Virtuellement sincères - Jean-Baptiste Seigneuric - E-Book

Virtuellement sincères E-Book

Jean-Baptiste Seigneuric

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Beschreibung

Le coeur de Marie balance entre son mari et son amant. A l’heure du choix, elle fait appel à Jean, son confident et ami. Mais la complicité virtuelle qu’elle croyait avoir nouée avec lui se dévoile lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois dans la réalité. Loin de l’innocence promise, leur relation se révèle soudain bien plus complexe. L’amour, l’amitié, le désir : toute l’ambiguité des relations hommes-femmes, malmenées par le truchement du virtuel.

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Seitenzahl: 95

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Sommaire

Les personnages

Acte I: Eux

Premier Tableau: JULIEN

Deuxième tableau: JULES

Acte II: Elle

Troisième tableau: Marie

Les personnages

Jean : l’écrivain

Marie : la femme

Julien : son mari

Jules : son amant

Un salon

Acte I

Eux

Premier Tableau

JULIEN

Un homme seul assis. Il regarde sa montre. Quelques instants. Puis un second entre. Ils se regardent quelques instants.

Jean fait le premier pas, semble hésiter et tend la main à l’autre homme en se présentant.

Bonjour. Jean !

Julien se lève et serre la main de Jean.

Je suis Julien, le mari de…

Jean le coupe, gêné

Oui, je sais.

Un temps d’observation mutuelle.

Julien

Alors, c’est vous ?

Jean

Qui moi ?

Julien

Son fameux Hokhem ?

Jean

Fameux, je ne suis pas sûr. Hokhem, non plus. D'ailleurs, personne n’a jamais su ce que c’était vraiment un Hokhem.

Julien

Marie aime ce qui est compliqué.

Jean

On est tous un peu pareils.

Julien

Certains plus que d’autres.

Un temps

Vous savez, j’aurais pu être jaloux de vous.

Jean

J’imagine.

Julien

Ma femme parlait souvent de vous en ami. Souvent, et beaucoup trop. Vous la conseilliez, l’écoutiez. Par certains côtés, j’avais l’impression parfois que vous preniez ma place.

Jean

Bien involontairement, croyez-le.

Julien

Mais au fond, vos enfantillages, votre camaraderie de cour de récréation, c’était pas un problème. J’avais des raisons plus sérieuses d’être jaloux. Vous avez de la chance. Même si au fond, je me demande si elle n’aurait pas été capable de me tromper avec deux hommes en même temps.

Jean

Pas avec moi en tous les cas. Je peux vous assurer que l’idée n’a effleuré personne.

Julien

Je préfère l’entendre de votre bouche. Ça sonne plus juste. Mais ça n’enlève pas le doute. Au point où j’en suis. Vous étiez quoi pour elle ?

Jean

Juste son confident.

Julien

Un de ses confidents.

Jean un peu vexé

Vous faites bien de me le rappeler. C’est une de ses spécialités : faire croire à chacun qu’il est au centre pour mieux s’approprier toutes les attentions.

Julien

Au centre des attentions, et au centre du lit aussi. Alors que le centre…

Jean

Oui je sais. Et les autres, rien que des électrons qui gravitent autour. Captifs, aveugles. Et chacun se croit unique.

Julien

Vous le premier. Si proche du noyau, mais hors de portée. C’est déjà ça si vous vous en rendez compte. Et pourtant, vous êtes là. Malgré tout… Pourquoi ?

Jean

Je n’en sais rien. Peut-être tout simplement pour essayer de comprendre. Comprendre quelle était ma place…

Julien le coupe

On n’est pas là pour se raconter des histoires. J’en ai assez entendu ces derniers mois, sous les prétextes les plus mauvais. Elle est passée maître là-dedans. Alors, offrez-moi un peu de sincérité, ça me changera.

Jean

Je ne sais pas, je ne la connais pas assez.

Julien

Faites-moi surtout le plaisir de ne pas la défendre.

Jean

Je ne vous connais pas non plus. Mais je n’ai donc aucune raison de penser qu’elle soit défendable pour ce qu’elle vous a fait.

Julien

Merci. Finalement, vous n’êtes pas si déplaisant que je l’avais imaginé.

Jean

Si vous le dites. Je ne pensais pas en venant ici que je risquais de prendre un poing sur la figure.

Julien

Il faut s’attendre à tout de la part d’un homme bafoué. Parfois on se trompe délibérément de cible à force de ne pouvoir atteindre celle qu’on vise. Juste pour avoir la satisfaction de mettre au moins une fois dans le mille. Vous ne savez pas à quel point je souffre.

Jean

J’imagine.

Julien

Restez-en à l’imagination, c’est déjà bien assez pénible. C’est une torture de chaque instant. Imaginer ce qui s’est passé… Tous ces instants qu’elle m’a volés. Ce qu’ils m’ont pris, personne ne pourra jamais me le rendre. Et imaginer que maintenant ça peut se reproduire à n’importe quel moment, avec n’importe qui, quoi qu’elle dise, qu’elles que soient ses promesses. Il y a mille souffrances en une, mille plaies en un seul mot. Une trahison de chaque instant. Et je ne parle même pas de l’amour propre : mon orgueil, ça fait longtemps que je l’ai mis de côté. Ça ferait trop d’un coup. Ma souffrance, elle est déjà bien assez grande en imaginant ce qu’elle a pu faire avec un autre. Pour le moment ça ne va pas plus loin. Heureusement ! Sans quoi je crois que je pourrais devenir fou.

Alors si vous n’avez pas vécu ça, vous ne pouvez pas comprendre, et je ne vous conseille pas de l’imaginer.

Un temps

Julien

Vous croyez qu’elle sera à l’heure ?

Jean

Forcément non

Julien

Pourquoi en être si sûr ?

Jean

J’en suis certain. Nous faire attendre comme ça tous les deux ensemble n’est pas innocent.

Julien

Oui, bien sûr.

Jean

Innocente. Elle a dû l’être quand même un jour.

Un silence

Mais après tout qui peut se vanter de le rester ? La naïveté, c’est presque une tare de nos jours.

Julien

Ben oui.

Jean

Vous m’en voulez ?

Julien

De quoi ?

Jean

Ma femme, elle m’en veut. Terriblement.

Julien

Pourquoi ?

Jean

C’est difficile à expliquer. Mais je la comprends, et je m’en veux. Ce qui s’est passé entre Marie et moi.

Un silence

En fait rien justement, et c’est peut-être ça le plus inquiétant. Ça a commencé tout simplement. Elle m’a demandé un avis, puis un conseil. D'abord, c’était professionnel. Un échange de numéros de téléphone, puis d’adresses mail. Des courriels, des tchats. Et puis trop vite, c’est devenu plus intime. Nous avons échangé quelques confidences, le plus souvent à sens unique d’ailleurs. Elle parlait d’elle. Ça a glissé, insidieusement. Il y a eu un autre soir, puis un autre encore. À la fin, c’était tous les soirs, le jour, la nuit. À n’importe quel moment, sous n’importe quel prétexte.

Julien

Eh ben !

Jean

Mais jamais rien de répréhensible, sinon la fréquence, l’intimité, le ton : celui de la confidence. Avec le recul, c’était trop, sans fondement. Notre relation était creuse. Mais d’un vide qui masque quelque chose de plus mauvais, de plus pervers. C’est ce que pense ma femme. Elle se trompe rarement. Et même si je ne l’ai pas trompée… il y avait une certaine forme de trahison. Et puis il y avait surtout la dépendance, ce berceau de l’illusion. Celle d’une fausse complicité.

Un silence

Alors, vous pourriez m’en vouloir, vous aussi ce serait normal. Pour tout ce temps que je vous ai volé, que j’ai volé à ma femme pour une autre qui n’était pas la mienne. Au fond oui, pour tout ça vous pourriez m’en vouloir.

C’est comme une chaîne : si on vous en veut, il faut bien se décider à la fin par en vouloir à quelqu’un d’autre, et ainsi de suite. On n’aime jamais souffrir seul.

Julien

Oui.

Jean

C’est agaçant. C’est un manque flagrant d’injustice, alors on finit par rétablir l’équilibre, presque spontanément.

Julien agacé

Ne continuez pas sur cette voie-là. Sinon ça finirait bien par me donner l’envie de vous le mettre sur la figure mon poing. Et finalement pas si gratuitement que ça. Je ne suis pas sûr que j’aurais moins mal, mais c’est sûr que je me sentirais moins seul.

Un temps. Jean regarde Julien de biais.

Julien

D’accord… De quoi on parlait ?

Jean

Ah oui, pardon. Je vous demandais si vous m’en vouliez.

Julien

Je lui en veux déjà bien assez à elle. Et je pense que c’est suffisant. Vous savez, moi elle m’a trompé avec un autre, sur toute la ligne, intégralement. Sa bouche partout sur son corps à lui. Sa peau offerte complètement à l’autre, lui qui n’avait rien fait pour la mériter sinon qu’être là au mauvais moment. Et ces endroits qui auraient dû rester secrets, même dans l’imagination des autres hommes, elle les lui a offerts.

C’était portes ouvertes ! Elle a fait avec lui ce qu’elle avait un jour juré de ne faire qu’avec moi.

Jean

Juré ?

Julien

Ben oui, juré, ce n’est pas ça le mariage après tout ? Vous avez bien juré vous aussi ? Vous n’êtes pas comme elle au moins ?

Jean

Comment comme elle ?

Julien

Parjure ?

Jean un temps, soucieux

Non, je ne crois pas.

Julien

Tant mieux !

Un silence

Elle m’a trompé, et je lui ai pardonné. Et elle a recommencé. C’était plus fort qu’elle.

Et je lui ai pardonné à nouveau.

Jean

C’était plus fort que vous.

Julien

Alors, elle a recommencé. J’en peux plus de souffrir.

Jean

Elle dit qu’elle souffre elle aussi.

Julien

Peut-être, mais surtout, elle le fait bien savoir… à des gens comme vous. Des gens qui l’écoutent, qui la réconfortent. Des gens qui la confortent. Vous lui offrez une sorte de légitimité avec votre oreille docile. Et puis tant pis si elle souffre, je m’en fous ! Elle, elle a choisi. Après tout, elle assume. Moi, elle m’a rien demandé.

Jean

Peut-être même pas de lui pardonner la première fois. C’était peut-être la fois de trop ?

Julien

Je ne sais plus. Mais je voulais la garder, je voulais y croire.

Un temps

Vous y croyez vous à cette formule ?

Jean

Laquelle ?

Julien

L’amour de sa vie.

Jean

Elle est l’amour de votre vie, c’est ça ?

Julien

Ce n’est pas la question. Elle veut partir avec l’autre, parce qu’elle me dit qu’il est l’amour de sa vie. Vous y croyez vous à ça ?

Jean

Ah oui, cette formule, ce grand concept romantique ? Ce n’est pas nouveau. Ça fait des siècles qu’on se la sert à toutes les sauces pour expliquer tous les chagrins et légitimer toutes les trahisons. C’est surtout à ça que ça sert de nos jours.

Se reprenant

Pardon, je ne voulais pas.

Julien

Ben non bien sûr. Elle non plus d’ailleurs. Elle ne voulait pas. Et pourtant, elle a…

Jean

C’est idiot, quand même nous faire attendre ici, vous et moi, c’est extrêmement gênant.

Julien

C’est le privilège des femmes… Vous êtes là pour la conseiller ou un truc dans le genre non ? Une sorte d’arbitre ?

Jean hausse les épaules

Quelque chose comme ça. Mais quand même, ce n’est pas mon rôle.

Julien

Si elle l’a décidé… Après tout, si ça peut la faire changer d’avis. Et puis vous êtes venu, donc vous avez accepté.

L’amour de sa vie… Et dire qu’un jour, pour qu’elle décide de m’épouser, ça devait bien être moi l’amour de sa vie. C’est quand même bien un truc de femme ça, vouloir s’approprier les choses de toutes les façons possibles, même quand elles vous trompent.

Jean

On dit bien : la femme de sa vie. Ou l’homme d’ailleurs. Sacha Guitry disait à l’une de ses nombreuses épouses : tu es la femme de ma vie, je ne suis qu’un homme de la tienne. Et pourtant, il s’est marié cinq fois, sans compter toutes les autres occasions qu’il a sans doute eues de chanter le même refrain à d’autres.

Julien

Et qu’est-ce que ça peut me faire Sacha Guitry ? C’est déjà assez difficile de réfléchir tout seul, sans que des inconnus s’y mettent aussi.

Jean

Guitry, un inconnu ?

Julien

Vous l’avez connu personnellement vous ? Alors ! Et puis, ce genre de bonhomme qui écrit des trucs censément drôles sur les cocus. Déjà ça ne me faisait pas beaucoup rire avant, mais maintenant ! J’ai l’impression d’être sur scène, que chaque passant qui me croise dans la rue est un spectateur qui se réjouit de ma honte, prêt à rigoler dès que j’aurai le dos tourné.

Jean qui regarde les spectateurs

Allons, il n’y a que nous ici. Et surtout, je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.

Julien