de rire. En déposant mon verre, je cherchai du regard de quoi l’écraser puis le suivis dans sa chambre, le sourire aux lèvres. La situation m’amusait.

— Tu ne sais pas la tuer toi-même ? dis-je d’un air moqueur.

Mon petit frère me fusilla du regard tout en croisant les bras d’un air boudeur. Ma remarque l’avait blessé… Je me tus, entrai dans la pièce puis allumai la lampe à chevet à côté de son lit. Je réalisai brutalement que cette araignée était vraiment énorme, et qu’elle me terrifiait, moi aussi. Ses énormes pattes poilues mesuraient un bon trois centimètres. Cette image me répugnait. Cependant, je n’affichais pas mon angoisse à Nicolas, et ce fut sans réfléchir que je frappai d’un coup sec sur ce monstre. Affolée, je continuai d’abattre l’araignée, encore et encore jusqu’au moment où elle tomba au sol, les pattes repliées. Qu’est-ce que c’était dégoûtant… Fière de moi, je lui souris, l’encourageant ainsi à se débrouiller la prochaine fois. Je ramassai ce cadavre puis le jetai dans sa petite poubelle.

— Voilà, plus d’araignées maintenant 

En lui cédant la place, il retourna sous sa couette. Petite, j’étais exactement comme Nicolas. Un adulte devait toujours tuer n’importe quel insecte qui se présentait devant moi, mais mes parents m’obligèrent à prendre mes responsabilités. Ils se moquaient de mes craintes, me forçaient à faire face à chacune de mes angoisses.

— Merci beaucoup. Je vais pouvoir enfin dormir 

Je le couvris correctement, lui fis la bise sur son front puis quittai la chambre en fermant la porte à mon passage. Il était si innocent avec sa bouille d’ange. Bientôt, je devrais lui expliquer ce qu’il se produit vraiment dans ce ghetto, bien qu’avec les rumeurs, il s’en doutait certainement. Je ne voulais pas le perdre à cause de mon silence, de mes propres peurs. Nicolas serait bientôt en âge de sortir avec ses amis, il rentrait dans l’adolescence, et je refusais qu’il ignore ce monstre qui nous terrifie. Même les voisins les plus louches ne s’y tentaient pas. Quant à Ashley, elle m’avait demandé pourquoi nous n’étions pas chez nos parents, à la place de vivre dans une porcherie. Je ne répondis jamais à sa question. Mon passé me torturait, intensifiait ma douleur, ravivait les souvenirs. Je refusais catégoriquement d’en discuter, de retourner en arrière pour me remémorer les horreurs vécues. J’aimais Nicolas comme mon propre fils, cela me suffisait comme raison pour avoir fui le foyer familial. J’étais un peu plus aisée que nos parents, et je prenais mieux soin de lui que notre mère. J’étais seulement déçue de cet appartement, cependant, mon salaire ne me permettait pas de déguerpir de ce quartier, de me rendre dans une belle ville comme Milwaukee.

Une fois la vaisselle rangée, je m’empressai d’enfiler mon pyjama. J’étais exténuée, et il n’allait pas tarder à sonner minuit. Pendant que je m’habillais, mon téléphone vibra. Je sursautai, surprise, et regardai qui m’appelait. Un numéro privé. Je plissai les sourcils, intriguée. Qui pouvait bien me contacter à une heure si tardive ? Certainement une personne qui s’était trompée. Je prenais l’habitude.

Sans prendre la peine de décrocher, je partis me coucher au lit. Sous la couette, je fermai enfin les yeux. Dormir, dormir, dormir. J’essayai d’imaginer les ténèbres m’envelopper, me bercer, me rassurer. J’imaginais des étoiles scintillantes veiller sur nous. En vain, rien n’y fit. Bien que je sois abattue, je n’avais pas sommeil. C’était à croire que j’avais oublié quelque chose. Je cherchai donc mentalement. La télévision était bien éteinte, les appareils débranchés, fenêtres et portes fermées à clef. Je ne trouvais rien qui clochait. Exaspérée, je me relevai en m’appuyant contre le mur. Seule dans le noir, mes yeux fixaient le vide. Je me concentrais sur ma respiration en espérant que cela soit aussi efficace qu’un somnifère. Le médecin du coin refusait de m’en prescrire, car j’en abusais. Impossible donc d’en acheter en pharmacie, qui à la sortie de cette banlieue, s’avérait sérieuse et sévère sur ce médicament en ce qui me concernait. J’en avais exagéré les premiers mois, et depuis, les pharmaciens me demandaient une autorisation du docteur. Fichues insomnies…

Tandis que je réfléchissais à un moyen de dormir, j’entendis un drôle de bruit à l’extérieur. Je fus aussitôt prise du ventre, l’estomac retourné. L’adrénaline prit possession de mon corps. Ce bruit, oui, ce son m’effrayait. Je vivais cette horreur au fond de mes tripes. C’était un souffle gras, venant de loin. Les yeux entrouverts, mes mains devinrent moites. Avec le peu de courage qu’il me restait, je me levai pour me poser discrètement face à la fenêtre. Ma curiosité malsaine fut trop forte. Je l’ouvris et aperçus en passant la tête à l’extérieur qu’un des lampadaires ne fonctionnait plus correctement. Clignotant, il nous plongeait dans le noir l’histoire de deux secondes pour illuminer la rue par la suite. J’avais les jambes comme du coton. Mon corps se raidissait. Le visage blême, j’inspirais, expirais. Mon cœur battait la chamade. Je sentais chaque pulsion ainsi que le sang qui coulait dans mes veines.

Soudain, je la vis. Sa forme, sa dominance, son regard glacial et assassin. Mon sang se glaça. Mes cheveux, derrière la nuque, se hérissèrent. Je fus paralysée d’effroi, incapable de fuir.

La Bête remarqua ma présence, me rejoignit jusqu’à ma fenêtre ouverte en grimpant les murs, et se posa face à moi. J’étais coincée, trop apeurée pour bouger. Ma respiration se bloqua alors que des violentes nausées me prirent. Je ne fis aucun geste. Mes yeux croisèrent les siens, vides, sans émotion. Je pouvais très bien distinguer sa peau de loup dans la pénombre, sa gueule aux dents pointues, pleines de bave. Même si j’essayais de me maîtriser, la panique me prit. Je frissonnais, terrifiée. Alors que je tremblais comme une feuille, j’eus soudainement envie de crier quand la Bête me sourit. Son sourire était malsain, affreux et monstrueux. J’angoissais. J’arrivai à peine à respirer. Ma gorge se noua, aucun son ne sortit de ma bouche. Je perdis l’usage de la parole. Mes dents claquèrent et mes gémissements émirent un bruit qui résonna dans la chambre, cependant, avant que je ne puisse hurler de terreur, je perdis connaissance en ne voyant qu’un dernier aspect mystérieux. Son regard bleu métal, intense, qui me transperçait l’âme.

Discussions

Les enfants jouaient dans l’aire de jeux. Leurs cris résonnaient entre ces murs tandis qu’ils s’amusaient à glisser du toboggan. L’ambiance était agréable et me changeait les idées. Je broyais du noir, sans oublier mon travail qui m’exténuait chaque soir. Je commençais à avoir des courbatures partout, ainsi qu’une fracture de fatigue au poignet gauche.

Pendant que mon petit frère parlait avec ses amis, content d’être ici, j’observai les différents jeux mis à disposition de petits. Je n’amènerai plus jamais Nicolas dans cette aire trop dangereuse. Ces objets paraissaient trop vieux, prêts à se briser sous le poids d’un enfant.

Assises à une table avec Ashley, nous le regardions courir dans tous les sens, hurlant de joie. Il rigolait comme un fou. Ça me faisait du bien de le voir heureux, insouciant de la situation actuelle. Il ne se doutait pas de ce qu’il se passait, en particulier de la soirée la veille. L’image de sa gueule, de ses dents ou de son regard restait coincée dans mon esprit. J’essayais de nier cette rencontre en me répétant que c’était un cauchemar. Oui, ça ne pouvait être que ça, sinon la Bête m’aurait tuée. J’hallucinais simplement, ce qui était possible avec la fatigue que je ressentais, non ? Peut-être que Nicolas nous croyait protégés de tout problème, pourtant, j’étais certaine qu’un jour, le café fermerait et nous serions alors à la rue. Je ne saurai pas où aller ni vers qui me diriger, puisque Ashley elle aussi serait dans le même cas.

Je chassai ces idées lorsque le serveur arriva prendre nos commandes. Je choisis un thé à la menthe, dans l’espoir qu’il m’apaise, tandis que mon amie préféra un verre de vin blanc. Je la reconnaissais bien dans ce choix. Nous étions l’opposé. J’étais la lune, elle le soleil, moi l’eau, elle le feu, mais comme tout le monde le répétait, les contraires s’attirent.

— Tu as une mauvaise mine aujourd’hui… remarqua-t-elle, mal à l’aise.

Je baissai la tête affichant un sourire, gênée. J’étais si angoissée que j’eus un rictus nerveux. Devais-je lui parler d’hier soir ? De ce que j’avais vu ou halluciné ? De la Bête qui était venue me rendre visite ? Rien qu’à y penser, je frissonnais. Je n’osais plus ouvrir la fenêtre de ma chambre ni poser un regard sur l’extérieur quand j’étais au lit. J’étais même tourmentée à l’idée qu’elle puisse se dévoiler à la lumière du jour.

— Je ne dors pas très bien ces temps-ci.

Je marmonnai entre mes dents. De cette manière oublierait-elle peut-être sa remarque. Toutefois, lorsqu’elle voulut me répondre, le serveur vint servir nos boissons. Je le remerciais mentalement d’interrompre notre moment puis bus une gorgée de mon thé à température parfaite. Un silence s’imposa entre nous. Ashley soupira, comme agacée que je riposte toujours de la même façon.

— Dis-moi ce qui ne va vraiment pas Olympe  Tu es en manque d’argent ? Nicolas commence sa crise d’adolescence et tu n’en peux plus ? J’ai besoin de savoir pour t’aider… Tu sais que je suis là, hein ?

Sur ce, elle but d’un coup sec son verre tout en gardant son sérieux quand son regard se posa sur moi. Je n’aimais pas demander de l’aide, trop fière, et puis je refusais qu’un jour, elle me mette sur le dos tout ce qu’elle m’avait apporté. Jusqu’ici j’avais réussi à me démêler seule, et je continuerai de cette façon. Le passé m’avait trop déçue et touchée pour que je puisse m’étaler.

— Tu sais très bien quel est le problème, Ashley.

Elle garda le silence, pinça les lèvres puis souffla. À l’instant où je crus recevoir ses reproches, Nicolas nous interrompit, l’air triste, demandant pour avoir quelques pièces de monnaie. Je compris tout de suite qu’il voulait aller aux distributeurs de confiseries plus loin. Je cherchai donc dans mon portefeuille quelques pièces, eut un moment de panique. Est-ce qu’au moins j’en avais ? Quand cette question traversa mon esprit, j’en trouvai trois dans le fond de la pochette. Je les lui donnai et il partit sans un mot. Je supposais que c’était sa manière de me remercier. À chaque fois, je cédais à ses caprices, mais que ferions-nous si nous ne pouvions pas profiter un peu de la vie ?

Enfin seule, Ashley reprit le dessus en répliquant :

— Encore ? Combien de fois vais-je te l’expliquer ? C’est juste une rumeur pour effrayer les gosses la nuit. Ça les oblige à dormir tôt et les parents peuvent sortir sans problème. Tu connais tout aussi bien que moi ce ghetto. Les trois quarts sont des drogués… Donc forcément, il y a des meurtres, mais ce sont des règlements de compte, ma belle. Pas de quoi paniquer. Personne ne viendra vous ennuyer.

Je portai ma main au visage, grattant mon menton, irritée par ses propos. Qu’avais-je donc rencontré la nuit derrière ? Un fantôme ? Un revenant ? Ou était-ce simplement une vision ? Non, je refusais d’y croire. J’avais senti son souffle m’effleurer, vu son regard m’embraser, sa gueule saliver.

— Et les meurtres ? Le liquide noir ? Je ne rêve pas, et les autres non plus. Il y a bien un monstre dans ce quartier 

La tension commençait à monter. Je ne souhaitais pas me disputer avec Ashley, cependant, j’avais horreur qu’elle me rabaisse avec ses rumeurs stupides. Je ne comptais plus le nombre de fois où elle se moquait de moi et de mes angoisses parce que je craignais de rentrer du boulot en hiver avec Nicolas. La nuit tombait si vite, la Bête faisait la fête.

Toutefois, je me demandais à qui appartenait ce regard si perçant, profond, glacial ? Qui possédait ce souffle empestant la viande crue ? Je m’appuyais sur la table, épuisée par mon manque de sommeil. Mon amie me serra la main en guise de compassion. Personne ne comprenait ma peur, ma douleur, ni ce que je vivais. Je ne réussissais pas à ouvrir les yeux de mon entourage, qui préférait croire en la légende qu’en l’existence de la Bête, tout comme jamais les autorités ne seraient convaincues si j’avouais les crimes de mon père. Ashley replaça une de ses mèches blondes derrière son oreille. Sa finesse ne manquait pas d’être admirée par les hommes du café. Dès que l’on sortait à deux, je disparaissais, ou plutôt, je la mettais en valeur puisqu’elle était magnifique. Ashley représentait le plus gros cliché de la blonde bombasse qu’on croise dans les romances ou les films américains.

— Les supérieurs ont bien dû inventer quelque chose pour terrifier les habitants, réduire le vandalisme la nuit, les empêcher de sortir dès que l’obscurité tombe sur la ville. Ainsi, il y a moins d’accidents et d’appels et les nuits sont plus paisibles pour tout le monde. Tu dois cesser avec tes idées farfelues… Ton liquide noir, c’est sûrement de l’essence ou une connerie du genre. Si elle existait vraiment, je suis certaine que le monde aurait pris ça en charge 

Comment osait-elle dire ça ? Son ancien amant avait été assassiné par ce monstre. Et puis, si tous pensaient comme elle, personne ne bougerait le petit doigt pour nous sauver de cette galère. La Bête est maligne, la Bête a faim, la Bête a une stratégie que nul ne pouvait espérer dompter. J’étais abasourdie par ses propos, et j’étais certaine que peu importe ce que je lui disais de cette chose, elle me trouverait une excuse scientifique ou politique. Bref, j’étais une fois de plus isolée dans mes propres valeurs et idéologies.

Et comme si je n’en avais pas assez entendu, elle renchérit :

— Dis-toi que ce liquide inconnu est déposé assez souvent dans les ruelles mal fréquentées par des personnes payées pour effrayer la population. Et puis ainsi, on force les personnes à rester cloitrées chez eux, les empêchant ainsi de partir de là. Car qui refuserait une chance de fuir ce trou perdu dans lequel on vit, Olympe ? dit-elle sur un ton moqueur.

Je la fusillai du regard tandis qu’elle se relevait d’un air méfiant. Je finis alors rapidement ma tasse de thé, énervée, puis réglai l’addition. Je réfléchissais à ses mots et à ses moqueries qui me heurtaient. C’était injuste qu’on me prenne pour une folle alors que personne ne sortait la nuit, ce qui indirectement, voulait tout dire.

— Je l’ai vue hier. Elle était à ma fenêtre, dominante et affamée. J’ai vu son regard sans émotion me fixer, sa gueule s’ouvrir, son cri me transperçait chaque parcelle de peau. Et crois-moi, je n’ai pas rêvé.

Je répliquai ces mots sur un coup de tête. J’avais besoin d’exprimer mon ressenti si je ne souhaitais pas m’effondrer mentalement. Néanmoins, ma collègue ne bougea pas, livide. Elle se leva sans un mot pour payer à son tour son verre. Je compris qu’elle ne désirait pas aller plus loin dans cette discussion. Plus le temps s’écoulait, plus j’avais l’impression qu’elle se voilait la face. Nul n’avait envie d’y croire, car la réalité s’avérait trop abominable.

— Nicolas, viens  Il est heure d’y aller… criai-je dans la pièce.

Les adultes me fixèrent, surpris par mon appel. Je rougis, timide, puis m’éclipsai dans la salle de jeux où je récupérai mon frère. Il attrapa son sac à dos à nous allâmes à l’extérieur. Une fois dehors, j’ouvris mon parapluie pour nous protéger. Il pleuvait des cordes, et le vent était gelé. C’était la première fois que mon petit frère commençait les cours aussi tard. Des propos circulaient entre les parents. Des rumeurs sur le retour de ce monstre qui apparemment avait attrapé l’un des professeurs. À ce rythme-là, nous dépassions largement une victime par an.

Je priais pour que Nicolas ne revienne pas ce soir avec mille questions en tête. Perdue dans mes pensées, je ne l’entendis pas me parler. Avec un temps pareil, il m’était impossible de distinguer sa voix parmi les cris d’enfants, les voitures qui klaxonnaient, et surtout, mon amie qui se plaignait à l’arrière de la pluie.

— Quoi ? dis-je en haussant le ton.

Nous traversâmes le passage piéton et ce fut face au bâtiment que je m’arrêtai. Sous le préau, Nicolas aperçut ses copains au loin. Il ne répéta pas sa question, trop pressé de rejoindre ses amis. Je lui embrassai donc rapidement le front et lui promis de ne pas revenir trop tard dans la soirée. Le sourire aux lèvres, il alla les retrouver pendant qu’Ashley et moi continuions la route jusqu’au bar. Elle ne parlait plus, ne me prêtait aucune attention et se pressait de rentrer au sec. Cette dernière détestait la pluie, car selon elle, ça déformait sa coiffure. Je ne cherchai pas à la rattraper. Je prenais mon temps pour arriver au café. Cette journée allait être longue et bien calme si elle ne prononçait rien avant la fermeture.

Au fond, dans ce ghetto, chacun se méfiait de son prochain. Je réalisais alors à l’instant même pourquoi, dans cet endroit, c’était chacun pour soi.

Drôle de rencontre

J’essuyai les verres tout en les replaçant à leur place sur l’étagère. Le bar était vraiment vide pour un vendredi soir. Généralement, je croulais sous les commandes, mais cette fois-ci, j’avais le temps de terminer mon travail sans courir dans tous les sens. Ashley ne bougeait que très peu entre les quatre clients dans la pièce. Je préparai les cocktails sans me presser. Drake quitterait bientôt les lieux en nous demandant de fermer à clef le café. L’habitude… Je détestais ça : métro, boulot, dodo. C’était ennuyant à mourir, et pourtant, je devais me contenter malgré le peu de revenu que je recevais par mois.

Je prenais peur dès que la nuit montrait le bout de son nez, dès que les ténèbres chassaient la lumière du jour, dès que les cauchemars devenaient réalité.

Sous l’ambiance sombre bleutée des néons, je remarquai au loin un homme qui m’observait. Quand nos regards se croisèrent, il se leva puis se dirigea vers moi. Je distinguai sa veste en cuir et son t-shirt blanc, un peu à la bad boy. Ashley était partie à l’arrière une fois nos derniers clients partis. Seule dans la pièce, je déposai ce que j’étais en train de faire puis lui souris poliment. La couleur de ses yeux me frappa. Bleu métal. Un bleu intense et profond. Tout comme son physique, grand, brun, mâchoire carrée et musclé. Qu’est-ce qu’un homme au physique aussi stéréotypé venait faire dans un café comme celui-ci ? C’était si rare de croiser de belles personnes qui prenaient soin d’elles. La plupart du temps, les hommes dans ce ghetto étaient ivres, barbus, empestant l’alcool et l’urine, sans oublier que les trois quarts étaient déjà âgés de quarante ans.

— Bonsoir, que puis-je vous servir ? dis-je calmement.

Toujours plongé dans la pénombre de la pièce, il ne s’approcha pas. Silencieux, mystérieux, ténébreux… Qui était-il ? Pourquoi ne se dévoilait-il pas ? Cela ne lui coûtait rien de me répondre… Alors que je grimaçais, incertaine de la situation actuelle, il me répondit par un sourire. Je fronçai les sourcils, perplexe.

— Si vous voulez boire un verre, il va falloir se rapprocher monsieur. La serveuse est à l’arrière et je ne peux vous entendre d’aussi loin.

Dans ce silence et cette atmosphère oppressante, je déglutis et attrapai discrètement le couteau sous mon plan de travail. Ce n’était pas rare que les cafés se fassent attaquer. Nous étions la seule source d’argent, le seul endroit ouvert aussi tard, et puis on ne prenait pas les cartes de banque donc notre caisse s’avérait toujours pleine. Payer par carte revenait trop cher selon le patron. Mais après tout, chacun de nous était prêt à tout pour survivre, aider nos enfants. J’espérais seulement que cet homme ne soit pas ivre. Il était bien trop distant pour que je puisse le sentir à son odeur. Subitement, ma seconde entra dans la salle en se recoiffant d’une queue de cheval.

— Enfin une personne à servir  fit-elle, exaspérée.