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Quand Hanna, 25 ans, reçoit une lettre de son père présumé mort, elle est catapultée dans un tourbillon de secrets de famille. Élevée par sa nourrice adoptive, elle doit maintenant affronter un passé mystérieux. Stéphanie, toujours commissaire, est tourmentée par une affaire non résolue et des insomnies implacables. Sa quête de justice est devenue un fardeau pesant sur son âme. De son côté, Thomas porte les cicatrices d'un affrontement avec une organisation sinistre, luttant pour trouver sa place dans un monde qui semble l'avoir abandonné. Leurs chemins vont s'entrecroiser alors qu'ils se démènent pour découvrir des vérités enfouies. Parviendront-ils à surmonter leurs démons personnels et ainsi restaurer l'esprit chaleureux de cette belle qu'est Boulogne-Billancourt ? À travers la quête haletante pour démanteler cette organisation criminelle ténébreuse, cette histoire entrelace des destins et révèle des forces insoupçonnées en chacun de ses protagonistes.
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Seitenzahl: 552
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Un grandissime merci à
Taniasans qui ces livres
ne seraient pas ce qu'ils sont.
Également, un grand merci à mes sources
d'inspirations, Gaëlle, Louise, ainsi que toutes
les personnes qui ont crues en moi et qui m'ont
permis page après page d'écrire ces romans.
HANNA — IL Y A VINGT AN
STÉPHANIE — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
HANNA — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
THOMAS — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 1, EN DÉBUT D'APRÈS-MIDI
HANNA — JOUR 1, AU MÊME MOMENT
THOMAS — JOUR 1, MILIEU DE L'APRÈS-MIDI
STÉPHANIE — JOUR 1, PLUS TARD DANS LA SOIRÉE
HANNA — JOUR 2, TÔT AVANT LE RÉVEIL
THOMAS — JOUR 2, QUELQUES HEURES PLUS TÔT
STÉPHANIE — JOUR 2, DES MINUTES PLUS TARD
HANNA — JOUR 2, UNE HEURE PLUS TÔT
THOMAS — JOUR 2, PLUS TARD DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 2, AU MÊME MOMENT
HANNA — JOUR 2, QUINZE MINUTES PLUS TÔT
STÉPHANIE — JOUR 2, UN PEU PLUS TARD
THOMAS— JOUR 3, EXCESSIVEMENT TÔT
HANNA — JOUR 3, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 3, À L'HEURE DU DÉJEUNER
THOMAS — JOUR 3, FIN DE MATINÉE
HANNA— JOUR 3, AU MÊME MOMENT
STÉPHANIE — JOUR 3, 3/4 D'HEURE PLUS TÔT
THOMAS — JOUR 3, DIX MINUTES PLUS TÔT
HANNA — JOUR 3, DANS LE PRÉSENT
STÉPHANIE — JOUR 3, UN PEU PLUS TARD
THOMAS — JOUR 3, EN MILIEU D'APRÈS-MIDI
HANNA — JOUR 3, PLUS TÔT DANS LA SOIRÉE
STÉPHANIE — JOUR 3, AVANT L'AUBE
THOMAS — JOUR 4, AU MÊME MOMENT
HANNA — JOUR 4, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 4, QUELQUES HEURES PLUS TÔT
HANNA — JOUR 4, DE RETOUR DANS LE PRÉSENT
THOMAS — JOUR 4, AU MÊME INSTANT
HANNA — JOUR 4, AU MÊME MOMENT
STÉPHANIE — QUELQUES MOIS PLUS TARD
ÉTÉ 2022
Je ne pense pas avoir été gâtée par la nature dans le sens le plus strict de cette expression. D'accord, je suis plutôt belle, non même superbe. Les garçons n'arrêtent pas de me le répéter alors ça doit être vrai.
D'accord, je fais des études à un niveau exigeant. Alors, on pourrait également me décrire comme une personne cultivée ou bien dotée d'une intelligence supérieure à la moyenne.
Non, j'entends par " ne pas être gâtée par la nature ", que depuis mon plus jeune âge, d'aussi loin que je me souvienne, mes amis les plus proches ainsi que mon entourage aiment me surnommer " le petit chat noir ". Comme quoi, j'attirerais autour de moi le mauvais œil. Qu'il m'arriverait dans ma vie autant de mauvaises surprises que l'accumulation des problèmes d'une centaine de personnes dans leur vie !
Cette expression, dites par une quantité de connaissances impressionnantes, au moins une fois par an, et connues par tous, tirerait ses origines de l'Égypte ancienne. Et, contrairement à ce que les personnes pensent connaître, non, le chat noir à sa base est loin d'être un mauvais présage.
À l'époque, ils étaient vénérés, pris pour un signe divin. Il présageait de bonnes années de récoltes. Il était respecté, choyé et même momifié tel un être humain dans les plus hautes sphères de ses sociétés d'antan.
Oui, il était respecté. Alors, j'ignore ce qui a merdé ces derniers milliers d'années pour que cela change, mais je confirme qu'à ce jour, ce n'est plus du tout le cas. Le chat noir aimé, adulé d'une époque lointaine, redevient au fil du temps un chat noire bien solitaire.
L'inconnu, la crainte et l'incompréhension ont toujours été effrayants pour l'homme. Alors, quoi de plus simple que de délaisser ses lestes plus que gênants. J'en étais un, toute ma vie. Un poids lourd à porter pour tous mes amis, qui m'ont lâchement abandonnée au fil du temps.
Ce n'est pas grave. Aujourd'hui et grâce à mon vécu, je me suis forgée un caractère en acier et les dernières personnes que je considère être mes vrais amis, le sont uniquement parce que je les ai choisies.
Le vrai problème sur lequel je dois encore travailler sur moi, reste que je peine à donner ma confiance aux autres. Beaucoup de mal.
Hier encore, je me pensais prête à franchir cette ligne d'arrivée, que je pensais si loin. Faire confiance aveuglément à quelqu'un…
À vingt-cinq ans et après tout un tas d'emmerdes, je pensais réellement pouvoir renaître. Mettre de côté mon passé, qui m'a offert ma maturité à un âge ouù les jeunes filles jouent davantage aux Barbie plutôt que de passer des journées entières dans un tribunal pour enfant. J'étais à deux doigts d'y arriver bordel !
Je pensais y parvenir, mais c'était sans compter cette putain de lettre qui m'est parvenue cette nuit et qui me ronge à petit feu. Cette maudite lettre qui me fait rappeler cette journée, en plein été de l'année 2002. J'avais à peine cinq ans, mais je m'en souviens comme si c'était hier.
Après avoir passé une matinée au top ce samedi avec mes parents, Lucie pour ma mère et Alexis pour mon père, afin qu'il n'y ait pas de quiproquo, ils ont décidé de m'emmener manger dans mon restaurant préféré.
— Bon, qui a envie de déguster un bon morceau de viande ? Je meurs de faim, disait mon père d'une manière à me faire rigoler en me faisant une grimace.
— OUI ! lui répondis-je sur le champ en me léchant les lèvres, mourant certainement de faim.
— Allez, ma chérie, tu ranges tes jouets et tu vas t'habiller. Tu n'as plus besoin de moi. On t'attend, me dit ma mère de sa voix apaisante et douce qui continue de résonner en moi.
Peu de temps après, nous arrivions proche de l'entrée de ce restaurant. Rien qu'en y repensant, l'odeur forte de la viande grillée et de la friture, des frites cuites au poil me reviennent dans les narines. Elles me font remonter un sourire jusqu'au nez, que je parviens difficilement à faire ressortir de moi ces derniers temps.
— Bonjour, combien êtes-vous ? demandait le serveur pour nous placer.
— Trois, comme à chaque fois, lui répondis-je de ma petite tonalité. Vous pouvez nous mettre à la place que je préfère monsieur, s'il vous plaît ?
— Mais, oui, bien sûr ma petite. Je vous reconnais bien depuis le temps que vous venez. Je te faisais marcher. Suivez-moi, je vous prie, ajoutait le serveur très gentil.
Quelques minutes plus tard, nous avions tous commandé et moi, je me retrouvais face à mes parents, sur cette table reculée au fond du restaurant, sur des sièges rembourrés rouges bien confortables que j'adorais.
Pour nous faire patienter, on nous amenait cette petite salade bourrée de vinaigrette en guise d'entrée, mais je n'en voulais jamais. Ce que j'attendais avec impatience était toujours mon petit steak haché bien tendre et bien bleu, avec la sauce barbecue pour me régaler.
Seulement ma mère, n'était pas du même avis que moi. Je dois aussi admettre qu'à cinq ans, j'étais une petite peste, bien que d'apparence je devais paraître bien élevée. Elle me forçait donc à manger cette salade bien trop grasse et comme contrepartie, je pouvais manger le reste du repas.
Je tirais une tête de dix pieds de long alors que je portais jusqu'à ma bouche toutes ces feuilles de salade et de grains de maïs imbibés de sauce. Je me vois bien faire des grimaces affreuses, je devais être horrible.
Aujourd'hui, en repensant à ces moments, une forme de nostalgie remonte en moi. J'en ai gardé longtemps de mauvais souvenirs de cette salade. À présent, je la vois comme un obstacle largement franchissable à mon désir.
Tout ne doit pas nous être dû trop facilement dans la vie. Cela crée un sentiment de facilité et de leurre difficile à se détacher lorsqu'on grandit.
La vie est loin d'être un long fleuve tranquille et cette salade était pour moi un avant-goût de ce que j'allais vivre. C'est drôle de me dire qu'une simple entrée que je ne voulais pas manger, me permet de relativiser et d'avoir le sens du mérite et du sacrifice aujourd'hui.
Après nous être régalés, nous avons fait dans cette belle ville qu'est Boulogne BILLANCOURT, une petite promenade sur les bords de Seine pour digérer tranquillement. Un fleuve que je trouvais apaisant petite.
Une ambiance calme, sereine et harmonieuse régnait au sein de notre petit cocon familial alors que nous gambadions.
Ma mère me tenait la main gauche et mon père la main droite, à travers ces rangées d'arbres linéaires et ces parfums de fleurs et de verdure procurés par la rosée du matin qui durait jusqu’au début de l’après-midi. Comme ces moments me manquent.
— Tu as bien mangé, ma petite avoine ?
Mon père avait cette capacité à donner des surnoms ridicules. Le mien, si je ne me trompe pas, provenait d'une matinée de mes trois ans, lorsque ma mère avait tenté de me faire boire du lait d'avoine et que j'avais détesté ça !
J'avais dû faire une grimace hilarante puisque après ça, ils ne pouvaient plus se passer de m'appeler de cette manière : " Leur petite avoine ".
Je souriais et j'avais les pupilles totalement dilatées tant j'étais épanouie de les voir. C'était mignon et j'aimais lorsque j'avais un peu d'attention de leur part.
— OUI ! C'était super bon, merci, merci, merci.
— Tu veux faire quoi cette après-midi ? Tu as une envie particulière ? me demanda mon père avant que ma mère ne réplique.
Dans la foulée, il y a eu un échange dont je ne comprenais pas réellement le sens. Alors, je les ai simplement laissés finir de parler entre eux. À mes yeux, ce n'était pas une dispute, mais avec du recul, il existait une légère tension dans l'air.
— Mon chéri, tu sais parfaitement ce qu'elle va nous demander.
— Rho, oui, je sais. Laisse-lui une chance. Elle doit grandir plus vite que les autres, chérie.
— D'accord, de toute façon il y a toujours de bonnes excuses, répondit ma mère à mon père en haussant les sourcils.
— Petite avoine, tu veux faire quoi ?
Je ne les voyais pas beaucoup durant la semaine. Je n'avais aucune idée du métier qu'ils faisaient et bon, vu l'âge que j'avais, il était normal que je ne me pose pas encore ce genre de question.
Ils étaient absents du lundi au vendredi et moi, je n'attendais qu'une chose : les revoir. Soit avec beaucoup de chance le vendredi en fin de soirée, aux alentours de 22 heures, soit le samedi matin à mon réveil.
Alors, forcément, dès que nous étions tous les trois ensemble et dès que j'ai pu commencer à parler, ils me demandaient tout naturellement ce que j'avais envie de faire avec eux.
Pour être certains que le peu de temps que j'allais passer en leur compagnie serait appréciable. Cette conclusion, c'est ce que j'en déduis après des années à me torturer le cerveau.
Mais je ne peux pas m'empêcher de penser, après m'être remémoré cette scène, qu'ils avaient connaissance de ce qui allait suivre. Je leur répondis alors du tac au tac.
— On peut aller au parc, s'il vous plaît ?
— On y est déjà allé la semaine dernière et la semaine d'avant. Tu es sûre que tu ne veux pas changer ma puce ? m'interrogeait ma mère à côté de mon père qui buvait simplement mes paroles.
— Mais moi, j'aime aller au parc avec vous.
— Alors, on va au parc, conclut mon père en observant sa femme intensément d'un regard que je qualifierais aujourd'hui de noir. Mon amour, ne cherche pas à la faire changer d'avis. Elle a choisi.
— Ok, Alexis. Mais, je suis sa mère quand même, je ne veux pas qu'elle l'oublie ! J’ai aussi mon mot à dire.
— Tu ne vas pas recommencer. Tu le sais, je le sais, la discussion est close. Allez petite avoine, tu nous montres le chemin, je suis certain qu'à force tu arrives à te repérer dans cette grande ville.
— Oui, suivez-moi. C'est tout droit, mais on doit prendre le prochain passage piéton pour traverser.
— Allez, on te suit, conclut mon père en me reprenant la main et en la serrant, comme si j'étais sur le point de m'échapper.
J'étais la plus heureuse des petites filles. Certes, durant la semaine j'étais élevée par une nounou, que j'ai fini par considérer comme une seconde maman, Estelle, pourtant je ne manquais de rien.
Mes parents étaient toujours aux petits soins, ils avaient peur, je pense, que je manque de quoi que ce soit.
Avec du recul, ils devaient tous deux regretter la vie qu'ils avaient choisie et auraient préféré être avec moi plus souvent. Au vu des discussions de ce début de journée, j'aime penser cela.
Nous arrivions alors à cette entrée du parc de ma belle ville, qui n'était qu'à deux pas des bords de Seine, où nous nous promenions.
J'y avais mon petit jardin secret. Car, en réalité, j'y allais en cachette avec ma nounou très régulièrement pour me sociabiliser. De mes souvenirs, mes parents n'en savaient rien et ils ne parlaient pas beaucoup avec Estelle à mon sujet.
C'est là-bas d'ailleurs que j'ai fait la rencontre de Guillaume, qui sera certainement pour le reste de ma vie, celui que je considérerai le plus, comme un membre de ma famille. Le sang ne signifie plus rien à mes yeux.
— C'est fou comme l'herbe peut pousser en quelques jours.
— On est en été et il a beaucoup plu, papa, c'est normal que l'herbe pousse vite.
— Tu es certaine d'avoir cinq ans, toi ? me demanda-t-il en fronçant les sourcils tout en me fixant droit dans les yeux.
— Mais oui, j'ai cinq ans. Tu n'as pas oublié ma date d'anniversaire quand même ?
— Non, petite avoine, je te taquine.
Ce parc était et est encore aujourd'hui, probablement magnifique. Un espace vert resplendissant. Des fleurs de toutes les couleurs, des arbres de toutes les formes et de toutes les hauteurs, je ne savais pas où donner de la tête.
Dès mon plus jeune âge, j'étais émerveillée par la nature et ce qu'elle peut nous offrir. Cet endroit, avec mes parents, le soleil d'été haut dans le ciel et le bruit des autres enfants autour de moi, apaisait mon esprit enfantin.
Dans ces moments, j'oubliais le manque que me procurait l'absence de mes parents les derniers jours et je profitais alors pleinement de leur présence. Je ne pensais qu'au présent et petite, forcément, ça me convenait.
— Tiens, il y a ton ami, là-bas, Hanna, me dit ma mère alors que nous continuions de nous approcher du centre de ce grand espace verdoyant.
— GUILLAUME ! crié-je de joie quelques secondes plus tard, après l'avoir enfin aperçu.
— Hanna, tu n'es pas seule, évite de crier, me dicta ma mère, parvenant à calmer mon excitation en une seconde.
— Excuse-moi maman, je ne crierai plus. C’est promis.
Nous étions arrivés au petit portillon du beau parc de jeu pour enfants qui me permettait en une petite heure de brûler toute mon énergie vitale et de mieux dormir le soir.
Entre les toboggans, les petits parcours en bois pour sauter, se soutenir, grimper et ramper, sans oublier les bacs à sable que je trouvais gigantesques, je ne savais pas par où commencer. Je me rappelle m'être retournée vers mes parents pour leur poser la question habituelle.
— Vous venez avec moi ?
— On te rejoindra dans quelques instants, maman et papa doivent discuter. Va profiter de ton petit ami.
— Promis ? demandé-je en tendant vers eux mon petit doigt.
— Oui c'est promis, me répondirent-ils en chœur avant d'amener leur petit doigt vers le mien comme un signe immuable de leur parole.
J'étais loin d'être timide lorsque j'étais plus jeune. Ce défaut, car oui, je considère la timidité comme une imperfection, est arrivé bien plus tard, vers le début de mon adolescence.
Alors, ça ne me dérangeait pas de les quitter quelques instants pour traverser cette aire de jeu qui ne manquait de rien. À circuler entre les corps immobiles des adultes qui me séparaient de mon ami. De les pousser s'ils ne me laissaient pas passer.
En somme, j'étais une grande gueule, bien élevée, mais je me le dis et le répète, je devais être une petite peste de princesse gâtée aux yeux des inconnus.
Les minutes d'attente pour que mes parents me rejoignent dans le bac à sable dans lequel nous avions fini avec Guillaume se sont transformées en un tour complet de l'aiguille d'une horloge. Je m'en veux, je ne voyais pas le temps passer quand je m'amusais. J'aurais dû m'en préoccuper avant.
— Je reviens, Guillaume, ne bouge pas d'accord ? Je vais chercher mes parents.
— Je peux venir avec toi ?
— D'accord, viens.
Nous nous sommes tous deux levés, avec du sable plein les mains, plein les poches de nos pantalons, sans oublier l'intérieur de nos chaussures qui nous démangeait à chaque pas que nous faisions.
Ces quelques secondes qui suivirent me paraissaient être des heures dans mes cauchemars. Il devait être 16 heures et le parc devenait bondé de monde. L'aire de jeu également.
Alors, nous avancions, pas après pas, à travers ces corps immobiles de grandes personnes qui discutaient entre elles tout en cherchant mes parents dans la foule.
— Tu vois mes parents, Guillaume ?
— Non, je ne les vois pas.
Je commençais à m'inquiéter, je ressentais ce que jamais auparavant, je n'avais dû ressentir. Mon pouls s'accélérait, les brises de vent me faisaient trembler, mes yeux s'affolaient de gauche à droite dans l'espoir de les retrouver, mais ils n'étaient nulle part.
Je sentais une larme couler délicatement tout le long de ma joue car je devais comprendre dans l'instant ce qui était sur le point de devenir ma nouvelle vie.
— Hanna, pourquoi tu pleures ? Ne t'inquiète pas, je vais parler à mon papa. On va les retrouver.
Alors que Guillaume s'éloignait de moi, tout devenait noir. Mon corps était inerte. Je ne ressentais plus rien. Je ne pleurais plus, je ne tremblais plus, mon pouls s'était calmé et ma respiration devenait de plus en plus lente. J'avais compris. J'étais devenue orpheline d'une minute à l'autre. Et, sans vraiment en comprendre la raison, même aujourd'hui, je l'avais accepté aussitôt.
Je maudis cette lettre qui me rappelle ces souvenirs que j'étais presque parvenue à enterrer. Le passé finit toujours par nous rattraper.
Quoi que l'on fasse, où que l'on aille, pour tenter de lui échapper. Il surgira à nouveau pour tenter une fois de plus de nous faire sombrer plus bas que terre. L'important est de savoir se relever, toujours.
VINGT ANS PLUS TARD
Chaque matin, depuis que je suis commissaire à temps plein, je me regarde avec beaucoup d'attention dans le grand miroir de notre salle de bain.
Je scrute mon corps à la recherche d'un signe de vieillissement prématuré et y trouve régulièrement de quoi m'alarmer. Je ne faisais pas cela avant. Avant d'avoir un partenaire et autant de regards fixés sur moi au sein du commissariat.
— Je suis laide.
— Arrête de dire des bêtises, tu es magnifique.
— Mais non, regarde ça. J'ai des vergetures qui apparaissent sur les cuisses depuis plusieurs mois. J'ai des cheveux blancs qui se multiplient alors qu'il y a un an à peine, je n'en avais pas. Et mon ventre. J'ai pris des kilos depuis que je suis avec toi, ça ne va pas ! Tu n'auras plus envie de me toucher si ça continue.
— Ah ça y est, c'est ma faute maintenant ?
— Je t'ai eu ! Tu viens de confirmer que j'avais pris du poids.
— Et tu aimerais que je te mente, Stéphanie ? Tu le dis toi-même, tu en as pris. Tu montes sur la balance plusieurs fois par jour en me répétant à longueur de journée que tu prends plusieurs centaines de grammes par semaine. Oui, tu as pris du poids, oui, tu vieillis, mais tu restes et resteras toujours à mes yeux celle pour qui j'ai tiré une croix sur mon ancienne vie.
— Comment tu fais pour me supporter, Thomas ?
— Je n'ai pas besoin de te supporter. Je t'accepte telle que tu es et ça me convient. Je ne suis pas facile non plus. Tu as dû m'aider à traverser de nombreuses épreuves depuis que nous sommes ensemble, je te rappelle.
— Tu parles de la balle cette fois-ci, pas de mon caractère ?
— Oui. Elle me fait toujours un mal de chien et je m'en plains assez souvent. J'en ai conscience et pourtant tu ne me fais aucun reproche.
— Pourquoi je t'en ferai ? Je n'ai jamais reçu de balle encore et surtout, tu as le droit de te plaindre autant que moi, ça n'a rien à voir. Ta situation par rapport à la mienne est bien plus grave.
— Elle est différente oui, comme la mentalité de tout un chacun. Si tu estimes que tu dois t'inquiéter pour ton corps, c'est que tu ressens le besoin de t'en soucier. Je ne dois pas faire partie de ton équation.
Nous sommes tous les deux dans cette salle de bain bien trop grande qui jouxte notre chambre conjugale. Celle dans laquelle nous n'avons toujours pas réussi à laisser notre empreinte.
Nous nous observons dans le blanc des yeux comme nous le faisons très régulièrement avant de partir au travail. Comme si chaque matinée était précieuse et potentiellement la dernière côte à côte.
Après les récents événements, nous avons décidé d'un commun accord que le lieu de travail n'était bon que pour le travail et que l'amour n'y avait pas sa place.
Cela a failli me porter préjudice lorsque Thomas a disparu lors de la dernière enquête tumultueuse de l'année dernière. Celle-là même où je le croyais mort avant qu'il ne réapparaisse par miracle. L'affaire du balcon !
Une balle enfoncée profondément dans sa cage thoracique qu'aucun chirurgien jusqu'à aujourd'hui n'a jugé bon de retirer, de crainte que cela ne lui fasse plus de mal que de bien.
Il a pu reprendre le travail après une longue convalescence de six mois environ et depuis ce jour, nous n'avons plus collaboré. Il mène ses enquêtes et ses objectifs de la journée de son côté avec son équipe.
Quant à moi, je fais mon travail de commissaire, un travail usant et à responsabilité qui me permet d'oublier, pendant le service, que mon fiancé peut passer de vie à trépas d'une minute à l'autre.
Je n'arrive pas à savoir ce qui est le pire pour lui à vivre. S'être rendu compte que son ami et collègue, Francis, avait voulu en toute connaissance de cause l'envoyer à l'abattoir avant de se remettre en question et de donner sa vie pour le sauver.
Ou bien avoir cette balle coincée entre le foie et son poumon droit, qui se déplace de quelques millimètres chaque mois et qui pourrait le tuer à n'importe quel moment.
Je me remets en question alors qu'il continue de me fixer avec son regard rempli d'amour. Je me plains de mon corps tandis que lui a littéralement un compte à rebours au-dessus de sa tête, sans qu'il puisse y remédier. Moi, je le peux, alors il serait temps que je me remette à bouger.
— Tu as raison d'être franc. Je vais me remettre au sport.
— Si tu penses que ça peut te faire du bien, fonce. Tu ne m'en voudras pas, mais je ne pourrai pas te suivre.
— Tu es bête quand tu le veux. Allez, viens dans mes bras.
Ça y est, nous nous sommes enfin fiancés. J'ai pris la décision de lui demander sa main, à la fin de sa convalescence, il y a peu de temps, après avoir finalement compris à quel point la vie est si courte et si insignifiante.
Il a dit oui avant même que je ne mette un genou au sol, en me rétorquant qu'il s'apprêtait également à le faire. Cette soirée fut douce et est parvenue à me faire oublier les soucis que nous rencontrons dans la ville depuis cette dernière grosse enquête et qui m'empêchent la plupart des nuits de dormir correctement. Je ne l'ai pas encore dit à Thomas, mais je souffre d'insomnie ces derniers temps.
Je respire profondément pour calmer mes nerfs et profiter pleinement de cet instant avec lui. J'approche mon visage de son cou pour lui faire un baiser et sentir son odeur qui est devenue pour moi une drogue, mais il s'écarte de moi.
— Non, je nous connais. On va être en retard si l'on continue sur cette voie-là, Stéph. Finis de t'habiller.
— Tu as raison, on continuera ce soir.
— Tu arrives à prévoir nos soirées torrides à l'avance, maintenant ?
— Bah oui. Ose me dire le contraire ?
— D'accord, tu as raison.
Je souris, me mords légèrement les lèvres alors qu'il se retourne pour aller enfiler ses chaussettes sur notre lit, comme il aime le faire.
Ma tête est déjà focalisée sur notre future soirée. Il faut que je chasse cette pensée immédiatement, sinon je serai contreproductive toute la journée. Alors, à travers les deux pièces, je poursuis notre conversation rituelle du matin qui parviendra à diminuer mes ardeurs.
— Tu as prévu quoi sur ton agenda aujourd'hui ?
— Laisse-moi réfléchir. Pour l'instant pas grand-chose, sauf quelques dépositions. Nous devons aussi faire escorte pour un patient gravement malade de l'hôpital en début d'après-midi et le reste, ce seront des surprises, comme chaque journée. C'est pour ça que l'on aime notre métier, non ? Et, de ton côté, ça avance un peu ?
— Oui, même si je procrastine. Je suis toujours sur le dossier de l'ancien commissaire. Ça commence sérieusement à me fatiguer. Je n'en vois pas le bout. J'ai l'impression que ça n'avance pas. Il a fait tellement de dégâts dans notre ville, dis-je en sentant mon agacement monter.
— Oui, je sais, mais crois au karma. Je te promets que l'on va finir par l'avoir. Tu ne vas pas passer le reste de ta carrière à corriger ses erreurs.
— J'espère, sinon je démissionne. Même si je ne travaille sur ça qu'une poignée d'heures par jour, ce n'est pas très passionnant. Je préfère de loin les enquêtes, l'air frais et l'inattendu. Je suis en manque d'adrénaline, Thomas.
— Je comprends. Le choix ne tient qu'à toi. En parlant d'inattendu, Madame ROSALINE, aurais-tu enfin annoncé la bonne nouvelle à ta mère ?
— Non.
— Tu attends qu'elle aille mieux pour lui dire ? Ou que le mariage soit passé ?
— Ne commence pas à être sarcastique avec moi, Thomas. Tu sais aussi bien que moi que ça ne marche pas. Je lui dirai quand j'estimerai que c'est le moment de lui en parler.
Les préparatifs pour notre mariage avancent à grands pas. Nous avons décidé de la date, ce sera sûrement au printemps prochain. J'aime quand les fleurs reviennent. La végétation luxuriante reprend le dessus sur la saison morte et surtout, il y a une température extérieure convenable.
Nous avons pensé à un petit comité. Nous serons une cinquantaine en tout et pour tout. Et pour le thème, même si là, j'ai posé mon véto et il n'a pas à y revenir. C'est quand même moi qui ai posé le genou au sol en première, enfin presque !
— Eh, calme-toi. Je voulais juste savoir ce qu'il en était, tu ne m'en parles plus depuis un bon moment. Il faut bien que je te demande, non ?
— Je me suis peut-être un peu emportée, excuse-moi. Le sujet de ma mère est…
— Sensible, oui, j'en suis conscient. Mais tu as tendance à oublier que je suis là pour toi, si tu ressens le besoin d'en parler. Je n'aime pas être mis à l'écart.
— Cette fois-ci, tu as raison. Je lui dirai que nous nous marions cette semaine, je te le promets.
— Ce n'est pas à moi que tu dois faire une promesse, mais à toi-même. Cela ne concerne que toi et uniquement toi.
Cela me fait aussi drôle qu'angoissant de penser à notre mariage. Déjà que je ne me voyais pas prendre autant soin de moi, il y a une année à peine, alors me voir en tenue de mariée, c'était inimaginable.
Par ailleurs, à ce sujet, je n'y avais jamais pensé. Ce n'était déjà pas pour moi plus jeune et jusqu'à ce que je sois en couple avec Thomas. J'étais sûrement trop focalisée sur la disparition de ma sœur, qui m'a coûté mes meilleures années de jeunesse.
Comme quoi la vie est remplie de surprises, il faut simplement y croire. Seulement, dès que je revois une légère lueur au bout du tunnel dans mon existence, cette même vie me rappelle à l'ordre.
Ma mère est effectivement devenue un sujet sensible. Très sensible. Nous avons appris il y a quelque temps qu'elle était atteinte d'un Alzheimer précoce. Depuis quelques jours, elle me parle de ses premiers amours et semble avoir oublié l'existence de mon père le temps de ses phases.
Et, lorsqu'elle reprend connaissance, qu'elle se remémore sa vie antérieure, son homme dont je ne me souviens que de très vagues souvenirs, ainsi que de ses deux filles, je vois dans son regard qu'elle se meurt à petit feu. Le rappel constant de la mort de ma sœur l'a tuée il y a bien longtemps.
Alors, dans ses rares moments de lucidité, je n'arrive pas à trouver le courage de lui annoncer les bonnes nouvelles. J'ignore la raison. Peut-être ai-je peur qu'elle ne s'en souvienne déjà plus le lendemain, où qu'elle se morfonde dans ses propres souvenirs. Cette maladie héréditaire dont mon ADN a sûrement été gâté est une vraie teigne. Je finis d'enfiler ma tenue.
— Tu es prêt, Thomas ?
— Oui, depuis au moins deux minutes. Je t'attends.
— Ah. Je me dépêche.
Depuis que j'ai pris ce poste à responsabilité, j'ai l'impression d'avoir changé de fuseau horaire. Le temps passe plus vite qu'avant, sauf quand je suis affalée devant une montagne de paperasse. Et donc, mon cerveau a pris cette très mauvaise habitude de ne plus s'inquiéter des minutes qui s'écoulent. Il doit être 7 heures vingt et je dois prendre mon poste dans dix minutes. On doit se grouiller !
Nous n'avons pas changé notre habitude matinale. Nous continuons chaque matin à nous rendre sur le lieu du travail à pied.
Et, heureusement que je fais cet effort minimum dans la journée, car ayant déjà pris tout un tas de kilos superflus, je n'ose pas imaginer ce qu'il en serait si nous prenions la voiture.
Nous arrivons cinq petites minutes en retard, bien que nous ayons accéléré la cadence pour limiter ce retard. Je savais d'avance que je n'allais pas avoir une seule seconde de répit, une fois ces portes franchies.
Je me retrouve au centre de la grande salle d'accueil depuis quelques cycles de respiration et déjà une armée de regards se braque sur moi. Mon compagnon en prend conscience.
— Allez, je vois que tu vas comme d'habitude être bien occupée. À ce soir, Stéphanie.
— Merci, à ce soir, Thomas, passe une bonne journée. Attends, on se voit ce midi, si je trouve le temps pour manger avec tout le monde.
— Ne me fais pas de fausses promesses ! conclut-il en m'envoyant un regard chaleureux avant de s'évader à travers les longs couloirs.
— Commissaire, bonjour, vous avez une minute à m'accorder s'il vous plaît ?
— Bonjour, Sergent POLIER. Euh… Oui, mais pas immédiatement, revenez me voir dans mon bureau dans une petite demi-heure.
— D'accord, je n'y manquerai pas.
Je suis toujours dans mes pensées vis-à-vis de ce que Thomas vient de me faire remarquer, alors que tous mes collègues me sollicitent. C'est vrai qu'il m'arrive de temps à autre de faire de fausses promesses…
— Commissaire, bonjour. Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? En forme ? Parce qu'il nous faudra pas mal d'énergie dans les heures à venir !
— Bonjour, commandant. Oui et vous ? Je sais, vous me suivez dans mon bureau, que l'on fasse le briefing.
— J'y comptais.
Ne voulant pas perdre plus de temps, nous nous dirigeons vers mon bureau. Cela me laisse un peu de répit pour repenser aux divers changements radicaux effectués ici.
Comme dans la majorité des commissariats de notre beau pays, les rondes de services sont les bienvenues. Et, depuis une année, que je suis passée à la tête de toute la brigade, beaucoup de choses ont évolué sous mes ordres.
À commencer par la répartition mixte des services. J'ignore si l'ancien commissaire l'avait fait consciemment. Cependant, une majorité de femmes se retrouvait coincée aux dépositions rébarbatives et aux contrôles banaux des conducteurs sur les voies publiques.
Alors que les hommes, pourtant plus nombreux, avaient la chance d'éviter les tâches lassantes. Depuis lors, tout le monde touche un peu à tout et comme cela, il n'y a plus aucun jaloux. J'aimerais que tous les collègues des villes avoisinantes, pour commencer, prennent exemple.
Quant au commandant, heureusement, ce n'est plus monsieur Tuiles, alias Alexandre, que personne ne regrette au sein de la brigade. Il a été muté au sein d'une autre brigade, au sud de la France et au même grade.
Je me mords encore les doigts de n'avoir pas pu rassembler assez de preuves contre lui pour qu'il ne puisse plus exercer. Comme me l'a dit Thomas ce matin, je dois croire que le karma existe. Il va bien finir par trouver en face de lui un mur plus haut à franchir que son égo ne peut l'élever.
Alors, j'ai dû embaucher un nouveau titulaire pour ce poste. Je ne voulais pas retrouver chez son successeur, les multiples erreurs d'Alexandre et plus que tout, son sentiment de supériorité qu'il pouvait avoir vis-à-vis de ses autres collègues.
Du pouvoir malsain que lui procurait son haut grade. J'ai donc porté mon dévolu sur un ancien lieutenant, monsieur GILS Alain, dont je n'arrive toujours pas à prononcer son nom correctement. Il a pris la place d'Alexandre peu de temps après toutes ces histoires et je suis ravi par mon choix.
Il vient ironiquement du Sud-est de la France, là où son prédécesseur est allé. Il avait pour habitude de faire ses tournées dans son petit commissariat à flanc de montagne. Il me rabâche à chaque minute des journées qui passent que les paysages lui manquent, mais il reste.
Il porte sur son visage quelques traces d'usure du temps et de périodes difficiles de sa vie. Il a la cinquantaine, il est veuf, il n'a pas d'enfant et surtout, il ne vit que pour son métier et son pays qu'il aime autant que moi.
Quand d'autres lui diraient que la vie ne doit pas être vécue que pour travailler, lui leur répondrait qu'il est né et vit uniquement pour que ces mêmes personnes puissent profiter de la vie en toute sécurité. J'ai réellement apprécié sa philosophie de notre métier, car finalement, elle rejoint la mienne.
Il m'a contacté en premier, après avoir entendu aux informations, et à travers tous les types de médias locaux, toutes les histoires sanglantes qu'a traversées notre ville ces derniers temps. Il avait une voix puissante, digne d'un meneur.
Je l'imaginais aussi costaud que deux armoires à glace. Une pilosité abondante, un visage et une mâchoire carrée proéminente, en somme, je m'étais fait une image de lui : un homme parfait et très viril pour endosser le poste. Surtout, après avoir été déçu à de nombreuses reprises par des prétendus prétendants.
À vrai dire, en le regardant très brièvement pendant que je m'installe sur mon siège et lui sur celui qui me fait face, je peux sans aucun doute dire que…
— Mon cerveau m'a joué des tours.
— Stéphanie, tu m'as parlé ?
— Non, du tout. Je parle dans ma barbe. Alors, je vois bien que tu sembles contrarié Alain, qu'as-tu à me raconter ?
— J'ai encore du mal à tutoyer mon supérieur hiérarchique, Stéphanie. Apparemment, la nuit a été assez calme. Une équipe a ramassé un ivrogne à deux pas du musée de Paul BELMONDO. Il y a eu des appels pour tapages nocturnes, trois si mes souvenirs sont bons et nous avons dû dresser des amendes. Un accident léger a eu lieu entre la rue Yves KARMEN et l'Avenue Emile ZOLA. Rien de grave, aucun blessé dans la seule voiture concernée. Le conducteur, d'une soixantaine d'années, était fatigué et au lieu de faire une pause sur son trajet, une borne incendie l'a fortement incitée à s'arrêter. Voilà, donc un mardi soir tout à fait honorable.
— D'accord, merci. Tu peux me rendre service et dispatcher les équipes ce matin, j'ai un tas de choses à faire et pour tout t'avouer, je n'ai pas pensé à ça sur mon programme.
— Oui, pas de problème. Toujours sur l'affaire du balcon à ce que je vois ? Quand est-ce que tu feras une vraie pause ?
" L'affaire du balcon ". C'est Thomas, durant son hospitalisation et les premiers jours où il était sous morphine, qui a sorti ce nom pour cette affaire. Il l'a dit naturellement devant un tas de collègues qui venait lui rendre visite au quotidien et c'est resté. " L'affaire du balcon ". Ça nomme ces atrocités d'une manière plus joviale qu'il n'y parait pour les non-initiés et c'est mieux ainsi.
— Quand les responsables de tout ce merdier seront soit morts, soit derrière les barreaux, pas avant. Il y a eu beaucoup trop de pertes pour que l'on se permette de faire abstraction. Je veux que notre ville reste ce qu'elle est, paisible et agréable à vivre et non un champ de bataille.
— Sans vouloir te manquer de respect, tout le monde pensait déjà cela depuis des années. Boulogne était calme. Alors même qu'à cette période, les meurtres se faisaient en nombre. Je pense qu'il faut se poser les bonnes questions. Pourquoi tout le monde se fichait de toutes ces disparitions ?
— Alain, j'espère, que tu n'es pas en train de me dire, que tous les pauvres, les sans domicile fixes qui ont certainement été tués ont rendu cette ville agréable à vivre pour les plus riches ?!
— Non, tu commences à me connaître. Je… voulais simplement dire que le passé, c'est le passé. Il faut juste savoir avancer. L'affaire du balcon doit être résolue, bien sûr, mais ce n'est pas ça qui doit te faire vriller.
— Excuse-moi, je me suis un peu emporté. Bon, tu peux y aller.
— Bon courage, Stéphanie.
Sa remarque m'a provoqué un mal de ventre immédiat. Et, s'il avait raison ? Si je me dirigeais droit vers un mur infranchissable ? Si je perdais mon temps, car vraisemblablement, il n'y a que moi qui me fasse du souci pour cette affaire morbide.
En vérité, tout me dégoûte dans cette affaire. Des pauvres qui se font massacrer par des riches, au profit d'autres riches.
Des hommes de pouvoir comme monsieur DÉLURÉ, qui malgré les preuves accablantes contre lui n'a même pas été jugé. Il est toujours à son poste et je dois, malgré notre mésentente, toujours dialoguer avec lui. C'est notre juge de référence. Ça me donne la nausée, rien que d'y penser. La justice n'est plus la justice.
— Commissaire, je peux entrer ?
— Sergent POLIER. Je vous avais dit de passer un peu plus tard ?
— Oui, je sais. Je me dois d'insister, je dois partir en tournée avec les collègues, là.
— Bon entrez, mais j'espère que ça ne sera pas trop long.
— Merci. Je voulais simplement vous dire qu'aux alentours de 6 heures du matin, au standard, j'ai reçu un appel anonyme. C'était une femme au bout du fil. Assez jeune, je pense et qui me paraissait très anxieuse.
— Pourquoi n'en as-tu pas parlé au commandant avant de venir me voir ? Il est là pour ça.
— Je sais, mais elle m'a fait promettre qu'il n'y ait aucun intermédiaire entre moi et vous. Elle voulait vous avoir vous au téléphone et personne d'autre.
— Notre métier n'est pas de faire des promesses Sergent. Qu'est-ce qu'elle a dit de si important qui pourrait me concerner ?
— J'ai eu du mal à lui faire cracher le morceau. Tout ce qu'elle a dit, c'était qu'elle trouverait le moyen de vous contacter. Elle ne se sent pas en sécurité et ne fait confiance à personne hormis vous, apparemment.
— Super, j'ai besoin de ça en ce moment. Une gamine qui veut jouer avec mes nerfs. Elle ne t'a rien dit d'autre ? Parce que pour l'instant, j'ai l'impression que ça ressemble plus à un canular qu'autre chose. Et, je n'ai pas le temps pour ça !
— Non, rien d'autre, elle vous contactera. Je lui ai dit de venir, mais elle ne voulait pas. Elle me semblait sincère et je parle en fonction de mon expérience. Je voulais simplement tenir ma parole envers elle.
— Très bien, merci pour elle. Vous pouvez y aller, Sergent. Passez mon bonjour à vos collègues et bonne ronde.
— Bonne matinée, Commissaire, merci de m'avoir écouté. Votre prédécesseur ne m'aurait même pas ouvert la porte.
Je lui fais un signe de la tête afin de le remercier pour son compliment, avant qu'il ne franchisse le pas de la porte de mon bureau. Je me retrouve seule, je dois me concentrer à nouveau sur la paperasse habituelle avant de me pencher sur l'affaire du balcon.
Cependant, après ce que vient de me dire le Sergent, mon esprit est entièrement focalisé sur cette jeune femme. Je veux savoir qui elle est immédiatement ! Moi qui me plaignais de la routine, je suis servie.
Putain de merde, comment a-t-il fait pour me retrouver après tout ce temps ?! Je pensais qu'il était mort ! Mes sentiments sont partagés entre l'envie de commettre un meurtre et celle de le retrouver pour lui hurler dessus.
Comment peut-on faire ça à sa propre fille ? Et si ce n'était pas lui, mais une sorte de canular, ou pire encore, un piège qu'on me tend ?!
Toutes ces années à me demander ce qui est arrivé à mes parents pour recevoir une petite lettre d'excuses de quelques lignes, sans explication, vingt ans plus tard, me donnent envie de vomir.
Je suis levée depuis un peu plus d'une heure et je n'ai pas l'appétit pour manger le petit déjeuner que ma mère m'a préparé.
Un petit bol de céréales muesli avec du lait d'amande, un quartier de pomme sucrée et un verre de jus de fruits que j'adore. Non, rien à faire, je ne peux pas avaler tout ça. Il faut que je bouge.
— J'ai besoin de prendre l'air, maman.
— Tu n'as pas touché à ton déjeuner. Tu sembles préoccupée. Je remarque aussi que tu ne pars pas travailler tôt ce matin, et cela m'inquiète. Qu'est-ce qui se passe, ma belle ?
— Non, le patron peut aller se faire foutre. Je voulais démissionner de toute façon, comme ça, c'est réglé. Je ne comptais pas t'en parler avant de l'avoir fait, donc j'espère que tu es contente. Tu arrives, comme à ton habitude, à lire en moi. Et moi, je n'arrive pas à te mentir, ça m'agace !
— Je sais qu'il te faisait quelques avances, par-ci, par-là, mais mérite-t-il vraiment autant d'ingratitude de la part de la fille que j'ai élevée ?
— Mais non, maman, ça n'a rien à voir avec l'éducation que tu m'as donnée et tu le sais ! Arrête de tout prendre pour toi. J'ai besoin de prendre l'air. Je pense quand même avoir le droit de faire ce que je veux, je suis grande, non ?
— Tu es grande, oui. Et également, sous mon toit, alors j'ai encore mon mot à dire !
— Pardon… dis-je sur un ton hébété en haussant les sourcils.
— Non, c'est moi. Excuse-moi, je n'aurais pas dû dire ça. Tu sais que tu peux tout me raconter ? Je ne te jugerai jamais. Alors, qu'est-ce qui te met dans ces états ?
— Maman, c'est bon là ! Je sors, je vais sur le balcon fumer une clope et j'aimerais que tu ne me déranges pas. C'est trop te demander de ne pas être invasive ?!
La petite fille modèle que j'étais, avant d'être adoptée par Estelle, ma propre nounou d'enfance, peu de temps après la disparition de mes deux parents, est enfouie sous terre à des dizaines de mètres de profondeur.
Mais, la lettre que j'ai reçue, vraisemblablement signée par mon propre père, me pousse à creuser davantage les tréfonds de mon enfance.
Je n'ai absolument pas envie de me remémorer cette vie ! Je n'ai pas besoin de ça maintenant. Je veux vivre ma vie, comme si de rien n'était. Le passé est passé, bon sang…
— D'accord, tu as gagné, mais j'aimerais que tu me parles mieux à l'avenir. Je ne t'ai rien fait et moi au moins, j'arrive à me remettre en question. C'est entendu ?
— Oui, tu n'as pas tort, excuse-moi si je me suis emportée. Je t'aime.
— Je t'aime aussi ma belle. Tu peux y aller. Et, tu éteins correctement ton mégot !
— Oui, oui…
Cette femme m'a sauvé la vie. Si elle n'avait pas pris la décision de m'adopter, je ne sais pas dans quelle situation je serais aujourd'hui.
Il faut que je respire, tout de suite. Et, comme je suis de nature frileuse, même en plein été, je prends le temps de me couvrir les épaules d'une petite écharpe légère. À cette heure-ci, la température extérieure ne doit pas excéder 15°C.
Une fois la porte-fenêtre refermée après mon passage, je m'empresse d'allumer ma cigarette pour prendre une grosse bouffée.
Assise sur une chaise, sur le balcon de notre appartement qui donne sur la Seine, je peux enfin réfléchir dans les meilleures conditions.
J'adore venir ici dès que j'en ai le temps. Il n'est pas extrêmement grand, mais suffit pour se sentir bien. Puis bon, Estelle est une grande adepte des plantes, alors je n'ai même plus besoin de descendre dans le parc pour me sentir entourée de verdure ! Elle en met absolument partout et c'est moi qui dois m'en occuper lorsqu'elle part en vadrouille.
— Je l'aime quand même.
Entre deux bouffées et dans mes pensées, je ne peux pas m'empêcher de me rappeler ce que vient de me dire ma mère, au sujet de mon patron.
— Non, mais je n'arrive pas à le croire. À l'écouter, je devrais accepter de recevoir des remarques et des avances lourdes toute la journée. Il ne manquerait plus qu'il me fasse du chantage et qu'elle trouve ça normal ! Non, c'est décidé, je me tire pour de bon, j'en ai marre d'être une " servante bonasse ".
J'ai vraiment pris une mauvaise habitude depuis que je suis toute petite de me parler à moi-même à voix haute. Être une fille unique, ça n'aide pas.
Bref, c'est l'été et qui dit saison estivale, dit travail saisonnier. C'est ma mère qui s'est mise en tête l'idée qu'il me fallait travailler pour comprendre la valeur de l'argent. Comme si je ne l'avais pas déjà…
J'ai eu une enfance simple. Un peu de nourriture, du chauffage et surtout un toit. Pas d'extra, le minimum de confort, avec le peu d'argent que nous avions.
À ce jour, je suis encore étudiante, en art, dans une école gratuite grâce à une bourse universitaire. Malgré ma situation, elle trouve quand même le moyen de me dénicher un travail dont je n'ai pas mon mot à dire !
Quelle ironie, alors que je préférerais sortir avec mes amis par exemple. Profiter de la vie, alors que mon enfance m'a déjà été enlevée…
Et quel travail, vraiment ! Serveuse dans un bar assez huppé de la ville, où se retrouvent tous les bobos que je ne peux pas supporter et qui me reluquent dès que j'ai le dos tourné.
Je n'aime pas avoir la sensation d'être réduite à un morceau de viande à chaque minute qui s'écoule. Ce salaud de patron m'envoie cette même image de moi à chaque minute passée à ses côtés !
D'accord, visiblement, la cigarette ne m'aide pas à me calmer, j'ai besoin d'autre chose et très vite avant que je pète définitivement les plombs.
— Heureusement que personne n'est dans ma tête sinon on pourrait croire que j'ai une dent contre ma propre mère… Il faudrait que je pense à arrêter de fumer, un jour. Je n'ai pas les idées claires.
Cette autre chose est de penser à elle. À Estelle. Aujourd'hui, je la considère réellement comme une mère. Elle a beaucoup souffert toute sa vie avant que je n'entre dans la sienne.
Peu de temps avant que je ne fasse partie intégrante de son quotidien, son compagnon avec qui elle vivait a décidé de partir avec une autre femme, un peu plus jeune qu'elle, après avoir compris qu'il ne pourrait pas avoir d'enfant biologique d'elle.
L'ironie est qu'il est mort quelques années après du VIH. Cette même jeune femme lui avait caché " ce petit détail ", pour reprendre les mots qu'elle a utilisés pour venir annoncer la nouvelle à Estelle.
Cette blonde, bonne seulement à se mettre à quatre pattes, a si peu de neurones que je me demande comment elle fait pour mettre un pied devant l'autre et marcher sans abîmer son joli minois.
Dans tous les cas, je n'ai aucun problème à dire que c'est bien fait pour la figure de son ex, il ne la méritait pas ! Le karma l'a rattrapé.
Estelle est l'amour de ma vie. Celle qui a trimé pour m'adopter, alors qu'elle n'y était pas obligée. Pour m'élever. Pour faire face à toutes mes crises de manques lorsque je repensais à l'abandon terrible que j'ai subi.
Ma crise d'adolescence, sans père pour me guider. Mes premiers chagrins d'amour, sans ma mère biologique qui m'avait promis d'être à mes côtés dans les pires comme dans les meilleurs moments de ma vie.
Au moins, Estelle était et reste près de moi. Sans promesse en l'air avec comme preuve ses actions vis-à-vis de moi au quotidien. Comme le petit déjeuner qu'elle m'a préparé et que je n'ai pas touché.
J'observe le ciel, avec quelques nuages translucides, le soleil commençant son ascension effrénée jusqu'au-dessus de mon crâne et je ne peux pas m'empêcher de remercier la vie d'avoir mis sur ma route cette femme merveilleuse.
— Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir acceptée dans ta vie, maman.
Ça va mieux de le dire à haute voix. J'écrase mon mégot dans le cendrier posé au milieu de cette petite table de jardin en fer, qu'il faudrait penser à vider un jour. Je m'affale sur la chaise et sors de ma poche droite du petit short que je porte, le papier de tous mes maux matinaux.
— Ce n'est pas avec cette allure que je rencontrerai l'homme de ma vie.
Allez savoir comment l'enveloppe s'est retrouvée dans la boîte aux lettres de l'immeuble en plein milieu de la nuit, alors qu'il y a un sas sécurisé.
Puis, j'ai reçu un message sur mon téléphone qui m'a réveillé aux alentours de 5 heures du matin.
Là, mon pouls s'accélère et lorsque je suis nerveuse, j'ai tendance à vouloir rire aux éclats. Mais, avec le nombre de cigarettes que je fume chaque jour, tout ce que je risque d'obtenir, c'est une belle crise d'asthme qui me minera la santé pour le reste de la journée.
Ces mystères de cette nuit me font un peu paniquer, je dois l'admettre.
— Je suis idiote en y repensant.
Au fond de moi, je sais que je m'étais déjà imaginée ce scénario digne d'un thriller. Un genre que j'adore regarder en série ou en format plus long.
Non mais vraiment, pourquoi n'ai-je pas réveillé Estelle pour m'accompagner en bas du bâtiment ? Je suis descendue seule, avant que le soleil se lève, après avoir reçu le message d'un inconnu, m'indiquant qu'un objet convoité m'attendait en bas.
J'ai juste pris la décision de contacter la police avant de mettre les pieds dans l'ascenseur, même si j'ai beaucoup de mal à leur faire confiance.
D'ailleurs, la seule à qui je confierais toutes mes pensées, c'est cette nouvelle commissaire qui ne cesse de passer aux informations.
Elle aurait vécu les mêmes dérives de la police que moi avant de voir le bout de son calvaire. Après de longues années à tenter de comprendre ce qui a pu arriver à sa sœur.
Tant qu'ils ne se sentent pas directement concernés, ils laissent traîner en longueur et laissent une jeune fille sans parents, sans explication, alors que tout démontre qu'ils ont été kidnappés ! Ça y est, je m'emporte.
— Madame ROSALINE, j'ai envie de croire en vous. Si vous pouviez m'aider à comprendre…
Non, non, non, je retombe dans cette quête de compréhension. En même temps, c'était longtemps une véritable drogue pour moi. Je passais des nuits entières, plus jeune, à me repasser cette journée, au parc, avant qu'ils ne disparaissent.
Trouver des raisons valables à mon abandon, discuter avec mes amis comme Guillaume qui était là, ce jour-là. Vouloir comprendre, simplement !
Qui n'a pas envie de ça pour pouvoir avancer dans la vie, sans que le passé ne nous bloque constamment ?! Personne, ou alors, ils sont fous.
En réalité, non, je refuse de croire qu'ils m'ont abandonnée, là où les policiers pensent justement le contraire.
Mais c'est incohérent, je le pense depuis que je suis toute petite. Je suis persuadée que mes parents auraient donné leurs vies pour moi. Ils m'offraient absolument tout leur temps libre !
Et ce ne sont pas tous les psychologues qu'Estelle m'a fait rencontrer, qui ont réussi à me faire penser le contraire.
J'ai fini par garder tous mes ressentiments au plus profond de moi, et tourner la page ou presque. C'est ce que je croyais, avant de lire ces quelques lignes.
D'une écriture manuscrite avec quelques fautes d'orthographe grossières :
" Ma petite amande, tu dois être si grande aujourd'hui. J'ai longtemps hésité à t'envoyer une preuve d'amour, le nôtre. Tu dois avoir tout un tas de mauvaises pensées sur nous deux. Alors, je pense qu'il est temps que tu sois en accord sans oublier tes peines. La confiance se gagne, et cela, peu importe depuis combien de temps, tu connais cette personne. "
Mon cœur se remet à battre la chamade. Mon père est certainement encore en vie. Il semble aller bien, enfin, il ne me dit pas le contraire, alors j'en déduis que ça doit être le cas.
De même pour ma mère. Il en a fait mention une fois en parlant d'eux deux. Mis à part ces quelques points positifs, je ne sais pas ce que je peux tirer de cette fichue lettre, sauf un retour à la case départ de ma dépression que je pensais lointaine.
— Guillaume ! Il faut que je lui en parle.
Je ne sais pas ce qu'il a prévu de faire aujourd'hui, mais il va devoir modifier ses plans pour moi. Qu'est-ce qu'il a à faire de plus important que moi en ce moment, à part réussir ses concours pour poursuivre son cursus universitaire ? Je suis plus essentielle.
Je me lève en sursaut de cette petite chaise en fer, frigorifiée de partout et entre de nouveau dans l'appartement.
— Maman ? Merde, elle est déjà partie…
Alors que je m'apprêtai à appeler Guigui, de son surnom ridicule qu'il déteste entendre, je remarque sur la table à manger, au milieu de la cuisine ouverte, un pense-bête, proche de mon petit déjeuner, que j'ai laissé en plan. Je soupire, sachant de quoi il s'agit.
– " Mange, tu en as besoin et ça te fera du bien. Passe une bonne journée, ta mère qui t'aime. " Tu m'énerves, maman, à avoir toujours raison. Tu aurais pu aussi me dire que tu partais plus tôt ce matin !
Finalement, je suis si excitée que, me connaissant, je n'arriverais pas à expliquer correctement à mon meilleur ami la situation dans laquelle je suis. Celle qui me met justement dans cet état. Avec l'estomac plein, ce sera sûrement différent.
Ok, j’ai le ventre rempli, après avoir mangé l’intégralité de ce qui se trouvait sous mes yeux. Pourtant, ça ne va pas mieux. Je n’arrive pas à me défaire de ce bout de papier qui ne veut rien dire pour moi.
— À moins que mon père soit devenu totalement fou !
Dans tous les cas, j’ai suivi l’un des seuls conseils que j’ai compris dans ces quelques lignes, je n’en ai parlé qu’à Guillaume pour l'instant, par message. Et, il ne devrait pas trop tarder à me rejoindre à l’appartement. Il est, de tout mon entourage, celui qui a toute ma confiance, ma mère incluse, je ne me le cache pas.
— Non, pas ma mère…
Ce n'est pas que je ne lui fais pas confiance. En revanche, elle a un côté grande gueule et un peu trop sociable qui fait d’elle la dernière personne sur ma liste à savoir garder un secret plus de deux journées consécutives.
Alors excuse-moi maman, mais cette fois-ci, je vais garder ça pour moi. Puis bon, je sais parfaitement que ça ne te plairait pas de savoir que je recommence à penser à mes parents que tu considères très sérieusement comme morts depuis le temps. C'est encore un sujet sensible entre nous et même si je comprends ton point de vue, j'aimerais que tu en fasses autant vis-à-vis de moi.
— Hanna, ouvre-moi la porte s’il te plaît ? Je n'ai pas beaucoup de temps là !
— Guillaume ?
— Tu attends quelqu’un d’autre ?!
— Non.
— Bon bah, viens m'ouvrir.
— Deux minutes, je finis de ranger le lave-vaisselle.
— Tu te fiches de moi, j’espère ?! Dans trois secondes, je me casse. Trois… Deux…
— C’est bon, entre.
— Merci !
— Tu es impatient comme garçon !
L’appartement est agréable, mais c’est vrai que l’intimité entre voisins n’est pas optimale. À force de nous parler à travers la porte, pour taquiner comme dans un rituel amusant, je commence à me dire que les murs sont faits en carton-pâte. Les voisins doivent bien s'amuser à nous écouter.
Non, non, ce n'est pas le moment de jouer les divas, Guigui. Je vois bien que tu es tendu, mais s'il te plaît, maîtrise-toi. Tes concours peuvent attendre une matinée, ce n'est pas la fin du monde !
— D’accord, alors je vais faire comme si je n’avais pas entendu cette ânerie que tu viens de dire et toi, tu vas arrêter de me le répéter. Ça te va ? Je suis déjà assez patient avec toi.
— Et en plus d’être impatient, tu es susceptible.
— C'est bon, j’en ai assez, j’ai des choses plus importantes à faire que de me faire insulter par ma propre sœur !
— Allez viens par là, gros bourricot. Si je n'ai même plus le droit de te taquiner, je vais vraiment passer une journée pourrie. Va t’asseoir sur le balcon, je termine ce que je fais et je te rejoins dans la foulée.
— Tu ne veux pas que je t’aide ?
— Non, non, j’en ai pour deux minutes à peine.
— Comme tu veux. Au fait, tu savais que le sas de ton immeuble ne fonctionnait pas quand je suis monté ?
— Tu n’as pas composé le code pour entrer ? Bon, va dehors, j’arrive, on en parlera après.
— Ok. Tu peux m'apporter un café s’il te plaît ? Je sens que j'aurai besoin d’être bien réveillé pour assimiler ce que tu as à me raconter.
— Rho, comme si j'avais l'habitude de te casser les oreilles.
— Non, c'est sûr, jamais, me dit-il sur un ton sarcastique avant d'ajouter d'une voix amusée ; N'oublie pas mon café.
Je lui fais un signe de tête d’approbation et il sort aussitôt prendre l’air. De mon côté, je termine de ranger le lave-vaisselle , tout en gardant un léger sourire sur le coin de mes lèvres.
J'ignore ce que j’aime le plus chez lui. Son côté à la fois homme fragile et homme viril, son oreille attentive et le