Voyage aux îles françaises de l'Amérique - Jean-Baptiste Labat - E-Book

Voyage aux îles françaises de l'Amérique E-Book

Jean-Baptiste Labat

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  • Herausgeber: CLAAE
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2018
Beschreibung

Le guide des îles d’Amériques selon le Père Labat

L'attrait de ce texte ne vieillit pas et fourmille de renseignements « tantôt honorables, tantôt désobligeants. » ... On y trouve des notices curieuses sur toutes les îles que le spirituel voyageur a visitées, et notamment sur la Martinique et la Guadeloupe. Les diverses productions de la nature y sont décrites avec précision et clarté... Sa relation est assaisonnée d'une foule de petites anecdotes...
« La galère ne paraît sur la surface de la mer que comme un amas d'écume transparente, remplie de vent comme une vessie peinte de plusieurs couleurs, où le bleu, le rouge et le violet dominent. C'est pourtant un poisson plein de vie »

Cet écrit de 1722 est un témoignage minutieux et malicieux des îles françaises de l'Amérique

EXTRAIT

Une maladie contagieuse ayant emporté la plupart des Missionnaires qui étaient aux îles françaises de l’Amérique, les supérieurs des ordres qui y sont établis écrivirent des lettres circulaires en France, pour engager leurs confrères à les venir secourir. Une de ces lettres m’étant tombée entre les mains, me pressa d’exécuter le dessein que j’avais formé depuis quelque temps de me consacrer aux Missions. J’étais âgé de trente ans, dont j’en avais passé onze, partie au couvent que nous avons à Paris, dans la rue Saint-Honoré, duquel je suis profès, et partie en province, où j’avais prêché et enseigné la philosophie et les mathématiques. Je demandai la permission nécessaire pour passer aux îles, et l’on peut croire que je l’obtins facilement ; de sorte qu’après avoir pris quelque argent d’avance sur une pension que je m’étais réservée en faisant profession, je partis de Paris le 5 août 1693, accompagné d’un homme qu’on avait engagé pour trois ans au service de la Mission, et qui me servit pendant le voyage avec beaucoup de fidélité ; son nom était Guillaume Massonier ; je l’appellerai simplement maître Guillaume.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Jean-Baptiste Labat appelé plus communément Père Labat (Paris, 1663 - Paris, 1738) était un missionnaire dominicain, botaniste, explorateur, ethnographe, militaire, propriétaire terrien, ingénieur et écrivain.

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JEAN-BAPTISTE LABAT

VOYAGE

AUX

ILES FRANÇAISES

DE L’AMÉRIQUE

CLAAE

2006

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR.——

Cet ouvrage respecte le texte original. Cependant les coquilles typographiques et quelques fautes d’orthographe ont été corrigées. L’éditeur attire l’attention du lecteur sur le fait que cet ouvrage comporte de très nombreux extraits de textes, parfois anciens. Leur orthographe a donc été respectée bien qu’elle heurte souvent l’usage actuel.

CLAAE France

EAN ebook 9782379110115

L’OUVRAGE du Père Labat, dont nous publions aujourd’hui une édition nouvelle, obtint à son apparition un éclatant succès. En effet, rien ne manqua à ce succès, pas plus le dénigrement mesquin d’une aveugle malveillance, que la haute et sincère approbation d’une critique éclairée.

Notre édition n’est, pour ainsi dire, que l’épitome de celles de Paris, 1722 (6 vol. in-12), et de La Haye, 1724 (2 vol. in-4o), devenues très rares aux colonies, moins par les attaques des insectes, que par celles de quelques personnes extrêmement susceptibles. Ce sont les termes et les expressions de l’original que nous avons copiés. Les détails des procédés pour la fabrication des produits coloniaux ont été seulement abrégés comme n’offrant plus aujourd’hui le même intérêt qu’autrefois.

On y trouve des notices curieuses sur toutes les îles que le spirituel voyageur a visitées, et notamment sur la Martinique et la Guadeloupe. Les diverses productions de la nature y sont décrites avec précision et clarté ; l’auteur ne se piquait pourtant pas d’être naturaliste, et il en convient plus d’une fois. Sa relation est assaisonnée d’une foule de petites anecdotes, la plupart malignes, et qui ont encore de nos jours l’intérêt le plus piquant, On ne peut disconvenir néanmoins que le P. Labat ne soit un grand causeur ; sa jaserie ressemble souvent à du commérage ; mais il y a tant de bonhomie dans sa malice, qu’on ne ressent jamais l’envie de s’en fâcher. Labat instruit et amuse beaucoup. Ce qui donne surtout à ce livre un attrait qui ne vieillit pas, ce sont les renseignement tantôt honorables, tantôt désobligeants qu’il fournit sur la modeste origine de ces riches planteurs qui maintenant font sonner si haut leur opulence presque toujours si mal acquise. La fatuité ridicule, la morgue aristocratique d’un grand nombre de ces parvenus y est stigmatisée avec une verve de plaisanterie qui donne à cet ouvrage un puissant intérêt de localité ; ce qui justifie cette assertion d’un écrivain : « Le livre du Père Labat n’est pas précisément un bon voyage ; mais c’est un excellent ouvrage de colonie. »

VOYAGE

AUX

ILES FR ANÇAISES

DE L’AMÉRIQUE

UNE maladie contagieuse ayant emporté la plupart des Missionnaires qui étaient aux îles françaises de l’Amérique, les supérieurs des ordres qui y sont établis écrivirent des lettres circulaires en France, pour engager leurs confrères à les venir secourir. Une de ces lettres m’étant tombée entre les mains, me pressa d’exécuter le dessein que j’avais formé depuis quelque temps de me consacrer aux Missions. J’étais âgé de trente ans, dont j’en avais passé onze, partie au couvent que nous avons à Paris, dans la rue Saint-Honoré, duquel je suis profès, et partie en province, où j’avais prêché et enseigné la philosophie et les mathématiques. Je demandai la permission nécessaire pour passer aux îles, et l’on peut croire que je l’obtins facilement ; de sorte qu’après avoir pris quelque argent d’avance sur une pension que je m’étais réservée en faisant profession, je partis de Paris le 5 août 1693, accompagné d’un homme qu’on avait engagé pour trois ans au service de la Mission, et qui me servit pendant le voyage avec beaucoup de fidélité ; son nom était Guillaume Massonier ; je l’appellerai simplement maître Guillaume.

Je trouvai au couvent de La Rochelle un jeune religieux, nommé Dastez, qui avait été aumônier d’un vaisseau du roi ; il me pria de lui procurer une obéissance pour aller aux Missions. Sur les témoignages que les religieux du couvent me rendirent de ses bonnes mœurs, j’écrivis au P. commissaire, qui m’envoya aussitôt la patente que je lui demandais. Pendant notre séjour à La Rochelle, notre troupe fut augmentée de huit autres Missionnaires, deux desquels s’appelaient le P. Eustache du May, et le P. Jacques Romanet ; ce dernier avait eu précaution de se pourvoir d’un petit garçon pour servir sa messe.

Nous voyant au nombre de dix, j’allai à Rochefort, où M. de Marclerc, ordonnateur général, me dit qu’il allait pourvoir à notre embarquement, mais qu’il n’avait point ordre de nous donner de l’argent pour nous équiper. Cette réponse m’obligea d’écrire à M. de Pontchartrain, secrétaire d’état, ayant le département de la marine et des îles, et quelques jours après je reçus 450 écus pour moi et les Missionnaires qui devaient passer aux îles.

J’employai tout mon temps à préparer ce qui était nécessaire pour notre départ, et le 28 au soir nous nous embarquâmes les uns sur le vaisseau du roi l’Opiniâtre, les autres sur les flûtes la Loire et la Tranquille, et sur un navire marchand. Je me trouvai sur la Loire, commandée par M. le capitaine de la Héronnière. Notre flotte était composée de trente-sept vaisseaux et une corvette. Le vaisseau l’Opiniâtre, de quarante-quatre canons et deux cents hommes d’équipage, était notre amiral et nous servait de convoi. Les deux flûtes étaient chargées de munitions de guerre et de bouche pour les magasins des îles, avec une quantité considérable d’armes et d’habits pour les soldats. Il y avait encore une autre flûte du roi destinée pour Cayenne. Deux vaisseaux marchands devaient passer le détroit, trois allaient en Guinée, et le reste à la Martinique et à la Guadeloupe, Nous fûmes très bien traités par M. de la Héronnière. Avec nous étaient quatre passagers, savoir : MM. Roy, capitaine des milices de la Martinique ; Kercoue, capitaine de flibustiers ; Ravari et Gagui, lieutenants dans les compagnies franches de la marine.

Arrivé sous le tropique du Cancer, on fit la cérémonie du baptême, où tout le monde se trouva lavé. On ne sait point au vrai l’origine de cet usage ; pour moi je crois qu’il a été établi par les pilotes, moins pour faire souvenir ceux qu’on baptise du passage de la ligne ou du tropique, que pour se procurer quelque gratification.

Le dimanche 27, nous eûmes sur le soir un coup de vent fort violent qui dura jusqu’à minuit. Il dispersa toute notre flotte. Le lundi nos bâtiments se réunirent, et le 30 nous éprouvâmes un calme qui dura près de douze jours. Le jour des Rois nos matelots prirent un requin qui depuis longtemps ne quittait point le vaisseau ; il avait plus de dix pieds de long. C’est un animal vorace, hardi et dangereux, qui dépeuplerait la mer sans la difficulté qu’il a de mordre ; car la disposition de sa gueule le force à se renverser sur le côté pour saisir ce qu’il poursuit, ce qui donne très souvent le loisir à sa proie de s’échapper. On sala quelques morceaux du ventre pour le vendredi suivant, mais nous ne le trouvâmes pas bon ; je crois que les dorades, les germons et les autres poissons que nous avions en abondance, nous dégoûtèrent de celui-là. Cependant les matelots s’en accommodèrent.

Le dimanche 10, le vent de N.-E. commença à se faire sentir ; les capitaines des vaisseaux marchands demandèrent la permission de suivre leur route sans attendre la TranquilIe, qui avait fait des avaries et que nous étions obligés de convoyer. On le leur permit, et ils s’éloignèrent de nous après avoir salué de leur canon.

Avant de nous quitter, le capitaine d’un petit vaisseau de Nantes s’approcha de nous et nous fit présent d’une dorade qui avait plus de sept pieds de long. Ce poisson est, sans contredit, le plus beau de la mer ; quand il est dans l’eau il paraît couvert d’or sur un fond vert ; il a de grands yeux rouges et pleins de feu ; il est vif et très gourmand. Sa chair est blanche, ferme, un peu sèche à la vérité, mais d’un très bon goût, surtout quand elle est salée. La dorade est l’ennemie mortelle des poissons volants.

J’ai dit que nous avions quatre passagers, MM. Roy, Kercoue, Ravari et Gagui. Ce dernier était un gentilhomme picard, brave et bien né, que la pauvreté avait réduit à servir dans les compagnies de la marine en qualité de capitaine d’armes ; il est mort en 1708. M. Ravari était créole de Saint-Christophe. M. de Ragni gouverneur-général, l’avait fait lieutenant sans brevet ; on le fit capitaine deux ans après, et il fut fait prisonnier à Saint-Christophe, en 1701, quand les Anglais nous chassèrent de cette île. Le sieur Kercoue était né à Paris. Son père était un fameux teinturier des Gobelins, et sa mère était hollandaise. Il s’était échappé de la maison paternelle à l’âge de quinze ans ; étant arrivé à Dieppe, il s’engagea pour passer à Saint-Domingue, où il fut vendu à un boucanier avec lequel il passa le temps de son engagement. Il fit dans la suite le métier de boucanier, et puis il alla en course ; enfin, s’étant trouvé à la Martinique, il s’était amouraché de la fille d’un confiturier nommé Louis, et l’avait épousée. C’était un très brave homme, fort sage, fort sobre, et qui aurait pu passer pour être sans défauts, s’il n’eût aimé le jeu jusqu’à la fureur. M. Roy était fils de M. Jean Roy, doyen du conseil de la Martinique. C’était un jeune homme plein de cœur, qui avait fait des merveilles quand les Anglais attaquèrent la Martinique en 1692. Il était aimé de tout l’équipage, excepté des mousses qu’il avait soin de faire fouetter presque tous les jours.

Le mardi 26, nous eûmes sur le soir un coup de vent qui nous fit perdre de vue notre chère compagne la Tranquille. Le jeudi on découvrit un vaisseau que nous crûmes être celui que nous cherchions. Grande joie ; nous portons sur lui à toutes voiles, et nous découvrons en même temps la Martinique. Ce vaisseau, comme nous le sûmes depuis, était anglais et s’appelait le Chester ; il avait cinquante-quatre canons et deux cent cinquante hommes d’équipage. Nous commençâmes à nous battre devant le quartier du Macouba, et nous finîmes à la pointe du Prêcheur : il eut trente-sept hommes tués et plus de quatre-vingts blessés. Son petit hunier, sa grande vergue et une partie de son gouvernail furent emportés, de sorte qu’après s’être rajusté comme il put, sous le vent de la Dominique, il eut bien de la peine à retourner à la Barbade. Au bruit de notre combat, les habitants de la côte avaient pris les armes craignant avec raison que nous ne fassions enlevés, n’étant guère probable qu’une flûte put résister à un vaisseau de guerre de cette force. Un canot vint à nous. C’était le sieur Louis Coquet, lieutenant de la compagnie du Prêcheur, qui s’était hasardé avec quatre hommes pour découvrir lequel des deux combattants était la Loire. Il vint à bord, et après lui quelques parents et amis de M. Roy, qui nous apportèrent des fruits et des poissons.

A mesure que le jour venait et que nous nous approchions de la terre, je ne pouvais assez admirer comment on s’était venu loger dans cette île ; elle ne me paraissait que comme une montagne affreuse ; entrecoupée de précipices ; rien ne m’y plaisait que la verdure qu’on voyait de toutes parts, ce qui était nouveau et agréable, vu la saison où nous étions. Il vint beaucoup de nègres à bord ; beaucoup d’entre eux portaient sur leur dos les marques des coups de fouet qu’ils avaient reçus ; cela excitait la compassion de ceux qui n’y étaient pas accoutumés ; mais on s’y fait bientôt. Nous dînâmes, puis je remerciai M. de la Héronnière des bontés qu’il avait eues pour moi pendant le voyage, et je pris congé de lui.

JE descendis à Saint-Pierre le vendredi 29 janvier 1694 le soixante-troisième jour de notre embarquement. M. Roy avec quelques passagers nous accompagnèrent. Nous allâmes tous ensemble à l’église rendre grâces à Dieu de notre heureux voyage, et ensuite au couvent qui, en ce temps-là, était éloigné de l’église d’environ deux cents pas. Le P. Ignace Cabasson, supérieur particulier de l’île, nous reçut avec beaucoup de bontés et nous mena saluer M. du Mets de Goimpy, intendant, M. le commandeur de Guitaut, lieutenant au gouvernement général des îles, et M. de Gabaret, gouverneur particulier de la Martinique. Je fus très bien reçu de ces messieurs. Après ces trois visites nous allâmes aux Jésuites. Leur maison est hors le bourg, à l’extrémité opposée à la nôtre. Tous ces Pères nous reçurent avec une cordialité extrême, et nous firent rafraîchir. De là nous passâmes chez les religieux de la Charité, qui sont nos proches voisins. En sortant de chez eux, nous entrâmes chez la veuve du sieur Le Merle : c’était une des plus anciennes habitantes de l’île ; elle était âgée de près de quatre-vingts ans. Elle avait un fils conseiller au conseil souverain de l’île, qui était marié, et deux ou trois autres enfants. Ses filles nous firent de la limonade avec de petits citrons qui ont l’écorce extrêmement fine, et des oranges de la Chine. Avant de rentrer au couvent, nous fûmes encore chez M. Pinel. C’était un des capitaines des milices de l’île Saint-Christophe, qui, après la déroute de cette île, s’était retiré, avec sa famille et quelques esclaves qu’il avait sauvés, à la Martinique. Il avait pris à rente une portion de notre terrain où il avait fait bâtir une maison de bois fort propre et fort bien meublée. M. Pinel était alors en course ; c’était un ami intime de nos Missions, et toute sa famille nous était fort attachée.

L’un de nos religieux, le P. Godefroi Loyer, qui était établi sur une terre considérable, appelée le Fonds du Grand-Pauvre, à l’île de la Grenade, et dont nous fûmes dépossédés par le comte de Blanac, gouverneur général des îles, avait, en arrivant à la Martinique, gagné la maladie de Siam. Cette maladie contagieuse fut apportée dans l’île par le vaisseau du roi, l’Oriflamme, qui, revenant de Siam avec les débris des établissements faits à Merguy et à Bancok avait touché au Brésil, où ce mal faisait de grands ravages depuis sept à huit ans. Il périt en retournant en France. Cette maladie commençait ordinairement par un grand mal de tête et de reins, suivi tantôt d’une grosse fièvre, et tantôt d’une fièvre interne qui ne se manifestait point au dehors. Ce qu’elle avait de commode, c’est qu’elle emportait les gens en fort peu de temps. Six ou sept jours, tout au plus terminaient l’affaire. Le P. Loyer est le seul de ma connaissance qui l’ait portée jusqu’à trente-deux jours et qui en soit guéri, et je n’ai connu que deux personnes qui en soient mortes après l’avoir soufferte pendant quinze jours.

Le bourg ou ville de Saint-Pierre prend son nom de celui d’un fort qui fut bâti en 1665, par M. de Clodoré, gouverneur de la Martinique pour le roi, sous l’autorité de la seconde compagnie, propriétaire de toutes les Antilles. On le fit plutôt pour réprimer les fréquentes séditions des habitants contre la compagnie, que pour résister aux efforts d’une armée ennemie.

On peut distinguer ce bourg en trois quartiers : celui du milieu est proprement celui de Saint-Pierre, du nom de l’église paroissiale. Le second, qui est à l’extrémité du côté de l’ouest, est appelé le Mouillage, parce que tous les vaisseaux mouillent devant ce lieu. Le troisième se nomme la Galère ; c’était une longue rue qui commençait au fort Saint-Pierre et allait jusqu’à l’embouchure de la rivière des PP Jésuites. L’ouragan de 1695 a emporté plus de deux cents maisons de ce quartier. On commençait à le rebâtir quand je suis parti de l’île, en 1705. A cette époque il y avait dans les deux paroisses qui comprennent ces trois quartiers, environ deux mille quatre cents communiants, et autant de nègres et d’enfants, en comptant dans le premier nombre les soldats et les flibustiers.

J’appris à mon retour au couvent, que M. Houdin, mon ancien camarade de collège, était venu pour me voir ; il y avait plus de quinze ans que je ne l’avais vu, et je n’eusse jamais cru le rencontrer aux îles.

Je le trouvai chez son beau-frère, M. Dubois. M. Houdin et une de ses sœurs mariée à M. Dubois, avaient suivi leur frère aîné, qui était receveur des domaines du roi ; ce frère aîné venait de mourir, et ayant laissé de grands embarras dans ses comptes, c’était pour les terminer que M. Houdin se trouvait à Saint-Pierre, car il demeurait ordinairement au Fort-Royal. Il était veuf quand je le vis. Il s’est depuis marié à une fille d’un très riche habitant nommé le Boucher dont la postérité s’est tellement multipliée qu’en 1704, ce bon homme voyait cinquante-cinq enfants provenus de son mariage ou de celui de ses enfants.

Le lundi 1er février 1694, le P. Chavagnac me mena prendre le chocolat chez un de nos voisins, appelé M. Bragus, et de là nous fûmes dîner chez un autre habitant qui nous fit manger des perdrix du pays et des ramiers. Les perdrix sont petites ; elles perchent ; les rouges sont meilleures que les grises. Les ramiers qu’on nous servit étaient fort gras, et avaient un goût de girofle et de muscade fort agréable. On nous servit aussi des ananas et des melons d’eau ; les premiers me parurent excellents. Pour les melons ordinaires rouges et verts, qu’on appelle melons d’Espagne, nous en avions mangé tous les jours depuis que nous étions arrivés. Ils ont cette bonne qualité qui leur manque en France, c’est qu’on en peut manger tant que l’on veut sans craindre d’en être incommodé.

Le 4 février, le P. Martelli et moi partîmes de Saint-Pierre pour nous rendre au Fonds St.-Jacques, où est située notre habitation. A la sortie du bourg nous entrâmes dans une belle allée d’orangers qui sépare l’habitation de Mme la marquise d’Augennes de celle du sieur Levassor. Mme la marquise d’Augennes est fille du sieur Girault, capitaine des milices de l’île de Saint-Christophe, qui, s’étant distingué avec quelques autres officiers quand on chassa les Anglais de cette île en 1666, avait obtenu des lettres de noblesse. Le marquis de Maintenon-d’Augennes étant venu aux îles avec la frégate du roi, la Sorcière, pour donner chasse aux forbans qui désolaient le commerce, épousa une des filles du sieur Girault, laquelle était d’une beauté achevée.

Nous vîmes à une lieue plus loin la maison et la cacaoyère du sieur Bruneau, juge royal de l’île. Cette cacaoyère et les terres où sont les deux sucreries de ce juge, avaient appartenu ci-devant à un juif, nommé Benjamin d’Acosta, qui faisait un très grand commerce avec les Espagnols, les Anglais et les Hollandais. Il crut se faire un appui considérable en s’associant avec quelquesunes des puissances de l’île, sous le nom desquels il acheta les terres que possède le sieur Bruneau. Il planta la cacaoyère qui est une des premières qu’on ait faite dans les îles, et fit bâtir les deux sucreries que l’on voit encore à présent. Mais la compagnie de 1664 craignant que le commerce des juifs ne nuisît au sien, obtint un ordre de la cour pour le chasser des îles, et les associés de Benjamin ne firent point de difficultés de le dépouiller pour se revêtir de ses dépouilles. Après la paix de Riswick, les héritiers de Benjamin d’Acosta, et quelques autres représentants, eurent permission du roi de venir aux îles pour demander ce qui leur était dû ; mais leur voyage fut aussi inutile que celui d’un agent Hollandais, auquel il est dû des sommes très considérables pour les avances qu’ils ont faites aux habitants dans les commencements de la colonie.

En continuant notre route, nous montâmes un petit morne, et à quelques cent pas plus loin, nous entrâmes dans un bois qui a près de trois lieues. Je ne pouvais assez admirer la hauteur et la grosseur des arbres de ces forêts, particulièrement de ceux qu’on appelle gommiers, à cause d’une gomme manche et de bonne odeur qu’ils jettent en certaine saison de l’année, ou quand on leur fait quelque entaille. Je crois que c’est la gomme elemi.

Nous vîmes, en passant au Morne rouge, l’habitation des religieux de la Charité. Les sieurs Carité et de Lorme avaient aussi des commencements d’habitation auprès de ces religieux. Depuis ce temps-là, beaucoup d’autres personnes s’y sont placées pour faire du cacao et élever du bétail, marchandises de bon débit.

Nous arrivâmes au Morne de la Calebasse un peu avant midi. Après que nous eûmes descendu la partie la plus rude de ce morne, nous nous reposâmes auprès d’une petite fontaine qui est à la gauche du chemin : nos nègres débridèrent nos chevaux, et les laissèrent paître le long du bois, pendant qu’ils mangèrent leur farine de manioc avec quelques poissons salés que nous leur avions achetés ; nous mangeâmes de notre côté les petites provisions que nous avions apportées. La crainte des serpents m’empêchait d’entrer dans le bois pour voir les plantes qui s’y trouvent. Je fus en peu de temps délivré de cette appréhension. Après une heure de repos, nous remontâmes à cheval et nous descendîmes par un chemin étroit taillé dans la pente d’un morne, à la Rivière Falaise, et nous entrâmes dans une allée d’orangers qui sert de clôture à une cacaoyère appartenant à un habitant de la Basse-Pointe, nommé Courtois, puis, nous passâmes la rivière Capot. Toutes ces rivières ne sont, à proprement parler, que des torrents qui tombent des montagnes, grossissent aux moindres pluies, et n’ont ordinairement que deux ou trois pieds d’eau. De cette rivière, nous passâmes au travers d’une savane qui appartient à un habitant de la Grande-Anse, appelé Yves le Sade, et une heure avant le coucher du soleil, nous arrivâmes à la maison du curé de cette paroisse.

Le curé était Provençal aussi bien que mon compagnon le P. Martelli, ce qui faisait que celui-ci se flattait d’en être bien reçu. Il fut trompé : ce bon curé était fatigué des passages de nos confrères qui s’arrêtaient chez lui et l’incommodaient. Il s’était absenté de sa maison, ou à dessein ou par nécessité. Son nègre, qu’il avait laissé, nous dit que son maître savait que nous devions arriver, et qu’il lui avait ordonné de nous présenter à boire et à manger, si nous en avions besoin, et de nous prier en même temps de passer outre parce qu’il ne pouvait nous donner à coucher. Ce compliment me parut un peu extraordinaire, et je dis au P. Martelli que nous ne devions pas pour cela aller plus loin ; mais il ne voulut pas y consentir. Nous partîmes donc après avoir fait boire un coup d’eau de vie à nos nègres.

De la Grande-Anse au Fonds Saint-Jacques il y a deux lieues ; quoique nos chevaux fussent très fatigués nous nous remîmes en marche. Ce fut avec peine que nous passâmes les rivières Lorain et Macé, qui étaient fort grosses. Pour surcroît de malheur, la nuit nous surprit, et nous essuyâmes un fort grain de pluie qui nous obligea de nous mettre à couvert sous des arbres, dans la savane du sieur de Verpré. Quand le grain fut passé nous continuâmes notre route, le ciel était couvert, la nuit fort noire, et la pluie avait rendu le chemin très glissant. Chemin faisant je m’avisai de demander au nègre qui me conduisait, s’il y avait des serpents sur la route ; il me répondit aussitôt en son baragouin : tenir mouché ; je crus qu’il me disait qu’il y en avait beaucoup, ce qui augmenta terriblement la peur que j’avais alors de ces animaux. Cependant nous nous trouvâmes à la rivière du Charpentier. Nos nègres nous la firent passer sur leur dos. Nous montâmes un morne très haut et très long ; mon cheval faisait souvent des révérences jusqu’à mettre le nez à terre, et celui du P. Martelli, qui se piquait de civilité, les lui rendait au double ; enfin, tombant, bronchant et grondant, nous nous trouvâmes au haut de ce morne, dans la savane d’un habitant nommé Gabriel Raffin et après avoir fait trois cents pas nous arrivâmes à notre couvent.

Le supérieur de nos Missions n’y était pas, il était allé au Culde-sac de la Trinité, d’où il ne devait revenir que le lendemain. Nos Pères furent surpris de nous voir arriver si tard, car il était neuf heures du soir, et nous étions mouillés et crottés depuis les pieds jusqu’à la tête. On nous prêta des habits et du linge pour changer, après quoi nous nous mîmes à table. Je trouvai au couvent Guillaume Massonier, mon compagnon de voyage de Paris à La Rochelle, fort mécontent du poste que notre agent lui avait procuré : il avait appris que la condition des engagés dans les îles était un esclavage fort rude et fort pénible, qui ne diffère de celui des nègres que parce qu’il ne dure que trois ans, et quoiqu’il fût assez doucement chez nous, cette idée l’avait tellement frappé qu’il en était méconnaissable ; il était chargé de faire l’eau de vie avec les sirops et les écumes du sucre. Je le consolai de mon mieux, et lui promis de l’aider aussitôt que je serais en état de le faire.

L’HABITATION appelée le Fonds Saint-Jacques provenait d’un terrain donné à notre Mission par M. le général du Parquet, en 1654, à titre de fondation de trois grandes messes, et de quelques messes basses pour chaque année. Depuis ce temps-là, nos Pères avaient obtenu deux concessions de deux mille pas chacune, ce qui lui donnait six mille pas de hauteur, en allant du bord de la mer vers les montagnes qui se trouvent, au centre de l’île. Le pas d’arpentage, à la Martinique, est de trois pieds et demi, mesure de Paris. A la Guadeloupe et aux autres îles il n’est que de trois pieds.

Notre habitation était alors très pauvre et en mauvais état. Nous n’y avions que trente-cinq nègres travaillant, huit ou dix vieux ou infirmes, et environ quinze enfants, tous si exténués faute de nourriture, de vêtements et de remèdes, que cela faisait pitié. La maison était endettée de près de sept cent mille livres de sucre, et n’avait plus aucun crédit : ces dettes avaient été contractées par la mauvaise administration des religieux qui prenaient chez les marchands tout ce qui leur plaisait, et les payaient avec un billet de sucre, qui était alors la monnaie courante des îles, à prendre sur l’habitation ; par les entreprises ridicules de quelques syndics, et surtout par les aumônes que le P. Paul faisait avec tant de profusion, que le gouverneur et le supérieur général furent obligés d’y mettre ordre. Ce bon religieux s’était mis en tête de retirer du libertinage plusieurs femmes de mauvaise vie qu’on avait envoyées de France en leur fournissant de quoi vivre, et à cet effet il leur faisait des billets de sucre, sans se mettre en peine si on en pouvait fabriquer assez pour les acquitter, ni où les religieux trouveraient à subsister. Il reconnut à la fin que ces femmes l’avaient trompé ; mais les billets, qui étaient en très grand nombre, couraient chez les marchands, et ceux-ci nous tourmentaient pour en être payés. D’ailleurs, des pertes de bestiaux que nous ne pouvions remplacer, nous empêchaient de faire la quantité de sucre qu’on aurait pu avoir si nos affaires eussent été en meilleur état ; outre cela, ce n’était que du sucre brut, décrié par sa mauvaise qualité, et que la guerre avait réduit à si bas prix, que le cent ne valait que cinquante ou soixante sous, pendant que les vivres et les autres denrées de France étaient à un prix excessif. Le baril de farine coûtait 1 500 livres de sucre ; le baril de bœuf salé autant ; le baril de lard, 2 500 livres ; la barrique de vin, 3 000 livres et souvent davantage ; tout le sucre qu’on pouvait fabriquer chez nous allait à peine à 130 mille livres, d’où il fallait déduire les dépenses générales. Tel était l’état de nos affaires à la Martinique quand j’y arrivai.

Le R. P. Camuels, supérieur général de nos Missions et préfet apostolique, revint du bourg de la Trinité un peu avant midi ; il témoigna de la joie de notre arrivée, et nous fit beaucoup d’honnêtetés.

Après dîné il me mena dans sa chambre, et me dit qu’il voulait me mettre à la tête des affaires ; mais, qu’en attendant, il me destinait une paroisse où je pourrais étudier avec soin les usages et les mœurs du pays. Le dimanche 7 février, je dis la messe à notre chapelle et je fis le catéchisme à nos nègres. Le même jour nous dînâmes chez M. de La Chardonnière, capitaine des milices du quartier, avec deux ou trois autres des principaux ; leurs femmes furent du dîner qui fut servi avec toute l’abondance et toute la politesse imaginables. M. de La Chardonnière était un des anciens habitants de l’île. Son nom est Le Vassor. Il avait deux frères. L’aîné était ce M. Le Vassor, conseiller au conseil, dont l’habitation est à côté de celle de madame la marquise d’Augennes. Il était venu fort jeune aux îles, où il avait épousé une veuve riche, et le bonheur l’accompagna tellement, que peu d’années après il se vit en état de faire une sucrerie. Sa femme en mourant le laissa héritier et sans enfants. M. Le Vassor de La Chardonnière, capitaine du Marigot, qui était son cadet, était venu aux îles quelques années après son aîné, qui l’avait employé d’abord sur une habitation à côté de la nôtre. Il lui fit épouser la veuve d’un nommé Joly, habitant du quartier appelé le Fonds du Charpentier, laquelle étant morte quelque temps après, elle laissa ses biens à partager par moitié entre son mari et un fils qu’elle avait eu de son premier lit. Le sieur de La Chardonnière traita, avec ce fils, et demeura maître de l’habitation où il était encore. M. Le Vassor, se voyant riche, fit un voyage à Paris où il épousa une des filles du sieur Lequoi officier de l’hôtel-de-ville, et emmena en même temps une des sœurs de sa femme pour la marier avec son frère La Chardonnière. Madame Le Vassor avait été belle, mais l’âge l’avait fait grossir extraordinairement, et la lecture de quelques livres lui avait tellement gâté l’esprit qu’on disait qu’elle était une copie assez achevée des Précieuses de Molière. Pour Mme de La Chardonnière, c’était une femme d’un très bon esprit. Elle se piquait de régularité et de politesse, et avec raison. Son unique défaut était de parler beaucoup. Mme**** et une certaine Mme**** étaient les seules dans toute l’île qui pouvaient lui tenir tête. Je me souviens qu’étant allé un jour chez elle avec le P. Martelli, nous y trouvasses ces deux femmes ; nous eûmes la patience de demeurer près d’une heure à les entendre parler toutes trois à la fois sans avoir jamais pu trouver le moment de dire une seule parole. Nous sortîmes enfin ; le. P. Martelli, qui aimait à parler à peu près autant qu’une femme, ne put digérer le chagrin qu’il avait eu de garder le silence pendant une si longue conversation.

MM. Le Vassor et La Chardonnière avaient encore un frère appelé François Le Vassor de La Touche, qui était venu aux îles après ses deux aînés. Son inclination le portant plutôt à chercher les occasions de se signaler dans les armes qu’à devenir un bon habitant, il fit plusieurs voyages en course où il s’acquit de la réputation. En 1664 il défit et mit en fuite neuf cents habitants de la Martinique qui s’étaient révoltés contre le gouvernement nouveau de la compagnie. Le sieur de La Touche se distingua de nouveau en 1663, lorsque les Anglais attaquèrent la Martinique. Le roi, pour récompenser ses longs services, le nomma colonel d’un des quatre régiments de milice qu’on fit à la Martinique en 1705, et lui donna des lettres de noblesse. Il eut plusieurs enfants de son mariage avec Marie-Madelaine Dorange, fille de ce brave Dorange qui fut tué en 1674, lorsque les Hollandais attaquèrent le Fort-Royal.

Mesdames Le Vassor et La Chardonnière avaient une sœur et deux frères. Cette sœur vint à la Martinique en 1698. C’était une petite boiteuse fort spirituelle, qu’un long séjour dans les couvents n’avait pu engager à prendre le voile ; elle ne laissait pas d’être dévote, en attendant quelque occasion de mariage.

A l’égard des deux frères, le sieur Lequoi, l’aîné, vint aux îles un peu après la paix de Riswick. Il avait été garçon-major dans le régiment d’Alsace, mais il avait oublié le mot de garçon pendant le voyage, et avait paru comme major réformé de ce régiment. On connaissait aisément qu’il était frère des femmes dont j’ai parlé ci-devant, car il ne déparlait point, et quelque nombreuse que fût une assemblée, il tenait le bureau sans que personne eût la peine d’ouvrir la bouche. Au reste, je suis obligé de dire ici que les familles nombreuses de MM Le Vassor sont composées de très honnêtes gens. L’aîné était attaché aux Jésuites ; le cadet était ami intime de notre Mission, et le plus jeune était le père et le bienfaiteur des Capucins.

Le P. Martelli revint de sa paroisse de la Trinité, et le même jour M. de La Chardonnière nous vint rendre visite avec MM. Jaham Leconte et Desfontaines, créoles. Le lendemain j’accompagnai notre supérieur général chez MM. de Jorna et Laquant, et chez madame et mademoiselle de Lacalle, sa fille. Au retour j’entrai chez le sieur Gabriel Raffin, notre voisin ; il était Nantais, tonnelier de son métier, mais il l’avait quitté depuis longtemps, et après avoir été marchand au fort Saint-Pierre, il cultivait une cacaoyère, et travaillait à établir une sucrerie au lieu appelé le Pain-de-sucre. Il entretenait un nombre de chèvres ou cabrites qui auraient multiplié à merveille sans les nègres marons qui tendaient des attrapes pour les dérober. On appelle marons les nègres qui abandonnent la maison de leur maître, et se retirent dans les bois et autres lieux peu fréquentés. Ceux qui les prennent et les remettent à leurs maîtres ou aux officiers des quartiers ont cinq cents livres de sucre de récompense. Quand on les surprend dans les bois, ou en volant, on peut tirer dessus s’ils ne veulent pas se rendre.

LE supérieur me chargea de desservir la paroisse, du Macouba, qui est à quatre lieues à l’ouest du Fonds Saint-Jacques. On me donna pour me servir un nègre appelé Robert Popo, âgé de quinze à seize ans, et un cheval nommé Corosol.

En arrivant au Macouba, je vis auprès de l’église une petite maison de bois : c’était la maison destinée au curé ; le maître d’école, qui en avait les clés, logeait au bord de la mer. Une négresse me dit de faire sonner la cloche pour l’appeler ; il vint en effet quelques moments après, et avec lui le marguillier de la paroisse. Ce dernier me fit beaucoup d’honnêtetés, et me conduisit à sa maison où il me donna un logement en attendant qu’on eût réparé le presbytère. Ce marguillier s’appelait M. Dauville. Il était de Normandie, honnête homme, fort civil, sachant parfaitement bien vivre, aussi l’avait-il appris chez M. de Champigny, conseiller d’état, dont il avait été maître-d’hôtel. Ce seigneur l’avait mis auprès du marquis de Théméricourt, son beau-fils, lorsqu’il vint aux îles pour partager le marquisat de la Guadeloupe avec M. Houel, son oncle. M. de Théméricourt ayant été pourvu du gouvernement de Marie-Galante, le sieur Dauville l’y suivit et s’y établit ; il épousa ensuite une femme de chambre de son ancienne maîtresse, madame de Champigny ; mais cette femme ne sympathisant pas trop avec l’humeur de son mari, revint en France au bout de quelques années, et s’établit à Honfleur, son pays natal. Ce fut après la prise de Marie-Galante par les Anglais, en 1692, que le sieur Dauville vint à la Martinique à la suite de son gouverneur. Comme il avait sauvé quelques nègres et quelques effets, il eut les moyens d’acheter la moitié de l’habitation, où il était à moitié profits et pertes avec M. Roy, père de celui avec qui j’étais venu de France.

Sur un faux avis qu’il avait eu de la mort de sa femme, M. Dauville en avait pris une seconde. Je fus parfaitement bien reçu de toute la famille. Nous soupâmes, et après quelques moments de conversation, je me couchai.