Trafic à maripasoula - Evelyne Traversi - E-Book

Trafic à maripasoula E-Book

Evelyne Traversi

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Beschreibung

Avec son deuxième livre, l’auteure vous entraine en Guyane, pleine foret amazonienne. Vous vivrez au rythme des chercheurs d’or clandestins avec la violence, la haine, mais aussi de l’entraide et la compassion. Vous découvrirez le mode de vie des Amérindiens, vous vous infiltrerez dans le monde ésotérique et mystérieux des pratiques du chaman.

Après ses déboires malgaches, Marc se retrouve embringué en Guyane, en pleine forêt amazonienne, dans les turpitudes de l’orpaillage clandestin. Son ami Raoul lui demande de diriger le site de Maripasoula, mais le filon sur lequel les garimpeiros extraient l’or se raréfie. Un autre site d’extraction très prometteur vient d’être découvert. Toutefois, il y a un problème de taille, c’est que ce filon se trouve en amont du village amérindien de Twekeo, dont le chef n’est autre que le puissant chaman Kipiako. Les villageois se laisseront-ils déposséder de la terre de leurs ancêtres sans résistance ? Marc arrivera-t-il à échapper, une fois encore à Guillaume, commandant en chef d’Interpol, et fin limier, qui le suit à la trace depuis Madagascar ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Après des études de droit, Evelyne Traversi a exercé les fonctions de greffière à Paris puis pendant près de dix ans, dans les territoires et régions d'outre-mer.
Elle a découvert d'autres coutumes au contact des populations locales qui l'ont inspirée, ainsi que son expérience professionnelle et personnelle, pour écrire son premier roman.

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Évelyne Traversi

Trafic à Maripasoula

GUYANE

ISBN : 978-2-37789-781-0

Dépôt légal : Janvier 2024

L’unification de la sagesse avec les sentiments crée l’amour et l’amitié.

Ce roman est une œuvre de fiction. Si certains lieux sont réels, les situations et les personnages décrits sont issus de l’imagination de l’auteure. Par conséquent, toute ressemblance avec des personnes et des faits existants ou ayant existé serait purement fortuite.

Avertissement : ce livre contient des scènes susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes et des personnes non averties.

Cartes géographiques d’Amérique du Sud et de Guyane

(Source : Wikipédia)

Les personnages du roman

À Maripasoula

Carlos, le responsable du site d’orpaillage clandestin et ancien chef militaire de la guérilla colombienne

Diego, un garimpeiro, frère de Raimondo

Guillaume Drigar, le commandant-chef de service Interpol

Anna, la jeune prostituée

Maire du village de Maripasoula

Martial, le pilote de pirogue

Matteo, le fils de Suely la cuisinière de Raoul

Miguel, le bras droit de Carlos

Mira, la maquerelle

Raimondo, un garimpeiro et frère de Diego

Thomas, le médecin au site d’orpaillage clandestin

À Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni

Antoine, pilote d’hélicoptère

Arthur, ami de Raoul et de Marc

Commissaire de police

Charles, l’avocat de Raoul

Le Préleveur

Le Bijoutier

Marc Rutéroy, l’ami de Raoul

Raoul, ami de Marc et chef d’entreprise d’orpaillage légal et d’orpaillage illégal

Suely, la cuisinière de Raoul

Torrès, l’agent de police

Au village amérindien de Twekeo

Amaru, le jeune Amérindien

Chaman Kipiako

Kuliyaman

Paco, le père d’Amaru

Raoni, le jeune Amérindien

Tekoa, le père de Raoni

À Kourou

Capitaine Meyer

Général Gabin

Louis, journaliste à l’Indépendant de Guyane

Martin, l’ingénieur agronomique et spécialiste de la forêt amazonienne

Préfet de la Guyane

Procureur de la République

Victoria, docteur et épidémiologiste, chef du service des urgences de l’hôpital de Cayenne

Au Surinam

Le Péruvien

L’homme du Péruvien

Mira, la maquerelle

Jessica, agent d’Interpol

- 1 -

Région de Maripasoula, Guyane, site d’orpaillage clandestin

La température en ce début de soirée atteignait encore quarante degrés, et, en dépit de cette chaleur, Raimondo tremblait de froid. Il était trempé jusqu’aux os, des frissons désagréables traversaient son corps meurtri par la posture qu’il lui imposait sept jours sur sept. Son dos le faisait particulièrement souffrir. Assis sur les marches du carbet{1} qu’il partageait avec son frère, il regarda ses mains fripées par l’eau boueuse de l’Inini, un affluent du fleuve Maroni. Ses ongles n’étaient plus que des moignons, il avait posé du vernis pour essayer de les durcir, mais l’humidité les avait rendus mous, tout comme les ongles de ses orteils qui, enfermés de six heures du matin à dix-sept heures du soir, dans la moiteur de ses bottes en caoutchouc, présentaient des mycoses. La cuisinière du camp, réputée pour ses connaissances en plantes médicinales amazoniennes, préparait pour les ouvriers une concoction à base d’eau et de sel, mais rien n’y faisait. Quant à son dos, la seule chose qui le soulageait, c’était le caly{2}. Raimondo était un garimpeiro{3} brésilien arrivé en Guyane avec son frère, en pleine forêt amazonienne, pour trouver de l’or.

Il venait de finir son dîner pris à la cantine collective et maintenant, assit sur les marches de son carbet, il dégustait une bière tout en fumant son « joint ».

Au camp, situé à quelques mètres du site d’orpaillage clandestin, rien ne leur manquait, cependant, à l’exception des repas et des nuitées, ceux-ci à la charge du grand patron, tout le reste se monnayait en or. Au magasin d’alimentation, tenu par Leng le chinois, qui faisait également office de pharmacie, on pouvait acheter des vêtements, les indispensables bottes en caoutchouc ainsi que divers outils, et comme dit, tout se marchandait en or. Le chinois faisait ravitailler son commerce le plus souvent par des burrinhos{4} ou, quand les niveaux des eaux baissaient, par livreurs en motocyclettes ou par des quads. Toutes les marchandises devaient être soigneusement enveloppées dans des sacs plastiques de couleur noire, entourés de plusieurs couches de chatterton afin d’éviter que l’humidité ne les dégrade. Les pirogues traversaient en permanence le Maroni pour y apporter le matériel nécessaire à l’extraction de ce précieux métal.

L’approvisionnement s’effectuait via le Surinam, car se fournir en Guyane relevait du parcours du combattant, ces innombrables difficultés étaient organisées et orchestrées par les douanes françaises ou les militaires. Les garimpeiros organisaient de véritables filières logistiques, pour acheminer sur zones, hommes, matériels et marchandises tout cela sans éveiller les soupçons des autorités et avec l’accord expresse du Péruvien, qui régnait en maître sur ce commerce illicite.

Pour éviter que les pirogues tombent nez à nez avec les forces de l’ordre, chaque site clandestin bénéficiait d’une base arrière. Les gendarmes avaient conçu d’ingénieux barrages flottants, que certains piroguiers n’hésitaient pas à charger pour atteindre leurs destinations. Justement, ce soir à la cantine, Miguel relatait une altercation entre piroguiers et militaires. Ils avaient essuyé des tirs d’armes automatiques et, dans l’échange, trois garimpeiros furent mortellement touchés et le quatrième, blessé à l’épaule, avait dû être évacué par hélicoptère vers l’hôpital de Cayenne.

Tout en savourant sa bière, il posa son regard sur Carlos le Colombien. Un ancien chef militaire de la guérilla colombienne des FARC{5}, qui en total désaccord avec le processus de désarmement après l’accord de paix signé avec le gouvernement, mettant ainsi un terme à plus de cinquante ans de conflits sanglants, avait préféré fuir son pays. Grâce à la filière du Péruvien, il entra clandestinement en Guyane française. Bien qu’il ne fût plus combattant, il arborait tous les jours une tenue militaire impeccable. La plupart de ses uniformes provenaient d’un stock dérobé à l’armée, plus exactement aux légionnaires basés à Kourou.

Chaque fin de journée, Carlos, entouré de ses hommes de main, assurait la répartition de l’or récolté. Aujourd’hui, Raimondo avait trouvé vingt grammes d’or, une belle récolte en une seule journée. Carlos prélevait un pourcentage de quatre-vingts pour cent, après cette retenue, son salaire de quatre grammes alla compléter son pactole bien caché aux regards avides de convoitises, car plusieurs ouvriers imprudents s’étaient fait dépouiller. Les voleurs n’hésitant pas à pratiquer la torture, voire parfois même, à tuer. Une scène d’une violence inouïe et particulièrement insoutenable par la barbarie infligée par deux voyous lui revint en mémoire, le meurtre d’un jeune d’une vingtaine. Pour le spolier, ces deux truands lui firent endurer des sévices les plus abominables jusqu’à ce qu’il leur dévoile l’endroit où il cachait son maigre pactole. Malheureusement, il ne survécut pas à ses blessures. Au camp, les agressions et les brutalités gagnaient d’un cran jour après jour.

Raimondo pensait que Carlos, qui au demeurant devait garantir l’intégrité morale et physique des chercheurs d’or, entrait dans une forme de jouissance machiavéliquement obscure à chaque bagarre entre garimpeiros. Au lieu d’intervenir pour séparer les ruffians, il prenait un malin plaisir à souffler sur les braises. D’aucuns disaient qu’il allait même jusqu’à parier sur la victoire de certains.

La discussion entre Carlos et Miguel, son fidèle bras droit allait bon train. Malgré le bruit qui régnait dans le camp, des bribes de leur conversation parvenaient à l’oreille de Raimondo. Visiblement, un problème de taille semblait émerger : la nécessité de trouver impérativement un nouveau filon, car sur le site d’orpaillage actuel, l’or s’amenuisait à grande vitesse et le rendement quotidien ne suffisait plus. Miguel pointait du doigt un endroit sur une carte forestière.

Il songea un instant à sa femme restée à Oyiapoque{6} et à ses deux enfants. Dans son pays, le Brésil, les policiers et les militaires méprisaient les garimpeiros, ils les pourchassaient comme du gibier. Les dénonciations étaient légions, ceux qui se faisaient prendre finissaient dans les geôles brésiliennes où sévissait une barbarie carcérale. Les viols, les tortures, s’y multipliaient. Dans ces prisons bondées, les autorités pénitentiaires prenaient un malin plaisir à mélanger volontairement les condamnés de tous crimes. Le niveau de vie très bas au Brésil, et la pauvreté qui en découlait poussaient beaucoup de Brésiliens à entrer dans la clandestinité. Ils partaient soit vers la Guyane française, soit vers le Surinam.

Pour Raimondo, ce qui favorisa le choix de la région de Maripasoula, en pleine forêt amazonienne, au milieu de nulle part, dans cet enfer vert, marron et boueux, fut les conditions de travail plus acceptables qu’ailleurs et la réputation du grand patron Raoul, comme celle d’une personne de parole, tous les chercheurs d’or le respectaient.

Accompagné de son frère Diego, c’est sans aucune hésitation qu’ils se lancèrent dans cette aventure, digne des forçats du siècle dernier. Ils vivaient tous dans la crainte de voir débarquer des escouades de militaires. Dans le meilleur des cas, ils se feraient arrêter et seraient transférés dans des prisons guyanaises, qui leur offraient des conditions de vie bien plus acceptables que les geôles brésiliennes, et, dans le pire des cas, ils feraient l’objet d’une reconduite à la frontière et alors là, leur survie serait un véritable enfer, la police brésilienne n’avait aucun respect pour eux.

Raimondo connaissait les difficultés d’être un garimpeiro clandestin dans un pays étranger, ainsi que les difficultés engendrées par la convoitise. Il avait déjà travaillé dans plusieurs sites illégaux d’orpaillage. Il avait vu certains compagnons déracinés devenir agressifs et être en proie à une folie furieuse. Cette vie en forêt tropicale, dont l’humidité descendait rarement en dessous de quatre-vingt-dix pour cent, générait des épidémies, des maladies infectieuses. Le paludisme, très présent dans la forêt amazonienne, décimait beaucoup d’hommes et de femmes, la première cause étant financière, car peu d’entre eux pouvaient se payer les médicaments afin d’apaiser les souffrances causées par cette maladie transmise par le biais de piqûres de moustiques, omniprésents en Amazonie.

Son regard se reporta sur Carlos. « Il n’aura jamais les mains et les pieds froissés par l’humidité », pensa-t-il. Il l’observa longuement, avec des sentiments contradictoires, un mélange de crainte et d’admiration en quelque sorte. Du matin au crépuscule, il restait assis dans son fauteuil en rotin, qu’il ne quittait que pour aller manger, se coucher ou baiser. Son fusil systématiquement posé sur ses genoux, son molosse à ses côtés et à ses lèvres un cigare. C’est avec une jouissance sadique qu’il regardait les hommes s’échiner dans cette terre boueuse. Sur une caisse de bière vide qui faisait office de table basse trônaient ses fameuses jumelles. La journée, il s’en servait pour contrôler les récoltes d’or, puisque tout l’or trouvé devait faire l’objet d’un signalement au chef d’équipe. Rien que le fait de voir Carlos se saisir de ses jumelles limitait drastiquement les prélèvements d’or non déclarés.

Carlos était considéré comme un homme violent, envers les individus qui ne partageaient pas ses idées, ou qui ne lui obéissaient pas. Il ne tolérait pas les avis contraires aux siens. Les rumeurs sur sa vie sexuelle allaient bon train au camp. On rapportait que les femmes qui passaient entre ses mains se retrouvaient, pour les plus chanceuses, handicapées par la brutalité des actes charnels qu’il leur imposait et, pour d’autres, elles disparaissent purement et simplement et personne n’en entendait plus parler.

Tous les dimanches en fin d’après-midi, le campement recevait la visite de prostituées venues de Cottica{7}. Elles arrivaient en pirogue en traversant le fleuve Maroni.

Aujourd’hui, huit jeunes femmes se trouvaient au camp pour contenter trente-huit hommes, qui se taquinaient en attendant leur tour. Raimondo se réjouissait pour eux ; même s’il n’éprouvait aucune envie de faire l’amour uniquement pour se satisfaire, il comprenait le besoin physique de ces ouvriers. Il n’y adhérait pas, pas seulement au regard de la mère de ses enfants, en réalité, il trouvait cela trop bestial. Il pensait à ces malheureuses filles, peu d’entre elles choisissaient librement ce travail. Pour la plupart, elles restaient soumises à des menaces de représailles envers leur famille, pour d’autres, elles avaient été kidnappées.

Les douches de fortunes étaient prises d’assaut. En attendant leur tour, les hommes, heureux, faisaient la queue en se chamaillant. Ce débordement de sérotonine contribuait à leur faire oublier leur pauvre corps blessé par ce boulot de bagnard. Il repéra son frère en train de séduire une jolie brune et lui fit un signe de la main auquel il répondit par un clin d’œil. Souvent, il avait regretté de l’avoir entraîné dans cette aventure. C’est le bien-être de leur famille qui motivait en grande majorité les garimpeiros et tous espéraient tomber sur la grosse pépite. Mais le prix à payer était élevé, un travail de forçat dans des conditions d’hygiène déplorables ajouté à l’insécurité grandissante, due bien souvent à une consommation d’alcool immodérée et à la prise de divers produits psychotropes.

Carlos se leva et se dirigea vers une jeune fille frêle et visiblement craintive qui ne devait pas avoir plus de seize ans. À son approche, les autres prostituées s’éloignèrent, elles connaissaient toutes sa violence envers les femmes. Seule restait cette jeune fille, dénommée Anna, qui paraissait tétanisée par la peur, Il s’avança vers elle à grands pas, son fidèle chien le suivait, il portait son fusil en bandoulière. Que pouvait faire cette pauvre petite face à la bestialité de Carlos ? Rien, juste à subir l’épreuve qui allait être la sienne.

En observant cette gamine, Raimondo eut l’impression qu’elle priait Dieu, certainement pour qu’il lui donne la force et le courage de supporter l’agression physique qu’elle s’apprêtait à endurer.

Il aperçut Mira, la patronne du bordel se précipiter immédiatement vers Carlos et il l’entendit distinctement lui dire :

—Amigo, como estas? No te lleves a esta chica, esta es la primera vez que viene aquí, toma otra chica con más experiencia{8}.

—Puta, vete ! Ella es la que quiero{9}9.

Brutalement, il empoigna Anna par le bras et l’emmena vers son carbet. D’un revers de pied, il ferma violemment la porte et poussa le verrou dans la gâche. Le bruit que fit le verrou entrant dans la gâche fit s’arrêter les rires et les discussions pendant plusieurs secondes. Puis, quelques instants plus tard, ils reprirent de plus belle. Sur des airs de samba, les hommes dansèrent avec les prostituées avant de les baiser dans des lupanars improvisés. L’alcool coulait à flots, la nuit promettait d’être très chaude.

Raimondo, très attristé par le sort de la petite, observa la scène sans bouger.

« Que puis-je faire pour elle ? se dit-il. Rien. »

Était-ce par manque de courage ? Sûrement, à chacun sa croix, cela ne le concernait pas. Il évitait de se mêler de ce genre d’histoire, de plus, il ne connaissait pas cette fille. Personne ne s’étant interposé, la réputation de Carlos suffisait à s’abstenir d’intervenir au risque de se prendre une balle entre les deux yeux.

Les festivités se poursuivirent et, curieusement, aucun bruit ne s’échappa du carbet de Carlos.

« Se pourrait-il que, pour une fois, cet homme féroce se soit comporté comme quelqu’un de respectable ? »

Demain, une rude journée attendrait chacun de ces hommes. Raimondo leva les yeux au ciel, aucune étoile ne scintillait dans la nuit noire, une pluie diluvienne se remit à tomber. Il prit le temps de prier Dieu, pour avoir la force de passer une autre journée de travail sans problème et sans aucun accident. Il avait signé pour un contrat de quatre mois, il se trouvait dans ce camp depuis un mois, il lui en restait trois.

Sa bière terminée, il se redressa péniblement, jeta un dernier regard vers le carbet de Carlos, « pauvre fille », pensa-t-il tout en se dirigeant vers son hamac, et s’y installa confortablement.

— Ah ! quelle idée de génie cette invention faite par les Amérindiens ! dit-il à voix haute. Le hamac servait aussi bien de couchage que de siège. Il prit soin de s’assurer que la moustiquaire était bien en place, un geste primordial pour se protéger des moustiques, des scolopendres, des papillons de nuit urticants, des serpents, des araignées et bien d’autres… À peine installé, malgré la musique, les rires et la cacophonie qui régnaient au camp, il plongea dans un profond sommeil.

— Raimondo, Raimondo, Raimondo, réveille-toi ! 

Il ouvrit péniblement les yeux, il aperçut Diego complètement affolé.

—O, que pasa ? dit-il dans sa langue.

D’un bond, il sauta hors de son hamac. Il chaussa ses bottes et suivit son frère. Ils se dirigèrent vers le carbet de Carlos. Son cœur se serra à l’idée de découvrir le sort que celui-ci avait réservé à cette fille. Raimondo jeta un coup d’œil autour de lui. Il aperçut au loin Miguel en conversation avec le téléphone satellite.

« Mais à qui téléphone-t-il ? ».

Un attroupement se formait devant le carbet de Carlos. Il se fraya un passage pour accéder à la porte grande ouverte. Thomas, le médecin du camp se trouvait sur le palier et il secoua la tête et en disant « C’est fini, il n’y a plus rien à faire ». Ses mains et sa blouse blanche étaient recouvertes de sang.

Raimondo maîtrisait difficilement sa colère grandissante. Il s’en voulait de n’avoir pas eu le courage, hier soir, d’affronter Carlos, et d’avoir abandonné cette gosse à ce sadique.

« Quel ignoble salaud ! Cette malheureuse jeune fille avait la vie devant elle, que lui a-t-il fait subir ? » pensa-t-il.

Il pénétra précipitamment dans la pièce et fut arrêté dans son élan, la stupéfaction d’une scène d’horreur abominablement dantesque et pour le moins inattendue lui fit faire un pas en arrière, il n’en croyait pas ses yeux.

— C’est invraisemblable, c’est une scène apocalyptique, comment est-ce possible ? dit-il à haute voix.

Un peu plus tôt dans la soirée…

Dès qu’elle fut entrée dans le carbet de Carlos, qu’il eut violemment fermé la porte d’un coup de pied puis, poussé le verrou, elle eut ce moment de doute et de peur, qui arrive lorsque l’on est réellement confronté à l’acte que l’on s’apprête à commettre.

Comment avait-elle pu avoir cette idée germée depuis près de deux ans, celle de tuer l’homme qui n’avait pas hésité à…

Elle méconnaissait tout du monde de la prostitution, et ne possédait aucune expérience dans ce domaine. Toutefois, elle n’ignorait rien du danger auquel elle s’exposait volontairement dans ce monde de la prostitution alimenté par le terreau fertile de la violence. Où, à chaque moment, tout pouvait capoter. Depuis ses premières démarches, faites auprès de Mira la maquerelle, elle vivait sur le fil du rasoir, souvent l’incertitude la gagnait. Carlos provoqua la cause de son immense chagrin et amorça le départ d’une vengeance implacable. Parfaitement conscience des risques encourus, elle ne se faisait aucune d’illusion sur les risques et les conséquences qu’un éventuel fiasco puissent anéantir son incroyable et effarant projet de châtiment, engendré uniquement par un esprit de vengeance.

Un courage irrationnellement mystique l’habitait, lui apportant une énergie impétueuse et une force phénoménale qu’il faut pour atteindre un objectif difficilement réalisable. Anna avait tout fait pour l’aguicher et malgré sa jeunesse, elle y était parvenue. C’est elle qu’il choisit parmi les autres prostituées. Maintenant, elle le regardait s’avancer, avec un sourire artificiel et arrogant aux lèvres. Sa stature incroyablement imposante la dominait. Elle paraissait si frêle, si minuscule et si inoffensive. Elle se demanda une fraction de seconde comment elle avait pu imaginer qu’elle pourrait parvenir à ses fins. C’est à cet instant précis qu’elle prit véritablement conscience de l’étendue de ses ambitions. Elle ne bougeait pas, quant à lui, ses yeux étaient rivés sur elle, il progressait tel un loup devant un agneau avec dans ses mains une trique. Après tant de nuits, tant de jours, à ne penser qu’à une chose : la vendetta. Elle ne se laissera pas impressionner ce bâton ? Si son objectif c’est de l’effrayer, c’est l’effet contraire qui se produira, car ce geste au lieu de l’intimider, contribua à apporter encore plus de résolution dans sa quête de justice.

J’ai soif, qu’est-ce que tu as à boire ? « C’est moi qui demande ça ? pensa-t-elle. »

— Du rhum !

Il se dirigea vers l’étagère où se trouvaient rangées des bouteilles de toutes tailles, en choisit une et prit deux verres.

Elle s’approcha de lui, car elle souhaitait, avant de le tuer, respirer son odeur pour graver à tout jamais dans sa mémoire olfactive ce moment qu’elle ne voulait pas oublier.

Avant de quitter la Colombie, elle avait soudoyé un pharmacien et avait ainsi pu se procurer une substance toxique paralysante et un puissant somnifère, ce dernier lui avait affirmé que le mélange était incolore et presque inodore. Elle incorpora ces deux éléments dans deux gélules, les plaça à l’intérieur d’un petit étui au fond de son sac. Ce qu’elle devait faire c’était de verser leur contenu dans le verre de Carlos. Le cœur d’Anna battait très vite, Carlos prit cela pour de l’appréhension et de la frayeur. Mira lui avait confirmé la virginité de cette fille.

— C’est la première fois pour toi, tu n’as pas à avoir peur de moi, laisse-toi faire, tiens, bois ce rhum, il est excellent.

Elle prit le verre et trempa ses lèvres dans ce breuvage roux. Elle grimaça, il sourit.

— « Je n’ai rien à craindre de cette jeune prostituée », pensa-t-il. Puis il posa son verre et se dirigea vers sa chambre pour faire un brin de toilette.

Lorsqu’il revint, Anna l’attendait complètement dévêtue, il la contempla avec avidité. Il pensait déjà au plaisir qu’il aurait à la déflorer. Anna alla chercher le verre de rhum qu’il avait laissé sur la table, et joua avec sa langue autour du rebord, il la regarda faire. Lentement, elle s’approcha de lui ; elle avait vu ça dans des films et s’en était inspirée. Calmement, elle lui tendit ce verre. Elle se trouvait si près de lui qu’elle pouvait respirer les effluves de son eau de Cologne bon marché dont il s’était abondamment aspergé. Il prit le verre et le reposa immédiatement. Il commença par la caresser avec des gestes brutaux. Il lui faisait mal. Il l’oppressait. Elle avait l’impression d’étouffer. En fin de compte, cela ne se déroulait pas du tout comme elle l’avait échafaudé. Il la tira par les cheveux, la poussa jusqu’à la table et, brutalement, la retourna. Elle sentait son sexe dur contre ses fesses. D’un coup sec, il lui écarta les jambes. Les larmes inondaient ses yeux. Comment avait-elle pu imaginer un instant, que tout se passerait selon ses prévisions ? Elle eut la présence d’esprit de dire :

— C’est pour moi la première fois, je désire d’abord faire l’amour dans un lit, ensuite tu pourras me prendre autrement, si tu veux.

Il s’arrêta, la retourna et la regarda, elle avait les yeux rivés aux siens, elle ne sourcillait pas. Il s’écarta d’elle, d’un geste rapide, la saisie par le bras et la mena vers la chambre. Au passage, il attrapa son verre de rhum qu’il but d’une traite.

Il la jeta littéralement sur le lit. En se déshabillant, il s’aperçut avec étonnement que ses mouvements devenaient maladroits.

— « Mais que m’arrive-t-il ? » Puis ses jambes commencèrent à trembler, elles devinrent lourdes. Avec difficulté, il voulut s’asseoir sur le rebord du matelas, mais ses gestes manquant de coordination, il s’affala sur le sol. Il se redressa avec difficulté. À présent, il ne contrôlait plus rien. Anna s’esquissa de sa bouche pulpeuse, un rictus agressif. Elle l’aida à s’allonger sur le lit et fini de le déshabiller. Maintenant, il était couché, les yeux grands ouverts. Il ne pouvait plus remuer ses membres, uniquement quelques grognements inaudibles sortaient de sa gorge, pourtant, il avait l’impression d’appeler du secours de toutes ses forces. Seuls ses yeux pouvaient se mouvoir. La peur et la terreur commencèrent à l’envahir. « Pourquoi mon chien si fidèle ne vient-il pas à mon aide ? Pourquoi cette garce de prostitué a-t-elle un couteau en main, et que compte-t-elle en faire ? Que me veut-elle ? Je ne comprends pas ».

Anna regarda avec dégoût son corps nu, il empestait la sueur acide

— « Pourquoi ne puis-je plus bouger ? » Puis il se souvint du rhum et de son arrière-goût un peu amer.

— « C’est ça, oui, bien sûr, elle a ajouté quelque chose dans mon verre, la garce ». Puis il l’entendit dire :

— Par quoi vais-je commencer, j’ai pensé découper ton sexe et te le mettre dans la bouche, l’idée est bonne qu’en penses-tu ? Mais cela risque de prendre du temps.

Affolé, il la suivit du regard, Anna porta la pointe du couteau sur son torse et d’un geste sec et rapide, elle pratiqua des incisions sur ses mamelons. Des jets de sang jaillirent sur son poitrail. Carlos ressentit une vive douleur.

— Tu te souviens de Pedro Conçuleo, je suis sa fille.

En entendant ce nom, ses yeux s’affolèrent, bien sûr qu’il s’en souvenait parfaitement. Ce chef d’entreprise en construction qui, malgré les menaces, refusait de payer les sommes demandées par les FARC et qui rejeta toute sommation, pourtant musclée, d’adhésion à la cause des combattants de la liberté. Aux yeux de la guérilla, c’était un vendu, un judas.

Deux ans plus tôt…

C’était un beau dimanche en fin de matinée, la journée s’annonçait ensoleillée. Les parents d’Anna décidèrent d’aller passer un moment à Medellín{10} dans la famille. Anna et son jeune frère préférèrent rester à la maison. Elle se souvint du regard désapprobateur de sa mère, pour elle cela était inconcevable que ses deux aînés restent seuls dans la maison. Ils devaient absolument les accompagner, leur tante ne les ayant pas revus depuis plusieurs semaines. Leur père intervint de manière habile comme toujours, et fit la céder. Le mécontentement de sa mère était palpable, « mais après tout pourquoi pas, se dit-elle. Ils seraient insupportables pendant le trajet », et elle voulait passer une agréable journée sans être continuellement en train de les réprimander, donc elle céda, après leur avoir donné des directives très précises. Puis, leurs parents prirent la direction de Medellín.

 C’est en fin début de soirée que tout bascula pour les deux enfants restés seuls au domicile de leur parent. Deux officiers de police, accompagnés de leur tante, vinrent frapper à la porte de leur résidence. Alors là, le sol se déroba sous les pieds d’Anna, elle eut le souffle coupé à tel point qu’elle s’effondra sur le sol, son petit frère pleurait. Ces deux policiers venaient de leur annoncer l’horrible nouvelle, celle de la mort de leur père, de leur mère et de leur petit frère. En l’espace d’une fraction de seconde, ils devenaient orphelins, le seul parent qui leur restait se tenait là devant eux, leur tante.

Anna sut plus tard que la voiture conduite par son père fut littéralement soufflée sous l’effet d’un tir de mortier. Ses parents n’avaient eu aucune chance. Elle venait d’avoir douze ans et son petit frère dix ans. Leur tante se vit confier leur garde par le juge. Un devoir familial qu’elle prit très au sérieux et dont elle remplit du mieux possible.

Par la suite, Anna apprit que les FARC étaient responsables de ces odieux assassinats, à leur tête, un certain Carlos. Dès lors, elle n’eut de cesse de le rechercher, se servant des nouvelles méthodes de développements informatiques, allant à la pêche aux informations. Jusqu’au jour, où elle sut qu’il avait fui la Colombie pour s’installer en Guyane française, elle mit en place un macabre dessein. Et après deux ans de quêtes, elle se retrouvait là, devant lui. Enfin !

***

L’homme qui avait été l’instigateur du meurtre d’une importante partie de sa famille se trouvait devant elle, et à sa merci.

— « Non, non, non, je refuse cette situation. Je suis un combattant, un guerrier, un meneur d’hommes. J’ai traversé tant de conflits dans des conditions difficiles, où j’ai risqué ma vie à chaque instant, je ne la laisserai pas avoir le dernier mot, c’est impossible ».

Jamais il n’avait connu la peur. Le contexte actuel le troublait par le fait d’être paralysé, ce qui le rendait provisoirement vulnérable et entièrement à sa merci. Certes, son corps restait inerte, mais ses réflexions cheminaient à toute allure. Il la regarda,

— « C’est bien la fille de son père, ce méprisable félon. J’aurais dû m’assurer que toute la famille Conçuleo était au complet dans le véhicule. Mais comment imaginer qu’une gamine puisse me traquer avec autant d’obstination ? En y réfléchissant, j’ai souvenir qu’à l’époque des faits, les journaux ont indiqué que toute la famille avait péri. Je ne me souviens pas d’avoir lu ou appris qu’il y avait eu des survivants ! La question que je me pose c’est : comment a-t-elle fait pour me retrouver ? Qui l’a aidé ? Dès que je me sors de cette situation, je la ferai parler en y mettant les moyens. Pour le moment, c’est elle qui mène la partie, mais elle n’a pas encore gagné et moi je n’ai pas encore perdu. »

Elle savourait ce moment de vengeance tant attendu. En le contemplant, elle se sentait étrangement calme et apaisée, son chagrin s’atténuait pour laisser place à un sentiment de triomphe. « Oui, c’est ça, le mot n’est pas trop fort, c’est une victoire », pensa-t-elle.

— « La drogue, que cette petite sotte m’a fait ingérer, s’estompe, pensa-t-il ». Il percevait très nettement des sensations au niveau des jambes. « Aurais-je une chance de m’en sortir ? » Il reprit confiance. « Ils sont nombreux, ceux qui ont voulu ma peau, ce n’est pas aujourd’hui que cela va arriver, et surtout pas par cette jeune merdeuse. »

Dehors la fête continuait, quelques hommes dansaient en attendant leur tour de prendre du plaisir dans la maison de débauche improvisée, d’autres, attablés au bar s’enfilaient téquila sur téquila. Qui aurait pu imaginer la tragédie qui se déroulait dans le carbet de Carlos !

Lentement, elle s’approcha de lui. Elle éprouvait de la fascination à son égard. La pointe du couteau caressait le corps dénudé de cet homme. En le regardant, elle eut un rictus de dégoût. Il se trouvait totalement à sa merci.

À ce moment précis, elle pensa très fort à son père, si intensément qu’il lui semblât l’apercevoir, souriant, les mains tendues vers elle. Un amour profond émanait de son regard. Elle secoua la tête comme pour être sûre de sa vision. Était-ce une hallucination, était-ce l’image de son père refoulée au plus profond de sa mémoire qui brutalement ressurgissait ? Il lui manquait tellement.

L’homme couvert de sueur, étendu sur des draps sales, était le responsable de son immense chagrin.

Depuis la disparition soudaine de ses parents, la mélancolie ne l’a plus quittée, se transformant en amie, attisant sa peine, faisant une armure autour d’elle et devenant le terreau et le principal élément du plan machiavélique qui se dessinait et s’imposait à elle comme une évidence.

— Tu as tué ma famille, tu t’en souviens ! Tu aurais dû t’assurer que tous ses membres étaient bien morts. Pour le coup, tu as merdé !

— « Elle n’aura pas le cran de me tuer, il faut avoir un certain courage pour cela, cette gamine n’a pas assez de couilles, elle fait quoi, cinquante kilos ? »

Carlos ressentait maintenant des fourmillements au niveau des mains et des pieds, c’était bon signe, cela voulait dire que les effets de cette drogue s’annihilaient. L’espoir revenait. Elle maintenait toujours la pointe du couteau sur son torse ensanglanté.

— « Jamais cette fille n’aura le sang-froid qu’il faut pour enfoncer le couteau, elle manque de courage, elle n’osera jamais », pensa-t-il. Dans ce domaine, il avait beaucoup d’expérience. Il en avait planté, des hommes ; si le couteau bute sur une côte on doit recommencer, et pour cela, il faut être doté d’une certaine forme de cruauté.

— « De plus, quel âge peut-elle avoir, entre quatorze et seize ans ? Que connaît-elle de l’anatomie, si elle me poignarde je suis sûr que je m’en sortirai sans trop de dommage, d’autant que mes forces reviennent, elle est si frêle et ne doit pas savoir où se trouvent les zones vitales. »

Comme si elle avait deviné ses pensées, elle reprit :

— J’ai toujours été la première de ma classe en biologie appliquée. Cette matière scolaire est très intéressante, tu vois, à cet endroit, là où je pointe mon couteau, c’est la carotide, une entaille exactement ici (elle enfonça légèrement le couteau et quelques gouttes de sang perlèrent sur son cou) et tu te vides en quelques secondes, c’est l’artère gauche qui provient de l’aorte.

Elle fit descendre le couteau jusqu’à la cage thoracique.

— Pourquoi pas ici, entre les deux poumons, c’est ton cœur.

Carlos commençait maintenant à percevoir très nettement l’évaporation des effets de la drogue. Il reprenait confiance. Il fit un rapide calcul

— « Je pense qu’une dizaine de minutes me suffiront avant que je sois capable de recouvrer toutes ses forces. Je dois la faire parler pour gagner du temps ». Il voulut dire quelques mots, mais aucun son audible ne sortait de sa gorge, juste des grommellements. Elle s’éloigna et il eut l’impression qu’elle s’adressait à quelqu’un, car mise à part eux deux, la pièce était vide. Il l’observa avec curiosité,

— Elle semblait comme possédée « Mais à qui parle-t-elle ? »

L’espoir l’envahissait. Il entendit son chien s’approcher du lit. En passant près d’Anna, il s’arrêta, elle s’accroupit et se mit à le caresser.

— Beau toutou, ce soir, tu n’auras plus ton maître, mais je suis sûre que tu en trouveras un autre, beaucoup plus gentil.