Tout se dire - Léa Ménager - E-Book

Tout se dire E-Book

Léa Ménager

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Beschreibung

Plongez au cœur de l'histoire captivante d'Emma, une jeune femme de 19 ans, prête à vivre un week-end palpitant lors d'un tournoi de volley amateur. Son destin la conduit à la rencontre de Sam, un homme charismatique qui fait immédiatement vibrer son cœur. Un coup de foudre aussi puissant qu'inattendu s'empare d'eux, mais l'amour naissant doit affronter un obstacle de taille : une distance de dix ans et cinq cents kilomètres.

Dans ce roman envoûtant, suivez l'histoire d'Emma et Sam, déchirés entre l'attraction irrésistible qui les unit et la réalité qui les sépare. Les années passent, les retrouvailles se succèdent, mais le bonheur semble toujours leur échapper. Parviendront-ils à surmonter les épreuves du destin pour se retrouver ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Depuis son plus jeune âge, Léa Ménager a toujours été attirée par l'écriture. Elle a découvert le pouvoir des mots en écrivant des poèmes et des histoires, explorant ainsi les différentes facettes de la création littéraire. Cette passion pour l'écriture a continué de grandir au fil des années.
Avec son premier roman, Tout se dire, Léa propose une histoire sincère et émouvante, mettant en lumière les relations humaines et les moments de vérité partagés entre les personnages. Son écriture délicate crée une atmosphère poétique, où chaque mot est choisi avec soin pour évoquer des émotions authentiques chez les lecteurs.
Léa aborde des thèmes tels que l'introspection, l'écoute de soi et des autres, ainsi que l'importance de partager nos pensées et nos sentiments. Son roman invite à la réflexion et à la découverte de soi à travers les liens qui se tissent entre les personnages.

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Léa Ménager

Romance

Romance

Image : Adobe Stock

Illustration graphique : Graph’L

Éditions Art en Mots

Chapitre 1

— Vous venez pour… ?

— Monsieur Dupont.

— Ah oui… Chambre 214.

Je venais de passer les portes automatiques en Plexiglas de la clinique la gorge serrée. L’infirmière a prononcé ces derniers mots sur LE ton. Oui, le fameux ton qui vous dit que c’est vraiment mauvais, que c’est bientôt la fin. Je le sais, évidemment, mais je n’avais pas besoin de son ton qui n’arrange rien à ma gorge serrée. Je ne sais pas si c’était une bonne idée de venir seule… mais après tout, je n’avais pas vraiment le choix.

Je m’avance vers les portes battantes, monte les escaliers et arrive au deuxième. L’odeur de désinfectant et de médicaments envahit mes narines. Je n’ai jamais rien eu contre les hôpitaux, alors que beaucoup les détestent. Mais aujourd’hui je frémis à l’entrée de ce couloir. 210, 212, 214. Troisième chambre à gauche. Je sais bien que je n’aurai pas de réponse, mais je toque avant de rentrer. J’ouvre doucement la porte et je le vois. Il est étendu sur son lit, maigre, blanc, accroché de toutes parts à des tuyaux blanchâtres reliés à des machines complexes. Mon cœur se crispe à cette vue : on ne s’y habitue pas. Je m’approche doucement, je le contourne et je m’assois sur la chaise de l’autre côté du lit. Il ne bouge presque pas, il n’ouvre pas les yeux : seule sa respiration m’indique qu’il est endormi. Il n’y a pas le bip rassurant du moniteur cardiaque. Rien. Ici, tout est silencieux.

Je reste assise à le regarder pendant plusieurs minutes, sans parler, sans bouger. Au bout d’un moment, il ouvre les yeux timidement. Je m’approche un peu pour qu’il remarque ma présence. Il me voit. Il sourit. Cela me paraît incroyable qu’il me reconnaisse encore. Je lui prends la main. Je m’attendais à quelque chose de différent, qu’elle soit plus chaude, plus froide, plus raide… Mais non, c’est juste sa main. La main que je serrais en sortant de l’école le soir, que j’agrippais quand j’avais peur du noir dans la chambre du haut à la montagne, qui portait le seau de lait entier pour nous faire nos chocolats. Je n’ose pas la serrer. Il semble si fragile.

Nous restons là, tous les deux, pendant des minutes et des minutes. De longues minutes. Elles me paraissent à la fois des heures et des secondes. Le temps s’est arrêté. Et pourtant nous en manquons déjà. J’aimerais rester là jusqu’à la fin, et pourtant je ne pense qu’à partir depuis des semaines. Je regarde ma montre : effectivement, cela fait déjà presque une heure que je suis ici. Par la fenêtre, le soleil commence à baisser. Il va falloir que je prenne la route si je ne veux pas arriver trop tard au chalet et surtout si je ne veux pas faire mon tout premier trajet seule en voiture sous l’éclairage blafard des lampadaires. Je ne veux pas partir, je ne veux pas le laisser seul ici, je ne veux pas lui dire au revoir. Ça a toujours été trop dur pour moi de dire au revoir. Cette fois c’est encore pire. Je sais qu’il en a besoin, que partir est ce qui lui arrivera de mieux à présent, mais égoïstement, c’est bien trop dur à supporter. Mes yeux se remplissent de larmes. Je regarde le plafond pour les faire rentrer à l’intérieur. Ce n’est pas le moment, ce n’est pas ce souvenir que je veux qu’il emporte avec lui. Je le regarde de nouveau et nous restons silencieux, yeux dans les yeux. Ses lèvres remuent. Je n’entends aucun son alors même que je vois qu’il essaie de me parler. J’approche mon oreille. J’entends à peine un murmure. « Je t’aime ». Les larmes reviennent à la surface et j’essaie par une grande inspiration de les chasser. « Moi aussi, moi aussi, je t’aime ». Ma voix reste irrémédiablement éteinte. Je ne pourrais rien dire de plus.

Après quelques instants encore silencieux, je me lève. Je l’embrasse sur le front et sors à reculons. Je referme la porte blanche et reprends le couloir.

Arrivée à la voiture, je m’installe dans le siège conducteur pour la première fois. Je regarde devant moi, j’inspire, et tout me tombe dessus en un instant. Je me mets à pleurer, pleurer encore, pleurer de désespoir. Je vide la moitié de la boite de mouchoirs qu’il laissait toujours sur la banquette arrière. Et puis tout se calme, la tempête semble passer. J’allume le contact, je prends la route, et laisse derrière moi le souvenir de l’homme le plus remarquable que j’ai rencontré à ce jour. Je sais à cet instant que j’ai vu mon grand-père pour la dernière fois.

Chapitre 2

On se croirait dans un mauvais film. Ce jour-là, c’est mon premier trajet seule. J’ai eu mon permis il y a quelques jours à peine. C’est drôle quand j’y pense, c’est grand-père qui m’a poussé à le passer. Il était déjà à l’hôpital quand j’ai eu mon résultat, mais encore conscient à ce moment-là. Et il était si fier !

Je m’engage sur l’autoroute. Je pense que chacun se rappelle la première fois qu’il s’est engagé seul sur l’autoroute… ça fait sacrément peur. Plus de moniteur pour faire attention aux camions qui arrivent, à l’angle mort, pour nous dire quand accélérer. Ce soir, tout est plutôt calme. Bizarre pour un vendredi.

J’ai mis la musique de l’autoradio à fond. Ça couvre un peu mes pensées. Peu à peu, je sens que j’arrive à me détendre. Après tout, les partiels sont finis, je suis en vacances et je m’apprête à passer un week-end au milieu des montagnes à profiter du bon air et du soleil annoncé par la météo. Je vais aussi rencontrer de nouvelles têtes puisqu’une grande partie des invités me sont inconnus. Mais je suis au mois certaine d’avoir un sujet de discussion, celui qui nous a tous rassemblés : notre passion commune pour le volleyball. C’est pour participer au tournoi international d’Annecy que nous sommes tous là, et j’en suis vraiment impatiente.

Depuis que j’ai commencé à apprendre la conduite, j’ai ce même sentiment, ce sentiment de liberté intense qui me saisit à chaque fois que je suis derrière le volant. C’est idiot, parce que je n’ai pas envie de partir ni plus loin ni plus longtemps que ce que j’ai dit à mes parents. Et puis il faudrait de l’essence pour s’enfuir sur la route, et ça coute cher. Mais la sensation même de pouvoir l’imaginer me donne des ailes. Je me sens responsable de mon destin. Peut-être est-ce mon premier sentiment d’adulte ?

Le GPS me guide vers la sortie n°34. L’autoroute c’était plutôt simple, à moi maintenant les petites départementales de montagne. C’est un premier test. Avec sa voix de robot, madame GPS m’oriente : droite, droite, deuxième sortie, gauche. À chaque fois que je croise une voiture qui va un peu vite, qui passe un peu près, un camion un peu gros, mon cœur s’emballe. Mais rien n’arrive. Personne ne semble remarquer de l’extérieur que c’est une première pour moi. Je passe sous un tunnel et ça y est : Annecy est là, devant moi. J’aperçois déjà le lac, entouré des immenses montagnes que je connais bien. Je continue ma route en longeant les rives. D’après ce que j’ai compris, notre chalet se trouve à peu près à l’opposée du lac.

« Tournez à gauche. Dans 200 m, vous êtes arrivée. »

Je baisse un peu la musique, je regarde plus attentivement les alentours. J’entame une montée assez raide, le chalet n’est plus qu’à quelques mètres. Il devrait être sur ma gauche… C’est ici. N°19. Je dépasse le chalet et gare la voiture sur ce qui me semble être une place de parking. Je dis il me semble, parce que pour l’instant ma voiture est bien la seule.

On m’avait prévenue que j’arriverais dans les premières, étant donné que j’étais celle qui avait le moins de trajet, mais d’autres ont dû récupérer les clés avant moi… J’espère vraiment qu’ils sont là. J’ouvre la portière. L’air est plus frais qu’en partant, mais il reste très doux. Il sent la montagne et le début de l’été. Je laisse mes affaires dans le coffre pour l’instant : inutile de tout emmener si c’est pour me retrouver devant une porte fermée. Tout est calme.

Je m’approche de l’entrée et toque à la porte. J’attends quelques secondes et elle s’ouvre. Et tout s’arrête autour de moi. Je ne vois plus que lui.

Le jeune homme qui se tient devant moi semble sorti d’un film. Brun, un peu plus grand que moi, la peau mate et les yeux noirs, il sourit. Sous son t-shirt ajusté, je devine un corps fin et musclé. C’est de loin le plus beau garçon que j’ai vu depuis longtemps. Son visage est avenant, caractère qui se confirme lorsqu’il prend la parole :

— Salut ! Tu es là pour le week-end volley ?

— Euh… oui, oui ! Je m’appelle Emma, je bégaie presque. On a dû vous dire que j’arriverais la première non ? Et toi…

— Moi c’est Sam. Enchanté ! … Et lui c’est David. 

Un deuxième garçon apparaît un peu plus loin, déjà installé dans le canapé de ce que je devine comme étant le salon.

« Entre, entre donc ! »

Chapitre 3

J’entre dans le chalet et découvre l’endroit qui va m’accueillir pour le week-end : une petite cuisine sur la gauche, une pièce avec une table en bois sur la droite. J’avance encore un peu et découvre l’immense salon. Trois canapés entourent une table basse, deux fauteuils sont disposés dans un coin de la pièce devant la télé. Un escalier sur la gauche mène à la mezzanine où semblent se trouver les chambres. Un autre part vers le sous-sol. Peut-être d’autres chambres. Toute la pièce centrale est entourée de grandes baies vitrées. Et là : la vue. Il fait encore assez clair pour que toute la majesté du paysage se révèle à moi. Les montagnes immenses entourent le lac qui d’ici s’étend à perte de vue. L’un de ses bords est recouvert de petites maisons, l’autre est perdu dans les cimes des arbres qui remontent vers les sommets encore enneigés. Les lumières des villages s’allument déjà alors que le ciel prend une teinte rosée. Des trainées de nuages le parcourent, rajoutant encore de la douceur à celle de l’air.

En m’avançant pour admirer la vue, je me rends compte qu’un balcon s’étend derrière les fenêtres.

« Wow, la vue est… incroyable ! ». Les deux garçons me regardent explorer la pièce avec amusement.

« Je te sers quelque chose ? » Le dénommé David a sorti plusieurs verres et m’indique les bouteilles sur la table.

« Deux minutes, je fais un tour dehors, je reviens ! ». Je laisse mon blouson sur l’un des canapés et me faufile par la fenêtre entrebâillée. La vue est encore plus saisissante. Le terrain entourant le chalet descend sur plusieurs dizaines de mètres en dessous de moi. J’aperçois en contrebas une terrasse équipée de ce qui semble être un bain à remous.

« On nous a dit que le jacuzzi était absolument incroyable ! » s’exclame David de l’intérieur. Je rentre à nouveau dans la pièce et m’assois en face des garçons.

— Allez, par quoi tu veux commencer ?

— Si tu insistes… une bière ?

— Tu es sûre ? Tu as déjà gouté le captain’coca ?

— Euh… pas vraiment.

— Ah, je suis sûr que ça va te plaire ! Tu m’en diras des nouvelles !

David me tend un verre. C’est surtout lui qui parle pour l’instant, alors même que Sam me semblait agréablement surpris lorsqu’il a ouvert la porte. Je me lance :

— Et donc… vous connaissez qui ici ?

— Oh nous, on est des amis du club de volley de Clem, à Paris, me répond Sam cette fois.

— Ah… Je ne connais pas encore « Clem », mais j’imagine qu’il fait partie de la bande de Strasbourg alors !

J’ai rencontré cette bande de copains lors d’un tournoi de volley inter-facs. C’est à Strasbourg que celui-ci avait lieu et j’ai vite sympathisé avec plusieurs des volleyeurs locaux. Un peu par hasard, la copine de l’un d’entre eux m’a recontacté. Elle m’a proposé de participer avec elle au tournoi d’Annecy… et me voilà.

— Oui, c’est ça. Enfin, il y était plus jeune quoi… ça fait un moment !

Les deux garçons se regardent en riant.

— Comment ça ?

— Bah oui, on sort pas de l’école nous ! 

Je jette un coup d’œil intrigué aux deux garçons. Certes, ils ont l’air un peu plus vieux que moi, mais de là à parler d’une telle manière… Je lance :

— Mais… vous avez quel âge au juste ?

— Tu nous donnes combien ? me demande David.

— Haha, je suis nulle à ce jeu-là ! J’en sais rien… 24, 25 ?

— Oh t’en es loin ! Moi j’ai 27 ! répond David.

— Et moi, tu me donnes combien alors ? m’interroge Sam.

— Euh… Un peu moins je dirais ?

Les deux garçons se regardent en gloussant.

— Eh non ! J’ai eu 28 ans il y a quelques mois… reprend Sam.

— Non, vous me faites marcher. J’vous crois pas.

J’ai bien remarqué que les deux garçons riaient beaucoup. Ils pourraient totalement avoir imaginé cette blague pour se moquer de moi. Pourtant, si David continue à rire, Sam a l’air de vouloir me convaincre du contraire.

— Non, je t’assure… Je sais que je fais jeune, mais quand même !

— Alors, montre-moi ta carte d’identité !

Il se lève et va chercher son portefeuille. Pendant ce temps, David nous ressert tous les trois en captain’ coca. C’est vrai que c’est bon. Ça se boit tout seul. Sam revient, un sourire vainqueur sur les lèvres, sa carte d’identité à la main.

— Voilà ! Tu as ta preuve ! dit-il en me tendant sa carte. 28 ans depuis janvier !

Je jette un œil à la date de naissance. Effectivement, ce n’est pas la même décennie que la mienne… J’effectue rapidement le calcul dans ma tête. Il ne mentait pas.

— Ah ouais… mais vous êtes super vieux en fait !

Je me suis exclamée avec un air ahuri, sans même me rendre compte que ce que je venais de dire pouvait les embêter. Ils me regardent tous les deux, l’air à moitié choqué, à moitié hilares.

— Ah bah merci ! C’est sympa comme réflexion !

À la remarque de David, je rougis, gênée. Je bafouille :

— Non, mais, je veux dire, j’ai pas vraiment l’habitude de… d’être avec des gens qui sont vraiment plus… plus matures que moi vous voyez ?

— On te charrie, me rassure Sam. On sait bien que ce n’était pas méchant.

— Ouf, vous m’avez fait peur ! La soirée risquait de devenir un peu longue… »

La sonnette retentit. Une autre voiture de volleyeurs vient d’arriver au chalet. Nous les accueillons tous les trois. Les deux amis retrouvent leur troisième comparse, le fameux « Clem ». Assez rapidement, chacun des nouveaux arrivants a un verre, les discussions s’animent, la soirée est véritablement lancée.

Un peu plus tard, je vois passer l’un des nouveaux arrivants qui court partout dans le salon en criant au ralliement de troupes : « Jacuzziiiiiiiii ! ». Je discute toujours avec David et Sam sur le canapé, David propose alors :

— Bon les loulous, on passe aux choses sérieuses ? Jacuzzi ?

— Allons-y ! Laissez-moi le temps d’enfiler mon maillot et j’arrive ! dis-je en me levant.

— Pas sûr que tu le gardes longtemps, je sais pas si tu as remarqué, mais tu es la seule fille pour l’instant… me taquine David. »

Je ris, le salue d’un regard désapprobateur, et m’en vais chercher mes affaires. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous entassés dans le jacuzzi, en contre bas du chalet. Clément a ramené plusieurs bouteilles de vin et des verres qu’il a déposés à portée de main. Le jacuzzi dernier cri dispose aussi de haut-parleurs : la musique résonne dans la vallée. Je suis tellement loin déjà de mes préoccupations de l’après-midi. Les premières vapeurs d’alcool sont montées, je me sens légère, presque joyeuse. Je sens bien qu’en tant que seule fille déjà présente, j’ai le droit à une attention particulière des autres occupants du chalet. Ou plus actuellement, du jacuzzi. J’ai le droit à un service d’exception, une vraie princesse. Mon verre n’est jamais vide.

Chacun leur tour, les garçons enchainent les plaisanteries, les démonstrations de talents divers, de la danse ridicule en passant par les séances de lutte en jacuzzi. J’ai la position plutôt agréable de juge suprême de leurs bêtises, ce qui ne manque pas de m’amuser. Entre deux âneries, j’ai toujours quelqu’un avec qui discuter. Que de choses légères heureusement ! Une connexion un peu plus étroite semble s’être établie avec Sam et David. Les quelques minutes passées tous les trois en début de soirée nous ont rapprochés, comme si nous nous connaissions depuis « un peu plus longtemps ».

Je me suis promis il y a quelque temps d’arrêter de penser aux garçons. Du moins de manière sentimentale. Ou tout autre chose qui s’en rapproche d’ailleurs. Je n’ai jamais eu de chance en amour, mais la dernière histoire en date était tellement désolante que je suis bien décidée à faire une pause.

Entre ceux qui m’ont quitté sans que rien ne se passe mal entre nous pour me mettre la puce à l’oreille, ceux qui n’étaient pas vraiment engagés, ceux qui trouvaient des excuses bidon… Merci. Je passe mon tour. Clairement, les garçons ne m’apportent que des problèmes !

Et pourtant, là, dans ce jacuzzi, entouré des deux acolytes, je n’y pense plus. Cette dernière semaine a été si compliquée, si vide de sens par moments, que je n’aspire qu’à noyer tout ça. Même pour quelques instants. Et je pense être au bon endroit. Le charme de Sam n’a pas diminué au fil de la soirée. Il me fait rire, il a l’air intelligent, et… qu’est-ce qu’il me plait ! Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est un peu trop bien pour moi. Il ne s’intéressera probablement pas à moi plus que ça. Ce genre de beau garçon qui peut avoir n’importe quelle fille… Aucune raison pour qu’il me choisisse. Pourtant, il continue à rester tout près. Nous jouons, rions, dansons ensemble.

Et puis d’un autre côté, il y a David. Ses plaisanteries sont plus franches, plus directes. J’ai bien compris que c’est un coureur de jupons, qu’il aime plaire et sait jouer de son charme avec les filles. Son perpétuel ton de défi et sa confiance en lui m’impressionnent. Il n’est pas spécialement séduisant de prime abord, mais il faut avouer qu’il a la tchatche !

Au point où j’en suis, je me dis que je finirai bien par trouver un partenaire pour oublier mes soucis ce soir. J’espère secrètement que ce sera plutôt avec l’un que l’autre…

Il est plus de minuit quand un autre groupe arrive enfin au chalet. C’est à ce moment que notre joyeuse troupe, de plus en plus enivrée de vin et de fête, décide remonter dans le salon pour continuer la soirée. Un petit attroupement s’est formé dans la cuisine, où l’un des nouveaux arrivants a commencé à préparer une gigantesque plâtrée de pâtes bolognaises.

— Benito, elles en sont où les pâtes ? L’interpelle Clément.

— Bientôt prêtes les gars !

Je passe la tête dans l’encadrement de la porte pour admirer le cuisinier à l’œuvre. Un grand jeune homme au visage fin, presque enfantin, est penché sur une grosse casserole. Brun, les cheveux bouclés, il rayonne de bienveillance. Le jeune italien remue sa préparation en chantonnant des airs d’opéra. Un vrai cliché. Sam et David me rejoignent dans la cuisine. Je remarque que mon verre est vide, une première. Je commence à me rendre compte que je suis bien au-delà des quelques verres que j’ai l’habitude de boire lors des soirées… Et pourtant, je me sens incroyablement bien. Enfin délivrée de la tristesse, des angoisses d’avenir qui pèsent sur mon cœur depuis des jours. J’ai l’impression de voir plus nettement, de ressentir chaque cellule de mon corps, mais plus aucune douleur. Je comprends enfin les poètes qui, friands d’exalter leurs sens, se perdent dans l’alcool.

David m’interpelle :

— Eh, la petite jeune, tu connais ça ?

Il me tend une bouteille dont le contenu est un liquide vert fluo. Je tente :

— Du sirop de menthe ? Du jet 27 ?

— Ah non ! C’est un peu plus alcoolisé que ça !

— C’est du pissang, m’explique Sam. C’est une liqueur à la banane.

— Je déteste les trucs à la banane, leur dis-je en repoussant la bouteille.

— Mais non, ça à un gout de bonbon ! reprend Sam.

— Même les bonbons à la banane c’est bof…

— Je te promets, c’est super bon. Insiste gentiment Sam.

— Hum, OK… je veux bien gouter…

— Tss tss tss, une seconde ! David m’interrompt dans ma tentative d’attraper la bouteille. C’est un alcool particulier, y’a toute une tradition !

— Ah oui ? Je le regarde, dubitative.

Je m’attends encore à un de leurs stratagèmes… et mes doutes sont confirmés presque immédiatement.

— La personne qui boit pour la première fois doit embrasser la personne qui la fait boire !

— Drôle de tradition dis-moi !

Je le vois tendre la bouteille à Sam avec un sourire complice. Ce dernier regarde la bouteille, me regarde, et la saisit. Il me contemple avec un grand sourire.

— Alors tu veux gouter ?

J’acquiesce, curieuse de ce qui va m’arriver ensuite. Il verse le liquide directement de la bouteille à ma bouche. Effectivement, un vrai bonbon. Lorsque je relève la tête, il passe ses mains sur ma nuque et m’embrasse franchement. Je l’enlace. Nous restons ainsi quelques minutes, dans un coin de la cuisine, dos à notre ami cuistot’, toujours occupé à cuisiner ses pâtes. Notre étreinte est de plus en plus ferme, nos corps se rapprochent encore. Cette fois, toutes les pensées que je cherchais à chasser sont enfin parties. Les autres nous remarquent peu à peu, chacun y va de son commentaire, et pourtant nous restons seuls dans notre bulle. Nous n’entendons plus rien autour. Il ne voit plus que moi. Je ne vois plus que lui.

Nous commençons à chercher un endroit plus calme que cette cuisine bondée. Il m’entraine vers les chambres. J’attrape au passage mes affaires qui trainent encore dans le couloir : je ne les ai posées nulle part, car j’ai choisi l’option « camping », sans lit attitré pour le moment. Sa valise à lui est dans une grande chambre du sous-sol. Un grand lit trône au milieu de la pièce. Il me pousse avec un air joueur. Tout s’enchaine. Nos regards se cherchent, se trouvent. Je sens l’odeur de sa peau gorgée de soleil. Nos étreintes se resserrent. Nos cœurs battent plus fort. Nos corps enlacés évoluent au même rythme. Chaque mouvement semble fluide, comme appris. Tout se passe dans cet instant.

Chapitre 4

Lorsque j’ouvre les yeux, tout est silencieux. Un rayon de lumière filtre à travers le volet en bois et vient caresser le pied du lit. À côté de moi, Sam est étendu sur le ventre, à peine recouvert par un drap. Son dos cuivré se soulève à un rythme régulier. Il dort encore.

Sans bruit, je me lève et enfile les quelques vêtements que je trouve près de moi : un short, un t-shirt trop grand et un sweatshirt. Je n’aime pas vraiment les lendemains. Après une soirée enivrée, ils sont souvent étranges, teintés d’une semi-honte. Je préfère m’éclipser maintenant. Fondue dans le groupe, je verrai moins sa réaction.

Je passe la porte et la referme doucement derrière moi. Je monte au premier pour prendre le petit-déjeuner. Je suis accueillie par une odeur d’omelette et de bacon. Benito est de retour dans la cuisine et chantonne toujours joyeusement. Je le salue et me dirige vers la terrasse. Trois des garçons sont déjà réveillés et déjeunent tranquillement au soleil. Je reconnais Mathieu, l’un de ceux que j’avais déjà croisés. Pour les deux autres… Je suis bien gênée. Impossible hier soir de retenir du premier coup la quinzaine de nouveaux prénoms ! Heureusement personne ne m’en tient rigueur. Le plus grand des deux, Fred, m’interroge :

— Et du coup, tu viens d’où toi ? Enfin, comment tu es arrivée au chalet ?

— Oh, je suis une amie d’Alison… Elle m’avait invité quand elle pensait encore pouvoir venir ! Mais du coup… je connais pas grand monde ici ! Enfin, je me souviens de Mathieu, on s’est croisé aussi… et Romain. Mais après…

— Ah bah sympa ta pote ! Elle t’invite et elle vient même pas !

— Haha… après, je suis pas très sauvage donc ça me dérange pas. J’adore rencontrer du monde.

— On a vu ça hier soir, lance Mathieu avec un clin d’œil. Il est où d’ailleurs, le fameux Don Juan ?

Je rougis jusqu’aux oreilles. Je pensais éviter le sujet, c’est raté.

— Il dort encore.

— Tu m’étonnes !

Voyant que mon malaise commence à monter, Mathieu a le tact de changer de sujet.

— Et tu joues au volley depuis longtemps ? T’es à quel poste ?

Là, on revient sur un terrain connu. Je reprends un peu de contenance.

— Pas longtemps non, j’ai commencé l’an dernier. J’suis centrale.

— Ah ouais ? T’es pas si grande pourtant…

— Eh ! Je fais quasiment la même taille que toi j’te signale !

Les garçons autour rigolent. Fred reprend Mathieu :

— Elle n’a pas tort… Et pour une fille c’est pas mal déjà !

Contente de mon effet, j’enchaine sur les diverses anecdotes de volley de l’année. J’essaie aussi d’apprendre à les connaître. Après tout, c’est bien pour ça que je suis ici : pour rencontrer du monde ! Et puis, ils sont tous vraiment accueillants alors autant en profiter.

Je sirote mon jus d’orange au soleil. Peu à peu, les autres habitants du chalet se réveillent et montent nous rejoindre pour se ravitailler. Sam est l’un des derniers à remonter. Après tout, pourquoi se presser ? Il a sans doute déjà eu ce qu’il voulait ! Je le remarque immédiatement du coin de l’œil lorsqu’il passe la porte du salon. Pour éviter le sourire gêné, les gestes maladroits, je décide de feindre l’indifférence. Enfin non, plutôt de feindre d’être absorbée dans une conversation absolument passionnante avec Emma, l’une des rares autres filles de la maison, que je viens de rencontrer. Dos à la baie vitrée, je peux aisément faire croire que je ne l’ai pas vu et attendre la suite… Je me concentre de toutes mes forces pour reprendre le fil de l’histoire de Emma, qui a perdu la bataille quelques instants contre le fil de mes pensées. Études, on parlait études !

Elle lève le regard, quelqu’un est arrivé derrière moi. Lui ? Un autre ?

Deux mains dorées se posent de part et d’autre de moi. Surprise, je me tourne légèrement. Sam est penché au-dessus de moi, les mains appuyées sur la table en bois et arbore un large sourire.

— Salut, dit-il toujours en souriant. Je fonds, il est toujours aussi craquant à la lumière du jour.

— Euh, salut. Bien dormi ?

Quelle réponse ! Alors là, bravo Emma ! Tu n’aurais pas pu trouver plus original ?

— Très bien !

Il ne semble pas avoir remarqué la tempête en cours sous mon crâne. Il se penche et dépose un baiser dans mon cou. Je sursaute imperceptiblement. Pas que cela soit désagréable non. Un sursaut de surprise. Heureusement là encore, il ne semble pas avoir remarqué. Il ne faudrait pas qu’il puisse croire que ça me déplait !

Le plus normalement du monde, il se dirige vers la cuisine et revient avec un bol de céréales. Il s’installe à mes côtés pendant que je continue d’essayer de prêter attention à ma conversation en cours. En réalité, je ne pense qu’à lui. À nous. C’est une première ! Un garçon à peine rencontré, affectueux alors même qu’il a déjà eu ce qu’il voulait… Je ne m’y attendais pas vraiment. Je sais, avec ce genre de réflexion, on dirait une vieille fille, désenchantée par les hommes et qui a eu des dizaines de relations. Certes, pas tant. Mais j’en ai eu mon lot d’idiots. Alors oui, cette fois, ça me paraît un peu surprenant. Je me demande ce qu’il a derrière la tête.

La matinée avance et les petits gestes d’affection se multiplient. Une porte tenue, une main sur la hanche. Cette légère danse, encore timide, me plait. Elle est comme un retour en arrière dans une phase qui se serait perdue la soirée précédente. Comme deux jeunes premiers, nous nous découvrons à nouveau.

Chapitre 5

C’est le jour J. Depuis plusieurs semaines maintenant, j’attends de découvrir ce tournoi dont on m’a tant parlé. Des centaines de terrains ont été montés sur l’esplanade qui surplombe le lac. Sur chacun d’entre eux, des équipes de trois joueurs plus ou moins expérimentés se préparent à s’affronter. Filles, garçons, jeunes, moins jeunes se rencontrent et se livrent à un combat acharné. Leur seul but : planter la balle au sol, au milieu du terrain adverse. L’effervescence est palpable. Les passants s’arrêtent parfois à l’extérieur de la grande zone qui a été délimitée pour l’occasion. Ils admirent quelques instants les sauts majestueux et les attaques puissantes des joueurs.

J’ai rencontré hier au chalet les deux filles avec qui je fais équipe aujourd’hui. Emma et Ariane. Je partage avec Emma son prénom, mais aussi le fait qu’elle a commencé le volley il y a peu. Ariane est un peu plus expérimentée. C’est la seconde fois qu’elle participe au tournoi et qu’elle loge au chalet. Elle est clairement moins stressée que nous en ce début de journée.

Après avoir réussi à trouver le terrain qui nous a été attribué pour la journée, nous commençons par quelques échanges pour nous mettre en jambe. J’ai peur de ne pas être à la hauteur de leurs attentes… après tout, nous pourrions très bien nous retrouver au premier tour contre des joueuses pros ! Ici, tout le monde est mélangé au départ… Dans les 4 équipes de la « première poule ».

Premier contact avec le ballon. Ma passe est moyenne, trop basse. Les filles ne disent rien et continuent les échanges. Après quelques balles, je me rends compte que Emma n’est pas très à l’aise non plus. Nous arrivons à garder le ballon en hauteur, mais pas aussi longtemps que certaines équipes que nous voyons s’entrainer plus loin. Bon, après tout, nous avions convenu que l’essentiel était surtout de passer un bon moment !

De temps à autre, je regarde par-dessus mon épaule pour voir si Sam n’est pas arrivé pour nous regarder. Notre premier match va bientôt commencer. Une partie de moi aimerait qu’il soit là. L’autre se dit qu’il faudrait nettement mieux qu’il ne voie pas ce désastre…