Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte - Élie Reclus - E-Book

Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte E-Book

Élie Reclus

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Beschreibung

"Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte" est un livre captivant écrit par Élie Reclus, un explorateur et géographe français du XIXe siècle. Dans cet ouvrage, Reclus nous emmène dans un périple extraordinaire à travers les rues animées du Caire et les paysages majestueux de la Haute-Égypte.

Au fil des pages, l'auteur nous fait découvrir les trésors cachés de cette région fascinante, des pyramides de Gizeh aux temples grandioses de Louxor. À travers ses descriptions détaillées et ses observations perspicaces, Reclus nous plonge au cœur de la culture égyptienne, nous dévoilant les coutumes, les croyances et les modes de vie des habitants.

Mais ce livre ne se limite pas à une simple exploration géographique. Élie Reclus nous livre également ses réflexions sur l'histoire de l'Égypte, son rôle dans l'Antiquité et son évolution au fil des siècles. Il nous invite à réfléchir sur les enjeux politiques et sociaux de l'époque, tout en nous offrant un regard éclairé sur les défis auxquels l'Égypte est confrontée.

"Voyage au Caire et dans la Haute-Égypte" est bien plus qu'un simple récit de voyage. C'est un véritable voyage dans le temps et dans l'esprit d'un explorateur passionné. Écrit avec une plume élégante et poétique, ce livre est un incontournable pour tous les amoureux de l'Égypte et de son histoire.


Extrait : "Le Caire, 22 novembre - Ce n'est pas sans difficulté que nous avons trouvé un hôtel. Celui qui nous héberge est flambant neuf, si neuf qu'il n'est pas encore terminé ; construit exprès pour les fêtes, personne n'y avait encore couché. Nous l'étrennons. Malheureusement, les meubles qui sont censés le garnir ont été expédiés à Suez..."

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Seitenzahl: 159

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Le Caire, 22 novembre.

Ce n’est pas sans difficulté que nous avons trouvé un hôtel. Celui qui nous héberge est flambant neuf, si neuf qu’il n’est pas encore terminé ; construit exprès pour les fêtes, personne n’y avait encore couché. Nous l’étrennons. Malheureusement les meubles qui sont censés le garnir ont été expédiés à Suez. Cependant nous avons un bon lit et un dîner excellent. Pas d’autre eau que la boue du Nil, mais les meilleurs vins de Champagne et de Bordeaux à discrétion. À une heure du matin, nous nous rendons au bal donné par le Vice-Roi – mesquine affaire à côté de celui d’Ismaïla. Je ne parle pas du souper qu’on me dit avoir été très fin, mais l’assistance était fort peu nombreuse ; à un moment, je n’ai vu que quatre à cinq couples de danseurs dans une salle beaucoup moins orientale que celle de l’établissement Bullier, à Paris. Mais, à côté des salons, sont tendues de magnifiques tapisseries en soie ; une combinaison de style moresque et de style Louis XV, tout ce qu’il y a de plus riche et de plus compliqué en arabesques de lignes et de couleurs. Rien vu du Khédive. Mais on rencontre M. Abarsuza, député aux Cortès, un orateur comme il y en a peu, même en Espagne. Après une heure et demie de promenade, je sors et enfourche le premier baudet venu. L’âne n’a pas besoin qu’on lui dise que le Frank demeure à l’Esbekieh, il file tout aussitôt, trottinant allègrement au clair de lune le long de la chaussée déserte. Vingt minutes après, j’étais sur la place, d’où il n’était pas bien difficile de se diriger vers l’hôtel Auric. Après vingt-deux heures en steamer, en bateau, en wagon, à âne, sur le Canal, sur la mer Rouge, au bal et au désert, il était bien temps de se reposer.

Quand je me réveillai, il était encore matin. Je regarde par la fenêtre, je me promène sur le balcon. C’est bien ça. Oui, nous sommes en Orient ; oui, c’est bien l’Égypte. En face, Boulac avec ses minarets et ses cheminées de fabrique ; côte à côte, ses maisons de boue noire, et ses mosquées blanches ou rayées de rouge ou de vert, comme de grandes pièces d’étoffes séchant au soleil. Voilà des locomotives avec leur panache de vapeur. Voilà des voiles blanches se mouvant lentement à travers les massifs de verdure qui nous cachent le Nil. Tout près, à trois cents pas seulement, une avenue de palmiers sains et robustes, élancés et superbes longe un canal dont les eaux reflètent un fellah bleu-clair sur une carriole avec un petit âne ; une fellahine noire suit par-derrière. Dans les jardins à côté, je vois des bananiers, des cactus, des mimosas, des saules pleureurs, des roseaux. Un vol de corneilles coasse de palmier en palmier ; et, au-dessus de notre cour où un pauvre cheval est attelé à un manège, des faucons planent et tournoient lentement. Je vois leur bec brillant et crochu, je compte les plumes de leur rémige, et tiens ! ne voilà-t-il pas une martre rousse, à jabot d’argent, qui se glisse et furète dans les gravats ?

Le soir, illuminations. Quittant la grande place de l’Esbekieh, voyageur dans toute la fraîcheur de son noviciat, je tiens à parcourir, que dis-je ! à découvrir Le Caire tout seul. Et me voilà en zigzag errant, dans des ruelles obscures, allant échouer contre des culs-de-sac, cheminant à travers une espèce de village avec jardins et vergers. Après une demi-heure de cet exercice, je finis par déboucher dans le resplendissant tumulte de la rue du Mouki, regorgeant de curieux et de flâneurs. Par endroits, des planches vont de toit en toit, auxquels sont suspendus des tapis et des colonnades, des lustres, des lampes, des verres de couleur. C’est là surtout que la foule s’amasse. L’air retentit des cris d’âniers et des coureurs qui ouvrent le passage devant des voitures. Dans cette bagarre de Turcs, de Nègres, de Grecs, de Coptes, d’Arméniens, de fellahs, de voyageurs de toutes les parties du monde, à voir ces types, ces costumes divers, ces figures inattendues, je désespère de pouvoir classer de longtemps, dans ma cervelle, cette sarabande bariolée qui défile devant moi comme les dessins d’une lanterne magique. Renonçant à me former aucune idée nette du tableau, sans parti pris, je laisse aller mon corps au flot de la foule, mon esprit au flot des impressions.

Passe une charrette chargée de je ne sais quoi, traînée par un buffle noir portant sur ses cornes des cierges allumés. Passent caracolant sur leurs chevaux des eunuques noirs, escortant des voitures où sont empaquetés des masques roses ou bleus. Ce sont les harems ambulants d’opulents pachas. Nous voyons aussi des femmes du Vice-Roi, dans de superbes voitures. Celles-ci sont à peine voilées ; ce qui fait beaucoup jaser parmi les Levantines, et ce qui est d’un grand scandale dans la gent prude et dévote. Au contraire, je vois à chaque instant des fillettes de huit à dix ans à peine, qui sont hermétiquement voilées, et des spectres blancs et des spectres noirs comme des paquets de linge ou des sacs de charbon. Ça n’a pas l’air svelte du tout, – on sait qu’elles ont des pantalons, plusieurs robes les unes par-dessus les autres, et des voiles par-dessus, – à leur démarche pesante, on dirait des oies trop grasses. Pour ce qui est de la rue au moins, et sans rien préjuger de ce qui se passe à l’intérieur, derrière les treillis des moucharabiés, l’homme est ici plus agréable à voir que la femme, avec un meilleur air et meilleure tournure, il est plus richement, plus gaiement, plus élégamment habillé. Cette différence entre mâles et femelles se retrouve dans maintes espèces d’oiseaux. En Europe, les peintres et poètes présentent des figures d’Orientales à nos regards ravis ; ici, l’intérieur des cafés, les enseignes des parfumeurs sont encombrés d’images d’occidentales, anglaises, françaises, allemandes. La femme est la plus haute expression de l’idéal ; l’idéal est ce qu’on n’a pas ; donc on préfère toujours la femme qu’on n’a pas.

À côté d’une lithographie représentant quelque héroïne du Juif-Errant, Blanche, Marie ou la rousse Adrienne, une peinture persane représente le Schah cavalcadant devant ses officiers ; un passant la montre à son compagnon et prononce le nom d’Iskander. J’en conclus qu’il voit dans cette image l’entrée à Babylone du grand sultan Alexandre de Macédoine.

Toujours en quête de scènes locales, je quitte Mouki, trop riche et commerçante, et je m’enfonce dans des quartiers plus populaires. Devant une maison de prostitution, il y avait encombrement. La rue avait été transformée en salon par de mauvaises tentures et de pauvres girandoles en fer-blanc. À un balcon faisant saillie, rigoureusement fermé par des rideaux de mousseline blanche, des femmes, de vraies serines dans une cage, pinçaient de la guitare et chantaient des chansons grivoises. De strophe en strophe, un loustic ripostait en battant des mains pour attirer l’attention sur ses saillies, et la foule d’applaudir par des rires francs et stupides.

Devant une caserne, un homme d’assez mauvaise mine simulait des pas d’almée, aux sons d’une flûte nasillarde ; avec un grand bâton et un mouchoir, gesticulant, se contournant, se tordant les reins, il nous donnait la représentation de la fameuse Danse du Ventre, que Gérome a révélée à l’Europe. À côté de moi, un pauvre diable grignotait une tige de canne à sucre, et s’interrompait aux passages les plus scabreux pour pousser de lourds grognements d’hilarité.

M’enfonçant toujours plus loin, à travers des rues sombres, j’aboutis enfin à une place parfaitement obscure et déserte. J’avais dépassé les confins de la fête, il était vers minuit, temps de rentrer. Je rebrousse chemin, ne rencontrant guère sur mon passage que des gens s’en retournant chez eux, tous parfaitement sobres. Quoique Franc, quoique infidèle, je ne trouvai partout que politesse et complaisance, sauf un seul moment où, du sein d’une bande joyeuse, je fus salué par une apostrophe, en ma langue maternelle : « Sacré nom d’un chien ! » C’était évidemment le résultat le plus net du contact avec notre race civilisatrice. À Londres, à la même heure, soir de fête ou non, un Français aurait eu grand tort d’aller ainsi devant lui à l’aventure ; à Marseille, à Hambourg, à Malaga, à Athènes, et en général, dans une grande ville chrétienne, l’étranger solitaire et supposé riche eût, certes, couru plus de risques. Par-ci, par-là, quelque boutiquier sur son banc récitait ses prières. D’autres faisaient leurs génuflexions et leurs interminables salamalecs dans la rue même, sans se laisser gêner en rien par les allants et les venants ; dans un coin, une vingtaine de dévots, accroupis sur leurs tapis, chantaient leurs litanies ; avec leur tête branlante, on eût dit une assemblée de magots de Chine.

Les lampes se sont éteintes, les bougies ne brûlent plus que par places. L’un après l’autre, les « Arabes de la rue » s’enveloppent la figure dans leur burnous de camelote, et s’étendent le long des maisons. Le trottoir d’Esbekieh en est déjà parsemé. Les chiens eux-mêmes au milieu de la rue dorment d’un sommeil tranquille. – Allons en faire autant.

23 janvier.

La cour de l’hôtel donne sur un canal qui arrose une plantation de palmiers et d’oliviers, ombrageant de petits carrés où l’on cultive du trèfle et d’autres plantes vertes. Une sakhia est en pleine manœuvre, je vais la voir fonctionner de plus près. C’est un pauvre cheval efflanqué faisant tourner un manège horizontal, engrenant sur une roue verticale à laquelle sont attachées des cruches qui s’emplissent en bas, et en haut se déversent dans une auge. C’est primitif, très simple, et fort mal entendu. Il y a de l’eau qui se déverse dans l’auge, mais il y en a qui tombe à côté, qui tombe devant, qui tombe derrière. Un grand flandrin rêvasse sur un tronc renversé, il se réveille pour allonger un coup de gaule à la misérable rosse qui tressaute dans son collier, monte une douzaine de seaux, et en perd quatre ou cinq. Le tiers du travail de la pauvre bête est perdu, tout comme s’il s’agissait de la corvée d’un fellah. En économisant ce tiers, l’animal mieux nourri ferait double ouvrage.

En me retournant, je m’aperçois que ce que j’avais pris pour des fumiers est un village. C’est bâti avec de la boue et ne se distingue point d’avec la boue ; sur quelques bâtons formant toit, on a jeté des pailles ; des dindons s’y promènent ; des poules y picorent. Des cheminées, il n’est pas impossible d’en trouver, mais elles sont fort rares. – Il faut se courber pour passer par la porte, le plafond est à hauteur d’homme. À côté un petit enclos, non couvert, renferme, sans les abriter, un âne, deux ou trois chèvres et quelquefois un bœuf de labour. Dans la cahute une table, des escabeaux, une lampe, un disque en terre ou en métal pour enfourner les galettes, deux ou trois marmites – et c’est tout. De lits, point. En fait d’armoires, des trous dans la muraille. Tous ces trésors sont fermés par un loquet en bois. – Les termites blanches sont certainement mieux logées, les villes des chiens sauvages dans les prairies d’Amérique ont meilleur aspect. « Voilà, » pensai-je, voilà où demeurent les braves gens auxquels tu dois d’avoir été invité ; voilà ceux qui paient la somptueuse hospitalité qui t’est offerte. – Tu sais ce qu’ils ont fait pour toi, que pourras-tu faire pour eux ? »

À la porte d’un de ces gourbis, une femme était étendue, la tête renversée dans le sein d’une amie qui l’épouillait tranquillement. Des crottins étaient auprès et pas de chèvre seulement. Un aveuglé – ici on rencontre toujours un aveugle – se faisait conduire par un enfant. Je fis quelques pas, et j’entrai tout à coup dans les secrets de la fabrication du combustible ; car il n’y a pas de forêts en Égypte, où le sol est trop précieux pour être employé à donner du bois. – J’ai vu vendre déjà de la houille à des ménagères, mais par quantités si petites, que j’ai auguré qu’elle se vendait cher. On cuit son pain avec de la bouse de vache et d’autres déjections que les enfants vont ramasser par les rues. Le crottin jeté dans de petits trous ronds est délayé avec de l’eau. Devant moi, une fellahine pétrissait le compost en une boule ronde comme l’œuf de Knef ; dans la pâte verdâtre elle plongeait ses mains, les enfonçait jusqu’à ses bracelets d’argent ; avec des mouvements rapides et délicats, elle maniait les boulettes sur un pilot de poussière, puis les aplatissait et les collait contre la muraille. Bien séchées, ces galettes s’empilent comme fromages avec la marque des cinq doigts imprimée à leur partie supérieure. – Un garçon aidait sa mère dans cette besogne, je lui donne batchich pour l’encourager ; aussitôt un autre garçon sort de terre, réclamant batchich lui aussi ; – une minute après, je me vois entouré d’une demi-douzaine de fellahines, vieilles et jeunes, les unes allaitant des poupards, aux chevilles desquels étaient entortillés des fils de fer, faute d’anneaux d’argent. Aucune n’était voilée, leurs dents étaient d’une éblouissante blancheur – on dit que les plus belles quenottes du monde sont en Égypte – je remarquai que la peau brune porte admirablement la crasse. « Batchich, batchich ! » me criaient-elles. Prenant alors une pièce d’argent, je la déposai à leurs pieds, et m’éloignai après un salut comme celui de Walter Raleigh devant la reine Élisabeth.

Chemin faisant, je ruminais un problème d’économie politique : « Est-ce que les protectionnistes d’Égypte, vont protéger mordicus l’industrie nationale du crottin, contre l’invasion des charbons anglais ? »

24 novembre.

Il est une heure après – midi, il fait bon soleil, je m’enveloppe de mon manteau pour ne rien perdre de la chaleur, et je sors à la découverte.

Du côté de la gare, il se tient toujours comme une foire, je muse dans ce brouhaha, et de groupe en groupe, je m’engage dans la route poudreuse de Boulac où je tombe sur un cortège. Trois hommes marchaient en avant, l’un avait en main une longue pipe. Un garçon de dix ans, monté sur un bourriquet, maintenait devant lui une fillette de sept. Au milieu se tenait un vieillard, portant sur la tête un objet singulier, qui me parut d’abord avoir la forme d’un chameau ou plutôt d’un sphinx : quatre petits bâtons pour jambes, long corps et très long cou – c’était enveloppé de châles et de cachemires ; d’une calotte en velours violet, s’échappaient des tresses en soie jaune et des cordons noirs auxquels pendillaient des sequins. – Plus de doute, l’objet singulier était une bière avec le corps d’une petite fille. – Je rebrousse chemin, et entre dans les rangs.

Un individu assez bien mis agissait comme maître de la cérémonie qui avait réuni une cinquantaine de personnes, vingt hommes et trente femmes. Il profita du premier passant pour allumer sa cigarette. Les hommes avaient entonné une cantilène grave, mélancolique, mesurée, qui ne discontinua pas. Quant aux femmes, elles poussaient des hurlements désordonnés, que la fatigue faisait mollir pendant quelques minutes, mais qui reprenaient ensuite avec une vigueur nouvelle. Une grande fille bien découplée marchait derrière le corps, gesticulait avec une ceinture jaune dénouée, et gémissait plus fort que les autres.

La procession faisait le tour de la ville. Après une heure de marche, nous arrivons au cimetière, endroit triste et même sinistre. Au pied d’une colline fauve, en dessous de rocs arides s’étendait le champ des morts, sans un atome de verdure, rien que du sable, du sable, des tables de pierre, et çà et là quelques cahutes et chapelles en boue. Un arbre avait vécu là autrefois, mais, écorcé, ébranché, depuis une génération ou plus, il n’était plus lui-même qu’un hideux squelette végétal.

À côté d’un oratoire, dans la poussière et les platras, un fossoyeur creusa en un rien de temps un trou dans lequel on déposa le corps raidi, enveloppé d’un suaire de coton rouge, attaché par des bandelettes blanches. Alors la mère, puis telles autres parentes s’agenouillaient devant la fosse, adjurant la morte de dire pourquoi elle s’en était allée, la conjurant de revenir. À ces cris de désespoir les femmes répondaient par des vociférations, les hommes se taisaient. Enfin, un porteur d’eau s’approcha, et, délayant un peu d’eau dans la poussière, il jeta une pelletée de boue sur le corps. Les assistants, ramassant de petits cailloux, les firent suivre ; puis après quelques pelletées du fossoyeur, tout fut fini. On entendit encore quelques gémissements des femmes ; et le cortège se disjoignit, chacun se retirant vers sa maison d’un pas plus pu moins rapide, et par le chemin le plus court. J’avais assisté à un enterrement du pauvre.

25 novembre.

À la jetée de Boulac, je vis enfin le Nil – moins large que je n’aurais pensé. Comme nous sommes encore dans l’inondation, il emplit ses rives, dont la masse noire s’élève de deux ou trois mètres au-dessus des eaux sales et bourbeuses vues de haut, laiteuses et argentées quand on les regarde sous la réflexion des nuages d’argent. Le ciel est brumeux et voilé, mais il fait chaud. En face du palais de Choubra, le jardin zoologique, le harem et le jardin des plantes ; plus loin par-dessus des ifs et des palmiers, émergeant de l’horizon bleu, surgissent les pyramides. – La plus ravissante des bergeronnettes, est venue me voir ; elle s’est posée sur la jetée, à trois pas ; charmante, sautillant par-ci, sautillant par-là, avec ses yeux noirs dans une tête blanche, une gorgerette en satin noir sur une robe grise frangée de velours. Après avoir hoché de la queue, une minute ou deux, devant mes yeux charmés, la petite coquette alla se faire admirer ailleurs – et je quittai la place après elle.

Errant à travers la ville, enfilant au hasard les rues, j’étudiais le spectacle toujours nouveau pour moi d’une ville arabe. Et cependant Boulac est un des endroits de l’Égypte par où la civilisation occidentale s’est ouvert une des plus larges portes. Magasins de houille, fonderie de canons, raffineries de sucre, usines à vapeur et à gaz, dans les boutiques, quantité d’articles d’Europe. Plus d’une fois j’ai entendu résonner à mes oreilles les jurons de ma patrie ; mais je me plaisais davantage à écouter le babil des moutards, coiffés de cônes en feutre roux, agrémentés de houppettes jaunes et roses.

Une mosquée, servant aujourd’hui de magasin pour bois du Nord, me sembla très belle. Elle était en ruines, ce qui pour tous les monuments d’architecture, et spécialement pour les édifices consacrés à une religion, est un avantage : l’esprit dégagé de toute préoccupation d’actualité, est plus porté à la bienveillance. Rien de plus simple, rien de plus grand non plus, que ces masses cubiques, surmontées de plusieurs demi-globes, avec une ou plusieurs colonnes élancées. Rien de plus simple, mais ces surfaces carrées sont ornées d’arabesques élégantes, teintées d’une nuance qui plaît à l’œil, rose tendre, ou bleu délicat. Les voussures de la grande porte et des corniches s’illuminent, au contraire, de couleurs éclatantes, on dirait leurs stalactites taillées dans des blocs de pierres précieuses. On a beaucoup admiré nos cathédrales gothiques, on a dit que leurs tours étaient des doigts montrant le ciel, – des prières cristallisées – mais comme elles sont lourdes à côté de ces colonnettes blanches montant comme une fusée jusque dans le ciel bleu ! Tout en haut des minarets, je voyais une douzaine de bâtons disposés tout autour… « Pourquoi, ces bâtons ? » demandai-je à un Italien qui passait. – « Signor, ce sont ces imbéciles de Musulmans qui les mettent pour que les pigeons et les cigognes s’y reposent. »