2017 - Patrice Obert - E-Book

2017 E-Book

Patrice Obert

0,0

Beschreibung

Les prochaines élections françaises sont capitales pour l’avenir de la France. Qu'en sera-t-il ?

2017. La France, éprouvée par la menace terroriste et la crise économique et sociale qui s’éternise, s’apprête à élire son nouveau Président. C’est l’effervescence au sein des partis politiques et des nouveaux mouvements citoyens. Pour Marc, jeune militant dévoué de droite, comme pour sa sœur, Jo, journaliste impertinente et effrontée, c’est primordial : il faut à tout prix éviter de laisser l’extrême-droite s’emparer du pouvoir. Mais cette fois, il est peut-être déjà trop tard.
Entre protagonistes nationaux et locaux, personnalités connues du monde politique et militants de terrain, ce roman de politique-fiction nous emmène à la rencontre de Français et Françaises, partagés entre colère et renoncement, révolte et espoir.

Un récit d’anticipation politique haletant qui fournit au lecteur les clés pour comprendre les enjeux de cette année cruciale.

EXTRAIT

Une joie radieuse se lit sur le visage de Marc Traibaud. Il serre Lucie dans ses bras. Pour un peu, il l’embrasserait à lèvres rabattues, là, au milieu de ses potes. Son champion a gagné. Sarko vient de remporter la primaire des Républicains. Lui que l’on disait perdu, que toute la presse avait dézingué, qui ne devait pas se remettre de toutes les casseroles que la justice avait accrochées à ses basques, il a tout balayé par son énergie.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Patrice Obert, Président du courant les Poissons Roses, membre du Parti Socialiste, haut-fonctionnaire, est auteur de nombreux essais et pièces de théâtre. Il met son expérience du terrain au service de ce premier roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 316

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Patrice Obert

2017

Roman

Du même auteur

ThéâtreinParcours 1989-2003tome I, 2003, éd. Publibook

Le voyage de Petit Pois, créé en 1991 au théâtre du jardin d’Acclimatation

Mort à la télé, créé en 1997 au théâtre Essaïon

L’ombre apprivoisée, créé en 1999 au théâtre des Déchargeurs

Nouvelles et récits

Rikiki 1er, maire de Paris par intérim, 2001, éd. Publibook (sous le pseudonyme de Jean Méniande)

Pour accueillir Bébé, 2001, éd. Publibook. com

La République des songes, in Parcours 1989-2003, tome II, 2003, éd. Publibook

Ovalie, une vie de rugby et d’amitié, 2016, Avant-propos de Philippe Sella, préface de Christian Charuel, éd. Publishroom

Une quinzaine de récits publiés sur le site www.raconterlavie.fr

Essais

Modernité et monothéismes – Contribution à l’élaboration d’un projet européen, 2006, éd. Karthala

Un projet pour l’Europe – Plaidoyer pour une refondation, 2013, éd. L’Harmattan

Chroniques des élections européennes, 2015, préface de Pierre Royer, éd L’Harmattan

À contre-courant – Pour guérir la gauche et relancer la France, 2016, Le Cerf (Les Poissons Roses, sous la direction de Patrice Obert et Philippe de Roux)

En hommage à mon fils Charles

(28 mars 1981 – 4 novembre 2012)

Premier soir – Primaires

Une joie radieuse se lit sur le visage de Marc Traibaud. Il serre Lucie dans ses bras. Pour un peu, il l’embrasserait à lèvres rabattues, là, au milieu de ses potes. Son champion a gagné. Sarko vient de remporter la primaire des Républicains. Lui que l’on disait perdu, que toute la presse avait dézingué, qui ne devait pas se remettre de toutes les casseroles que la justice avait accrochées à ses basques, il a tout balayé par son énergie.

À côté de lui, penaud dans sa défaite inattendue, une fois de plus, le « meilleur battu d’entre nous » regarde tristement la salle qui crie le nom de son adversaire. On lit dans son regard absent toute sa déception. Son heure ne sera finalement jamais venue. Alain Juppé reste droit, digne. Il ne sera jamais Président de la République. Il repense à son parcours depuis l’inspection générale des finances, la rencontre avec Chirac, la ville de Paris, Matignon, puis les déboires, les législatives ratées de 1997, la descente aux enfers judiciaires, puis Bordeaux, le Canada, la tentation de tout laisser tomber, d’arrêter, et de laisser le monde aller son cours sans avoir besoin d’y imprimer sa marque. Puis le retour, Bordeaux à nouveau, Bordeaux pour renouer avec la confiance, pour prouver qu’il savait construire, qu’il pouvait diriger des hommes et des femmes, qu’il pouvait incarner le recours attendu par les Français. Les sondages qui le donnaient vainqueur, la sympathie enfin gagnée, la conviction qu’il avait un rôle à jouer pour remobiliser le pays, dans la dignité, dans la confiance. Puis cette sale campagne, terrible, durant laquelle il a été saoulé de coups. Pourtant, il s’y attendait. Il le connaissait le Sarko, il ne se faisait pas d’illusion. Mais il y a en Sarko quelque chose comme la réincarnation de Chirac, cette capacité à se démultiplier pendant les campagnes électorales, cette inépuisable énergie qui permet d’être présent chaque soir à trois meetings et de repartir le lendemain, cette extraordinaire capacité à se contredire sans aucun scrupule et à asséner avec conviction les mensonges d’hier et les fausses promesses de demain, ce sursaut qu’il avait trouvé dans cette mise en examen qui aurait dû l’assommer mais qui l’avait revigoré. Et ce machiavélisme enjôleur a finalement cadenassé les Républicains, limité drastiquement le nombre des électeurs en décourageant de nombreux sympathisants de rejoindre cette primaire que lui, Juppé, voulait ouverte, accueillante, tournée vers les Français, parce que là était sa chance, la seule possibilité de sa victoire. Juppé contemple cette salle enthousiaste qui acclame l’ancien Président et le porte en triomphe. Il sourit amèrement en croisant les regards désabusés de Bruno Lemaire et de François Fillon.

Un peu plus loin, Balkany passe sa main sur sa bedaine. Dans un coin de la salle, une clique malsaine entoure Patrick Buisson. NKM s’est déjà enfuie, tandis que Nadine Morano pavane et roucoule à la pensée d’un prochain ministère. Juppé sait que le vainqueur de ce soir a les plus grandes chances d’être le prochain Président de la République. Il sent que la France aura du mal à s’en remettre car le Sarkozy numéro 2 ne sauvera pas le pays, pas plus demain qu’hier. Sarko fera du Sarko et derrière les coups de menton, derrière l’aveu calculé des erreurs passées, derrière la mâle assurance, derrière la volonté affichée de tout remettre à plat, de régénérer le pays, de le sauver de tous les dangers, rien ne se passera. Juppé le sait intuitivement, avec son expérience de vieux routier de la politique, parce qu’il a vécu moult élections, parce qu’il a traversé plusieurs déserts, parce qu’il parcourt le pays de part en part depuis des mois, parce qu’il sait que la France est rongée de l’intérieur et qu’elle a besoin de rassemblement, de paix, de confiance et d’une vision de son avenir, Juppé sait que rien ne tiendra et que cette victoire à la primaire est davantage une victoire à la Pyrrhus et qu’elle annonce bien des déconvenues pour demain. Il fait un discret signe à ses supporters, se tourne pour serrer la main au vainqueur qui ne lui adresse même pas un regard, descend de l’estrade. Trop tard…

*

Marc n’a d’yeux que pour Sarko. Il en oublierait presque Lucie qui n’a d’yeux que pour lui, Marc, son héros romantique, ce grand jeune homme blond plein de vie, d’ambitions et de vigueur. Marc qui a changé sa vie depuis qu’elle le connaît, qui occupe ses pensées et son cœur, qui la fait vibrer et rire et jouir. Jamais elle n’aurait imaginé ce plaisir de la vie politique, cette sensation de communier à une même conviction, cette force qui traverse tous ceux qui sont là, dans cette grande salle, et que l’espoir de la victoire transforme. Marc se tourne vers elle, lui sourit. Il est beau, rayonnant. Il se penche vers elle, l’embrasse et ce baiser a la saveur de lendemains qui chantent. Bien sûr, tout reste à faire et la campagne des présidentielles sera longue, et dure et encore plus violente que la primaire, car, en face, il n’y aura plus le vieux Juppé aux bonnes manières, Bruno Lemaire au renouveau encore trop tendre et Fillon le déjà démodé. En face, il y aura la nomenklatura socialiste qui saura faire front derrière la belle Alliance populaire de Camba et le hip-hop de Le Foll pour défendre le bilan de Hollande, malgré ses divisions, malgré le Macron qui s’y croit déjà, l’Aubry qui bougonne dans son île, le Montebourg qui ne rêve que de revanche, malgré la débandade des Verts délavés à la machine du temps, malgré les éternels mélenchoniens révoltés et déçus. En face il y aura la jeune garde frontiste, inexpérimentée, mais qui ne doute de rien, qui vole de succès en succès, qui prétend depuis les Européennes de mai 2014 que le FN est devenu le premier parti de France. Et puis, à côté, il y aura tout ce magma des indécis râleurs, tous ces parasites qui ne savent que critiquer, tous ces rois du commentaire qui savent toujours ce qu’il aurait fallu faire, tous ces intellos qui passent leur temps à se mettre le crayon dans le fion en prenant des poses avant de twitter, tous ces pleutres qui n’avancent plus, ni ne reculent, mais stagnent, indécrottables dans leur médiocrité moyenne de Français las de tout et du reste, et tous ceux-là, ces frileux, ces jamais-contents, ces toujours-grincheux, ces trop malins pour se laisser prendre, ces irréductibles Gaulois butés dans le statu quo, ces nuits-deboutistes plantés dans leur prêchi-prêcha pseudo-révolutionnaire, il faudra parvenir à les faire avancer dans le bon sens, pour peser dès le premier tour, balayer le socialiste lunaire et tuer la campagne. Marc le sait, il va falloir y aller, se colleter les réunions, les apéros de quartiers, les distributions de tracts, il va falloir passer des soirées à convaincre les indécis, les hésitants, les qui-se-grattent-le-crâne, les qui-aimeraient-bien-mais-que-ça-gêne. Tant mieux si Lucie l’accompagne et le soutient, car il se donnera jusqu’à plus soif, parce qu’il veut que la droite prenne sa revanche sur les socialos, parce qu’il ne supporte pas la Marine qui les méprise, parce que la France doit s’en sortir et que Marc y croit.

Marc a retrouvé ses potes de Clivy-Montheil, les Thomas, Hervé, Ranjit, Norbert, mais aussi la jolie Lisa à la mèche noire, Raphaëlle à la peau de pêche, Sabine aux cheveux roux. Il emporte Lucie par la main, sa préférée, la plus jolie, celle qui fait battre son cœur. Ce soir, c’est la fête, ils ont gagné. Pourtant Marc a été longtemps indécis entre Sarko et Juppé. Mais la politique est cruelle et il fallait choisir et le choix ne devait pas être celui du cœur ou de l’inclination personnelle. Il s’agissait de désigner le meilleur cheval, celui qui, lors des prochaines présidentielles, aurait les meilleures chances de gagner et, à ce jeu, en comptant les points et en scrutant les candidats, en analysant les capacités de report et les cumuls potentiels de voix, le doute a fait place à une certitude. Sarko serait le meilleur pour souder la droite reconquise et cette frange de l’extrême droite qui n’arrive pas vraiment à se rallier aux nouvelles méthodes du Front et pour attirer tous les centristes déçus du quinquennat hollandais. Parce que Sarko est un combattant, un guerrier, un fauve et que sa hargne, il la fait partager à tous ceux qui se pressent ce soir autour de lui dans cette salle surchauffée où on rit à gorge déployée sans retenue. Et chez les fans de Sarko comme chez les dubitatifs, chez les soutiens des premières heures comme chez les résignés du second round, ce sentiment secrètement fichés en eux que ce type est bien capable de l’emporter, malgré tous ses défauts et toutes ses maladresses et qu’il sera bien temps, alors, de jouer des coudes pour se frayer un passage au premier rang. Il y a dans leurs yeux à tous, la conviction que, déjà, malgré les embûches à venir et les combats à livrer, la victoire est là, pas simplement à portée de la main, mais là.

*

Les Républicains se sont débrouillés pour que les résultats de la primaire tombent juste avant le 20 heures. François Marin, Philippe Arrimi, Catherine Hernandes, José Esquila et Jean-Luc Sudre écoutent les infos à la télé. Chacun d’eux a son portable en main pour suivre les infos déversées par les chaînes en continu. À l’annonce de la victoire de Sarko, leurs regards se sont croisés, des regards de vieux complices, des regards qui sourient car cette désignation, ils ne l’espéraient plus. Les sondages étaient si favorables à Juppé. Mais Sarko a refait avec Juppé le coup de Chirac avec Balladur, la remontée fantastique et le renversement de tendance à trois semaines du scrutin. Or Sarko contre Hollande, c’est bonnard. François Marin est le premier à se lever. Ils se sont retrouvés dans son bureau de maire. Il s’approche du frigo dissimulé derrière une porte en bois bruni, en sort une bouteille de whisky, prend cinq verres.

– À notre victoire, lance-t-il dans un clin d’œil.

Ils trinquent.

– Putain, avec Juppé, ça aurait été compliqué, il rassemblait tous les tièdes, du centre gauche à la droite classique, mais ce sera dur tout de même, ajoute-t-il en avalant un carrelet.

Ils opinent. Ils savent tous que ce sera très dur. Mais tout de même, le Sarko va produire un tel effet réfractaire que le chemin de la victoire socialiste redevient envisageable. François Marin marche de long en large dans le grand bureau clair, le traversant à grandes enjambées de ses guiboles de marathonien. L’homme est tout en longueur, le visage anguleux, le front haut, les lunettes précises sur un nez busqué. Militant puis secrétaire de la section du PS, puis élu conseiller municipal, il est maire depuis les dernières municipales, après le retrait du vieux Marchal qui l’a couvé durant toutes ces années. Il a fait ses classes, sagement et avec application. Rien ne lui échappe de sa ville, son bourg tranquille, ses quartiers résidentiels, sa cité repoussante. Ici, les gens le connaissent, le reconnaissent, les vieilles dames comme les commerçants. Tout le monde sait ses choix privés, son homosexualité discrète, et tout le monde s’en fiche. Il a belle allure, parle facilement, s’occupe de ses dossiers et gère la commune de Clivy consciencieusement.

Le téléphone sonne. C’est Barto. François Marin s’empare du téléphone, échange avec son mentor politique. Barto a beau avoir perdu la région devant Valérie Pécresse, il reste un maître en stratégie et en combinazione. François écoute, sourit. Il cligne de l’œil à Philippe Arrimi, qui est en face de lui. Philippe Arrimi est son premier adjoint, un Corse, un filou, toujours un peu retors, un vrai politique, de la vieille école, mais trop malin pour dépasser les limites, connaissant la carte électorale des bureaux de vote sur le bout des doigts au point qu’avec lui, on pourrait presque savoir qui, dans telle famille, a voté pour le parti. Et gouailleur avec ça, charmeur en diable et n’hésitant pas à lever le verre. À côté de lui José Esquila se gratte l’oreille. José a fui le Chili après le coup d’État de Pinochet. Il a désormais les cheveux gris. Il a rejoint l’équipe de François dès son arrivée en France. À l’époque, il avait prévu de repartir au pays dès que la situation s’arrangerait. Il entendait encore les balles siffler près de ses oreilles quand il s’était enfui avec son amie du guet-apens dans lequel ils étaient tombés. Les autres avaient été arrêtés. Eux deux, arrivés en retard, avaient eu le temps de comprendre que quelque chose d’anormal se passait, puis de filer avant que la porte ne s’ouvre brusquement et d’entendre les balles les frôler. José parle toujours avec son accent espagnol. Il est tout dévoué. Il rend tous les services. Il a désormais renoncé à revenir à Santiago. Sa vie est là désormais et il n’a qu’une crainte, mais elle est immense, voir un jour l’extrême droite prendre le pouvoir en France.

– Maintenant, c’est à nous de ne pas perdre les présidentielles, dit Jean-Luc Sudre.

Jean-Luc est le Président du groupe PS au conseil municipal de Clivy et le secrétaire de section. Bien introduit rue de Solférino, il est au contact avec toutes les sensibilités, autant dire qu’il passe son temps à négocier avec chacun des membres du conseil municipal et à rester en liaison avec Bartolone, le maestro, celui qui sait, voit et téléguide tout dans le 93. Entre frondeurs et loyalistes, tendance Macron et nostalgie montebourgienne, la vieille garde hollandaise et le carré des irréductibles aubriens, les laïcards de la première heure et les Poissons roses qui frétillent depuis quelques années, sans compter les irréductibles francs-mac, les derniers fidèles de Ségotitude et les dents longues des réformateurs, c’est vrai qu’il faut savoir jongler, donner des gages, promettre des accommodements, accepter des amendements. Pour faire tourner la boutique, Sudre est le meilleur et d’aucuns lui prédisent un avenir radieux au sein du PS. Mais Sudre sait bien que la section s’effiloche, pas mal de militants ont oublié de renouveler leur cotisation, les assemblées de section sont moins fréquentées. Pourtant ici, dans cette ville populaire de la couronne parisienne de l’est, la vie locale reste vivante, la section est représentative, on y trouve de tout, des vieux de l’an 40, des gens simples, des immigrés intégrés, des bobos à la mode parisienne, des classes populaires désabusées, des chômeurs fatigués et même quelques jeunes de la cité des Ajoncs, cette frange qui fait peur et sème l’angoisse. Sudre, ça le passionne ce mélange. Il pourrait passer sa vie à discuter avec chacun pour mieux le convaincre. Car, par ces temps de doute, il faut convaincre. Personne n’y croit plus. Hollande a tué le PS, Sudre le pense sincèrement. Tout simplement parce qu’il n’a pas tenu ses promesses de la campagne de 2012. Combien de fois Sudre et Marin en ont discuté.

Ce qui pèse sur le bilan hollandais, ce ne sont pas les mesures reportées des deux premières années, ni les mesures prises après le tournant de 2013, ni la politique mise en œuvre par le tandem Valls-Macron, ni l’euphorie retombée de l’après Charlie, ni la posture du commandeur suite aux attentats de novembre 2015, c’est d’avoir changé de cap dès son élection. Les militants n’ont pas compris, encore moins les électeurs. Promesses, promesses. Après celles de Chirac, qui voulait réduire la fracture sociale, après celles de Sarko qui avait prétendu assumer la rupture, celles de Hollande qui avait promis « le changement maintenant » s’étaient envolées en fumée. Mais personne n’avait oublié que l’ennemi, c’était « la Finance ». Et à chacune de leurs sorties, il y en a toujours un pour leur demander ce qu’était devenue la loi de séparation bancaire, non pas celle que Mosco a pondue en finassant pour surtout veiller à ne pas emmerder les banques, mais la vraie, celle qui était promise. Et le traité budgétaire qui devait être renégocié avec Merkel, hein, l’Angela, elle nous l’avait mis bien profond. Et la réforme fiscale qui devait tout remettre à plat, on pouvait se l’accrocher. Et la priorité à la jeunesse, qu’on ne les y prendrait plus alors que Macron, l’ancien banquier, appelait les jeunes à devenir milliardaires, il ne manquait pas de culot, celui-là, quand déjà avoir un CDD, c’était quasiment le paradis dans ce putain de pays où tout fichait le camp. Voilà ce qu’ils entendent, Marin et Sudre quand ils font les marchés. Ils ont beau expliquer que la situation laissée par Sarko était mille fois pire que tout ce qui était prévu, une dette colossale, une industrie massacrée, un déficit extérieur abyssal, les gens ne comprennent pas, hochent la tête sans y croire, même s’ils aiment bien leur jeune maire. Marin et Sudre sentent bien que le courant est coupé, que quelque chose d’essentiel n’y est plus, la confiance s’est volatilisée. Et la confiance, elle ne se reconstruit pas en un jour.

C’est vrai que la perspective d’affronter Sarko a de quoi requinquer. Hollande en rêvait. Sarko aussi. Sarko pour prendre sa revanche de teigneux. Hollande parce que ce type lui donne une énergie folle et qu’il a besoin de ce défi pour se sortir les tripes. Mais le PS ira-t-il jusqu’à désigner Hollande ? Avec toutes ces rumeurs de primaires revenues depuis l’appel des Cinquante, reprises par les frondeurs, amplifiées par les Poissons roses, et relookées par le Pacte civique et les Zèbres, rien de mieux pour déstabiliser le Président, pour saper son autorité, déjà que sa cote de popularité frisait les rotules. Allait-il se représenter avec son sac de chômeurs sur les épaules ? Il avait dit-juré que non, qu’on le jugerait sur la baisse des demandeurs d’emploi. Certes, la courbe venait de s’inverser depuis quelques mois, la presse n’en finissait pas de gloser sur le renversement de tendance, sur l’inversion de la trajectoire. Soit, mais depuis cinq ans que le chômage montait, inéluctablement, malgré la baisse de l’euro et la chute du cours du brut, depuis cinq ans qu’on racontait que la baisse allait venir, qu’il fallait tout faire pour, qu’on ferait tout, cette petite baisse avait tout de l’imposture, et les gens la regardaient avec une circonspection dubitative. Catherine Hernandez en est bien consciente. La jeune infirmière rencontre toutes sortes de gens dans son travail. Elle ne fait pas que les piquer, elle les écoute, elle, la militante de terrain, la volontaire, toujours prête pour défiler, toujours active pour argumenter, la laïque de choc de l’équipe, aux yeux de braise et au débit intarissable. Elle, Marin, Sudre, Arrimi et Esquila ne sont pas dupes. Sarko est l’adversaire idéal, mais le vrai problème est chez eux, dans ce PS devenu une machine à perdre. Camba le dit à mots ouverts en vantant sa belle Alliance dont tout le monde se contrefout, le PS peut disparaître, il est un astre mort, dont seul l’écho de la lumière parvient encore, bien affaibli. Un parti qui date de 71, autant dire du xixe siècle, du congrès d’Épinay avec son discours, ses méthodes, ses conformismes, et surtout sa vision du monde et l’âge de ses vétérans même si Valls a injecté du sang neuf avec le sourire de Najat, la fausse naïveté de Myriam El Khomri et le regard romantique de Macron. Mais Hollande se représentera, François Marin en est certain et le faux suspense se dissipera en décembre et tous les grouillots seront bien obligés de se mettre en ordre de marche, pour Austerlitz ou Waterloo ?

*

Et ça, au Front national, on le sait, et on s’en frotte les mains. À Clivy-Montheil, les amis de « La Marine » ne dessaoulent pas de joie. Putain, Sarko le revenant contre Hollande l’inconsistant, cette guéguerre de fantômes a de quoi les ravir, ce faux duel fratricide entre l’UMPS est le plus beau cadeau qu’on pouvait leur servir, l’occasion inespérée que Michel Cravier, Ahmed Hazali et Laurence Richard savourent déjà. Tout est en place pour enfin franchir le pas. Depuis que Marine a repris le flambeau, depuis qu’elle a dépoussiéré le Front, depuis qu’on accueille au FN les pédés, les gouines, les Arabes assimilés, les Noirs, les paumés et même des énarques, depuis que le Couillu a été mausoléifié dans son statut de Président d’Honneur mais qu’on lui a fermé le clapet, depuis qu’on a rebadigeonné aux couleurs républicaines la baraque et chassé les vieilles odeurs d’OAS, de fours crématoires, de détails et autres relents maurassiens de la vieille école catho-intégriste à la Gollnisch, depuis qu’on a fait entrer un pavé de laïcité pour mieux faire la nique aux laïcards au point que même les plus radicaux des radicaux de gauche se le sont pris dans les parties et se retrouvent à poil puisque c’était leur seul biberon, depuis qu’on vante l’égalité entre les hommes et les femmes et qu’on a une chef qui est une femme, divorcée, bien vivante, bonne vivante (et plus les caciques le lui reprochent et plus les nouveaux militants bandent dans leur froc), mère de famille, batailleuse, truculente, qui n’a pas sa langue dans sa poche, depuis en bref que le diable est sorti du Front, les militants y entrent par fournées, apportant leur écœurement et leur lassitude, mais surtout leur révolte et leur volonté d’en découdre. Le désenchantement résigné, au Front, on le laisse pour les autres, tous ceux qui ne croient plus à rien, qui sont revenus de tout, dont les petites ambitions ont sombré dans la médiocrité ou la démerde perso. Non, au Front, on sait que la voie est désormais ouverte. D’ailleurs, Marine le dit dans chacun de ses discours. Le FN est devenu le premier parti de France, depuis les élections européennes de 2014 où il a frôlé les 25 % de voix, ce que les régionales ont confirmé.

Oui, ce jour-là Michel Cravier, lui l’ancien syndicaliste CGT, l’ancien délégué syndical, le baroudeur qui avait toujours voté PC depuis qu’il était petit, comme son père et son grand-père, parce que c’était la tradition dans la famille, dans le quartier, parmi tous les ouvriers qui fabriquaient des bagnoles et que pour rien au monde on n’aurait, dans cette famille-là, manqué la fête de la cellule, ce jour-là, il s’était tapé la cuisse avec la main en s’esclaffant « Putain, on les aura ! » et, en trinquant avec Ahmed, ils s’étaient promis tous les deux de descendre les Champs-Élysées à pied le jour où Marine deviendrait Présidente de la République. Bien sûr il y a encore pas mal de boulot à faire. Et rien n’est gagné. Avec leurs kalachnikovs à la con, les deux Pois Chiches avaient bien failli faire s’écrouler tout le travail mené patiemment depuis des années, mais il avait suffi de faire le dos rond, de laisser passer l’émotion suscitée par ce rassemblement pipeau de tous les soi-disant républicains, et de poursuivre le travail de sape. Car le Front s’organisait. Ahmed, qui ramait depuis deux ans à trouver un job malgré son BTS en poche parce que personne ne voulait l’embaucher avec sa gueule d’Arabe, avait été chargé de sélectionner parmi les nouveaux ceux et celles qu’on enverrait à l’École du Front afin de bien les former, pour qu’ils reviennent dopés à mort, plein d’arguments et capables de répondre à n’importe quelle question avec assurance, avec les mots chocs et les bons slogans. Laurence, elle, avait rejoint le Front parce qu’elle en avait par-dessus la tête de ne pas pouvoir obtenir un logement de la mairie socialiste. Avec ses deux filles, son salaire à peine plus haut que le Smic, son fainéant de mari qui carburait au pastis et dont elle n’arrivait pas à se débarrasser, elle ne comprenait pas en quoi elle n’entrait pas dans les quotas. Quand elle avait compris qu’elle n’avait pas la carte, elle avait tourné le dos, claqué la porte, et avait filé au Front. Maintenant, elle s’occupe des nouveaux militants, leur torche le cul et les pouponne, astique leur CV et leur tapote les joues, les prépare au porte-à-porte et organise les réunions de quartier.

Michel Cravier s’était bien marré quand, en janvier 2015, le cloporte de Houellebecq avait sorti son bouquin annonçant l’arrivée tranquille d’un Président musulman en France. « Putain, quel connard ! » « Que du bonus », avait-il dit à Ahmed en riant. Avec Ahmed, on pouvait rire de tout, même des rebeus, parce que c’était un mec bien Ahmed et vraiment le Houellebecq, c’était le prototype du parisien déjanté, du mec paumé, bravache et pervers, genre celui-qui-sait-tout-et-qui-la-ramène-sans-en-avoir-l’air avec sa tête de nœud, sa voix traînante et désœuvrée, sa clope toujours au bout des doigts, façon Gainsbourg mais au moins Gainsbourg, il sortait des belles mélodies, tandis que lui, que la presse parisienne encensait, fêtard triste, sans humour, aux goûts de fesses et de bite en berne, sûrement que jamais il n’avait mis les pieds au Front alors qu’il en parlait, tout ça pour régler ses comptes personnels avec son ascendance, que ça faisait pitié et qu’on lui aurait bien collé au cul une assistante sociale pour vieux dépravé bilieux mais comme il était pourri de fric et qu’il passait son temps dans les studios de télé ou à la radio, il n’y avait pas droit. Oui, ça les avait bien fait marrer ce bouquin hyper médiatiquement lancé, dont tout le monde parlait sans en avoir rien lu, parce qu’il avait vu juste, le Houellebecq, Marine serait bien au second tour de la présidentielle mais pas contre le soi-disant Ben Abbes sorti des limbes du pseudo-penseur qui ne voulait pas en être un, qui ne voulait pas prendre parti alors qu’il ne faisait que ça, pisser contre tout le monde sans prétendre rien salir, à croire qu’il passait son temps à se chier sur lui sans s’en rendre compte tellement il puait la merde. Pas de pot, les Fanas de Dieu avaient dézingué la cohorte des Charlies le lendemain. C’est pas que Michel Cravier appréciait spécialement l’humour des Charlies. Mais quand ils pouvaient en planter une bonne dans la baraka au Prophète, Cravier se marrait. Lui, il aurait bien aimé que les Charlies soient encore plus féroces avec les juifs, parce que, ceux-là, honnêtement, il ne pouvait pas les saquer. Mais ce qu’il n’aimait pas, Cravier, mais pas du tout, c’était la façon dont les Charlies se foutaient de la gueule du pape. C’est pas qu’il était très croyant, mais quand même, il trouvait ça facile d’enquiller le pape avec toujours les mêmes histoires de préservatifs, à croire que les humoristes avaient un zizi dans le cerveau pour être obsédés à ce point par les histoires de condoms. Au fond, Charlie Hebdo aurait dû reverser un pourcentage au Vatican, parce que les cathos, c’était, quoi qu’on en dise, un bon terreau, facile à croquer, et pas chiant pour deux sous. Bien sûr, avec cette dérouillée sanglante, ils pourraient plus rire beaucoup, les pauvres, et ça foutait les boules à Cravier parce que finalement, les Cabu, Charb, Tignous et Wolinski, c’étaient des mecs avec lesquels il avait grandi, même s’il ne les aimait pas beaucoup. Mais c’était l’insolence de sa jeunesse, c’était le droit à l’arrogance, c’était la liberté de tout dire, de tout crier, et finalement, au Front, c’est ça aussi qu’il revendiquait Cravier, le droit de tout dénoncer, les grands et les petits privilèges, les arrangements malsains, les vermines qui se nourrissaient sur le peuple, les grands patrons qui s’en foutaient plein les poches et qui cumulaient les stock-options avec leurs indemnités et leur retraite dorée même s’ils avaient conduit leur boîte à la faillite, les technocrates cravatés qui dirigeaient le pays en passant du public au secteur bancaire sans état d’âme et qui s’en mettaient plein les pognes en nous faisant croire qu’ils s’occupaient de l’intérêt général, les fonctionnaires qui peinardaient toute la journée quand le petit peuple crevait la dalle, les surnuméraires d’EDF et de la SNCF qui engrangeaient encore les dividendes de la Résistance et partaient pêcher à 50 berges quand les chauffeurs routiers se tapaient des semaines de 60 heures et devaient attendre les 62 ans pour toucher leur retraite de fossile, les médias qui organisaient la ronde des bien-pensants et des journalistes qui s’invitaient, se reniflaient, se pourléchaient sous le regard bêta de tous les gogos qui gobaient leurs fadaises, tout ce petit milieu parisien qui se croyait le centre du monde et qui ne comprenait plus la vie des gens, et l’Europe qui dégueulait de fric mais qui serrait la ceinture aux mecs du Sud, sans être capable de faire rentrer chez eux tous les pauvres bougres qui voulaient traverser la Méditerranée sur des rafiots de fortune et qu’il fallait finalement nourrir avec l’argent des contribuables ou refourguer aux Turcs, tout ça parce qu’on se mêlait de tout ce qui ne nous regardait pas, qu’on aurait mieux fait de laisser les Arabes se tuer entre eux chez eux plutôt que de prétendre tout savoir et tout mieux faire que les autres, alors même qu’on foutait la merde partout où on intervenait, encore si on avait su écouter Poutine, lui au moins, il se les était payés en Tchétchénie et il savait de quoi il parlait quand il préférait l’affreux Bachar aux Barbus.

Oui, Marine serait au second tour de la présidentielle et elle n’aurait peur, ni de Sarko, ni de Hollande. Michel Cravier en avait récemment parlé avec Steeve Briois et Florian Philippot à l’occasion du dernier congrès. Sarko allait partir en fumée, ça ne faisait aucun doute. Le peuple de droite ne lui pardonnait pas son premier loupé, son manque de respect, ce jeu de « m’as-tu vu » qu’il avait joué avec cynisme, du Fouquet’s à ses vacances en yacht, jamais il ne reviendrait à l’Élysée. Il avait eu beau siphonner les voix du FN en 2007 en donnant le change, en faisant croire, en allumant des petits feux mais il avait tellement trahi que le peuple ne lui ferait plus confiance. Cravier croyait à l’analyse de Briois et de Philippot. Même si les départementales de 2015 avaient donné le change, avaient laissé penser à la droite qu’elle pourrait gagner 2017. Ils n’avaient tous à la bouche que le mot de tripartisme. Mais ils ne réalisaient pas que ce n’était pas une situation définitive, un équilibre stable. Ce tripartisme de façade, faussement rassurant pour l’ex-UMP, traduisait seulement un changement de situation, un basculement entre le Front et les Républicains, les pauvres, ils ne s’en rendaient même pas compte, ils ne comprenaient pas qu’ils allaient être balayés en 2017. Oui, le Front progressait, lentement, inexorablement, pas un raz-de-marée, non, mais, comme avait dit Marine, une inondation, que ça envahit tout, engloutit tout et qu’ensuite, ça stagne pour une sacrée durée de temps.

Le ralliement de responsables de l’ex-UMP ne trompait pas et les Philippe Martel, Philippe Lothiaux, Sébastien Chenu qui avaient été accueillis à bras ouverts montraient bien la brèche ouverte dans la coque. Le FN tapait maintenant dans le dur, dans les vrais, les compétents. Les Républicains allaient partir en couille, tout doucement, puis, d’un coup, se débobiner et les ralliements allaient se multiplier et on verrait arriver, la queue basse malgré leurs airs fiers, les beaux notables arrondis, les barons ventrus et cossus, de la belle et bonne manière de droite, qui viendraient manger dans la main tendue de Marine en expliquant, avec cette bonhomie feinte des vieux lascars qui ont déjà tourné cent fois leurs vestes, qu’ils ont toujours, au fond, été d’accord avec les thèses du FN maintenant que Le Couillu est parti ; que la préférence nationale, c’est, bon Dieu, tout simple et évident et que privilégier les Français de souche à l’heure de la mondialisation qui disloque les frontières, c’est quand même bien la première précaution à prendre ; que si les djihadistes de Daech engrangent des recrues, c’est bien parce qu’on laisse trop d’imams étrangers cracher le vendredi soir sur nos valeurs ; que si l’Europe n’est pas capable de nous protéger, il va de soi qu’il revient à l’État français de s’en charger ; et si les déficits augmentent sans cesse alors que le budget de la sécu n’en finit pas de filer, il est bien normal qu’on diminue les allocs à tous ceux qui profitent de notre modèle social pour venir se goinfrer aux frais de la princesse et pondre leurs rejetons sur notre territoire, uniquement pour récupérer la nationalité française et s’en faire un sésame pour ramasser le pognon qu’on ne peut plus distribuer aux p’tits gars bien de chez nous. Ils se frottaient les mains en imaginant la mine déconfite du Sarko. Quant au Hollande, Marine n’en ferait qu’une bouchée. Il avait beau s’être dessiné des lunettes de banquier sur le nez, se tenir droit comme si on lui avait rentré dans le cul un parapluie sans vaseline et tenir des discours énergiques, vivifiants, optimistes, plus personne ne l’écoutait, il parlait dans le désert, les militants déguerpissaient et les électeurs le snobaient. Fallait écouter les gens du Var et du Vaucluse. En plus, pour satisfaire les bobos de la LGBT, il avait vendu le fonds de commerce des valeurs républicaines, le mariage, la fin de vie et il se ferait enfiler d’ici la fin du mandat, par les libéraux libertaires qui avaient infiltré le PS, la PMA et les mères porteuses et même qu’on finirait à Paris par croire qu’un homme et une femme, c’était kif-kif.

Mais à Nîmes et ailleurs, là où le soleil chantait, les militants du PS avaient fini par comprendre ce que signifiait le dérèglement climatique, quand la chaleur était devenue telle que les neurones partaient en ébullition et que le cerveau se mettait à fonctionner tout à l’envers et à détricoter ce qui faisait l’unité de la France et le cœur de notre identité. Oui, c’est ce qu’entendait Marion Maréchal Le Pen dans le Sud et elle voyait bien que certains militants rosis sous le harnais finissaient par ne plus savoir à quel saint se vendre. Et vu que le FN s’était dédiabolisé, il ne restait plus aux nouvelles madones blondes du FN qu’à tendre la main pour recueillir un bulletin de vote, certes transi et honteux, mais lourd de son pesant de ras-le-bol.

*

Les autres, les petits, les auxiliaires du vote, les braconniers des urnes, la galaxie incertaine et versatile des centres et des gauches, les ludions de l’UDI-Modem, qu’on ne sait jamais comment les appeler, s’ils ont déjà changé de nom ou s’ils vont le faire et lequel d’entre eux est leur chef, de toute façon, tout le monde s’en contrefiche, les dinosaures du MRC à l’accent rocailleux et au charisme aussi vide que l’intérêt de leur programme, l’égérie sainte Taubira redevenue monnayable sur le marché depuis qu’elle a claqué la porte à Hollande, les enfoirés de l’extrême gauche qui n’est même plus prolétarienne, à peine communiste bien que certains prétendent que cette vieille race n’est pas encore éteinte, avec un relent de trotskistes désenchantés et séniles, l’éternelle écharpe rouge médiatique et hypocrite de Mélenchon, sans compter les gesticulateurs du NPA – plus personne ne sait d’ailleurs ce que veut dire NPA, ni où Besancenot s’est évaporé – ou les différents courants des Verts, si divers, si fluctuants, si basculés d’un pied sur l’autre, de toute façon, ce n’est pas si grave, puisqu’on ne comprend rien à leurs éternelles disputes, à leurs réconciliations conjugales, à leurs intrigues de couloir et à leurs votes insondables, tout ce monde de la politique sait qu’il jouera un rôle de supplétif lors de la présidentielle et chacun, dans les états-majors, de se demander quand et avec qui s’allier pour, le moment venu, engranger le maximum de voix avec l’objectif à peine inavoué de négocier contre ce petit pactole quelques portefeuilles ministériels et, ô réussite suprême, un petit matelas de circonscriptions pour maximiser le nombre de députés. Petits calculs mais bien compréhensibles. Tout est question de doigté pour savoir se grandir sur la pointe des orteils afin de paraître plus grand que sa juste hauteur, plus lourd que sa juste masse, pour faire pression et vendre son retrait au meilleur prix. Et si Macron s’était mis en marche à vitesse grand V en diagnostiquant la paralysie du système hollandais et le besoin d’un homme jeune pour dire et faire la politique autrement, il serait écrasé, comme le fut Ségotitude, par la réalité de la vraie gauche et les rivalités des éléphants roses et finirait au bout d’une pique à moins qu’il claque la porte après le premier tour pour rejouer le Chirac de 74 et négocier – ultime tour de passe-passe hollandais ? – un poste d’ouverture en équilibre au-dessus d’un précipice.

*

Marc Traibaud a fini par rentrer chez lui, après une dernière poignée de main à Thomas, Hervé, Ranjit, Norbert et un long baiser à Lucie. Il arrive en bas de son immeuble, fouille ses poches. Zut, il a laissé ses clés dans sa veste chez ses parents. Inutile de préciser que l’heure n’est pas propice à un réveil familial. Il prend malgré tout ses jambes à son cou en bon sportif qu’il est, rejoint l’immeuble heureusement pas trop éloigné, se souvient par bonheur du code d’entrée puis du code du vestibule, agrippe l’ascenseur et débarque sur le palier. Il est 2 heures du mat. Marc toque tout doucement espérant attirer l’attention sans réveiller personne. Il imagine son paternel ronfler lourdement tandis que sa mère va se réveiller, subitement inquiète, puis se lever, enfiler ses charmants chaussons fleuris d’un petit pompon, s’approcher de la porte d’entrée, puis repartir toute craintive dans la chambre pour secouer son mari et l’avertir que « quelqu’un a frappé à la porte ». Mais non, la porte s’ouvre et Jo regarde ébahie son frangin. « Ben qu’est-ce que tu fous là ? » lui demande-t-elle. « J’ai oublié mes clés. Et toi ? ». Ils se mettent à pouffer de rire. « Allez rentre, connard, j’vais pas te laisser croupir, mais ôte tes chaussures, cette manie d’avoir des escarpins ! ». Marc délace ses belles chaussures noires. Sa sœur a raison, rien de mieux pour résonner sur le parquet et réveiller les parents.

– T’es pas couchée ?