A la rencontre de l'aurès - Jean-François Garde - E-Book

A la rencontre de l'aurès E-Book

Jean-François Garde

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Beschreibung

Rien ne me prédisposait à venir en Algérie et à aimer, un jour, les Aurès. Mais le destin m’avait donné rendez-vous avec une Algérie indépendante. Une Algérie déterminée à poursuivre sa quête de liberté vers un avenir brillant et une souveraineté sans contrainte. Et c’est avec beaucoup d’optimisme que je me suis retrouvé à contribuer à ce projet en tant que professeur coopérant dans le lycée Mustapha Ben Boulaïd à Batna, la capitale des Aurès, où le sort m’avait lié à une jeunesse ambitieuse et avide de savoir. Batna, la ville m’a accueilli le 14 septembre 1966. Elle m’a présenté ses enfants et m’a aussi étalé la beauté de ses sites et l’éventail de paysages des Aurès dont la magnificence se révélait à moi au cours de toutes mes randonnées pédestres dans ces montagnes rebelles. Une région âpre et sauvage, mais ô combien chaleureuse par l’hospitalité et la générosité de ses habitants. Autant de souvenirs et de témoignages émouvants sur une amitié renouée quarante ans plus tard, sont retracés dans ce récit riche de noms et de lieux, à jamais gravés dans ma mémoire.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Natif de Gironde et diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs de Marseille, Jean-François Garde a été enseignant coopérant à Batna, en Algérie, de 1966 à 1969. Entretenant des liens avec ses anciens élèves, il est retourné en Algérie pour les rencontrer en 2014, et c’est grâce à leur soutien et leur participation que ce livre a vu le jour.

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À la rencontre de L'Aurès

50 ans d’amitiés (1966-2016)

Jean-François GARDE

À la rencontre de L'Aurès

50 ans d’amitiés (1966-2016)

CHIHAB EDITIONS

© Editions Chihab, 2018.

ISBN : 978-9947-39-266-9

Dépôt légal : 1er semestre, 2018.

à mon épouse Françoise,

àmes filles Emmanuelle et Anne-Pascale,

à mes petits-enfants.

à Abla Lamrani.

à toutes mes amies et tous mes amis des Aurès.

Préface

« Avoir20ansdanslesAurès » oul’histoired’undramequiavaitendeuillébiendesfamilles, lapagefuttournéeen1962, quandlapaixrevenue, unenouvelleères’étaitdessinée. Voilàqu’en1966, unjeuneFrançais, ingénieurmarseillais, débarqueenAlgérie, nomméàBatna, aucœurdesAurèsdansl’anciencollègedevenulycée, pouryenseignerlesmathématiquesàdesadolescentschaouia. Quellegageure ! Mais, spontanéqu’ilétait, latâche, bienqu’herculéenne, demeuraitpossible. N’a-t-onpasditqu’« auxâmesbiennées, lavaleurn’attendpointlenombredesannées ». Aveccœur, notreprofesseur « cosinus » s’attachaàl’ouvragequi, dureste, neluirebutaitpas, bienaucontraire, puisquelesadolescentsenredemandaient, ayantunesoifeffrénéed’apprendrepoursortirdesconditionssocialesdéplorablesoùleursfamillesétaientconfinéespourlaplupart. Iltrouvauneambiancepropice, descollèguesaussimotivésquelui, pleinsd’allant, uneadministrationattentiveavecdesobjectifsambitieux. Toutseprêtaitàundynamismetous azimuts, jusqu’àlanaturemontagneusedelarégionparseméedevalléesd’uneincroyablebeauté, auxpaysages, sidiversetsigrisantsàlafois.

Grandamoureuxdesmontagnes, notreprofesseur, s’étantfaitdesamisetgrâceàdesbaladesrépétées, semitàdécouvrirlarégionavecpresqueune « boulimie » inextinguible, photographiantci, grimpantdessommetslà, sibienqu’auboutdesoncontratdetroisansilenvintàs’êtreattachétantauxindividusqu’àl’Aurèslui-même.Nevoilà-t-ilpasquenoncontentdes’êtreliéàvieàunenaturetoutepittoresque, aussis’est-ilmisentêtededévelopperenlesentretenantdesrelationsavecsesanciensélèvesdevenusadultesetcitoyens. C’estcettevalorisanteexpériencedeplusieursdécenniesquevanousraconteravecpassionlelivredemonamiJeanFrançoisGarde, expertparailleursenexposésserapportantauxlemmes, axiomesetautresthéorèmes, touteschosesréputéesrébarbativescheznombredenosélèves, faisantdireàleursparentsqu’unprofesseurdemathsestparessenceuntyran. Ilfitensortequecetteréputationnevintpasjusqu’àlui, s’ingénianttoujoursàaplanirlesdifficultésinhérentesauxdémonstrationsparlebiaisdepédagogiesadaptéesauxniveauxdesélèves. L’auteur, deparsesqualitésrelationnellesexemplaires, s’estfaituneauraqueluireconnaissentl’ensembledeseslycéensfussent-ilsd’obédiencelittéraire.

Aussivousconvie-jemesamisàunebonnelectureet… quemonsieurGardepuisseessaimerennousunepléiadedesentimentsvertueuxtelsl’Amitié, laBonté, laGénérosité, l’Amour, brefle « commentfaire » leBonheurautourdesoi.

Saïd Merzouki (enseignant retraité)

Introduction

RiennemeprédisposaitàvenirenAlgérieetàaimer, unjour, lesAurès.

JesuisnéàSaint-Médard-de-Guizières, villagedemillehabitants, oùcoulepaisiblementdanssonécrindeverdure, larivièreIsle, affluentdelaDordogne. Ilestsituéaunord-estdudépartementdelaGironde, auxconfinsdelaDordogne, delaCharenteetdelaCharente-Maritime, etàlaconfluencedeslanguesd’Ocetdeslanguesd’Oil. Cevillagealaparticularitéd’êtrepresque (ilyatroiskilomètresd’écart) àl’intersectiondedeuxlignesterrestres : leméridiendeGreenwich (ledegrézérodelalongitude) etle45° parallèle, quiestàégaledistancedupôleNordetdel’Equateur.

Monpèreétaitcommerçantenvins,etmamère, filledepaysans. Quandenfévrier 1942, mamèreDeniseaccouchademonfrèrejumeauetdemoi-même, elleavaitdéjàdeuxgarçonsdehuitetsixans ; ellequiespéraitunefille, futgratifiéededeuxgarçonssupplémentaires ! Donnernaissanceàdesjumeauxenpleineoccupationallemandeetenpleinhivertrèsrigoureuxmanifestaitl’optimismedemesparentsetleurgrandamour. Maisunanetdemiplustard, enoctobre 1943, aprèsavoirconnulasurprisejoyeused’unenaissancedouble, mesparentsfurentfrappésparundrame : ledécèsdeleurfilsaîné, Jean-Louis, âgéde9ans, emportéparunesepticémiegalopante, difficileàsoignerparcestempsdeguerreetdepénuriedemédicaments. J’étaistroppetitpoursouffrirdecettedisparition, maistoutemonenfance, l’imagemodèledecefrèreaîném’aaccompagné.

Avoirunfrèrejumeaufut, pourmoi, unebénédiction. Jen’étaisjamaisseul ! LaprésencedeJean-Paul, monfrèrejumeau, merendaitplusfort. Luietmoi, onsesoutenait, onsemesuraitparfois, onsecomparaitenbiendessituations, etjecroisqu’ons’aidaitsurtoutàgrandir. Cependantj’avaisplaisiràjouerseulavecmessoldatsdeplomb, m’inventantdeshistoiresglorieuses, sansdoutecommelaplupartdespetitsgarçonsdemonâgeetdemacondition. Alafindel’enseignementprimaireàl’écolecommunaledeSaint-Médard, JeanPauletmoiaccédionssansdifficultéauconcoursd’entréeensixième, nousétionsbonsélèves. Nousentrâmesenoctobre 1953commeinternesauCollègeSaint-GenèsdeBordeaux, àcinquantekilomètresdeSaint-Médard. Jenesouffrispasdelaséparationdemafamille, troppréoccupéparmanouvellepositiond’enfantdelacampagnevenuétudierdansunegrandeville. Unepositionpositiveetvalorisante, rehausséeparlaprésencedemonjumeauetlesvisitesdenotremèretouslesjeudisnousapportantdedélicieuxgâteauxàlacrèmedelaitqu’elletenaitànouspréparer. Elleaimaitnousentendreraconternotrenouvellevieàl’internat, aucoursdenosbalades, lesjeudisaprès-midienville.

Unsoird’automne, quelquesjoursaprèslarentréeenclassedePremière, lescoursétaientterminésetj’étaisdans « lasalled’étude » entraindepeinersuruneversionlatine. Nousfûmes, monjumeauetmoi, appelésparlesurveillant : quelqu’unnousattendait. C’étaitmacousineLinettequej’aimaisbeaucoup, elleétaitmamarraine (elleavaitquinzeansdeplusquemoietétaitmariée). Cefutellequinousannonçalanouvelle : « Votrepèreesttrèsmalade » etellenousconduisitàl’Hôpital. Nousyretrouvâmesnotremèreetaussitôtnousmontâmesàl’avantdel’ambulancequiramenaitnotrepèreànotremaison. J’eusletempsduvoyage, uneheurepourcomprendrequemonpèreEdouardallaitpeut-êtremourir. Jenesavaispasquoifaire. Jepriais. Jesavaisqu’unanauparavant, monpères’étaitcassélebras, qu’ilavaitsubidesrayonsàlabombeaucobalt, qu’ilavaitétéopéré, maisjen’avaispasréaliséqu’ilétaitgravementmalade. Notremèrenousavaitprotégésenportantseulecetteintenableinquiétude.

Dèsnotrearrivée, monpèrefutdéposésursonlit. Quelqu’unmedit : « Vaviteàlapharmaciechercherdel’oxygène ». Jepartisencourant, enpensant « sijeramènedel’oxygènepeut-êtrequepapanemourrapas. » Jevoyaisdesvoisinsquimeregardaientcourir ; suruneplace, M. Joyeux, unamidemonpère, m’arrêtapourmedemanderdesnouvelles, jenesaispluscequejeluirépondisetjerepartisencourant. J’arrivaiessouffléàlapharmacieaprèstroiscentmètresdecourse. Lepharmacienallachercherunegrossebouteilled’oxygèneetilgonflaunballonqu’ilmetendit, enm’expliquantqu’ilnepouvaitpasm’endonnerplus (c’étaitunpeuplusgrosqu’unballondefootball) carilpourraitenavoirbesoinpourd’autresmalades ! Jerepartisencourantetjetrouvaileraisonnementdupharmacienstupidecarmonpèreenavaitbesoinmaintenantetilétaitleseulmaladequienavaitbesoinmaintenant, etpuisceballond’oxygènemeparaissaitbieninsuffisantetmoibienridiculeencourant, letenantprécieusementdansmesbras, etlesgensébahismeregardaientpasser, etjemedisaisquepeut-êtreceballond’oxygènepourraitsauvermonpère, maisleballonseraitvitevide, etaprès ? Toutétaitconfusdansmatête… J’arrivaienfinàlamaison, jedonnaileballond’oxygène… Maiscelan’avaitplusd’importance, monpèrevenaitdemourirdanslamaisonqu’ilavaitconstruite, vingt-cinqansplustôt, aumomentdesonmariage. J’apprisquemonpèreavaiteuauparavant, enuneseuleannée, uncancerdesos, unemétastaseaurein, etdepuishier, unetumeuraucerveau. Levendredi3 octobre1958, lamortdemonpèrerefermalaparenthèsedemonenfance ; j’avaisseizeans.

J’airessenti,aprèslamortdemonpère, lafrustrationdenepasl’avoirsuffisammentcôtoyédurantcescinqdernièresannéesd’internat, leregretdenepasavoirétésuffisammentprèsdeluietdenepasavoirassezappréciésaprésencecommeuntrésordepaixetdesérénité. Jesavaistrèsfortementqu’ilétaitunhommefoncièrementbon, prévenantetserviable. J’enaieulaconfirmationlorsdesesobsèqueslorsqu'unenuéedepersonnes,commejen’enavaisjamaisvudanslevillage, l’accompagnaàsadernièredemeure. L’annéedemaclassedePremièrefutladernièreoùjefusinterne. MamèreavaitdécidédelouerunpetitappartementàBordeauxafinquesesfilsjumeauxsoientavecelle. Aprèslebac, commej’aimaislesmathématiques, jerentraisaulycéeMontaignedeBordeaux, commel’avaitfait, sixansplustôt, monfrèreJean-Pierre, en « Maths-Sup », classepréparatoireauxconcoursd’ingénieurs. Cefurenttroisannéesdetravailintense, dumatinausoir, avecpresquepasdeloisirs. Jeréussisàrentreràl’Ecoled’IngénieursdeMarseille (devenuemaintenantEcoleCentraledeMarseille). Jenefuspasunélèvetrèsbrillant, carj’avaisbeaucoupd’activitéssocialescommesijevoulaisrattraperletempsperdudurantmesclassespréparatoires ! Pendanttoutmonséjourmarseillais, jeparticipaisàdesrencontreshebdomadairesdugroupedesjeuneshandicapésdel’AssociationdesParalysésdeFrance. J’avaiscrééauseindecetteassociationunclubdujeudipourlesenfantshandicapés; mesami(e)sétudiant(e)s (mafutureépouseenfaisaitpartie) s’acquittaientdeleurdéplacement, leurdonnaientdescoursàdomicileetlesassistaientsibesoin. JefusaussipendantprèsdedeuxansleprésidentdelaparoissedesétudiantscatholiquesdelafacultédesSciences. Finalement, j’obtinsmondiplômed’ingénieurdejustesse, terminantdernierdelapromotion.

Enjuin 1966, sortantdel’Ecoled’IngénieursdeMarseille (EIM), jemetrouvaissurlalistedesconscritsdevanteffectuerleurservicenational. Cetteobligationàlaquellejenepouvaispasmesoustraire,carjeneprésentaisaucunmotifd’exemptionouderéforme, offraitàmaclassed’âge, fortheureusement, lapossibilitédechoisirl’unedesformespréconiséesparlaloiMessmerdu19 juillet1965, laformemilitaireoulesformescivilesquienglobentl’aidetechniqueetlacoopération. Pourmoi, l’idéededevoirperdremontempsdansunecasernependantseizemoisnemeréjouissaitguère, carjem’étaispromisdemerendreutileetdevivrepleinementmesrêvesetmespassions. Jechoisisdoncsanshésiterlavoiequiallaitmepermettredevoguerversd’autreshorizonsetdemusarderdansl’imprévu, loindescasernes, destreillis, desrangersetdesképis : lacoopération. Avecmondiplômed’ingénieur, j’auraispuêtre « coopéranttechnique », maisjemanquaisdecertitudesurmescapacitésàdevenirun « boningénieur », jen’avaisaucuneidéedudomainedanslequelj’exerceraiunjour, alorsilmesemblaitnécessairedeprendreunpeudereculetc’estpourquoij’optaispourununiversdifférentdeceluidemonfuturmétierd’ingénieur : l’Enseignement. J’avaisbesoindecetteexpériencehumainepourmûriretmeconstruire. Ilrestaitàchoisirlepaysoùj’effectueraimonserviceencoopération. Lechoixmeparûtd’embléeévident : c’étaitl’Algérie !

MonamitiéavecToufikSenoussi, unjeuneétudiantquej’avaisconnuàMarseille, avaitétédéterminantedanslechoixdemadestination. LafamilledeToufikétaitoriginairedeLiana, unvillagesituéentreZeribet-el-OuedetKhanga-Sidi-Nadji, ausud-estdesAurès, cetterégionquej’aurai, desannéesplustard, l’occasiondedécouvrir, d’admirerpuisd’aimer. Toufikn’étaitpasunétudiantconventionnel. Quandj’avaisfaitsaconnaissance, enarrivantàMarseilleen1963, ilavaitenvirondix-huitansetsuivaitdescoursdusoiràl’EcoledeChimiedeMarseille, pourobtenirundiplômedetechnicien. Noscheminss’étaientcroisésàlaparoissedesétudiantscatholiquesdelaFacultédesSciences, oùdesétudiantsluiavaientdonnédescoursdemiseàniveau. Deplus, Toufiknepassaitpasinaperçu, carilsortaitdel’ordinaire. Sescheveuxétaientbouclésetblondfoncé. Sesyeuxrieurséclairaientdedouceursonvisagemince, sespommettesrondesetsaillantes, etsesjouesunpeucreusées. Savoixétaitdouceetsondébitavaitengénérallalenteurdudésertoùriennepresse. Bienqu’ils'exprimâtsouventavecbeaucoupdesérieuxetdesincérité, sesproposétaientponctuésd’éclatsderire : sonnaturelenjouéprenaittoujoursledessus ! Sagentillesseetsoncharmenaturelsfaisaientdeluiunamitrèsagréable. Mamère, quandplustard, ellelevitpourlapremièrefois, l’avaitappelé : lepetitprince! commeceluideSaint-Exupery, blond, bouclé, venududésertavecsafraîcheurd’enfant. AugrédenosbaladesdanslescalanquesdeMarseilleetdansleMassifdelaSainte-Baume, ToufikmeparlaitdeLiana, sonvillagenatal, aupieddesAurèsetenbordureduSahara. Alorsmonimaginationvagabondaitsurcesmontagnesdénudées, autourdecetteoasisauxeauxcapricieusesetvitales, etaumilieudecedésertinconnuetfascinant. Ainsinotreamitiégrandissait, sibienqu’ilm’invitaundimancheàvenirmangerchezlui, danslacitéouvrière « lesrosiers » desonquartierdeSainte-Marthe. Jefisainsiconnaissancedesesparents, SiLaroussietHafsa, etdesacousineSalima. Lorsquej’appris, finaoût 1966, quemademandedecoopérationpourl’Algérieétaitacceptéeetquej’étaisaffectéaulycéeBenBoulaïddeBatna, monexcitationfutàsoncomble, maisj’ignoraisencorequelledisciplinej’allaisenseigner : mathématiques ? ouphysique ?

Lelundi12 septembre1966, jedébarquaiàSkikda (ex-Philippeville).Quandj’arrivaiàBatnaquelquesjoursplustard, jenesavaispasencorequellematièrej’allaisenseigner. Leproviseur, MonsieurBelkacemDjebaïli,mereçutcordialementetm’annonçaquej’enseignerailesmathématiquesdanscinqclasses, enterminale, premièreetseconde. Plusquequatrejoursmeséparaientdelarencontreavecmesélèvesauprèsdequimonexpérienceentantqueprofesseurallaitprendreforme. Avais-jeappréhendécetterencontre ? Unpeuaudébut, carj’avaisseulementvingt-quatreansetaucuneexpérienceprofessionnelle, j’étaisunvraidébutant. Maisaufildesjours, mesélèves – devenus, bienplustard, pourbeaucoupd’entreeux, mesamis – m’apprirentlesensdudépassementdesoietsurtoutlapassiond’apprendredel’autre, sansporterdejugement. Decesamitiésprécieuses, jegardedessouvenirsquiresterontgravésdansmamémoireàjamais. Danscessouvenirs, uneplaceparticulièreesttenueparleproviseurMonsieurDjebaïli. C’estgrâceàsarigueuretàsabienveillanceàmonégard, quej’aiétéencouragéàallongermonséjourdedeuxansàBatna, parunetroisièmeannéesupplémentaireaulycéeBenBoulaïd. Cestroisbellesannéesontmarquémessensetm’ontattachédavantageàcetteterrequej’aieulachancededécouvriràtraversmessix « randonnées » pédestresfaitesentreavril 1967etmars 1969, etdontilestquestionicidanscetouvrage. Cessouvenirs, jelesavaisemportésavecmoiaufonddemavaliseboucléele4 juillet1969, lorsquemonservicepritfinetquejequittaisBatna !

J’étaisrevenul’annéesuivanteenAlgérie (du16au29 juillet1970) pourfairedécouvrir,àmonépouseFrançoise, l’AlgérieetlesAurès : c’étaitenquelquesortenotre « voyagedenoces ». AccompagnésdeToufikSenoussi, témoindenotremariage, desonamieetdeBrigitte, unedenosnièces, nousnousrendîmesàBiskra. TouslescinqdansuneRenaultR4-4L ! Sijen’aipaspurevenirenAlgérie, aprèscettedate-là, c’estparcequ’unenouvelleviem’attendaitailleurs. Maisiln’yapaseud’oubli, ilyaeuletravail, lesenfants, lavie… Peut-êtrequ’aufonddemoi, jem’étaispromisqu’unjourj’yreviendrai, quisait ? Etcen’estquequaranteansplustardquecefondderêve, quisommeillaitenmoi, seréveillalorsquejeretrouvaimesvieillesphotosàtraverslesquelleslesouvenirdecesinstantsfortsetintensesvécuslà-basàBatnaetdanslesmontagnesdesAurèsressurgit. Eneffet, j’avaisprisalorsconsciencequ’avecl’évolutiontechnologiquedesphotos, lapérennitédemesvieillesphotosdiapositives, prisesentre 1968 et 1995, étaitmenacée. Jemedevaisd’agirauplusvite. Débutdel’année2012,jecommençaisàtriermesanciennesdiaposetj’ensélectionnaismilledeuxcent, afindelesfairenumériser. Le12 mars2012, jereçusmesCDaveclesphotosdiapositivesnumérisées. Etjecommençaisàlesclasserenfichiersavecpourchacuneunnometunedate. Parmielles, ilyavaitcentvingtphotosdesAurès, prisesentrejanvier 1968etjuillet 1970, lorsdemesséjoursàBatna. Pourpouvoirlesnommer, jemeplongeaisdansmescarnetsdenotesdemesrandonnéesaurésiennesetdanslescartesgéographiques, enfaitjeplongeaisdansmonpasséetmestroisannéesdeprofesseuràBatna. J’envinsàchercherdeslivressurlesAurèsetjetrouvais,parhasardsurinternet, lelivreLemeunier, lesmoinesetlebandit, ouvragesociologiquedeFannyColonna, sociologuealgérienne, néeàTenietel-Abed, danslavalléedel’OuedAbdietchercheuseauCNRSàParis. Le20 août2012, jecommandaiscelivresurAmazon. Troisjoursplustardj’avaisterminémalectureet,le31 août, j’envoyaisuncourrielàFannyColonnapourluidirel’intérêtquej’avaisprisàsonétude, quej’avaisconnuJean-BaptisteCapeletti (« lemeunier ») etquej’avaisrandonnédanslesAurès. Ellemeréponditaussitôt :

« Jevousremerciedevotremessageetdesphotosaussi. Ilestrarequedeslecteursquinesontpasdumétiernousécrivent. Baptiste, ilestvrai, étaitunesortede ‘marabout’danslecoin, incontournable… Jepense, qu’ilneseconsidéraitpascomme ‘unFrançaisrestélà’, maiscommeunChaoui, c’estdumoinsmonsentiment.Jesuisimpressionnéeparvosmarchesàpied, desitinérairesduXIXe siècle ! quelesEuropéensn’ontplusparcouru, entoutcasàpied, ensuite. Merciencore, l’Aurèsestunbienbeaupaysetjepensequelaplupartdecesvillagesquevouscitezexistentencore. Bienàvous. FannyColonna ».

LaremarquedeFannyColonnasurmesrandonnéeschangealeregardquejeportaissurelles. Jusqu’àcejour, j’avaisconsidérécesrandonnéescommeremarquablesmaissansaucuncaractèreexceptionnel. Jeprisconsciencealorsquesansmêmeprendreencomptelabeautédespaysages, ellesn’avaientriendebanales, carc’étaientpeut-êtredanslesAurès, lespremièresrandonnéesd’Européensquis’inscrivaientdansl’histoiredel’Algérieindépendante, libéréedusystèmecolonial. Etpuisj’avaisrepérédanslabibliographiedel’ouvragedeFannyColonna, laMonographiedel’Aurès (1904) dulieutenant-colonelDelartigue, quej’avaiseul’occasiondelireen1967àBatna, grâceàunPèreBlanc, lePèreCollignon. Commejesouhaitaisretrouvercelivrederéférence, le1er septembre2012, jetapais « AurèsLartigue » dansGoogleetjetrouvaisuncertainToufikSouanefquiavaitmiscetouvrageenventeen2009 !Ilyeutalorsunéchangerapidedecourriels :

— Moi, 14 h 33 : « Bonjour, j’arrivesansdouteunpeutard !!! jesuisintéresséparlaMonographiedel’AurèsdeLartigue, l’avez-vousencore ? Mercietàbientôt ».

— Toufik, 14 h 53 : « Amontourdevousremercierpourl’intérêtquevousportezàmarégion. Cordialement ».

— Moi, 15 h 28 : « Mercidevotreréponsetrèsrapide, justepourvousdirequemonintérêtpourlesAurèsestgrandetancien, carj’aiétéprofesseur (demaths) aulycéeBenBoulaïddeBatnade1966à1969commecoopérant, etquejegardeunmagnifiquesouvenirdecetterégionetdeseshabitants. (DequellerégiondesAurèsêtes-vous ?) Biencordialement ».

— Toufik, 16 h 02 : « Peut-êtrequemonpèreétaitundevosélèves, parcequ’ilfréquentaitlelycéeBenBoulaïdàcetteépoque. Moijesuisd’Arris, lecœurdesAurès. VoiciencoreunlivrerareetanciensurArrisetsarégion ».

— Moi, 16 h 23 : « Lapremièresurprisec’estvotreenvoidulivred’EmileMasqueraysurlesOuledDaoud. C’estunlivrerareettrèsintéressantetjevousenremercieprofondément. Lasecondesurprise, c’estpeut-êtrevotrepère ! Eneffetj’aigardéuncarnetaveclesnomsetlesnotesdemesélèves. J’aieuunélèveLakhdarSouanefen1° AC-Silétaitbonélèveenmaths. J’aimaintenant70ans, visà30 kmdeMarseilleetgardeuntrèsbonsouvenirdemesélèves ».

— Toufik, 16 h 32 : « Effectivement, c’estmonpère, jesuissûrqu’ilseraravid’entrerencontactavecvous. Cordialement ».

— LakhdarSouanef, 16 h 54 : « SalutToufik ! Vraimentlehasardfaitbiendeschoses ! Effectivement, j’aieuunprofesseurdemathsquis’appelaitM.. Garde, lequelfaisaitàl’époquesonservicenational, jecrois. Ondisaitqu’ilétaitingénieur. Entoutcas, c’étaituntypetrèsgentiletdiscret. Jeluifaisparvenirlemêmecourrieretonessayeraderanimerlaflammedessouvenirs, quoiquec’estunpeufloudansmatête ».

— LakhdarSouanef, 17 h 06 : « BonjourMonsieurGarde ! Jeviensdeprendreconnaissancedevotremail, parlebiaisdemonfilset, j’ensuisravi. Néanmoins, commevousnem’avezdispensévotrecoursqu’uneseuleannée, votresouvenirresteunpeuvaguepourmoi. Cependant, jemesouviensdevotregentillesse, cequiestrarissimepourunprofesseurdemaths ! Jesuisâgéde63ansetàlaretraite. J’aifaitdesétudesd’ingénieurenhydrauliqueetfinimacarrièrecommeDGAd’uneentreprisenationale. Aprèscettepremièreprisedecontact, jevouscommuniquerail’adressedusitedesanciensélèvesdulycéeBenBoulaïd. Amitiés ».

De14 h 33à17 h 06, ilavaitfalludeuxheuresetdemiepourrenouerce1er septembre2012unlienquidataitdequarantetroisans !!! Etpuisle4 septembre, jereçuslepremiercourrieldeTaha-HassineFerhat, quim’accueillitavecbeaucoupdegentillesseetm’ouvritlesportesdusitedelaCommunautédesanciensélèvesdulycéeBenBoulaïd. Et, grâceàToufiketLakhdarSouanef, etàTaha-HassineFerhat, quiontétélespremiersartisansdecesretrouvailles, j’aipu,depuisce4 septembre2012, êtreencontactavecplusdesoixante-quinzeanciensélèvesetjelesenremerciebeaucoup.JeremercieaussiFaridaNaït-Seddik-Koraichiquim’abeaucoupaidédansmesrecherchesetquim’aaccueillisichaleureusementavectoutesafamilleàConstantinequandjesuisrevenuenAlgérie. Etcesontdebellesamitiésquiontpuainsisedévelopper.

Eneffet, les28, 29et30 mars2014, jesuisrevenuenAlgérie, après44ansd’absenceetàBatnapourla « troisièmeRencontredesanciensélèves » organiséeparTaha-HassineFerhat. Desmomentsinoubliables, richesd’émotionsetdejoie, enrevoyantvingt-troisdemesanciensélèves ! Touscescontactsm’ontamenéàrédigerlerécitdemes « randonnées », accompagnédesphotosquej’avaisprises, afindelespartageravecmesamissurlesite « forumdesanciensélèves » etàpartirdejuillet 2014surlapagedugroupe « l’échodesAurès » deFacebook. Enfaitlemotderandonnéeétaituntermeassezpeuutiliséàl’époque. Maintenantondit « j’aifaitunerandonnéepédestre » ! Maispourmoic’étaitalorsunesimple « marcheàpied, dedécouvertedelarégionetdeseshabitants », etjepouvaisseulementdire« j’aimarchéàpiedàlarencontredesAurès ».

Etsij’aichoisilamarcheàpiedc’estpourdeuxraisons : lapremièrec’estqu’ellem’apparaissaitcommelaplusappropriéepourdécouvrir, lentement, profondémentet « àl’aventure », lespaysagesetleshabitantsdesAurès. Laseconderaisonesttoutbonnementquejen’avaispasd’autresmoyensdetransportquemesjambes, n’ayantnivéhicule, nipermisdeconduire ! Etcommeditleproverbe : « nécessitéfaitloi ». Puiscertainsdemesanciensélèves, commeAmorChergui, m’ontfortementencouragéàfairepubliercestextesquisontdoncplusquedessouvenirs, carilssontletémoignaged’amitiéspartagées. Jelesenremercievivement. Enfinj’aireçul’aideprécieused’AminaAbbaspourlarédactiondecetteintroductionetsurtoutd’AtikaGuermatpourlacorrectiondel’ensembledutexte. Jeleurdoisunegrandereconnaissance. Cetouvrage, j’aivouluenfaireuntémoignageetunpontquimerelieraàjamaisàcetterégiondesAurès, àseshabitantsquim’ontaccueillietouvertleurporteetleurcœur, etm’ontoffertlabeautédeleurterre. Etgrâceàl’aidedesnombreuxamisdugroupe« l’échodesAurès », àleursconnaissanceslinguistiques, géographiques, historiques, qu’ilsm’ontapportées, cerécitestdevenuuneœuvrecollective !

« Batna… Crépuscule

Ville-ordanssacuvette

Commeunerosedanssonécrin

Abritelegeaietl’alouette ;

Armoise, lavandeetlejasmin. »

Mohamed Nadhir Sebaa (L’hymne au désert)

Première partie :Coopérant à batna (1966-1969)

Mon arrivée en Algérie (10 au 14 septembre 1966)

Le10 septembre1966, àvingt-quatreans, jequittaismonvillagenataletmamère, pourallerenseignerdeuxansenAlgérie. Cettefois-cic’étaitleGrandDépart ! Lesétudesterminées, c’étaitledébutdemavied’adulte ! J’avaisdéjàconnudesdépartsducoconfamilial. Déjààonzeans, j’avaisquittémonvillagenatalpoursuivremesétudessecondairescommeinternedansungrandcollègecatholiquedeBordeaux. Maisj’étaisavecmonfrèrejumeauetjerejoignaismonfrèreaînéquiétaitancienélèvedececollègeoùilavaitunechambrecommeétudiant. Etpuisàvingt-et-unans, j’avaisquittéBordeauxpourMarseillelorsdemonentréedansuneécoled’ingénieurs. Cettefois-ci, l’éloignementaugmentaitetilyavaitlamerMéditerranéecommeséparateurgéographiqueetc’étaitunautrepaysoùj’allaisêtrecommeunexpatrié. C’étaitdoncuneformed’aventure, cependantassezencadrée. Jesavaisquepourmamèrecetteséparationl’attristait, maispourmoitoutcelaétaitnormal, dansl’ordredeschoses, laséparationétantinéluctable. Jeneressentaispasd’appréhension, maispeut-êtreétait-ellemasquéeparl’exaltationdudépartetlajoiedesdécouvertesàvenir. Macuriositéétaitgrandededécouvrirl’Algérieetseshabitants. JeprisletraindenuitBordeaux-Marseille. Etlelendemainj’embarquai dans unbateauàdestinationdeSkikda.

Le12 septembreaupetitmatin, lacôtealgériennem’apparut. Quandjetouchailaterrealgérienne, monémotionfutgrande, maiselleétaitsubmergéeparlescouleurs, lesbruits, lesodeursquienvahissaientmessensgrandsouvertsauxnouveautésquem’offraitcepays. Aprèsledébarquement, jemeretrouvaiavecunecinquantained’autrescoopérantscommemoi, « VolontaireduServiceNationalActif » (ouVSNA), c’est-à-direcoopérantsdanslecadredeleurservicemilitaire. Nousétionsmisàladisponibilitédel’ÉtatalgérienautitredelaCoopération1, régiparleprotocoledu25 octobre1963. NousfûmesaccueillisauportparMonsieurDelangladequiétaitproviseurdesdeuxlycéesdeSkikda (unlycéedefillesetunlycéedegarçons). MonsieurDelangladeétaitunprêtrejésuitequiavaitprislanationalitéalgérienne. NousnerestâmespastrèslongtempsàSkikda, caronnousfitmonterdansunautobus, quipritlaroutedeConstantine. NotredestinationfutlecollègedesPèresBlancsduKhroub, villesituéeàunedizainedekilomètresausuddeConstantine. Lecollègeétantencorevide, nousyfûmeshébergéspourdeuxnuits. AnotrearrivéeauKhroub, cefutlediscoursd’accueildeMonsieurDelanglade. Lelendemain, ilyeutdeuxconférencesorganiséespardesofficielsfrançais. Ellesavaientpourbutdenousprésentersuccinctementl’Algériequinousaccueillaitetdenousdonnerquelquesconseilssurlecomportementàtenir. LapremièrefutcelledeStephaneHessel2, undiplomatedel’ambassaded’Alger, quiétaitchargédelaCoopération.

DelasecondeconférencefaiteparuncertaincolonelHarnisch, jen’airetenuqu’unechose : ilnousavaitmisengardecontretroisdangersenAlgérie : « lesoleil, lapolitiqueetlesfemmes ! » Maislesconférencesnecomblaientpasmasoifdedécouvertedel’Algérie.Etaprèsladernièreconférence, j’eusenviedecommenceràdécouvrirparmoi-même. Sansavertirquiconque, jesortisseuldel’enceinteducollègequiétaitsurunecollineàl’extérieurdelavilleduKhroubetjemedirigeaiversunquartierpériphériqueavecdeshabitationsneuvessouventavecl’étagenonterminé. Jerencontraiquelquesjeunesgensetlaconversations’engageaaveceux. Aprèsm’avoirdemandéquij’étaisetaprèsavoirsatisfaitleurcuriositélégitime, ilsmeposèrentalorsunequestiontoutàfaitinattenduepourmoi : « est-cequetuconnaisMohamedTaharFergani ? » Evidemmentj’ignoraisquiilétait, carc’étaitlapremièrefoisquej’entendaiscenometcefutd’ailleurslepremierpatronymealgérienquemamémoirearetenu ! Ilsm’expliquèrentqu’ilétaitun « grandchanteuretviolonistedemusiquearabo-andalouse ». J’ignoraiscequ’étaitcettemusique, etjem’étonnaisquel’onpuisseàlafoischanteretjouerduviolon. Enrentrantaucollègeretrouvermescamarades, j’étaisvraimentcontentdemapetiteescapade, carj’avaiscommencéàapprendre, àdécouvrirlaculturedecepays. Cen’étaitqu’undébut, maisdeuxansplustard, j’eusl’honneuretlajoiederencontrerlemaîtredumaloufconstantinois !

Batna (« Hbatent »)

Lelendemainmatin, cefutladispersiondescoopérantsVSNA, chacundevantrejoindreleposteauquelilavaitétéaffecté. PourBatna, nousétionstroiscoopérants : JoLamy, AlphonseBoguckietmoi. EnfaitnousfûmesquatreàprendreletrainpourBatna, carAlphonseétaitaccompagnédesafemme. Le14 septembre1966, nousarrivâmesdoncàBatna, capitaledesAurès. Batnaestsituéeaunord-ouestdumassifdesAurèssurunplateauàplusdemillemètresd’altitude, dominéeàl’ouestparlemassifduBelezmaetlePicdesCèdresoudjebelTouggert (2090 m). Ausud, setrouvelemassifdesAurès, dontlemontChelia (2 328 m) est, aprèsTahatdansleHoggar, lepointculminantdel’Algérie. Leclimatyestfroidl’hiver. Batnafutunevilledegarnisoncrééeparl’administrationcolonialeen1848. AlafinduXIXeetaudébutduXXe siècle, BatnafutfréquentéeparquelquestouristesattirésparlesruinesromainesdeLambèseetdeTimgad. Batnaservaitaussid’étapepourceuxquiallaientàBiskra, lieudevillégiatureréputéauxalentoursde1900. CestouristestrouvaitàBatnal’HôteldesEtrangersetContinental. CetHôteleupourclientelacélèbreIsabelleEberhardt, lorsdesonpremiervoyageversleSudsaharienenaoût 1899.

AusujetdeBatna, voicicequ’écritavechumourl’ethnologueGermaineTillion3 et Edmonde Charles-Roux4 :

Lecentre-villeétaitunquadrilatèredécoupéendamierpardesruesdroites, toutesparallèles, ouperpendiculaires. Lavillecomptaitalorsprèsdesoixante-dixmillehabitantsetressemblaitunpeuàunepetitevilledeprovincefrançaise. Cequiétaitnouveaupourmoi, c’étaientleshommesportantleurkachabiadelaine (ilfaittrèsfroidl’hiveràBatna), cemanteauàlargecapuche, quis’enfileparlatêteetalaparticularitéd’avoirlesmanchesprésentantuneouvertureauniveaudescoudes. Laplupartdeshommesportaientunchècheblancsurlatête. EtpuisjefusétonnéparlamlayaportéeparlesfemmescitadinesàBatna. C’étaitungrandtissunoir, savammentdrapéderrièrelatêteetquilesenveloppaitentièrement. Lebasduvisageétaitmasquéparunevoiletteblanche. Leurcostumemerappelaitlesreligieusesde « l’écoledessœurs » demonvillagedeSaint-Médard-de-Guizières, ellesaussienrobeetvoilenoirs, agrémentésd’unetouchedeblancautourduvisage. LejourdenotrearrivéeàBatna, jenevispasgrand-chosedelaville, sicen’esttoutescesruessecoupantenangledroitetlamajestueusepyramideduPicdesCèdres, carnousavionsunepréoccupationmajeureeturgente : trouverunlogement, sipossibleavantlanuit ! Maisavantdem’affronteràcettetâche, j’avaisvoulumelibérerd’unsouci : qu’est-cequej’allaisenseigner ? J’abandonnaidoncmescamaradesàleursrechercheslocatives, pourmerendreaulycéeBenBoulaïd. JefustrèsbienreçuparleproviseurMonsieurDjebaïli5etsoulagédesavoirquej’enseignerailesmathématiques.

« M. Djebaïli et M. Noune ont été pour toute une génération un exemple de rigueur, de don de soi et de compétence ».

(8 octobre 2015, Ghania Zerguine).

« J´ai encore les larmes aux yeux ! Allah Yarham Aami Kaca… et sa ‘sévérité’. Je suis absolument convaincu ; moi, ma génération et toute l´Algérie lui sont redevables aussi bien qu´aux autres pionniers qui ont guidé l´Algérie ‘rude et brute’ de la sortie de la colonisation, du sang et des parents analphabètes, sur le chemin du Savoir, de l´Universalité et de la Modernité ».

(8 octobre 2015, Salim Samaï).

L’espritlibrejepouvaisenfin, moiaussi, commencermesrecherchesdelogement. IlrestaitàBatnadeuxstructuresfrançaisesquipouvaientnousaiderdansnotrerecherche. IlyavaitlaMaisondesEnseignantsetdelaCoopération, structureofficielle, recevantdessubsidesdel’ambassadeetlaparoissecatholiquetenuepardesPèresBlancs. Aprèsêtrepassédanscesdeuxlieux, j’étaispourvud’uneadresse, situéedanslequartierduStand. L’affairefutviteconclue,etlesoirmêmej’aménageaisavecmavalise, dansunechambrefaisantpartied’unemaisonenrez-de-chausséeoùvivaitunefamillealgérienne. Dèsquel’onrentraitdanslecouloirdelamaison, ilyavaituneporteàdroitedonnantsurmachambrequiavaitunefenêtresurlarue. Cetterueavaitdeuxparticularités : ilyavaitunepetitemosquéeauboutdelarue, cequimevalutd’êtreréveilléchaquematinparlemuezzinetcetterueétaitladernièreduquartier ; aprèslesmaisonsdelarue, lavilles’arrêtaitpourlaisserlaplaceàunesortedeterrainvagueetincultequimontaitenpentedoucejusqu’àquelquesrochers, prémicesdecollinesrocheusesdénudées, bordantledjebelBouZorane. UnefoisinstallédansmachambreduquartierduStand, ilnemerestaitquetrèspeudetempspourpréparermescourspourcinqclassesdontquatrepréparantunexamenetsurtroisniveauxdifférents : uneclassedesciences-expérimentalesavecl’examendubaccalauréat, troisclassesde1re (M, SetAC) avecl’examenduprobatoireetuneclassede2e (sectionA : littéraire).

Jerestaisdanscelogementunmoisseulement. J’eusletempsdeprendreunephotoparticulière. Cejour-là, jetravaillaisdansmachambre, corrigeantdescopies, assisàmapetitetable, faceàlafenêtre. Jevisàtraverslesvoletsentrouvertsunescènesurprenantepourmoi. Commej’habitaisàproximitéd’unepetitemosquée, unevieilleAurésienneétaitassisesurleborddutrottoirenfacedechezmoiet, àl’aided’uneboîtedeconserveremplied’eau, selavaitlesmains. Sansréfléchir, jeprislevieilappareilphotoquiavaitappartenuàmonpèreetjeprisunephoto. Jecomprisplustardquecettefemmefaisaitsesablutionsavantd’allerfairelaprièreàlamosquée. Etpuis, jefusunpeuhonteuxd’avoirpriscettephotoàladérobée. D’ailleursdurantmestroisannéespasséesàBatnajen’aiprisquedeuxphotosdefemmeschaouies. Lasecondephoto, cefutàl’occasiond’unebaladeenvoitureavecunami, danslesAurès. NousavionsprislaroutedeMedina, puisaprèsInoughissen, ennousdirigeantverslecoldeTizougarine, nouscroisâmesuneAurésienne ; lorsquelavoiturefutàcinqmètresd’elle, jeprisunclichéàlavolée. Elleétaitencostumetraditionnel, avecunchèchenoiragrémentéd’unfoulardrouge, elleportaitunemantebordéedetroisliserésdecouleurjaune, vertetrose.

Enoctobre 1966, jequittaimachambreduquartierduStand, pourm’installer,avecJoLamy, dansunappartementquel’onappelait « leconsulat ». C’étaitungrandbâtimentd’unétage, situéaucoindelaplacedel’EgliseetdelaruedelaRépublique, quiappartenaitalorsàunebanque. Maislabanque, aurez-de-chaussée, nefonctionnaitpas, etaupremierétageilyavaitplusieursappartementsoccupéspardescoopérantsfrançais, égalementprofesseursaulycéeBenBoulaïd : ChristianBrunet, Jean-ClaudeLaurent, chacunavecsonépouse. Quarante-huitansplustard,descartespostales6anciennesm’apprirentquecebâtimentavaitétél’HôteldesEtrangersetContinentaloùavaitséjournéIsabelleEberhardt.

Le lycée Ben Boulaïd

LelycéeBenBoulaïdétaitungrandbâtimentconstruitenquadrilatèreavecunegrandecourcentrale. Ilavaitouvertle1er octobre1913, comme « EcolePrimaireSupérieuredeGarçons » avecuninternat. Ilestdevenuen1941 « collègemoderne ». Puisenfin, en1948, ilestdevenu « lycée » (source :SiBatnam’étaitcontée1948-1962deChibaniKamel – imp. A. Guerfi, Batna, 2015 – page181). Aprèsl’Indépendance, ilaportélenomduhérosetpremierchefdelawilayadesAurès, MostefaBenBoulaïd. (UnnouveaulycéeBenBoulaïdayantétéconstruitroutedeBiskra, notreancienlycéeestdevenulycéedesfrèresLamrani). Lorsdemonarrivée, lelycéeétaitdirigéavecautoritéparleproviseurBelkacemDjebaïliquiétaitsecondéparMonsieurNoune, lesurveillantgénéral. Plusdelamoitiédesprofesseursétaientdescoopérantsfrançais. LesélèvesvenaientdetoutelarégiondesAurèsetnotammentdeKhenchela, Arris, ElKantara, Barika, Merouana, ElMadher, Lambèse, AïnTouta, Menaâ, Kaïs, Bouzina. Ilsétaientnombreux, aussi, venantduSud : Biskra, ElOued, Touggourt, Tolga, OuledDjellal. Ilyavaitdoncunassezgrandnombred’internes. Etjeprisconsciencequebeaucoupd’entreeuxnereprésentaientpasseulementleurfamille, maisaussitoutelacommunautédeleurvillageetcelaleurconféraituneresponsabilitétrèsmotivantepourleursétudes.

« La Wilaya des Aurès couvrait administrativement les territoires des actuelles wilayas de Batna, de Khenchela et de Biskra. Le lycée Ben Boulaïd, l’unique à l’époque, recevait en pension (internat) et en demi-pension les élèves de ces wilayas. Le nombre d’élèves en internat était de 200 élèves environ. Dans les années 1960 et 1970, le lycée Ben Boulaïd obtenait les meilleurs résultats au baccalauréat à l’échelle nationale ».

(27 avril 2016, Abdeldaïm Hamdi-Pacha).

Etpuisj’avaisunpointcommunaveceux, carmoiaussij’avaisquittélecoconfamilial, levillagenatal, pourrejoindrel’internatdansunegrandeville, danslebutdepoursuivredesétudes. Leplussouventlesélèvesétaientappliquésettravailleurs : leprofesseurn’avaitpasbesoinde « faireladiscipline » carlesélèveslafaisaitentreeux. Siunélèveétaitagitéouparlaittrop, c’étaientsesvoisinsquileramenaientvitedansledroitchemin. Mapremièreannée (1966-1967) futvraimentuneannéed’apprentissage. Nonseulementjen’avaisjamaisenseigné, maisjen’avaismêmejamaissuivilemoindrecoursoureçulemoindreconseilsur « commentenseigner ». Pendanttoutecetteannéejepréparaismescours, audébutaujourlejour, puisdesemaineensemaine.

Lorsdemapremièrevisiteaulycée, M. Djebaïlim’avaitremismonemploidutemps, etunlivredemathématiquesparniveau, chacuncontenantleprogrammeàenseigner. Jeconsacraisdeuxjourspourprépareravecfébrilitélescoursdemapremièrejournéed’enseignant. Etlundi19 septembre1966, vintlejourJdelarentrée. Jen’étaispastrèsfier, jemedemandaissijesauraisexpliquercorrectementetsurtoutintéresserlesélèves. C’étaitcommesijedevaissauterdanslegrandbaindelapiscinesansêtrecertaindesavoirnager ! Jemesouviendraitoujoursdemonpremiercours (c’estsansdoutelecasdetouslesenseignants). Cematin-là, mapremièreclassefutla1reM. etjenesaispourquoij’avaiseul’ingénieuseidéedecommencermonpremiercourspar« lesdivisionsharmoniques ». Sujetôcombienarduetpasfacileàexpliquerclairement, enparticulierpourundébutantcommemoi. Cefutunecatastrophe ! Jemesouviensqu’àlafinducours, alorsquejerangeaismesaffaires, unélève, BouzaherBrahimdeKhenchela, s’approchademoi. Devanttoutelaclasse, ilmedemandaavecunsouriregoguenard :

« M’sieur, c’estlapremièrefoisquevousenseignez ? »

Enunefractiondeseconde, jesentisqu’ilfallaitfaireface, garderlatêtehautemaissansarroganceetrépondreclairement. Commejemerefusaisdementir, jeluidissimplement, avecunsourireunpeupâleetcontraint : « Oui ». Maréponseentraînaunedébandade : Bouzaheretd’autresélèvesdemandèrent, danslajournée, àchangerdesection, pourpasseren1°S, oùlecoefficientenmathématiquesauProbatoireétaitplusfaible. Ensortantducoursj’étaisunpeudépité, maispasdécouragé. Celaavaitété « monbaptêmedufeu », monbizutage : c’étaitpassé ! Maintenantjen’avaispasletempsdem’yattardercarj’avaisunautrecours, avecuneautreclasse.Jenemesouvienspasdutoutdesautrescoursdelajournée, maisjemesouviensquelesoirjesavaisunechose :

« Ilmefallaitdonnerbeaucoupdemoipourregagnerlaconfiancedemesnouveauxélèves ». C’estcequej’entreprispeut-êtremaladroitementeninstituantlescollesdudimanchematin. Eneffet, jedonnaisrégulièrementundevoirdemathématiquesàfaireenclasse, durantuneheure. Quandjerentraischezmoi, jemejetaissurlacorrectiondescopiescarj’étaisimpatientdesavoirs’ilsavaientbiensurésoudreleurproblème. Etpuisj’avaisétabliunilatéralementlarèglequetousceuxquiavaientmoinsde5sur20, seraientenretenuededeuxheures, ledimanchematinsuivantaulycée. Laparticularitédecetteretenueétaitquelesélèves, victimesdemasévérité, n’étaientpasseuls ! Pendantlesdeuxheuresderetenue, j’étaisaussiprésentaveceux. Pourmoi, jeneleurdonnaispasunepunition, maisl’occasionderevoirensembleet « encourspresqueparticulier » lespartiesduprogrammemalcomprises. C’étaitpourmoiunefaçondeleurdire « vousêtescollés ! Moiaussi ! » et,surtout, jevoulaisleurfairecomprendrequepourmoi, iln’yavaitpasd’uncôtéleprofesseuretdel’autrelesélèvesetqu’avecchacununrôledifférent, nousétionsensembledanslamêmegalère, aveclemêmeobjectif : réussirl’examen ! Jemesouviensqu’undemesélèves, KhellafAbdelhamid, étaitjoueurdefootballdansuneéquipedeBatna (jecroisquec’étaitleCAB) etiln’étaitvraimentpascontentdenepaspouvoirfairesonmatchhabitueldudimanchematin (jel’airevuen2014etjesaisqu’ilmapardonné !).

Puisdurantlemoisdedécembre 1966commençaleRamadhan. AvecPaulJourdain, professeurdephysique-chimie,nousfûmesconfrontésàunedifficultésurleplanpédagogique : dèsledébutduRamadhan, certainsdenosélèvesseplaignirentdeleurfatigueetnousdemandèrentderéduireleurchargedetravail (avecdesdevoirspluscourts, oumoinsfréquents). Mêmesinouscomprenionsquelejeûnepouvaitlesfatiguer, nousavionsundoute ! N’était-cepasunprétextepour « tirerauflanc » ? J’avaisuneinterprétationpersonnelledeleurdemandeetj’entendais : « D’accordpourlarelationhiérarchiqueprofesseurs/élèves. Mais ‘professeursauventrepleinetélèvesauventrecreux’c’estunerelationtropdéséquilibrée ! » Alorspourrétablirunerelationéquilibréeetéteindrelacontestationnaissante, pourdesraisonspédagogiquesetnonreligieuses, PaulJourdainetmoidécidâmesdefaireleRamadhancommenosélèves !

Nousconstatâmesqu’ilyavaitsurtoutdelafatigueenfind’après-midi, maisauboutdequelquesjours, l’organismes’habituait. Etpuisnousavionslachancequ’endécembrelesjoursétaientcourtsetlejeûnebeaucoupmoinspéniblequel’été. Maispournous, leprincipalavantagefutdevivreaumêmerythmequenosélèves, etc’estainsiquelesoirvers18 h 00, pourlarupturedujeûne (l’iftar), nousallionsdansunepetite « gargote » populaire, nonloindulycée, mangerunebonnechorba, commetouslesAlgériens ! Alafindupremiertrimestre, laveillederentrerchezeux, lesinternesm’invitèrentàveniràleurfêtelesoiraulycée. MohamedDjeridiassuraitl’animation, ilyavaitdelamusiqueetdeschants, avecAhmedNasri. Laderboukamarquaitlerythmeetcertainsélèvesdansaient. Toutàcoupdeuxélèvesvinrentversmoietm’invitèrentàdanseraveceux, jemesentisbienobligédelessuivreaucentreducercledesspectateurs, mêmesijesavaisquemestalentsdedanseurétaientnuls ! J’essayaimaladroitementd’esquisserquelquespasetj’entendistouslesriresdeceuxquimevoyaientsipataudetbalourd. Jemesuisalorsdit : « Cesoirlesbonsélèvescesonteuxetlemauvaisc’estmoi ! Chacunsontour ! » etj’essayaidefairebonnefigurefaceàcettegentilleadversité, enpensantquemoiaussij’avaisétépensionnaireetqu’unesoiréecommecelle-làleurlaisseraitdessouvenirsdontilsauraientplaisiràenreparlerplustard, lorsderencontresentreanciensélèves : Eh ! Tutesouviensquandleprofdemathsadansé ?..Lorsd’uneautrefêtedefindetrimestre, avecchantsetsketchs, jemesouviensd’uneélève (FaouziaSaouli) quiavaitchantélachansondeFranceGallquiétaittrèsàlamode :

« Quiaeucetteidéefolle

unjourd’inventerl’école,

c’estcesacréCharlemagne !

SacréCharlemagne ! »

Durantcettepremièreannéed’enseignement, commemonamiPaulJourdainquiétaitprofesseurdephysiqueenTerminaleetPremière, j’aiétéparticulièrementmarquéparlapersonnalitédedeuxélèvesde1°M, unefilleetungarçon. Lafille, c’étaitMariamaDriss, originaired’ElKantaraetquihabitaitBatna. C’étaituneélèvebrillante, trèsvolontaireettravailleuse. Elleétaitd’unnatureldiscret, maiselleavaitdel’assuranceetn’hésitaitpasàtenirtêteauxgarçons (iln’yavaitquetroisfilles, pourtrente-et-ungarçonsdanscetteclasse). ElleestdevenueinspectricegénéraledemathématiquesàConstantine. J’aiététrèsheureuxdepouvoirreprendrecontactavecMariamaDrissle29 septembre2012, grâceàl’aideefficacedeFaridaNaït-Seddiketj’aieulajoiedelarevoirles28et29 mars2014àBatna. J’aiapprisplustardquesononcleétaitOmarDriss,connusouslenomdeguerreSiFayçal (néle15 juillet 1931àElKantaraetmortle29 mars 1959àlabatailleduDjebelThameuravecSiEl-HaouèsetAmirouche).

Legarçon, c’étaitMoussaKaptaneditAzou. IlétaitdeKhenchelaetétaitpensionnaire. Ilapparaissaitcommeleleaderdelaclasse, parsaprésence, saprestance, sonautoritéetsoncharisme. Ilétaitréfléchietintelligent. IlestdevenumédecinetaexercéàKhenchela. MalgréleseffortsdeFaridaNaït-Seddik, ilafallutroisansdetentativesinfructueusespourqu’enfinj’aielajoiederentrerencontactavecAzouKaptane, le2 octobre2015. IlyavaitchezMariamaetMoussabeaucoupdematurité, d’exigencedequalité, sibienqu’ilsmepoussaient, moilejeuneprofesseurdébutant,àêtremeilleur, pourêtreàlahauteurdeleursattentesetdeleursespoirs. Etjepourraisgénéralisercelaàlagrandemajoritédesélèves, quiontfaitparlasuitedebrillantescarrièresprofessionnellescommeprofesseurs, universitaires, médecins, ingénieurs, préfets, ambassadeurs, etc.

Madeuxièmeannéed’enseignement (1967-1968) aétéplusfacilecarilmefallaitseulementaméliorermescours, sansavoirlestressdelesprépareraujourlejourcommel’annéeprécédente, eneffetj’avaislesmêmesniveauxquel’annéeprécédente : deuxterminales (Sciences-Ex) ettroispremières (deux1reM. etune1reS). Maismalheureusement, leproviseuravaitchangé : monsieurDjebaïliavaitprisunnouveauposteenKabylieàDellys, etlenouveauproviseurn’étaitpasàsahauteur. Ilyavaitdulaisser-aller, tantetsibienquePaulJourdainetmoi, commeprofesseurdesmatièresscientifiquesdeTerminale, inquietspourlaréussiteaubacetauprobatoiredenosélèves, nousétionsallésnousplaindreauprèsdeMonsieurFasla,l’Inspecteurd’Académie.

Latroisièmeannée (1968-1969), ilyeutleretourdeMonsieurDjebaïlietcefutpourmoivraimentlameilleureannée, uneannéed’épanouissement. Pourcettedernièreannée, lesélèvesdeterminaleetpremièreavaientcommencéleurscolaritédanslesecondaireaprèsl’indépendance, ilyavaittroisterminales (deuxSciences-ExetunePhilo) etcinqclassesdepremière, alorsquelorsdemonarrivée, en1966, ilyavaituneseuleclassedeterminale (Sciences-Ex) ettroisclassesdepremière, lesélèvesdecesclassesavaientcommencéleurscolaritédanslesecondaire, durantlacolonisation. Endeuxans, onétaitpassédeuneàtroisterminales ! Cequimontreuneprogressiontrèsimportantedel’enseignementsecondaire, cequiajustifiél’ouvertured’unnouveaulycéeBenBoulaïd, routedeBiskra, lorsdelarentréescolaire1969quiasuivimondépartdeBatna. J’aieucettetroisièmeannéeseptclasses : troisterminales (deuxSciences-ExetunePhilo), troispremières (deux1reM. etune1reA) etunesecondelittéraire (2eA).Cefutlorsdecettedernièreannéequej’euslasurprisedevoirentrerdansmaclasse, le15 mars1969, untrèsjeuneetfringantinspecteurdemathématiquesalgérien. Ilvenaitm’inspecter ! Celaétaittoutàfaitnormal, maisjem’étaisjusqu’alorsconsidérécommeunprofesseurd’occasion, mêmesijeneménageaispasmesefforts. Etantencoredébutant, j’avaisbienbesoindesesconseilsetsesobservationsasseznombreusesétaientjustesetutiles. Etpuisj’aisentidansleregarddemesélèvesunecertainefierté, toutàfaitcompréhensible, carlestemps, poureuxetleurpays, avaientchangé : unAlgérieninspectaitunFrançais ! Jen’étaispasauboutdemessurprises, puisquelejeuneinspecteuralgérienmeconvoqualelendemainpourfairepartiedujuryquidevaitexaminerlesCapacitésd’AptitudeProfessionnelles (CAP) deMademoiselleYvetteGillespourdevenirPEGC (Professeurd’EnseignementGénéraldesCollèges). Accompagnédel’inspecteuralgérienetdemonamiPaulJourdainpourlaphysique, nousallâmesaucollègedefillesdelarueGambettaetassistâmesauxcoursdemathématiquesetphysiquedenotreamieYvetteGilles. Jetrouvaismapositiondanscejuryétonnanteetmêmegênante, puisquejen’avaisquetrèspeud’expérience, alorsqu’Yvetteenavaitbeaucoupplusquemoi. Aprèsquoi, letriodontjefaisaispartieseretirapourdélibérer, etaprèsquechacuneufaitpartdesonavis, lediplômedePEGCfutattribuéàYvette !

Cefutaussidurantcetteannéequej’apprisparmonamiRuiz, qu’unedemesélèvesétaitfilledechahid. Ils’agissaitd’uneélèvede2eA, AblaLamrani. Lorsducourssuivantaveccetteclasse, jeregardaisAbla, unejeunefilledeseizeans, sage, souriante, avecparfoisunairunpeuironiqueounarquois. J’étaistrèsimpressionnéenpensantquesonpèreavaitététuépardesmilitairesfrançaisetquej’étaisenfacedecetteorpheline, quinesemblaitavoiraucunehaineouressentimentenversmoi. Jenepouvaispasm’empêcherd’avoirunsentimentdeculpabilitéouplutôtderessentirunmalaise. Carsidefaitjen’étaispaspersonnellementcoupable, j’étaisconfrontéaumalheurquiavaitfrappécettejeunefillealorsqu’elleétaitenfant, etjemesentaisledevoir, nonderéparerpuisquecelan’étaitpaspossible, maisaumoinsd’agirmaintenantpouratténuerlesdégâtsdelaguerre, etenseignermeparaissaituneassezbonneréponse. Quarante-quatreansplustardetgrâceàFaridaNaït-Seddikquiavaitdesliensfamiliauxavecelle, j’