La reine du carnaval - Jean-Baptiste Seigneuric - E-Book

La reine du carnaval E-Book

Jean-Baptiste Seigneuric

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Beschreibung

Charles, chef d'orchestre au sommet de son art et de sa renommée, règne en maître sur sa femme, ses domestiques, ses amis et ses conquêtes. Confondu par une mauvaise fracture qui l'immobilise chez lui, ce tyran qui se croyait invincible se trouve pris au dépourvu. L'arrivée d'une garde-malade, charmante et incorruptible, oblige Charles à repenser la vision de son petit monde.

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Seitenzahl: 112

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Les personnages

Charles Berlioz : chef d’orchestre

Geneviève : sa femme

Georges : majordome

Marguerite : gouvernante, femme de Georges

Jean : médecin et ami de Charles

Thérèse : garde-malade

Un intérieur cossu. La porte d’entrée face au public sur un vestibule et un vaste salon. Un escalier et une coursive côté cour vers les chambres. Une porte sous la coursive. Une autre porte côté jardin : l’office.

Sommaire

Acte I

Acte II

Acte III

Épilogue

Acte I

Au lever de rideau, la scène est dans la pénombre. Tout d’abord le bruit de clefs, la porte d’entrée s’ouvre. On entend la pluie dehors. Georges entre. Il ferme un parapluie qu’il range et s’affaire pour allumer les lumières dans le salon. Derrière lui, Charles reste dans l’encadrement de la porte d’entrée, attendant que la lumière se fasse.

Georges

Voilà !

Pleine lumière. Charles entre. Son costume de pirate est parfait : bandeau sur l’œil, sabre au côté, un perroquet empaillé à la main, bottes de cuir. Un imperméable en sautoir sur les épaules.

Charles

Merci Georges !

Georges le débarrasse de l’imperméable et part le ranger. Charles jette nerveusement le perroquet sur un fauteuil avant de s’effondrer dans un autre.

Charles

Quel temps de chiottes ! Comme si elle avait choisi son jour !

Georges revient dans la pièce

Nous n’attendons pas Madame ?

Charles regarde sa montre

Oh, il est bien trop tôt pour une femme du monde pour rentrer chez elle !

Georges

Encore des choses à régler avant la générale ?

Charles

Oui sans doute... Tant qu’elle peut se passer de moi ! La répétition, les costumes, des petits détails, juste pour me dire de ne pas l’attendre. Un mince prétexte pour filer ensuite avec son état-major vider les réserves de champagne d’une boite à la mode.

Georges

Monsieur est trop sévère. Il faut dire que madame se donne tellement de mal pour son spectacle.

Charles ironique

C’est vrai, c’est une vocation chez elle que se donner du mal pour faire le bien. Ça ne s’invente pas. Et qu’importe le mal que l’on peut imposer aux autres par la même occasion. Moi, j’ai raté le concert de Duchemin au Châtelet pour les bonnes œuvres des orphelins de Passy, afin que Madame puisse jouer les monarques sur scène, et aille se goberger ensuite au vu et au su du Tout-Paris ! Elle ne sera pas rassasiée tant qu’elle ne se sera pas assurée d’avoir sa photo dans au moins un journal people la semaine prochaine.

Georges pendant quelques répliques s’emploie maladroitement à enlever les bottes de Charles. Le concert de Duchemin, c’était du Schubert non ?

Charles

Oui, et alors ?

Georges

Vous n’aimez pas Schubert.

Charles

C’est vrai, Schubert m’emmerde !

Georges

Rien à regretter donc ?

Charles

Si : Duchemin ! Duchemin m’emmerde encore davantage ! Et j’aurais tant aimé le voir se prendre les pattes dans Schubert. Coup double !

Georges

Tout Paris s’accorde à dire que vous êtes le plus grand ! N’êtes-vous pas le chef d’orchestre le plus souvent invité au palais Garnier ?

Charles

On n’est le plus grand que lorsqu’on est mort ! Avant, on s’efforce de surnager au-dessus des autres. Et il y aura toujours un saligaud qui, pour sauver sa renommée, vous tiendra la tête sous l’eau suffisamment longtemps pour qu’on vous oublie !

Georges triomphant sur la première botte

Et qu’on redevienne le plus grand !

Charles

Je t'ai dit ! Je ne suis pas pressé de mourir. Même au prix de l’immortalité, c’est encore payer trop cher ! C’est trop tôt. Alors puisque pour le moment, il n’est question que de surnager, autant flotter au-dessus des autres.

Georges

Oui, mais vous disiez, Duchemin n’est qu’un médiocre ?

Charles

Certes ! Mais au pays des médiocres, les sourds sont rois.

Georges

Rien compris !

Charles

Pas grave ! Contente-toi de tirer sur ma botte, j’ai pris l’eau. Manquerait plus que je m’enrhume !

Un temps

Vois-tu Georges, je n’ai pas envie de lire demain entre le café et le sourire provocateur de ma femme, que Duchemin et Schubert ont fait un triomphe ce soir, ça m’emmerderait doublement.

Georges s’y prenant mal pour la seconde botte Décidément !

Charles

Quoi ?

Georges

Rien ! Je disais que cette botte est aussi difficile à enlever que l’autre.

Charles avec emphase, se relevant, entravant la manœuvre désespérée de son domestique pour lui enlever sa seconde botte.

Normal, je suis symétrique ! Classique, jusqu’au bout des bottes.

Après avoir attendu quelque chose qui ne vient pas, peut-être des applaudissements, Charles se rassoit. Georges reprend ses efforts pour tirer la botte, finit par y arriver et part ranger la paire dans le vestibule. Il rapporte des pantoufles.

Georges

Et qu’est-ce que ça aurait changé d’assister au concert de Duchemin ? Ça ne l’aurait pas rendu moins bon.

Charles

Tout le parterre aurait guetté ma loge pour surprendre ma réaction. Un applaudissement un peu mou, un peu long à venir... Que sais-je encore ? Une grimace...

Georges

Oh !

Charles

Tiens, et si le concert avait été vraiment bon, j’aurais même pu partir avant la fin. Les critiques sont dans ma poche, mais si je ne leur dis pas ce qu’il faut écrire, ils n’en font qu’à leur tête... et comme ils n’ont pas d’oreille...

Georges

Ce n’est pas digne de monsieur.

Charles

Et qu’est-ce que tu en sais ? La réputation des uns ne se fait pas sans défaire celle des autres ! Qu’est-ce qui a dit ça ? Mendeleïev non ?

Georges

Non, c’est Lavoisier. « Rien ne se perd... » Mais ça ne change pas grand-chose sur le fond.

Charles petit sifflement admiratif

Tu en sais des choses !

Georges

J’ai mon baccalauréat.

Charles

Regarde où ça t'a amené. C’était bien la peine !

Georges ignorant la remarque de Charles

D’un autre côté, monsieur peut imaginer que votre absence ce soir au concert de Duchemin était le meilleur des messages. Une loge vide, c’est beaucoup plus convaincant que quelques simagrées. Pour l'éloquence, rien ne vaut le silence, ou l'absence.

Charles sourire mauvais

Pas faux !

Un temps

Bon ! Pour la phrase sur la réputation, on dira qu’elle est de moi. Tu la noteras pour mes mémoires.

Georges

Bien monsieur !

Charles

Et tu me serviras un scotch !

Georges

Comme d’habitude.

Charles

Non, pas comme d’habitude : avec un glaçon ! J’ai envie de diluer ce soir.

Georges part chercher la boisson de Charles, évasif,

Eh bien, diluons...

Charles seul

Oui, j’ai envie de diluer : mon amertume et mon irritation. Irritation d’avoir perdu ce soir l’occasion de museler un jeune rival plein de promesses. Au fond, ce n’est pas le plus grave. C’est mon amertume qui me gêne le plus : la faiblesse de ne pas avoir su dire non au nouveau caprice de ma femme. Moi, un des plus grands chefs français, de renommée mondiale, obligé de jouer un pirate d’opérette pour une œuvre de charité. Trente ans de mariage, trente ans d’apparente soumission paresseuse, juste pour avoir la paix ! Jusqu’à présent, elle s’y donnait toute seule à ses spectacles. Et il a fallu que je comble une défection au dernier moment... Pour éviter au bastringue de couler ! Rien n’empêchera le naufrage, résultat garanti. Le bouillon pour la troupe, et moi avec.

Il ricane

Emmener des orphelins visiter New York ! New York, encore bien une idée toute faite. Autrefois on les emmenait à la mer et c’était déjà pas mal. Maintenant c’est New York, ça ne vaut pas le grand air. La cinquième Avenue, vous pensez que ça les consolera davantage ? Notez, avec de solides chèques-cadeaux peut-être. Un jour pour faire bonne mesure, il faudra peut-être aussi leur trouver une famille... Et moi dehors, par ce temps de gueux, à jouer les pirates de deuxième zone...

Georges est revenu. Il porte un plateau avec deux verres. Il en pose un à l’écart et reste en retrait en attendant la fin du monologue.

Charles

Et tout ça pour quoi ? Pour ne pas avoir à ferrailler avec mon sabre contre la mauvaise humeur de ma femme. C’est de la paresse au fond. Alors, il n’y a aucune raison de s’en vouloir autant. Mais maintenant, c’est décidé : la mutinerie !

Il aperçoit Georges, lui fait signe de lui apporter son verre.

Charles lui tend le plateau

N’est-ce pas mon vieux Georges ? Au fond ne suis-je pas sincèrement le mari gentil que je m’efforce de jouer ?

Georges

Si Monsieur.

Charles

Quel altruisme !

Georges on sent un doute

Certes...

Charles

Quoi ? Tu crois que ce n’est pas pour ça ?

Georges hausse les épaules avec un sourire naïf, mais entendu.

Charles

Ah ! Toi tu n’oses rien dire, mais tu n’en penses pas moins ! Tu l’as remarquée toi aussi la petite brune qui joue la fée ?

Georges

Oh, moi monsieur vous savez, je ne me permets pas de remarquer. Et puis, j’ai Marguerite... Mais, ça ne m’empêche pas de voir comment monsieur regardait la demoiselle en question ce soir.

Charles

Et je la regardais comment ?

Georges

Comme un flibustier qui regarde une jolie jeune fée.

Charles

C’est dans mon rôle non ?

Georges

Moins quand c’est en dehors de la scène.

Charles

Mais, je la regardais comment ? Dis-moi !

Georges

Comme quand Monsieur observe un charme auquel il est sensible.

Charles

Tu es bien sûr de toi !

Georges

C'est que depuis le temps, j'ai un peu appris à connaître monsieur...

Charles regarde Georges sévèrement. L’autre reste planté debout et essaie de trouver une contenance. Il avise le perroquet empaillé.

Georges

Pauvre bête ! Voyez dans quel état il est !

Charles

Il est mort ! Tu ne veux pas qu’il fasse cui-cui en plus ?

Georges qui a pris le perroquet sur son poignet

et lui redresse patiemment les plumes comme s’il était vivant.

Non, ça ne fait pas cui-cui un psittacidé : ça ase ou ça craque.

Charles

Pardon ?

Georges

C’est comme ça que l’on dit quand le perroquet s’exprime : il craque ou il ase. Et il parle même parfois. Mais on a juste promis de le rendre intact chez Deyrolle après les représentations. Il doit retourner chez sa propriétaire : une vieille comtesse de Vincennes.

Charles

Un perroquet, chez une vieille chouette ! Et à deux pas du zoo, il en a de la chance ! On lui rendra ! En attendant, il aura un peu voyagé. Pour peu qu’elle soit myope, une plume en plus, une plume en moins, elle ne verra pas la différence la taupe : quelle ménagerie ! Il rit.

On entend en voix off une sorte de cri qu’on pourrait identifier comme un « coco » très guttural. Les deux hommes sursautent, se regardent, regardent la bête qui n’a pas bougé. Encore le temps d’une hésitation.

Charles nerveux

C’est toi qui as fait ça ?

Georges craintif

Non...

Charles

Va me ranger ce... cet accessoire !

Georges

Tout de suite monsieur.

Charles

On ne va pas se laisser emmerder par un piaf, et mort en plus !

Georges sort avec l'oiseau empaillé et revient bientôt.

Georges

Il est couché... Pardon, rangé.

Charles

Ne plaisante pas avec ça. La vie est suffisamment compliquée.

Georges modestement

Oh, on a toujours le choix de la garder plus simple.

Charles

Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu parles de la petite fée ?

Georges

Non, c’est vous qui en parlez.

Charles

À qui d’autre veux-tu que j’en parle ?

Georges

Ah ça, pour sûr, pas à Madame...

Charles distrait

Elle ne comprendrait pas

Georges

Non, elle ne comprendrait pas. Je crois plutôt que ça fait des années qu’elle a compris.

Charles

Stop ! Arrête tout de suite !

Georges

Bien sûr. Mais vous, avant d’aller plus loin, demandez-vous : vous avez le désir de m’en parler, certes. Cela ne fait partie de mes attributions que dans une mesure très... approximative. Que cherchez-vous : un confident ou un garant ?

Charles

Un confesseur.

Georges

C'est que la faute est déjà envisagée alors ?

Charles

Ne dis pas n'importe quoi, et reste à ta place ?

Georges

Alors, il faut m'y laisser, Monsieur.

Charles grogne, pour la forme. Georges poursuit sans se formaliser, comme si ce petit jeu entre les deux hommes était une ancienne routine.

Georges

Avez-vous juste besoin de m’en parler ? Ou bien, lorsque vous m’aurez fait part de vos projets avec cette petite, ne souhaiterez-vous pas simplement que je vous glisse comme à un vieux camarade : vas-y, fais-le, tu as raison. Une de plus une de moins, au point où nous en sommes !

Charles

Nous ne sommes pas de vieux camarades, je te le rappelle.

Georges

Oui ! Mais de mémoire, vous n’en avez pas : ni d’assez vieux, ni d’assez bons... de camarades. Alors, il faut bien des remplaçants quand il manque des joueurs.

Charles mauvais

Tu es trop impertinent !

Georges

Et vous bien familier à me tutoyer ce soir, comme à chaque fois que vous allez me faire des confidences. Ça vous embête, ça vous met mal à l’aise. Et vous finirez par m’en vouloir... comme chaque fois.

Charles

Va te coucher. Je suis capable de me débrouiller seul.

Georges malicieux

Peut-être, si vous l’étiez vraiment. Mais vous êtes marié, et donc vous avez besoin de moi... comme d’un vieil ami, pour contrer votre véritable solitude : celle de rester en face d’une femme que vous n’aimez plus.

Charles

Prends un verre !

Georges va chercher le deuxième verre qu’il avait réservé et vient s’asseoir en face de Charles.

Georges fataliste.

Ça commence toujours comme ça !

Charles se cale confortablement dans son fauteuil, lyrique

Ses yeux brillaient d’une façon ! N’as-tu jamais vu un regard aussi noir, aussi profond que celui de cette petite ?

Georges

Pas depuis la saison dernière. Ce regard, il ressemble étrangement dans votre bouche à celui de la deuxième violon du Capitole...

Charles

Mais non, tu n’y es pas du tout... Et ses mains, ses mains !

Georges

Des mains de violoniste ?

Charles

Arrête, veux-tu ! Cette fois-ci, ça n’est pas

pareil !

Georges