À se tordre - Alphonse Allais - E-Book

À se tordre E-Book

Alphonse Allais

0,0
0,50 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Publié en 1891, "À se tordre" est un livre tout à fait original, surprenant et délicieux d'Alphonse Allais, écrivain, journaliste et humouriste du dix-neuvième siècle.
Les anecdotes (puisque d'après le préfacier, c'est comme ça qu'il faut les appeler) se lisent par petites gorgées, quelques unes avant de se coucher, ou dans le métro le soir ou le matin, et c'est toujours avec un ravissement euphorique qu'on se laisse mener jusqu'au trait d'esprit final.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



table des matières

À SE TORDRE

Partie 1 - UN PHILOSOPHE

Partie 2 - FERDINAND

Partie 3 - MŒURS DE CE TEMPS-CI

Partie 4 - EN BORDÉE

Partie 5 - UN MOYEN COMME UN AUTRE

Partie 6 - COLLAGE

Partie 7 - LES PETITS COCHONS

Partie 8 - CRUELLE ÉNIGME

Partie 9 - LE MEDECIN MONOLOGUE POUR CADET

Partie 10 - BOISFLAMBARD

Partie 11 - PAS DE SUITE DANS LES IDÉES

Chapitre 1

Chapitre 2

Partie 12 - LE COMBLE DU DARWINISME

Partie 13 - POUR EN AVOIR LE CŒUR NET

Partie 14 - LE PALMIER

Partie 15 - LE CRIMINEL PRÉCAUTIONNEUX

Partie 16 - L’EMBRASSEUR

Partie 17 - LE PENDU BIENVEILLANT

Partie 18 - ESTHETIC

Partie 19 - UN DRAME BIEN PARISIEN

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Partie 20 - MAM’ZELLE MISS

Partie 21 - LE BON PEINTRE

Partie 22 - LES ZÈBRES

Partie 23 - SIMPLE MALENTENDU

Partie 24 - LA JEUNE FILLE ET LE VIEUX COCHON

Partie 25 - SANCTA SIMPLICITAS

Partie 26 - UNE BIEN BONNE

Partie 27 - TRUC CANAILLE

Partie 28 - ANESTHÉSIE

Partie 29 - IRONIE

Partie 30 - UN PETIT « FIN DE SIÈCLE »

Partie 31 - ALLUMONS LA BACCHANTE

Partie 32 - TENUE DE FANTAISIE

Partie 33 - APHASIE

Partie 34 - UNE MORT BIZARRE

Partie 35 - LE RAILLEUR PUNI

Partie 36 - EXCENTRIC’S

Partie 37 - LE VEAU CONTE DE NOËL POUR SARA SALIS

Partie 38 - EN VOYAGE SIMPLES NOTES

Partie 39 - LE CHAMBARDOSCOPE

Partie 40 - UNE INVENTION MONOLOGUE POUR CADET

Partie 41 - LE TEMPS BIEN EMPLOYÉ

Partie 42 - FAMILLE

Partie 43 - COMFORT

Partie 44 - ABUS DE POUVOIR

Notes de bas de page

À SE TORDRE

Partie 1 - UN PHILOSOPHE

Je m’étais pris d’une profonde sympathie pour ce grand flemmard de gabelou que me semblait l’image même de la douane, non pas de la douane tracassière des frontières terriennes, mais de la bonne douane flâneuse et contemplative des falaises et des grèves.

Son nom était Pascal ; or, il aurait dû s’appeler Baptiste, tant il apportait de douce quiétude à accomplir tous les actes de sa vie.

Et c’était plaisir de le voir, les mains derrière le dos, traîner lentement ses trois heures de faction sur les quais, de préférence ceux où ne s’amarraient que des barques hors d’usage et des yachts désarmés.

Aussitôt son service terminé, vite Pascal abandonnait son pantalon bleu et sa tunique verte pour enfiler une cotte de toile et une longue blouse à laquelle des coups de soleil sans nombre et des averses diluviennes (peut-être même antédiluviennes) avaient donné ce ton spécial qu’on ne trouve que sur le dos des pêcheurs à la ligne. Car Pascal pêchait à la ligne, comme feu monseigneur le prince de Ligne lui-même.

Pas un homme comme lui pour connaître les bons coins dans les bassins et appâter judicieusement, avec du ver de terre, de la crevette cuite, de la crevette crue ou toute autre nourriture traîtresse.

Obligeant, avec cela, et ne refusant jamais ses conseils aux débutants. Aussi avions-nous lié rapidement connaissance tous deux.

Une chose m’intriguait chez lui c’était l’espèce de petite classe qu’il traînait chaque jour à ses côtés trois garçons et deux filles, tous différents de visage et d’âge.

Ses enfants ? Non, car le plus petit air de famille ne se remarquait sur leur physionomie. Alors, sans doute, des petits voisins.

Pascal installait les cinq mômes avec une grande sollicitude, le plus jeune tout près de lui, l’aîné à l’autre bout.

Et tout ce petit monde se mettait à pêcher comme des hommes, avec un sérieux si comique que je ne pouvais les regarder sans rire.

Ce qui m’amusait beaucoup aussi, c’est la façon dont Pascal désignait chacun des gosses.

Au lieu de leur donner leur nom de baptême, comme cela se pratique généralement, Eugène, Victor ou Émile, il leur attribuait une profession ou une nationalité.

Il y avait le Sous-inspecteur, la Norvégienne, le Courtier, l’Assureur, et Monsieur l’abbé.

Le Sous-inspecteur était l’aîné, et Monsieur l’abbé le plus petit.

Les enfants, d’ailleurs, semblaient habitués à ces désignations, et quand Pascal disait : « Sous-inspecteur, va me chercher quatre sous de tabac », le Sous-inspecteur se levait gravement et accomplissait sa mission sans le moindre étonnement.

Un jour, me promenant sur la grève, je rencontrai mon ami Pascal en faction, les bras croisés, la carabine en bandoulière, et contemplant mélancoliquement le soleil tout prêt à se coucher, là-bas, dans la mer.

– Un joli spectacle, Pascal !

– Superbe ! on ne s’en lasserait jamais.

– Seriez-vous poète ?

– Ma foi ! non ; je ne suis qu’un simple gabelou, mais ça n’empêche pas d’admirer la nature.

Brave Pascal ! Nous causâmes longuement et j’appris enfin l’origine des appellations bizarres dont il affublait ses jeunes camarades de pêche.

– Quand j’ai épousé ma femme, elle était bonne chez le sous-inspecteur des douanes. C’est même lui qui m’a engagé à l’épouser. Il savait bien ce qu’il faisait, le bougre, car six mois après elle accouchait de notre aîné, celui que j’appelle le Sous-inspecteur, comme de juste. L’année suivante, ma femme avait une petite fille qui ressemblait tellement à un grand jeune homme norvégien dont elle faisait le ménage, que je n’eus pas une minute de doute. Celle-là, c’est la Norvégienne. Et puis, tous les ans, ça a continué. Non pas que ma femme soit plus dévergondée qu’une autre, mais elle a trop bon cœur. Des natures comme ça, ça ne sait pas refuser. Bref, j’ai sept enfants, et il n’y a que le dernier qui soit de moi.

– Et celui-là, vous l’appelez le Douanier, je suppose ?

– Non, je l’appelle le Cocu, c’est plus gentil.

L’hiver arrivait ; je dus quitter Houlbec, non sans faire de touchants adieux à mon ami Pascal et à tous ses petits fonctionnaires. Je leur offris même de menus cadeaux qui les comblèrent de joie.

L’année suivante, je revins à Houlbec pour y passer l’été.

Le jour même de mon arrivée, je rencontrais la Norvégienne, en train de faire des commissions.

Ce qu’elle était devenue jolie, cette petite Norvégienne !

Avec ses grands yeux verts de mer et ses cheveux d’or pâle, elle semblait une de ces fées blondes des légendes scandinaves. Elle me reconnut et courut à moi.

Je l’embrassai :

– Bonjour, Norvégienne, comment vas-tu ?

– Ça va bien, monsieur, je vous remercie.

– Et ton papa ?

– Il va bien, monsieur, je vous remercie.

– Et ta maman, ta petite sœur, tes petits frères ?

– Tout le monde va bien, monsieur, je vous remercie. Le Cocu a eu la rougeole cet hiver, mais il est tout à fait guéri maintenant… et puis, la semaine dernière, maman a accouché d’un petit Juge de paix.

Partie 2 - FERDINAND

Les bêtes ont-elles une âme ? Pourquoi n’en auraient-elles pas ? J’ai rencontré, dans la vie, une quantité considérable d’hommes, dont quelques femmes, bêtes comme des oies, et plusieurs animaux pas beaucoup plus idiots que bien des électeurs.

Et même – je ne dis pas que le cas soit très fréquent – j’ai personnellement connu un canard qui avait du génie.

Ce canard, nommé Ferdinand, en l’honneur du grand Français, était né dans la cour de mon parrain, le marquis de Belveau, président du comité d’organisation de la Société générale d’affichage dans les tunnels.

C’est dans la propriété de mon parrain que je passais toutes mes vacances, mes parents exerçant une industrie insalubre dans un milieu confiné.

(Mes parents – j’aime mieux le dire tout de suite, pour qu’on ne les accuse pas d’indifférence à mon égard – avaient établi une raffinerie de phosphore dans un appartement du cinquième étage, rue des Blancs-Manteaux, composé d’une chambre, d’une cuisine et d’un petit cabinet de débarras, servant de salon.)

Un véritable éden, la propriété de mon parrain ! Mais c’est surtout la basse-cour où je me plaisais le mieux, probablement parce que c’était l’endroit le plus sale du domaine.

Il y avait là, vivant dans une touchante fraternité, un cochon adulte, des lapins de tout âge, des volailles polychromes et des canards à se mettre à genoux devant, tant leur ramage valait leur plumage.

Là, je connus Ferdinand, qui, à cette époque, était un jeune canard dans les deux ou trois mois. Ferdinand et moi, nous nous plûmes rapidement.

Dès que j’arrivais, c’étaient des coincoins de bon accueil, des frémissements d’ailes, toute une bruyante manifestation d’amitié qui m’allait droit au cœur.

Aussi l’idée de la fin prochaine de Ferdinand me glaçait-elle le cœur de désespoir.

Ferdinand était fixé sur sa destinée, conscius sui fati. Quand on lui apportait dans sa nourriture des épluchures de navets ou des cosses de petits pois, un rictus amer crispait les commissures de son bec, et comme un nuage de mort voilait d’avance ses petits yeux jaunes.

Heureusement que Ferdinand n’était pas un canard à se laisser mettre à la broche comme un simple dindon : « Puisque je ne suis pas le plus fort, se disait-il, je serai le plus malin », et il mit tout en œuvre pour ne connaître jamais les hautes températures de la rôtissoire ou de la casserole.

Il avait remarqué le manège qu’exécutait la cuisinière, chaque fois qu’elle avait besoin d’un sujet de la basse-cour. La cruelle fille saisissait l’animal, le soupesait, le palpait soigneusement, pelotage suprême !

Ferdinand se jura de ne point engraisser et il se tint parole.

Il mangea fort peu, jamais de féculents, évita de boire pendant ses repas, ainsi que le recommandent les meilleurs médecins. Beaucoup d’exercice.

Ce traitement ne suffisant pas, Ferdinand, aidé par son instinct et de rares aptitudes aux sciences naturelles, pénétrait de nuit dans le jardin et absorbait les plantes les plus purgatives, les racines les plus drastiques.

Pendant quelque temps, ses efforts furent couronnés de succès, mais son pauvre corps de canard s’habitua à ces drogues, et mon infortuné Ferdinand regagna vite le poids perdu.

Il essaya des plantes vénéneuses à petites doses, et suça quelques feuilles d’un datura stramonium qui jouait dans les massifs de mon parrain un rôle épineux et décoratif.

Ferdinand fut malade comme un fort cheval et faillit y passer.

L’électricité s’offrit à son âme ingénieuse, et je le surpris souvent, les yeux levés vers les fils télégraphiques qui rayaient l’azur, juste au-dessus de la basse-cour ; mais ses pauvres ailes atrophiées refusèrent de le monter si haut.

Un jour, la cuisinière, impatientée de cette étisie incoercible, empoigna Ferdinand, lui lia les pattes en murmurant : « Bah ! à la casserole, avec une bonne platée de petits pois !… »

La place me manque pour peindre ma consternation.

Ferdinand n’avait plus qu’une seule aurore à voir luire.

Dans la nuit je me levai pour porter à mon ami le suprême adieu, et voici le spectacle qui s’offrit à mes yeux :

Ferdinand, les pattes encore liées, s’était traîné jusqu’au seuil de la cuisine. D’un mouvement énergique de friction alternative, il aiguisait son bec sur la marche de granit. Puis, d’un coup sec, il coupa la ficelle qui l’entravait et se retrouva debout sur ses pattes un peu engourdies.

Tout à fait rassuré, je regagnai doucement ma chambre et m’endormis profondément.

Au matin, vous ne pouvez pas vous faire une idée des cris remplissant la maison. La cuisinière, dans un langage malveillant, trivial et tumultueux, annonçait à tous, la fuite de Ferdinand.

– Madame ! Madame ! Ferdinand qui a fichu le camp !

Cinq minutes après, une nouvelle découverte la jeta hors d’elle-même :

– Madame ! Madame ! Imaginez-vous qu’avant de partir, ce cochon-là a boulotté tous les petits pois qu’on devait lui mettre avec !

Je reconnaissais bien, à ce trait, mon vieux Ferdinand.

Qu’a-t-il pu devenir, par la suite ?

Peut-être a-t-il appliqué au mal les merveilleuses facultés dont la nature, alma parens, s’était plu à le gratifier.

Qu’importe ? Le souvenir de Ferdinand me restera toujours comme celui d’un rude lapin.

Et à vous aussi, j’espère !

Partie 3 - MŒURS DE CE TEMPS-CI

À la fois très travailleur et très bohème, il partage son temps entre l’atelier et la brasserie, entre son vaste atelier du boulevard Clichy et les gais cabarets de Montmartre.

Aussi sa mondanité est-elle restée des plus embryonnaires.

Dernièrement, il a eu un portrait à faire, le portrait d’une dame, d’une bien grande dame, une haute baronne de la finance doublée d’une Parisienne exquise.

Et il s’en est admirablement tiré.

Elle est venue sur la toile comme elle est dans la vie, c’est-à-dire charmante et savoureuse avec ce je ne sais quoi d’éperdu.

Au prochain Salon, après avoir consulté un décevant livret, chacun murmurera, un peu troublé : « Je voudrais bien savoir quelle est cette baronne. »

Et elle a été si contente de son portrait qu’elle a donné en l’honneur de son peintre un dîner, un grand dîner.

Au commencement du repas, il a bien été un peu gêné dans sa redingote inaccoutumée, mais il s’est remis peu à peu.

Au dessert, s’il avait eu sa pipe, sa bonne pipe, il aurait été tout fait heureux.

On a servi le café dans la serre, une merveille de serre où l’industrie le l’Orient semble avoir donné rendez-vous à la nature des Tropiques.

Il est tout à fait à son aise maintenant, et il lâche les brides à ses plus joyeux paradoxes que les convives écoutent gravement, avec un rien d’ahurissement.

Puis tout en causant, pendant que la baronne remplit son verre d’un infiniment vieux cognac, il saisit les soucoupes de ses voisins et les dispose en pile devant lui.

Et comme la baronne contemple ce manège, non sans étonnement, il lui dit, très gracieux :

– Laissez, baronne, c’est ma tournée.

Partie 4 - EN BORDÉE

Le jeune et brillant maréchal des logis d’artillerie Raoul de Montcocasse est radieux. On vient de le charger d’une mission qui, tout en flattant son amour-propre de sous-officier, lui assure pour le lendemain une de ces bonnes journées qui comptent dans l’existence d’un canonnier.

Il s’agit d’aller à Saint-Cloud avec trois hommes prendre possession d’une pièce d’artillerie et de la ramener au fort de Vincennes.

Rassurez-vous, lecteurs pitoyables, cette histoire se passe en temps de paix et, durant toute cette page, notre ami Raoul ne courra pas de sérieux dangers.

Dès l’aube, tout le monde était prêt, et la petite cavalcade se mettait en route. Un temps superbe !

– Jolie journée ! fit Raoul en caressant l’encolure de son cheval.

En disant jolie journée, Raoul ne croyait pas si bien dire, car pour une jolie journée, ce fut une jolie journée.

On arriva à Saint-Cloud sans encombre, mais avec un appétit ! Un appétit d’artilleur qui rêve que ses obus sont en mortadelle !

Très en fonds ce jour-là, Raoul offrit à ses hommes un plantureux déjeuner à la Caboche verte. Tout en fumant un bon cigare, on prit un bon café et un bon pousse-café, suivi lui-même de quelques autres bons pousse-café, et on était très rouge quand on songea à se faire livrer la pièce en question.

– Ne nous mettons pas en retard, remarqua Raoul.

Je crois avoir observé plus haut qu’il faisait une jolie journée ; or une jolie journée ne va pas sans un peu de chaleur, et la chaleur est bien connue pour donner soif à la troupe en général, et particulièrement à l’artillerie, qui est une arme d’élite.

Heureusement, la Providence, qui veille à tout, a saupoudré les bords de la Seine d’un nombre appréciable de joyeux mastroquets, humecteurs jamais las des gosiers desséchés.

Raoul et ses hommes absorbèrent des flots de ce petit argenteuil qui vous évoque bien mieux l’idée du saphir que du rubis, et qui vous entre dans l’estomac comme un tire-bouchon.

On arrivait aux fortifications.

– Pas de blagues, maintenant ! commande Montcocasse plein de dignité, nous voilà en ville.

Et les artilleurs, subitement envahis par le sentiment du devoir, s’appliquèrent à prendre des attitudes décoratives, en rapport avec la mission qu’ils accomplissaient.

Le canon lui-même, une bonne pièce de Bange de 90, sembla redoubler de gravité.

À la hauteur du pont Royal, Raoul se souvint qu’il avait tout près, dans le faubourg Saint-germain, une brave tante qu’il avait désolée par ses jeunes débordements.

– C’est le moment, se dit-il, de lui montrer que je suis arrivé à quelque chose.

Au grand galop, avec l’épouvantable tumulte de bronze sur les pavés de la rue de l’Université, on arriva devant le vieil hôtel de la douairière de Montcocasse.

Tout le monde était aux fenêtres, la douairière comme les autres.

Raoul fit caracoler son cheval, mit le sabre au clair, et, saisissant son képi comme il eût fait de quelque feutre empanaché, il salua sa tante ahurie – tels les preux, sans ancêtres – et disparut, lui, ses hommes et son canon, comme en rêve.

La petite troupe, toujours au galop, enfila la rue de Vaugirard, et l’on se trouva bientôt à l’Odéon.

Justement, il y avait un encombrement. Un omnibus Panthéon – Place Courcelles jonchait le sol, un essieu brisé.

Toutes les petites femmes de la Brasserie Médicis étaient sur la porte, ravies de l’accident.

Raoul, qui avait été l’un de leurs meilleurs clients, fut reconnu tout de suite :

– Raoul ! ohé Raoul ! Descends donc de ton cheval, hé feignant !

Sans être pour cela un feignant, Raoul descendit de son cheval, et ne crut pas devoir passer si près du Médicis sans offrir une tournée à ces dames.

Avec la solidarité charmante des dames du Quartier latin, Nana conseilla fortement à Raoul d’aller voir Camille, au Furet. Ça lui ferait bien plaisir.

Effectivement, cela fit grand plaisir à Camille de voir son ami Raoul en si bel attirail.

– Va donc dire bonjour à Palmyre, au Coucou. Ça lui fera bien plaisir.

On alla dire bonjour à Palmyre, laquelle envoya Raoul dire bonjour à Renée, au Pantagruel.

Docile et tapageur, le bon canon suivait l’orgie, l’air un peu étonné du rôle insolite qu’on le forçait à jouer.

Les petites femmes se faisaient expliquer le mécanisme de l’engin meurtrier, et même Blanche, du D’Harcourt, eut à ce propos une réflexion que devraient bien méditer les monarques belliqueux :

– Faut-il que les hommes soient bêtes de fabriquer des machines comme ça, pour se tuer… comme si on ne claquait pas assez vite tout seul !

De bocks en fines champagnes, de fines champagnes en absinthes anisettes, d’absinthes en bitters, on arriva tout doucement à sept heures du soir.

Il était trop tard pour rentrer. On dîna au Quartier latin, et on y passa la soirée.

Les sergents de ville commençaient à s’inquiéter de ce bruyant canon et de ces chevaux fumants qu’on rencontrait dans toutes les rues à des allures inquiétantes.

Mais que voulez-vous que la police fasse contre l’artillerie ?

Au petit jour, Raoul, ses hommes et son canon faisaient une entrée modeste dans le fort de Vincennes.

Au risque d’affliger le lecteur sensible, j’ajouterai que le pauvre Raoul fut cassé de son grade et condamné à quelques semaines de prison.

À la suite de cette aventure, complètement dégoûté de l’artillerie, il obtint de passer dans un régiment de spahis, dont il devint tout de suite le plus brillant ornement.