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Réchauffement climatique, appauvrissement des ressources, épidémie Covid-19, crises géopolitiques… autant de soubresauts planétaires qui interrogent l’Existence et les valeurs qui la sous-tendent. Du paradigme du profit au paradigme du sociétal, pour un bien-être durable, l’Existence appelle une (r)évolution des valeurs vers une « Valeur sociétale ». L’entrepreneuriat, comme phénomène qui a traversé l’Histoire en la produisant, endosse cette ambition avec celle d’un accroissement de la « Valeur sociétale » vers laquelle cet essai porte un regard.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ingénieur de formation,
Fernand Maillet a une activité de consultant dans les domaines de la créativité, de l’innovation et du projet nourrie par l’expérience d’une vie professionnelle consacrée à l’ingénierie, au management d’équipe de projet, puis à l’accompagnement entrepreneurial.
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Seitenzahl: 376
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Fernand Maillet
Vers une valeur sociétale
Le Ciel de la marelle
Essai
© Lys Bleu Éditions – Fernand Maillet
ISBN : 979-10-377-2987-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes petits-enfants
La maturité de l’homme c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant.
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886,
Maximes et intermèdes
Préface
Parmi les notions qui caractérisent le mieux le monde, l’incertitude tient une bonne place alors même que le fondement des échanges repose sur la confiance. Incertitude et confiance égrènent les affects qui trament l’existence en lui offrant le doute comme ombre du destin.
Alors le réel force les portes de l’entendement pour délivrer une valeur que nous nous devons de reconnaître au risque de nous perdre dans le dédale qui hante notre espace de liberté. La valeur c’est ce à quoi nous arrimons nos vies, à la manière d’un pari sur l’avenir, par un crédit de croyance accordé au présent.
Depuis les valeurs de la bourse jusqu’à la valeur de la vie, nous parions sans cesse, souvent à notre insu, avec le temps qui file en emportant nos valeurs. Nul repère, nulle référence en dehors d’un nous-mêmes que le temps abandonne aux souvenirs par l’ultime éructation d’une valeur mémorielle. La valeur est-elle le néant révélé ?
La notion de valeur a quelque chose d’étrange et de mystérieux qui acte la suprématie de la confiance sur l’incertitude, jusqu’à la retenue que nous pouvons éprouver à nous résigner à sa perte. Parce que la valeur c’est ce en quoi on croit, ce à quoi nous accordons notre confiance, et qui construit un « je » en nous ouvrant la porte du couloir étroit et tapis de nos embûches qui nous mène à l’Autre dans sa dignité. Parce que la valeur c’est ce que l’on partage en l’échangeant, c’est ce que l’on reçoit comme ce que l’on donne, c’est ce qui fait se rejoindre le singulier et le pluriel pour faire émerger un « ensemble véridictionnel ».
Le temps nous délivre des oripeaux de nos croyances en offrant à la valeur une Valeur que l’Humanisme a consacrée par-delà le matérialisme. À l’heure où l’avenir de la planète est un sujet, cette Valeur investit le « Tout » sociétal en ambitionnant la survie de l’espèce qui n’a que sa créativité à opposer à l’adversité.
L’entrepreneuriat, comme phénomène qui a traversé l’Histoire en la produisant, endosse cette ambition avec celle d’un accroissement de la « valeur sociétale » vers laquelle cet essai porte un regard, comme celui porté au Ciel de la marelle en lançant le palet…
Paris, avril 2022
Le terme « valeur » recouvre un large spectre de significations qui ont trait aux catégories de la Connaissance : littérature, musique, Beaux-Arts, mathématiques, économie, comptabilité… et aux structures syntaxiques des phrases qui les expriment : la valeur-quantité, de valeur-qualité ou valeur de comparaison.
Le terme « valeur » évoque en premier lieu l’idée d’une évaluation se rapportant à un sujet ou un objet matériel ou immatériel et envisagée comme relative à un contexte doté d’un référentiel ou de codes d’interprétation.
La perception de ce sujet ou de cet objet, sensible ou intelligible, emprunte « la forme sous le regard » qui en révélera le sens.
L’évaluation peut être qualitative ou quantitative, sachant que l’évaluation quantitative a vocation à solliciter de l’évaluation qualitative une interprétation qui lui donnera du sens. Il en va ainsi d’un objet dont on qualifiera le prix de « cher » ou de « bon marché » pour lui accorder du sens dans un contexte marchand donné. Cette valeur pourra déterminer l’action d’acheter ou pas.
À l’inverse, une « évaluation qualitative » n’appelle pas aussi nécessairement un complément quantitatif, voire le récuse. Les qualités humaines qui répondent à ce que l’on désigne comme des valeurs ne sauraient se soumettre à une référence absolue quantifiée, et les nuances de la pensée s’accordent alors davantage avec l’idée d’une appréciation qui demeure subjective. L’appréciation de la valeur pourra néanmoins se rapporter à une hiérarchie de valeurs, et déterminer un jugement (de valeur).
L’apprentissage scolaire s’évalue par des « notes » qui sont établies selon des barèmes. Les valeurs quantifiées se rapportent à des épreuves, et en traduisent les résultats comme une évaluation du niveau d’apprentissage atteint. L’évaluation demeure une appréciation pour une large part, qualitative. Le quantitatif donne une image du qualitatif, et la valeur a vocation à refléter la performance intellectuelle et/ou pratique de l’élève et de l’enseignement.
Le quantitatif et le qualitatif entretiennent une relation de complémentarité asymétrique.
Évaluer ou apprécier « la forme sous le regard », rencontre le champ de l’épistémologie selon les deux modes qu’emprunte l’acte de connaissance : l’intuition et le raisonnement.
L’intuition résultera de la perception immédiate d’une réalité intelligible dont l’évidence du sens forcera l’entendement. Il en résultera principalement une appréciation qualitative.
Tandis que le raisonnement s’appuiera sur l’observation d’une réalité sensible et d’une méthode par laquelle il pourra être rendu compte d’un résultat qui n’était pas nécessairement évident a priori. Il n’en résultera pas nécessairement une évaluation quantitative.
La valeur attachée à un objet ou à un sujet accompagne le sens qui ressort intuitivement de « la forme sous le regard » à la mesure de la sensibilité de l’observateur, que ce dernier tendra ou pas à la confirmer, ou à l’affiner, de manière différée, en l’introduisant par le raisonnement dans la somme de ses connaissances.
L’étymologie du terme « valeur » hérite du latin « valere » signifiant : « être fort, puissant, vigoureux ». Au Moyen Âge, « la valeur » se rapporte exclusivement aux qualités humaines, et par conséquent au mérite qui appelle une reconnaissance. La valeur force l’admiration et l’émotion qui l’accompagne. La perception d’une attitude ou d’un comportement « de valeur » génère un affect qui décentre l’observateur de lui-même, pour un rapprochement en pensée avec son auteur par une forme de motivation mimétique. Un élan spontané qui se résout en une volonté de ressemblance, d’appropriation, jusqu’à assimilation des qualités concernées. L’admiration révélera la séduction opérante, du latin « seducere », signifiant « tirer à l’écart ». Accorder ou reconnaître de la valeur, c’est déjà marquer un attachement affectif dont le subtil avènement accompagnera la mémorisation avec le code d’interprétation qui le sous-tend. Il s’agit là d’une voie d’apprentissage. L’humain se construit par ses affects.
La notion de « valeur » renvoie à la notion de « mérite », par un effet miroir dont les codes d’interprétation sont relatifs à la culture.
Qu’elle soit le résultat d’une mesure physique réalisée par un instrument ou le produit d’un jugement établi par l’esprit, la valeur d’un objet est indissociable du système de pensée (scientifique, philosophique…) dans le cadre duquel elle a été produite, et se dissout avec lui.
Ce système de pensée correspond à la réunion d’une catégorie de la Connaissance et du code d’interprétation des affects qui la fertilisent, et dont la pensée a besoin pour s’y mouvoir conséquemment.
La valeur que représentait l’agencement des pierres du mégalithe de Stonehenge dans l’imaginaire collectif des chasseurs mésolithiques s’est évanouie avec leur croyance. Les traces éventuelles dans notre imaginaire collectif sont imperceptibles.
L’antique valeur de la « coudée » est tombée en désuétude avec le système de mesure qui l’employait, et du coup a perdu sa valeur d’usage comme unité de mesure, au profit d’une valeur transposée dans le système métrique (environ 50 cm), pour mémoire historique.
Avec la disparition du système de pensée, l’objet de connaissance ne « parle plus » à notre entendement, et c’est la mémoire et l’imagination qui sont mobilisées pour en restituer du sens dans le présent par un acte de connaissance dont le résultat échappe alors à l’intuition commune. C’est le travail de l’archéologue ou de l’historien. Mais le sens ainsi livré à notre intellect demeure à distance de l’affect que produisait la croyance de l’époque, elle-même emportée par le temps. La valeur a perdu sa dimension affective originelle, et l’archéologue s’empresse de la remplacer par une valeur à la mesure de son propre code d’interprétation. Il pourra lui attribuer une valeur archéologique inestimable dont le fondement n’aura alors plus aucun rapport avec sa valeur originelle et ses codes d’interprétation.
Tandis que l’existence au présent d’un système de pensée se révèle directement à nos sens lorsque nous interagissons avec notre milieu de vie et que nous rencontrons « la forme sous le regard ». Ce système de pensée nous est indispensable pour déterminer nos comportements. Il a forgé notre esprit et nous offre les codes pour interpréter notre environnement et guider notre existence en lui accordant du sens. Il nourrit notre spontanéité et nous ouvre à la satisfaction que produit le mérite. Il nous donne les codes pour juger « du bien et du mal ».
Ainsi nous percevons que le quantitatif de la valeur se dédouble au travers du prisme du système de croyance ou de pensée qui éclaire « la forme sous le regard », selon les modes qu’emprunte l’acte de connaissance. La valeur-chiffres rencontre d’abord sensibilité et subjectivité jusqu’à une impression, un ressenti, une intuition, à la mesure des références qui guident le jugement immédiat qu’appelle la rencontre de « la forme sous le regard ». Ensuite, l’observation de la valeur-chiffres produit sa valeur arithmétique pour accéder au champ du quantitatif et se soumettre ainsi à notre esprit qui lui attribuera du sens. La valeur qui ressort de « la forme sous le regard » est donc d’abord qualitative.
La distance de la Terre au Soleil vaut une unité astronomique, soit 149 597 870 700 mètres
1
. « La forme sous le regard » que représente cette succession de chiffres augmentée de l’énoncé de ce à quoi elle se rapporte, révèle d’abord, immédiatement, intuitivement et qualitativement par l’entremise de notre imagination, l’immensité de l’espace correspondant, et par là celle de l’Univers. Mais la valeur arithmétique de cette unité peine à en rendre compte, elle demeure abstraite et a du mal à rencontrer une référence dans notre quotidien. Pour tenter d’en prendre la mesure, d’en appréhender une « valeur » intelligible, il faudra d’abord lui donner du sens, par exemple en déduisant, par le raisonnement et en rapport d’autres connaissances, que cette distance correspond à environ 389 fois la distance
2
de la Terre à la Lune, tandis que cette dernière correspond à 384 fois la distance de Marseille à Lille.
La « valeur » ainsi révélée parvient (péniblement) à « parler » à notre entendement parce que la représentation par laquelle elle a trouvé du sens a permis de transcender le champ de l’arithmétique3, et à sortir de l’abstraction en rencontrant, avec plus ou moins d’effort d’interprétation, une référence « connue ». Toutefois, l’impression qui en résultera demeurera peu changée : le soleil, c’est loin !
Si l’atome est sphérique, l’ordre de grandeur de son rayon est de 10
-10
mètres, tandis que le rayon de son noyau serait de 10
-15
de mètres. Une transposition utilisant l’homothétie permettra de donner sens à cet infiniment petit dont la valeur dimensionnelle échappe à l’entendement : « Si le noyau était une orange de 3 centimètres de rayon, alors l’atome aurait un rayon de 3 kilomètres ».
Qu’il s’agisse de l’unité astronomique ou des dimensions de l’atome, les nombres-valeurs qui rendent compte de leur mesure n’auront pas la même « valeur » selon que l’on est astronome, physicien des particules ou artiste, parce que la « valeur » est le fruit de la résonnance entre la chose observée et un corpus de connaissances pris comme référence d’un système de pensée. Cette « valeur » sera associée à un affect chez l’observateur en rapport avec la nature de son regard (de son intérêt, de sa motivation, de son engagement…) et de son état émotionnel.
La mention délivrée à l’examen du bac dépend de la valeur (chiffres) de la note finale aux épreuves. Et cette mention a une valeur (norme, barème) en elle-même puisqu’elle permettra le choix d’une orientation désirée, ce qui rejoint le mérite, lequel traduit une valeur (sociale). Mais, si la mention est méritée, c’est-à-dire déterminée directement par la valeur (chiffre) de la note, le mérite qui pourra être reconnu à l’élève sera à la mesure de l’effort de travail qu’il aura produit pour l’obtenir. Cette mention n’aura pas la même valeur (performance) pour le professeur qui veut apprécier la qualité de son enseignement, selon que l’élève est connu doué pour les études ou moyen pendant l’année. Quant à l’élève, la valeur (chiffre) de la note chiffrée aura une valeur (joie) dans la proportion de l’effort dont il aura conscience d’avoir consenti. Et la valeur (mérite) de cet effort sera à la mesure du résultat obtenu. Cette mention trouvera une valeur (bienveillance) dans le regard de l’entourage familial de l’élève en devenant un vecteur de son amour pour l’enfant. Ce qui sous-tend ce bouquet de valeurs intriquées c’est le regard que porte l’entourage, comme l’élève et le professeur, sur la valeur (sociale) que représente la réussite dans les études. Tous partagent la même culture, la même échelle de valeurs, avec vraisemblablement bien des nuances.
La valeur d’une œuvre littéraire (« Le Temps retrouvé » Marcel Proust), musicale (« Consolation N
o
3 » Franz Liszt)… artistique va dépendre du cadre ou contexte à partir duquel elle est appréciée, depuis notre « jugement personnel » qu’a forgé notre culture, jusqu’au jugement académique pour une « valeur artistique » ou au marché de l’Art pour une « valeur financière ».
Nous sommes alors en face d’un entremêlas de sens et d’affects que la maîtrise du langage nous permet de discerner et d’appréhender directement sans même avoir à les analyser. Nous sommes touchés par la grâce de l’évidence qui rend justice aux croyances qui nous gouvernent à la mesure de l’imprégnation que nous avons de notre culture et de l’échelle des valeurs qui la sous-tend.
Quelles que soient nos pensées, derrière chaque mot qui les porte, une « valeur » est en embuscade attendant qu’il soit rendu compte, immédiatement ou de manière différée, de l’écart ou de la nuance qu’elle entretient avec la « norme » inexorablement changeante, et qu’elle contribuera aussi à forger, par le cycle perpétuel des causes et des effets que la sémantique arrache à la syntaxe.
L’idée de « valeur » nous amène ainsi à l’idée de « langage » dont elle est autant inséparable que le « langage » l’est de la relation à l’Autre et à soi-même. La « valeur » est un vecteur de sens entre Moi et l’Autre dont les expressions successives s’alourdissent des différences de nos perceptions de « la forme sous le regard » et des affects qui en découlent.
Une communication qui tendrait à égaliser, en théorie, les « valeurs » telles qu’elles sont représentées et considérées de chaque côté de la relation, exigerait une identité de langage, c’est-à-dire un même mode de représentation et d’évaluation de la « forme sous le regard », ce qui serait un défi à l’esprit humain et à l’incontournable diversité des points de vue.
Mais, dans le cadre de cette relation, la « normalité » de la valeur flotte dans l’océan infini du sens aux bons soins de l’affect. La cohérence est son maître. Un « pourquoi » peut la faire vaciller dès lors que le système de pensée qui le produit extrait de « la forme sous le regard » une information nouvelle provoquant un déplacement du sens qui alimentait la relation. Ainsi naît la nouveauté régénératrice de la valeur de l’objet de la connaissance4.
Un tel « pourquoi » sous les lumières de la Raison, est l’instrument du doute cartésien, libérateur des préjugés, afin d’épurer notre jugement d’inutiles croyances et de tendre vers une vérité.
Relation, langage, sens nous amènent alors au-delà des mots, portés par « la forme sous le regard », tandis que l’idée de « valeur » épouse les fluctuations incessantes des affects qui font nos vies. La valeur c’est la couleur de l’affect.
Dans cette optique, le concept de « valeur » traduit l’importance que représente une chose (un bien, un fait) pour la personne qui en a connaissance, qui a conscience de la chose. C’est aussi un idéal à atteindre, un point de vue à défendre.
Mais cette importance peut être accordée à la chose par la personne elle-même, seulement, ou bien à partir d’une caractéristique que la chose aurait en propre, et donc indépendamment de la personne.
Cela amène à envisager deux catégories d’usage du terme « valeur » : la valeur « pour soi » (relative à l’être conscient) et la valeur « en soi » (abstraction faite de la conscience), et à s’interroger sur l’existence de cette dernière, sachant qu’une « valeur en soi » se traduirait par une « valeur pour tous », c’est-à-dire la reconnaissance par chacun et tous d’une « valeur universelle ».
Si nous reprenons la dualité du quantitatif et du qualitatif pour éclairer et distinguer « l’en soi » du « pour soi », nous rencontrons la dualité de l’objectif et du subjectif.
Nous observons que « le problème du monde » procède de la volonté de vouloir cerner « l’objectivité du qualitatif » jusqu’à vouloir y trouver de l’universel pour l’ériger en « valeur ». C’est la voie de l’idéologie, ce qui n’est pas un jugement de valeur, mais désigne une catégorie de la pensée qui se poserait comme la genèse des autres catégories, avant que ces dernières se déterminent en leur objet. Dans cette optique, « le problème du monde » n’est autre que l’antinomie irréductible entre le rationnel et l’irrationnel qui anime l’Existence.
Les valeurs en système ?
Heinrich Rickert5 part du principe que les valeurs s’érigent en système dont il cherche à déterminer les éléments constitutifs et leur synergie.
Il ne s’agit pas ici de résumer « Le système des valeurs6 » de Heinrich Rickert, mais simplement de présenter quelques idées phares en tentant d’en tirer parti pour éclairer l’univers qui enveloppe la notion de valeur, et ainsi percevoir dans quelle mesure les valeurs et leurs catégories peuvent constituer un système, c’est-à-dire un « ensemble abstrait dont les éléments sont coordonnés par une loi, une théorie » qui les transcende.
Les valeurs et la vie
Heinrich Rickert aborde le concept de « valeur » d’un point de vue philosophique, dans la mesure où la finalité de la philosophie est d’abord de proposer une « vision du monde » pour en déduire « le sens de la vie » et par là ce qui a de la valeur.
Si le « sens de la vie » se rapporte d’abord à l’individu, « ce qui a de la valeur » révèle le collectif auquel l’individu appartient. Ainsi, c’est vers la nature humaine que se tourne le regard pour en percevoir des qualités fondatrices de l’existence, c’est-à-dire des qualités portées par l’individu pour un bénéfice collectif, que l’on nomme communément : valeurs humaines.
Toutefois, Heinrich Rickert qualifie son approche de scientifique en rapport de la logique employée et de l’ancrage des idées et notions qu’il développe, et cela au regard des réalités concrètes de l’existence. Heinrich Rickert rejette ainsi la théorie des Idées de Platon (l’intuition que nous avons du monde est illusion) et l’intuitionnisme comme voie d’accès aux valeurs depuis l’expérience immédiate des réalités.
« Lorsque nous exigeons une vision du monde qui nous dise ce que signifie le monde, nous demandons alors… si notre vie a une valeur ainsi que ce que nous devons faire pour qu’elle ait de la valeur ».
La démarche consisterait à tenter de conceptualiser « la valeur », c’est-à-dire à lui attribuer une existence en soi. Mais cette ambition rencontre, a priori, une aporie, tant sont liées valeur et effectivité dans une unité qui se révèle à l’évaluation au travers du vécu d’une réalité par un acteur. Cette unité se résout dans le sens pour l’acteur, lequel sens transcende valeur et réalité effective. Ces trois catégories : sens, valeur, réalité s’offrent respectivement à l’entendement selon l’explication, la compréhension et l’interprétation.
Alors la question se pose de savoir de quoi procède la valeur, de l’objet de connaissance ou bien du sujet connaissant, sachant que l’un comme l’autre doit répondre d’une réalité effective. Si l’objet n’est pas porteur de la valeur en lui-même, le sujet, quant à lui, l’évalue, et ainsi s’en distingue. Les valeurs doivent donc être distinguées des objets et des sujets, qui sont des biens, comme l’axiologie7 se distingue de l’ontologie8.
« … les valeurs elles-mêmes ne peuvent se trouver ni dans le domaine des objets ni dans celui des sujets, mais elles constituent un règne pour soi qui se situe par-delà le sujet et l’objet ».
Il convient donc de distinguer valeur et évaluation, tout en considérant premier le critère de validité. Cette distinction est fondamentale dans la démarche de Heinrich Rickert en cela qu’elle constitue une approche singulière de la connaissance qui sépare le contenu de connaissance du jugement par lequel il lui est attribué une valeur. La validité de ce jugement sera donc liée à la capacité du contenu à exister réellement, ce qui correspond à son effectivité.
« La validité de la valeur demeure, quoi qu’il arrive, l’élément premier pour la question du sens de la vie… »
Heinrich Rickert se pose alors « … la question de savoir si la vie a de la valeur en tant que simple vie… ».
« Toutes les valeurs doivent donc se révéler fondamentalement des valeurs de vie, c’est-à-dire des valeurs qui sont attachées à la vie simplement parce qu’elle est la vie ».
Toutefois, Heinrich Rickert remarque que la « vie », en tant que telle, ne peut s’autojustifier, et que la valeur accordée à la culture ne peut pas dépendre d’une « valeur de vie » car cette valeur ressortirait davantage alors du plaisir que la culture procure, que de la « vie » en soi (en évitant de confondre valeur et évaluation, objet et jugement). N’étant pas possible de faire de la « vie » le fondement d’une valeur, il conclut que c’est « Le tout du monde [qui] doit être appelé “vie9” ».
Depuis le biologisme et l’évolution du vivant (Darwin) jusqu’à la morale et l’éthique, Heinrich Rickert parcours l’antagonisme qui sous-tend la relation entre l’état de culture et l’état de nature en tendant à conclure que « La vitalité est seulement un moyen ».
« La diversité des valeurs s’est en quelque sorte déposée dans les biens culturels, et cela s’est produit au cours de l’évolution historique ». La vie est au service de la culture et la question est de savoir « quelles valeurs sont effectivement réalisées par sa vitalité ».
« Une réflexion élémentaire suffit pour apercevoir que la valeur d’une machine, quelle que soit sa perfection technique, dépend exclusivement de la valeur que l’homme joint aux prestations de celle-ci, et qu’il n’y a, par conséquent, aucun sens à parler de “perfection” technique sans tenir compte des positions humaines de valeur ».
Dans cette optique, notre sens critique doit sans cesse nous inviter à aspirer à « d’authentiques valeurs de la vie ».
Comment concevoir un « système de valeurs » ?
Les valeurs sont attachées aux biens qu’il nous faut aborder au travers de leur rapport au monde : « … tous les biens sont ou ne sont pas des personnes, et dans ce cas sont des “choses”, et notre rapport à eux est ou n’est pas une activité, et il doit alors être déterminé comme “contemplation”. »
Ces « biens » sont des personnes et des choses telles qu’elles apparaissent dans la « vie historique ».
Heinrich Rickert distingue ainsi les modes de vie entre « actif » et « contemplation », et distribue sur ces deux modes les biens qui leur sont attachés. Ces biens trouvent leur plein accomplissement dans le temps et se répartissent en trois stades : en « biens d’avenir » (ce qui adviendra, la science), « biens du présent » (ce qui est accompli au présent, la philosophie), et « biens d’éternité » (ce qui est atemporel, la transcendance).
Cette approche débouche sur « six domaines axiologiques », respectivement : socio-éthique, vie personnelle, principe d’amour, puis : logique, esthétique, mystique.
Les domaines s’agencent les uns les autres pour constituer un « système de valeurs » sur lequel repose le sens de la vie humaine.
Ces « modes de vie » harmonisent les trois niveaux de l’existence : le matériel, l’affectif et le spirituel.
Mais les liens entre les valeurs n’offrent pas d’interprétation sans « … abandonner à l’individu singulier le choix de la vision du monde qui convient le mieux à sa singularité… ».
Reste à inscrire le « système de valeurs » dans le temps. « Tout ce qui arrive n’a jamais existé. Nous ne pouvons donc pas savoir dans quelle mesure des biens se développeront auxquels des valeurs inconnues seront attachées, ni quels seront les nouveaux problèmes qui en résulteront pour la philosophie en tant que science des valeurs, et par conséquent aussi pour la doctrine de la vision du monde… » « Pourquoi le jour prochain n’apporterait-il donc pas quelque chose qui pourra renverser demain ce système de valeurs que nous produisons aujourd’hui ? »
Le « système de valeurs » est réputé « ouvert », c’est à dire « non achevé », eut égard au caractère « ouvert » de l’historicité qui en rend compte. Les valeurs s’apprécient au présent et s’offrent à la nouveauté sous l’effet de l’évolution du contexte, de même que leurs rapports respectifs. « Le système des valeurs fait ainsi de la philosophie de l’histoire un tribunal des discours axiologiques… ».
« … La philosophie de l’histoire en son sens éminent… devait être entendue comme la description axiologique des époques passées, c’est-à-dire l’évaluation de leur sens relativement à la réalisation progressive de valeurs supra-historiques dans l’histoire humaine10. »
Avec la mystique, le sujet disparaît dans le « Tout », comme la relation de l’un à l’autre en se fondant dans la communauté, pour un mode de vie contemplatif.
L’esthétique rend compte de la dualité entre la forme et le contenu, que l’art surmonte dans la contemplation de l’œuvre.
La science comme l’art relèvent de la « contemplation », « … ils ont une volonté autonome lorsqu’ils cherchent la vérité pour la vérité ou la beauté pour la beauté… ». La science pose la dualité du sujet et de l’objet comme une caractéristique de son fondement dans la mesure où « Face au sujet, il doit toujours y avoir un objet indépendant de lui, s’il veut en général le connaître “objectivement” ».
Les valeurs socio-éthiques relèvent de la vie active et se rapportent aux personnes ou communautés qui constituent la « vie sociale », et qui visent à l’autonomie. Se rapportant à des biens d’avenir, elles sont à distinguer des valeurs relatives aux « biens de la vie personnelle » qui s’apprécient au présent.
Le principe d’amour émane de l’union de la femme et de l’homme, et si l’amour sexuel a « … sa place dans le système des biens », c’est au-delà de ce qui est « simplement naturel » que se situe le « plein-achèvement de sa propre existence » dans une communauté d’amour où s’échange « être présent » et « perspective d’avenir ». C’est dans une telle optique que nous comprendrions que « … c’est seulement ensemble que l’homme et la femme réalisent l’homme “complet”, et nous concevrions que l’idéal de l’humanité ne s’oriente précisément pas vers quelque chose d’identique chez l’homme et chez la femme… mais que le plein-achèvement doit être cherché dans la réunion de ce qui est essentiellement différent… ».
Mais l’amour terrestre rencontre la finitude dans le particulier et ne peut prétendre à l’achèvement tant qu’il ne rejoint pas l’absolu du « bien suprême ». C’est par un élan vers la transcendance « … qu’il nous faut élever notre vie personnelle dans sa plénitude individuelle ». Cela présuppose ce « bien d’éternité » qu’est la « liberté » offerte à la vie intérieure (autonomie de pensée), à partir de laquelle nous concevons la responsabilité de nos choix.
Heinrich Rickert se résout à admettre que les relations des valeurs entre elles semblent échapper à la forme d’un « système » répondant à une théorie, et que seule la philosophie offre au présent, « en visant les vérités dernières », l’horizon éphémère de l’achèvement (« la clôture ») d’une hiérarchie contingente et circonstancielle des valeurs qui peut parachever le « système » constitué des six domaines axiologiques.
Une vision du monde qui reposerait sur un système de valeurs prétendant à l’achèvement dans le présent, c’est-à-dire un système fermé, pourrait alors s’apparenter à une œuvre d’art.
Entre le tout inachevé (système de valeur) et la particularité accomplie (œuvre d’art), « … c’est l’amour impersonnel et contemplatif du savoir… qui réunit l’accomplissement dans le présent et la perspective d’avenir ».
Les modèles de valeurs
Si les valeurs (humaines) ne se laissent pas ériger en système (répondant d’une théorie sous-jacente), du moins leur analyse conduit à les présenter selon des « modèles » plus ou moins complexes permettant d’appréhender les changements sociaux. Néanmoins, le concept de valeur ne fait pas l’objet d’un consensus sur sa définition, et son approche demeure qualitative (« ontologiquement subjective »), en échappant à toute méthode de mesure.
La notion de valeur enveloppe intuitivement le champ de la sociologie dont la finalité est d’appréhender la manière dont une somme d’individus devient un groupe organisé et animé, duquel émergent des caractéristiques propres comme les us et coutumes, et finalement une culture. La culture désigne tout ce que le groupe a « capitalisé » d’actes et pensées possédant le caractère d’humain, et qui lui a historiquement permis ou conduit à se détacher de son état initial de nature. Ainsi, comprendre comment s’opèrent les transformations au sein du groupe social nécessite d’abord d’en identifier le moteur. Si les besoins fondamentaux de l’Homme, d’ordre biologique, donc individuel, sont cause initiale du mouvement, l’effet, en termes d’orientation des comportements dans le groupe, porte la marque d’une des caractéristiques du groupe en la révélant, c’est-à-dire de l’ensemble des valeurs communes aux individus qui transcendent leur singularité biologique.
Alors, la conclusion serait que l’œuvre de la sociologie procède d’abord d’une définition de cet ensemble de « valeurs communes », à l’instar des besoins fondamentaux que la biologie explique. Pour ne pas rester élémentaire, cette approche prendrait le risque de devenir normative, voire d’impliquer le sociologue, lui-même, par ses propres « jugements de valeur », tant la mise à distance de l’objet d’étude apparaît délicate. Dans quel refuge mental la pensée pourrait-elle se retirer pour se garantir à elle-même sa neutralité axiologique ? De là découle le rapport ambigu entre valeur et sociologie, et la prudence à l’égard de l’usage des modèles qui procéderaient d’une « sociologie des valeurs ».
Les valeurs érigées en système ne peuvent l’être qu’à l’intérieur d’une philosophie, et dans ce cas elles ne peuvent pas prétendre à l’universalité. A contrario, on peut construire des modèles qui reposent sur l’observation expérimentale des comportements culturels et sociaux d’une époque, afin qu’ils fournissent ainsi des repères pour appréhender les évolutions qui parcourent la société.
Dans cette optique, les modèles évoqués ici sont simplement descriptifs et destinés à guider l’observation empirique, bien que cette dernière rencontre aussi des limites d’ordre méthodologique11.
Le modèle de Schwartz12
Ce modèle présente dix valeurs fondamentales et universelles : « autonomie, stimulation, hédonisme, réussite, pouvoir, sécurité, conformité, tradition, bienveillance, universalisme », qui possèdent cinq caractéristiques communes : « … ce sont des croyances en lien avec des affects… des objectifs désirables qui motivent l’action… à l’influence non nécessairement consciente… elles transcendent les actions (dépassement de soi) en s’offrant comme critère de choix… elles sont hiérarchisées ».
Ces valeurs sont fondamentales et universelles parce qu’elles correspondent à des nécessités de l’existence : « satisfaire les besoins biologiques des individus, permettre l’interaction sociale, assurer le bon fonctionnement et la survie des groupes ».
Ces valeurs peuvent être présentées sur un cercle dont les points diamétralement opposés figurent l’opposition des valeurs qu’ils portent, et réparties selon quatre tendances : ouverture au changement, continuité, dépassement de soi, et affirmation de soi.
Le modèle de l’observatoire européen13
Ce modèle reprend et complète le modèle de Schwartz, d’une part, en étendant le spectre des valeurs, d’autre part, en disposant cinq niveaux (représentés radialement) qui passent des valeurs de base à leur traduction selon les problématiques qui traversent la société, par exemple, selon une direction en partant du centre : niveau 1 : dépassement de soi, niveau 2 : nature/universalisme, niveau 3 : protection de l’environnement, niveau 4 : inclusion universelle, niveau 5 : lutte contre le changement climatique.
Ce modèle ajoute les deux valeurs : « image : restaurer/préserver l’image publique (incarnation du pouvoir) » et « pouvoir : reconnaissance sociale/richesse/pouvoir social/autorité » selon les « niveau 2 ; niveau 3 ». Le niveau 2 correspond au niveau des valeurs du modèle de Schwartz. On peut comprendre qu’il s’agit de valoriser l’efficacité dans l’action et/par l’adhésion des contributeurs, et d’en améliorer les performances.
Le besoin et l’échange
Dans l’économie de marché capitaliste, l’acquisition d’un bien (objet ou prestation) nécessaire à combler le besoin d’un acteur fait l’objet d’un échange réglé par le prix à payer en retour du bien reçu. La perspective concrète de l’échange se résout dans le quantitatif. Le prix attribué au bien est assimilé à sa valeur, il constitue le chiffrage de cette valeur, qui est alors une « valeur économique ». Globalement, ce prix s’établit dans le cadre d’un marché qui confronte l’offre et la demande. Au niveau des acteurs, ce prix c’est « … le montant monétaire qu’un acheteur est prêt à remettre à un vendeur pour l’acquisition d’un bien et inversement qu’un vendeur est prêt à recevoir pour la cession d’un bien ».
La notion d’économie recouvre « les activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses ». Ces richesses, ou biens, sont échangées dans le cadre d’une activité commerciale régulée par un marché.
La société au Moyen Âge
Depuis la révolution Néolithique, au moins, avec la sédentarisation et le partage des tâches, le besoin d’échanger des biens entre individus a fait naître, sur le plan collectif, une première forme d’économie14 avec la nécessité d’une régulation du « commerce » naissant.
Les échanges de biens par simple compensation, le troc, apparaissent rapidement insuffisants avec l’augmentation des populations, et le besoin de fluidifier les opérations d’échanges s’impose. Des unités d’échange (coquillages puis métaux) sont alors utilisées pour étalonner le degré d’importance accordée aux biens, et distinguer ainsi le bien particulier d’un équivalent générique reconnu comme pouvant s’y substituer dans l’échange. Le développement d’une pensée qui aboutira au concept de valeur (économique) accomplissait ses premiers pas.
À l’étalon de métal précieux (notamment l’or) se substitue progressivement la monnaie15 dont l’usage se développa en Grèce, principalement avec l’emploi de l’argent métal, qui en deviendra synonyme.
La prospérité de Rome, où l’activité était essentiellement agraire, suivra son expansion territoriale autour du bassin méditerranéen avec l’annexion de terres, et l’exploitation de leurs richesses. L’économie romaine procédait davantage d’échanges commerciaux individuels que d’une organisation étatique. Les provinces se spécialisaient dans leur production manufacturière. Les richesses (blé, huile… étoffes, parfums…) convergeaient vers Rome. Le travail autre que celui de la terre était peu ou pas valorisé, ne bénéficiait pas d’investissement et l’innovation y était rare. Les recettes fiscales qui s’étendaient avec les conquêtes territoriales alimentaient le trésor public contrôlé par l’Empereur. Ce fût essentiellement une économie de prédation, et la fin de l’expansion de l’Empire a vraisemblablement contribué à l’effondrement du système financier et à la chute de l’Empire en 476.
C’est au moyen âge que le marché fait son apparition (notamment les foires de Champagne qui se tenaient plusieurs fois par an, et qui attiraient16 marchands et acheteurs de toute l’Europe) et que le commerce se développe, en rendant compte d’une évolution plus profonde de la société qui va s’étager du XIe au début du XIVe siècle, vraisemblablement favorisée par un certain apaisement de la vie, avec la disparition des invasions, saccages et razzias qu’avait connus la seconde partie du premier millénaire, et une relative stabilité politique17.
Une nouvelle dynamique économique et sociale s’instaure avec la croissance de la population partout en Europe (quasi doublement de population), qui appelle une expansion des terres cultivables (les grands défrichements). Le développement des innovations technologiques apporte des gains de productivité (notamment l’amélioration des moulins à eau, l’apparition du moulin à vent en France au XIIe siècle, la charrue, le ferrage des chevaux, l’assolement triennal – différentes cultures et jachère –, l’amélioration des modes de construction… l’architecture gothique remplace l’architecture romane au cours du XIIe siècle…).
L’essor de la construction des cathédrales traduit, à partir du XIIe siècle, un regain d’effervescence religieuse, et le bon état des finances royales auxquelles l’épiscopat a recours à la faveur des synergies politiques au profit du pouvoir royal.
L’apparition des universités18 et la diffusion des connaissances répondent à l’émergence du goût pour le savoir. Cet élan trouvera avec l’invention de l’imprimerie, au milieu du XIVe siècle, une expansion en forme de tournant majeur pour l’humanité19.
L’évolution du monde religieux, et de son rapport au pouvoir annonce le courant humaniste de la Renaissance par lequel l’Homme sera progressivement placé au centre des préoccupations philosophiques (anthropocentrisme), dans le sillage des Grecs Anciens que l’on redécouvre, dont Platon qui considère que « L’homme est la mesure de toute chose20 ».
Le monde occidental est mû par des forces nouvelles qui interrogent les érudits et les âmes à la recherche de leur salut dans ce monde encore largement dominé par la seule « crainte de Dieu ». Une certaine fébrilité s’est installée dans « l’air du temps » en même temps qu’on aspire à comprendre les bouleversements qui s’opèrent, tant pour guider individuellement son existence dans une société qui n’a d’autres repères que religieux (dominée par la rédemption des pêchers au moyen du don pour obtenir le Salut de l’âme), que pour affirmer le pouvoir royal dans cette époque où l’État21 se construit progressivement.
Dans ce contexte réapparaît la pensée grecque ancienne, potentiellement porteuse de « vérités » oubliées, dont la redécouverte viendrait enfin éclairer les tenants et aboutissants de ce présent qui se dérobent à l’entendement.
C’est vers les écrits d’Aristote que se focalise, à partir du milieu du XIIe siècle l’engouement des clercs et des érudits laïcs qui achèveront leur œuvre de traduction au XIIIe siècle. Mais l’absence de Dieu dans la pensée d’Aristote et la diffusion de « vérités nouvelles » ébranlent l’univers chrétien qui dominait les esprits, jusqu’à ce que le Saint-Siège favorise l’émergence d’un système de pensée propre à « … augmenter le pouvoir d’intégration et la capacité de cohésion de la pensée d’Occident, attaquée de toute part 22».
Ce n’est pas seulement vis-à-vis de la foi religieuse que le besoin d’un repositionnement des esprits s’impose, mais aussi, et surtout vis-à-vis de la moralisation des affaires (chacun pouvant avoir maille à partir avec le salut de son âme) vis-à-vis desquelles Aristote voyait des risques pour la société, ainsi que de l’usage de la monnaie qui ne rencontre la confiance23 des acteurs que par ce qu’elle représente de poids d’or ou d’argent.
Thomas d’Aquin (1225-1274) trouve dans la philosophie d’Aristote matière à éclairer la pensée chrétienne, et c’est dans cette optique qu’il parviendra à en concilier les fondements24 dans sa « Somme théologique25 », alors même que sa démarche initiale était d’assainir le corpus idéologique des nouveautés dérangeantes qui traversaient les esprits du temps.
C’est bien parce que la philosophie est au service de la théologie qu’elle éclaire les « vérités naturelles » par la raison, lesquelles se distinguent des « vérités révélées » auxquelles on accède par la foi. Ainsi Raison et Foi ne sont donc pas antinomiques mais complémentaires dans « … la connaissance de la vérité, chemin vers la béatitude ».
Au besoin d’assurer le salut de son âme s’ajoute le besoin « d’épanouissement dans le développement de ses capacités intellectuelles, dans son esprit critique » et l’aspiration au bien-être. L’individu se distingue ainsi du collectif dans leur relation de coévolution, « l’en soi » s’éloigne du « pour soi », l’objectif se détache du subjectif.
En esprit, la mise à distance de soi de l’objet de connaissance ne cessera de s’imposer comme la voie par laquelle la liberté de la pensée éloignera le joug de l’obscurantisme ambiant : « Autour de l’an mil, quelque chose a changé en Occident dans le rapport des hommes au monde matériel, qui ne se laisse pas facilement décrire26 ». Cette dynamique de la pensée convergera avec le rationalisme qui prend sa source dans le « logos » de la Grèce Antique.
La forme sous le regard s’autonomisait en affirmant son éloignement progressif de l’affect qu’elle avait engendré chez l’observateur, lequel voyait ainsi évoluer sa capacité à exprimer, par le langage, son rapport au monde. « La parole en sa réalité plénière manifeste le pouvoir surnaturel de l’homme, qui, en allant au monde, donne sens à soi-même et au monde27 ».
Cela nécessite la conscience de soi-même « dans le monde » et l’accès à la richesse des nuances d’une langue pour user de l’abstraction sans rompre avec le réel, un réel qui laissait poindre une évolution des modes de vie en découvrant la prospérité qu’amenait le dynamisme des marchands et des artisans dans une société en majorité paysanne. Des relations de synergie s’instauraient entre ces activités humaines jusqu’à produire des effets sensibles (du profit) avant que d’être intelligibles (des concepts). Il devenait possible de concevoir l’idée selon laquelle « demain sera mieux qu’aujourd’hui » grâce au produit de l’activité (du travail). Ainsi les prémices de l’idée de « progrès » s’installaient dans les esprits.
Alors, tout naturellement le vocabulaire s’est étendu en s’enrichissant des nuances qui faisaient sens au regard de ces forces nouvelles qui dynamisaient silencieusement le quotidien.
L’enjeu était simple pour les érudits lucides et visionnaires, il s’agissait de relever le défi d’orienter cet élan vers la production de richesses matérielles au sein de la société tout en sauvegardant le socle des richesses spirituelles qui la fondait. Ce défi ineffable qui taraudait les esprits sans leur avouer sa fin pouvait se traduire par la question : en quoi et comment cet élan requestionnait-il les « valeurs » attachées au salut des âmes ?
L’apparition du mot « valor28 »
Le mot « valor », qui n’existait pas dans le langage latin, est apparu au XIe siècle dans l’Occident latin. Jusque-là, c’était seulement l’action d’évaluer, en elle-même, qui était nommée dans le contexte restreint des contributeurs à un échange. Ce contexte constituait le périmètre de validité des modalités de l’évaluation, sans désigner une caractéristique spécifique de l’objet évalué pour l’échange.
L’introduction du mot « valor » semble correspondre au besoin naissant d’élargir ce périmètre restreint de validité, pour permettre de s’émanciper de la singularité spatiotemporelle de la relation d’échange. Il s’agit d’attribuer à l’objet une caractéristique « en soi », la même pour d’autres objets identiques, qui hérite alors, non plus du rapport d’un individu à l’objet qu’il évalue dans le contexte particulier d’un échange, mais de la référence qu’offre l’appréciation de l’objet par un collectif plus large : la société. L’échange se conclut ainsi avec la détermination du « prix » traduit en « monnaie » en devenant cette « valor » attribuée à l’objet.
L’apparition de la notion de « valor », comme caractéristique propre à l’objet et indépendante du contexte d’un échange, ressortirait de la multiplication des besoins d’échanges conduisant à la fois, à l’augmentation du nombre des transactions et à leur expansion géographique, et donc du passage d’échanges de proximité entre un petit nombre de personnes d’un même milieu social, à leur généralisation, au commerce local, puis à l’économie. Toutefois, cette notion pouvait aussi désigner la composante morale, subjective, accompagnant l’échange, le ressenti résultant des modalités de l’échange dans un contexte social dominé par le « bien et le mal » et le salut de l’âme, en traduisant en mots l’affect partagé au moment de conclure (nous dirions peut-être aujourd’hui que l’échange était gagnant-gagnant).
La genèse du concept de « valeur »
L’Antiquité
Le concept de « valeur » a été introduit dans le langage économique au cours du XIIIe siècle comme traduction, interprétation, voire transposition, de la pensée d’Aristote exprimée dans l’Éthique à Nicomaque, bien que le terme « valeur » n’y figure pas29.
Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote explore les conditions d’une vie heureuse dans la société (les conditions d’accès au bien-être) qu’il fait reposer sur la vertu, et traverse ainsi essentiellement les champs de l’éthique et de la politique. Il s’interroge ainsi, en quelques paragraphes, sur « La justice », et sur ce qui constitue le « ciment de la Cité » en pointant la « réciprocité proportionnelle » comme fondement d’un échange vertueux.
Une lecture visant à en explorer le sens selon les codes propres au champ de l’économie, échappe au contexte de l’époque (l’observation des échanges n’avait pas encore donné lieu à une économie théorisée), et s’écarte du dessein d’Aristote, bien qu’une telle interprétation ne soit pas privée de sens et d’intérêt dans la mesure où éthique et politique doivent nécessairement éclairer le champ de l’économie.
La notion « d’échange » dans la pensée d’Aristote semble plus proche de celle de « relation » que de « transaction » en pointant davantage la dimension humaine que la dimension commerciale, même si le propos converge vers la matérialité de l’existence.
C’est par la justice qu’il aborde la question des relations entre citoyens : « C’est en effet parce qu’on retourne en proportion de ce qu’on reçoit que la Cité se maintient ».
C’est dans ce cadre de pensée que s’inscrit ce que doit être l’échange « juste » qui est aux fondements du commerce et de l’économie, et pour cela « … l’usage de la monnaie rend les biens commensurables ». Être commensurable30 est alors pour des biens une condition nécessaire à l’échange, « … si bien que, évaluant aussi l’excès et le défaut, elle permet alors d’établir combien de chaussures équivalent à une maison ou à de la nourriture31 ». Avec la monnaie, on peut rendre « … en proportion et non selon un principe d’égalité ».