Vacances obligatoires en famille - Valentine de le Court - E-Book

Vacances obligatoires en famille E-Book

Valentine de le Court

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  • Herausgeber: Mols
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Entrez dans un instant de vie familial empli de rebondissements !

Avez-vous des frères et sœurs ? Non ? Alors reposez ce roman sans l’ouvrir. Par contre, si vous en avez un, deux ou même sept, alors vous vous êtes sûrement déjà demandé comment vous pouviez être parfois si différent d’eux alors que vous avez grandi sous le même toit. C’est de cela dont il est question dans ce livre, de sœurs devenues adultes mais qui partent en vacances toutes ensemble, avec la tripotée d’enfants et de maris qui complètent la panoplie. Chacune rêve d’être ailleurs, aucune ne veut déplaire à sa mère, et rien ne se passe comme prévu...

Vacances obligatoires en famille est un roman qui explore l’univers familial, ses allers et retours, ses joies et ses tourments.

EXTRAIT

Christiane avait ouvert la vitre de la voiture. Elle sortit la tête à la manière d’un jeune labrador. Le vent piquait. Des milliers de petites aiguilles dansaient sur son nez et son menton. Jean-Louis quitta l’autoroute pour remplir le réservoir. Elle courut en cercle sur le bitume pour lutter contre le froid. Elle aimait ça, faire chanter le vent autour de ses oreilles. L’aire de repos était vide. Il faisait nuit déjà.
Son mari lui fit signe. Il avait terminé. Elle rejoignit le véhicule encombré de bagages et se pelotonna dans cette tiédeur retrouvée. Ses doigts étaient gourds. Elle les déplia un à un, avec des grimaces de plaisir et de douleur mélangés.
Christiane appréciait cette humanité diminuée par la paralysie des doigts. Elle contempla, rêveuse, l’éclairage glacial des phares qui les doublaient avant de disparaître le long des lignes blanches.
Bientôt, la voix artificielle du GPS leur ordonna de quitter la voie rapide et de s’enfoncer dans des sentiers sans éclairage.
– Vous êtes arrivés. La destination se trouve sur votre droite.
Une large bâtisse blanche, sans étage, se devinait derrière des buissons secs. À tâtons, ils découvrirent les clefs derrière les volets, comme l’agence l’avait mentionné.
L’endroit était charmant. Avec des poutres apparentes, un poêle à bois et une large table de chêne. Une poussière chaude recouvrait le sol et les meubles. Il allait falloir nettoyer tout ça. Les filles arrivaient demain avec leurs enfants.

Pour le plus grand plaisir du lecteur, un huis clos estival agrémenté de tartes aux fruits et de piqûres de moustiques...

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE
« Ce sont des êtres humains heureux et meurtris, attachants et profondément agaçants… l’espèce humaine dans tout ce qu’elle a de plus vrai et authentique. » Émilie GÄBELE Le Carnet et les Instants

A PROPOS DE L’AUTEUR
Valentine de le Court est belge et juriste. Après dix années de barreau et deux enfants, elle a décidé de se lancer dans l'écriture. D’aucuns prétendent qu’elle a usé dix-sept paires de chaussures sur des parquets de danse, c’est dire si elle peut parler avec expérience de choses futiles! Explosion de particules, son premier roman a remporté un très beau succès.

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Vacances obligatoires en famille

 

 

 

 

Valentine de le Court

 

 

 

 

Vacances obligatoires en famille

 

 

 

 

© Éditions Mols, 2015

Collection Autres Sillons

www.editions-mols.eu

 

 

 

À mon Eugénie, à qui j’imposerai un jour des VOF.

 

 

 

 

Les vacances datent de la plus haute antiquité.

Elles se composent régulièrement de pluies fines

coupées d’orages plus importants.

Alexandre Vialatte

 

 

 

CHAPITRE I

 

 

Christiane avait ouvert la vitre de la voiture. Elle sortit la tête à la manière d’un jeune labrador. Le vent piquait. Des milliers de petites aiguilles dansaient sur son nez et son menton. Jean-Louis quitta l’autoroute pour remplir le réservoir. Elle courut en cercle sur le bitume pour lutter contre le froid. Elle aimait ça, faire chanter le vent autour de ses oreilles. L’aire de repos était vide. Il faisait nuit déjà.

Son mari lui fit signe. Il avait terminé. Elle rejoignit le véhicule encombré de bagages et se pelotonna dans cette tiédeur retrouvée. Ses doigts étaient gourds. Elle les déplia un à un, avec des grimaces de plaisir et de douleur mélangés.

Christiane appréciait cette humanité diminuée par la paralysie des doigts. Elle contempla, rêveuse, l’éclairage glacial des phares qui les doublaient avant de disparaître le long des lignes blanches.

Bientôt, la voix artificielle du GPS leur ordonna de quitter la voie rapide et de s’enfoncer dans des sentiers sans éclairage.

– Vous-êtes-arrivés. La-destination-se-trouve-sur-votredroite.

Une large bâtisse blanche, sans étage, se devinait derrière des buissons secs. À tâtons, ils découvrirent les clefs derrière les volets, comme l’agence l’avait mentionné.

L’endroit était charmant. Avec des poutres apparentes, un poêle à bois et une large table de chêne. Une poussière chaude recouvrait le sol et les meubles. Il allait falloir nettoyer tout ça. Les filles arrivaient demain avec leurs enfants.

Une minute plus tard, la veste encore sur les épaules, Christiane pilotait l’aspirateur entre les chaises en rotin. Jean-Louis s’était assis et attendait que son épouse consente à aller se coucher. Il ne se lèverait pas de son fauteuil. Elle le savait. Sans quitter des yeux son journal, il leva les pieds le temps qu’elle s’affaire entre la table basse et le canapé. Il méritait des vacances. C’était normal qu’elle se charge des corvées ménagères, elle qui ne travaillait pas. Il était pensionné aujourd’hui mais le pli était pris. Et comme il n’existait pas de retraite pour les femmes au foyer… Vivre avec un homme, c’était être grugé. Pas toujours. Souvent quand même.

La villa était petite. Une vraie maison de poupée. Christiane ouvrit les portes, les unes après les autres. Chaque pièce lui offrait une nouvelle surprise. Elle courait de l’une à l’autre. Petite fille au matin de Noël qui ne sait quel cadeau déballer en premier.

La chambre jaune possédait un lavabo dans un placard. C’était pratique. La bleue était décorée de motifs nautiques. Au-dessus du lit, un cadre en bois rempli de nœuds marins. Leur nom était mentionné au feutre sous chacun d’eux. Christiane décida d’en retenir un par jour et d’essayer de les reproduire avec de la ficelle de cuisine. À la fin des vacances, elle tresserait n’importe quelle corde aussi bien qu’un capitaine.

Dans la chambre rouge, les propriétaires avaient accroché des tableaux de champs fleuris. Ce serait parfait pour logerCaroline. Elle qui adorait la campagne. Christiane commença par faire le lit de son aînée. Elle posa deux chocolats sur les oreillers. Elle recula vers l’entrée pour juger de l’effet. Avec la bouteille d’eau sur la petite table et les deux verres colorés, on pouvait s’imaginer dans une chambre d’hôtel de luxe. Sa fille allait être impressionnée.

Pour Valérie, Christiane hésitait. Elle appela Jean-Louis,

– Je lui donne quelle chambre tu crois ? Une qui communique avec celle des jumelles ou elle préférera une vue sur le jardin?

– Euh, je n’en sais rien, grogna-t-il en farfouillant dans sa valise à la recherche de son bas de pyjama, celle-là…

Il fit un vague geste vers la première porte ouverte.

– Mais enfin, Lou, c’est une chambre avec des lits superposés, tu ne peux pas y faire loger un couple ! Elle le fixait à la manière d’une mère indulgente devant les insolences de son prodige de fils.

– Si tu as fait ton choix, pourquoi tu me le demandes ? Il est tard. Je veux aller me coucher. Le lit est prêt?

Christiane sortit les draps prévus pour les enfants, puis les leurs. Elle régla le réveil à l’aube. À la lumière douce des ampoules faibles, elle n’avait pas pu évaluer le degré de propreté des salles de bains. Et les enfants étaient encore si petits. Elle allait devoir passer le carrelage à l’eau.

Le lendemain, elle s’éveilla avant la sonnerie stridente. Fière d’avoir gagné la course contre la pendulette – chaque minuscule victoire compte – elle se glissa hors du lit et se retourna un instant, comme chaque matin, pour regarder son mari dormir. Les traits de Jean-Louis se détendaient dans lesommeil. Il semblait avoir vingt ans dans la lumière qui filtrait au travers des volets et colorait de stries ses joues roses. Il était beau son homme. Elle se demanda comment elle aurait le courage de lui parler.

Elle tendit la main pour attraper son peignoir, glissa les pieds dans des pantoufles et rejoignit la cuisine. Son pas traînait sur le plancher. On ne peut pas marcher joliment dans des mules. Ça faisait des années qu’elle avait dû renoncer aux talons hauts, mais dans sa tête, elle se voyait toujours légère et sa démarche lourde la gênait quand elle se croisait dans l’éclat d’une vitrine de magasin, ou, comme ce matin, devant le miroir d’une porte.

Le ménage fait, vêtue de sa plus jolie robe – les soldes sont une invention formidable – elle ouvrit les fenêtres du séjour et s’installa sur la terrasse pour guetter les voitures. Elles pouvaient arriver à tout instant. Au cinéma Christiane préférait les bandes-annonces ; dans les retrouvailles, ce qu’elle adorait, c’était le bruit du moteur avant qu’il ne tourne le coin.

Elle attendit toute la matinée, s’interrompant parfois pour installer les fauteuils de jardin ou cueillir quelques fleurs et décorer le vase en forme de chat de la salle à manger. Et puis, pleine de remords d’avoir abandonné son poste, elle y revenait, en toute hâte, s’assurer qu’elle n’avait pas manqué quelque chose. Elle se tapotait les cheveux, enduisait ses lèvres de baume liftant-brillant-repulpant, vérifiait dans les vitres que le maquillage n’avait pas coulé. Pour tromper le temps, elle lista les excursions qu’elle rêvait d’organiser avec les enfants.

Enfin, un ronronnement. Un instant plus tard, des mains minuscules s’agitaient derrière les vitres teintées de la 4X4 deson gendre John-John. Christiane se fit violence pour ne pas ouvrir les portières et libérer ses petites-filles de leur harnachement réglementaire.

Elle embrassa Val qui extirpait ses jolies jambes de son siège en cuir. Comment faisait-elle pour paraître si fraîche après dix heures de route? Ses cheveux moussaient sur sa nuque et son chemisier impeccable blousait par-dessus la jupe crayon. La joue de sa fille contre la sienne, Christiane respira une large bouffée de son parfum délicat. Où était l’odeur de savon et de crème pour bébé qui avait enchanté ses narines du temps où Val était encore un nouveau-né chauve aux gencives nues ?

Les enfants geignaient de faim et d’ennui.

– Oh Maman, se plaignit Val, tu n’imagines pas, elles ont été super difficiles. Je suis épuisée. J’avais pris des dessins animés pourtant, mais elles ne restent jamais tranquilles.

Christiane compatit le temps qu’il fallait. Une gamine dans chaque main, elle conduisit les jumelles vers la maison, excitée de leur montrer la jolie pièce qu’elle leur avait préparée et les sucettes cachées dans la table de nuit. Les enfants sont délicieux à trois ans, ils s’enthousiasmèrent au-delà des espérances de leur grand-mère.

Peu après, Caroline débarqua, énervée par le monde sur la route. À sa droite, Dimitri, son mari, détendu dans son polo trop large au col ouvert et, sur la banquette arrière, leur fille Emma qui ne parlait pas aux adultes.

Christiane voulut montrer les chambres qu’elle leur avait attribuées. Ce fut un peu compliqué. Valérie désirait échanger. Elle dormait mal s’il y avait de la lumière et la pièce qui avait été choisie pour elle n’était pas pourvue de volets. Elle voulaitaussi être loin des jumelles. Le matin, les petites faisaient du bruit et elle avait besoin de se reposer. Christiane lui offrit la chambre de Caroline et déménagea dans celle prévue pour Valérie. Elle était matinale. Elle ne serait pas dérangée par les deux petites filles. Caro protesta. Elle voulait les fleurs de la chambre rouge. Dimitri, qui portait les bagages, les déposa d’autorité sur le lit le plus proche. La discussion fut close.

Les vacances pouvaient commencer. Tant de mois que Christiane préparait ces instants. Les recherches pour trouver l’endroit parfait et la quête d’une date qui convenait à tous, avaient pris tellement de temps qu’elle avait failli renoncer. Mais ils y étaient. Et c’était comme Christiane l’avait rêvé. Ses enfants et petits-enfants tout à elle, pendant une semaine complète. Après, ce serait forcément différent. Elle ne voulait pas y penser maintenant.

Elle se rendit à la cuisine et sortit le poulet amené la veille, ainsi que la salade, un peu défraîchie.

Ses enfants n’avaient pas l’air d’avoir faim. Ils ne mangèrent presque rien. Distraite, Christiane avait assaisonné le poulet et les jumelles ne consommaient pas de sel. D’éminents pédiatres américains avaient prouvé que c’était nocif pour les enfants jusqu’à l’âge de deux ans. Les jumelles étaient plus âgées, mais mieux valait ne prendre aucun risque.

Après avoir débarrassé, Christiane se sentit épuisée. Seule, elle se serait accordé une sieste. Elle avala un café sucré, sortit son bloc-notes et demanda à la ronde qui voulait l’accompagner le lendemain au petit marché local et qui était intéressé par une grande expédition dans un village fortifié à une heure de voiture de là.

Emma devait travailler tous les matins sa grammaire, son point faible selon sa mère, et les jumelles dormaient l’aprèsmidi. Toute excursion devait donc être limitée dans le temps. Impossible de chambouler l’organisation sous peine de chaos scolaire ou nuits interrompues par de stridents cauchemars.

Il fallait aussi tenir compte du fait que les petites n’aimaient pas les longs trajets. Les filles de Christiane, à l’époque, ne se plaignaient pas, mais les enfants à l’heure actuelle étaient plus fragiles. Elle n’y serait pas parvenue si elle avait dû tout recommencer aujourd’hui. Il y avait tant de règles à suivre. C’était si compliqué, ces histoires de vitamines et cette interdiction des biscuits baignant dans l’huile de palme.

– Mais je croyais que l’huile était pleine d’oméga 3? Avaitelle demandé à Valérie en rédigeant la liste de courses.

– Pas celle-là Maman. Tu dois acheter des biscuits au beurre pour le goûter des enfants.

– Mais quand il est écrit « huile végétale », rien ne prouve que c’est « palme » et non « olive » ou « tournesol ».

– Quand c’est marqué huile végétale, c’est toujours palme! Asséna Caroline, tu es trop naïve Maman.

– Bon, on va visiter quoi finalement ? les interrompit Dimitri voyant que sa femme haussait le ton.

– On en reparlera plus tard, dit Valérie. Je suis fatiguée là. Si vous nous montriez plutôt où on peut se baigner?

La piscine était commune à plusieurs maisons. D’autres couples étaient déjà installés, avec des enfants. Ils déplièrent les chaises longues en plastique blanc. Le bassin était magnifique, bleu et rectangulaire. Avec des ballons et des bateaux gonflables. Tout ce qui plaît aux plus jeunes. Christiane avait eu raisond’insister pour que la location comprenne une pièce d’eau. En plus, collective. Ce serait parfait pour Emma. Elle allait se faire des amis. Ces vacances promettaient d’être magiques, se ditelle, en posant sur son grand nez une minuscule paire de lunettes de soleil.

– Maman, lança Valérie, le visage entièrement couvert par un chapeau à large bord et le corps paré d’un bikini blanc qui rendait le doré de sa peau appétissant comme une barre de caramel, rappelle-toi de me donner le code Wifi tout à l’heure. J’ai des trucs super urgents à envoyer.

– C’est les vacances Choupine, protesta Christiane, tu m’avais promis que tu ne travaillerais pas pendant une semaine.

– Oui, mais ce n’est pas tout à fait pour le boulot. C’est important.

– Je suis désolée, Val, il n’y a pas internet ici. Je ne croyais pas que c’était nécessaire. J’ai pensé à choisir une destination avec un grand jardin, une pièce d’eau, du calme, mais j’ai oublié internet.

– Oublié internet? Mais Maman, personne ne vit plus sans. À part Caro sans doute. J’imagine que dans son job elle n’en a pas besoin. Surtout durant ses trois mois de vacances!

– On parle de moi? Caro sortit de l’eau et enfila un paréo avant même de se sécher.

– Non ma chérie, c’est ta sœur qui n’est pas contente. Aucune connexion internet n’est possible ici.

– Quoi? Pas d’internet? Et mon téléphone qui ne capte rien. Caro s’étranglait dans son tissu bariolé. Je dois consulter mes mails, j’attends une information vitale. Qu’allons-nous faire?

Malgré le soleil qui brillait et la délicieuse après-midi qui invitait à la sieste, les filles de Christiane partirent vers la maison, affairées, dégainant leurs téléphones à la recherche de bornes ou de cafés dotés d’une connexion convenable.

Que de foin pour quelques messages qu’elles liraient avec sept petits jours de retard! Christiane avait vécu jusqu’ici assez détachée des nouvelles technologies. Même si ça avait été agréable de chatter avec Emma. Avant, quand elle communiquait encore. Une fois qu’elles auront vu leurs mails, se consola Christiane, ses filles se détendraient. Les pauvres, leur vie était si trépidante. Dans sa jeunesse, elle flânait dans les parcs publics quand ses enfants étaient à l’école. Ou lisait des romans d’amour en buvant du thé sur leur petit balcon. C’était le bonheur.

Pourquoi n’avait-elle pas pensé au Wifi? Pourvu que ça ne contrarie pas les maris. Ses filles, Christiane pouvait gérer. Les gendres, c’était difficile à admettre, mais elle en avait toujours un peu peur. Parce qu’ils ne sortaient pas d’elle. Parce que les hommes, elle connaissait mal. Bon, elle avait le sien, d’homme, mais il n’était pas très viril, pas très effrayant. Tandis que ses gendres, comment dire, ils avaient des poils. Ce devait être bizarre de caresser le torse d’un homme velu. Faire des tortillons sombres sur la peau blanche. Elle secoua la tête. Comment son cerveau pouvait-il engendrer la vision de caresses sur le torse des maris de ses filles? Parfois Christiane s’horrifiait toute seule.

Justement, le plus velu des deux, Dimitri, nageait un crawl aussi enthousiaste qu’approximatif. Emma sauta dans l’eau pour le rejoindre, ils chahutèrent dans la piscine jusqu’à ce que Caro, revenue sans sa sœur, leur intime de sortir et de se taire. Ils faisaient trop de bruit, cela pouvait gêner les autres.

Allongée sur un transat, Emma se plongea dans la lecture. Le soleil jouait entre les feuilles et tachait ses mollets.

– Tu ne veux plus nager? lui demanda sa grand-mère.

La petite fille secoua la tête de gauche à droite.

– Tu vas avoir fini ton livre ce soir au train où tu vas.

Emma montra la pile de livres qui encombrait son sac de plage.

– Tu avais peur de t’ennuyer ma chérie ?

– Non. J’aime lire c’est tout.

Elle n’avait pas levé le nez de ses pages. Christiane sourit, Emma lui avait parlé. C’était une fillette très étrange. Elle vous regardait avec ses yeux gris, un peu mystérieux, et ne riait jamais. Emma saisit un crayon, en mordilla le bout et nota le chiffre sept dans un carnet à spirale. Christiane se demanda si elle avait des copines en classe mais elle n’osait pas la questionner. Que pouvait bien penser sa petite-fille ? Qu’avait à dire cette bouche butée? Qu’est-ce qui mijotait dans sa petite tête, sous ses longs cheveux sages ?

Christiane fixait Emma et sursauta, comme prise en faute, quand Valérie se planta devant elle telle une surveillante de pensionnat.

– Vous avez tous mis de la crème? Ça tape.

Inquisitrice, elle inspecta sa sœur.

– Caro, t’es folle ou quoi… Tes épaules!

– Oh tu sais, je ne crains rien, c’est juste le visage qu’il faut protéger, non?

Elle aspergea Caroline d’un nuage d’huile sophistiquée avant de s’effondrer sur une serviette de plage à côté de sa mère.

– Je n’en peux plus, j’ai dû défaire six valises et j’ai lancé une deuxième machine, les filles avaient encore taché leurs jupes. Mon boss a déjà téléphoné trois fois, tu te rends compte ?

Elle roulait des yeux et semblait ravie au fond d’être si sollicitée.

– Coupe ton téléphone alors, lui dit Caroline qui cornait les pages d’une revue colorée chaque fois qu’une photo lui plaisait.

– Je ne peux pas, il ne peut pas se débrouiller sur mes dossiers. Il connaît mal les attentes des clients.

Elles étaient belles ses filles, se dit Christiane en les regardant discuter du caractère abusif ou non des coups de fil professionnels. Elle pensa soudain à Ophélie. Elle lui manquait. Quel dommage qu’elle n’ait pas pu les accompagner cette semaine. Elle était si jeune. Les vacances entre amis, c’était irrésistible à cet âge-là. Tout de même, si elle avait été présente, parmi eux, ils auraient été au complet.

Ophélie. Le dernier bébé qui était sorti de son ventre. Cette petite tête toute fripée qu’elle avait tenue contre elle. Ce petit corps chaud qui avait rampé jusqu’à son sein, sans voir que sa mère pleurait à gros sanglots. Pleurait parce qu’elle n’était pas Grégoire. Grégoire, son petit garçon. Mais à la naissance d’Ophélie, c’est la dernière fois qu’elle avait pleuré. Ophélie l’avait réparée. Depuis, elle était forte. Plus jamais elle n’avait craqué.

Dimitri avait quitté la piscine sans un mot après la remarque de sa femme sur son comportement bruyant. Il n’apparut pas au dîner. Le soir, dans sa chambre, au travers des parois minces, Christiane les entendit se disputer à voix basse.

Caroline râlait et les bruits sourds qui faisaient trembloter les murs suggéraient qu’elle déplaçait les meubles. Son conjoint grognait sans qu’il ne soit possible de distinguer le moindre mot. Christiane ne voulait pas les espionner mais son nouveau roman ne la captivait pas assez pour qu’elle n’entende pas sa fille se plaindre.

Pourquoi Caroline n’était-elle jamais satisfaite ? Elle avait un mari charmant, une jolie petite fille et un travail magnifique. L’enseignement, pour une femme, c’est idéal comme carrière. Les vacances, les horaires en adéquation avec ceux des enfants. C’était si féminin en plus, cette idée d’ouvrir l’esprit de charmants bambins. Année scolaire après année scolaire. Une gymnastique de l’esprit intéressante pour une mère de famille qui ne voulait pas rester au foyer.

De son temps, tout le monde était à la maison et c’était bien comme ça. Les espoirs des femmes avaient changé. Aujourd’hui, elle percevait que ses filles la méprisaient un peu de n’avoir jamais exercé la moindre profession. Ce n’était pas grave, c’était ce qu’elle avait voulu, se consacrer à sa famille. Être là à l’heure du goûter et des confidences.

Elle n’avait qu’un regret: le temps avait filé si vite. Quand elle était une jeune mère, les voisines lui disaient, quand elles la voyaient passer avec un landau: « Profitez-en, ça passe à toute vitesse. » Aucun cliché ne s’était révélé aussi tristement juste.

Pourquoi continuaient-ils à se disputer à côté? Dimitri trouvait-il dérangeant que Caro le rabroue en public ? Ou peut-être voulait-il un autre bébé? Ce ne pouvait pas être très grave en tout cas, se persuada Christiane, il était si gentil. Caro avait dû le vexer. Il fallait être délicat avec les hommes, ne pasles prendre de front. Les jeunes femmes d’aujourd’hui, avec le féminisme et tout ça, elles ne comprenaient rien à la gestion quotidienne d’un couple. Ah lala. Il fallait qu’elle n’oublie pas d’en toucher un mot à sa fille dès le lendemain matin. On ne parlait pas sur ce ton à son mari tout de même !

Christiane ralluma la lumière pour noter, sur une feuille posée sur la table de nuit, « parler à Caro ». Elle réfléchit et ajouta « biscuits sans huile de palme ». Elle souligna deux fois les derniers mots.

Dans la chambre de Valérie, on n’entendait rien. Ils devaient déjà dormir.

– J’espère que tout va bien se passer, dit-elle à son mari

– Mais bien sûr. Pourquoi tu t’en fais toujours comme ça? On les invite, on est en famille. Ça va être parfait. Tu verras.

Son mari était un optimiste. C’était même pour cette qualité-là qu’elle était tombée amoureuse de lui quarante ans plus tôt.

Christiane cherchait le sommeil. Elle tourna son oreiller pour retrouver la fraîcheur des draps propres. Son mari sortit fumer sur la terrasse. Une cigarette roulée. Il fallait vraiment qu’il arrête, sinon, il allait finir par tomber malade. Manquerait plus que ça se dit-elle, et d’un coup, elle s’endormit.

 

 

 

 

CHAPITRE II

 

 

Valérie ouvrit la boîte à gant et saisit du bout de l’ongle une lingette désinfectante. Elle s’essuya les mains et en tendit une autre à son mari. John-John frotta ses doigts manucurés et, d’un geste machinal, astiqua le volant et le changement de vitesse, faisant disparaître la buée sur le pommeau gansé de cuir. À l’arrière, les filles criaient. Val vit John plisser le front. Elle se retourna et intima aux jumelles de se taire.

– June, lâche cette poupée et rend la à ta sœur, s’énerva-telle. Je veux le silence complet, Papa conduit.

Elle se contorsionna pour remettre en marche le DVD de Winnie l’ourson et s’empressa de se rasseoir et d’enfiler ses escarpins. La voiture meuglait déjà son « Dong Dong » culpabilisant. Enlever sa ceinture sur l’autoroute, c’était de la folie.

John fonçait au mépris des limitations de vitesse. Les amendes, il s’en fichait. Il avait l’habitude de dire que les contraventions étaient son petit impôt particulier qui lui permettait de rouler à tombeau ouvert. Il aimait bien l’expression « à tombeau ouvert », il l’utilisait tout le temps. Ça lui faisait penser à des films de zombies. Et puis, il conduisait bien. Les règles, c’était pour ceux qui ne maîtrisaient pas leur véhicule. Valérie s’efforçait de l’admettre. C’est vrai qu’il n’avait jamais eu d’accident.

En fin de matinée, ils arrivèrent en vue de la propriété que les parents avaient louée. C’était la première année qu’ils invitaient toute la famille. Valérie se demandait bien pourquoi. Elle aurait préféré un séjour en Club. Avec les enfants pris en charge et où on choisit librement les activités qui vous plaisent. Mais les réunir autour d’elle avait l’air de tellement faire plaisir à sa mère. Alors, quand cette dernière lui avait demandé en décembre si elle était libre la troisième semaine de juillet, Valérie, prise de court, avait dit oui.

Elle s’était un peu inquiétée de comment John-John allait réagir. Une semaine entière dans la belle-famille. Il n’avait rien dit. Et ils en étaient là, à rouler dans la beauté morne des petites routes de campagne.

Elle ouvrit la porte du 4X4 noir. La chaleur, après la fraîcheur de l’air conditionné, lui donna l’impression d’étouffer dans ses vêtements ajustés. Elle inscrivit la douche au top de ses priorités. Sa mère était là, manquant de se projeter sous les roues tant elle était pressée de les embrasser. Cette maman, toujours si excitée, si agitée, à la manière d’une souris rigolote de livres d’enfants. Elle papillonnait de Valérie aux petites filles qui, enchantées d’être libérées de leur corset de sécurité, s’éparpillaient dans le jardin avant d’être entraînées par leur grand-mère dans l’obscurité de la maison.

Val, éblouie de soleil, chaussa ses larges lunettes, accessoire indispensable de cet été 2010, et leva les yeux vers la maison. Elle soupira. C’était minuscule. Ils allaient être encaqués les uns sur les autres. Elle qui détestait partager une salle de bains, à tous les coups elle n’en aurait pas une pour elle toute seule.