5 jours de la vie d'une femme - Evelyne Dress - E-Book

5 jours de la vie d'une femme E-Book

Evelyne Dress

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Beschreibung

La séduction est toujours importante, même à 70 ans...


À 70 ans, la plupart des femmes ont derrière elles une vie bien remplie : un mariage raté, des enfants décevants, une ménopause qui a tout chamboulé, un miroir qui leur rappelle que le temps a passé. Eva, 70 ans et divorcée, n'échappe pas à la règle ! Elle se retrouve seule la veille de Noël. Plutôt que de ressasser l'ingratitude de sa progéniture, elle jette quelques fringues dans une valise, dévale ses cinq étages, hèle un taxi. À Orly, elle prend un billet d'avion pour Biarritz et réserve une chambre au prestigieux Hôtel du Palais. Une folie. Elle ne parvient pas à croire que sa jeunesse s'en est allée et voudrait encore séduire. De préférence un homme jeune. Qui a dit qu'une femme de 70 ans n'avait plus de libido ?


Un ouvrage touchant sous la plume de Evelyne Dress, auteure mais également actrice incontournable du cinéma français !


À PROPOS DE L'AUTEURE


Actrice incontournable du cinéma français – on se souvient d'elle dans « Et la tendresse bordel ? » avec Bernard Giraudeau, dans « Le solitaire » avec Jean-Paul Belmondo ou encore « La nuit de Varennes » d'Ettore Scola avec Marcello Mastroianni –, Evelyne Dress a aussi joué pour la télévision dans de nombreuses productions : « Arsène Lupin », « Les Cinq Dernières Minutes », « Maigret », « Châteauvalon ». C'est désormais l'écriture qui constitue son quotidien avec plusieurs romans à son actif : « Pas d'amour sans amour », adapté du film qu'elle a réalisé avec Patrick Chesnais, des romans d'écrivain voyageur : « Les tournesols de Jérusalem », « Le Rendez-vous de Rangoon », « Les Chemins de Garwolin » ; et des romans inspirés de ses souvenirs d'enfance; : « Pour l'amour du Dauphiné » et « La Maison de Petichet » qu'elle a adapté pour le cinéma. 

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Couverture

Page de titre

« Je ne veux désormais collectionner que les moments de bonheur. »

Stendhal

À 70 ans, la plupart des femmes ont derrière elles une vie bien remplie : un mariage raté, des enfants décevants, une ménopause qui a tout chamboulé, un miroir qui leur rappelle que le temps a passé.

Je n’échappe pas à la règle, j’ai 70 ans et le programme qui va avec ! En plus, Noël s’annonce déprimant, les chérubins ont décidé de le fêter entre amis. Je ne peux engloutir à moi toute seule l’énorme dinde aux marrons que je leur avais préparée…

Je jette quelques fringues dans une valise, un vademecum contenant mon pyjama, un jean, un pull de rechange, ma trousse de toilette, et quelques livres, au cas où je m’ennuierais.

Je dévale mes cinq étages, je hèle un taxi : « Orly ! »

JOUR 1

Qu’est-ce que je fabrique dans cet aéroport ?

Ça fait une heure que je tourne dans le terminal 3. Je me laisse porter par les escalators de bas en haut, de haut en bas, la tête vide, incapable de prendre une décision. Je me déteste. J’ai fait ma valise sans réfléchir. De toute façon, je n’avais pas le choix, c’était fuir la maison ou rester en tête à tête avec la dinde !

Comme les enfants sont ingrats. Je les ai faits parce que je les voulais, c’était ma façon de donner des preuves d’amour à celui que j’avais choisi pour la vie. Belle réussite, quarante ans plus tard, il m’a plaquée pour une plus jeune. C’est tellement banal que ça ne vaut même pas la peine d’en pleurer.

Je me souviens d’un film que j’avais vu dans les années 2000, Stand By1. Après huit ans de vie commune, Gérard et Hélène décident de partir s’installer à Buenos Aires. Sur le point d’embarquer, Gérard lui annonce qu’il la quitte, qu’il ne l’aime plus et qu’il part seul. Sous le choc, Hélène est tétanisée dans l’aéroport, puis, elle commence une vie étrange de somnambule et se prostitue avec des voyageurs en transit. Je ne vais quand même pas me prostituer à 70 ans ! 70 ans ! C’est énorme ! Comment est-ce possible ? Je n’ai pas vu le temps passer ! Il a fallu que j’entende de la bouche de mon gynécologue : « Mais, vous avez 70 ans, Madame ! » pour que, tout à coup, ça me fasse l’effet d’un électrochoc. Je ne connais pas la longueur de la route, mais je ne peux ignorer que la plus grande partie est derrière moi. Pourtant, si j’en crois mon grand-père, nous sommes faits pour vivre jusqu’à cent vingt ans, c’est écrit dans la Bible. Ça me laisse du temps ! « Toute mort avant cet âge est une mort prématurée », disait-il en préconisant un minimum de douze rapports sexuels par mois pour augmenter l’espérance de vie. Malgré une activité libidinale soutenue, il est mort à quatre-vingt-dix-huit ans. J’ai intérêt à me dépêcher.

Si ma petite valise tient sur mes genoux, ce que je transporte au fond de moi pèse plus lourd que la hotte du Père Fouettard. Les souvenirs que je croyais enfouis me remontent à la gorge. J’ai un besoin irrépressible de me remplir pour calmer mon angoisse :

– Un dieppois, s’il vous plaît !

J’adore ce sandwich de chez Paul, la baguette est tartinée d’un mélange de thon et de mayonnaise allégée avec des feuilles de salade et des rondelles de tomate. Je vais aller le déguster sur l’un des bancs qui me tend ses accoudoirs.

Ils sont drôles les nouveaux chariots à bagages d’Orly en forme de traîneau du Père Noël ; ou plutôt, non, ils ne sont pas drôles du tout, ils me rappellent ce que je fais, ici. Les enfants sont partis à la neige avec leurs enfants et un couple d’amis, et mon ex-époux adoré a décidé de profiter de la trêve des confiseurs pour améliorer ses performances sexuelles avec sa nouvelle conquête.

Autrefois, c’est avec moi qu’il faisait du sport en chambre sans en sortir pendant une semaine, et puis de moins en moins, et puis plus du tout. Au début, j’ai accepté ses coups de canif au contrat, j’y trouvais même une source d’excitation. Après tout, j’appartiens à la génération qui a lutté pour son indépendance sexuelle, sociale, intellectuelle, et, en tant que femme libérée, je n’allais pas me comporter comme une midinette. Bruno et moi, nous nous étions connus sur les barricades, la lassitude était normale, je n’étais plus celle qu’il avait dépucelée à 18 ans. Le principal était qu’il continue à m’aimer, à me respecter, à me désirer, et il aurait été bête d’envoyer valdinguer tout ce que nous avions en commun, nos enfants, nos amis, nos parents, notre appartement, notre résidence secondaire, pour une amourette de passage. Puis le temps des engueulades à répétition est arrivé et nous avons décidé de faire un break de quelques mois pour repartir sur de nouvelles bases. Mais il était trop tard, son infidélité m’avait fait comprendre que mon discours de soixante-huitarde attardée n’était qu’une posture. Mes certitudes se sont effondrées et je me suis mise à vivre ses incartades, car il y en a eu beaucoup d’autres, comme une trahison. J’ai compris que j’avais porté un masque pendant quarante ans et que tout mon effort avait été de faire croire que j’étais heureuse et de me le raconter. Et j’ai demandé le divorce.

Les larmes coulent sur mes joues. Oui, je vis avec une impression de vide depuis qu’il m’a quittée. Oui, le sexe me manque. Qui a dit qu’une femme de soixante-dix ans n’avait plus de libido ? !

Les décisions n’ont jamais été mon truc, mais, pour une fois, ce serait bien d’en prendre une sans avoir peur de blesser mon mari, mes enfants, ma mère, mes amies. Une décision rien que pour moi.

J’attrape le magazine super-luxe Paris vous aime, distribué gratuitement dans l’aéroport. Je ferme les yeux et je l’ouvre au hasard : L’Hôtel duPalais à Biarritz s’étale en photos sur la double page. L’article vante les vertus d’un week-end dans l’ancienne résidence impériale de Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie de Montijo. C’est peut-être un signe, signe que je dois affronter l’inattendu, me dépasser, foncer dans l’inconnu.

Je compose le numéro de téléphone :

– Bonjour, auriez-vous une chambre pour ce soir, s’il vous plaît ?

– Il ne nous reste qu’une suite avec vue sur mer.

– À quel prix ?

– 1 051 euros la nuit en tarif senior.

Pourquoi me propose-t-elle d’emblée le tarif senior ? A-t-elle deviné au son de ma voix que j’ai dépassé la date de péremption ? Au diable les impressions de la standardiste, j’ai bien mérité de m’offrir un 5 étoiles, même si cette escapade va finir de creuser le trou abyssal de mon compte en banque. Qu’importe, je n’ai pas fait vœu d’être la plus riche du cimetière. Je réserve la suite Ambassadeur.

Maintenant, le comble serait de ne pas trouver un billet Paris-Biarritz. Je tente le comptoir Transavia, la compagnie néerlandaise à bas prix. Il faut que je commence à faire des économies.

9 heures

Je sors de l’aérogare Biarritz Pays Basque.

Le ciel est dégagé, mais avec quelques cumulonimbus porteurs de violentes intempéries. Je m’y connais en orage !

J’aperçois le voiturier du Palace où j’ai réservé.

Lunettes cerclées d’or, costume bien coupé, chemise blanche, il m’attend avec une pancarte et la portière ouverte. C’est ça le luxe !

Je m’installe sur la banquette arrière, tout cuir. C’est peut-être une Rolls… Je m’y connais en orage mais pas en voiture.

Le moteur démarre et l’aéroport s’efface derrière nous.

Pour la première fois de ma vie, j’ai pris une décision radicale. Rien que d’y penser, j’ai envie de m’embrasser. J’étais fatiguée et fauchée, un aller-retour à Biarritz n’était pas envisageable, et, malgré cela, je l’ai fait. Je suis fière de moi ! Même si j’ai un peu d’appréhension à l’idée d’être seule, loin de mes marques. Je ressens comme un vide sous mes pieds, un immense vertige, mais je vais appliquer la méthode Coué : Je suis forte, je sais vivre appuyée sur rien, je suis capable de souffrir en silence. Avoir des amours qui restent en panne ou s’endorment dans l’habitude, avoir des enfants qui vous déçoivent et qui font, à leur tour, des enfants qui n’aiment rien de ce que vous aimez, c’est peut-être le lot de toutes les femmes, mais ce ne sera pas le mien.

Je baisse la vitre et j’offre mon visage au vent.

J’aime l’odeur de ce jour mouillé.

Après cinq kilomètres, nous entrons dans Biarritz.

La voiture se fait une place dans le flot de la circulation : embouteillage monstrueux d’une veille de fête.

Les quelques crampottes2 du vieux port osent côtoyer les hôtels particuliers Second Empire, le château Renaissance, les villas néobasques, néonormandes, Belle Époque, Art déco… Nous traversons la place Clemenceau d’où partent les rues commerçantes, la place Bellevue qui surplombe la Grande Plage avec le phare en ligne de mire, et nous arrivons, enfin, devant la grille du magnifique Hôtel du Palais.

Tout a commencé en 1855, quand Napoléon III fit construire pour sa femme Eugénie, un Palais d’été sur la côte basque, proche de son Espagne natale où, enfant, elle avait passé toutes ses vacances en famille. En 1893, la demeure, dont le plan forme le E de Eugénie, devint l’Hôtel du Palais. J’ai eu le temps, avant d’embarquer à Orly, d’éplucher le magazine super-luxe Paris vous aime.

Je prends mes jambes flageolantes à mon cou et, sans me faire prier, je pousse la porte tambour du Palace.

Derrière le tourniquet, un portier au large sourire me soulage de ma petite valise :

– Avez-vous fait un bon voyage ? Julie vous attend à la réception.

Je suis étonnée de l’apprendre, mais pas mécontente…

Nous traversons l’immense hall où trônent tableaux, meubles anciens, lustres en cristal, canapés en velours moelleux. Je n’ai pas intérêt à me prendre les pieds dans le tapis, ça ferait mauvais effet.

Julie m’accueille. Elle plonge son regard dans le mien. J’ai l’agréable sensation d’avoir troqué ma peau d’âne et pourtant je ne produis pas d’écus d’or3 ! Elle me tend un stylo et un formulaire.

Au paragraphe des civilités, je n’ai d’autre choix que Madame ou Monsieur, le Mademoiselle, jugé condescendant et discriminant par les nouvelles féministes, a disparu. Comme on ne m’a pas demandé mon avis, je suis obligée d’écrire Madame Eva Feld, même si Eva Feld est mon nom de jeune fille et que ce « Madame » me renvoie à un statut qui n’est plus le mien.

Julie se fera un plaisir de me renseigner sur les activités culturelles proposées par la ville et le concierge se chargera des réservations de taxi, de restaurant, de théâtre… Me voilà comblée !

– Combien de temps comptez-vous rester chez nous ? me demande Julie.

– Une nuit, juste pour le Réveillon.

– L’Hôtel du Palais a tout prévu : la soirée débutera par un concert dans le salon Impérial, dîner de gala préparé par notre Chef Aurélien Largeau dans le restaurant de la Rotonde. Voulez-vous que je vous réserve une table ?

– C’est très aimable à vous, dis-je en acquiesçant.

– Pour combien de personnes ?

– Je serai seule.

Julie est un peu déconcertée, mais elle a consigne de ne rien laisser paraître.

Après mon enregistrement, le bagagiste, qui attendait discrètement en retrait, se précipite pour me conduire vers l’ascenseur. Ce n’est pas de refus, ceux qui me connaissent savent que je suis capable de me perdre, même dans mon propre quartier !

Arrivée au troisième étage, alors que je cherche le numéro de la suite Ambassadeur, une femme de chambre m’aborde poliment :

– Puis-je vous aider ?

Du portier au bagagiste, du liftier à la femme de chambre, en passant par la réceptionniste, tout le monde se met en quatre pour me faire croire que je suis devenue le centre du monde. L’ex-gauchiste qui sommeille encore en moi y trouve une certaine jubilation…

Spacieuse et lumineuse, dans des tons pastel, ma suite à 1 091 euros la nuit, qui contient mon appartement parisien tout entier, est parfaitement à mon goût. Sa vue sur l’océan est ébouriffante : des vagues gigantesques surgissent furieuses et se fracassent sur la plage. Un spectacle à tout oublier, jusqu’à m’oublier moi-même.

D’un coup de pied, je balance mes baskets qui atterrissent au pied du lit Queen Size, gigantesque dans cette chambre immense, un peu trop climatisée. Je déteste la climatisation, même en été.

J’enferme ma bague dans le coffre de la chambre : huit carats de diamant que je ne porte plus depuis longtemps, mais que j’emporte partout avec moi de peur de me la faire voler. Elle m’a été offerte par Bruno, le jour de nos fiançailles. À l’annonce de notre séparation, sa mère, ma belle-mère, lui a intimé l’ordre de me la reprendre, mais, pour une fois, il ne lui a pas cédé. Merci Bruno.

Je fonce dans la salle de bains.

Ambiance rétro : baignoire à pattes de lion, lavabo sur pied, robinets chaud et froid en céramique, carreaux de ciment. Je fonds littéralement pour ce look romantique.

Malheureusement, le grand miroir doré me renvoie une image déprimante. On ne peut pas lutter contre l’effet de la pesanteur. La peau est irrésistiblement attirée vers le bas. Heureux Newton qui, en regardant une pomme tomber de son arbre, nous permit de comprendre les mécanismes du vieillissement. C’est une chose d’ajouter une bougie tous les ans sur le gâteau d’anniversaire, c’en est une autre de se voir faner jour après jour. Aucun des grands laboratoires de recherche n’a encore trouvé la clé pour remonter le temps. On devrait apprendre, dès la maternelle, que la vie va passer en une fraction de seconde.

Je lève le bras droit, c’est le gauche qui se dresse. Comment se faire une idée juste de soi, alors qu’on se voit à l’envers ? Finalement, on est toujours l’inverse de celle que les autres voient et qui n’est pas celle qu’on est vraiment au-dedans et que tout le monde se fout de ne pas connaître.

J’ouvre la douche. L’eau jaillit, brûlante, inonde mon visage, mes cheveux, ma nuque, elle coule le long de mon corps, enveloppe ma peau, me lave de presque tout…

Vêtue de probité candide dans le peignoir blanc mousseux de l’hôtel, je m’écroule en travers du lit, les bras en croix, les yeux tournés vers le plafond. Je laisse couler le temps… Tout s’est enchaîné si vite depuis mon départ de Paris… Il a fallu que je renonce à ce Noël en famille. Je m’y préparais psychologiquement depuis des années, mais j’ai quand même dû ravaler ma peine… Je n’ai rien à regretter, pour les enfants, je suis devenue un meuble. Je peux être au bord du gouffre, ils ne s’en aperçoivent pas : « Cause toujours tu m’intéresses ! » Je dois les oublier, faire le vide, nettoyer, dégager, passer à autre chose, tourner la page de mon album familial… Combien de femmes ont rêvé de se soustraire, sur un coup de tête, à leur vie réglée comme du papier à musique ? Je ne veux pas être de celles qui n’ont fait qu’en rêver…

Dans la précipitation, je crains de n’avoir pas emporté la tenue qui convient à un Réveillon dans ce Palais des mille et une nuits. Je vais aller lécher les vitrines de Biarritz.

J’enfile mes baskets et je n’oublie pas d’emporter le bristol de l’hôtel.

Un soir, je dînais chez Goldenberg, un restaurant parisien dans l’esprit des Délicatessen de New York, un chauffeur de taxi fait irruption, accompagné d’un jeune Israélien d’une beauté à tomber, mais qui pleure toutes les larmes de son grand corps. Il avait quitté son hôtel sans en emporter l’adresse et le chauffeur ne sachant où le déposer avait eu l’idée de l’amener dans un restaurant casher. La caissière du restaurant était décontenancée et, moi-même, démunie. Je me le reprocherai jusqu’à la fin de mes jours. En tout cas, cette anecdote m’a servi de leçon.

Les vitrines, toutes plus chics les unes que les autres, de la place Clemenceau au Port Vieux, en passant par les Halles et le quartier Saint-Charles, exposent vêtements, chaussures, accessoires, bijoux, linge basque, antiquités, épicerie fine. Au secours ! Y a-t-il un quartier un peu moins huppé ? Mon vieux réflexe de pauvre petite fille pauvre m’empêche d’entrer dans ces boutiques… Ah, la délivrance en 1990, lorsque Zara a ouvert sa première boutique à Paris ! J’y avais repéré une adorable veste courte en madras, pas assez chère pour être honnête et, du coup, je ne l’ai pas achetée. Depuis, Zara est devenu mon couturier préféré. Malheureusement, il ne s’est pas encore implanté à Biarritz.

En marchant dans l’avenue Edouard VII, je passe devant une boutique vintage. Bingo ! C’est le seul endroit où je pourrai faire une trouvaille à hauteur de ma bourse.

Le parfum de sueur légèrement moisie me saute au nez. Tous les magasins de seconde main sentent la même odeur, quel que soit l’endroit dans le monde.

Ici comme ailleurs, la clientèle est jeune et branchée. Que peuvent bien trouver les ados dans des vêtements qui ont appartenu à des personnes sans doute mortes aujourd’hui ? Moi, au moins, je sais pourquoi je suis là :

– Auriez-vous des robes du soir ?

– Pour vous ? demande la vendeuse, étonnée.

– Euh, non… C’est pour ma fille !

– Vous en trouverez sur un portant, au fond du magasin.

En effet, j’aperçois le présentoir qui supporte les tenues pour occasion spéciale : mariage, baptême, soirée chic. Je suis sûre d’y trouver mon bonheur.

Je sélectionne quelques robes sophistiquées, une paire de talons vertigineux et des tonnes de bijoux. J’attrape aussi la robe pailletée qui me fait de l’œil. J’ai dû être américaine dans une de mes vies antérieures dès que ça brille, ça me plaît. Si j’avais été comédienne, j’aurais adoré jouer dans Dallas, mais j’ai été avocat pénaliste.

Un coin sert de cabine d’essayage. Je disparais derrière le rideau.

Quelle misère ! Je ne rentre dans aucune de ces jolies robes. On ne sait plus à quelle étiquette se vouer ! À moins que ce soit moi qui aie grossi ? Dans ma tête, je crois toujours faire du 36. Quel dommage, je les adorais… Il reste la robe pailletée verte avec un plastron blanc en V. 20 euros : une affaire !

En ce qui concerne la taille, je me sens parfaitement à l’aise, mais, j’ai peur qu’elle soit un peu trop…

Je sors de ma cachette pour interroger le miroir du magasin : « Miroir, Miroir, suis-je la plus belle ? »

Enfer et damnation ! Ce n’est pas Dallas, c’est Francesco Caroli, le clown du cirque d’Hiver que mon père, tailleur sur mesure, habillait. Je n’ai plus qu’à m’enduire le visage de blanc gras et me ponctuer le regard d’une larme noire et le tour sera joué !

Une jeune fille s’approche pour me remplacer dans la cabine. J’ose lui demander comme à une amie :

– Je ne suis pas ridicule ?

– Qu’est-ce que ça peut faire ? me répond-elle avec l’insouciance de son âge.

Cette petite a raison, ça n’a aucune importance. J’ai trouvé mon Graal, je ne vais pas bouder mon plaisir.

Je quitte le magasin avec mes paquets sous le bras.

19 heures

Évidemment, on ne voit que moi dans le Salon Impérial ! J’avais oublié que la mode n’est plus à se mettre sur son trente-et-un pour sortir. J’ai honte. J’ai déjà vécu ce genre de situation. Pour l’enterrement du meilleur ami de Bruno qui s’était tué en voiture, j’avais vidé mes placards espérant trouver quelque chose de discret. Au cimetière, je flamboyais dans ma redingote rouge. Depuis, je ne prends plus aucun risque. Sauf, ce soir. Ma robe à paillettes se confond avec le sapin de Noël ! J’ai l’impression que tout le monde me regarde. Je voudrais disparaître dans mon fauteuil.

L’orchestre, composé de jeunes artistes habillés d’une cape noire doublée de satin rouge, se tient sur une petite estrade, improvisée pour l’occasion dans ce luxueux salon.

Les spectateurs, tous des clients de l’hôtel, sont installés comme dans une salle de spectacle. Au bout de dix minutes, ils sont plongés au cœur de la musique : du folklore basque, des paso-doble, des valses de Vienne. Je les entends soupirer : « Comme c’est beau ! »

Moi, ce répertoire m’ennuie et j’ai faim. Je commence à gargouiller. Il est loin le dieppois de chez Paul ! J’aurais dû prendre des biscuits, il y en avait dans ma chambre avec une bouilloire pour le thé. C’est quand l’entracte ? Y a-t-il un entracte au moins ? Je n’ai d’autre distraction que regarder autour de moi. J’adore entrer par effraction dans l’intimité des gens et deviner ce qu’ils cachent.

Un couple d’une quarantaine d’années est assis côte à côte sur un canapé. L’homme se penche vers la femme qui doit être la sienne puisqu’elle ne lui répond pas, ou très brièvement et sans le regarder. Elle est furibarde, ça se voit. Qu’a-t-il bien pu lui faire ? Mon premier réflexe est de penser qu’il est coupable. Ce doit être un pervers narcissique, un monstre sous ses faux airs gentils. À moins que ce soit elle la toxique ? Je connais des femmes qui affichent douceur, inhibition, vulnérabilité et qui sont en réalité des ambitieuses éprises de pouvoir. Pourquoi restent-ils ensemble alors que tout laisse supposer qu’ils ne s’entendent plus ?

Tôt ou tard, les couples sont voués à l’échec et maintenant que je le sais je ne cherche plus ma moitié d’âme. Encore un enseignement de mon grand-père : « Nous avons tous un bashert, disait-il, une personne que Dieu nous a choisie bien avant notre venue sur terre. Ton devoir est de le retrouver. » Quelle conception idiote !