Vivre - Caroline Sophie Megglé - E-Book

Beschreibung

Le 19 avril 1945, alors qu’il vient d’être rapatrié du camp d’extermination de Nordhausen, Henri Megglé donne témoignage de ce qu’ont été dix-huit mois de déportation dans les camps de Buchenwald, Dora/Mittelbau, et Nordhausen. [...] « Cette note composée de 23 feuillets est le récit pris en sténotypie de Henri MEGGLÉ âgé de 27 ans, arrêté par la Gestapo à Vichy en juillet 1943, expédié en décembre à Compiègne, puis après une quinzaine de jours, à Buchenwald. Au moment de son arrestation Henri MEGGLÉ faisait partie de l’organisation M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) où il travaillait sous la direction de Jean PRONTEAU « Groupe Cévennes ». Son récit a été recueilli le lendemain de son arrivée au Bourget par avion, alors qu’il est couché et dans l’incapacité absolue de circuler. Son poids actuel est de 38 kg, son poids normal est de 79 kg. Nous croyons savoir qu’Henri Megglé est le premier résistant effectif à être arrivé au Bourget, de la région de Weimar. » (Note transmise par Stéphane Simon avec le texte dit : de Saint-Tropez)
« LES CAMPS DE LA MORT NATURELLE. Ce titre est reporté sur deux pages du journal Action en 1945 et introduit un article signé par Pierre Courtade. Mon cœur frappait sourdement, violemment dans ma poitrine… J’ai voulu le publier. […] Pour étayer mes propos je me suis appuyée sur d’autres documents dont l’un écrit par ma grand-mère paternelle, et dans lequel elle raconte la libération de Lyon où elle réside avec trois de ses enfants ; deux de ses fils sont déportés… Ce livre est un grain de sable dans l’immensité de notre mémoire collective ; j’ai voulu y contribuer avec toute l’authenticité de ce récit, respectant au plus près la personnalité de mon père, Henri Megglé. »



À PROPOS DE L'AUTEURE


Actrice, conteuse, auteure de textes dramatiques, de récits, de contes, Caroline fut aussi animatrice en MJC, directrice d’un centre culturel, d’un cinéma d’Art et d’Essai, employée de bibliothèque, professeur de théâtre.

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Caroline Sophie Megglé

VIVRE

 

De Vichy aux Camps de Concentration de

Buchenwald, Dora-Mittelbau, Nordhausen

 

Témoignage de Henri Megglé, dit… Jules Vins

Du même auteur

– Un Ami, contes et paroles nomades en pays Touareg

5 Sens Editions, 2018

 

– La Providence est une fée cruelle parfois

5 Sens Editions, 2017

 

Témoignage recueilli le 19 avril 1945 par Pierre Courtade au lendemain du retour de déportation de Henri Megglé dit… Jules Vins, des camps de concentration et d’extermination de Buchenwald, Dora-Mittelbau et Nordhausen.

Déportation précédée par son arrestation à Vichy, son internement dans la prison de Montluc à Lyon, et son transfert dans le camp de transit de Compiègne.

 

« La résistance

C’est ce que nous avons vécu là-bas

Au quotidien.

 

La résistance

C’est en fait ce que nous vivons tous les jours

Depuis la création du monde. »

 

Jules Vins

 

Je tiens à remercier mes enfants, Laurent, Nicolas et Camille pour leur infaillible soutien. Dominique Durand pour sa confiance et son apport historique, Sylvie Mettetal pour la première lecture attentive de mon manuscrit, et ma sphère familiale et amicale qui par ses encouragements a su me donner la force d’aller au bout de ce projet.

 

Je remercie aussi mes éditrices pour leurs mots simples et forts : « Ce témoignage à plusieurs voix apporte sa pierre à l’édifice de la mémoire collective, démarche si importante sur cette époque, même capitale afin que cela ne se reproduise pas et éclairer ainsi les générations futures. »

 

SUR L’ORIGINE DES DOCUMENTS

Avant-propos de l’auteure

Nous étions en 1964 ou 65 et je m’étais isolée dans l’une des pièces de notre appartement parisien, succursale du bureau de mon père, et grenier fourre-tout !

Tout un pan de mur est recouvert par les vestiges d’une bibliothèque vitrée. Sur les étagères sont rangés des livres poussiéreux, dont une collection publiée par Armand, mon grand-père, et intitulée « Terres Françaises ». Immédiatement je pensais : « Terres Coloniales ». Mes ancêtres ayant vécu au Maroc et en Égypte je craignais y trouver un éloge du colonialisme ; alors que je cherchais des documents liés à la mythologie égyptienne. Mettant de côté une grande enveloppe intitulée « Fiancée du Nil »1 je regardais avec circonspection des emballages cartonnés, souvent éclatés, débordants de courriers administratifs, de lettres, d’agendas. Des boites de cartes de visite partageaient leur étagère avec de vieilles pipes, elles-mêmes accompagnées par une tabatière et six verres en cristal. Sur une photo je reconnus mon grand-père, long, mince, sans un sourire, pas vraiment sympa le bonhomme. Je crois ne l’avoir jamais embrassé, sauf sur son lit de mort peut-être, ou peut-être pas. Comme il m’arrive parfois de rêver éveillée je me suis peut-être « vue » l’embrasser.

Pas vraiment émue, je rangeais la photo dans sa boite, et fus attirée par un dossier volumineux, façonné en toile, sur lequel était écrit « Archives Guerre ». Ma curiosité piquée, j’ouvris la sangle de tissus qui fermait ce dossier en me répétant le mot « guerre, guerre… ». Ce n’est pas un diable qui en sortit ! Seulement une petite araignée, gardienne de quelques liasses de papiers très fins imprimés à l’encre violette, et autres papiers volages manuscrits, réunis ou non par un trombone ou une épingle pointue et rouillée.

Au milieu des liasses de papier je trouvais une copie de la carte de déporté de mon père, une autre de sa carte de rapatriement, ainsi que de vieux journaux. L’un d’eux titré en grosses lettres rouges :

 

LES CAMPS DE LA MORT NATURELLE

 

Ce titre était reporté sur deux pages elles-mêmes pliées en deux ; il introduisait un article de presse signé par Pierre Courtade, et, je le saurai bientôt, publié dans le journal Action en 1945. Mon cœur frappait sourdement, violemment dans ma poitrine. Dans ce journal étaient imprimées des photographies de squelettes humains et de dignitaires nazis. Sur l’une des photos, entassés les uns sur les autres, des cadavres décharnés. Mon père, Henri Megglé, était en photo lui aussi ; un zombie, un mort vivant ; triste, méconnaissable.

Ce jour-là je n’ai fait que survoler ces quatre pages.

J’ai voulu en parler avec mon père mais je me suis heurtée à son refus. Toute discussion fut rejetée. À cette époque, j’avais entre quinze et seize ans, je recevais les injonctions et l’autorité paternelle avec obéissance ; veillant surtout à ne pas le contrarier. Alors, pour éviter toute confrontation houleuse, je gardais pour moi mes questionnements et plongeais dans la lecture d’Alexandre Dumas, un des auteurs favoris de mon père. Le temps a passé, j’ai quitté l’école très tôt, et je me suis informée, grâce à mon métier de comédienne, sur ce que fut le nazisme, la résistance, la déportation…

Après la mort de mon père je suis allée avec ma jeune sœur Amélie dans sa maison à Barjols ; village dans lequel il s’était retiré depuis quelques années. La fratrie se relayait pour vider cette immense demeure de 400 m2, sur trois étages, que nous devions vendre.

Je me tenais au centre de la pièce, près de son bureau, fouillant des papiers comme je l’avais fait quelques années auparavant à Paris. J’ai retrouvé le dossier fermé par la même sangle de tissus ; il renfermait, en plus des documents déjà mentionnés, une enveloppe contenant un exemplaire dactylographié et sans rature, de ce qui me semblait être ce document témoignage, entrevu une vingtaine d’années en arrière. En concertation avec ma sœur je demandais à emporter l’ensemble des papiers.

Chez moi j’ai répertorié, classé, chaque feuillet isolé, chaque liasse de papier pelure raturé, découpé, très abîmé, parfois corrigé, et comportant pour l’une d’entre elles, un préambule écrit de la main de mon père. J’ai organisé et référencé l’ensemble de ces documents en deux liasses principales. La liasse formée du texte « Un », semble être le premier jet, le document « original », le témoignage dicté par mon père le 19 avril 1945 au lendemain de son retour des Camps. Il fait dix-neuf pages sur papier pelure. Il est incomplet. Parfois des informations nombreuses apparaissent barrées au crayon rouge, voulait-il les supprimer ? Ou les souligner ? Je les ai réintégrées, utilisant une typographie différente, en italique.

Le texte « Deux » diffère légèrement et s’interrompt au même endroit. J’ai aussi reporté en italique ces rares différences. J’ai pris connaissance du contenu de l’enveloppe, ce nouveau document, dactylographié sur un papier lourd, m’a semblé très proche des textes un et deux survolés il y a plus de trente ans ; il s’agit bien du témoignage dicté par mon père le 19 avril 1945. Complet ! J’ai alors référencé ce texte comme étant une troisième liasse ou Texte de Saint-Tropez. Il a été adressé à Henri Megglé le 31 janvier 1981 par Stéphane Simon, son oncle maternel, résidant dans le village de Saint-Tropez, et avec qui il était en relation depuis l’armistice de 1940.

D’autres textes écrits ou réécrits par Henri Megglé plus tardivement, ont fait surface : textes manuscrits sur Compiègne, Buchenwald et Dora. Textes tapuscrits sur le Tunnel de Dora, sur les transports, sur les deux premiers pendus. Tous ces textes viennent compléter le témoignage d’Henri Megglé et forment une quatrième liasse dans ces archives familiales. Je les ai ajoutés, si besoin, en italique, tout en espérant ne pas avoir trahi l’authenticité du témoignage de mon père : « Être le plus proche de l’état dans lequel je me trouvais le 19 avril 1945 ».

Pour une meilleure présentation de ce témoignage j’ai aussi créé des titres de chapitre et des sous-chapitres. L’article intitulé : Les camps de la mort naturelle, signé P. Courtade, a été inséré au fil du récit.

 

Autres sources de documentation.

En 2015 je reçois un appel téléphonique de Françoise Garabet. Son père, Raymond Gaublomme, a connu mon père lors de leur incarcération en 1943 à Compiègne, puis au Tunnel de Dora en Allemagne. J’apprenais ce jour-là qu’à l’initiative de mon père, elle l’avait rencontré à Paris en 1983 dans les salons de l’hôtel Lutétia. Françoise n’était qu’un bébé en 1943 quand son père fut arrêté. Elle ne l’a jamais connu. Émue, elle m’a fait part de cette entrevue et m’a autorisée à en publier le compte-rendu ; je l’ai intégré dans la première partie de cet ouvrage.

À la fin de sa vie Henri Megglé répondit favorablement à l’invitation de professeurs de collèges et de lycées, le conviant à discuter avec les élèves dans leurs établissements pour qu’ils entendent la parole d’un homme résistant et déporté pendant la seconde guerre mondiale. J’ai transcrit et intégré au fil des pages trois des articles de presse mentionnant ces rencontres.

Au cœur de mes recherches j’ai découvert l’origine du nom de Buchenwald ;il m’a paru intéressant de situer géographiquement et culturellement ce camp ; je m’y suis employée aussi.

Pour finir et étayer mes propos, j’ai choisi de tracer succinctement ce que furent la vie et la carrière professionnelle d’Henri Megglé. Je m’appuie pour cela sur des archives personnelles, sur la correspondance échangée entre ses parents, Armand et Renée, et sur un document manuscrit, écrit au jour le jour, du 15 août au 22 septembre 1944, par ma grand-mère paternelle, Renée ; document dans lequel elle raconte la libération de Lyon où elle réside momentanément avec ses trois plus jeunes enfants. La famille rentrera à Paris en mars 1945.

Une dernière archive, sonore cette fois-ci, complète ce témoignage : le contenu d’une K7 audio proposant une interview de mon père à la fin de sa vie. Transcrite, elle apportera, je l’espère, quelques notes moins sombres à ce livre.

Ayant en main tous ces matériaux, j’en publie, avec le concours précieux et les conseils judicieux de Dominique Durand, le contenu, espérant ainsi contribuer à la transmission d’un témoignage portant sur les pires horreurs que l’homme puisse subir, ou commettre en pleine conscience !

Ce livre est un grain de sable dans l’immensité de notre mémoire collective ; j’ai voulu y contribuer avec toute l’authenticité de ce récit, respectant au plus près la personnalité de mon père, Henri Megglé.

*

Tout Humain étant unique, beaucoup d’hommes et de femmes travaillent et œuvrent, depuis la nuit des temps, à un monde plus juste, plus respectueux, où la félonie, l’arrivisme, le racisme ne devraient plus avoir de prise ! La Planète Terre est riche, vaste, généreuse et les complots politiques et financiers, s’ils sont productifs à l’enrichissement de quelques-uns, sont dévastateurs et non productifs à l’humanité entière ! Des « Hommes », dirigeants ou larbins, manipulent la précarité affective, la pauvreté, le mensonge, l’ignorance ; ils pratiquent le racisme, le fascisme, l’obscurantisme, la jalousie, la déchéance, la ségrégation, le mépris et le viol, qui engendrent des guerres, et en temps de guerre, les privilèges autant que la délation se répandent. Effets pernicieux et avilissants. Le vingtième siècle en a été une illustration effroyable !

 

Caroline-Sophie Megglé

Introduction

Le 19 avril 1945, alors qu’il vient d’être rapatrié du camp d’extermination de Nordhausen, Henri Megglé donne témoignage de ce qu’ont été dix-huit mois de déportation dans les camps de Buchenwald, Dora/Mittelbau, et Nordhausen.

Déportation précédée par son arrestation à Vichy en juillet 1943, par son emprisonnement dans la prison de Montluc à Lyon, et par son transfert dans le camp de transit de Compiègne.

« Cette note composée de 23 feuillets est le récit pris en sténotypie de Henri Megglé âgé de 27 ans, arrêté par la Gestapo à Vichy en juillet 1943, expédié en décembre à Compiègne, puis après une quinzaine de jours à Buchenwald. Au moment de son arrestation Henri Megglé faisait partie de l’organisation M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) où il travaillait sous la direction de Jean Pronteau « Groupe Cévennes ». Son récit a été recueilli le lendemain de son arrivée au Bourget par avion, alors qu’il est couché et dans l’incapacité absolue de circuler. Son poids actuel est de 38 kg, son poids normal est de 79 kg.

Nous croyons savoir qu’Henri Megglé est le premier résistant effectif à être arrivé au Bourget, de la région de Weimar. »

(Note transmise par Stéphane Simon avec le texte dit : de Saint-Tropez)

Première partie

TÉMOIGNAGE DE HENRI MEGGLE

En préambule à la publication de cet article et écrit à la main, Henri Megglé précise :

« Ceci est le récit de mon témoignage.

Je l’ai dicté le 19 avril 1945, le lendemain de mon retour de déportation. Étant raconté sans un jour de réflexion, avec l’esprit confus que j’avais alors, il apporte une note de vérité dans l’étude que l’on peut faire sur les réactions possibles des déportés. Je préfère donc momentanément n’y rien changer. Je veux le laisser tel qu’il est, en une langue qui, bien loin d’être pure, est au contraire empreinte de l’émotion amassée pendant vingt-deux mois de sevrage.

Ce récit peut être considéré comme un témoignage, et je ne pense pas qu’il y en ait eu de plus immédiatement écrit après la libération du camp.

Aussi, je vous le donne tel qu’il est. »

 

Henri Megglé nous demande tout d’abord si lui, rentrant d’Allemagne, pourrait poursuivre et faire arrêter les salopards dont il connaît les noms et les agissements ; et donner la parole à tous ces gens qui reviennent d’Allemagne. Il affirme d’ailleurs :

« Dénoncer un tel et donner des noms, je suis le premier à vouloir bien le faire. Il paraît qu’à Vichy au moment de la libération cela s’est passé tout gentiment, tout naturellement. À Vichy même il n’y a eu aucune épuration. »2

 

Arrestation.

J’ai été arrêté en juillet 1943 par la Gestapo, à l’Hôtel Cécil3 à Vichy.Je suis resté quelques jours dans les cachots de Vichy. De là, ils m’ont transféré à la prison de Montluc à Lyon. Je suis resté cinq mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’année.

À Vichy ils ont été très gentils et très corrects au moment de mon arrestation.

En cherchant dans les papiers de mon bureau, en les fouillant, ils voient un dossier : « Service de Renseignements ». Je leur ai alors expliqué que j’étais au Service de Renseignement de la radio ; je les ai amenés devant la porte pour leur montrer la pancarte confirmant ma réponse. La pièce où ils m’interrogeaient ayant une double portej’en ai profité pour ouvrir cette autre porte et filer dans les couloirs de l’hôtel. Ils m’ont poursuivi, repris, et fait rentrer à nouveau. Ils ne m’ont pas brutalisé du tout mais ils m’ont fait comprendre qu’il n’y avait rien à faire pour filer. Ils m’ont simplement laissé pendant trois jours avec les menottes dans un cachot immonde et sans air ;il n’y avait qu’une petite lucarne ronde.

 

« Il travaillait dans le M.U.R. sous les ordres de Jean Pronteau (Cévennes), il a 27 ans, il s’appelle Henri Megglé. Ils l’ont arrêté à Vichy. Des hommes polis, très polis. Quand il a tenté de s’enfuir, ils lui ont fait comprendre que ce n’était pas la peine, que ça ne servait à rien. Après ils l’ont mis dans un petit cachot, menottes aux mains, et ils l’ont laissé là trois jours. Au bout de trois jours ils l’ont transféré à Montluc où il est restécinq mois. »4(P. Courtade)

 

À Montluc ça a été un peu plus dur. Suite à mon arrestation ils ont arrêté mon père5 à Clermont-Ferrand ; tout le bureau de mon père ainsi que tous ceux avec qui j’avais travaillé et été en rapport d’une façon ou d’une autre. Évidemment j’ai fait tout mon possible pour en faire relâcher le maximum. Mais ils m’ont gardé, moi, et quelques femmes qui étaient, elles, convaincues, disaient-ils, de sympathie, ou d’activité.

 

Lyon prison de Montluc.6

Alors, ils nous ont transférés en train de Clermont à Lyon. À Lyon ça a été interrogatoire sur interrogatoire pendant cinq mois.

 

« Toujours la même chose. Quatre ou cinq questions et des coups, sans raison, à tout hasard. Coup sur coup pour voir. Aucun intérêt sur leurs visages. « Ils faisaient ça, dit-il, comme ils auraient allumé une cigarette. » Et puis attendre, attendre des heures, debout, pour rien. Il y a un supplice de l’attente qui a été mis au point par les Allemands. Avenue Berthelot, à la Gestapo, les inculpés attendaient de huit heures du matin à huit heures du soir pour rien ; pour voir. » (P. Courtade)

 

Un exemple montrant leur ignominie : une jeune femme, la femme de Francis Crémieux, enceinte de sept mois, était à Montluc. Tous les jours ils l’ont fait monter à l’interrogatoire depuis le matin sept heures jusqu’au soir huit heures. Elle restait là, assise sur une chaise, sans être interrogée, harcelée continuellement par des inspecteurs qui lui disaient :

« C’est un sale juif que tu as dans le ventre, il ne vivra pas ! »

En sanctionnant leurs paroles d’une paire de claques.

 

Les trois premiers jours passés à Montluc ont été terribles ; roué de coups, méthodiquement, sans raison. Ils commencent l’interrogatoire, et vous posent trois ou quatre questions, et si l’on s’obstine à ne pas répondre, ils nous emmènent dans une salle à côté. À trois ou quatre nous mettent à plat ventre sur une table où l’on nous tient la tête et les deux jambes, et un boche avec un bâton nous applique trente à quarante coups de bâton sur les fesses ; c’est vraiment très douloureux, une douleur continue extrêmement pénible. Après cela ils nous relâchent et reprennent l’interrogatoire. Si on ne parle pas, ils recommencent.

Comme torture, pour interroger, ils entraient des épingles dans les fesses ; mais ce sont des choses qu’ils font couramment et normalement.

Ils allument une cigarette aussi volontiers qu’ils vous rentrent un couteau dans une plaie ou qu’ils vous brûlent les doigts de pieds. Tout ceci est fait par des Allemands, des inspecteurs de la Gestapo. Ils m’ont même fait un simulacre d’exécution.

Il y avait une brave femme, une femme gentille comme tout ! Une Autrichienne qui me parlait toujours très gentiment, Madame Klaus ; une femme toujours très douce qui me disait :

« Je vous considère comme mon fils, cela me fait de la peine de voir tous ces traitements qui vous sont infligés, j’aimerais vous aider ! »

Donc elle l’a aidé, précise P. Courtade ; un jour elle est venue et lui a dit : « Ces messieurs sont désolés, ils me prient de vous dire que votre tête ne pèse pas lourd sur vos épaules et qu’ils sont obligés de vous condamner à mort. Ils vous ont accordé dix minutes. »

 

Elle, la bonne madame Klaus, intervenait et assistait d’ailleurs à presque toutes les séances de matraquage. Elle était là pour traduire.

Ces messieurs sont entrés. Après dix minutes pendant lesquelles ils ouvraient les tiroirs, faisaient marcher le chargeur de leurs revolvers en l’armant faussement, tout en baguenaudant plaisamment dans la pièce, l’air soucieux, paternels, compréhensifs – enfin une véritable mise en scène – elle me dit :

« Vous avez bien réfléchi ? Vous ne voulez pas nous dire où est ce sale juif ? Ce sont eux qui nous ont entraînés dans la guerre. »

« … »

« Eh bien, ces messieurs me prient de vous dire que c’est fini. Ils ont fait preuve d’assez de bonté à votre égard. »

 

Alorsils m’ont emmené dans une petite pièce tout en haut de Montluc sur les murs de laquelle il y avait des taches de sang et des traces de balles. Ils m’ont fait asseoir, ils ont sorti des revolvers, et, toujours en présence de cette brave femme, ils m’ont offert une cigarette et un petit verre d’eau-de-vie rhumée. Ils m’ont demandé ensuite si je voulais avoir les yeux bandés ou non, j’ai répondu que ce n’était pas la peine. Puis :

« Est-ce que vous êtes prêt ? »

Je n’arrivai pas à penser que cela pouvait être fini. D’abord l’instinct de conservation, et puis je ne pouvais pas prendre au sérieux tous ces gars-là.

Ils m’ont fait mettre debout me disant :

« On va compter jusqu’à dix. »

Je ne pensais plus à rien. On ne sait pas. Le type a compté jusqu’à huit ; puis à neuf il a ralenti ; il n’a pas dit dix. Il m’a flanqué un grand coup de crosse sur le crâne en me traitant de « sale cochon de français ! »

Puis, ils m’ont fait descendre l’escalier à grand renfort de coup de bottes.

Après cela ils m’ont laissé tranquille pendant un mois.

Cela se passait trois semaines après mon arrivée à Montluc.

Un mois après ils m’ont fait remonter à l’interrogatoire tous les mercredis sans jamais m’interroger. J’arrivais le matin à sept heures pour n’en repartir que le soir à huit heures. Cela a duré deux mois, jusqu’en novembre. Au mois de novembre ils m’ont interrogé trois ou quatre fois. Ils m’ont flanqué des coups de règle sur les mains ; ils me faisaient rester au garde-à-vous tout en me donnant les coups de règle sur les doigts. Ils m’ont accroché une fois par les mains et m’ont flagellé sur les reins, sur les fesses et sur les chevilles. Après cela j’ai signé mon interrogatoire et ils m’ont fait passer une visite pour les départs en Allemagne, sans jugement.

« Pas de jugement, jamais de jugement. Le vague, le vide du travail toujours à moitié fait, sauf, pour les tortures et la mort. Puis ils se sont lassés de son silence et finalement l’ont envoyé à Compiègne. » (P. Courtade)

*

Dans les griffes de Klaus Barbie.7

« C’était un homme plutôt blond, très poli qui feignait de vous traiter amicalement jusqu’à ce que les coups pleuvent ; et ils pleuvaient durement. Parfois ils se relayaient à plusieurs, comme des bûcherons, et frappaient en cadence. Au début j’ai serré les dents par fierté, même lorsque la douleur était terrible ; puis j’ai hurlé, et les coups se sont espacés car mes bourreaux étaient ravis… »

 

L’inoubliable face-à-face d’Henri Megglé avec Barbie.8

Résistant de la première heure, déporté à Dora, Henri Megglé doit à Klaus Barbie les souvenirs les plus pénibles et les plus étonnants de sa vie. À soixante-dix ans, retraité à Trôo, dans le Loir et Cher, près de la ville de Montoire, il n’a rien oublié des semaines qu’il a passées dans les geôles lyonnaises, des interrogatoires qu’il a subis, et de la scène incroyable au cours de laquelle il s’est vu défier par Barbie.

Parisien d’origine, homme de radio, Henri Megglé avait été chargé par le réseau résistance « Combat » d’Henri Fresnay, d’infiltrer la radio de Vichy dans le cadre du N.A.P. (Noyautage des Administrations Publiques). Après six mois d’activité, il est dénoncé, arrêté et transféré de Vichy au fort Montluc de Lyon.

Commence alors la noria hebdomadaire vers l’école de santé militaire, siège de la Gestapo, où se déroulent les interrogatoires.

« À l’arrivée on nous bouclait dans une cave. Les interrogatoires se passaient dans un bureau, souvent en présence de Barbie, mais pas toujours, de trois ou quatre inspecteurs de la Gestapo et d’une interprète autrichienne. »

En fait d’interrogatoires, ils se transformaient très vite, pour celui qui avait décidé de ne pas parler, en un enchaînement de violences, d’intimidations, de chantage, de menaces. Henri Megglé raconte avoir été pendu plusieurs heures par les pieds, frappé, au point que son dos n’était plus qu’un hématome, puis emmené au dernier étage et placé devant un mur criblé d’impacts de balles, tandis qu’on promettait de l’exécuter s’il ne livrait pas les adresses de ses amis dans les vingt secondes. Après un douzième et ultime interrogatoire infructueux, Henri Megglé signe son procès-verbal. Tandis qu’on le ramène à la cave, Barbie l’accoste et l’attire dans une pièce isolée.

« Il s’est placé face à moi en souriant, une main placée dans la ceinture, d’où dépassait la crosse d’un revolver. Moi, j’étais comme chaque fois, à peine capable de me tenir sur mes jambes. Il m’a dévisagé en disant : “Nous ne sommes plus que tous les deux maintenant Henri. Défoule-toi ! Frappe-moi !” En un éclair j’ai évalué mes chances : le désarmer, le tuer, gagner la porte, m’enfuir. Il suivait mes pensées sur mon visage et jouissait visiblement de mon fol espoir. D’un seul coup il m’a frappé de toutes ses forces. Je me suis retrouvé à terre. Lui s’est mis à m’insulter : “Sale français, sale terroriste, défends-toi, règle tes comptes !” et chaque fois que je me relevais il s’acharnait sur moi à coups de canne ou de pied. Tout cela a peut-être duré une demi-heure. Ce qui m’a le plus marqué dans cette scène, c’est qu’il ne cherchait même pas à me faire parler. Il prenait son plaisir à me narguer. Il se vengeait de mon silence. C’était cela Barbie : la connerie et le sadisme. »

Quand j’ai appris son arrestation et que je l’ai vu à la télé, je l’ai immédiatement reconnu, et j’ai ressenti un énorme soulagement, quelque chose comme un « Ouf ». J’ai eu l’impression que les choses se remettaient à leur vraie place.

Des tortionnaires, Henri Megglé devait en rencontrer bien d’autres par la suite, mais aucun ne lui a laissé un souvenir aussi fort. Pacifiste convaincu en dépit des années qu’il a passées à porter les armes, Henri Megglé a longtemps gardé le silence sur ce qu’il a vécu. Aujourd’hui, il estime le moment venu de parler :

« Les deux mois du procès Barbie sont la dernière occasion historique de faire comprendre aux jeunes ce qu’a été la résistance, et la déportation. La vérité a tout à y gagner. Après, on pourra enfin tourner, sinon le dos, du moins la page. »

(Texte recueilli par Jean-Louis Boissonneau)9

COMPIÈGNE

Nous sommes partis pour Compiègne où je suis resté douze jours seulement.

« Le 30 novembre 1943, dans le train qui nous emmène vers Compiègne, nous sommes six par compartiment, plus une sentinelle. Sur les six, nous sommes cinq qui nous connaissons, qui venons de “l’Atelier” : Raymond (Gaublomme) du réseau Charrette prisonnier évadé, cheminot à la gare de Vichy. Henri (Megglé) Speaker à la radio Vichy. Émile infirmier à Lyon. Raymond industriel originaire de Bordeaux, et moi-même. »10 (Paul Butet)