Traditions populaires de la Haute-Saône et du Jura - Charles-Émilien Thuriet - E-Book

Traditions populaires de la Haute-Saône et du Jura E-Book

Charles-Émilien Thuriet

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Extrait : "La vigne de la Motte est sur la montagne de ce nom, à Vesoul. C'est une grande et belle vigne que le roi avait promis de donner aux gens qui, après un an de mariage, ne se seraient jamais repentis de s'être mariés. Il y a de ceci bien, bien longtemps et personne n'a encore pu obtenir la vigne."

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

« La vieille Séquanie est peut-être le pays le plus gaulois de France par la conservation de ses traditions. »

(HENRI MARTIN.)

On pourrait croire que la Haute-Saône est bien moins pourvu que le Doubs et le Jura en fait de traditions populaires. La vérité est peut-être qu’elles y ont été jusqu’à ce jour moins cherchées que dans le Jura et dans le Doubs. N’avons-nous pas, en effet, à Autrey, la célèbre et émouvante histoire de Gabrielle de Vergy qui, avant d’épouser le sire de Fayel, avait aimé Raoul de Coucy, ce noble ménestrel à la fière devise :

« Je ne suis roy, ne duc, prince, ne conte aussi,
Je suis le sire de Coucy. »

Raoul, malheureux, chercha d’abord quelque soulagement à sa peine en composant des chansons naïves en l’honneur de Gabrielle ; mais bientôt, le désespoir dans l’âme, il partit pour la guerre sainte ; et là-bas, en Palestine, il chantait encore d’une voix dolente :

« En périlleuse aventure,
M’avez, amors, atorné,
Quand pour vous n’a de moi cure
Celle à qui m’avez donné ! »

Mais aux jours de bataille, il reprenait toute son ardeur. Depuis deux ans, il semblait en vain braver le sort des combats, quand un jour un trait fatal traverse sa cuirasse et le blesse mortellement. « Lorsque mon cœur aura cessé de battre, dit-il à son écuyer, tu le prendras dans ma poitrine et tu le porteras à Gabrielle. » Après la mort de son maître, le fidèle écuyer plaça le cœur de Raoul dans un écrin précieux, puis s’embarqua pour la France. Il arriva près d’Autrey, aux portes du vieux manoir des Vergy. Le sire de Fayel, qui revenait de la chasse avec ses veneurs, demande à l’écuyer ce qu’il porte dans sa cassette. « Cet écrin dit l’écuyer, renferme le cœur d’un poète et d’un preux chevalier, de mon maître, le sire de Coucy. « Quand mon cœur aura cessé de battre, m’a-t-il dit, prends-le dans ma poitrine et le porte à celle que j’aimais, à ladame de Fayel. » – « Je connais cette dame, reprit vivement le comte, en arrachant l’écrin au loyal messager : je te décharge de ta mission. » À peine arrivé dans son manoir, Fayel fait préparer un mets avec le cœur de Raoul et le fait manger à Gabrielle. Mais à peine elle a mangé que des ruisseaux de larmes coulent de ses yeux. Fayel, alors, lui dit d’un ton railleur : « Le cœur de la colombe a la vertu de rendre triste et de faire pleurer ; mais il paraît, Madame, que le cœur de la colombe n’est rien au prix de celui-ci. Vous venez de manger le cœur du chevalier amoureux et poète qui a chanté vos attraits. » – « Raoul ! s’écrie-t-elle, oh ! infamie ! Je restais étrangèreà Raoul vivant ; mais voilà que je sens mon âme se rouvrir au chant du ménestrel ; je lui jure dès ce moment un éternel amour, et jamais aucune autre nourriture n’ira souiller dans mon sein le cœur de Raoul de Coucy. » À quelques jours de là, Gabrielle mourut moins de faim que d’amour.

N’avons-nous pas encore, à Champlitte, la tradition de son château défendu par une vaillante femme, en souvenir de laquelle la porte Nord-Est du manoir reçut et garda le nom de Porte Claudine ?

Au château d’Oiselay, n’est-ce pas encore une femme que la tradition nous montre sur la brèche, arrachant une hallebarde aux mains d’un officier ennemi, le tuant et taillant enpièces des soldats étonnés de rencontrer dans une femme un tel héroïsme ? Après la chronique chevaleresque deJeanne d’Oiselay,nous trouveronsà Ray, ou peut-être à Beaujeu, l’histoire populaire de cette jeune châtelaine qui, attaquée dans son manoir par des prétendants indignes de son cœur et de sa main, se précipita du haut d’une tour, laquelle, en mémoire de sa mort tragique, retint le nom deTour de Roseou deTour d’Amour.

À Colombin, près de la source de la Charsenne, nous recueillerons de la bouche du peuple une précieuse tradition qui, venant heureusement suppléer à l’insuffisance de textes historiques, nous révélera, en ce lieu, le passage de Jules César et y fixera la place d’une grande bataille.

Autrefois, la Charsenne avait un autre nom.

On l’appelait Senne, et alors ce mot voulait dire de l’eau.

Or, Jules César ayant remporté une grande victoireà Colombin, la terre fut trempée de sang jusqu’aux conduits souterrains de la source.

Lorsque le général, mourant de soif, y accourut pour boire, le sang l’avait devancé.

– Ô Senne, pour cent lieues de pays dont tu seras reine, une goutte d’eau pure !

Mais la Senne continuaità vomir du sang.

– Pour mon empire, qui s’étend aussi loin que le cours des fleuves et sur les îles de la mer, une goutte d’eau pure !

La Senne vomissait toujours du sang.

– Pour mon nom, ô Senne… que la victoire m’aura coûté cher !

– Je retiens ce mot, dit la Senne, je retiens ce mot qui fera durer le souvenir de ta visite. Va, tu ne me reverras plus !

Et depuis ce temps ; la Senne a pris le nom de Chère-Senne.

C’était au temps de nos ancêtres les Gaulois. Maintenant, les arbres ne veulent plus croître sur Colombin, et les bruyères qui y poussent sont encore marquées de sang . »

N’avons-nous pas aussi, à Vesoul, la tradition de cette montagne aiguë qu’un druide appela leTombeau du Soleil ; celle de cettevignefameuse que le roi avait promis de donner aux gens qui, après un an de mariage, ne se seraient jamais repentis de s’être mariés, et qui, depuis, dit-on, n’a pu être encore obtenue par personne ; et celle de ce Débordement miraculeux du Frais-Puitsqui, en 1557, obligea fortuitement le baron allemand Polvilerà lever le siège de Vesoul, en abandonnant aux Vésuliens : échelles, artillerie, tambours et bagages, « voir, chose incrédible entre les Allemands, dit Gollut, les bouteilles et les barils remplis de vins ! »

À Chariez, on pourra nous rappeler l’histoire de laPierre Tournole ; à Montaigu, on nous entretiendra des apparitions de laDame blanche du château ; à Rupt, Ch. Nodier nous scandaliserait peut-être un peu lui-même, en nous contant les amours de laDame verteet duMoine rouge ; maisà Chauvirez, le sort de l’infortunée Béatrix nous arrachera certainement des larmes de pitié.

À Faucogney, enfin, nous voudrons savoir ce que l’on dit encore de cesDouze Fées des Vosges,qui ont leur mystérieuse demeure sur le plateau de la montagne nomméla Planche aux Belles Filles.Nous voudrons savoir surtout si laPlanche aux Belles Fillesne nous a pas été ravie naguère pour être comprise dans les territoires annexésà la Prusse ; et notre cœur battra d’aise encore quand nous saurons que, malgré nos malheurs, lesBelles Filles sont restées Françaises !

CH. THURIET

Région de Vesoul
1La vigne de la Motte

(Vesoul)

La vigne de la Motte est sur la montagne de ce nom, à Vesoul. C’est une grande et belle vigne que le roi avait promis de donner aux gens qui, après un an de mariage, ne se seraient jamais repentis de s’être mariés. Il y a de ceci bien, bien longtemps et personne n’a encore pu obtenir la vigne.

2La Pierre Tournole de Chariez

(Vesoul)

Ce rocher est ainsi appelé, parce qu’il tourne sur lui-même tous les cent ans, à minuit de Noël, et parce que la tête tourne à ceux qui ont la témérité de monter dessus.

3Légende de Vesoul

Autrefois, au temps des druides, une pluie torrentielle inonda le pays bas. Les eaux du Frais-Puits avaient formé un grand lac, au milieu duquel une montagne pointue apparaissait comme une île inaccessible. Une foule nombreuse, sous la conduite des druides, s’était réfugiée sur les hauteurs de Colombe et de Frotey. C’était le soir. Le soleil, après avoir jeté quelques sinistres rayons sur les campagnes submergées, s’était enveloppé d’un nuage épais, qui ressemblait à une écharpe de sang bordée d’un crêpe noir, et avait disparu derrière la montagne pointue. On eût dit que l’astre du jour s’était éteint pour jamais, tant l’obscurité devint profonde tout à coup. Alors le prêtre de Teutatès, jugeant le moment favorable pour s’adresser à la multitude, étendit le bras du côté de l’occident et dit : Vez houl, mots celtiques qui signifient Tombeau du soleil ! Depuis cette époque, on a appelé Vesoul la montagne à l’aspect bizarre, au pied de laquelle une ville a été bâtie plus tard. On sait d’ailleurs que les Celtes avaient coutume d’élever des mottes ou tumuli pour la sépulture de leurs chefs, et que plus le chef était puissant, plus le tumulus était élevé. Ici le tumulus était tellement gigantesque que l’on en fit celui d’un Dieu.

4Le débordement miraculeux du Frais-Puits

(Vesoul)

Sur le territoire de Frotey, ou plutôt de Quincey, se trouve une source remarquable appelée le Frais-Puits. C’est un trou large de 80 pieds et profond du double, d’où l’eau déborde après les grandes pluies et couvre toute la campagne : l’inondation dure au plus trois jours.

Au mois de novembre 1557, l’armée du baron allemand Polwiler assiégeait Vesoul. On fit jour et nuit des prières dans toutes les églises, et c’était uniquement du ciel que les Vésuliens attendaient leur salut. Une sainte femme qui vivait en ce temps-là disait que Notre-Dame lui avait fait une révélation et que Vesoul serait sauvée par la Providence. Cependant les assiégeants hâtaient leurs travaux et serraient la ville de plus près. L’assaut était décidé pour le lendemain. Voilà que tout à coup le ciel se couvre de nuages, la pluie tombe sans cesser pendant vingt-quatre heures, la foudre tombe sur un des flancs du Frais-Puits et donne issue aux eaux enfermées en cet endroit. Le progrès de l’inondation effraya tellement les Allemands qu’ils levèrent le siège à la hâte, abandonnant échelles, artillerie, tambours et bagages, voire, chose incrédible entre les Allemands, dit Goulut, les bouteilles mêmes et les barils remplis de vin.

C’est sans doute cet évènement du XVIe siècle qui a donné lieu à une tradition populaire qui dit que César a reculé devant la mer de Vesoul, « Mare Vesulium ».

5L’apparition de Saint-Georges

(Vesoul)

L’Église de Vesoul, fondée dans le XIe siècle, était flanquée de deux tours élevées, dont une seule subsiste aujourd’hui. Sur l’une de ces tours était jadis placée la statue de St. -Georges, patron de la paroisse. Le 22 du mois d’août 1518, au soleil couchant (meussant) on remarqua tout à coup dans les nues le spectre gigantesque d’un soldat armé, l’épée à la main, qui, suspendu en l’air, semblait menacer la ville. Cette figure observée par tous les habitants jeta l’effroi dans les âmes ; les lieux saints se remplirent à l’instant de dévots épouvantés et la foule se répandit dans les rues en jetant les hauts cris. Un savant expliqua, sans convaincre le peuple, que ce spectre n’était autre chose que le portrait de Saint-Georges placé sur le haut de la tour de l’église, qui était peint par réflection et brillait ainsi dans la nue. Ce curieux phénomène de mirage frappa, comme on le pense, l’imagination populaire, qui crut à une réelle apparition de Saint-Georges. Cette croyance existait encore dans le peuple vésulien en 1648 quand, après le traité de Munster, qui eut pour effet de rendre un peu de calme à notre province, l’illustre confrérie de Saint-Georges transféra de Rougemont à Vesoul le siège de ses réunions solennelles. « Ces dévotieux seigneurs, disait-on, ne choisissent Vesoul pour y faire leurs saintes pratiques, que parce qu’ils ont été instruits de l’apparition de Saint-Georges dans le nuage qui passait sur notre ville, au soleil meussant, le 22 du mois d’août 1518. »

6Les savoyards d’Andelarre

(Vesoul)

Un vieux proverbe assez incongru dit :

« Andelarre, Andelarrot,

Les femmes ne valent pas un pot » (Crepitus)

Une tradition rapporte qu’Andelarre ayant été dépeuplé anciennement par une peste, dont les ravages s’étaient étendus à tout le pays, on fit venir des familles du pied des Alpes pour en renouveler la population. De là est venu, sans doute, le surnom de Savoyards d’Andelarre, qu’aujourd’hui encore on jette à la face des habitants de cette commune dans les contestations de village à village et sur les places des marchés de Vesoul.

7Le château de Quincey

(Vesoul)

Le château de Quincey, situé à une petite heure de Vesoul, appartenait avant la révolution au sieur de Mesmay, conseiller au parlement de Besançon. Pendant la nuit du 19 au 20 juillet 1789, alors qu’un certain nombre de soldats et de citoyens de Vesoul et des villages voisins se trouvaient réunis dans ce château, où on leur avait servi à boire et à manger, en l’absence du sieur de Mesmay, un baril de poudre de mine qui se trouvait dans une dépendance du château étant venu à éclater, par l’effet d’une imprudence, il y eut quatre soldats de tués avec six bourgeois et un certain nombre de blessés.

À l’instant on cria à la trahison et le peuple mit le feu au château, dont l’embrasement dura depuis une heure jusqu’à neuf heures du matin. Cet évènement, tout accidentel, produisit le plus fâcheux effet sur les esprits ; il fut dénoncé comme un crime atroce à l’Assemblée constituante, et y excita, ainsi que dans la France entière, une immense indignation. Des poursuites contre le sieur de Mesmay furent décrétées par l’assemblée dans sa séance du 24 juillet. C’est en vain que son innocence a été reconnue par la justice. Le peuple qui, dans l’aveuglement de sa colère, est toujours disposé à voir un coupable dans un accusé, n’a pu être détrompé jusqu’à ce jour. Il faut l’entendre dans les récits variés qu’il fait de cet évènement. En vain la vérité historique a été établie sur l’incendie du château de Quincey, le populaire redira toujours que le sieur de Mesmay avait invité dans son château de Quincey la garnison et les bourgeois du pays ; qu’ils s’y rendirent en grand nombre et que pendant qu’ils s’abandonnaient à la joie, ce seigneur farouche fit sauter son château avec tout ce qui se trouvait dedans, au moyen de tonneaux de poudre dont il avait rempli ses caves : de sorte qu’après l’explosion, on voyait épars de tous côtés des pieds, des mains et des cadavres tout brûlés. La tradition s’enrichira en ajoutant que les survivants ont vengé les morts en brûlant tous les bâtiments du château qui avaient échappé à l’explosion. Quant à l’innocent propriétaire qui, en cette circonstance, éprouva une perte de près d’un million, on persistera à affirmer qu’il était coupable et qu’il est demeuré impuni, grâce à la complicité du gouvernement de Louis XVI.

De semblables récits, appartenant plus à la fable qu’à la vérité, doivent figurer dans notre recueil, où ils ne sont point posés comme des faits historiques incontestables, mais bien comme exemples de la manière dont les évènements se transforment quand du domaine de l’histoire, ils tombent dans celui des traditions populaires.

8Légende de saint Berthaire et saint Athalaire

(Amance)

Berthaire et Athalaire étaient deux jeunes seigneurs de race franque, qui s’étaient convertis au christianisme et qui parcouraient la Gaule en prêchant la nouvelle doctrine. De leur richesse passée, ils n’avaient conservé que deux coupes d’or très précieuses dont ils se servaient pour boire dans leurs pérégrinations. Arrivant un jour à Menoux, près d’Amance et Faverney, ils demandèrent l’hospitalité au leude qui les reçut à sa table. Pendant le repas, ils prêchèrent les convives et leur donnèrent l’exemple de la sobriété. Une chose seulement avait frappé le leude ; les deux étrangers, au lieu de se servir des coupes qui leur avaient été offertes pour boire, versaient leur eau dans leurs coupes d’or. La vue de ces coupes éveilla la convoitise du leude qui, dès qu’ils furent partis, envoya ses gens à leur poursuite. Ceux-ci les rencontrèrent près d’une petite rivière, au moment où ils puisaient de l’eau pour se désaltérer. Les gens du leude égorgèrent Berthaire et Athalaire, jetèrent leurs têtes coupées dans la rivière et rapportèrent à leur maître les coupes d’or des victimes. Voilà que le soir, les habitants du village aperçurent quatre points lumineux qui flottaient sur l’eau. Bientôt on reconnut que ces lumières mystérieuses sortaient des yeux de deux têtes de morts, dont les troncs gisaient à peu de distance sur le rivage. On sut que ces têtes et ces troncs, étaient ceux de deux pèlerins assassinés par les gens du leude de Menoux. Ce miracle contribua puissamment à la conversion de la contrée. La rivière reçut depuis le nom de Lanterne. Quant aux deux coupes d’or dérobées à Saint Berthaire et Saint Athalaire, elles existaient encore à la fin du siècle dernier. L’une d’elles était en la possession de Madame de Raigecourt, qui habitait le château de Menoux. Son mari, qui vivait séparé d’elle, avait emporté l’autre dans son château de Rougemont.

9Le miracle de Faverney

(Amance)

Le pape Clément VIII avait en 1003 accordé des indulgences aux fidèles qui visiteraient l’église abbatiale de Faverney le jour de la Pentecôte. À cette occasion on exposait le Saint-Sacrement à l’adoration des chrétiens, sur un autel de bois revêtu d’étoffes précieuses, qu’on établissait au côté droit de la porte et au-devant de la grille de fer qui entourait le chœur. Dès le samedi 24 mai 1008, on avait placé au moment des vêpres, la sainte Eucharistie sur cet autel ; deux hosties consacrées étaient renfermées dans un petit ostensoir. De petites branches, en forme de consoles, soutenaient au pied de cet ostensoir un tuyau de cristal où étaient renfermées quelques reliques, entre autres une dent de Sainte-Agathe. Sur le devant de l’autel était attaché le bref du souverain pontife portant concession des indulgences. Pendant la nuit du dimanche au lundi 26 mai, vers trois heures du matin, le sacristain entre à l’église, la trouve remplie de fumée. Jetant les yeux sur la Sainte Chapelle, il ne découvre qu’un nuage épais, à travers lequel brillent quelques charbons enflammés. Aux cris que la frayeur lui arrache, les religieux et les gens de la ville accourent en hâte. Rien n’avait échappé aux flammes qu’une partie du dais placé sur l’ostensoir et une partie de l’autel avec le bref de Clément VIII. Le parchemin était un peu racorni, mais l’écriture était encore parfaitement lisible. On cherchait en vain dans le brasier l’ostensoir avec son précieux dépôt, lorsqu’un enfant l’aperçoit et le fait remarquer suspendu dans le vide, sans aucun support, à la hauteur même où il avait été placé. Au bruit de ce miracle, la foule se presse ; on examine attentivement et l’on reste convaincu que Dieu a voulu arrêter et confondre par cette manifestation de sa toute-puissance les progrès du protestantisme dans le diocèse de Besançon. Cependant, afin de recevoir avec plus de respect la coupe miraculeuse lorsqu’il plairait à Dieu de faire cesser le prodige ; on mit à la distance de quatre à cinq doigts de l’ostensoir un ais de sapin sur des tréteaux et par-dessus un missel avec un corporal. Le mardi à dix heures du matin, le curé de Menoux célébrait la messe sur l’autel qui était dans le chœur. Lorsqu’il prit le pain pour la consécration, on entendit le son d’une clochette invisible, et, comme il remettait l’hostie sur l’autel après l’élévation, l’ostensoir miraculeux descendit et se plaça de lui-même sur le corporal que l’on avait préparé .

10Le Chêne de la Belle Dame

(Amance)

Entre le territoire d’Amance et celui de Faverney, il y avait un chêne d’une grosseur merveilleuse que l’on appelait sans savoir pourquoi le Chêne de la Belle Dame. Cet arbre plusieurs fois séculaire était dans le pays un objet de vénération autant que de curiosité. On se rappelait que les plus vieilles femmes d’Amance et de Faverney ne passaient jamais au pied du Chêne de la Belle Dame sans s’agenouiller et dire un ave maria. Enfin un certain jour d’orage, un coup de vent d’une violence extraordinaire déracina et coucha sur le sol cet arbre qui depuis longtemps était mort et sec sur pied. En le façonnant pour le convertir en bois de chauffage, on découvrit dans l’intérieur du tronc une madone qui y était renfermée depuis un temps immémorial. La découverte de cette sainte image expliqua le secret du joli nom qui avait été donné à ce vieux chêne et la vénération populaire dont il avait été l’objet. Bientôt on éleva sur le lieu même où cet arbre avait existé une petite chapelle à la Sainte Vierge, à laquelle on a conservé jusqu’à ce jour le nom de Chapelle du Chêne de la Belle Dame.

11Le baptême des jumeaux

(Amance)

J’ai visité Favernay, cette terre classique du miracle. Après avoir contemplé avec recueillement la chapelle gothique, où s’accomplit en 1608 le miracle de la Sainte Hostie sauvée des flammes, je me dirigeai du côté opposé, vers une chapelle de la Vierge, qui fait pendant à la première, au-dessus de la nef droite de la même église. Une femme occupée à ranger des chaises et des bancs remarqua que je considérais avec beaucoup d’attention une antique madone placée sur l’autel. Elle s’approcha de moi, et, devinant sans peine l’objet de ma pieuse curiosité, elle me dit :

« Cette madone, Monsieur, fait aussi des miracles. Parmi ceux qu’elle a opérés, en voici un dont vous avez peut-être lu la relation dans quelque livre. Une pauvre femme de la ferme de Bethléem, qu’on voit là-bas, de l’autre côté du pont de Faverney venait d’accoucher de deux enfants morts. Cette mère infortunée se désolait, surtout parce que ses enfants n’avaient pu recevoir le baptême, et qu’elle les croyait privés pour l’éternité de la vue de Dieu. Cependant elle avait une confiance sans bornes dans la protection de la Sainte Vierge et elle pria la personne qui l’assistait de vouloir bien porter sur-le-champ ses deux enfants morts dans cette chapelle, aux pieds de la Madone. On apporta donc ici les deux enfants morts que l’on déposa au pied de l’autel ; aussitôt ils ressuscitèrent et purent recevoir le baptême, après quoi ils moururent. »

12La fontaine du Caleuchot

(Amance)

Les montagnes de la Franche-Comté sont fertiles en légendes ; chaque grotte, chaque rocher a son histoire empreinte d’une sauvage poésie ; mais du côté de la plaine, les naïfs récits s’en vont peu à peu, avec les gorges profondes et les ruines des vieux donjons ; là où s’élargissent les vallées, où les moissons s’étendent comme une nappe d’or, les tranquilles villageois n’ont presque plus rien à raconter.

Voici une des rares légendes du pays plat que dans mon enfance j’ai entendu raconter à la veillée, lorsqu’on se réunissait encore quelquefois le soir, sous le vaste manteau de nos anciennes cheminées, pour écouter les contes fantastiques de l’aïeule.

Jadis il y avait tout près de Breurey-les-Faverney une sorte d’étang, un gouffre dont jamais on ne connut la profondeur : il se perdait dans les entrailles de la terre. Ses eaux étaient plus sombres que celles de ces lacs des Vosges en lesquelles se noient les noires silhouettes des sapins : le soleil couché, de noires vapeurs s’en dégageaient.

La physionomie d’un tel gouffre paraissant quelque peu diabolique, le bruit d’apparitions de l’esprit des ténèbres se répandit au village et fit le tour des seigneuries voisines. Des pêcheurs, voulant y jeter leurs filets pendant la nuit, en avaient été chassés par un long diable velu, d’un aspect effrayant. On citait des passants attardés, poursuivis, saisis et précipités dans l’étang. Aussi à la tombée de la nuit, personne n’en approchait. Un jeune gentilhomme, l’hôte d’un château des environs, assez sceptique et surtout incrédule en fait de diableries, était récemment arrivé de la capitale. Bel esprit, esprit fort, il riait de tout ce qu’on lui racontait des démons et des fantômes, raillait agréablement les croyants, se moquant même d’eux d’une impertinente façon.

À l’issue d’un joyeux repas, comme on parlait du gouffre de Breurey, il s’écria : – Quelle absurdité ! – Chacun protesta. On s’échauffa, accumulant les preuves ; ces nouveaux détails ne firent que l’irriter davantage. – J’y vais de ce pas, dit-il exaspéré, et j’en reviendrai bientôt aussi sain et sauf que me voilà. N’est-il point temps, vraiment, que de pareilles sornettes cessent de trouver créance ! Il commanda son carrosse, obligea un domestique, plus mort que vif, à s’installer sur le siège et montant dedans, ordonna qu’on le conduisit au terrible étang. Le pauvre cocher récita ses patenôtres tout le long de la route, et bien lui en prit, ainsi que vous allez le voir, lecteur.

Quant au maître impatient, il essayait de se désennuyer en observant du fond de sa voiture, les nuages aux formes bizarres qui glissaient sur la lune, tour à tour se massant ou s’allongeant, et se transformant insensiblement de mille manières.

Le chemin rocailleux que suivait le carrosse, roulant avec des soubresauts et de fréquents cahots, se développait en méandres grisâtres, bordés de buissons inégaux.

Après plusieurs heures qui parurent fort longues, mais pour des motifs tout différents aux deux voyageurs, ils arrivèrent en vue du gouffre ressemblant à une large tache d’encre sur la prairie.

Tout à coup d’abondantes vapeurs s’élevèrent de la surface de l’étang.

Le domestique trembla de tous ses membres ; les chevaux hennirent de terreur et leurs crins se hérissèrent : le gentilhomme sourit.

De la masse nuageuse, un spectre noir sortit, pareil à une gigantesque momie dégagée de ses bandelettes ; en trois enjambées, il fut devant le carrosse, dont l’attelage se cabra.

Déjà le cocher avait sauté en bas et détalait.

Le spectre aussitôt le remplaça, ramassa les guides et dirigea le véhicule vers le gouffre.

Le sceptique, essayant vainement de sortir de sa voiture, où le retenait une invisible puissance, jurait et se démenait comme un possédé.

La grande momie sur le siège ricanait.

Le carrosse entra bientôt dans la zone vaporeuse.

De loin, le domestique fuyant, put, en détournant la tête, l’y voir disparaître.

Le pauvre homme revint au château épuisé, presque mort.

Longtemps on le pressa de questions, qu’on répétait inutilement.

Qu’avait-il vu ? – Où était son maître ?…

Enfin il parla, racontant comment le diable venait de mener le gentilhomme aux enfers.

La nouvelle se propagea rapidement. Elle terrifia en particulier les bonnes femmes de Breurey qui, craignant que Satan ne les conduisit aussi dans son affreux trou allèrent chaque jour, l’Angelus sonnant, y jeter de l’eau bénite.

Or on remarqua, – chose miraculeuse ! – qu’au fur et à mesure de ces conjurations, le périmètre de l’étang diminuait et que ses eaux s’éclaircissaient : en sorte qu’il devint la toute petite fontaine, bien limpide, où faucheurs et moissonneurs puisent maintenant, sans nulle frayeur, une onde rafraîchissante.

(Baron de Prinsac.)

13Nicole de Luz

(Amance)

Lorsque la terre de saint Remy appartenait à la famille de Luz, Nicole de Luz, dame de Saint-Remy, fut maîtresse de Henri II, roi de France. Dans le même temps, Claude de la Baume, s’était épris des charmes de Nicole, et il s’en fallut peu qu’il renonçât à la dignité d’archevêque de Besançon pour épouser cette femme que ses intrigues et sa beauté rendaient également dangereuse. Quelques lettres de Claude de la Baume à Nicole de Luz se trouvant dans la collection des papiers d’État du cardinal de Granvelle. Il est juste de dire que Claude de la Baume désigné pour le siège archiépiscopal, n’était point encore engagé dans les ordres lorsqu’il se laissa fasciner par la belle Nicole de Luz. Celle-ci eut un fils de Henri II. C’est de ce fils que descendait Jeanne de Luz de Saint-Remy, comtesse de la Motte, si honteusement célèbre par l’affaire du Collier.

Connaissant la ridicule passion du cardinal de Rohan pour la reine Marie-Antoinette, la comtesse de la Motte suggéra au prélat l’idée d’acheter pour la princesse un magnifique collier de diamants du prix de 1 600 000 fr. et se fit livrer le bijou en faisant croire au cardinal qu’elle lui procurerait une entrevue avec la reine (1785). Convaincue d’imposture et d’escroquerie, Jeanne de Luz, comtesse de la Motte, fut condamnée à faire amende honorable, la corde au cou, et à être fouettée et marquée publiquement. Elle fut enfermée à la Salpêtrière, d’où elle trouva le moyen de s’évader et de gagner l’Angleterre, où elle fit imprimer un libelle contre Marie-Antoinette. Elle y mourut en 1791.

14Les brigands de la Grange des Charmes

(Combeaufontaine)

Sur le territoire de Semmadon, dont les habitants, aidés par le comte d’Éternoz, résistèrent si héroïquement aux bandes allemandes du Duc des Deux Ponts en 1569, se trouve la Grange des Charmes, dont malgré ce nom gracieux, l’imagination populaire fit un repaire de brigands à la fin du siècle dernier. On disait que ces brigands détroussaient et assassinaient les voyageurs sur la route de Combeaufontaine à Jussey. On parlait de cadavres trouvés et de chevaux errants, dont les maîtres avaient disparu. Une famille innocente paya, dit-on, de la vie cette excitation de la crédulité du peuple.

15Le château du Magny

(Jussey)

Au Moyen Âge, le Magny-les-Jussey était une maison forte devant laquelle se présentèrent, le 14 mai 1636, 600 chevaux des troupes suédoises. Le château du Magny ne put être emporté d’assaut, malgré quatre attaques successives. Les soldats de Weymar se vengèrent de cet échec en brûlant le village dont ils emmenèrent tout le bétail. Le château du Magny était alors commandé par le sieur de Varrods, seigneur du lieu, surnommé le jeune Gaucher. Après le troisième assaut, on le somma de se rendre, s’il voulait obtenir quartier : « Cher ami, répondit-il au trompette, va dire à ton chef que je suis le capitaine Gaucher et que nous ne savons ce que c’est que de rendre des places, ni faire des compositions. » Le trompette revint en annonçant au seigneur du Magny que le lendemain avant midi, il aura sur les bras toute la cavalerie suédoise. « Tant mieux ! répond le brave capitaine : plus vous serez de gens, et plus j’acquerrai d’honneur. » Les ennemis reviennent à la charge ; mais ils sont encore repoussés avec perte de 23 hommes et un grand nombre de blessés.

Les Varrods étaient originaires de Gy.

En 1641, le château de Magny fut rasé par Grancey. C’est sur ses ruines qu’a été édifié le château moderne, dont les premières assises présentent encore les meurtrières de la vieille maison-forte.

16Le Saut de Corneille

(Montbozon)

Le seigneur de Bouhans, voulant un jour bâtir une métairie sur ses domaines, et ne sachant où en fixer l’emplacement, lâcha dans les airs une corneille privée en disant qu’il construirait la métairie à l’endroit où l’oiseau arrêterait son premier vol. La corneille prit son essor du côté de Cognères, et vint s’abattre sur le monticule où passe la route entre ces deux villages. Ainsi qu’il l’avait promis, le sire de Bouhans fonda en ce lieu un hameau qui existe encore et qui est appelé le Saut de Corneille. Les communes de Bouhans et de Cognères sont très rapprochées l’une de l’autre et les habitants disent proverbialement : Entre Bouhans et Cognères, il n’y a qu’un saut de Corneille.

17Le miracle de Saint-Agile

(Jussey)

Saint-Agile, né à Port-sur-Saône, était moine de Luxeuil, au temps du roi Thierry et de la reine Brunehaut (VIIIe siècle). Un jour que, se rendant à la cour du roi pour une mission difficile, il passait en un lieu nommé Jussiacus (Jussey), un jeune homme, petit-fils du duc de Vandalène, l’attaqua à la tête d’une troupe de soldats à ses ordres. Ce jeune libertin, sous prétexte de chasse, parcourait le pays ; il avait pour mission de surveiller les moines et de les inquiéter. Il n’hésite pas à lever le bras pour frapper Agile ; celui-ci se contente de faire le signe de la croix et aussitôt le bras de l’assassin reste immobile. Il fit d’inutiles efforts pour le remuer ; on ne put même lui arracher son épée ; lui-même était raide et comme pétrifié. Ce miracle frappa tous les témoins de stupeur. Le jeune homme se mit à pleurer, reconnut sa faute ; il supplia St-Agile de le guérir, ou au moins de le soulager. Le saint pria pendant trois heures, après lesquelles il se leva, toucha le bras paralysé et lui rendit le mouvement et la vie. La garde de l’épée avait si fortement adhéré à la main qu’on ne put l’arracher sans en enlever la peau ; le sang coula. Agile se mit de nouveau en prière, mouilla son doigt de sa salive et imprima le signe de la croix sur cette main malade, qui se trouva aussitôt guérie. Le regret et la reconnaissance pénétrèrent aussitôt si vivement le cœur du fils de Vandalène qu’il abandonna le monde et embrassa la vie monastique à Luxeuil.

18Les gravisseurs d’Authoison

(Montbozon)

Authoison, les sorciers tenaient leur sabbat sur les toits. Ils s’y rendaient à travers les airs en se reposant sur les arbres. On les appelait las gravissus en patois et les gravisseurs en français. Encore maintenant on dit d’eux par moquerie : « Les gens d’Authoison savent monter aux arbres ».

On conserve dans cette localité le souvenir d’un fantôme qui parcourait l’espace sur un char attelé de deux chevaux de feu ; d’un bouc qui sortait de la tour seigneuriale et qu’on poursuivait sans jamais pouvoir l’atteindre ; d’un loup qui se montrait à l’une des fenêtres de la ferme des Grands-Bois pendant le repas du fermier.

Un des maléfices qui émut particulièrement le village d’Authoison eut lieu dans une écurie peuplée d’un nombreux bétail. On entendit d’abord les bêtes parler patois, puis on les vit danser au son d’un violon dont jouait le plus gros des bœufs, danse irrésistible qui dura jusqu’à ce que l’on eût coupé les licous des animaux et tué un énorme serpent qui s’était établi sous le seuil de l’étable.

19Les sorciers de Baumotte

(Montbozon)

En 1660, Jean Cartier, curé de Baumotte, qui avait assisté au sabbat et qui, pour ce fait, avait été enfermé dans un cachot de l’inquisition, dénonça et fit brûler bon nombre de ses paroissiens. Il rentra en grâce, mais la sorcellerie du pasteur et du troupeau n’en fut pas moins consacrée par un proverbe. On dit les sorciers de Baumotte comme on dit les gravisseurs d’Authoison.

20Le bossu de Fontenois sur le pont de Vauchatru

(Montbozon)

Le pont de Vauchatru sur la rivière de la Linotte, entre les villages de Dampierre et Fontenois-les-Montbozon, a toujours été le rendez-vous des sorciers du pays. On raconte à ce propos qu’un samedi, vers minuit, il y a de cela bien longtemps, un pauvre tailleur d’habits de Fontenois, petit et bossu, s’en revenait de Dampierre, où il avait travaillé de son état, lorsque, passant sur le pont de la Linotte, il entendit aux alentours du pont, dans le bas, un bruit étrange, singulier, qui l’effraya d’abord ; des voix criaient : « C’est demain dimanche ! c’est demain dimanche !… » Le tailleur, d’humeur assez gaie, s’avisa de répliquer en disant : « Et après-demain lundi ! et après-demain lundi ! » Il avait à peine fini de parler que déjà il était entouré d’êtres bizarres, aux formes les plus fantastiques qui, sans lui laisser le temps de se reconnaître, les uns le tirant par le bras, les autres le poussant par-derrière, l’entraînèrent dans une danse infernale.

Quand ils eurent fini, le chef de la bande, un assez bon diable, se mit à dire bien haut : « Que sa bosse disparaisse ! » et, en même temps, le frappant sur le dos, du coup il lui enleva sa bosse qui vint rouler par terre. Ce service rendu, il lui dit de continuer son chemin, ce que notre homme fit aussitôt.

Rentré à Fontenois, il alla le dimanche se montrer dans le village ; mais personne, tout en disant le reconnaître à sa figure, ne voulut croire que c’était lui, tant il était inouï qu’il put être autrement que bossu.

Mais s’il eut de la peine à persuader son monde, il fut cependant pris au mot par un autre bossu de Fontenois qui se promit d’aller tenter la même aventure. Il y alla en effet un samedi, jour de sabbat, à l’heure de minuit, à l’heure où les diables faisaient un vacarme d’enfer, tout autour et au-dessous du pont. Comme le tailleur, il entendit les mêmes paroles : « C’est demain dimanche ! » auxquelles il répondit sans hésiter : « Et après-demain lundi !… »

Ces mots à peine dits, il fut assailli de tous côtés, par une foule de diables et de sorciers, qui se ruèrent sur lui, le renversèrent, le remirent sur ses pieds, puis se le rejetèrent les uns aux autres. Enfin l’un d’eux, le plus diable de tous, revint sur lui avec la bosse du tailleur dans ses griffes, et la lui appliqua fortement sur le dos, – ce qui, ajouté à la bosse qu’il avait déjà par devant, lui en fit deux, avec lesquelles il s’en retourna tout confus à Fontenois.

Dans les légendes bretonnes recueillies par Souvestre, on trouve une histoire de Torti-bouzouk qui a la plus grande parenté avec celle du bossu de Fontenois.

21Le marquis d’Ormenans dans la forêt de Loulans

(Montbozon)

À Loulans-les-Forges, il y a un château, dont les anciens seigneurs étaient les marquis d’Ormenans. La tradition rapporte que l’un d’eux était extrêmement avare, dur et sévère ; il ne souffrait pas que les pauvres gens se permissent de ramasser du bois mort dans sa forêt voisine du château.

Il s’y promenait journellement et en faisait lui-même la garde. Quand il surprenait quelques délinquants, le plus souvent des femmes, occupées à faire des fagots, il les grondait très fort, les menaçait et leur reprenait les fagots.

Après sa mort, et pendant la nuit, il continua à surveiller son bois. À minuit, on le voyait placé sur un tertre élevé d’où il découvrait tous les abords de la forêt, du côté du village. Depuis là, quand les femmes venaient nuitamment chercher du bois ou emporter les fagots qu’elles avaient faits pendant la journée, à l’insu des gardes, il fixait sur elles un œil terrible et les menaçait du doigt. À cette vue, les pauvres femmes effrayées se sauvaient plus mortes que vives et regagnaient à la hâte le village.

22La Dame Blanche de Montaigu

(Noroy)

Une tradition rapporte qu’une Dame blanche apparaît tous les ans sur les ruines du château de Montaigu, au sud-est de Colombier, près de Vesoul, et que cette dame, qui est sans tête, en fait le tour à minuit. On croit reconnaître dans cette légende le mémorial du supplice par lequel aurait péri la châtelaine de Montaigu.

On ne sait d’ailleurs rien de positif sur le château. On croit qu’il fut possédé par les princes de la maison de Bourgogne depuis le XIVe jusqu’aux guerres du XVe siècles pendant lesquelles il fut détruit. On sait que cette terre conférait le titre de baron et qu’à son possesseur appartenait la haute, moyenne et basse justice, par conséquent le droit d’avoir des fourches patibulaires.

C’est au gibet de Montaigu que furent pendues pour crime de sorcellerie plusieurs personnes au commencement du XVIIe siècle. Claudine Richardey, convaincue, par ses propres confessions géminées, d’avoir été plusieurs fois au sabbat et assemblées de sorciers et sorcières, y fut brûlée vive le 24 octobre 1629.

23La sorcière de Calmoutier

(Noroy)

Claudine Richardey, veuve d’Antoine Perrin, poursuivie devant la justice du chapitre de Calmoutier, a rendu compte comme on va le voir, le 4 septembre 1629, des circonstances de sa séduction. « Quelques années après la guerre de Tremblecourt (1695), plusieurs compagnies courant par ce pays, logeant ordinairement audit Calmoutier, elle fut contrainte de s’en aller à Vesoul acheter des vivres pour lesdits soldats. Étant à l’endroit de Dampvalley, et revenant de Vesoul, elle rencontra un gros chien noir qui l’arrêtant et parlant d’une voix humaine, lui dit que si elle voulait se bailler à lui, il lui donnerait de l’argent, et il lui donna une grosse poignée qui lui sembla être de l’argent, mais ce n’étaient que des feuilles, ainsi qu’elle le reconnut après. Ensuite de quoi elle se donna à lui, et, à son importunité, renonça à Dieu, chrême et baptême et, depuis, a été une infinité de fois au sabbat.

Le diable qui l’avait séduite se nommait Piercy…

Bien est vrai, ajouta-t-elle que la semaine avant l’Ascension, un mercredi au soir, elle s’en alla avec les chariots de Villemainfroy, (canton de Saulx) qui menaient des lavons (planches) au marché de Vesoul. Étant à l’endroit des Planches Voillard, (finage de Montuey, canton de Vesoul), elle entendit un bruit, accourut et vit un gros gerepeillot (assemblée de gens) qui dansaient à reculons : c’étaient des sorciers qui étaient au sabbat. Il y avait une table et des chandelles bleues. Il y avait aussi plusieurs hommes ou diables vêtus de noir, qui ne l’approchèrent pas parce qu’elle fit le signe de la croix de sa langue. Trois semaines après, revenant de Dampvalley à Calmoutier, elle entendit encore un même bruit près du poirier, entre les deux finages. Elle accourut encore et vit une danse qui se faisait au son d’un tambour et d’une flûte… Le tambour à main était joué par un homme borgne. Elle dit que la danse finie, on mangea et fit toutes les autres cérémonies du sabbat. Le Diable qui présidait et auquel on vint rendre l’hommage accoutumé, était plus gros que les autres. On l’appelait Monsieur. Il avait à ses côtés deux dames jeunes, fort belles et bien habillées, qui n’étaient pas des diablesses. Le Diable distribua de la poussière qu’il recommanda de jeter sur les biens de la terre pour les faire perdre. Elle avoua en avoir reçu et jeté dans son jardin, où il ne crût plus rien de bon.

Interrogée si, étant au sabbat, elle avait fait elle-même les choses qu’elle en racontait, elle pleura, baissa la tête, montra plusieurs signes de contrition et répondit affirmativement en demandant pardon et merci à Dieu.

Claudine Richardey fut condamnée en conséquence le 24 octobre 1629 à être étranglée puis brûlée près du gibet de Montaigu, commune de Colombier, canton de Noroy, ce qui fut immédiatement exécuté.

24Le château de Montjustin

(Noroy)

Sur une éminence qui domine Montjustin, se voient les ruines du château des anciens seigneurs du lieu. Une tradition populaire rapporte que Clotilde, fille de Chilpéric, roi des Bourguignons, naquit au château de Montjustin, et que Clovis, roi des Francs, ayant entendu beaucoup vanter les charmes et les brillantes qualités de cette princesse, résolut d’en juger par lui-même. Ayant pris pour cela le costume d’un mendiant, il se présenta à la porte du château, et c’est des mains mêmes de la belle Clotilde qu’il reçut l’aumône. Dès cet instant il ne songea plus qu’à devenir son époux. Aussi fut-elle enlevée peu de temps après dans une promenade qu’elle faisait entre la Combe et la forêt de Fénis, deux lieux dits qui ont conservé ces noms, et qui sont au N.-O. de Montjustin. On sait qu’en acceptant la main de Clovis, Clotilde monta sur le trône de France et que, restée veuve en 511, elle mourut à Tours en odeur de sainteté.

25La queue du diable

(Port-sur-Saône)

Il y avait à Auxon-les-Vesoul, du temps de François I, un bûcheron qui s’appelait Tiénot. C’était un véritable sacripant, croyant au Bon Dieu, mais ne croyant pas au diable. Or un jour qu’il traversait le bois du Troussard, lequel sépare le finage d’Auxon de ceux de Colombier et Flagy, il vit un vieil homme déguenillé, étendu comme un cadavre en travers du sentier, et il faisait alors très froid. Les arbres ressemblaient à des squelettes enfarinés de neige. La fontaine de Varègne fumait. Des corbeaux immobiles sur les bornes des champs lointains, enfonçaient leur tête entre leurs plumes noires, et l’on n’entendait que des craquements de glaçons. – Bouffre ? s’écria Tiénot, quel est cet ivrogne ? – et il essaya de se remémorer tous les noms de mendiants ou amateurs de purée septembrale, à qui parfois il faisait aumône de pain et de vin ; car le bon Tiénot était charitable selon ses moyens et buveur par tempérament. – C’est un étranger, se dit-il après quelques instants de contemplation. N’importe, ne le laissons point périr ainsi. – Il saisit le vieillard qui ne remuait plus, le chargea comme un sac sur ses épaules et le porta dans sa cabane. – Barbotte, dit-il à sa femme, n’est-ce pas aujourd’hui que tu cuis ? – Tu le sais prou, vieil auquel, répondit la femme, – Regarde. – Il regarda et vit en effet, sur une échelle d’osier suspendue horizontalement aux solives du plafond, une demi-douzaine de grosses miches fumantes et pareilles à des meules de moulin. – C’est bien, dit-il. – Il s’achemina vers le four, et déposa son fardeau sur les briques encore chaudes, puis il ferma la porte du four. – Que fais-tu ? s’écria Barbotte qui l’avait suivi. – Tu le vois bien. – Il va étouffer. – Point. Il y a une espèce de chatière dans la porte du four. Si le pauvre diable parvient à dégeler, il respirera par là. – Barbotte ne répondit rien ; mais, comme elle était curieuse, elle resta près de la porte du four pendant que Tiénot buvait et mangeait à la cuisine. Au bout de quelques minutes, elle rentra toute effarée. – Tiénot ! – Barbotte ! Es-tu sûr d’avoir rapporté un homme sur ton dos ? – Parbleu ! – Tu es un imbécile ! – Je le sais bien ; mais explique-moi en quoi mon imbécillité d’hier diffère de celle d’aujourd’hui. – Ce n’est pas un homme, c’est un veau. – Un veau ! – Oui ! – Tu sais cette chatière… – Le trou qui est dans la porte du four ? – Précisément. Eh bien ! Je viens de voir une queue de veau toute rousse et toute roussie sortir de ce trou et frétiller comme un serpent. – Diable ! fit Tiénot – Diable ! Diable ! Ne parle pas tant du diable ; car cela pourrait bien être le diable lui-même. – Allons voir, dit le bûcheron ébranlé. – Il remarqua, en effet, une espèce de queue de veau qui sortait de la chatière, et s’agitait d’une façon extraordinaire. Mais, comme c’était un esprit fort que maître Tiénot, loin de se sentir intimidé, il saisit cet appendice velu, l’enroula deux fois autour de sa main et tira. Un effroyable hurlement retentit. – Aïe ! Aïe ! Tu me l’arraches ! – Tiénot éclata de rire et tira plus fort. – Tiénot ! Tiénot ! beugla l’être emprisonné dans le four. – Qu’est-ce que tu veux ? – Lâche-moi je te donnerai tout ce que tu voudras. – Tu es donc riche ? – Très riche. – Cela tombe à merveille. Je n’ai pas même la ressource de vendre du fumier, comme le saint homme Job. Mon dernier écu est resté ce matin entre les mains de Fanfan Thierry, cabaretier à Auxon. – Tiens ! voilà de l’or. – Une main aux doigts crochus, passa par la chatière et laissa tomber sur la plaque du four une quinzaine de pièces jaunes toutes neuves et très luisantes. – Tu es donc Satan, fit le bûcheron ébloui – Je le suis ! – Comment te trouvais-tu donc sur ce sentier ? – Je suis très sensible au froid, étant habitué à la chaleur de l’enfer. – Eh bien ! mon ami, je suis moi-même très content de te posséder. Il prit un marteau et des pointes de douze lignes et cloua la queue du diable sur un énorme billot, qui servait pour fendre le bois. Puis il courut à Auxon, où il invita tout le monde à manger et à boire. Le soir il revint, et, comme il était un peu gris, il tira si violemment la queue de Satan qu’elle faillit lui rester dans la main. – Je n’ai plus le sou, dit-il. – En voilà, fit Satan, qui râlait de douleur. – Donne encore ; Je veux bâtir une auberge monstrueuse où chacun sera logé et abreuvé gratis. – Voilà ! – Donne encore ; je veux construire un couvent dont les moines seront exclusivement occupés à fabriquer des liqueurs – Voilà ! avec plaisir. – Donne toujours. Je veux fonder une académie où tout le monde pourra dire et penser ce qu’il voudra. – Le diable se fit vigoureusement tirer la queue ; mais il céda. – Encore, cria l’insatiable Tiénot. – Eh pourquoi ? – Pour doter les jeunes filles pauvres. – Aïe ! le maroufle veut me ruiner ! – Tiénot tira toute la nuit le diable par la queue. Quand le jour vint, il se procura des ânes à Pusy et emmena son trésor à Vesoul. Les ânes pliaient sous le poids des sacoches, et tout le long de la route, le bon bûcheron semait son or à pleines mains. La nouvelle de cette singulière aventure arriva aux oreilles des capucins de la bonne ville d’Auxon qui prièrent quatre de leurs frères d’aller au bois du Troussard. Le lendemain même, quatre révérends se rendirent à la cabane. – Tiénot n’était pas encore rentré. – Nous voudrions voir la queue du diable, diront-ils à dame Barbote. Hélas ! dit-elle, j’ai eu la bêtise de la couper tout au ras…, de la chatière. Mon mari étant un vrai panier percé, j’espérais l’attacher et m’en servir moi toute seule. Mais voyez le guignon. J’ai beau tirer maintenant, c’est comme si je chantais. Quant au diable, il s’est enfui après m’avoir cassé deux dents de devant d’un coup de son pied fourchu. Les quatre capucins firent une grimace que Satan lui-même n’eût pas désavouée. Puis ils s’attelèrent deux à deux en sens inverse à cette queue extraordinaire, et tirèrent comme quatre chevaux. Vains efforts ! La queue se brisa. Entraînés par leur propre élan, les quatre religieux tombèrent et dans leur chute, ils se cassèrent les os du nez. C’est depuis ce temps que les capucins nasillent, pour imiter ces quatre pères morts en odeur de sainteté. C’est depuis ce temps aussi que l’on se sert de cette locution très familière (notamment aux poètes): « Tirer le diable par la queue. »

(ALEXIS M. ).

26Le bouc des Étangs gris

(Port-sur-Saône)

Barthélemy Bouvrey de Flagy, avocat à Vesoul, commandant de la garde nationale de Breurey-les-Faverney, racontait l’étrange aventure que voici : « Au commencement de la révolution, je revenais un soir très tard de Breuray à Flagy, et je traversais seul, à pied, la grande forêt qui existe entre ces deux communes. Quand j’arrivai aux Étangs gris, l’obscurité était si profonde que je m’égarai, et que j’errai longtemps dans les broussailles, sans pouvoir retrouver mon chemin. Voilà que tout à coup j’aperçois à une centaine de pas une clarté extraordinaire, et que j’entends toutes sortes de bruits discordants. J’approche machinalement, et je ne tarde pas à apercevoir une grande table autour de laquelle buvaient et mangeaient une centaine de convives. Comme ils avaient tous la figure barbouillée de suie, je n’en reconnus aucun. « Telmy, me crie une voix ; viens t’asseoir à notre banquet : voilà ton couvert. » J’acceptai sans façon l’invitation ; mais il me fut impossible d’avaler ni liquide ni solide, tant l’odeur des breuvages et le goût des mets étaient détestables. Je ne comprenais rien à ce que l’on disait, ni à ce que l’on chantait. On se faisait mille grimaces toutes plus grotesques les unes que les autres. Je devinai toutefois, sans peine, en me rappelant que ce jour-là était un samedi, que je me trouvais au sabbat. Au bout de la longue table se tenait un bouc affreux, qui semblait présider la réunion, avec une chandelle entre les cornes. Quand le repas fut terminé, le bouc monta sur la table et chaque convive venait tour à tour lui rendre hommage en lui baisant au derrière. Je ne pouvais me résoudre à pratiquer ce cérémonial dégoûtant, et quand mon tour arriva, je m’approchai du bouc et je lui plantai mon couteau à l’endroit où les autres avaient mis leurs bouches. « Telmy, dit le bouc en se retournant furieux, et je reconnus la voix qui m’avait appelé à l’infernal banquet, Telmy, tu es venu ici sans avoir fait ta barbe et un poil de ta moustache m’a piqué. » Au même instant le bouc s’élança entre mes jambes et m’emporta dans les airs. J’avais beau lui donner des coups de pied, des coups de poing, des coups de couteau, le coursier diabolique montait, montait toujours. Nous étions certes parvenus ainsi à des hauteurs incommensurables, quand l’idée me vint de faire le signe de la croix. Je n’eus pas plus tôt fini que le bouc poussa un cri terrible et redescendit vers la terre avec une telle rapidité que sans un miracle, j’aurais été certainement fracassé en arrivant. Il n’en fut rien. Quand le bouc m’eut déposé sur le sol où il m’avait pris, il disparut. Il n’y avait plus ni tables ni convives. Il ne restait dans l’air qu’une étrange odeur de soufre. L’angelus sonna dans les villages voisins, et, avant le lever du soleil je pus rentrer chez moi. »

(ALEXIS M. ).

27Les seigneurs de la Bannie et la dame Gueuse

(Port-sur-Saône)

La paroisse de Saint-Eloy Duval, possède une des plus vieilles églises de l’ancienne terre de Luxeuil. Le Val Saint-Eloy doit son nom à sa situation entre deux collines élevées et son surnom au Saint sous l’invocation duquel a été placée son église.

Dans le périmètre communal du Val Saint-Eloy, il existe un moulin sur le ruisseau dit Ruz de la Gueuse. Il tire son nom d’une ancienne légende très peu connue, que je n’ai pu recueillir encore, mais que se rappellent sans doute les anciens habitants du Val de Saint-Eloy. Il y est question des seigneurs de la Bannie et de la dame Gueuse.

28Légende de Saint Valère

(Port-sur-Saône)

En 407, les Germains, les Bourguignons, les Suèves, les Scythes et les Alains forcèrent le passage du Rhin, cette barrière jetée par Dieu entre la Gaule et la Germanie et que les peuples de l’une et de l’autre rive auraient dû toujours savoir respecter. Crocus, chef d’une de ces hordes, ravagea notre pays. Il s’empara de Langres et fit mourir le saint évêque Didier. Son archidiacre Valère, à la tête d’une petite troupe de chrétiens, échappés à la rage du vainqueur, s’enfuit jusqu’à Port-Abucin, aujourd’hui Port-sur-Saône, où il fut pris et martyrisé par les Vaudales, ainsi que plusieurs de ses compagnons. Les autres retournèrent à Langres, que les vainqueurs avaient abandonné. Toutefois ils ne voulurent point partir avant d’avoir donné la sépulture au corps de Saint Valère. Ils l’inhumèrent à l’endroit même où il avait été martyrisé, au vis-à-vis d’une tour dont on voyait encore les ruines au dernier siècle, et qui portait le nom de Tour des Trompettes.

À quelque temps de là, les Bourguignons, qui s’étaient établis dans la Séquanie, eurent à refouler les Lombards, qui s’étaient avancés jusqu’à Iverdun. Le duc Gaudricus conduisit à cette expédition les hommes d’armes de Port-sur-Saône. La veille de son départ, il avait invoqué Saint Valère, dont la mémoire vivait dans la vallée, et s’était endormi sous sa tente, dressée sur le bord de la Saône. Pendant son sommeil, il eut une vision merveilleuse. Il se vit entouré tout à coup d’une foule d’esprits célestes, couronnés de rayons lumineux et vêtus de longues robes tissues d’or. Tandis que son esprit flottait entre l’étonnement et la crainte, une voix se fit entendre : « Guerrier, le lieu où tu reposes est consacré par le tombeau de Saint-Valère et de ses compagnons. Si tu veux sortir victorieux du combat, promets-nous d’élever à ton retour un monument à leur honneur. » À son réveil, le duc raconta à ceux qui l’entouraient le rêve extraordinaire qu’il avait fait. Il tomba à genoux et fit cette promesse solennelle : « Si Dieu par l’intercession du saint martyr Valère, m’accorde la victoire, j’élèverai un monument à sa gloire en ce lieu même. » Les Lombards furent repoussés et il en fut fait un grand carnage. À son retour, le duc édifia un oratoire sur le tombeau de Saint-Valère. Une grande église, ecclesiam mirae magnitudinis y fut construite plus tard. On en retrouva les ruines en 1836, et une église moderne à trois nefs s’y voit encore aujourd’hui et permet aux fidèles de la contrée de vénérer Saint Valère dans le lieu même où il a mérité la palme du martyre.

29L’ermitage de Provenchère

(Port-sur-Saône)

Le chevalier Jacques de Neufville, un des gentils-hommes qui servaient sous Charles-le-Téméraire à la bataille de Nancy, ayant fait vœu, après la défaite et la mort de son maître, de quitter le monde et de finir ses jours dans la solitude, choisit « une place à la teste et entrée d’unebelle forêt, entre Cherié (Chariez) et Faverney, laquelle il cuida très convenable pour son dessein, tant pour estre ung lieu champestre, éloigné de villaiges, maison et grands chemins, comme pour ce qu’il y avait une belle fontaine d’eau vive et claire, dont le lieu était appelé par ceux du pays Nostre-Daime de la fontaine Saint-Antoine, pour ce qu’icelle fontaine sortait du pied d’ung grand chesne au pied duquel estaient les imaiges de Nostre-Daime et de Saint Antoine y colligées de temps immémorial. Oultre la bonté naturelle de cette fontaine, le vulgaire et simple peuple qui s’y rendait avec une sorte de vénération, lui attribuait une vertu surnaturelle de guarir les fiebvres et aulcunes aultres maladies » (Je suppose que cette citation est du père Fodéré dont je reconnais le style).

Un petit ermitage et une chapelle furent bâtis en ce lieu par Jacques de Neufville, qui y vécut solitairement durant plusieurs années. Devenu vieux et infirme, il se retira au couvent des cordeliers de Chariez, où il mourut en 1487, après avoir fait donation de son ermitage de Provenchère au monastère qui l’avait recueilli et soigné dans ses derniers moments. Les cordeliers de Chariez y firent construire un cloître pour six religieux. Vendu comme domaine national, cet ancien couvent est aujourd’hui une ferme où l’on reconnaît encore la cuisine et le réfectoire du cloître, ainsi que l’église et la sacristie.

30Le Roi de la Foire de Mai

(Port-sur-Saône)

La foire du mois de mai à Port-sur-Saône, était autrefois signalée par un usage antique et singulier. La veille de cette foire, un jeune homme, monté sur un des plus beaux chevaux du pays, et portant des aiguillettes attachées à une large pique, parcourait, précédé de musiciens, les places publiques et les carrefours, au milieu desquels il s’arrêtait en criant :