Une vie à tuer - Damien Farissier - E-Book

Une vie à tuer E-Book

Damien Farissier

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Beschreibung

Gabriel, jeune quadra, a perdu sa raison de vivre le jour où son épouse, enceinte, a quitté son univers, emportée par une maladie incurable. Après des semaines passées à se morfondre au sein de son foyer avec son chien pour seule compagnie, il esquisse un retour à la civilisation. Il va alors être témoin d’un drame qui va changer le cours de sa vie. Sur une route de campagne, tombés d’un ciel bleu immaculé contrastant avec les couleurs entachées de ses sombres pensées, un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence, un cheval camarguais et un homme de la terre vont croiser sa route et redessiner son histoire. Au contact de chacun, ils vont s’apprivoiser, se réparer et inventer des chemins de guérison.

Il n’y a pas de hasard et la vie va s’évertuer à leur réserver bien des surprises. Pour le meilleur et peut-être pour le pire. Mais comment peut-on se reconstruire sans effacer de son esprit l’être qu’on a aimé plus fort que soi-même ? Les réponses sont cachées dans le temps qu’il reste à Gabriel !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Damien Farissier, cinquante trois ans, est un autodidacte de la photographie argentique et de l’écriture. Hédoniste par choix, existentialiste par culture, observateur de la gent humaine par apprentissage, de la faune et de la flore par nature, il est formé à l’école de la vie. Spécialisé dans la création d’articles de table pour les chefs du monde entier pendant plus de deux décennies, il embrasse aujourd’hui le métier exigeant de service en restauration pour les salles qu’il équipait hier de ses propres créations.

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Damien FARISSIER

Combien de temps, combien de temps encore ?

Des années, des jours, des heures, combien ?

Je m’en fous, mon amour.

Quand l’orchestre s’arrêtera, je danserai encore.

Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul.

Quand le temps s’arrêtera, je t’aimerai encore.

Je n’sais pas où, je n’sais pas comment,

Mais je t’aimerai encore.

D’accord ?

Prologue

Il n’y a pas de hasard et la vie s’évertue à nous réserver bien des surprises. Nonobstant, tout ne s’écrit pas sous le sceau du mystère et force est de constater que notre existence peut s’enrichir comme s’appauvrir des rencontres provoquées, aléatoires ou hasardeuses. Tout est question de point de vue, de nos dispositions au moment des interactions, et plus important encore, tout se nourrit inexorablement de la somme de nos actes.

« Que dire d’une fille de vingt-cinq ans quand elle est morte ? Qu’elle était belle. Et terriblement intelligente. Qu’elle aimait Mozart et Bach. Et les Beatles. Et moi ». Oliver Barrett IVe du nom et Jennifer Cavalieri ont connu une belle histoire d’amour bercée par la musique de Francis Lai. Une véritable love story trop vite achevée, mais devenue culte pour des millions de cœurs et pour une durée indéterminée que le travail de mémoire et la transmission de génération en génération définiront. Mais n’oublions pas que « l’amour, c’est ne jamais avoir à dire qu’on est désolé ».

« Que dire d’une femme de trente-cinq ans quand elle est morte ? Et extrêmement dévouée. Qu’elle n’aimait rien de plus que lui ? »

Gabriel et Ange ont vécu pleinement leur histoire d’amour, côte à côte, toujours unis, main dans la main au milieu du monde et des êtres sans qu’ils n’usent les pourtours de leur vase clos de joies simples au cœur de leur saine campagne.

Pourtant, la maladie a eu raison de leur abnégation à ne jamais se séparer. Le crabe à l’appétit vorace a rapidement dévoré les défenses immunitaires de Ange et n’a laissé aucune chance à leur petite graine, déposée amoureusement en son ventre, de se développer. Elles sont parties toutes les deux avec la force qu’il manque à ceux qui restent et apaisées par des promesses qui ne seront peut-être jamais tenues.

Le printemps précoce avait chassé les couleurs monotones d’un hiver rendu moins rude et écourté par le réchauffement climatique. Elles sont parties à l’heure où les fleurs de la nature ouvraient leurs pétales au soleil qui dardait ses rayons de miel pour les déposer en leur cœur, sans oublier d’inonder de caresses lumineuses une végétation en pleine renaissance. Leur magnolia majestueux et vigoureux dont ils étaient tombés en pâmoison à leur première rencontre, malgré un âge certain, commençait à s’habiller d’éclats violets et de ses plus beaux atours. Les forsythias, ardents bouquets géants, irradiaient de tous côtés un jaune vif qui n’avait rien à envier à celui des mimosas de Grasse.

Avant de rejoindre l’inconnu et les contrées lointaines, les yeux humides et brillants mais sans larmes, Ange avait exigé de son homme, en légers pleurs, émouvant dans une tendresse à la retenue admirable, qu’il se donne la chance de trouver quelqu’un pour offrir à nouveau l’amour dont elle le savait débordant. Une personne qui pourrait se révéler meilleure qu’elle ne l’était et qui serait en mesure de le rendre plus heureux. Gabriel avait juré les choses improbables, mais Ange avait insisté et emporté la victoire pour cette promesse de ne pas s’empêcher de rencontrer l’inconnue qui pourrait pour le reste lui ressembler avec honneur. Avant que ne survienne son dernier souffle, il lui avait promis de ne pas couper les liens avec ses parents, et de bien s’occuper de leur Berger de Beauce âgé de six mois. La mère de Ange cultive le mythe de la belle-mère jusqu’au spectre populaire de la belle-doche quand son père s’active à adoucir les relations par bienveillance. Ce dernier ne saurait mettre en danger une relation amoureuse vieille d’un demi-siècle pour des joutes orales qui sont devenues, au fil du temps, un jeu que les acteurs s’amusent à réitérer à l’envi.

Le chien, c’est le cadeau qu’elle lui avait offert pour calmer son impatience à voir naître le fruit de leur amour et lui apprendre à donner de l’affection à un autre être qu’elle-même. Ange avait anticipé son propre départ à l’annonce de sa maladie incurable bien avant qu’elle daigne l’en informer. Elle l’avait préservé de la chose destructrice jusqu’à ce que les signes extérieurs du mal, qui gagnait la bataille de l’intérieur, brisent la glace d’un miroir qui s’était pourtant fendu d’un bon teint.

Aujourd’hui, il n’est pas dans l’épanchement de sa tristesse, mais il voudrait trouver une solide épaule pour recevoir sa colère et la crier à la face du monde. Mais son père, à la vie dissolue et rattrapé lui aussi par le crabe dévoreur, n’est plus. Il est parti trop vite et trop tôt, sans omettre d’avoir taquiné sa bru pour lui avoir enlevé son fils. À croire que la vie fait payer à Gabriel ses jeux de l’enfance où il s’amusait à se faire peur avec les pinces de ce crustacé décapode dérangé dans ses activités au sein des entrailles rocheuses de la mer Méditerranée. Sa mère, quant à elle, a fui sans laisser d’adresse pour échapper à l’administration fiscale pour des manipulations comptables et des abus de biens sociaux.

Gabriel est seul avec lui-même et ses démons naissants. Et cette petite boule de poils ras aux muscles saillants qui demande de l’affection est l’unique laisse de son univers qui l’attache encore à une vie ayant perdu tout son sens. Perchée sur une colline dominant les arpents de terre sur lesquels, à perte de vue, trônent les pieds de vigne fiers et noueux, la maison dans la prairie beaujolaise est définitivement vide de la présence de Ange. Ils avaient restauré cet ancien corps de ferme pour asseoir leur bonheur et les murs en pierres dorées étaient censés les protéger des vents mauvais.

Il sait que l’odeur de sa bien-aimée, qu’il retrouve au plus profond des mailles des habits dispersés dans leur chambre, finira par s’estomper sans que son chagrin guérisse. Un être vous manque et tout est dépeuplé. On ne mesure la puissance de l’amour qu’à l’heure de la séparation. Si l’amour rend aveugle, le divorce redonne la vue. Tous ces poncifs, dont on se moque au temps des jours heureux, prennent toute leur valeur quand l’horizon se bouche de noirs nuages sans aucune perspective d’éclaircies. Et le diable aux aguets s’insinue dans les méandres boursouflés du cerveau pour y déposer les graines de la folie. Des musiques entêtantes aux notes dissonantes et aigües naissent alors et jouent avec alternance sur des cordes nerveuses, la partition du massacre à la tronçonneuse ou la chanson stridente de la fraise du dentiste. Le Malin se cache dans le noyau caudé gauche, bien connu pour son rôle majeur dans la mémoire et l’apprentissage ! Gabriel s’accroche à ses souvenirs, passe et repasse en revue les photos qui ont figé des instants de leur histoire et s’évade dans les arcanes d’un passé décomposé qu’il s’escrime à reconstruire comme un puzzle dont les morceaux dispersés se recollent au gré des réminiscences. Il se perd et se torture. Ange est partie sans lui laisser le mode d’emploi de la vie sans elle. Il ne se préoccupe pas du futur puisqu’il néglige le présent, et il se morfond dans son lit en s’enroulant dans ses draps, déroulant et rembobinant le film de ce qui a été. C’est le désordre dans sa tête et le bordel dans sa demeure. Il survit au milieu des choses tel un fantôme qui n’a même pas la force d’errer sans but. Seul son chiot l’oblige à des sursauts d’activité pour le nourrir, lui aérer la truffe, ensemencer les terres de ses matières fécales et les arroser de son urine selon un mode qui donne le pouvoir à celui qui produit le dernier jet.

« Ne m’oublie pas et ne t’interdis surtout pas le bonheur », lui avait dit Ange avant de produire son dernier souffle. Mais comment peut-on se reconstruire sans effacer de son esprit l’être qu’on a aimé plus fort que soi-même ? Comment se relever de la perte d’un enfant dont la conception apportait déjà la garantie de pouvoir garder pour soi un fruit de l’amour pour toute une vie ?

Sorties de route avec le plein des sens

Gabriel est resté ainsi des semaines, sans rien faire d’autre que subir son sort, ruminant ses affres et ne s’alimentant que de peu d’aliments, se contentant de conserves sans même prendre le soin d’en réchauffer le contenu. Il lui arrivait souvent de partager sa nourriture avec le chien et de goûter parfois à la sienne quand la paresse lui empêchait jusqu’à l’effort d’ouvrir les boîtes de métal ou la porte de son congélateur.

Le mental en berne et le physique à l’abandon, Gabriel avait cessé toute activité professionnelle. Il avait bradé la vente de sa société sans chercher à négocier, alors même qu’il était respecté pour son sens commercial chevillé au corps. L’argent n’était plus un impératif ni une quête effrénée puisqu’il ne restait que sa bouche à nourrir. Son moteur s’était arrêté presque à l’heure du départ de Ange et son réservoir s’était vidé des sens au moment même où elle avait emporté avec elle le fruit de leur amour indéfectible. Les actions, qui consistaient à parcourir le pays et le territoire nord-américain pour vendre ses créations aux restaurateurs et revenir au nid avec la satisfaction du labeur accompli, n’avaient plus lieu d’être et ne trouveraient plus d’épaules pour reposer l’âme d’un vendeur à la bosse du commerce avérée et internationalement reconnue. La page professionnelle avait été tournée, et le livre familial s’était cruellement interrompu sans aucune chance ni espoir que ne s’écrivît une fin heureuse.

Maintes fois Gabriel s’est posé la question de vivre ou de mourir et la frontière entre l’idée et le passage à l’acte était plus réduite qu’une peau de chagrin. Mais l’instinct de survie qui habite certaines personnes a eu raison de sa condition et lui a interdit de mettre fin à ses jours de tortures et ses nuits encombrées et agitées. De nombreux moyens pour quitter le monde et s’effacer de la planète ont traversé sa tête, et les plus radicaux ont séjourné avec insistance dans son cerveau. Mais une petite voix salvatrice, venue de son subconscient plus que de l’au-delà, l’a dissuadé d’agir contre les dernières volontés de sa chère et tendre disparue. Du plus profond de son être, une force inconnue l’a convaincu de se battre contre les idées noires et de trouver les outils pour construire de nouveaux chemins de vie.

La nature déjà bien parée de ses habits printaniers et se préparant à rentrer dans la saison estivale allait finir par sauter à ses yeux et réveiller sa propension à la contemplation que son premier métier avait largement favorisée. Il devait à la photographie un sens exacerbé de l’observation, la culture de la patience et la connaissance des températures de couleurs inhérentes aux lumières chaudes et froides. Un comble pour le daltonien qu’il a toujours été et qui se plaisait à répéter à l’envi, à Ange comme au monde qui voulait bien l’entendre, qu’il ne voyait pas les choses comme le commun des mortels. Et sa vérité visuelle lui donnait entière satisfaction. Le printemps avait redessiné des décors et des ambiances de carte postale que sa vue ne pouvait pas occulter et diffusait des parfums que son odorat n’aurait pas su ignorer. Le chant des oiseaux bien matinaux berçait ses oreilles à travers des fenêtres dorénavant largement ouvertes sur l’extérieur. Le pépiement des jeunes ailés était un cri autrement plus supportable que les musiques dissonantes et oppressantes jouées par son cerveau, le plus grand illusionniste du monde. Dire qu’il en existe plus de sept milliards et donc autant de façons de percevoir notre environnement. Dehors, « la vie était là, simple et tranquille ». Il lui fallait seulement retrouver la force de se reconstruire et redonner de la sève aux racines de sensations endormies que la mort des sentiments n’avait pas complètement arrachées. Et son chien, qui n’avait rien demandé aux humains et dont la voix devenait plus claire dans les aboiements, avait le droit au bonheur.

Gabriel intègre son véhicule dont l’habitacle a souffert de son absence. Une odeur désagréable, accentuée par les effluves résiduels de tabac froid, agresse ses narines. La température extérieure plus que clémente lui autorise l’ouverture de toutes les vitres. L’automobile tarde à se mettre en marche et tousse son mécontentement d’avoir été trop longtemps inutilisée. Après bien des tentatives infructueuses, mais avant que l’odeur d’essence ne prévienne la noyade du moteur, « Nicotine » démarre et permet la balade. Bien qu’il soit d’usage courant de dire que la conduite comme la pratique de la bicyclette ne se perdent pas, Gabriel, tel un néophyte sous le contrôle d’un inspecteur, règle ses rétroviseurs. L’image que lui renvoie le petit miroir rectangulaire frontal provoque l’arrêt immédiat du moteur. Les cheveux longs nouvellement colorés de poivre et de sel sont un constat qui passe encore, mais la barbe qui court sur son visage défie toutes les règles de l’esthétisme. L’athée qu’il est depuis bien des croisades ne peut pas s’empêcher de se fendre d’un « bon Dieu ». Il se rappelle les remarques taquines de son père à la venue de ses premiers poils, quand celui-ci s’étonnait avec quelque sarcasme qu’on rase les œufs. Mais dans l’immédiat, il scrute les stigmates de ses erreurs de jeunesse où les coups portés lors des rixes à l’endroit de son visage ont empêché la repousse du moindre poil. Sa barbe est loin d’être taillée selon l’art d’un jardin à la française et les irrégularités ainsi que les trous rappellent davantage un pré à vaches des monts du Forez. Le rasage est impératif et la toilette hautement conseillée !