Troubled Hearts - Tome 2 - Marie Anjoy - E-Book

Troubled Hearts - Tome 2 E-Book

Marie Anjoy

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Beschreibung

Quels sont les lourds secrets enfouis dans le passé du ténébreux Nick ?

Pas sans toi lève le voile sur ce qu’il s’est passé avant Juste un défi entre nous… L’histoire retrace la vie des personnages avant la rencontre de Meg et Nick, et explique comment la situation du premier roman a pu se mettre en place : pourquoi Nick est-il devenu un dragueur invétéré ? Quelle est la vraie nature de son étrange liaison avec Suzie ? Comment Suzie a-t-elle rencontré Robert ? En quoi la mort d’Eve, la femme de Nick, est-elle liée à tout cela ?

Partez à la découverte du passé tragique et plein de secrets de Nick, Suzie et Robert... Là où les mystères sont toujours saupoudrés de passions sulfureuses et de drames inattendus.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

C'est un coup de coeur pour moi. Un roman beaucoup plus fluide et mature. J'ai adoré qu'elle mette de côté la partie érotique pour se concentrer sur le portrait complexe de ses héros. J'ai apprécié qu'elle conserve une certaine pudeur sur des séquences fortes et se concentre sur les démons intérieurs. - Gaoulette, Babelio

Le roman est vraiment très prenant, les personnages toujours aussi attachants et Marie Anjoy, n'a pas son pareil pour nous faire passer par milles émotions. - Clementine75001, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie Anjoy vit dans le Sud de la France. Désormais à la retraite, elle était infirmière. Rêveuse, elle écrit pour son plaisir depuis l’enfance, des histoires pour faire rêver, avec de beaux happy-ends, des romances à l’image de celles qui lui permettent de décompresser après des journées difficiles.

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À mon père qui, sans nul doute, serait très fier de sa fille.

« Attraper le bonheur, c’est vouloir retenir un papillon dans sa main ou le prendre avec un filet. »Bernard Giraudeau

Prologue

Robert

4 juillet 2014

La journée s’annonce chaude, l’ambiance festive, le cadre choisi par ma belle-sœur, idyllique. Elle a déniché, sur je ne sais quels conseils, cette colonie de vacances reconvertie en maison d’hôtes, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux et pas très éloignée de Saint-Émilion, belle petite cité médiévale que j’envisage de faire découvrir à Suzie demain.

Pour l’heure, je sirote une bière tout en suivant, amusé, une discussion animée entre mon frère Ludovic et un de nos cousins, Paul, qui débattent d’un sujet incontournable quand on est Bordelais : le vin. Leurs avis divergent, la gestuelle de Ludo en témoigne. Il tente de me prendre à partie alors que je passe près d’eux, mais je n’ai nulle envie d’entrer dans ce débat. De plus, j’exècre ce crétin depuis toujours, je me demande quelle idée saugrenue a eu Ludovic en le présentant à Mégane. Je ne suis donc pas étonné de l’issue de leur liaison. Meg mérite mieux qu’un compagnon imbu de lui-même qui cherche la compagnie de belles filles comme faire-valoir. Elle est évidemment éprouvée par ce nouvel échec, mais elle s’en remettra et rencontrera un jour son âme sœur.

Je cherche Suzie que je n’ai pas revue depuis que nous sommes revenus de l’église. Je me dirige vers la bâtisse assez quelconque qui se dresse au milieu de plusieurs hectares de vignes, mais que ses propriétaires ont rendue accueillante en soignant la décoration des chambres, y compris celles à plusieurs couchages. Malgré le fait qu’il faille parfois partager les lieux communs tels que les salles d’eau, elle possède un certain charme et accueille la plupart du temps des groupes importants de séminaristes qui cherchent à allier travail et détente. J’ai aussi entendu dire que l’on pouvait participer aux vendanges durant la période de récolte.

Je scanne la foule, toujours à la recherche de ma femme. Sur le point de me rendre dans notre chambre, qui a séduit Suzie malgré son charme désuet, j’entraperçois Nick qui vient probablement d’arriver. Je suis sur le point de l’interpeller et de le rejoindre quand ma mère m’intercepte, s’accrochant à mon bras.

— Mon chéri, si tu venais te joindre à nous quelques instants ? Ton père aimerait profiter de ta présence, tu nous as tellement manqué.

C’est réciproque. Depuis deux ans, il m’est impossible de leur faire face en tentant d’assumer mes mensonges. Encore moins de me confier à eux, la honte et la culpabilité me rongeant toujours comme au premier jour. De plus, comment pourrais-je justifier mes hurlements lors de mes cauchemars récurrents, s’ils venaient à les entendre ? J’évite donc, depuis ce jour-là, tout séjour chez eux. Je les aime tellement que je veux les protéger de ces démons qui me hantent, mais qui tendent à s’éloigner depuis mon retour à Bordeaux. J’ai donc assurément fait le bon choix en revenant chez moi.

— Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis heureuse de ta décision. Tu sais, la santé de ton père ne va pas aller en s’améliorant. Son attaque l’a beaucoup diminué et c’était très douloureux pour lui de n’avoir pas pu se rendre à ton chevet à l’époque de ton agression. Et tes visites ont été si rares. Tu as été un véritable courant d’air. Une journée par-ci, une journée par-là.

Je souris à ma mère et l’embrasse tendrement sur la joue en lui emboîtant le pas tandis qu’elle glisse son bras sous le mien. Elle soupire de plaisir. L’enfant prodigue est de retour pour son plus grand bonheur.

— Comment va Nicolas ? Pauvre garçon, quel karma ! Je ne connais personne qui a vécu autant de drames à tout juste trente ans. Je suis ravie de sa présence. Je suis persuadée que son séjour lui fera le plus grand bien. Et qui sait, il pourrait rencontrer une gentille jeune fille aujourd’hui. Les célibataires ne manquent pas. Tiens, comme Meg par exemple, où une de ses amies, Florence ou Élisa, conclut-elle en faisant un petit coucou à mon amie d’enfance qui ne la voit pas. Bon, pas sûre que ces deux-là soient vraiment le genre de compagne qu’il lui faut. Elles sont si… délurées. Mais Meg… Ils feraient un joli couple, et cette petite mérite un gentil garçon, ajoute-t-elle, concentrée dans son raisonnement.

Elle se trompe totalement. Flo serait la candidate idéale pour Nico… pour une nuit, voire tout son séjour parmi nous. Quant à Meg, même pas en rêve ! J’espère que ma mère n’a pas en tête de jouer les entremetteuses ! Parce que Nicolas et Meg, c’est impossible. Mais je n’ai pas à m’inquiéter, ma petite sœur de cœur n’est pas son genre de filles. Et de toute manière, s’il décidait de la draguer, elle le fuirait comme la peste. Elle déteste les bad boys. Et quels que soient les rêves de ma génitrice pour son chouchou Nicolas, ce dernier n’envisage pas de s’engager dans une relation durable. Il ne se remet pas de la perte d’Eve et je me demande s’il y parviendra un jour. Pour ça, il faudra qu’il rencontre une femme exceptionnelle, à la hauteur de son épouse disparue. Et ce n’est pas gagné.

— Maman, laisse donc ces célibataires faire eux-mêmes leurs choix de vie. Et Nico est assez doué pour se trouver des petites amies. Quant à Meg, malgré toute l’affection que je porte à mon meilleur ami, il n’est absolument pas la personne qu’il lui faut. Il la ferait souffrir. Alors n’essaie pas de jouer les marieuses.

— Ton ami, faire du mal à Meg ? Je n’y crois pas une seconde. Nicolas est un des jeunes hommes les plus tendres et respectueux qu’il m’ait été donné de côtoyer.

— C’est toujours plus ou moins vrai, mais il a beaucoup changé depuis la disparition d’Eve. Il a… on va dire… d’autres centres d’intérêt.

De babillage en babillage, nous retrouvons mon père dans son fauteuil roulant, installé à table. Je m’assieds à ses côtés. D’ici, j’ai une vue imprenable sur la porte d’entrée de la maison ainsi que sur le bar dressé sous une tonnelle à ma droite. Chemin faisant jusqu’ici, j’ai perdu Nico des yeux, et toujours pas retrouvé ma femme.

— Tu n’aurais pas vu Suzie, par hasard ? demandé-je à mon père qui n’a dû rater aucun va-et-vient vu sa position stratégique.

— Si, elle vient de rejoindre Nicolas. Regarde, ils discutent au comptoir.

Je tourne la tête vers le bar et les trouve en grande discussion. Nicolas rit à ce qu’elle lui dit tandis qu’elle lisse sa chemise dans un geste bien trop intime à mon goût. J’ai beau connaître ce degré de familiarité qui les lie depuis longtemps et davantage encore depuis quelques semaines, j’ai la certitude qu’elle a franchi un nouveau cap. Suzie porte son regard aux alentours. Je lui fais un petit signe de la main, espérant qu’elle me repère pour qu’elle nous rejoigne, mais elle ne semble pas me voir et se dirige d’un pas assuré vers la bâtisse tandis que Nicolas reste accoudé au comptoir. Mais quand il prend à son tour la direction de la maison, je comprends aussitôt qu’il va la rejoindre et devine leurs projets. Je devais m’y attendre tellement elle est nerveuse et tendue depuis son arrivée à Bordeaux. Sa crise de larmes et le seul réconfort de mes bras n’ont pas suffi à apaiser son malaise. Je comprends, mais la douleur n’en est pas moins vive en les imaginant ensemble, Dieu sait où. Certains jours, j’ai envie de lui foutre une dérouillée dont il se souviendrait toute sa vie. Cependant, je n’en fais rien. Par amour pour Suzie et pour ce crétin que j’aime un peu trop, peut-être. Sans lui, je n’aurais pas rencontré Suzie et ne serais pas tombé fou amoureux. Ma vie n’aurait pas de sens. Pas sans elle. Elle est ma moitié et je suis la sienne, pour l’éternité. Nous ne sommes rien l’un sans l’autre.

1Le retour

Suzie

Aéroport d’Orly, avril 2010

J’arpente le hall des arrivées depuis trois quarts d’heure et commence à perdre patience. Pour la énième fois, je consulte ma montre, rajuste mon sac de voyage sur l’épaule. Je déteste attendre, et mon meilleur ami, qui pourtant me connaît mieux que personne, me met à l’épreuve le jour de mon retour en France !

— Il ne perd rien pour attendre, grommelé-je entre mes dents.

Je souris à un jeune homme qui se dévisse le cou pour me déshabiller du regard et manque de percuter un passager plus pressé.

Oui, je sais, pensé-je mi-amusée, mi-fataliste, tous les mecs fantasment sur moi.

Je suscite l’attention dans cette tenue légère mettant en valeur mes longues jambes fines et musclées, ma taille de guêpe et une poitrine généreuse que ma robe près du corps souligne ostensiblement. J’attise la convoitise des hommes et la jalousie des femmes. Il semble que mon port altier et mon air dédaigneux ne rebutent pas les mâles, au contraire, et je m’exaspère parfois de devoir repousser ceux que mon regard de glace ne parvient pas à maintenir à distance. Mais en règle générale, j’avoue que ça m’excite terriblement !

Nico, je vais te tuer si je dois attendre encore cinq minutes.

Je m’installe sur le comptoir d’accueil et farfouille dans mon sac à la recherche de mon téléphone. Aussitôt, un steward — c’est bien sa chance — se précipite.

— Je peux faire quelque chose pour vous ?

Je dédaigne sa proposition et parviens à mettre, en un temps record, la main sur mon portable noyé dans le fatras des mille choses inutiles de mon sac. Triomphante, j’exhibe mon téléphone sous le nez du jeune homme pour lui faire comprendre, sans mot dire, que j’ai tout ce qu’il me faut. Ce dernier hoche la tête et s’éloigne afin de répondre à la requête d’une famille dont les enfants se disputent tandis que leur mère s’efforce de les contenir.

Je compose le numéro de mon ami. Répondeur !

— Nico, si tu n’es pas là dans cinq secondes, ce qui va m’obliger à appeler un taxi pour rentrer, je te jure qu’Eve peut déjà te trouver un remplaçant pour sa descendance parce que je vais te faire bouffer les couilles.

Sur ces paroles choquantes dans la bouche d’une jeune femme aussi élégante — pour reprendre les sempiternels reproches de ma mère —, je raccroche. La mère de famille me jette un regard horrifié tandis que ses mômes chuchotent et gloussent entre eux.

— Tu as entendu ? Elle a dit « couilles » !

Je les regarde en haussant les épaules. J’aurais presque envie de leur tirer la langue. Je me contiens et commence à compter à rebours.

— Cinq, quatre, trois, deux…

— Un, conclut pour moi un jeune homme.

Je me retourne, m’accoude au bureau, penche la tête en arrière et éclate de rire. Nicolas, les mains dans les poches d’un jeans brut, chemise blanche cintrée et entrouverte sous un blouson de cuir noir, me regarde en souriant.

— Je ne parviendrai jamais à savoir comment tu fais pour réussir ton coup à chaque fois.

— C’est tout un art, ma belle. Si je te révélais mon secret, je ne pourrais pas profiter de l’effet jubilatoire que ça me procure à chaque fois.

Je fais mine d’être fâchée et lui donne une tape sur la poitrine.

— Ça m’énerve parce que j’ai beau essayer de te repérer, je n’y arrive pas. Tu es très doué, inspecteur.

— Il paraît. Enfin, c’est Eve qui va être contente que tu ne portes pas atteinte à mes attributs. Viens dans mes bras, que je t’accueille dignement.

Je m’accroche à son cou et l’embrasse à pleine bouche. Cela peut paraître intime ou provocateur, mais c’est notre manière de nous dire bonjour.

Nicolas glisse ensuite mon sac de voyage sur son épaule. J’enfile mon manteau de laine pour affronter la fraîcheur des journées parisiennes, le temps ici est beaucoup moins clément qu’à Rome.

— C’est tout ? Tu as vendu ta garde-robe impressionnante pour subvenir aux besoins alimentaires de la planète, en souhaitant faire une bonne action ?

— Idiot ! lancé-je en glissant mon bras sous le sien. Le reste de mes bagages arrivera en container avec les affaires de mes parents dans le courant de la semaine et sera livré à Rambouillet. Lorsque je saurai enfin où je vais poser mes fesses, je les récupérerai.

— Seigneur, d’ici là, il va te falloir te contenter de quelques nippes !

Je lève les yeux au ciel.

— Je ne suis pas accro aux vêtements de créateur !

— Non, bien sûr que non ! Montre Gucci, sacs Vuitton, robe Lagarfield, chaussure Jimmy Choo…

— Ah non, tu te trompes ! La robe, c’est une Versace.

Enfants, nous jouions à découvrir l’origine des tenues portées par les inconnus que nous croisions. Nico est, indubitablement, le meilleur de nous deux à ce jeu-là. Cette distraction nous tenait occupés, cachés derrière les tentures des salles de réception, les soirs de galas à l’ambassade. Un petit divertissement que nous avons poursuivi par la suite, en toute occasion, en week-ends, au lycée, au resto… Nous pouvions tout identifier, y compris les enseignes telles que H&M, Zara… C’était l’une de nos occupations favorites pendant toutes les années durant lesquelles nous avons vécu ensemble.

Plus qu’un simple ami, Nicolas est mon compagnon de toujours, de deux ans mon aîné. Mon père avait recueilli ce petit orphelin quelques mois après la mort de sa famille. Sa seule parente, une tante, cuisinière attitrée de mes parents, s’avérait plus intéressée par l’assurance vie dont elle était bénéficiaire que par son neveu. Elle l’avait négligé plutôt que maltraité, bien que l’on puisse se demander où se situe la limite. C’est Georges, notre chauffeur, qui s’était ému devant ce petit bout de chou qui le suivait comme une ombre dans les couloirs de notre résidence à la recherche d’un peu de chaleur humaine. Cependant, son métier et son statut de célibataire ne lui permettaient pas de gérer un enfant si jeune. C’est ainsi, par un curieux concours de circonstances que Nico se retrouva un beau matin dans les bagages de ma famille, d’ambassade en ambassade pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’il soit autonome et termine sa scolarité en pension.

À l’annonce de son départ pour le pensionnat, je n’avais pas décoléré pendant plus d’une semaine. À quinze ans, d’un caractère bien trempé, je tenais tête à ma mère tandis que mon père cédait à toutes mes requêtes. Il me suffisait de demander et tous mes souhaits se trouvaient exaucés. Une vraie petite princesse devant laquelle tout le monde s’extasiait !

Cependant, cette fois-ci, rien n’y fit, même sous la supplique. Nicolas prit le chemin d’un établissement huppé ; il n’y avait rien à redire. Il manquait peut-être d’amour paternel, mais de rien matériellement. Je fus contrainte, quant à moi, de suivre mes parents de l’autre côté de l’Atlantique, pleurant tous les soirs, dévastée par cette séparation. Qu’allais-je devenir sans lui ? Malgré — ou à cause — de la distance, nos liens se renforcèrent. Je devins plus rebelle que jamais. Je prenais un vol quand cela me chantait et allait rejoindre Nicolas pour les vacances. Mon cursus scolaire en souffrit un peu, mais j’étais, aux dires de tous, brillante, intelligente, sans compter que je savais m’entourer des personnes à connaître et à fréquenter. Toujours au bon endroit, au bon moment, un sens de l’à-propos particulièrement subtil, disait-on. Nicolas, quant à lui, ne ratait jamais une occasion, quitte à se mettre en difficulté scolaire, de me suivre dans tous mes coups tordus. Nous profitâmes de mon autonomie pendant deux ans. Puis mon père usa de contraintes pour me remettre dans le droit chemin, selon ses propres dires. Ma position de fille d’ambassadeur, descendante d’une famille honorable, ne souffrait aucun dérapage. Je n’avouai jamais à Nicolas les raisons qui me firent, un temps, rentrer dans le rang. Il ne les connaît toujours pas : mon père menaça de lui couper les vivres. Il m’interdit de songer à une quelconque relation avec lui. Comme… si j’avais songé un jour à nouer des liens amoureux avec Nicolas, mon frère, mon confident, mon meilleur ami ! J’en fus terriblement blessée.

— Mais papa, je croyais que tu l’aimais ?

— L’aimer ? Je lui fais la charité depuis presque quinze ans parce que Georges nous l’a quasiment imposé ! C’est largement suffisant !

— Maman, dis quelque chose !

— Il suffit, Suzie ! Ce garçon n’est pas de notre condition ! J’ai fait preuve d’assez de largesses. Il obtiendra sa licence de droit, et basta ! Quant à toi, un autre destin t’attend.

Deux ans plus tard, l’ingérence de mon père dans ma vie faillit bien me tuer. L’année de mes dix-huit ans, à l’insu de ma famille, je rejoignis Nicolas et nous cohabitâmes pendant trois mois dans un petit studio sous les toits de Paris, à Montmartre, tandis que je suivais des cours d’art au Louvre. La peinture, ma passion ! Comme je n’étais pas encore majeure — il ne manquait que quelques mois afin d’obtenir ma liberté —, mon père envoya ses détectives à mes trousses et c’est ainsi que Georges nous retrouva un matin tranquillement installés à la table des Trois Magots et nous sermonna vertement. Je le suppliai de me laisser ici jusqu’à mon anniversaire, date à laquelle je pourrais échapper à la tutelle de mon géniteur. Rien n’y fit, ni mes prières ni son attachement pour Nicolas. Le pauvre homme ignorait les raisons de ma fugue, et je me refusais de les lui révéler, encore trop fragile pour dévoiler au monde le vrai visage de mon père.

Depuis, une haine féroce envers cet homme ne me quitte pas et je m’efforce sans relâche de ternir cette image de jeune fille honorable. Je n’ai de cesse de le défier et je ne compte plus le nombre d’hommes avec lesquels je me suis « pervertie ». C’est du moins ce que pense mon père.

— Depuis quand tu portes des chemises Hugo Boss ?

— Depuis qu’Eve en a décidé ainsi, c’est-à-dire depuis que nos salaires nous le permettent.

— Je suis si fière de toi, monsieur l’inspecteur de la PJ. Mais tu aurais pu embrasser une belle carrière de mannequinat si tu m’avais laissé te présenter mon ex. Il t’aurait proposé quelques contrats juteux.

— C’est toi qui aurais dû accepter sa proposition, tu serais devenue la nouvelle égérie de Karl. J’aurais adoré tes face à face avec Naomi et vos crêpages de chignon, ce qui se serait indubitablement produit, vu ton sale caractère.

Je fais la moue. À vrai dire, ma passion pour les vêtements n’est que de la poudre aux yeux. Je suis, en réalité, loin d’être aussi futile que ce que je souhaite faire croire. Mais cela irrite tellement mon père !

— Mouais, probablement, réponds-je, laissant croire que j’aurais pu me satisfaire de ce genre d’occupation.

— Quels sont tes projets professionnels, à part éblouir les pauvres mâles qui croiseront ta route ? me demande Nico.

— Eh bien, c’est un boulot à temps complet. Je n’ai déjà pas une minute à moi… Mais je vais faire un petit sacrifice et m’occuper de la décoration de ta future maison. Eve sera ravie de l’aubaine.

Nous parvenons aux portes coulissantes quand un homme me heurte de plein fouet, manquant de me renverser, s’excusant à peine et poursuivant sa route quand Nico l’interpelle tandis que je masse mon épaule endolorie.

— Robert ? Qu’est-ce que tu fiches ici ? s’exclame mon compagnon.

Un grand brun à l’allure athlétique se retourne vers nous.

— Ah, Nicolas ! Désolé, mais Élise va me tuer, j’ai oublié l’heure.

— Encore le nez dans ce procès ? Lâche l’affaire mec, ton client est un salopard. Élise revient aujourd’hui ? Tu aurais dû me le dire.

— Je ne t’en ai pas parlé parce qu’elle ne fait qu’une escale de quelques heures. Son prochain vol est à 16 heures, ajoute-t-il, fronçant les sourcils en regardant sa montre. Elle repart dans… mince, une demi-heure !

Nicolas lui tapote l’épaule d’un signe encourageant.

— C’est sûr, elle va te tuer frérot et tu l’auras mérité. Je suis persuadé que son avocat lui trouvera des circonstances atténuantes.

J’écoute leur discussion, en déduis que ces deux-là se connaissent bien, tout en dévisageant le jeune homme. Grand, brun, silhouette fluide et élancée. Costume gris de chez Givenchy, chemise blanche et cravate dénouée Dolce & Gabana, chaussures italiennes noires dont j’ai oublié le nom — une première pour moi — particulièrement lustrées. Une coupe de cheveux courte met en valeur les traits fins, mais virils de son visage et ses lèvres sont particulièrement sensuelles. Après cet examen minutieux, je désespère que Nico me présente enfin ce mâle diablement sexy dont le physique correspond parfaitement à mon genre d’hommes. Je toussote donc pour signaler ma présence.

— Tu ne me présentes pas à ce goujat qui a failli me renverser et qui ne cherche même pas à s’excuser ? minaudé-je.

L’ami de Nico regarde toujours sa montre et se mordille les lèvres, préoccupé. Il ne lève même pas les yeux sur moi. Je n’arrive pas à y croire, aucun mec n’ignore Suzie Jasmain !

— Pas maintenant. Robert doit retrouver sa petite amie avant qu’elle ne décolle à nouveau. Allez, file ! conclut-il après une tape virile sur le bras de son ami.

Ce dernier tourne les talons sans se faire prier.

Il ne m’a même pas regardée !

— Eh, Rob, n’oublie pas, 19 heures ! Et ne sois pas en retard, parce que quelque chose me dit que tu ne serais pas à la fête si tu refais le coup de la dernière fois à Eve.

Robert lève le pouce sans se retourner et court vers les comptoirs d’embarquement tandis que nous franchissons les portes de l’aéroport. Ma curiosité est à son comble. Qui est donc ce type qui m’a totalement ignorée ?

— Est-ce le Robert dont tu me rabâches les oreilles depuis toutes ces années et que je ne suis jamais parvenue à rencontrer ?

— En effet, c’est lui ! Tu feras plus ample connaissance avec lui à la fête de ce soir. Clém viendra avec son mec du moment.

— Clémence ? Celle qui n’a que les mots « pénis », « fellation » et « orgasme » à la bouche ? La Clémence qui se frotte à toi comme une chatte en chaleur dès qu’elle le peut ? Comment ta femme peut-elle la tolérer ? Elle n’a pas peur que tu cèdes à ses avances ?

— Je ne cède plus aux avances de personne, tu le sais bien ! Et toutes les deux sont amies depuis très longtemps, Eve sait que ce n’est qu’un jeu pour Clém.

— Un jeu auquel beaucoup d’hommes se laissent prendre. Quand un petit cul sexy vient se frotter au bon endroit, les sentiments passent à la trappe et vos petites queues frémissent sous la caresse de mains expertes. Je te le prouve quand tu veux.

— Une seule femme m’excite et aucune autre, aussi bandante puisse-t-elle être, ne retient désormais mon attention.

— Waouh ! Pas de coup de canif dans le contrat, ni de tentations ? Jamais ?

— Je l’aime plus que tout au monde, Suzie. Elle donne un sens à ma vie. Alors non, aucune femme ne suscite mon intérêt.

Nicolas me regarde d’un air grave, accentuant ainsi le sérieux de ses propos. J’ai subitement envie de pleurer tellement ces phrases me rappellent des promesses d’amour éternel qui se sont envolées au gré du vent. Je m’efforce de reprendre le contrôle avec une réponse enjouée et moqueuse.

— Oh non ! Rendez-moi Nicki ! Qui que vous soyez, sortez de ce corps !

— Moque-toi ! On en reparlera quand tu retomberas amoureuse à ton tour.

— Pfff ! Dans tes rêves !

— On verra.

2La rencontre

Nicolas

Eve, dans une robe noire qui lui descend à mi-cuisses, pose son verre sur l’îlot central de la cuisine quand la sonnette retentit.

— Ne te presse pas, mon amour, il n’est que 19 heures et les invités sont juste attendus dans la minute ! me lance Eve tandis que je sors de la salle de bain en boutonnant nonchalamment ma chemise

— Eh ! Ne t’en prends qu’à toi-même. Qui est venu me narguer dans la salle de bain en tortillant son petit cul sexy ? Oserais-tu dire que tu regrettes ? dis-je en m’avançant vers elle pour la coincer contre l’évier.

— À vrai dire, vu la taille minimaliste de toutes les pièces de cet appart, j’ai vite fait de te mettre mes fesses sous le nez, pas besoin de faire beaucoup d’efforts ni de provoc.

— Vraiment ? Moi qui croyais que tu ne pouvais pas résister à mon sex-appeal.

— Pour l’instant, range ton sex-appeal quelque part parce que nos invités sonnent à la porte.

Je bougonne en reculant. Cette femme est une tigresse, son corps de déesse me rend fou de désir sans même le toucher. Me voilà bien embarrassé, à l’étroit dans mon pantalon, ce que ne manquera pas de remarquer la bande de joyeux drilles qui tambourinent à la porte, Clémence en particulier, qui a la fâcheuse manie d’avoir toujours les yeux rivés sur l’entrejambe des mecs. Eve sourit en me regardant, s’approche de moi pour m’embrasser, sort la chemise de mon jeans me caressant au passage.

— Qu’est-ce que tu fais, diablesse ? Tu trouves que tu ne m’as pas assez chauffé ?

— Tu es toujours excité. Je fais en sorte que Clémence ne fasse pas une fixette sur ta protubérance, elle ne te lâcherait pas de la soirée. Quant à Suzie, elle te reprocherait une faute de goût impardonnable. « Seigneur, une chemise Hugo Boss dans un Levis ! »

— Tu te moques de Suzie, là ?

— Bien sûr que non, tu sais bien que ceci n’est qu’un amusement pour elle ! Jouer la blonde écervelée pour exaspérer ses parents. Il va bien falloir qu’un jour, elle montre son vrai visage.

— J’ignorais que tu l’avais percée à jour.

Eve me repousse et je me dirige vers la porte d’entrée

— On arrive, patience ! Eh oui, mon cœur, Suzie n’est pas celle qu’elle veut laisser croire. Elle va finir par s’épuiser avec ce rôle, tu devrais lui dire, elle pourrait t’écouter, ajouté-je en ouvrant la porte.

— Enfin, qu’est-ce que vous foutiez ? Vous baisiez comme des malades ? J’espère que vous n’avez pas fait ça sur la table de la cuisine, s’écrie Clémence en pénétrant dans la pièce, son nouveau mec sur les talons, un certain Matthias, si mes souvenirs sont bons.

— On n’a pas de table, Clém, mais je te promets que dans notre future maison, c’est ce que l’on testera en premier pour s’assurer de sa solidité, dis-je en la débarrassant du bouquet de fleurs qu’elle me tend et jetant un coup d’œil circulaire en me demandant ce que je vais bien pouvoir en faire.

— Pourquoi tu t’obstines à nous offrir des fleurs à chaque fois que tu viens ? Je n’en achète pas parce qu’on ne sait jamais où les mettre dans cet appart. Et on n’a toujours pas de vase d’ailleurs, tu ne l’ignores pas, que je sache.

Une Clémence hilare se colle à moi alors que je dépose le bouquet dans l’évier.

— Ben, mon grand, c’est justement pour ça et pour voir ta tête.

— Mince, alors ! s’exclame ma femme, un petit sourire narquois sur ses lèvres. Moi qui croyais que tu cherchais juste à me faire plaisir !

— Bien sûr, ma chérie, mais la tête qu’il fait prime sur tout ! réplique Clémence.

Je soupire en me tournant vers Matthias.

— Cette fille est folle. Mais je suppose, Matt, que tu le sais déjà !

— En effet, c’est d’ailleurs ce qui m’a attiré en premier lieu chez elle.

— Oui, bien sûr, juste après mon cul, mes seins et mon talent pour la fellation.

La sonnette retentit à nouveau.

— Ce doit être Suzie, suppose Clémence.

— Ou Robert, suggère Eve.

Clémence consulte sa montre.

— Non, c’est forcément Suzie, il n’est que 19 h 15. Trop tôt pour Robert.

— Il m’a promis d’être à l’heure, répliqué-je.

— D’être à l’heure, pas en avance. Même à son enterrement, il sera en retard, c’est Roby. C’est l’une des choses qui m’exaspérait chez lui, c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai quitté.

Je manque m’étrangler avec ma bière.

— Tu plaisantes ?

— Pas du tout. Dommage, car il baisait bien !

— Attends. Dis-moi si j’ai bien tout saisi : tu maintiens, encore aujourd’hui, que la raison pour laquelle vous vous êtes séparés, pendant que nous étions à la fac, est qu’il était toujours en retard à vos rendez-vous ? Ce n’était pas simplement une excuse bidon ?

— Mais non ! Ses manies et ses travers m’exaspéraient. C’était devenu intolérable.

— Je n’arrive pas y croire. Je comprends qu’il ait été aussi déprimé après votre rupture. J’étais persuadé que c’était une blague. Et vous étiez amoureux !

— Tu sais, les sentiments amoureux, ça passe aussi vite que ça vient, la preuve.

— Quoi la preuve ? demandé-je.

— Je suis tombée amoureuse des centaines de fois depuis, et aujourd’hui c’est de Matt. Je l’aime, pour l’instant. Peu importe ce que ça durera, ce n’est pas important. N’est-ce pas, bébé ?

— Peu importe ce que durera quoi ? s’enquiert Robert qui se penche pour embrasser Clémence.

— Je n’en crois pas mes yeux ! Tu es en avance !

— Pas vraiment, non, je suis encore le dernier.

— Non, il manque Suzie, précise Eve.

— En effet, Suze est en retard. Comment est-ce possible ? Seigneur, ce n’est pas conforme à l’étiquette, minaude Clémence. Je suis sûre que Georges, son chauffeur, va se prendre une de ces engueulades pour n’avoir pas su éviter les bouchons.

— Clémence, tu es une peste, m’indigné-je.

Eve suit l’échange sans intervenir. Notre duo « Clémence/Nicolas » vaut le détour, à ce qu’il paraît. Mais c’est sans compter Robert qu’elle titille sans arrêt, ce qui donne parfois des discussions houleuses, mais bon enfant. Nous nous connaissons depuis si longtemps ! Je me demande comment le pauvre Matt va trouver sa place. Je ne suis pas inquiet pour Suzie, qui prendra la sienne sans problème, car elle connaît tout le monde hormis Robert, pour l’instant. Par un curieux concours de circonstances, ces deux-là ne se sont jamais croisés. Je me surprends à me demander comment, au fil des ans, une telle chose a pu se produire. C’est somme toute incroyable et si hautement improbable que le destin n’ait jamais mis face à face ces deux protagonistes, alors que l’un et l’autre interfèrent constamment dans nos vies. Bien sûr, ma petite mystique de femme doit avoir son explication personnelle sur le sujet.

— Eh bien, fait remarquer Robert, tout le monde connaît Suzie, et moi, qui suis le meilleur ami de cet olibrius, je n’ai, en presque dix ans d’amitié, jamais rencontré cette femme jusqu’à ce matin. Comment est-ce possible ?

— Je m’en faisais justement la réflexion, répond Eve en se levant alors que la sonnette carillonne à nouveau.

— Seigneur, quelle chaleur ! J’espère qu’il y a la clim dans ton petit nid d’amour. Ces embouteillages, quelle horreur ! Georges vieillit, je crois qu’il ne connaît plus les bons plans pour éviter les points chauds de la ville, s’exclame Suzie en pénétrant dans l’appartement surchauffé.

Clémence me fait un clin d’œil, l’air de dire : « Tu vois, je te l’avais bien dit. »

— Bienvenue au sauna room pour cette ultime soirée dans notre humble demeure, lance Eve avec emphase en introduisant la dernière invitée dans notre minuscule salon.

— Je me demande bien pourquoi on n’a pas attendu la pendaison de crémaillère dans votre nouvelle maison, plutôt que fêter la fin de celle-ci. J’avais oublié que c’était grand comme une boîte de sardines, gémit Suzie en tentant de s’asseoir entre Clémence et Robert.

— Peut-être parce que tu nous as imposé cette soirée ? répliqué-je, accoudé à l’îlot central qui sépare la cuisine du salon, ma femme calée entre mes jambes.

Elle écarquille exagérément les yeux et porte la main sur sa poitrine, heurtant son voisin au passage tellement l’espace est exigu et son geste démesuré et emphatique.

— Mince, tu as failli m’éborgner avec ton caillou ! glapit Robert en portant la main à son visage.

Suzie se tourne vers lui et constate qu’elle vient de l’égratigner avec sa bague. Elle saisit une serviette en papier sur la table basse et essuie la goutte de sang qui perle sous son œil.

— Je suis vraiment désolée. Nos face à face sont un peu brutaux. Ce matin, tu manques de me déboîter l’épaule et ce soir, c’est moi qui te blesse. J’espère que nos prochaines rencontres seront plus calmes. Je me présente, ajoute-t-elle en lui tendant la main, puisque nos hôtes sont si mal élevés, Suzie.

— Robert, répond ce dernier en lui serrant la main.

— Il paraît que tu es avocat. Dans quelle spécialisation ? Comme Eve, finances ?

— Non. Nico te dirait que je défends les criminels qu’il s’escrime à mettre derrière les barreaux. On fait un beau tandem. Lui les arrête, et moi, je les remets dehors. Enfin, c’est sa vision étriquée de mon métier. Tout dépend des affaires en cours. J’ai une nette préférence à être avocat de la partie civile, c’est-à-dire aider les familles dont un des membres a été victime de délits mineurs, ou autres plus graves. Mais quelquefois, en effet, je défends les supposés criminels, et cet abruti ne voit que cet aspect-là de mon métier.

— Mais c’est passionnant ! Une affaire en cours connue ?

— Travail d’investigation sur le viol et le meurtre de la jeune Victorine. Tu en as peut-être entendu parler, elle fait la une des journaux.

— Oh, tous les deux, si on vous dérange, faites-le-nous savoir !

Suzie se tourne vers Clémence et lui lance un regard dédaigneux avant de reporter son attention sur son voisin.

— Désolé, mais je monopolise ton attention. C’est toi la reine de la fête, avec ton retour qui réjouit nos amis, s’excuse Robert.

— Bon, alors, qu’est-ce qu’on mange ? s’inquiète Clémence. Parce que je vais être pompette, si ça continue.

— À vrai dire, j’ai cramé le dîner dans un moment d’inattention, s’excuse Eve.

— Comment ça ? s’écrie Clémence.

Je glousse dans le cou de ma femme tout en resserrant mon étreinte autour de sa taille.

— Non ! Vous avez baisé comme des malades et oublié le plat au four ! Tu nous avais préparé tes fameuses lasagnes ?

Eve hausse les épaules, tandis que je continue de rire, le nez enfoui dans ses cheveux.

— Je suis désolée. Mais j’ai réservé au chinois du coin, et ensuite on va danser. Pour ce dernier soir dans le quartier, j’ai vraiment envie de faire la fête au All Brass.

Toute la petite bande se lève, se contorsionnant comme elle peut. Suzie manque de tomber et se rattrape prenant appui sur le torse de Robert, qui en retour, pose sa main sur sa hanche et leurs regards se croisent. Ils se séparent précipitamment, comme gênés par ce fugace contact. Je hausse les sourcils, surpris. J’ai vu briller quelque chose dans le regard de Suzie que je n’ai pas vu depuis longtemps.

La soirée se poursuit au All Brass, lieu mythique du quartier. Robert, installé dans une alcôve, sirote un whisky tout en suivant des yeux les danseurs qui se déhanchent sur la piste. Je suis son regard posé sur Suzie qui a un sens affligeant du rythme. Comment une femme qui se déplace avec autant de grâce et de classe naturelle peut-elle manquer autant de synchronisation dans ses gestes au son de la musique ?

Pour autant, elle ne manque pas de cavaliers, c’est tout juste si elle peut respirer. Ils s’agglutinent autour d’elle, tel un essaim d’abeilles sur un pot de miel. Suzie fait toujours cet effet sur les hommes. Elle est sublime.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

— Ta copine. Elle danse comme un pied.

— Tu peux parler, tu ne danses jamais. Comment tu peux juger ? 

— Ça ne veut pas dire que je ne sais pas danser !

— Si tu le dis !

— En dehors de ça, elle est magnifique, un peu snob peut-être.

— On voit que tu n’as jamais rencontré ses parents ! Tu apprendrais que le mot « snob » a un sens particulier dans cette famille. Pour le père de Suzie, c’est même une ligne de conduite qui se cultive. De plus, ce type est un despote. Suzie n’a pas été à la fête tous les jours. Malgré son côté rebelle et provocateur, elle est loin d’être celle qu’elle semble être.

— Elle fait quoi dans la vie ?

— Ah, vaste question ! Elle pourrait travailler dans une galerie d’art avec son cursus et sa formation, sous la houlette d’un restaurateur de tableaux ou obtenir un poste de management dans une grande entreprise avec son MBA. Vu qu’elle parle couramment le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le russe et le portugais, entre autres, ses opportunités sont infinies. Elle pourrait mener une brillante carrière dans de nombreuses branches, sans le devoir à qui que ce soit, juste à ses compétences. Mais Suzie en veut énormément à « papa » depuis qu’il a décidé que je n’étais pas un mec assez bien pour elle et qu’il a failli suspendre le financement de mes études. Il l’a éloignée de moi, à des milliers de kilomètres. Suzie a donc décidé de vivre de ses rentes et de contrarier ses plans en fréquentant les pires dépravés qu’elle puisse rencontrer. Ternir son image en côtoyant des mecs qui sont loin d’être à hauteur des espérances de son géniteur est son premier objectif. C’est ça son boulot !

— Comment ça ? Je croyais que tu avais suivi des études dans un pensionnat huppé et qu’il t’avait adopté officiellement ?