Traque à Dzamandzar - Evelyne Traversi - E-Book

Traque à Dzamandzar E-Book

Evelyne Traversi

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Beschreibung

L’aventure se déroule entre Paris et Madagascar sur l’île de Nosy Bé, pour se terminer à Saint Laurent du Maroni en Guyane.

« Que se passe-t-il dans la distillerie de canne à sucre désaffectée de Hell-ville à Nosy Bé, une petite île paradisiaque au nord-ouest de Madagascar ? Rachetée par le docteur en biochimie Tino Deccica, cette usine recyclée en laboratoire de production d’orchidées in vitro semble abriter d’étranges activités… Mystérieuses disparitions, odeurs suspectes, étonnants ballets d’hélicoptères, trahisons et mensonges, règlements de comptes sur fond de double jeu et d’expérimentations douteuses, entre Paris et Madagascar… Tandis que la guerre des laboratoires pharmaceutiques fait rage, la recherche, elle, n’a pas de prix. Et si, pour sauver le monde, il fallait sacrifier quelques vies ? Pour le bien de l’humanité, tout est-il permis ? ».

À PROPOS DE L'AUTRICE

Auteure de roman policier-aventure Après des études de droit, Evelyne Traversi a exercé les fonctions de greffière des services judiciaires en région parisienne puis, pendant plus de dix ans, dans les territoires et départements d’outre-mer. Au contact des populations locales, elle a découvert d’autres us et coutumes qui l’ont inspirée, ainsi que son expérience professionnelle et personnelle, pour écrire des romans de genre policier ou s’entremêlent le thriller, l’aventure exotique et l’ésotérisme.

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Ähnliche


Évelyne Traversi

Traque à Dzamandzar

Madagascar

ISBN : 978-2-37789-780-3

Nom de l’auteure : Évelyne Traversi

Dépôt légal : Janvier 2024

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les « analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information », toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou.

Ce roman est une œuvre de fiction. Si certains lieux sont réels, les situations et les personnages décrits sont issus de l’imagination de l’auteure. Par conséquent, toute ressemblance avec des personnes et des faits existants, ou ayant existé, serait purement fortuite.

Avertissement : ce livre contient des scènes susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes et des personnes non averties.

Madagascar, l’une des plus grandes îles au monde, est située dans l’océan Indien à l’est de la côte africaine.

(Source : FreeWorldMaps)

L’île de Nosy Be

(Madagascar)

Située au nord-ouest de Madagascar,

l’île de Nosy Be s’étend sur 321 km²

(Source : Wikipédia)

Les personnages du roman

À Madagascar ; Nosy Be, Dzamandzar, Tananarive et Tamatave :

Arthur : ami de Marc.

Ali Bacar : adjoint du commissaire de police d’Hell-Ville.

Attoumane : homme à tout faire du docteur Deccica.

Bienvenu : détenu à la prison de Tsiafahy.

Commissaire de police de la ville d’Hell-Ville sur l’île de Nosy Be.

Deccica : docteur en biochimie.

Haroun : chauffeur de taxi.

Henry : avocat.

Maoulida : cousin de Zakia, Mariama et Bertine, il travaille pour le docteur Deccica.

Mariama : guérisseuse et sœur de Bertine et de Zakia.

Moussa : homme à tout faire du docteur Deccica.

Ousseni : jardinier à l’hôtel des trois baobabs.

Panki : artiste peintre.

Ravalomana : avocat.

Raoul : ami de Marc.

Saïd : beau-frère d’Haroun et mari de Mariama.

Schmitt : technicien agricole.

Simon Blanc : directeur de l’hôtel des trois baobabs.

Thérésa : jeune fille.

Zakia : femme d’Haroun et sœur de Mariama et de Bertine.

Zarkachi : homme de main du docteur Deccica.

À Paris et en région parisienne :

Bertrand : chef cuisinier.

Édouard Utrillos : père de Pierre.

Gladdys : amie d’enfance d’Ingrid.

Guillaume Drigar : associé et René de Marvin et…

Hasting et ses sbires : Hans Peter et Silvio : mercenaires.

Ignès de Marvin : épouse de René.

Ingrid Rutéroy : épouse de Marc.

Marc Rutéroy : homme d’affaires.

Pierre Utrillos : président-directeur général du laboratoire MARNEX.

René de Marvin : président-directeur général du laboratoire ONITEX.

Romain : ami de Tamara.

Sally : épouse de Hasting.

Tamara : collaboratrice de Pierre.

Tony : flying doctor à Alice Springs en Australie.

PREMIÈRE PARTIE

Mercredi

– 1 –

À Hell-Ville, l’île de Nosy Be, Madagascar

Haroun Slam sortit de son taxi, une Renault 4 L bleue, et se dirigea vers le coffre pour en extraire un cabas rempli de victuailles, il esquissa un sourire en pensant que sa femme serait contente. Chaque fois que le docteur Tino Deccica faisait appel à ses services de chauffeur, il en était généreusement récompensé. En début d’après-midi, il avait conduit le docteur, comme tous les mercredis, jusqu’à l’ancienne usine sucrière désaffectée dans l’ouest de l’île et il avait été convenu qu’il viendrait le rechercher le lendemain vers quinze heures.

Haroun était devenu son chauffeur attitré et lui était dévoué corps et âme depuis qu’il avait sauvé Amadou, son fils aîné. L’image de son fils en sang, chutant du toit de leur case, le hantait chaque jour. Il y a trois ans, à la suite d’une tempête tropicale, la vieille toiture de la case avait cruellement souffert, comme son fils était d’une grande agilité, il lui avait demandé de refixer les tôles, tout se passait pour le mieux, Amadou s’activait avec dextérité sur le toit, lorsqu’une rafale de vent le déséquilibra, il chercha en vain quelque chose à quoi s’accrocher, mais il ne trouva rien pour arrêter sa dégringolade et il tomba d’une hauteur de cinq mètres. Haroun assista à toute la scène. D’un bond, il se précipita pour tenter d’amortir la chute de son fils, mais il arriva trop tard, Amadou se trouvait déjà au sol sans connaissance. Pris de panique, il l’amena au dispensaire de Hell-Ville et c’est le docteur Deccica qui prit en charge son fils et lui sauva la vie. Considérant dès lors avoir une dette envers lui, c’est tout naturellement qu’il lui proposa ses services de taximan, ce que le docteur accepta. Il faisait donc appel à lui chaque fois qu’il avait besoin de se déplacer sur l’île.

Haroun avait bâti pour sa femme et ses quatre enfants une case en bois sous tôle à l’extérieur de Hell-Ville.

Cent fois, il eut l’occasion d’aller s’installer en France, mais l’idée même de quitter l’île de Nosy Be lui était tout simplement impensable.

Sa case, située sur les hauteurs de la ville, était typique des constructions comme on en trouve à Madagascar, faite avec les moyens du bord. Trop petite pour contenir une cuisine, il y avait aménagé, un auvent où Zaria mitonnait les bons plats malgaches sur le four en pierre et où toute la famille prenait les repas. L’intérieur de la case se constituait d’une pièce de douze mètres carrés. Tout l’espace était occupé par trois lits qu’il avait confectionnés avec des branches de bambou coupées en brousse. Sa femme avait posé des toiles de jute en guise de matelas. Chaque couche disposait d’une moustiquaire. Avec l’aide de Saïd, son beau-frère, il venait d’achever la construction de la douche, un réservoir de capture d’eau de pluie avait été savamment placé permettant à la température de l’eau de varier entre trente et trente-cinq degrés, celle-ci se trouvait à dix mètres de son habitation.

— Zaria ! Je t’apporte de la nourriture.

Les enfants, heureux d’entendre la voix de leur père, coururent vers lui. Zaria savait qu’elle pourrait améliorer leur ordinaire composé de riz (le vary) et de bouillon parfumé à base de viande, généralement de zébu (le romazava), de manioc, de fruits à pain. Aujourd’hui, ils allaient pouvoir manger du poulet, des pommes de terre, et surtout boire du soda. Les gamins joyeux dansaient autour du père. Au loin, on entendait une musique malgache rythmée qui appelait au déhanchement. Le soleil brillait, l’air était humide. C’était le mois de mars, la fin de la saison des pluies. La veille au soir, il pleuvait si fort que la case en portait encore les stigmates. Zaria avait étendu les literies sur les tas de graviers qui se trouvaient devant la maison, profitant du temps ensoleillé pour les faire sécher.

Cette case, Haroun l’avait construite sur une butte à l’ombre d’un manguier centenaire d’où l’on apercevait la mer turquoise. Des boutres{1}, au loin, indiquaient que les pêcheurs s’affairaient. Ce soir, il irait au port de Mahatsinjo acheter du poisson. Il regarda machinalement passer la charrette de Saïd, tirée par deux zébus et chargée de sacs de fleurs d’ylang-ylang dont le parfum embaumait l’air. Haroun était un homme heureux, son commerce de taxi marchait bien, jamais sa famille n’avait connu la faim. Peu de Malgaches pouvaient en dire autant.

Aujourd’hui, il avait conduit le docteur Deccica à Dzamandzar sur la côte ouest de l’île. Il ne posait aucune question, ayant trop d’estime pour lui, néanmoins il se doutait bien que dans cette usine en partie désaffectée, ce n’était pas que de la culture de plantes in vitro qui y était produite. Comme de nombreux habitants de l’île, il avait constaté des ballets de camions et d’importantes rotations d’hélicoptère. Dans le bourg, on disait qu’il s’y passait d’étranges choses. Les villageois avaient peur et les rumeurs allaient bon train.

 Cette usine, ancienne distillerie de canne à sucre, connut ses heures de gloire jusque dans les années 1972. À cette époque, Haroun avait dix-sept ans, ses souvenirs étaient encore vivaces et douloureux. Lors du soulèvement populaire contre le régime et le néocolonialisme français, son père, sa mère et sa fiancée, périrent, le laissant seul au monde. Sa rencontre avec Zaria eut lieu bien plus tard. Elle était plus jeune que lui. C’était une femme de trente-sept ans, qui en paraissait bien cinquante. Sur douze grossesses, uniquement quatre enfants survécurent.

Il était perdu dans ses pensées, lorsqu’il entendit :

Haroun ! Salam aleikoum !

Aleikoum salam, Saïd, répondit-il.

Said sauta de son chariot avec légèreté et attacha ses zébus à une palissade, puis se dirigea, soucieux, vers son beau-frère. Saïd était marié avec Mariama, la sœur de Zaria, mais depuis le décès de leur seul fils, ils vivaient séparés. Aujourd’hui, pour aller déposer son chargement de fleurs d’ylang-ylang à la distillerie, c’est volontairement qu’il fit un petit détour pour passer devant le banga{2} d’Haroun. Il devait lui parler du docteur.

Il connaissait parfaitement les liens qui unissaient Haroun et le docteur Deccica. Bien qu’il se fût toujours méfié du doc, jamais il n’était intervenu dans leur relation. Il avait beaucoup d’estime pour Haroun, mais ce que Mariama venait de lui confier était de nature à compromettre la réputation de toute la famille.

Saïd était un Comorien de la ville de Sima à Anjouan, en 1975 il décida de quitter les Comores pour aller se réfugier à Madagascar sur l’île de Nosy Be. Cette île lui rappelait en bien des points son pays aussi bien par la faune que la flore et comme à Anjouan, les femmes appliquaient sur leur visage le m’sindzano{3}. Il avait l’impression de n’avoir pas quitté son pays, tant les similitudes culturelles se rejoignaient. Bien sûr, ses parents et ses amis lui manquaient.

Tout comme ceux d’Haroun, ils avaient péri lors du soulèvement en 1975. Seuls sa petite sœur et lui avaient survécu. À cette période, aux Comores, les coups d’État se succédaient. Il se souvenait parfaitement du 3 août 1975, où Ahmed Abdallah, le chef du nouveau gouvernement, fut renversé par le Front. Il avait vu Bob Denard, l’homme de main des services français et ses mercenaires jouer un rôle très important afin qu’Ali Soilih reprenne les rênes du pouvoir. Que de sang versé ! Et pour quel résultat, actuellement son pays d’origine était considéré comme le cinquième pays le plus pauvre du monde !

Il y était retourné l’année dernière en juillet, à l’occasion du mariage de son neveu. Il s’était promené dans les rues et dans la médina de Mutsamudu, capitale de l’île d’Anjouan. Il se souvenait d’avoir quitté Anjouan, certes soumise à des émeutes, mais prospère, et l’état actuel de paupérisation dans lequel cette île se trouvait, le plongeait dans une profonde mélancolie. Malgré les joyeuses festivités, la tristesse lui nouait la gorge, il se sentait au bord des larmes, mais des larmes de colère. Les Anjouanais désertaient par centaines leur pays pour aller rejoindre « l’eldorado ». L’île de Mayotte, l’île sœur qui lors du referendum de 1975 avait choisi de demeurer française.

Il pensait à ce bras de mer de l’océan Indien entre les îles d’Anjouan et Mayotte distantes d’environ soixante kilomètres. Il imaginait ces hommes, ces femmes et ces enfants qui pour fuir la misère avaient choisi de braver le danger d’une mer qui lorsqu’elle se déchaînait ne laissait aucune chance à ces Kwassa-Kwassa{4} conçus pour contenir une dizaine de personnes, et qui en réalité embarquaient plus d’une cinquantaine d’hommes, de femmes et d’enfants. Ne disait-on pas de cet endroit que c’était le plus grand cimetière marin de l’océan Indien ? Il avait mal dans tout son corps en se représentant la souffrance morale, physique et intime que ces gens-là devaient endurer. C’était tout simplement abominable.

« Jusqu’où l’homme est-il capable d’aller et qu’est-il prêt à endurer ou à faire pour fuir la misère ? »

C’est tous les jours que Saïd se posait cette question.

Saïd se dirigea vers Haroun et lui dit :

Manoa ahoana{5}.

Au premier regard, il vit immédiatement que quelque chose préoccupait son beau-frère…

Zaria, revêtue du magnifique salouva{6} que son mari venait de lui offrir, l’accueillit avec une limonade glacée faite maison.

Comment va ma sœur Mariama ? demanda-t-elle de sa voix chantante.

Mariama était son aînée de cinq ans. Elle était une ombiasy{7}, elle savait comment traiter beaucoup de maladies et notamment le paludisme et connaissait les propriétés des plantes de Nosy Be. Les gens arrivaient de partout pour se faire soigner par elle. Sa réputation allait même jusqu’à la grande île.

Tu la connais, toujours en brousse à la recherche de nouvelles plantes médicinales.

Puis se tournant vers Haroun, d’une voix grave, il dit :

Beau-frère, j’ai besoin de te parler.

Haroun vit le visage de Saïd pâlir et prendre un air dur alors, sans hésiter, il le prit par le bras.

Suis-moi.

Il pressentait que cela devait être important, car son beau-frère n’était pas du genre à parler pour ne rien dire. Puis, se tournant vers Zaria :

Que personne ne nous dérange.

Il savait que Zaria, en bonne épouse, ferait le nécessaire. Soucieuse, elle sortit de la pièce et ferma la porte, puis alla rejoindre les enfants qui jouaient tranquillement sous l’ombre du manguier.

– 2 —

À Paris

La sonnerie stridente du téléphone ramena Tamara à la réalité. Elle s’étira et regarda machinalement l’heure sur son ordinateur, elle indiquait vingt heures, elle avait bossé toute la journée sur un nouveau projet. En début de matinée, Pierre Utrillos l’avait convoquée dans son bureau pour lui confier une mission, elle devait préparer le lancement de l’innovante poche de nutrition parentérale qui allait hisser le laboratoire Marnex en première place de toutes les ventes en milieu hospitalier.

Cela faisait plus de dix ans que Tam travaillait pour ce laboratoire. Elle avait été une aide précieuse pour Pierre, lorsqu’il y a trois ans, il avait été mis sur la touche par le conseil d’administration. Une fronde, organisée par Marc Rutéroy, un ancien membre de ce conseil, aurait presque obtenu l’éviction de Pierre, mais grâce à la pertinence de Tamara, elle leur remit un dossier montrant Marc et un concurrent direct, en négociation avec des documents compromettants en main.

Marc fut remercié et licencié sans indemnité pour faute professionnelle. Depuis, Pierre avait pris Tamara sous sa protection.

Pierre Utrillos, nommé président-directeur général, insuffla un nouveau dynamisme et permit au laboratoire Marnex, qui avait jusqu’alors connu des hauts et des bas, de revenir au-devant de la scène. Pierre avait, comme on dit, « le vent en poupe ».

Tamara était une charmante femme active de trente-cinq ans, d’un mètre soixante-cinq, mince. Ses longs cheveux auburn encadraient un visage triangulaire. Ses yeux pétillaient d’intelligence et attiraient le regard. Elle faisait partie de ces jeunes femmes sûres d’elles, dont la réussite professionnelle effrayait certains hommes. Certes, des aventures, elle en avait connu, notamment une assez sérieuse avec Stéphane. Était-ce la routine qui eut raison de leur couple ? En tout cas, elle était seule et libre comme l’air. C’est, à coup sûr, son emploi qui l’avait sauvée d’une dépression certaine. Elle ne comptait pas ses heures au travail et prenait très rarement des vacances.

Tamara décrocha le combiné.

Tamara Reas, j’écoute !

Salut Tam, c’est Romain.

Romain ! Depuis combien de temps que je ne t’aie pas entendu ? Attends, laisse-moi réfléchir, depuis la coupe des surfeurs à Saint-Leu. Quelle surprise, que me vaut ton appel ?

Tam, je suis de passage à Paris, je reprends l’avion demain pour Antananarivo et ensuite Nosy Be. Je dois impérativement te voir avant mon départ, c’est une affaire grave, je ne peux pas t’en parler au téléphone. Tu te souviens du resto le Touareg bleu ? Je t’y attends, peux-tu y être dans une demi-heure ! Surtout, ne me dis pas non, tu es la seule personne qui puisse m’aider ou plutôt je devrais dire : nous aider.

Tamara avait rencontré Romain à Saint-Leu, une petite ville touristique de l’île de la Réunion, un paradis pour les surfeurs.

Elle le revoyait domptant les vagues, restant plusieurs heures à attendre la vague, sa vague. Ils avaient le même âge. Il était bâti comme un athlète. Il aurait pu être un jeune premier au cinéma. Il n’avait rien à envier aux acteurs américains. Les jeunes filles et ainsi que les femmes d’âge mûr n’avaient d’yeux que pour lui. La gent masculine le jalousait. Lorsqu’il apparaissait, il éclipsait tous les hommes et pourtant, il n’avait pas eu de chance dans la vie. Tam avait toujours pensé que Romain était un borderline, souvent à la frontière du bien et du mal, impulsif et instable.

Après des déboires judiciaires, découlant directement de l’arrêté pris par le préfet de la Réunion d’interdire tous les sports nautiques à la suite de multiples attaques de requins, Romain avait dû jeter l’éponge et comme bien d’autres, il ferma son club de surf. Après maintes hésitations, il choisit de s’établir dans le nord de Madagascar, à Nosy Be. Avec ses ultimes deniers, il acheta une barque à moteur, il en prit une avec un auvent afin de protéger les touristes du soleil et de la pluie. Il gagnait ainsi de quoi survivre en faisant du cabotage d’île en île.

J’allais partir, je prends un taxi et j’arrive dans vingt minutes. Tout dépend du trafic, tu sais, à cette heure-ci à Paris, ce n’est pas Nosy Be, on doit se frayer un chemin parmi les embouteillages.

Un frisson lui parcourut le dos. « Romain, dans quelle affaire t’es-tu fourré ? »

Tamara, emmitouflée dans son manteau en cachemire bleu marine, sortit de l’immeuble situé boulevard Voltaire et constata que la circulation était bloquée.

Il fallait oublier le taxi.

Je ne serai jamais dans une demi-heure rue Jean-Pierre Timbaud, c’est mission impossible.

Bien que souffrant de claustrophobie, elle opta pour le métro. Elle avait toujours une appréhension à prendre ce moyen de transport. Mais là, si elle voulait être à l’heure au rendez-vous, aucune autre possibilité ne s’offrait à elle. Elle consulta un plan. Après avoir localisé les différents changements, elle prit son courage à deux mains et pénétra dans la bouche du métro. À la station République, elle repéra le panneau d’indication de la ligne 3 et descendit à la station Parmentier. Finalement, cela avait été moins angoissant qu’elle ne l’avait pensé.

Le restaurant se trouvait à quelques mètres. Elle aperçut Romain faisant les cent pas sur le trottoir, visiblement nerveux. Tamara le regarda, avec des sentiments confus. Elle était heureuse et préoccupée à la fois de le revoir après tant d’années. Romain leva les yeux, et lorsqu’il la vit il eut ce magnifique et irrésistible sourire éblouissant qui la faisait tant craquer. Il se dirigea vers elle.

Tam, ma chérie, quel plaisir de te revoir, tu n’as pas changé, toujours aussi rayonnante. Mais que vois-je ici, au milieu du front, serait-ce une ride ?

Romain, un compliment suivi d’un sarcasme, j’observe que toi non plus tu n’as pas changé. Rentrons, les giboulées de mars ne sont pas agréables et j’ai faim. L’idée de manger un tajine aux poires m’est plus que plaisante.

Avec ce charmant sourire qui accentuait ses fossettes, Romain ouvrit la porte du restaurant et céda le passage à Tam. Il avait réservé une table pour deux au sous-sol. Ils descendirent l’escalier en colimaçon, un serveur les accompagna jusqu’à leur table un peu à l’écart.

Voici la carte !

Ce n’est pas la peine, j’ai déjà choisi, dit Tam, je prendrai un tajine de poulet aux poires.

Et moi, un couscous royal, vous nous apporterez un gris de Tunisie, dit Romain.

Tam ajouta avec un sourire :

Et une bouteille d’eau gazeuse. Avez-vous de la Cilaos ?

Malheureusement, non, répondit le serveur, je peux vous proposer une San Pellegrino ou de la Badoit.

Elle opta pour une San Pellegrino.

Une fois le garçon éloigné, Tam se pencha vers Romain :

Bien, Romain, que t’arrive-t-il ?

Romain la regarda intensément.

« Décidément, pensa-t-il, elle n’a pas changé, éternellement très jolie, et toujours très directe. »

Que sais-tu de Marc Rutéroy et est-ce que le nom de Tino Deccica te dit quelque chose ?

Tam fut surprise par le ton sérieux de sa voix.

« Cela doit être grave, je n’ai jamais vu Romain si soucieux », pensa-t-elle.

Eh bien, Marc Rutéroy a été embauché au laboratoire Marnex comme adjoint du directeur des achats par Édouard Utrillos, le père de Pierre, l’actuel président-directeur général. À la mort d’Édouard, il a voulu faire cavalier seul et s’est fourvoyé. Il a essayé de faire accuser Pierre d’entretenir des relations avec notre concurrent direct, le laboratoire Ornitex. Marc désirait le siège d’Édouard, il était parfaitement informé que les négociations en cours avec le conseil d’administration du laboratoire Marnex allaient désigner Pierre à la place de son défunt et regretté père. J’ai eu vent des projets de Marc, il était prêt à tout pour récupérer le poste de P.D.G., ma secrétaire ayant surpris une conversation entre Marc et un inconnu avait enregistré, avec son téléphone, leur conversation qui ne laissait aucun doute quant aux plans machiavéliques de Marc pour évincer Pierre. Mais ce n’est pas tout, une de mes amies a pu se procurer des documents qui ne laissaient aucun doute sur les tractations véreuses et déloyales de Marc. Je n’ai jamais aimé ce type, je l’ai toujours trouvé trop mielleux, trop bien élevé, trop propre sur lui. D’ailleurs, je peux dire sans me tromper qu’il ne m’appréciait pas, il se méfiait de moi et à juste titre. Pour faire court, comme j’avais constitué des archives compromettantes sur lui, avec photos à l’appui, le montrant en pleine négociation avec René de Marvin qui est l’actuel directeur du laboratoire Ornitex, donc le laboratoire concurrent, tu me suis toujours ?

C’est un peu compliqué, mais continu, répliqua Romain. Tamara reprit.

Je n’ai pas hésité un instant et j’ai donné tout le dossier à Pierre, qui a demandé une réunion extraordinaire du conseil d’administration. Marc fut convoqué en urgence et il a été sommé de s’expliquer. À l’issue de l’entretien, il fut licencié pour faute grave, sans compensation financière, adieu le parachute doré, et manu militari, on lui intima l’ordre de débarrasser ses affaires personnelles du bureau. Je sais que le dossier est toujours devant le Conseil de prud’hommes de Paris.

Et pour Tino Deccica ?

C’est un docteur en biochimie. Il a bossé un temps à l’institut Clamecy et il a été limogé voilà maintenant plusieurs années pour ses travaux sur le génome humain, on peut le considérer comme un « apprenti sorcier ». Romain, tu m’inquiètes avec toutes ces questions, que se passe-t-il.

Tu sais que je me suis installé à Hell-Ville sur l’île de Nosy Be. J’ai monté une petite entreprise touristique. J’ai aménagé un bateau à moteur et je pratique du cabotage d’île en île pour les vacanciers. En ce moment, les affaires sont très dures, les touristes se font rares. Il y a encore un an, Nosy Be était une île florissante, très prisé, notamment par les touristes italiens. Une des conséquences du marasme économique mondial fait que le tourisme est en voie d’extinction et je ne te parle pas des dernières émeutes. On voit ici ou là quelques Wazas{8} qui viennent surtout des îles voisines comme Mayotte ou la Réunion, mais ils ne sont pas dispendieux, ils ont des oursins dans les poches. D’ailleurs, ils sont bien plus intéressés par les jeunes filles malgaches que par des balades en barque. 

Il prit la main de Tam, elle se laissa faire.

Tu sais, les affaires commencent à devenir difficiles, il est temps que cela cesse. Plusieurs de mes amis restaurateurs et hôteliers ont jeté l’éponge et sont rentrés en métropole. En ce qui me concerne, je ne m’avoue pas encore vaincu.

 Il la regarda droit dans les yeux

Tam, ce n’est pas pour me plaindre que je t’ai demandé de venir, c’est qu’il se passe d’étranges choses là-bas… Et j’en ai la preuve…

– 3 –

En région parisienne

Une heure plus tôt, un homme vêtu d’un imperméable foncé attendait le départ du dernier employé de la déchetterie de Brevannes. Il regarda à gauche, à droite et derrière lui, tout semblait calme. D’un geste brusque, il jeta sa cigarette à terre qu’il écrasa du bout de ses Church’s. Il adorait ces chaussures anglaises, qu’il achetait dans une boutique de Regent Street à Londres. Les giboulées de mars étaient encore glacées. Il remonta son col, fouilla dans sa poche, en sortit son téléphone portable et composa le numéro de Marc Rutéroy. 

En début d’après-midi, Marc l’avait appelé en lui demandant de passer vers dix-neuf heures. Celui-ci lui avait recommandé la plus grande prudence. Il n’avait pas besoin de ce genre de conseil, il avait l’habitude. C’était comme on dit « un professionnel du nettoyage ». Il avait déjà travaillé pour Marc, il s’en souvenait parfaitement, on n’oublie jamais un échec, surtout quand c’est le premier, son ego avait souffert, et dire qu’il s’était fait doubler par une nana, quelle garce.

Considérant avoir une obligation envers Marc, il accepta le rendez-vous, tout en se sachant surbooké, bien sûr il en ignorait le motif, mais, peu importait, c’est son honneur et sa réputation qui se jouaient.

Allô !

Je suis en bas.

Monte !

Marc coupa la communication, ferma le dossier sur lequel il travaillait et se dirigea vers la baie vitrée.

« Quel temps de chien », l’hiver n’en finissait pas.

Enfin, se dit-il à voix haute, l’heure de la revanche arrive, Pierre Utrillos, tu vas mordre la poussière. Il m’a fallu du temps et de la patience, et enfin le jour est arrivé, tu ne t’en sortiras pas indemne, tu vas payer et le prix sera fort.

L’espace d’un instant, un rictus agressif lui défigura le visage. Ses yeux d’un bleu azur prirent une couleur de bleu acier. Trois coups secs furent frappés à la porte.

— Entre !

Hasting avait fait la guerre du Golfe dans le corps des forces spéciales. En quittant l’armée, il constitua l’agence APRI (Agence privée de recherches et d’investigation). Pour ce faire, il avait embauché d’anciens mercenaires qui comme lui étaient sans état d’âme, seul comptait l’argent, leur unique maître.

C’était un homme d’un mètre quatre-vingt-dix, qui devait peser dans les cent kilos. Une large cicatrice lui barrait le front, un souvenir d’une attaque des moudjahidines.

Il avait fait partie du 7e corps des Marines, lors de l’opération tempête du désert. L’escouade qu’il commandait était tombée dans une embuscade en pleine vallée de l’Euphrate, à cent kilomètres de Bagdad, il avait perdu plusieurs camarades. Son courage, reconnu de tous et son dévouement envers ses hommes lui avaient valu la croix militaire pour acte de bravoure, mais il ne parlait pas facilement de cette période.

Hasting pénétra dans le bureau de Marc, s’installa dans un confortable fauteuil club de couleur marron. Marc se leva et vint le rejoindre.

Je te sers un whisky !

Tu as toujours ce vieux malt de vingt ans d’âge ? 

Ah, les habitudes me perdront, il arrive directement de Glasgow.

Marc se dirigea vers le bar, sortit deux verres en cristal de Venise qu’il posa sur la table basse, et fit couler le breuvage roux, puis alla chercher une bouteille d’eau de source ainsi que des glaçons, et s’assit au milieu du canapé. Il tendit sa main vers la cave à cigares en bois de rose de Madagascar, l’ouvrit et prit un cigare.

Sers-toi, Hasting, je te sais connaisseur de cigares.

Avec plaisir, je vois que tu es toujours un amateur de Montecristo.

Cela fait vingt-cinq ans, je dépense une petite fortune, c’est un de mes nombreux vices.

Ils prirent tous deux le temps d’allumer leur cigare. Marc commença par le palper pour apprécier ses qualités et ses défauts.

Tu vois, Hasting, un cigare c’est comme une femme. Il faut savoir l’apprivoiser doucement, prendre son temps.

Il tendit la main vers les ciseaux qu’il préféra au coupe-cigare. D’un geste sûr, il coupa la tête du cigare, juste à l’endroit où les feuilles sont enroulées horizontalement. Jamais il ne sautait l’étape de fumer à cru, qui lui procurait toujours un immense plaisir. Il estimait que cette étape essentielle représentait l’un des meilleurs instants passés en compagnie du cigare, où tous les arômes se révélaient : l’épice, le foin coupé et parfois des odeurs de sous-bois. Il prit une grande allumette et fit pivoter le cigare sur la flamme tout en tirant une bouffée. Il garda la fumée en bouche quelques secondes avant de l’expirer lentement. Marc considérait ce moment comme l’un des plus importants pour un amateur de cigare, un moment hors du temps, comme suspendu, où le monde peut s’arrêter de tourner.

Après sa troisième bouffée, Marc regarda intensément Hasting. On ne pouvait pas dire de Marc qu’il était un « bel homme », pourtant, il possédait ce charme qui captivait aussi bien la gent féminine que masculine et du haut de son mètre soixante-treize, il en imposait. Il allait bientôt fêter ses soixante ans. Il prenait soin de sa personne, manucure toutes les semaines, le coiffeur tous les quinze jours. Ses costumes étaient confectionnés sur mesure par un grand couturier milanais. Il était marié avec Ingrid depuis plus de 25 ans. Elle était restée à ses côtés, malgré les nombreuses aventures amoureuses qu’il avait eues et qu’il avait toujours. Un autre de ses défauts, il ne pouvait pas résister aux jolies femmes, et comme le whisky ou les cigares, il ne voulait pas s’en passer.

Et toi, Hasting, toujours la folie des belles automobiles ? laquelle as-tu en ce moment ?

Je possède deux voitures, celle dont je me sers tous les jours, c’est le dernier modèle de Land Rover, tu sais que maintenant tu peux choisir ton moteur, donc j’ai pris un moteur TDV6 diesel avec une accélération de zéro à cent kilomètres/heure en sept secondes six. De plus, elle est très pratique en ville comme à la campagne.

Si tu le dis !

Et l’autre, c’est un petit bijou, la Maserati Ghibli, 2979 CC avec une accélération de zéro à cent kilomètres heure en cinq secondes six, impressionnant non ? Je peux te dire que je les bichonne, elles au moins me sont fidèles, elles ne me déçoivent pas, comme ces putes de luxe qui ne sont intéressées que par la grosseur de ton porte-monnaie.

Si je t’ai appelé, Hasting, ce n’est pas pour te parler de voitures, mais c’est que ça remue du côté du labo Marnex.

Marc croisa ses longues jambes fines, il tira une autre bouffée de son Montecristo et en observa la combustion.

Pierre Utrillos va lancer sur le marché une nouvelle poche alimentaire qui, d’après mes sources, sera une bombe en milieu hospitalier. Il va, à coup sûr, prendre tous les contrats et cela représente une somme considérable et mettra ainsi le laboratoire Marnex en première place des ventes, sans parler des répercussions au niveau boursier. Cela, je ne peux le tolérer, je veux mettre un terme à son ascension sociale, je veux qu’un incendie ravage sa société. D’autre part, Utrillos doit disparaître de la circulation, tu as carte blanche pour ces deux actions.

Marc se leva et se dirigea vers un tableau, un Joan Miro, qu’il avait acquis sur un coup de folie lors d’une vente aux enchères et dont il n’avait jamais regretté l’achat, et avec beaucoup de précautions, il le décrocha du mur. Un coffre-fort encastré dans le mur apparu, il composa le code secret, l’ouvrit et en sortit un petit paquet enveloppé dans du papier kraft.

Voici cent mille euros pour commercer, tu en auras dix fois plus une fois que tout sera terminé. À l’intérieur, tu as également une photo de Pierre Utrillos et de sa famille.

Une ombre passa sur son visage. Il repensa au jour où le conseil d’administration du laboratoire Marnex l’avait convoqué pour lui annoncer son limogeage.

Il repensa au sourire de Pierre et à ce regard hautain, qu’il n’oublierait jamais…

Peu m’importe ce qu’il peut lui ou leur arriver, reprit-il.

Hasting se saisit du paquet, l’ouvrit, vit l’argent et la photo qui représentait Pierre accompagné de son ex-femme et de ses deux enfants, souriants et heureux de vivre. Cette photo respirait le bonheur.

Ils finirent tous deux leur cigare et leur verre de malt, plus rien n’était à préciser. Hasting savait exactement la façon dont il allait traiter ce dossier. Sans un mot, il se leva, fit un signe de la main et partit. Marc, perdu dans ses réflexions, attendit un moment avant de composer le numéro de son domicile :

Ingrid, tout est prêt pour ce soir ?

Je contrôle la situation

Tu as toute ma confiance Ingrid, je sais que tout sera parfait, comme d’habitude, tu es une excellente femme d’intérieur.

À quelle heure comptes-tu arriver ?

Dans une demi-heure, je regarde encore quelques détails d’un dossier.

À l’autre bout du combiné, Ingrid raccrocha, pensive.

Il rangea son bureau, enclencha les alarmes, enfila sa veste, et attrapa au passage ses clés de voiture. Avant de monter dans son véhicule, il alluma une dernière cigarette. Finalement, il était satisfait de la tournure que prenait sa vengeance.

– 4 –

À Paris

Ingrid passa en vue la table dressée par Bertine. Ce soir, Marc avait invité deux collaborateurs, l’un serait accompagné de son épouse et comme elle aimait les nombres pairs, elle avait convié son amie Gladdys. Il fallait que tout soit parfait, aucune place n’était laissée à l’improvisation. Finalement, elle était assez proche de Marc pour cela. Elle vérifia encore une fois la disposition de l’argenterie et les verres en cristal de Baccarat. Elle sourit en s’apercevant que Bertine avait parfaitement disposé le service de porcelaine de Limoges doré à l’or fin. Elle jeta un dernier coup d’œil au plan de table : « René de Marvin à ma droite et en face de moi, Guillaume Drigar, Ignès de Marvin je la place à la droite de Marc et en face de Gladdys, tout est parfait » se dit-elle satisfaite.

Le menu avait été pensé depuis plus de quinze jours avec le chef cuisinier Bertrand. C’était son amie Gladdys qui le lui avait recommandé. Au menu de ce soir, il y aurait quelques toasts, un tartare de noix de Saint-Jacques aux noisettes accompagné d’une sauce à la vanille. Après beaucoup d’hésitation, elle avait opté pour un confit de foie gras des Landes aux épices, suivit d’un chapon rôti aux parfums d’agrumes, accompagné de bûchettes de polenta, puis le plateau de fromages et en dessert, un mille-feuille à la vanille de Madagascar. Marc se réservait les choix des différents vins. Il excellait dans ce domaine depuis qu’il avait suivi des cours d’œnologie. Sa cave aurait pu faire pâlir le Palais de l’Élysée. Ingrid, le sourire aux lèvres, inspecta une dernière fois la table quand soudain elle aperçut une tache sur une des serviettes de table.

Bertine, cria-t-elle, venez tout de suite !

En entendant le ton de la voix de sa maîtresse, Bertine arriva tête baissée. Qu’avait-elle fait ?

Regardez, Bertine, cette serviette, où avez-vous la tête, changez-moi cela ! Et tout de suite !

Bertine, apeurée, s’empressa de s’excuser et remplaça immédiatement la serviette tachée.

Avez-vous encore besoin de moi, madame ?

Ingrid la foudroya d’un regard noir

Non, rendez-vous utile en cuisine, demandez au chef s’il a besoin de votre aide !

Les larmes aux yeux, elle se dirigea vers la cuisine.

Bertine était arrivée chez les Rutéroy depuis trois ans. Elle avait quitté Madagascar, son pays natal pour aider sa famille, surtout mère. Ses sœurs étaient toutes deux mariées, toutefois sa mère dépendait de la générosité de ses beaux-fils, et sachant qu’elle ne disposait que du nécessaire, elle souhaitait lui apporter un peu de superflus ; de plus, Bertine avait lu tant de romans-photos dont les histoires se déroulaient à Paris qu’elle en rêvait, de ce Paris.

Lorsque Marc Rutéroy, de passage à Nosy Be, lui proposa un poste de femme de ménage chez lui, en plein centre de Paris, elle accepta immédiatement. Maintenant qu’elle y résidait, elle regrettait souvent son choix, cependant, trop fière pour l’avouer aux siens, elle n’en parlait pas. Au contraire, elle leur décrivait la splendeur de Paris, la chance de pouvoir vivre dans un pays merveilleux, elle leur disait qu’elle s’y plaisait beaucoup, mais en fait, c’était tout le contraire. Une vie sans passion, dans une ville que l’on dit la plus belle du monde, mais dont les habitants sont froids, distants, suspicieux. Elle ne voulait pas leur avouer qu’elle regrettait d’avoir quitté Nosy Be. Oh, les Rutéroy étaient de bons patrons, mais il lui manquait l’affection des siens. La saison la plus difficile à passer et particulièrement insupportable c’était l’hiver. Ce froid la pénétrait jusqu’aux os lui donnant l’impression qu’elle n’arriverait jamais à se réchauffer. Alors, savoir que grâce à elle, sa vieille mère avait maintenant de l’argent, lui donnait la motivation et le courage nécessaire pour rester dans cette région tellement centrée sur elle-même.

Marc avait acheté un petit hôtel particulier de cinq cent cinquante mètres carrés rue Victor Hugo, dans le 16e arrondissement de Paris. Au rez-de-chaussée se trouvait une grande entrée, sur la gauche, la salle à manger puis le salon, de l’autre côté, la cuisine ; au premier étage il avait fait installer son bureau, ainsi que deux chambres avec salles de bains. Au dernier étage, trois chambres meublées dans le style anglais, dont deux avec salle de bain. Sous les combles, Marc avait fait aménager un studio très confortable avec douche pour Bertine.