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Marc, un honnête père de famille, fait une découverte macabre dans le Bois de Boulogne suite à une matinée en apparence tout à fait ordinaire. Un an plus tard, il se retrouve en proie à la dépression et son comportement changeant affecte sa vie de famille. Notant que sa femme est devenue distante, il est déterminé à en comprendre la raison et se lance dans une investigation en secret. Parallèlement, Stéphanie, inspectrice de police, reçoit enfin le dossier d'un vieil homicide qui la touche personnellement après une année de recherches infructueuses. Le corps retrouvé est celui de sa soeur, qui avait disparu sans laisser de traces plusieurs années auparavant. Bien que sa hiérarchie ne l'aide pas, elle est résolue à mettre tout en oeuvre pour résoudre ce crime et rendre justice. À mesure que Marc et Stéphanie progressent dans leurs recherches respectives, d'anciennes histoires de famille resurgissent, certaines plus sombres que d'autres. Marc parviendra-t-il à comprendre le comportement de sa femme et à surmonter la dépression qui le consume ? Stéphanie, réussira-t-elle à démêler la vérité sur le meurtre de sa soeur tout en restant objective face à la tâche éreintante qui lui incombe ?
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Seitenzahl: 349
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Un grandissime merci à
Taniasans qui ces livres
ne seraient pas ce qu'ils sont.
Également, un grand merci à mes sources
d'inspirations, Gaëlle, Louise, ainsi que toutes
les personnes qui ont crues en moi et qui m'ont
permis page après page d'écrire ces romans.
MARC — IL Y A UN AN
STÉPHANIE — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
MARC — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 1, DANS LA MATINÉE
MARC — JOUR 1, FIN D'APRÈS-MIDI
STÉPHANIE — JOUR 1, FIN D'APRÈS-MIDI
MARC — JOUR 1, DÉBUT DE SOIRÉE
STÉPHANIE — JOUR 1, DANS LA NUIT
MARC — JOUR 2, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 2, DANS LA MATINÉE
MARC — JOUR 2, DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 2, FIN LA MATINÉE
MARC — JOUR 2, FIN LA MATINÉE
STÉPHANIE — JOUR 2, MIDI
MARC — JOUR 2, AU MÊME MOMENT
STÉPHANIE — JOUR 2, AU MÊME MOMENT
MARC — JOUR 2, DANS L'APRÈS-MIDI
STÉPHANIE — JOUR 2, DANS L'APRÈS-MIDI
MARC — JOUR 2, DANS L'APRÈS-MIDI
STÉPHANIE — JOUR 2, AU MÊME MOMENT
MARC — JOUR 2, DANS LA SOIRÉE
STÉPHANIE — JOUR 3, DANS LA MATINÉE
MARC — JOUR 3, AU MÊME MOMENT
STÉPHANIE — JOUR 3, PLUS TARD DANS LA MATINÉE
MARC — AU MÊME MOMENT
STÉPHANIE — UN PEU PLUS TARD ENCORE
MARC — TOUJOURS DANS LA MATINÉE
STÉPHANIE — FIN DE MATINÉE
MARC — FIN DE MATINÉE
STÉPHANIE — AU MÊME INSTANT
MARC — AU MÊME INSTANT
STÉPHANIE — DÉBUT D'APRÈS-MIDI
MARC — AU MÊME INSTANT
STÉPHANIE — PLUS TARD DANS L'APRÈS-MIDI
MARC — ENCORE UN PEU PLUS TARD
Les personnes qui me côtoient savent que j’ai un caractère bien trempé. Je suis franc du collier et ils ne s’y méprennent absolument pas. Je tiens celui-ci des années passées dans mes différentes familles d’accueil, deux au total. Pour un gamin orphelin dans mon genre, ce n’était vraiment pas beaucoup.
La première, un jeune couple avec peu de moyens, a décidé de m’adopter pour les aides que l’état leur donnerait. Je ne me rappelle plus grand-chose de ces années-là. Je sais simplement que ce couple m’a logé jusqu’au début de ma puberté, pendant huit années. Je n’acceptais pas la perte de mes parents, je fuguais sans cesse. Ils en ont eu marre et m’ont abandonné malgré l’argent facile qu’ils se faisaient sur mon dos.
Il se sera écoulé trois années horribles au sein d’un internat, avant que d’autres personnes daignent s’intéresser à moi. Lorsqu’on est orphelin et adolescent, c’est d’autant plus compliqué. Un beau jour cependant, la roue du destin a tourné en ma faveur.
La deuxième famille d’accueil est apparue sans que je m’y attende, tels des anges au paradis de la solitude. Un vieux couple, plus aimant, plus aisé, d’une cinquantaine d’années chacun. J’ose dire vieux, car c’est très rare que des cinquantenaires décident d’adopter des adolescents. D’ailleurs, en règle générale, on leur refuse ce droit.
Mais pourquoi ont-ils fait ce choix de l’adoption ? Ce n’est pas bien compliqué à comprendre. Trente années de galère, des millions de minutes à tenter de procréer, en vain, voilà leur raison principale. Ils se sont battus pour moi et ont changé ma vie du tout au tout.
Alors que je grandissais au sein de leur cocon, ils m’ont expliqué avoir vu en moi la détresse profonde que j’avais accumulée, une détresse qu’eux-mêmes pouvaient ressentir.
Aujourd’hui et comme le veut le cycle de la vie, ils m'ont malheureusement quitté. Il fallait s’y attendre, j’ai quarante-cinq ans et personne n’est éternel. Ils me manquent énormément.
Tous les jours, je pense à eux, leurs sourires ridés, les batailles qu’ils ont menées pour me donner un avenir meilleur... Je me dois de ne pas les oublier, et quoi de mieux que de pratiquer ce sport qui les définit si bien : le vélo.
Nous partions tous les week-ends en balade, à valdinguer au gré du vent et des chemins qui s’ouvraient à nous. Pour moi, ce sport représente à lui seul la liberté, la joie, le partage. Merci, Papa, merci, Maman, pour ces souvenirs inestimables.
Ce sport, c’était toute ma vie, la seule jeunesse profitable. Mes études, mon avenir m’importaient peu, le vélo était tout pour moi. Je ne pensais donc jamais pouvoir m’en passer, jusqu’à ce jour qui m’a bouleversé à tout jamais.
C’était un samedi matin comme tous les autres. Je m’étais levé à 8 heures, en exécutant ma petite routine habituelle, commençant par observer à travers une de mes grandes baies vitrées de mon duplex, le temps que le ciel pouvait nous offrir.
Étonnamment, il était clément pour un mois d’octobre. Grisâtre, le soleil bien camouflé derrière ses épais nuages, cependant rien de véritablement perturbant pour faire deux, trois tours de pédales. La météo avait prédit une pluie matinale, mais il n’en était rien.
J’étais donc de très bonne humeur et avais décidé de réveiller ma femme qui, malgré la luminosité ambiante, dormait toujours paisiblement.
— Kat, tu sais ce que l’on pourrait faire de si bon matin ? lui dis-je en la caressant doucement.
Un bruit d’ogre surgit de sous la couette, ce qui me fit sourire.
— Hmm...
— Réveille-toi, j’ai une petite idée en tête, qui ne devrait pas te décevoir.
La libido chez les hommes est bien moins complexe que chez une femme. L’envie m’était venue, elle, ne l’avait absolument pas.
— Va faire ton tour et laisse-moi dormir s’il te plaît, me dit-elle en se recouvrant à nouveau le visage de notre épaisse couette hivernale.
Soit, comment pouvais-je lui en vouloir ? Un samedi matin, après une grosse semaine de travail, la plupart des personnes préfèrent une bonne grasse matinée qu’une partie de culbutage.
Je n’insistais pas, comme le ferait tout bon homme bien éduqué dans un monde imaginaire parfait. Je descendis dans la cuisine me préparer mon petit déjeuner hyperprotéiné, en faisant bien attention de ne pas r éveiller mes deux enfants, Bérénice et Paul qui, eux, pouvaient profiter pleinement du week-end pour se reposer.
À peine une heure plus tard, j’avais déjà enfilé ma tenue ultra sportive, moulante, censée me protéger des aléas climatiques, mais surtout des chutes régulières que l’on pouvait avoir en forêt, en hors-piste.
Ma femme, qui finalement s’était levée, était accoudée sur le comptoir de la cuisine juste en face de moi et ne pouvait pas s’empêcher de se moquer de ma personne.
— Rassure-moi, tu as mis un caleçon, Marc ? me demanda-t-elle alors que je tenais la poignée de porte d’entrée de l’appartement, prêt à me carapater.
— C’est très marrant ça, tu as fait l’école du rire ? Bois ton café et si tu as le temps, j’aimerais que tu fasses le linge. Merci !
J’avais un caractère assez autoritaire, ce que semblait apprécier Kat, puisqu’elle ne m’avait jusqu’à maintenant jamais repris sur ma façon peu commode, je l’accorde, de lui demander les choses.
D’un regard, je compris qu’elle le ferait. J'acquiesçai d’un mouvement de tête, puis me dirigeai vers le sas de l’immeuble, ouvris la lourde porte d’entrée, pour avancer vers mon local personnel à quelques pas de là.
Une fois devant mon box, au moment d’enlever le cadenas qui sécurisait mon précieux deux roues, je ressentis comme un mauvais pressentiment, ou alors c’était dû à ce temps sec, ne dépassant pas les 8°C, qui me hérissait les poils de mes bras.
Je n’y prêtai pas une grande attention. Je défis le cadenas, puis dans la seconde, enfourchai mon nouvel engin, qui m’avait couté un bras et un rein, pour une longue balade à pleine vitesse dans ce merveilleux bois de Boulogne, là où nous étions censés nous retrouver.
Autour de moi, tout n’était que beauté et plénitude. Le ciel grisâtre ne voulait pas céder sa place au beau turquoise, que nous pouvions avoir régulièrement quelques semaines plus tôt. Il donnait au lieu de rendez-vous une touche étrange de gaieté.
Pendant quelques minutes à attendre mon groupe de potes, comme à leur habitude, en retard, je regardais cet arbre qui me faisait face, que je connaissais si bien. Un majestueux chêne, deux fois centenaire, qui commençait à perdre ses feuilles et qui longeait ce large sentier emprunté par de nombreux promeneurs dans la journée.
Soudain, l’envie me vint de soulager ma vessie de l’énorme bol de café englouti une heure auparavant. Je m’approchai de cet arbre, le contournai et commençai à uriner sur le buisson qui se camouflait derrière lui, en prenant bien garde, comme tout pudique indéfectible, qu’aucun promeneur ne puisse zieuter mes parties intimes.
Je chantonnais des airs d’opéra, alors que le flux liquide qui s’amassait à mes pieds me soulageait, lorsqu’un abruti que j’affectionnais particulièrement eut la bonne idée de me surprendre dans ce bref instant d’égarement.
— MARC ! me hurla-t-il, réussissant à me faire sursauter, salissant par la même occasion mes chaussures fraîchement nettoyées.
— Bordel ! Lukas, tu me saoules, grandis un peu s’il te plaît ! lui crié-je, énervé de m’être fait avoir aussi aisément.
C’était le plus grand farceur de la bande et le seul que je continuais de voir depuis ce jour. Originaire de la Californie et comme tout Américain qui se respecte, il avait la fâcheuse habitude, bien que cet usage soit désuet de nos jours, de le faire remarquer.
Comment s’y prenait-il ? Simplement en reprenant toute personne qui ne prononcerait pas son prénom correctement. Il était très important pour lui de souligner le " s " quand on souhaitait l’interpeller " Lukasse ", car oui, il aimait vivre en France, mais n’appréciait pas notre accent si cru et linéaire.
— Range ton lombric, remonte ta braguette et retourne-toi, que je te montre mon nouveau jouet ! me demanda-t-il d’un ton amusé, ayant eu la même idée que moi en s’achetant une " nouvelle bécane ", comme on surnommait nos vélos pour se marrer.
Sa voix m’avait simplement traversé les oreilles. Je ne lui prêtais pas vraiment attention. Mon esprit était obnubilé par cet étrange sentier qui était apparu soudainement sur ma droite à une poignée de mètres.
Je remis correctement mon pantalon lorsque je repris mes esprits, puis interpellai Lukas, qui commençait à s’impatienter.
— Hé, viens par là.
— Quoi, tu as vu une vierge courir dans les bois ? Oh hé, je te parle, Marc ! Tu ne me réponds même pas et je devrais t’écouter…
— Arrête de faire ton susceptible et ramène-toi !
J’arquai mon sourcil droit, attendant à mon tour qu’il daigne venir jusqu’à moi, tout en essuyant contre les herbes hautes mes chaussures salies des quelques gouttes d’urine.
— Voilà, je suis là ! Si tu comptes te venger, je te préviens, je ne suis pas de si bonne humeur aujourd'hui.
— Ho, ferme-là quelques secondes, tu veux bien, et regarde devant toi.
— Non, toujours pas de vierge à l’horizon, me répondit-il alors que cette conversation n’avait rien de véritablement amusant.
— Si ta femme savait à quelle fréquence cette idée te trotte dans la tête quand on se regroupe avec les potes, elle aurait des doutes quant à ta fidélité. Tu vois ce petit sentier, entre ces deux grands buissons là-bas ? lui demandé-je en m’approchant de quelques pas de celui-ci.
J’avais cette particularité de faire attention aux moindres détails. Avec la jeunesse que j’avais menée, ce n’était pas un talent de trop. Donc, je pouvais comprendre au premier abord que ce chemin de terre n’était pas aussi visible que ça.
Nous étions surtout à l’affût de la moindre nouveauté, du moindre changement nous permettant de quitter notre routine, certainement dû à la fameuse crise de la quarantaine. Alors, quoi de mieux que de faire une sortie hors piste, sans réfléchir au parcours à prendre.
La forêt du Bois de Boulogne nous offrait cette chance. Étendue sur plusieurs milliers d’hectares, il n’était pas difficile de changer d’itinéraire quand bon nous semblait.
Je m’avançai suffisamment pour saisir de mes mains l’un des deux grands buissons. J’écartai quelques branches et quittai le sentier bitumé pour m’aventurer dans la forêt, à pied.
— Marc ? Reviens, les autres sont arrivés. On regardera ça plus en détails tout à l’heure, me prévint-il aussitôt, alors que je n'avais marché qu’un mètre ou deux.
Je revins sur mes pas, surpris de cette étrange découverte. Cela faisait des années que nous parcourions cet endroit, et je ne le remarquais que ce jour-là. Je ne me posais pas plus de questions sur le moment et rejoignis aussitôt mes amis.
Nous étions un groupe de quatre : moi, Lukas et les deux autres, Mathieu et Théo.
— Vous allez bien de si bon matin, les gars ?
— Nickel ! me répondent-ils en chœur.
Je retournai sur le sentier bitumé pour regarder le nouveau jouet de Lukas. Ce n’était pas pour me vanter, mais je trouvais que le mien était un bien meilleur choix. Enfin bref, une fois que nous avions fini de l’observer, je me relevai et pris la parole.
— J’aime bien, il sera mieux que l’ancien de toute façon !
— Merci ! Eh oui, on n’a pas tous le même budget que toi, sinon j’aurais sans doute pris le tien !
— Alors, apparemment, tu aurais trouvé un autre chemin à prendre pour notre petite virée ? me demanda Théo sur sa selle, le pied gauche à terre pour ne pas basculer.
Je regardai le ciel qui s’assombrissait de plus en plus. Je sentais que la pluie n’allait pas tarder à nous mettre des bâtons dans les roues. Je rétorquai donc, sans lui répondre directement.
— Oui justement, allons-y avant qu’il ne pleuve à verse, les gars, proposé-je en prenant en main ma monture.
Sans qu’ils me reprennent sur ma manière peu conventionnelle de les ignorer, ils décidèrent de me suivre.
J’étais en tête de peloton, comme un chef de bande. Peu après, le temps me donna raison, comme toujours. À peine sommes-nous partis que la pluie prit possession de l’atmosphère. Heureusement que la cime des arbres nous en protégeait.
Ce n’est pas pour autant que nous étions complètement à l’abri de ce temps. L’eau coulait abondamment sur les feuilles du sommet, pour finir sa course à stagner sur le sentier de terre dont on ne connaissait à cet instant, rien.
Le sol devenait de plus en plus mou, la boue nous ralentissait. Mais peu nous importait, tant que nous avions encore la possibilité de poursuivre notre chemin.
Dans un virage, sur la sente, à exactement un kilomètre du point de départ de ce chêne majestueux, un autre arbre tout aussi impressionnant avait pris l’usufruit du passage.
C’était pour moi la preuve que cette étrange voie n’avait pas été empruntée depuis un bon moment. Je prévins donc mes amis de cet obstacle, risquant de faire tomber quiconque n’en prendrait pas garde.
— Attention ! La boue camoufle les racines, les gars !
Trop tard ! Nous étions trois à être passés au-dessus sans encombre, hormis Mathieu qui, tête en l’air comme toujours, avait glissé en s’étalant de tout son long sur ce sol gadouilleux, vaseux.
Nous nous étions bien évidemment arrêtés pour vérifier qu’il allait bien. Théo descendit de sa monture et voulut l’aider à se relever quand il se tétanisa, d’un coup, laissant place à un silence de plomb.
— Mathieu, ça va ? demanda Lukas, constatant sur son visage une expression de peur.
— Non, regardez… ce n’est pas…
Tout en parlant, il montrait du doigt une étrange racine blanche, celle sur laquelle il avait trébuché.
— Bon sang ! J’appelle la police ! s’exclame Lukas en sortant son téléphone de sa banane.
Un os humain. Mathieu avait trébuché sur un os humain. Comment cela se pouvait-il ? S’il n’était pas tombé, cette curieuse découverte aurait continué à se fondre dans le décor.
Mes amis étaient horrifiés, moi je n’exprimais aucun sentiment. Je savais cependant que cette découverte allait changer bien des choses dans ma vie. Maudite soit cette fichue journée.
Je me redresse sur la tête de lit, tendant mes bras pour m’étirer tout en baillant. Après quelques secondes, je pivote la tête sur ma droite, souhaitant regarder l’heure, sur le vieux radio réveil que j’ai récupéré de la chambre d’enfance de ma sœur. Je me frotte les yeux, je n’y vois pas bien clair de si bon matin.
En le scrutant d’un peu plus près, je constate que nous sommes déjà le dix-neuf octobre. J’inspire, puis soupire tel un signe de désespoir.
Je me vois bien tirer cette moue sur mon visage, représentant de loin le fond de ma pensée. En effet, aujourd’hui est un jour spécial. Pour faire simple, une journée lourde et bien galère.
— Bon allez, ma grande, sois forte.
Je me lève enfin, ouvre mes rideaux, puis mes fenêtres en grand pour aérer un maximum. Chaque matin, c’est la même rengaine, j’ai l’impression qu’un fennec a dormi à mes côtés toute la nuit, imprégnant son odeur pestilentielle dans toute la pièce…
Ou bien c’est moi. Quoique ça ne m’étonnerait pas. Il suffit de sentir ce magnifique bouquet d’arôme de mes dessous-de-bras. Allez, une bonne douche s’impose.
J’ouvre ma commode qui se situe juste à côté de ma porte d’entrée, avant de réaliser que j’ai oublié de faire tourner la machine à laver le linge, hier matin. Je n’ai plus de string.
— Eh merde ! J’ai oublié… Sûr que personne ne peut le faire à ma place !
Ma petite moue du visage colérique d’il y a vingt secondes se transforme en celle d’un ennui mortel. Je hausse les sourcils puis soupire à nouveau.
Merci, ma belle conscience de me rappeler que je vis seule depuis toujours. Et fort heureusement, ce n’est pas dans un palais, sinon je ne sais pas comment je ferais pour l’entretenir.
Après, cela ne veut pas dire que je me plains de mon petit deux-pièces, non, au contraire. Il me suffit bien et j’en suis très heureuse, mais je dois admettre que je commence à me lasser de cette solitude, qui dure depuis bien trop longtemps.
Je fouille quand même dans ces tiroirs mal rangés, avec un peu de chance, je vais tomber sur un rescapé bien caché.
— Oui ! Ne jamais partir pessimiste, ma grande !
Une belle grosse culotte de grand-mère, celles que j’utilise lorsque j’ai mes règles. Je savais qu’il ne fallait pas lâcher le morceau. Eh, bah, il m’en faut vraiment peu pour être heureuse. Il faut que je me bouge sinon je vais finir par être en retard au taff.
Il est déjà 7 heures ! L’eau chaude a tendance à me rendormir légèrement et j’y reste donc beaucoup plus longtemps que prévu. Je prends mes affaires sur la petite chaise en sortant de la douche après m’être essuyée puis je me dépêche de m’habiller.
Mon jean… Il est serré ou c’est moi ? Il serait peut-être temps de commencer un régime, mais aujourd’hui, ce n’est pas ma priorité.
J’ai matière à négocier sur un sujet bien plus intéressant à mes yeux... Je me dirige vers la porte d’entrée de mon appartement, saisis mes clés accrochées à ma hauteur, sur la droite, puis je file avant que je ne sois en retard...
— Merde ! Mon arme de service !
Ouais, je suis une flicaille, comme le peu de famille qui me reste m’appelle. Mais pas à n’importe quel poste. Je suis inspectrice de police, mon grade… Capitaine. Je travaille dans la section judiciaire, dans notre beau commissariat à Boulogne-Billancourt.
J’habite ce secteur depuis que je suis toute petite. En fait, je n’ai jamais rien connu d’autre. Et j’ai beau être amoureuse de cette belle ville, ce n’est pas cette raison qui m’a poussée à faire ce métier d’assistance à la population, non rien à voir... Rien que d’y penser, je ressens un léger stress monter en moi.
— Respire... Ça va le faire.
Moins le quart, je suis devant le commissariat. J’ai la chance d’habiter à une vingtaine de minutes de marche de là, malgré ce temps de merde, ne donnant pas du tout envie de s’y balader.
Tous les matins, je parcours ce même chemin, le courant de la Seine suivant mes pas sur ma gauche et les grandes avenues sur ma droite, mais aujourd’hui est une journée bien différente.
Lorsque je suis passée dans cette rue, comme je le fais quotidiennement, longeant cette bâtisse abandonnée sur le point de s’écrouler, mon cœur s’est mis à battre à la chamade. Aujourd’hui est un jour de mémoire, cet immeuble en est un vestige enfoui depuis bien longtemps.
Je pénètre dans notre bâtiment à travers les portes coulissantes, avec en tête un fort ressentiment.
— Une année que j’attends ça !
C’est hors de question que je laisse passer cette chance. Tiens, il est là, lui !
— Bonjour, mon capitaine, m’interpelle d’une voix suave un collègue en m’apercevant franchir le sas d’entrée.
Il s’agit de Thomas, un officier lui aussi, qui me plaît depuis très longtemps. Sincèrement, si j’avais la possibilité de me marier un jour avec un homme, ce serait lui sans la moindre once d’hésitation. Dommage qu’il le soit déjà avec cette mécréante que je ne peux pas saquer !
— Bonjour Lieutenant GERS. Comment vas-tu de si bon matin ?
Il s’approche de moi tout doucement. Son uniforme moule son corps à la perfection, entretenu par le sport intense que l’on effectue en groupe, un mètre quatre-vingt-cinq de beauté. Ses cheveux bruns, courts et frisés, légèrement humides, leur donnent un aspect absolument magnifique.
À cet instant, je n’aurai qu’une envie : c’est d'y passer mes doigts, ne serait-ce que quelques secondes... Et ses yeux sont d’un vert ! Faut qu’il arrête de me fixer comme ça. Il a un regard sombre, froid, mais d’une intensité sans nom.
Quand il me fixe comme ça, j’ai l’impression qu’il transperce mon âme, qu’il sait ce que je ressens pour lui. Je baisse les miens, espérant calmer mes ardeurs. Bien que son grade soit inférieur, je suis simplement gênée à l’idée qu’il puisse entrer dans mes pensées. Cela n’a rien à voir avec un quelconque signe de soumission, non.
— Comme tu vois, je bois mon petit café, donc je vais pour le mieux, et toi ?
— Ça va. Je suis un peu plus tendue que d’habitude aujourd’hui, mais ça devrait aller mieux d’ici le milieu de la journée.
— Je crois savoir de quoi tu parles. Tu as rendez-vous avec le Grand Chef ! Si je t’interpelle, c'est que j’étais d’astreinte cette nuit et… Nous sommes allés au Bois.
— Tu as fait des sorties peu reluisantes comme à notre habitude, c’est ça ? dis-je alors qu’un changement de comportement se remarque sur son visage. Mais bon, je ne vais pas me plaindre d’avoir passé une bonne nuit quand même !
Les Bois de Boulogne ne sont pas réputés dans toute la France, par l’éclat de la ville qui porte son nom, ni par la beauté que ces lieux nous donnent la possibilité d’observer, malheureusement. Mais bien dû aux nombreuses affaires non résolues qui en découlent.
Je sais de quoi je parle, l’une d’entre elles m’a profondément attristée. Aujourd’hui, je compte bien remettre de l’huile sur le feu !
— Si tu fais référence aux prostituées, non, nous n’en avons ramassé aucune de toute la nuit. Ce qui est assez rare, je te l’accorde. Cependant, ce n’est pas de ça que je souhaitais te parler, m’annonce-t-il tout en semblant tourmenter.
Je sens que quelque chose d’important le tracasse. Ses mains tremblantes, il n’est plus capable de me regarder dans les yeux. Son pied gauche ne parvient pas à rester en place et bouge en permanence. L’anxiété l’envahit. Je cherche une phrase pour tenter de le calmer, avant que nous soyons interrompus.
— Capitaine ! Venez par là, m’ordonne le Commissaire juste en face de moi, dépassant la tête de son bureau très légèrement. Quant à vous, lieutenant GERS, un gros dossier vous attend sur votre bureau. Allez y jeter un œil, vous voulez bien !
Thomas retourne vaquer à ses occupations, quant à moi, l’entretien que je dois avoir avec le commissaire en fin de matinée semble être remis à tout de suite.
Je m’installe dans son bureau, en gardant en tête cette discussion sans fin et bizarre avec mon collègue. Mon instinct me dicte que je vais de toute manière être informée du problème assez rapidement.
Je m’assois sur le siège qui lui fait face et remarque par la même occasion à quel point le sien doit être confortable. Je le jalouse.
— Ça faisait une éternité que je n’étais pas rentrée ici, commissaire, lui dis-je pour entamer notre conversation poliment et en douceur.
— Stéphanie, je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder ce matin. J’ai des explications...
— Mais… Commissaire, vous êtes conscient que nous devions traiter d’un sujet directement lié à une promesse que vous m’avez faite il y a exactement un an !
J’ai tendance à couper la parole à tout-va lorsqu’un sujet me taraude l’esprit, mais seulement quand je suis certaine que mon intervention remettra en mon avantage les sujets des discussions que je souhaite aborder. Que ce soit le président de la République ou bien mon supérieur, peu m’importe.
— Laissez-moi parler, s’il vous plaît. Cette nuit, un imprévu en votre faveur a eu lieu. Votre collègue s’apprêtait à vous l’annoncer. Mais je pense que vous le montrer serait bien plus explicite et vaudrait sans aucun doute mille mots, s’exprime-t-il en enfilant des gants de laboratoire.
Je ne prononce pas une syllabe. Alors qu’il continue de se parler à lui-même, le commissaire se baisse pour, semble-t-il, se saisir d’un objet posé à ses pieds. C’est du moins ce que je m’imagine puisque nous sommes séparés par son bureau plein, fait de chêne massif, ne laissant entrevoir que le reflet de nos jambes, par les nombreuses couches de cire qui le vernissent.
— Mon dos me fait un mal de chien ! Qu’est-ce que je ne ferais pas pour faire plaisir à mon personnel.
Il se redresse lentement, ne laissant apparaitre qu’au dernier moment ce qui me semble le plus intéressant à mes yeux.
J'aperçois de nouveau le visage du commissaire qui devient peu à peu aussi rouge et tendu qu’une tomate que l’on vient tout juste de presser.
Tout ce que je peux éventuellement conclure sur cet objet à cet instant T, c’est qu’il a l’air d’être très lourd.
— Vous voulez de l’aide ?
— Non, ça devrait le faire !
Enfin, cet objet devient visible. Je n’en crois pas mes yeux. Cependant, je ne comprends pas. Je m’exclame aussitôt, ayant besoin de réponse et vite.
— Une caisse en bois de boules de pétanque, sérieusement ! En quoi seraient-elles un avantage pour la demande que je souhaitais vous faire aujourd’hui, mon commissaire ? Dois-je vous rappeler que celle-ci a à voir avec un serment émanant directement de vous ?
Je suis assise confortablement sur ses sièges. Dans ces moments-là, habituellement, le fait de poser mon fessier sans que des douleurs me viennent a tendance à calmer les ardeurs de mon fort caractère. Là, c’est assez différent. Je me remémore en boucle depuis déjà une bonne semaine cette fameuse promesse !
— Non, je ne l’ai pas oublié. Laissez-moi juste vous montrer ceci, indique-t-il en reprenant son souffle.
Il pose la caisse vieillotte, salie par la boue, sur son bureau, avant de la faire pivoter à 180°C, laissant apparaitre sur l’un de ses flancs une inscription indélébile très récente.
Je n’ai jamais été autant dans le flou avant cet instant. En quoi diable cet objet aurait-il un rapport quelconque avec ma requête ? S’il s’amuse de ma situation et que je parviens à le prouver… Ça ne va pas le faire ! Ce n’est pas un putain de jeu !
— Je vois bien que vous êtes dans l’incompréhension, Stéphanie. Sache que j’accepte la réouverture de votre enquête, comme convenu. Vous en serez la responsable directe.
J’ai beau essayer, je ne parviens pas à faire le lien. Je regarde cette boite d’une quarantaine d’années si ce n’est plus, puis j’observe à nouveau mon supérieur.
L’effort physique qu’il vient de réaliser ne l’a pas laissé de marbre, il respire toujours à pleins poumons. Malgré la situation qui me déplaît fortement, je ne peux m’empêcher d’esquisser un léger sourire. Je pense sincèrement qu’il devrait arrêter de fumer. Il risque de ne pas voir sa retraite s’il continue sur cette mauvaise lancée...
— C’est compréhensible. Vous ne me dites pas tout. Si vous n’avez pas beaucoup de temps à me consacrer, alors venez-en au fait, que je puisse commencer à faire mon travail !
Je suis bête, mais que je suis bête, il va me prendre pour une moins que rien. Le Bois, la voilà la relation !
— N’est-ce pas en partie votre corps de métier que de lier les pièces à conviction, capitaine ? Cette boite a été retrouvée au pied du grand chêne à quelques pas de l’entrée du Bois.
— Je m’en doutais. Merci d’avoir tenu votre parole. Puis-je m’en saisir ? demandé-je en faisant référence à la boite qui continue de salir le plateau de son bureau en le désignant d’un doigt.
— Je n’en ai qu’une, capitaine ! Cependant, je souhaite que vous restiez objective dans cette affaire qui est la vôtre à présent. Oui, prenez-la, et résolvez ces énigmes !
— J’y compte bien, commissaire.
Deux décennies que j’attends ce moment. Ça ne doit pas être un hasard. Je dois remonter une petite équipe ! Et seule ma mort empêcherait d’élucider le meurtre de ma sœur ! Il est à peu près 8 heures, l’heure idéale pour réveiller nos chers amis les journalistes.
Je ne sais absolument pas quoi porter comme couleur aujourd’hui, pour me rendre à mon travail. J’hésite entre une chemise bleue pastelle, une gris souris ou il y a bien celle-là aussi, la rouge et blanche.
Quant à la cravate, n’en parlons pas, j’en ai des tonnes. Chaque matin, je mets une plombe pour me décider.
Je regarde à travers les baies vitrées de mon dressing. Le ciel est à moitié dégagé, même si je me doute que cela ne va pas durer. Si je dois me fier aux annonces météo de la veille, le temps ne devrait pas tarder à changer.
Allez, je leur fais confiance pour une fois, je valide la chemise grise. De toute manière, c’est celle qui ira le mieux avec la journée bien chargée qui m’attend. Si je dois courir partout, ma sudation n’en sera que plus discrète.
Je prends un pantalon noir, l’enfile rapidement, et me saisis de la première paire de chaussures de la même couleur bien cirées qui se trouve à portée de main.
— La noire est classe, ça fera l’affaire.
Je me relève après les avoir chaussées, puis m’avance devant le miroir. C’est dans ces moments-là que je me rends vraiment compte de la chance que j’ai.
Pour commencer, ce dressing de dingue. Pour un amoureux des vêtements comme moi, il n’y a rien de mieux que ce rangement gigantesque, tout en long, dans une pièce attenante à la chambre parentale.
En un mot, j’adore. Puis, m’apercevant dans le miroir, le bel homme que j'y vois me gonfle de fierté et me redonne de cette confiance que j'avais continuellement à l’époque. Cependant, ce n’est qu’un " faire paraitre ". Tout n’est pas rose dans ma vie depuis l’évènement tragique de l’année dernière.
Une autre silhouette apparait subitement dans le miroir, juste derrière moi, m’interrompant dans mes pensées.
— Papa, tu sais où maman se trouve ? Il est bientôt l’heure que j’aille prendre le bus. Elle devait me signer ce papier ce matin, me demande Paul, pressé.
Vivement que tout rentre dans l’ordre. Pour moi, cela devient insupportable de n’avoir pour femme qu’une signature sur un bout de papier. Cela dure depuis des mois. Elle part on ne sait où, sans prévenir qui que ce soit.
Et quand on lui pose des questions, elle répète sans cesse que cela fait partie de son travail et qu'elle ne peut dire quoi que ce soit. J'espère sincèrement que ses propos sont vrais.
— Non, je ne sais pas du tout. Je pense qu’elle est partie au travail plus tôt ce matin. Donne-moi ton papier. Que ce soit maman ou moi, ça revient du tout au tout, non ? Je me trompe ?
— Hum… Oui, ça doit revenir au même. Merci ! Je file. À ce soir, je t’aime papa.
— Oui, moi aussi. Fais attention aux autres, mais surtout à toi.
Katrina, depuis notre grosse dispute, dort sur le canapé. Même son comportement a totalement changé à notre égard. Je ne reconnais plus la femme avec qui je me suis marié il y a une vingtaine d’années. Que cette époque me manque…
— Je devrais finir de me préparer.
Je fais mes lacets et descends les escaliers étroits qui mènent au salon. Je m’arrête quelques instants devant la photo de famille qui trône dans cette pièce. Je replonge aussitôt dans mes pensées négatives…
Elle m’en veut… Du moins, c’est le ressenti que j’ai. Je défis quiconque de vivre cet horrible jour, ce lourd traumatisme de l’an dernier, sans tomber dans une dépression.
J'ai perdu cette passion du vélo qui me tenait tant à cœur et qui m’aidait à évacuer le stress des jours difficiles, et en même temps, la majeure partie de mes potes, qui ont plongé, tout comme moi, dans cette diablerie de maladie.
Quant à ma femme, elle ne m’a absolument pas accompagné dans cette thérapie que j’ai dû suivre pour surmonter cette terrible découverte. C’est en grande partie pour cela que nous ne nous adressons plus la parole.
J'entends la porte de l'appartement claquer, Paul vient de partir sans me prévenir ; quant à sa sœur, elle l’a devancé de quelques minutes. Je me sens de nouveau seul. C’est dingue, nous jouissons d’un grand duplex, d’une belle famille hormis ces derniers mois difficiles, d’une situation confortable et je trouve encore le moyen de me plaindre. Allez, il faut que j’y aille !
— Mes clés de voiture ! Je ne vais pas aller bien loin sans elles.
Ah, enfin, je les ai ! Elles étaient dans cette poche de veste mise vendredi. J’ai le nez pour retrouver les choses, un talent inné, c’est certain !
— Et mon téléphone... Il me faudrait un rappel quotidien pour ça sérieusement !
Rappel qui nécessite d’avoir ce fameux téléphone… Crétin que je suis. Je le déverrouille pour voir son niveau de batterie. J’ai tendance à oublier de le charger quand je rentre le soir.
— Trente-quatre pourcents ?
Il faut que je prenne le chargeur. J’en profite pour zieuter la date. Quoi ! Nous sommes déjà le dix-neuf. Je réalise seulement maintenant qu’un an, jour pour jour, est passé. Je devrais inviter Lukas à manger ce soir, ça va faire un bail que nous ne nous sommes pas vus.
— Je l’appellerai dans la voiture.
C’est bon. Je n’ai rien oublié ! Je peux y aller.
Comme tous les lundis, j’ai des visites de chantier de prévues. Cela se résume à se balader toute une matinée, si ce n’est une journée entière, avec un calepin en main et vérifier point par point que tout se déroule sans accroc.
Je suis architecte, et ce, depuis déjà quelques années maintenant. Aujourd'hui, mon travail est de plus en plus demandé et l’intensité de ce dernier me rappelle que je n'ai plus vingt ans.
Malgré tout, je m'y investis totalement. Non seulement j'affectionne ce que je fais, mais en plus, il me permet, le temps d’une dizaine d’heures, d’oublier mes tracas du quotidien.
— Vingt minutes de route ! J’ai largement le temps.
Dans mon petit SUV fraichement acheté, possédant les toutes dernières technologies que l’automobile d’aujourd’hui est capable de nous donner, je décide d’utiliser pour la première fois ma fonction synthèse vocale.
— Voiture, appelle Lukas.
— J’appelle Katrina.
— Non, stop, surtout pas ! Je t’ai demandé d’appeler Lukas !
— Trajet vers Arras en cours de préparation.
— Voiture, stop !
Bordel, mais à quoi bon acheter des engins une fortune, si toutes ces foutues technologies ne sont pas au point ? Je vais faire quelque chose qui est plus qu’interdit de nos jours, utiliser mon téléphone au volant. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
— Là, ça marche bizarrement… Faites que je ne croise pas de flic.
Le téléphone sonne, mes pensées s’égarent. Je pense à ma femme, qui malgré son caractère changeant, bipolaire, me manque terriblement. Je sais que pour les enfants, ce n’est pas simple. Bérénice n’en parle pas, fait comme si de rien n’était. Pourtant, je suis certain qu’elle est bien plus sensible que son frère, qu’elle cache bien son jeu.
Quant à ce dernier, Paul, il montre ouvertement ses sentiments et espère que j’agisse rapidement pour arranger la situation. Mais que puis-je faire ? Je me sens complètement désemparé face à ce mur infranchissable.
" — Oui, allô, Marc ?
— Salut Lukas, je ne te dérange pas ?
— Je suis encore chez moi. J’ai la chance, contrairement à certains, d’après ce que j’entends en bruit de fond, de pouvoir commencer mon travail à l’heure que je veux. Mais ne sois pas jaloux, on n’a pas le même salaire ! Bref, non, tu ne me déranges absolument pas. Comment tu vas ?
— Arrête de dire des bêtises, je t’assure que j’échangerai une bonne partie de mon salaire contre quelques heures de sommeil en plus quotidiennement. Compliqué en ce moment, et toi ?
— De mon côté, ça peut aller, il y a des hauts et des bas comme dans chaque ménage... Ton appel est à quel sujet ?
— Eh bah, tu es impatient, toi. Tu veux qu’on se fasse une bouffe ce soir pour parler de tout ça ? Ça fait quelques semaines qu’on a rien fait et je dois t’avouer que j’aurais bien besoin de toi.
— Marc… Je sais quel jour nous sommes aujourd’hui. Ce soir j’avais…
— D’autant plus. Tu sais à quel point j’ai besoin de parler. Allez viens, reporte tes projets.
— Bon d’accord. T’as de la chance de passer au-dessus de tout le monde, me dit-il d’une voix sarcastique.
— T’es un amour, mon pote. Bon, je te laisse, à ce soir, 18 heures, ça te va ?
— Oui, nickel ! À ce soir. "
Adorable, heureusement que j’ai encore une personne comme lui dans ma vie. Bon, d’après le GPS, je ne devrais pas être trop en retard. Arrivée prévue pour 9 heures. J’espère que le responsable de chantier sera là !
J’observe le paysage de chaque côté, semblant immobile. J'aperçois les usagers de la route autour de mon véhicule, qui comme moi, commencent à s’impatienter.
Pourquoi lorsque je pense être en avance, ou même à l’heure, le karma me remet à ma place de simple humain, qui n’est pas à l’abri d’un imprévu ?
— Putain de bouchon, j’aurais déjà dû être arrivé !
Je vous en prie, chaîne de radio, faites qu’une bonne nouvelle parvienne enfin à mes oreilles, je vous en supplie.
" Bienvenue sur AJR, la chaine radio de l’information en temps réel. Il est 9 heures cinq, l’heure de faire un tour sur les dernières nouvelles du matin. Cent-cinquante-deux, c'est le nombre de kilomètres de bouchons en Île-de-France, à l’instant où je vous parle, quatre départements tous confondus. D’ici une dizaine de minutes, la situation devrait redevenir à la normale. Les responsables : une manifestation d’agriculteurs dans toute la France, contre les décrets que l’assemblée souhaiterait mettre en place dans la journée sur la nouvelle loi contre les pesticides. Les policiers sont déjà sur place. "
— Génial, je ne suis pas près d’arriver.
Je ne sais pas quoi penser de ce genre de manif. Est-ce vraiment utile de bloquer des milliers de bonnes personnes, qui ne souhaitent qu’une chose, travailler ?
Personnellement, c’est vrai que je serais pour, si de nouvelles lois devaient impacter mon travail. Vu que je suis plutôt égoïste, tant que ça ne me touche pas d’un point de vue personnel, je ne peux qu’être contre leur manifestation.
" Une nouvelle de dernière minute vient de nous parvenir. Cette nuit, dans les hauts-de-Seine, plus précisément dans les bois de… "
— Ça y est, encore une prostituée sauvagement assassinée. J’ai l’amère impression que notre France n’est plus aussi reluisante qu’auparavant. Ça me désole.
" …Des policiers en patrouille ont mis la main sur un objet pour le moins étrange au pied d’un grand chêne. Nous ne savons pas encore avec certitude de quoi il s’agit, cependant, les enquêteurs sont certains qu’il aurait un lien avec l’affaire du meurtre de la jeune femme, retrouvée dans ces mêmes bois il y a un an, jour pour jour. Un appel à témoin est lancé, pour espérer retrouver quiconque aurait déposé cette pièce à conviction. Si vous avez été témoin de quoi que ce soit, contactez le commissariat de Boulogne-Billancourt. Quant à moi je vous retrouve dans vingt minutes, le temps d'avoir plus d'informations à vous communiquer. En attendant, je vous laisse avec des hits fraichement sortis, pour vous donner le sourire de bon matin et une courte page de pub. "
J’éteins mon poste, je ne suis pas d’humeur à entendre quoi que ce soit d’autre, là. La circulation reprend tout doucement. Mes pensées restent figées sur ce que je viens d’entendre.
— Je savais que cette journée allait remuer de la merde.
Bien que ça puisse paraître étonnant pour certains, la nouvelle de sa mort ne m’a pas anéantie. Je m’étais préparée à toute éventualité. Sa disparition a été aussi subite qu’inattendue.
J'étais jeune, j’étais naïve. Ma mère n’arrêtait pas de me répéter que ma sœur allait revenir, qu’il était inutile de s’inquiéter. Moi, je ne savais pas quoi réellement penser de tout ça.