Fugitif - Yann Bourdon - E-Book

Fugitif E-Book

Yann Bourdon

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Beschreibung

Noëlle, une mère octogénaire et enfermé depuis longtemps dans un asile psychiatrique, pense revoir son fils, mort, aux informations du midi. Un fils qui l'avait abandonnée soudainement, sans explications, et différent familiale. Étant dans l'incompréhension, elle souhaite comprendre ce qui a bien pu se passer. Seulement, personne ne veut l'écouter. Stéphanie est à présent commissaire et ne s'attendait certainement pas à ce qu'elle allait découvrir. Des difficultés dans les comptes, un personnel qui la jalouse atrocement et de macabres découvertes. Néanmoins, à présent, elle n'est plus seule. Thomas est rentré dans sa vie. Seulement tous n'est pas rose de son côté. Ayant tué une personne l'année passée, il peine à surmonter cette épreuve. Noëlle, va-t-elle trouver réponse à ses questions ? Et comprendre enfin ce qui a bien pu arriver à son fils unique qui l'a abandonné ! Quant à Stéphanie, va-t-elle parvenir à surmonter tous les obstacles qui lui barrent la route ? Et Thomas va-t-il enfin parvenir à sauter le pas de la dépression et se ressaisir ? Car le sort de la ville de Boulogne-Billancourt en dépend.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Un grandissime merci à

Taniasans qui ces livres

ne seraient pas ce qu'ils sont.

Également, un grand merci à mes sources

d'inspirations, Gaëlle, Louise, ainsi que toutes

les personnes qui ont crues en moi et qui m'ont

permis page après page d'écrire ces romans.

TABLE DES MATIÈRES

NOËLLE —

IL Y A UN MOIS

STÉPHANIE

— JOUR 1, DANS LA MATINÉE

NOËLLE —

JOUR 1, DANS LA MATINÉE

STÉPHANIE —

JOUR 1, AU MÊME MOMENT

NOËLLE —

JOUR 1, FIN DE MATINÉE

THOMAS —

JOUR 1, AU MÊME MOMENT

STÉPHANIE

— JOUR 1, FIN DE SOIRÉE

THOMAS —

JOUR 2, AU MILIEU DE L'AUBE

STÉPHANIE —

JOUR 2, DANS LA MATINÉE

NOËLLE —

JOUR 2, DANS LA MATINÉE

THOMAS —

JOUR 2, DANS LA MATINÉE

STÉPHANIE —

JOUR 2, FIN LA MATINÉE

THOMAS —

JOUR 2, AU MÊME MOMENT

STÉPHANIE —

JOUR 2, MIDI

THOMAS —

JOUR 2, AU MÊME MOMENT

NOËLLE —

JOUR 2, DANS LA NUIT

STÉPHANIE —

JOUR 3, DANS LA MATINÉE

THOMAS —

JOUR 3, UNE HEURE PLUS TÔT

NOËLLE —

JOUR 4, DÉBUT DE LA NUIT

STÉPHANIE —

JOUR 4, PLUS DANS LA NUIT

THOMAS —

JOUR 4, FIN DE MATINÉE

STÉPHANIE —

JOUR 4, MIDI

NOËLLE —

JOUR 4, QUELQUES MINUTES PLUS TARD

STÉPHANIE —

JOUR 4, DANS L'APRÈS-MIDI

THOMAS —

JOUR 4, VINGT AUPARAVANT

STÉPHANIE —

JOUR 4, DANS L'APRÈS-MIDI

NOËLLE —

JOUR 4, DANS LA SOIRÉE

THOMAS —

JOUR 5, FIN DE MATINÉE

STÉPHANIE —

JOUR 5, FIN DE MATINÉE

THOMAS —

JOUR 5, AU MÊME INSTANT

STÉPHANIE —

JOUR 4, AVANT LE RÉVEIL DE THOMAS

THOMAS —

JOUR 5, RETOUR AU PRÉSENT

STÉPHANIE —

JOUR 5, UNE HEURE AUPARAVANT

BOULOGNE-BILLANCOURT

PRINTEMPS 2021

1

NOËLLE

IL Y A UN MOIS

Depuis la disparition de mon fils il y a plus d'une décennie, je suis une vieille dame meurtrie par les années qui défilent. Je me renferme dans mon moi intérieur, ne parlant aux autres que lorsque j'en ai décidé.

Je suis également prisonnière d'une médication à outrance, souscrite par un médecin que j'apprécie grandement pour traiter mes périodes de crises. D'après les dires de nombreux spécialistes dans leurs genres, que je récuse, il en convient, je serai une schizophrène, terme que je trouve ignoble et que je n'accepte pas, que l'on me donne entre ces murs.

Lorsque je déraille, les personnes qui m'entourent me surnomment simplement " la folle " mais je ne le suis pas. Cependant, je dois bien admettre que lorsque les effets de mon lourd traitement s'estompent, je me mets à hurler intensément, je ne parviens pas à me retenir. C'est le seul moyen que j'aie pu dénicher pour faire taire ces voix qui me rongent à petit feu.

Visiblement, cela n’enjouait pas ceux qui avaient le malheur de m'entourer dans mon précédent lieu de vie, puisque j'ai été transférée en très peu de temps.

Je pensais finir ma vie dans un état végétatif, rongée par les remords, mais il y a quelques semaines de ça, ma vie fut une nouvelle fois complètement chamboulée, et mon quotidien davantage noirci par les idées sombres qui m'envahissaient. La raison de ce bouleversement est lié à une découverte étonnante, dont personne ne veut prêter attention.

Pour ma part, chaque jour se ressemblait. J'avais pour seul but, me lever lorsque mes yeux s'ouvraient et me coucher le soir à la nuit tomber. Ce matin-là, mon réveil en décida autrement.

La sonnerie se mit à retentir et me tapa dans le crâne. Je mourais d'envie de lui taper dessus pour qu'elle se taise. Finalement, je pris la décision de me lever seulement lorsque mon corps l'aurait décidé.

C'était donc, à mes yeux, une nouvelle journée en prévision qui, je le pensais, dès mon premier pied à terre, serait aussi insipide que celle de la veille et de l'avant-veille.

— Les voix ne proviennent pas de moi ! JE SAIS CE QUE JE DIS ! JE SAIS QUI JE SUIS ! Par ailleurs, j'ai envie d'un café ! disé-je d'une voix terrifiante, sentant que mon traitement, avant mon coucher de la veille, commençait à s'estomper.

Une vieille femme qui hausse le ton est mal vue dans un établissement de santé. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais fini ici, dans un beau centre psychiatrique dans ma ville fétiche de Boulogne, à l'âge honorable de quatre-vingt-un ans, et non dans un Ehpad traditionnel comme auparavant.

Je ne me plains pas de ma situation en disant cela, oh que non. J'ai une agréable petite pièce de vie, une modeste cuisine ouverte et une salle de bain que je considère comme très fonctionnelle.

Toutefois, toutes ces chambres sont dans leur plus simple appareil, sans aucune décoration, aux couleurs neutres, avec aucun objet ne pouvant mettre ma vie ou celle des autres en danger.

Comme un pantin habitué au geste du quotidien depuis de nombreuses décennies, je préparais mon café dans ma cafetière flambant neuve en plastique.

À ce moment-ci, je tournais mon regard dans le coin de ma pièce pour y observer ce que j'avais failli oublier de mentionner et ce qui est pour moi un véritable trésor. Je me souviens d'avoir souri à pleines dents, comme toujours à la vue de cet objet.

— Mon magnifique fauteuil.

Une fois que mon expresso eut fini de couler, je pris ma tasse bien chaude entre les mains et alla m'installer sur cette assise certainement aussi vieille que moi. Je tenais à ce meuble venu d'un autre temps, comme à la prunelle de mes yeux.

Ce n'est pas n'importe lequel. Nous les anciens, comme disent les jeunes, nous nous attachons à de petits objets du quotidien. Non pas parce que nous sommes matérialistes, loin de là. Ces objets, ô combien banals, renferment en leur cœur des histoires de nos vies d'antan. Ce fauteuil est la dernière trace de mes nombreuses années de jeunesse, il est également le dernier lien qui me rattache à mon fils.

Il appartenait à ma mère. Petite, mes parents n'avaient pas les moyens de me faire beaucoup de cadeaux. C'était un temps où la bonne nourriture et un estomac qui ne gargouille pas, valaient bien plus aux yeux de tous que la technologie abondante de ce temps qui me débecte.

Il me rappelle tous mes combats de jeunesse à pouvoir élever dans de bonnes conditions mon Louis, au côté de mon époux.

— J'ai encore oublié de prendre cette télécommande de malheur avant de m'asseoir. Cela devient vraiment pénible à force. JE SUIS AGACÉE, crié-je, furieuse de constater ma régression au fil des ans.

Je me suis levée à mon allure, sentant toutes les articulations de mon corps grincer à chaque mouvement que je réalisais. Je supporte de moins en moins cette fatigue qui me ronge.

— Pourquoi te sens-tu obligée de repenser à ton fils ? Ce n'est pas ainsi qu'il va revenir dans tes bras ! LOUIS, REVIENS-MOI JE T'EN CONJURE !

Je me parle souvent à moi-même. Vivant seule, je pense que c'est une manière assez humaine de se sentir, en quelque sorte, entourée. Ma voix, cette voix qui me fait du bien, et qui également, va me forcer à mettre un pied dans la tombe.

Ce matin-là, le traitement ne faisait plus du tout effet. Je savais aussi qu'il n'allait pas m'en falloir beaucoup plus qu'un petit oubli pour me mettre à hurler.

Une fois la fameuse télécommande en ma possession, je me rassois et allume l’écran afin d’obtenir les nouvelles de la matinée. Appuyant sans arrêt sur le bouton censé allumer la télévision, sans qu'il ne se passe rien, sans que j'entende quoi que ce soit, si ce ne sont les acouphènes de mes tympans fatigués qui persistent dans mes oreilles, je suis partie dans une nouvelle crise.

— JE NE LES CROIS PAS, NON, C'EST IMPOSSIBLE !

Cette voix qui me hurle de pousser les investigations, car je ne crois pas une seule seconde que mon fils a pu me quitter aussi simplement. Sans me prévenir, sans un au revoir.

Cette voix dans mon crâne que les experts pensent être une tout autre personnalité. Cette voix qui va me forcer à faire du mal aux autres lorsque je serai vraiment au bout du bout pour espérer obtenir des explications.

Lorsque j'en aurai assez que l'on ne m'écoute pas, sous prétexte que des inconnues ont mis sur mon front une étiquette de folle, malgré cette future découverte blessante qui ne changera pas le regard des autres sur moi.

— J'en ai assez, je suis épuisée. Une personne ne devrait pas vivre ce que je vis. EMILY, S'IL TE PLAIT, J'AI BESOIN DE MÉDICAMENTS ! réclamé-je à bout de force pour faire cesser ces voix.

Aussi, je suis agacée de toutes ces questions indénombrables que je me pose sans cesse sur la disparition de mon fils. Elles tournent en boucle dans ma tête et retournent mon esprit déjà fragilisé par mes nombreuses épreuves passées.

J'ai perdu mon mari il y a une vingtaine d'années, il s'appelait Émile, c'était l'homme de ma vie. Mon fils, mon merveilleux enfant quant à lui, a arrêté de me donner de ses nouvelles le 10 mai 2007. Cette terrible date restera ancrée en moi jusqu'à la fin de ma triste vie. Je n'arrive pas à m'en remettre, car je ne crois plus en personne.

Mon Louis ne m'aurait jamais fait ça. Il lui est arrivé quelque chose de terrible, j'en suis persuadée ! Et aucun spécialiste n'accepte de m'écouter, malgré les preuves personnelles qui continuaient de s'accumuler.

— MON FILS A DISPARU, IL FAUT LE RETROUVER ! AIDEZ-MOI À LE RÉCUPÉRER JE VOUS EN SUPPLIE !

Comme d'habitude, il fallait peu de temps à l'équipe médicale pour accourir à mon chevet. Je les entendais déambuler dans les couloirs à une allure rapide, se dirigeant tout droit vers le pas de ma porte. D'ailleurs, je m'en souviens, elle s'est ouverte, alors que j'allais m'apprêter à jeter ma tasse à terre pour l'exploser de colère, ce qui m’aurait permis de me calmer légèrement.

— Madame BRAUDA, ne vous inquiétez pas, on va le retrouver votre fils. Mais avant, il faut que vous nous écoutiez et que vous preniez votre traitement. Je vous donne ma parole que ça ira mieux dans une poignée de minutes, assurait d'une voix apaisante Emily, une superbe et compétente infirmière qui me traite convenablement.

Et ce n'est pas le cas de tous ici. Je dirais que pour exercer un métier aussi épuisant moralement et physiquement, il faut être soit fou, soit passionné. En réalité, je pense qu'il s'agit d'un pléonasme, toutes les personnes qui travaillent dans cet établissement sont certainement folles.

— Comme moi finalement, me dis-je à voix haute à cet instant en pensant à cette ironie.

— Madame BRAUDA, on n'a pas toute la journée. Prenez vos médicaments, il est l'heure. Je n'ai pas envie de vous attacher aujourd'hui parce que vous avez décidé de vous rebeller pour la énième fois, ça ne m'amuse pas, ça ne m'amuse plus, prévient Alexis d'une tonalité de voix granuleuse.

Lui, je ne l'ai jamais apprécié. C'est un jeune homme, certes charmant, mais qui cache au fond de lui un terrible visage dont je suis visiblement la seule ici à ne pas me leurrer. Ce matin-là, il était étrangement patient, ce qui n'était pas dans son habitude. Je lui répondis avec mon tact provocateur.

— Tu ne me fais pas peur Alexis !

— Madame BRAUDA, combien de fois devrais-je vous dire que je ne suis pas ici pour vous faire peur, pour vous faire du mal, pour vous séquestrer contre votre volonté ou bien encore, vous assommer de médicaments. Non, ça, ce n'est pas le métier pour lequel je me suis engagé. Maintenant, vous me forcez la main, alors prenez votre traitement pour que nous puissions aller nous occuper d'autres patients. Vous êtes loin d'être la seule ici à nous solliciter.

Ces quelques mots sortis de sa bouche, m'avaient procuré comme un vent de fraîcheur. Je le sentais sincère et je compris que mon comportement était loin d'être simple à supporter pour eux. Quant à Emily, elle n'avait soulevé aucune résistance, alors étant celle qui portait la culotte dans ce duo de soignant, je me suis immédiatement sentie en sécurité.

Sans attendre, j'ai tendu la main droite pour me saisir de ces pilules. De la main gauche, l'infirmière me donna mon petit verre en carton pour les avaler, avant de le lui redonner.

— Un grand merci Madame BRAUDA, ça fait plaisir lorsque vous ne nous empêchez pas d'exercer. Il est 7 heures, nous reviendrons dans quelque temps…

— Alexis, la télévision refuse de s'allumer, dis-je en le coupant dans son élan, frustrée de ne pas avoir de bruit de fond.

— Oui, je m'en occupe. J'espère que vous avez conscience que c'est loin d'être la première fois que vous débranchez les prises durant la nuit Madame BRAUDA ! avouait-il en soufflant. Voilà, réessayez maintenant.

Je m'empressais de m'acharner sur ce bouton magique, lorsque enfin le téléviseur s'alluma. Mon visage rayonnait de bonheur, il m'en fallait peu. En réalité, les petits feuilletons et les reportages me permettaient, eux aussi, de faire taire ces voix. Alors, je ne me doutais à aucun moment de ce qui allait suivre.

— Vous voyez, ça refonctionne. Arrêtez de débrancher les prises et vous n'aurez plus ce problème, m'expliqua-t-il en rangeant le chariot qu'ils emmènent avec eux partout.

— Bonne matinée Noëlle, appelez-nous en cas d'extrême nécessité aujourd'hui, nous sommes débordés, ajouta Emily avant qu'ils ne quittent tous deux ma chambre.

D'un sourire, je les remercie, puis repris aussitôt ma tasse de café en main, prête à suivre les nouvelles de la matinale, impatiente de découvrir les sujets croustillants probablement traités.

Je me suis dandinée sur l'assise pour être confortablement installée pour les prochaines heures qui vont suivre. Je tendais l'oreille vers le poste lorsqu'un changement de programme soudain s'est produit. Généralement, cela m'assurait des informations très intéressantes dont je me rassasiais.

" Mesdames et messieurs, ce matin, nous privilégions l'antenne pour un fait divers qui en intéressera plus d'un. Dans la nuit, aux alentours de 4 heures 30 matin, un homme qui aura fait les unes de tous les journaux en 2007 est décédé. Pour cause, Jules DONIQUE a été le premier cas en France répertorié, comme le seul et unique meurtrier jugé alors même qu'il était dans un profond coma. Il n'aura donc jamais eu conscience de son emprisonnement et du jugement puisqu'il ne se sera jamais réveillé. Les deux corps des disparus pour qui il a été emprisonné ne seront probablement jamais retrouvés. Nous n'avons pour le moment aucune information sur la cause de son décès. Nous reviendrons alors sur cette nouvelle dans la journée pour vous reparler de cette terrible histoire qui aura brisé le cœur de millions de Français. "

Aussitôt, je sentis mon cœur s'emballer. La photo de cet homme dont le nom m'était totalement inconnu était devant mes yeux. Mais son visage ne me trompe pas, je le connais bien. Je le connais trop bien.

— LOUIS, C'EST LOUIS ! J'AI BIEN FAIT DE NE PAS LES CROIRE. MON DIEU, LOUIS, MAIS QU'EST-CE QUE TU AS ENDURÉ.

Dans la minute, je me suis retrouvée attachée à mon lit, la télévision éteinte. À vrai dire, je peux les comprendre, je suis ici parce que des inconnus me traitent de folle. Alors quand une folle dit qu'elle a trouvé son fils mort à la télévision, ça ne peut qu'amplifier leurs pensées négatives contre moi.

Depuis ce matin-là, j'essaie de m'échapper de cet enfer pour rencontrer la police qui je l'espère acceptera de m'écouter. Mes déclarations n'avaient déjà aucune valeur avant cette découverte, donc face aux informations vérifiées et revérifiées par de nombreux journalistes dans le passé, je n'osais pas imaginer ce qui allait suivre en mettant les pieds dans le plat.

Je ne me doutais pas un seul instant des répercussions que cette effrayante nouvelle allait avoir sur moi au quotidien. Mais je me battrais jusqu'au bout pour découvrir ce qui lui est arrivé.

BOULOGNE-BILLANCOURT

UN MOIS APRÈS

2

STÉPHANIE

JOUR 1, DANS LA MATINÉE

Ça faisait un bout de temps que j'avais envie de changer d’appartement, mon ancien était beaucoup trop petit, trop exigu, puis je ne me voyais pas spécialement y finir mes jours.

Avoir l’impression de stagner dans la vie est certainement la pire sensation pour moi. À plus de quarante ans, il est quand même dommage de ne pas vouloir voir des changements majeurs dans son quotidien.

Mon nouveau chez-moi est, comment dire, disproportionné en comparaison à celui où je vivais avant. Dire qu'il faut faire plus de dix mètres pour me rendre dans la salle de bains de la suite parentale, je vais vite fatiguer, ou bien tonifier mes vieilles cuisses molles.

C'est un grand appartement au rez-de-chaussée d'un bel immeuble, avec un jardin d'une cinquantaine de mètres carrés. Suffisamment grand pour inviter la famille et les amis à des repas au soleil, mais pas trop non plus pour ajouter la corvée de jardinage dont de toute manière, je ne me serais pas occupé, par pure feignantise.

Il n'a pas énormément de pièces. Deux salles de bains, deux toilettes, la chambre parentale et une chambre d'amis, ainsi qu'un bureau et un vaste séjour ouvert avec une cuisine moderne.

— Rho, j'ai le droit de plaisanter…

Un confort dont jamais, je n'aurais imaginé pouvoir avoir dans ma vie. Il faut dire que les indemnités de logement de ma nouvelle fonction nous aident bien à accéder à ce genre de privilège.

Maintenant, il va falloir que je m'habitue au gros volume, parce que moi qui ai toujours été habitué aux endroits exigus, j'ai l'impression d'avoir trop d'espace que nécessaire. Je ne me plains pas, c'est une simple constatation.

— Hé, j'ai réussi à changer de vie, je n’y crois pas.

Je ne pensais pas y parvenir. Mon ancien logement me rappelait bien trop ma sœur dont je n’arrivais pas à faire le deuil avant que Monsieur Taler ne m’aide à recoller les morceaux de cette affaire sanglante. Il me rapprochait aussi de ma mère qui n'arrivait pas à accepter de me voir m'éloigner ne serait-ce que quelques kilomètres en plus de la peur constante de me perdre de vue.

Je pouvais la comprendre, elle a perdu une de ses filles dans des circonstances affreuses sans avoir aucune information la concernant pendant des décennies, alors il lui était impossible de ne pas garder un œil attentif sur moi.

Seulement, maintenant que nous avons fait toutes les deux le deuil de Katelina, il est temps pour chacune d'accepter que l'autre vive sa vie et ses expériences de son côté. Je refuse de croire qu'un malheur aussi important puisse se réitérer au sein d'une même famille, les probabilités sont nulles et j'espère ne pas me tromper lorsque je pense ça. Je ne peux pas me retenir d'exprimer ma joie à vive voix.

— Mais elle aussi y est parvenue.

Ma mère , à mon plus grand étonnement , est partie dans une ville voisine. Boulogne-Billancourt lui rappelait trop de déplorables souvenirs. Il lui fallait complètement changer de lieu, non pas pour oublier, mais pour profiter pleinement et sans regret des années de vies qui lui restent à vivre.

Elle s'est trop retenue pendant trop longtemps par crainte et il est temps pour elle de s'émanciper, de tourner la page sans pour autant l'oublier.

— Et Thomas…

En très peu de temps , mes habitudes ont été entièrement chamboulées. Ce qu’il s'est passé est relativement compréhensible, un collègue avec qui l'on vit des moments difficiles peut créer des rapprochements, une complicité qui s'accentue au fil du temps.

L’année dernière, lorsqu’il a dû mettre un terme à la course meurtrière de Katrina en la neutralisant, je l’ai vu se renfermer sur lui. J’ai souhaité l’accompagner dans cette épreuve délicate. Il n'aura pas fallu énormément de soirées pour que nous nous voyions autrement que de simples collègues. Pour mon plus grand bonheur.

Là, je l’observe tranquillement se réveiller à mes côtés. Moi qui fantasmais à l’idée d’être avec lui un jour, nous voilà côte à côte sous les draps.

— Tu es mignon, quand tu ne parles pas, dis-je sur le ton de la plaisanterie.

Merde, j'ai parlé un peu trop fort.

— Bonjour ma chérie, tu me regardes de cette façon depuis longtemps ? interroge-t-il en se frottant les yeux délicatement. Tu fais peur.

— Tes premières phrases lorsque tu te réveilles sont toujours sympathiques. Oui, je n’arrivais pas à me rendormir. Alors, te regarder est pour moi un moyen de me retrouver comme dans un rêve.

— C’est mignon, en revanche arrête de me fixer avec cet air. J’ai l’impression que tu as juste envie de me manger ! bafouille-t-il, avec un léger sourire au coin de ses lèvres.

— Excuse-moi, je ne voulais pas paraître bizarre, je suis juste un peu stressée en ce moment.

— Mais, arrête de t’excuser tout le temps, tu n’as pas besoin de te rabaisser avec moi, explique-t-il en se redressant sur le lit, avant de me prendre par la main. Tu ne te sens pas bien parce que c'est enfin le jour J ? C'est normal, je serai dans un bien pire état que toi, si j'étais à ta place. Alors commence par respirer un grand coup.

Il est très fort, cette intelligence et cette logique font partie intégrante de son charme, je ne m'en cache plus. Et dire que pendant un temps, je restais froide avec lui de peur de vraiment m'attacher. Alors qu'il m'a avoué, quelques mois auparavant, qu'il avait exactement la même stratégie pour ne pas tromper sa femme avec moi. Son ex-femme.

D'accord, je ne suis pas fidèle à mes principes moraux primaires, qui consistent à avoir une ligne de conduite bien définie que je ne devais jamais franchir. Seulement, je crois également au destin.

Dois-je m'en vouloir d'avoir foi en un chemin de vie tout tracé, sur lequel se serait placé ce beau mâle qui se trouve à mes côtés ?

Non, je ne m'en veux pas, pourtant au tout début, psychologiquement, je dois admettre que j'ai peiné à accepter que je prenais lentement la place d'une autre femme.

— Oui, ça y est, je suis commissaire. Et nous, nous sommes enfin installés tous les deux dans ce gigantesque appartement !

Nous avons fini d'emménager la veille, je suis épuisée. Toutefois, je sais pertinemment que la journée qui s'annonce risque de s'avérer bien plus tumultueuse que le transport de cartons fragiles.

— Et je suis très fier de toi, tu le mérites, m'avoue-t-il en se levant de notre immense lit pour aller avaler les antidépresseurs qui font partie intégrante de sa vie.

— Merci, lui dis-je en lui envoyant le plus beau de mes sourires.

Je l'observe sans dire un mot. J'ignore s'il m'ensorcelle ou si c'est juste le destin qui me laisse dire que ma vie suit un cours bien plus stable depuis qu'il est avec moi. Maintenant, je ne peux pas m'empêcher d'avoir des pensées pour son ex-femme.

Elle a été pour le moins compréhensive, comme si elle avait senti que Thomas s'écartait à petit feu, depuis les premiers jours où nous collaborions. Elle n'avait pas non plus la force que j'ai eue et que je continue d'avoir pour l'accompagner dans sa guérison lente.

— Tu crois que ce que nous faisons est bien Thomas, réellement ?

— Si tu parles de notre emménagement, oui. Si tu mentionnes notre relation, encore oui. Je sais ce que tu as dans la tête Stéphanie et je te demanderais d'arrêter d'y penser. Mon ex-femme et moi nous avons pris la décision de nous séparer d'un commun accord. Tu y es certes pour quelque chose, mais rien n'est ta faute. Pour le détail du jour, les relations humaines sont ce qui me fascine le plus, c'est d'abord pour ça que j'avais pris la décision de rentrer dans la police. On est tous adultes et consentants. Tu n'as fait de mal à personne, moi oui.

Nous avons pris la décision de nous raconter un petit détail de nos vies, l'un sur l'autre à chaque réveil. J'ai lu dans un magazine, il n'y a pas longtemps, que ça pouvait rapprocher davantage les liens dans un couple. Ça a l'air de marcher avec nous.

Après ça ne veut pas dire non plus que je pense comme lui tout le temps. Là, par exemple, absolument pas.

— Elle était bien plus belle que moi et bien plus intelligente ! Plus jeune aussi. J'ai l'impression de t'avoir volé à elle !

Après avoir avalé ses différents cachets qui lui permettent de se maintenir à flot, il se rapproche de moi, me tend ses deux mains pour me lever du lit, puis rétorque d'une voix mélodieuse.

— La vie est parsemée de surprises. Parfois bonnes, parfois mauvaises. Lorsque j'étais au lycée, je pensais avoir trouvé la femme de ma vie. J'avais l'impression que rien ne nous séparerait. Oui, elle est magnifique, mais tu l'es également. Oui, elle est aussi intelligente que toi. Vous êtes toutes les deux différentes, et la raison pour laquelle mon cœur a choisi de vivre avec toi, Stéphanie, plutôt que de continuer à vivre du sien n'a été que le résultat d'un bref échange de regard. D'une complicité et d'une profonde compréhension des blessures que nous portons.

Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire lorsqu'il me parle abondamment pour tenter de rassurer mes craintes. Il n'est plus le lointain collègue dont j'étais éperdument attirée et pour qui je restais froide de peur de m'attacher. Il est celui qui m'aime en retour. Je baisse les yeux au sol, avant de lui répondre sur le ton de l'humour.

— Tu te fais philosophe à présent ?

— Non, du tout. Ce que j'essaie de te faire comprendre, c'est que j'ai su qu'elle ne pourrait pas accepter de m'épauler dans les lourdes épreuves que j'ai vécues ces derniers mois, contrairement à toi. C'est une femme qui aime la vie, qui apprécie un quotidien linéaire et monotone. Dès lors qu'un événement vient bouleverser cet équilibre fragile, tout semblait s'effondrer dans sa tête. Elle voyait tout noir au lieu d'aider notre couple à retrouver un peu de lumière. Tu m'as apporté cette lumière dont je manquais et aujourd'hui, j'ai l'impression de faire des insolations, ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie avant de m'embrasser pour m'empêcher de rétorquer.

Cet homme est l'insolence en personne. Il a un égo démesuré, un charisme impressionnant et il a cette habitude de toujours maintenir sa tête haute et fière. Il parle souvent de lui. En réalité, il replace assez fréquemment les sujets sur sa personne. Tout ça fait de lui, ce qu'il est et je l'accepte tel qu'il est.

Il a ce don que d'autres n'ont pas eu avec moi, de constamment avoir les bons mots pour me remonter le moral. Et ça marche, alors ma grande, tu vas arrêter de te poser un millier de questions et tu vas profiter de la vie qui s'améliore enfin radicalement pour toi !

Ça ne veut pas dire cependant que je n'ai plus le droit de le taquiner. Puis, de toute manière, je porte la culotte dans notre relation, donc il peut avoir le plus grand égo que la terre n'ait jamais porté. Je sais que ce sera toujours moi qui aurai le dernier mot.

— D'accord, tu as de bons arguments. Tu devrais te recycler en coach en relation homme et femme, toi, tu ferais un malheur. Je me demande encore ce que tu fiches à la police.

— J'aime embêter mon prochain, dit-il d'un air solennel en me fixant quelques secondes avant d'exploser de rire. Non, mais tu verrais ta tête Stéphanie. Tu le sais aussi bien que moi qu'il n'y a pas meilleur métier pour aider son prochain.

— Très drôle, vraiment. Tu as failli m'avoir.

— Bon, tu es moins stressée, j'espère ? me demande-t-il en se dirigeant vers notre dressing pour choisir sa tenue de la journée. Allez, on se bouge, on va être en retard, ce serait dommage pour notre reprise.

— Zut, oui, je n'avais pas vu l'heure.

Il a raison, à force de parler, je ne vois pas l'horloge tourner. C'est fou comme les minutes à ses côtés semblent complètement disparaître.

Je décide de le rejoindre dans la seconde avec toujours des tonnes de questions concernant notre relation qui me viennent en tête sans pour autant les lui poser.

Il n'y a pas mieux que le temps pour obtenir des réponses alors, je verrai bien comment ça se goupille pour nous.

Une vingtaine de minutes viennent de s'écouler, il est approximativement 7 heures trente et nous sommes attendus dans exactement un quart d'heure au commissariat.

Il faut plus de quinze minutes pour nous y rendre à pied à une cadence moyenne. C'est un rituel auquel je ne compte pas déroger de ma vie et auquel Thomas va devoir s'habituer, car je ne lui ferai aucun cadeau et je ne changerai pas mes habitudes pour ses beaux yeux. Autant dire que nous avons intérêt à nous dépêcher.

— Thomas, sors des toilettes, il faut y aller !

— Tu ne veux pas partir devant ?

— Pourquoi je partirai… J'ai compris. Tu ne désires toujours pas que les autres nous voient ensemble !

— Non, ce n'est pas ça Stéphanie, ne prends pas mal tout ce que je te dis.

— Alors, quelle est ta raison ? Je t'écoute, dis-moi.

— Je… Bon, tu as raison, je ne me sens pas prêt. Je crains la réaction des collègues. Chaque chose en son temps, s'il te plaît Stéphanie. Sois un peu conciliante avec moi.

À peine a-t-il terminé sa phrase que ma veste était déjà sur mon dos, mes chaussures enfilées et mes lacets faits à la va-vite.

Un pied sur le palier, sur le point de m'en aller, je reste muette sur les derniers propos qu'il vient de me tenir. J'hésite à rétorquer et me ravise. Dans la seconde, je dépasse le sas de la porte en la claquant derrière moi.

— Parfait, Thomas. Ne t'en fais pas, les autres ne sauront rien. Ce n'est pas un problème pour ma part, me dis-je à moi-même en marmonnant.

3

NOËLLE

JOUR 1, DANS LA MATINÉE

Je ne me sens pas en grande forme ce matin, à vrai dire, je ne pourrais pas savoir si je suis triste ou tout simplement déçue par mes conditions d'existences.

Il y a encore quelques années, le simple fait de voir un ciel aussi beau que celui que j'ai la chance d'entrevoir à travers la petite fenêtre de ma chambre me procurait une bouffée de bonheur. Là, ça ne me fait, ni chaud, ni froid, rien.

— Les années filent et je suis toujours aussi seule.

La chaleur du soleil me caressant le visage m'apaisait grandement. Une légère brise balançant au vent mes cheveux grisâtres me faisait me sentir jeune, volante et galopante.

Le parfum des fleurs de saisons me rappelait mon enfance dans les immenses campagnes mises à sac aujourd'hui. Le ciel jouait un rôle majeur sur mon humeur de la journée, aujourd'hui, il m'importe peu, car j'ai été brisée.

J'ai été totalement déshonorée, comme si mes pensées, mes valeurs et mes envies ne valaient plus rien. Comme si ma simple existence était vaine.

Je me rappelle un temps où le respect de l'autre était une priorité. Lorsque la nature humaine de l'entraide, du partage, de l'altruisme prédominait sur le capitalisme.

Attention, je suis très loin d'être une communiste. Cependant, j'estime qu'un monde sans compassion, sans compréhension de l'autre, sans ce qu'il faisait de nous une espèce à part, est futile. Une espèce avec laquelle personne, je dis bien en aucun cas personne, ne se sentait au-dessus de l'autre. Du moins dans cette fichue classe sociale moyenne où la majorité des individus que nous sommes vivent.

Aujourd'hui, tôt dans la matinée, mon quotidien déjà morose a été sali davantage. Je n'arrive pas à m'habituer à cette maltraitance. Je me pensais forte et capable de surmonter une multitude d'obstacles durant ma vie, mais je ne me doutais pas un seul instant que je finirais dans de telles conditions !

— Comment ont-ils pu me faire ça ?! C'EST COMME ÇA QUE L'ON TRAITE UNE GRAND-MÈRE, ICI ?!

Je tente de me relever de la salle de bain commune. Mes jambes frêles tremblent encore. Les aides soignants ont vraisemblablement souhaité s'amuser avec mon vieux corps. Moi qui les suppliais d'arrêter de me prendre pour une niaise et de simplement m'aider à retrouver la vérité concernant mon fils, ils n'en ont eu que faire.

Être prise pour une folle dans ce monde de fou devrait justement nous permettre d'atteindre les sommets de leur estime. Mais non. Ils sont si aveugles de leurs propres générations qu'ils se permettent de maltraiter une pauvre petite dame. Comme pour se sentir supérieur, avec leurs rires moqueurs. Ils m'attristent.

— J'obtiendrais justice pour moi et pour Louis. Ce sera le dernier combat de ma vie.

Ou alors c'est parce que je m'intéresse d'un peu trop près à la personne que j'ai vue sur la télévision et qui ressemble trait pour trait à Louis qui les gêne tant. Ils souhaitent me faire taire.

— Mon pauvre Louis… Ils ne réussiront pas à me faire lâcher prise, je te le promets mon petit.

Dans tous les cas, c'était la dernière fois qu'ils me traitaient aussi mal ! Aujourd'hui, je me tiens la promesse que ma situation va changer en mieux. Moi qui leur demande uniquement d'être écoutée par la police depuis des semaines maintenant, on verra bien qui aura le dernier mot.

Je ne me laisse plus faire, c'est hors de question. Une vieille dame peut aussi avoir du répondant ! Aujourd'hui, les investigations vont grandement avancer.

Il est un peu plus de 8 heures du matin. Je suis parvenue toute seule à me relever de ma toilette d'horreur comme elle m'est donnée chaque matinée depuis ma découverte. Comme je l'ai présumé, il doit y avoir une cause à effet à cela, un lien. Le personnel soignant n'était pas aussi méchant avec moi auparavant.

À coup de jet d'eau froide, à m'obliger à me savonner avec le gant que tous les autres patients ont dû, eux aussi, utiliser de force. J'ai beau chercher, je n'arrive pas à trouver de raisons valables de me faire cela, à part pour me faire taire.

— Puis, ayant été durant toute ma carrière secrétaire médicale, je sais de quoi je parle.

En plusieurs décennies, on a le temps d'en voir des choses. Dans les établissements que j'ai pu arpenter, un bon nombre de secrets y étaient bien enfouis. Je suis tombée à de multiples reprises sur des documents dont jamais, je n'aurais dû connaître leur existence.

— Mince alors, ah oui, je me rappelle, ça y est… Quelle horreur !

Une faute impardonnable d'un médecin qui n'a pas daigné prévenir son patient de son erreur. Le laissant dans le flou le plus total quant à sa santé en constant déclin, si mes souvenirs ne me jouent pas des tours, il est mort sans jamais avoir su la vraie raison. Un cancer de la moelle épinière avancé, diagnostiqué comme une scoliose inopérable.

Il y a aussi eu une amputation du mauvais membre qui a été bien indemnisée pour éviter que la réputation du responsable et de son établissement de santé ne soit affectée par les médias, mais ce n'est pas le pire.

Le plus horrible à mes yeux a été d'avoir trouvé des documents d'une maternité dont j'avais la charge administrative, disant, dans une des notes internes, " s'être trompée dans l'étiquetage des naissances d'une journée ". Ce qui a eu comme conséquence que la majorité des parents sont repartis avec un enfant qui n'était pas le leur. La maternité s'en est rendue compte des mois plus tard. La conclusion de cette note interne, assurait qu'il fallait coûte que coûte enterrer cette découverte au risque de devoir mettre la clé sous la porte.

Si cette histoire m'a choquée davantage que les autres, c'est simplement pour le nombre d'erreurs qui a été causé en une seule journée. On parlait de plus d'une trentaine d'enfants dispatchés dans des familles qui n'étaient pas les leurs. Non mais quel impact psychologique pour eux si un beau jour certains se posent des questions réelles quant à leur ressemblance avec les membres de leur famille ou veulent simplement vérifier leur génome !

— J'en tremble encore. C’était horrible et ça l’est encore aujourd’hui.

Je m'en souviens qu'en tant qu'administrative, ces comportements m'avaient plus que choqués, pourtant je n'avais aucun pouvoir et je tenais à mon poste, donc comme eux, je devais fermer les yeux.

Même à l'époque, le risque de la perte sèche de trésorerie pouvait rendre l'humain le plus adorable en un vrai monstre impitoyable. L'argent a toujours été le nerf de la guerre et si je découvre que mon Louis a été lié de quelques manières que ce soit à ce genre d'actes irresponsables et criminels, je ne m'en remettrais jamais.

Bon, depuis tout à l'heure, je fouille un peu partout pour trouver un objet qui m'aidera à aller jusqu’à mes fins, mais je ne déniche rien. Je sens que ça commence à m'énerver, pourtant, c'est exactement ce que je dois éviter pour mon cœur.

— J'ai hâte d'y être.

J'y pense. Heureusement qu'Emily et Alexis ne m'ont jamais fait de mal. Ceux qui s'amusent de ma situation sont une bande de petits délinquants et nouveaux aides soignants que l'établissement a engagés il y a peu de temps. J'aurais aimé être là lors de leur entretien d'embauche. À supposer qu'ils aient eu le poste sur la seule base d'être de véritables abrutis et de devoir avoir un fond méchant.

Je suis heureuse.

— Bah voilà. Ça, ça devrait faire l'affaire.

Je me suis habillée après avoir traversé tout mon étage seule, vêtue d'une simple tenue en plastique qui cache brièvement les parties intimes. Fort heureusement, ils peuvent physiquement me blesser, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'ils n'atteignent pas ma pudeur morale.

— JAMAIS !

Ça ne veut pas dire que je vais être clémente. Mon temps est plus précieux que le leur, si je dois faire du mal pour faire avancer mes connaissances sur mon fils, je n'hésiterais pas une seule seconde.

— Je les entends arriver. Concentre-toi ma vieille, ça devrait aller.

Je pourrais leur attribuer tout un tas d'adjectifs désobligeants, mais je n'en ferais rien. Je ne m'abaisserai pas à leur niveau, ça me ferait bien trop mal. Leurs rires m'exaspèrent. Leurs manières de parler également.

— Bon sens, mais dites au moins une phrase juste. Vous êtes français, oui ou non ?!

Je ne peux pas m'empêcher d'avoir une pensée pour ma belle langue natale lorsque je tends l'oreille pour les écouter à travers ma porte.

Au moins, je sais à quoi m'attendre. Là, ils préparent mon nouveau traitement, encore plus puissant que celui qu'on me donnait auparavant depuis ma découverte. Le seul point positif de celui-ci est, du moins j'en ai l'impression, qu'il s'élimine relativement vite de l'organisme et contrairement à l'antérieur, mes crises ont largement diminué. En conclusion, en changeant de traitement, lorsque celui-ci s'estompe, je redeviens moi-même complètement.

Alors quelle ironie de m'obliger à continuer d'en prendre, j'en ai assez d'être bourrée de médicaments ! Au moins, maintenant que ma tête est de nouveau bien mise sur mes épaules, je parviens à davantage me concentrer sur les petits détails, là où quelques semaines auparavant, je n'y parvenais absolument pas.

Par conséquent, je ne peux m'empêcher de penser que mes hallucinations et mes hystéries pouvaient avoir un rapport avec les pilules que j'avalais. Seulement, celui qu'on m'a prescrit est bien plus agressif, d'après ce que j'entends lorsqu'ils me le donnent.

Dès lors que je le prends, je suis partie pour une journée de régression. Et puisqu'ils vérifient bien que j'avale l'intégralité de mon traitement, cela veut dire que si je dois enquêter, je ne pourrai le faire que durant la nuit et le début de matinée.

— Je vous en conjure, taisez-vous, mes oreilles saignent. Par pitié, Alexis, occupe-toi de moi à nouveau, je te promets de ne plus jamais me plaindre. Tu étais dur avec moi, mais tu me respectais malgré tout.

Moi qui me plaignais de ses manières peu orthodoxes. De son franc-parler et son fort caractère, je réalise qu'il était tout de même un excellent soignant qui avait la qualité de me respecter.

D'ailleurs, où sont-ils passés ? Ça fait plusieurs jours que je ne les ai plus vus du tout. À vrai dire, je suis rassurée que ça ne soit pas lui ce matin. Je m'en voudrais toute ma vie, pour ce qui va suivre.

Enfin la porte s'entrouvre, les ricanements s'intensifient et les questions sur un ton comique fusent.

— Alors madame BRAUDA, vous vous sentez aussi fraîche qu'hier matin ?! s'empresse de questionner l'un des trois soignants, un aide-soignant, qui vient d'entrer dans la pièce. Vous n'avez pas eu trop de mal à retourner à votre chambre, j'espère ?

— Vous vous sentez intelligent à continuellement dénigrer et moquer vos aînés de cette manière ?

— Nous vous l'avons répété des dizaines de fois déjà. Si vous arrêtez avec votre envie d'aller parler à la police et de tenter de vous échapper tous les quarts d'heure, nous, nous arrêterons de vous embêter. Vous nous forcez la main. Nous n'avons aucun reproche à nous faire, réplique ce même aide-soignant au visage déplaisant.

— C'est bien vrai, ajoute un second soignant sur ma droite après un bref échange approbateur avec son supérieur, l'infirmier de garde à mon étage ce matin. Je présume puisqu'il ne me dit rien. On va vous administrer votre traitement.

Comme chaque matin depuis la découverte, ils sont trois, les deux mêmes aides-soignants depuis des semaines, alors qu'auparavant un seul suffisait, et un infirmier, comme la loi les y oblige.

Lorsqu'il s'agit de l'administration d'un traitement médical, l'infirmier doit être là, mais contrairement à ces foutus collègues, lui peut être remplacé en fonction des gardes de chacun.

Parfois, je tombe sur un gentil, parfois, je n'ai pas de chance. Apparemment, ce matin, l'infirmier n'est pas trop désagréable, mais je reste méfiante. Je ne le connais pas. Il prend la parole et a un air agacé.

— Vous deux, vous vous taisez, moi, ça ne m'amuse absolument pas de savoir que vous avez le droit de faire du mal à nos patients. Quoique cette dame ait fait dans le passé pour mériter vos sévices, ça ne pardonne pas vos actes, annonce-t-il avant de s'adresser à moi. Madame BRAUDA, vous connaissez les consignes, installez-vous sur votre lit, s'il vous plaît. Ils vont prendre votre tension dans le calme. Laissez-moi juste le temps de jeter un œil sur votre traitement avant de vous le donner.

Je m'exécute et suis relativement surprise par le professionnalisme de ce dernier qui semble avoir une once d'humanité en lui, contrairement à ces deux imbéciles. J'observe l’infirmier vérifier les médicaments qui me sont prescrits. Je ne peux pas m'empêcher de remarquer toutes ses mimiques. Comme si ce qui m'était donné, l'étonnait. À vrai dire, même moi, j'ignore ce que je prends. On m'y oblige, un point c'est tout.

— Vous ne me paraissez pas familier à cet étage, monsieur l'infirmier, dis-je d'une voix calme pour faire passer le temps et ma tension qui s'envole en flèche.

— C'est sans doute parce que je suis médecin, madame BRAUDA. Je voulais vous rencontrer. À présent, c'est chose faite.

— Merci, monsieur. Je pensais que vous étiez un simple infirmier, excusez-moi.

— Ça ne me dérange pas. Je ne prends pas cette remarque pour une insulte, vous savez. Mais je reste curieux. Pourquoi davantage un infirmier qu'un médecin ?

— Pour la manière dont vous m'adressez la parole. J'ai de nouveau l'impression d'avoir de la valeur. Lorsque je rencontre un médecin, généralement, je redeviens un nom sur un document. Rien de plus.

Il ne me répond pas, mais je vois bien sa mimique heureuse ressortir de son visage. Je préfère que ce soit ce genre d'homme qui se charge de ma vie plutôt qu'un autre bien moins humain.

Étant dans un établissement psychiatrique, les patients sont d'office mis sous tutelle. En somme, tout ce qui touche à ma vie, n'est plus de mon ressort, traitement médicamenteux y compris.

Je ne me rappelle plus des raisons qui m'ont poussée ici, si ce ne sont mes crises finalement dues à mon ancien traitement, mais personne ne devrait mériter de se sentir si irresponsable de sa propre personne !

J’ai encore toute ma tête, peu importe ce que ces psychiatres pensent de moi, je sais ce que je vaux ! Enfin, je crois.

Là, je respire, je fais diminuer mon rythme cardiaque qui s'emballe alors que l’on prend ma tension. Plus que quelques secondes avant le drame et j'aimerais parvenir à me vider la tête de toute pensée trop bienveillante.

Je n'ai jamais fait de mal à quiconque durant toute mon existence à cause de ma fichue conscience qui parvient toujours à me donner de bonnes raisons de ne pas passer à l'acte.

— Madame BRAUDA, je vous sens fatiguée. C'est si dur de marcher à votre âge ? Vous m'obligez vraiment à venir jusqu'à vous ! m'interroge l'un des deux abrutis en s'avançant vers moi, pendant que le second me fixe sans rien dire en continuant de serrer le brassard à m'en faire mal.

J'ai souri toute ma vie, face à l'adversité, et bon nombre de ceux que j'ai croisés en ont rigolé. Je refuse de mourir sans savoir ce que l'adrénaline procure à l'esprit. Alors c'est hors de question que je change d'avis, tu m'entends conscience de malheur ?! JE DOIS ME CALMER !

— Vous êtes puérils, vous me faites plus pitié qu'autre chose. On en reparlera lorsque vous aurez mon âge, si par miracle, vous y parvenez ! Ce n'est pas dit à la vue de votre QI. Pensez à regarder si une voiture arrive, lorsque vous traversez sur les passages piétons. Ah mince, vous êtes du genre à ne pas savoir ce que représentent ces lignes blanches au sol…

— Madame BRAUDA, voyons… Quand j'aurai votre âge, vous serez morte depuis bien longtemps.

Je n'y parviens pas, ma fréquence cardiaque augmente à force que ce dégénéré me parle. J'attends simplement le bon moment pour lui faire savoir mon désarroi et il risquera de s'en souvenir pour bien longtemps.

— Ça alors, la vieille a encore du répondant, conclut-il en restant à l'écart.

Mes mains sont moites, mes joues se crispent et mes épaules me tordent de douleur. Si c'est ça que l'anxiété mélangée à l'excitation procure à mon corps, alors je ne regrette pas d'avoir eu une bonne conscience toute ma vie. Je n'ose pas imaginer ce que les délinquants doivent ressentir au quotidien. Ma vieille, donne-leur au moins une dernière chance. Je suis bien trop gentille.

— Vous ne souhaitez toujours pas m'emmener voir la police aujourd'hui non plus, messieurs ? Vous en êtes certains ?

— Dites-moi votre langue maternelle que vous puissiez enfin me comprendre Madame BRAUDA ! Non, vous allez rester ici, au chaud et bien sage, précise le premier soignant.

— Oui, vous n'avez aucune raison valable d'aller les voir ! s'exclame le second aide-soignant maintenant placé derrière moi, avant de poursuivre. Comment lui en vouloir ? Une vieille peau, reste une vieille peau. Elle mérite ce qui lui arrive.

— La vieille peau t'emmerde jeune imbécile. Je vous aurais prévenu, tant pis pour vous, dis-je fièrement en remarquant que le médecin s'agace au fur et à mesure que les aides-soignants m'insultent gratuitement.

— Rho, ne dis pas ça, la pauvre. Si ça se trouve elle va nous lâcher entre les mains et l'on devra remplir de la paperasse. Regarde, elle est toute tendue, je pense que sa carcasse se prépare à pourrir. Sa tension crève le sommet, c'est sûrement le mot de la fin, remarque le premier en m'enlevant enfin ce brassard qui me serrait puissamment.

— Ou bien, on la jettera dans le composteur, ni vu, ni connu ! conclut d'un air jouasse celui dans mon dos en me donnant une tape discrète, mais relativement puissante sur mes côtes.

Je n'ai plus envie de leur adresser la parole. Je ne connais pas leurs noms, je ne leur ai jamais demandé. Et tant mieux, je me sentirais moins responsable de faire ce que je compte faire à un inconnu qui me maltraite.

Dans tous les cas, le médecin vient de terminer de préparer tout mon traitement. Il soupire quelques secondes avant d'avancer sur ce sol stérile d'un pas lourd et terriblement honteux des propos que tiennent les deux énergumènes.

Du moins c'est ce que son regard me hurle et me fait comprendre. Et comme l'exigent les règles dans cet établissement, celui qui a la plus grande gueule, en face de moi, va comme à son rituel devoir vérifier que je prenne tous mes cachets devant le regard avisé de son supérieur hiérarchique.

— Tenez madame, prenez vos médicaments, on vous laissera tranquille après ça, m'annonce le médecin d'un ton compatissant avant de me donner un verre d'eau.

— Merci, comment vous vous appelez, je n'ai pas le souvenir que vous me l’ayez dit.

— Je me prénomme Louis. Pour tout vous avouer, j'ai été engagé il y a quelques jours, tout au plus, exclusivement pour la surveillance et le suivi des patients de votre étage. J'insiste pour rencontrer chacun de vous. Je connais toute votre histoire à travers votre dossier, vous avez de la hargne.

— Vous avez le même prénom que mon fils. Mes meilleurs souvenirs avec lui étaient de passer du temps sur son grand balcon, à boire un thé ou une bonne boisson fraîche durant les belles journées d'été.

— Oui, je le sais. Allez, prenez vos médicaments que je puisse m'occuper d'autres patients.

Alors que je continue de dialoguer avec le médecin, dont le prénom me procure un mystérieux mal-être. Comme si celui-ci avait été prémédité, le soignant qui doit surveiller ma prise de traitement s'approche au plus près de moi. Le plus arrogant des deux. Je déglutis, sachant que le moment tant attendu est enfin à ma portée, puis rétorque gentiment.

— Vous me rappelez Alexis, Louis, il était aussi gentil que vous. Alors, ne m'en voulez pas pour ça et ne regardez pas.

Dans la seconde qui a suivi le dernier mot que j'ai prononcé, une giclée de sang a traversé tout mon espace de vie. D'une rage qu'ils ont attisée et de toutes mes forces, j'ai élancé ma main gauche, où je cachais très discrètement la pointe de mon stylo à plume, vers la gorge du soignant qui lui est resté planté dans la trachée, très proche de la jugulaire.

— AH BORDEL DE MERDE ! hurle-t-il à plein poumon tant la douleur doit être insupportable. JE VAIS TE TUER !

— ESPÈCE DE SALOPE ! s'exclame le second soignant en empêchant le premier de m’atteindre.

— Bon sens, va chercher les collègues toi, j'aurais besoin de beaucoup de bras. Quant à vous madame BRAUDA, vous ne bougez plus ! Quel étage de malade ! conclut le médecin en mettant l'un de ses doigts à travers la plaie pour diminuer le sang qui s'écoule.

— Je resterai calme. Je vous avais prévenu pourtant, je parviens toujours à mes fins !

4

STÉPHANIE

JOUR 1, AU MÊME MOMENT

Je ne parviens pas à calmer mes nerfs, je suis furieuse contre Thomas et ce ne sont pas les quelques minutes de marche pour me rendre jusqu'à mon lieu de travail qui auraient pu parvenir à me calmer, loin de là !

Non, mais pour qui il se prend sérieusement ? Je me préoccupe de lui à chaque instant depuis qu'il est entré dans ma vie. Lui, il me traite comme si j'étais une simple verrue dont il avait honte d'en parler, de peur des jugements que l'on pourrait porter à son égard !

Je n'arrive pas à me retirer sa réflexion de ma tête, ça m'énerve. Une verrue, encore, je suis gentille. Il avait le visage tout crispé lorsque je lui ai demandé gentiment de se bouger le train pour éviter que l'on soit en retard et que l'on puisse partir main dans la main, fiers de notre relation !

D'ailleurs, qu'est-ce qu'il fiche, je ne le vois même pas dans la grande salle de l'accueil du commissariat ?!

Il n'est pas près de me revoir dans son lit tant qu'il ne se sera définitivement excusé. Je veux des excuses publiques. Non, c'est plutôt lui qui n'est pas près de revenir dans son lit, il ne sera pas à plaindre, le canapé est tout neuf. Il m'en dira des nouvelles, ça le calmera. Il me déçoit, moi qui me faisais une joie de débuter cette journée remplie d'émotion.

Normalement après de bons mots viennent de beaux gestes, mais visiblement lui ce n'est que de la gueule ! Il est si facile de l'ouvrir et certainement bien moins de le prouver… Encore un lundi matin fort en sensation !

— Commissaire ROSALINE, tout va pour le mieux ?

— Oui, excusez-moi, je divague. Alors… Nous parlions de quoi déjà ?

— De votre nouveau poste, Madame. Pour tout vous avouer, vous n'avez pas dit grande chose depuis que vous vous tenez devant nous.

Elle est gentille cette nouvelle collègue. Même un peu trop et je n'aime pas ça, je me méfie des lèche-bottes. Je dois garder un œil sur elle. Encore merci, Thomas, de me faire passer pour qui je ne suis pas devant tout l'effectif du commissariat. Une hallucinée. Finalement, tu as bien de la chance de n'être pas encore arrivé, c'est moi qui te le dis !

Respire, ça va aller, ce ne sont que des personnes, qui seront dorénavant sous tes ordres à qui tu dois t'adresser. Si tu passes pour une dingue, que va-t-il bien pouvoir se produire ? Il vaut mieux ne pas y penser.

— C'est la joie que me procure ce début de journée qui me fait perdre le fil. Je vous remercie de vous être réunis tôt pour me faire un accueil si chaleureux. Je tiens à vous rassurer d'office, je ne serai pas aussi dure que mon prédécesseur. Cependant, je resterai ferme, nous avons beaucoup de travail en suspens qui demande de nous un rendement optimal pour espérer être mené à terme sans embûches. Toutefois, je ne serais pas contre quelques idées pour améliorer votre quotidien. À cet égard, vous pouvez venir me voir lorsque je serai disponible pour vous accueillir quelques minutes, ainsi, on pourra tranquillement en discuter.

— DES AUGMENTATIONS ! hurle une de mes vieilles connaissances au fond de la salle, d'un air amusé.

— Non, s'il vous plaît, je ne veux pas de brouhaha inutile. Les augmentations salariales, vous les obtiendrez lorsque j'estimerai que votre contribution au sein du groupe aura progressé, pas avant. Où, j'en étais ? Je suis ravie d'être parvenue à ce grade et pour être tout à fait transparente avec vous, je ne pensais pas pouvoir y parvenir un jour. Ça me remplit le cœur et je suis certaine que nous formerons une magnifique équipe. Que nous serons encore plus solidaires dans les années à venir ! Bon nombre d'enquêtes n'ont pas été résolues et je compte bien changer la donne, alors, donnez-vous au maximum, montrez-moi vos capacités et surtout, communiquez, je ne le dirai jamais assez. Pour ceux avec qui j'ai pu travailler durant ma carrière, je ne changerai pas. Je resterai dans ma ligne de conduite, donc je vous demande de ne pas changer vis-à-vis de moi. Pour ceux qui n'ont pas encore eu la chance de me rencontrer avant cette prise de poste, les nouvelles recrues entre autres, tant que vous ne m'avez pas à dos, vous pouvez paisiblement dormir. Une dernière chose, attendez-vous à voir vos plannings changer dans la semaine, je reviendrai vers vous, un par un pour plus d'explications, ne vous en faites pas. J'espère avoir été claire et je vous souhaite une agréable journée, vous pouvez retourner vaquer à vos postes.

Les applaudissements jaillissent des quatre coins de la vaste pièce. Malgré des mots relativement durs, ils ont l'air d'avoir apprécié mon petit discours.

D'ailleurs, pour revenir sur un point, j'ai tellement d'idées qui me viennent en tête pour améliorer les conditions de travail ici que je ne me sens pas d'écouter celles des autres pour le moment. Mais je ne peux pas revenir sur ce que j'ai dit. Bah, ce n'est pas si grave finalement.

Les effectifs se dispersent dans tout le commissariat, trente-cinq fonctionnaires, très précisément sous mes ordres, me donnent une impression de supériorité et je crains que ça ne me monte rapidement à la tête.

Je compte sur les têtes brûlées avec qui j'ai pu bosser pour ne pas me faire oublier d'où je viens. D'ailleurs, certains d'entre eux s'approchent de moi, alors que je descends de ma petite estrade, un tas de feuilles en main.

— Commissaire ROSALINE, pour ma part, ça me donne des frissons de pouvoir dire ça à haute voix. Je me réjouis pour toi, m'avoue une jeune collègue brigadier, avec qui je m'entends bien.

— Merci Emma, moi aussi, je t'assure que ça me fait bizarre. Je ne me doutais pas que notre ancien commissaire allait personnellement me nommer pour son départ en retraite anticipée.

— Oui, je vois parfaitement de quoi tu parles… Du commandant. Je suis heureuse que tu lui aies passé dessus. Félicitations encore, tu le mérites plus que n'importe qui et surtout lui !

Le progrès de notre génération a été de voir enfin des femmes responsables d'un commissariat de grande importance. Situation invraisemblable si nous pouvions remonter de plusieurs décennies dans le passé. Sa réflexion me donne du baume au cœur. Je me tourne vers une seconde connaissance que je sais bien plus hostile.

— Commandant de brigade, bonjour.

— Arrête avec tes politesses à deux sous Stéphanie. Je ne suis pas là pour te faire des éloges. Ce poste, je le méritais. Durant des années, j'ai léché les bottes au chef et voilà qu'après ta petite escapade pour retrouver les traces du meurtrier de ta sœur, il te propose le poste ! Alors, commissaire ROSALINE, je te promets que je mettrai un point d'honneur à comprendre les raisons qui ont conduit notre ancien directeur à te proposer ce grade et ses responsabilités que je convoitais. Puisque tu le dis toi-même devant tout le monde, tu ne pensais jamais y parvenir. Tu n'avais pas les capacités et tu ne les as toujours pas ! s'exclame-t-il en me postillonnant dessus avant de se rendre jusqu'à son bureau.

— Tu ne me parles pas sur ce ton, Commandant ! Comme tu le dis si bien, à présent, je ne suis plus sous tes ordres. Qui plus est, tu es sous les miens et il faudra t’y faire, car ce n'est pas près de changer. Je ne te conseille pas de me mettre à dos dès la première matinée. Je ne suis pas d’humeur.

Il s'appelle monsieur TUILES Alexandre. Il était déjà commandant lorsque j'étais capitaine et il ne semble aucunement apprécier le fait que j'ai monté en grade si rapidement et lui non.

Il me parle sur ce ton, car il sait pertinemment qu'étant nouvelle dans le milieu des hauts fonctionnaires, je n'ai pas encore eu le temps de me faire tout un tas d'amis. Contrairement à lui qui stagne depuis plus d'une décennie à ce rang.

Il y a quelques semaines de ça, il était encore mon supérieur et à présent que les rôles se sont échangés, il est temps que je me fasse comprendre de lui, avant qu'il ne monte tout un régiment contre moi.

Après, je dois dire qu'il a raison au moins sur le fait que je ne méritais pas spécialement ce poste contrairement à lui. Pour tout avouer, le grade de commissaire ne me procurait pas un sentiment de rêve hors d'atteinte, car je n'en avais pas envie. J'étais bien dans mon rang de capitaine et inspectrice de police.