Le jour de trop - Yann Bourdon - E-Book

Le jour de trop E-Book

Yann Bourdon

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Beschreibung

Son affreux passé la rattrapant quotidiennement, Gabrielle doit faire face au présent pour que celui-ci soit meilleur. Cependant, la vie en a décidé autrement. Aujourd'hui elle se voit patienter dans un couloir d'hôpital, espérant retrouver sa moitié, en bonne santé. Ces heures d'attentes la ramènent à plusieurs reprises, aux souvenirs difficiles de son enfance. Malgré la dureté de son caractère, sueurs, larmes et angoisses parcourront son corps, elle qui se doit de rester forte. Ce jour de trop, marquera le début de sa nouvelle vie.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Un grandissime merci à

Taniasans qui ces livres

ne seraient pas ce qu'ils sont.

Également, un grand merci à mes sources

d'inspirations, Gaëlle, Louise, ainsi que toutes

les personnes qui ont crues en moi et qui m'ont

permis page après page d'écrire ces romans.

TABLE DES MATIÈRES

DENTISTE

PLAINTE

CICATRICES

CHIRURGIEN

PEUR

VASE

RÉSULTATS, UN

CAFÉ

MÉTIER, UN

PLUIE

MOQUERIES

TRAJET

CONTRÔLES

BANDAGES

HYPERSOMNIE

ACTIONS

ANNONCES

REGARDS

INSOMNIE

INCOMPRÉHENSION, UN

INCOMPRÉHENSION, DEUX

RÉSULTATS, DEUX

UN RENDEZ-VOUS

CALVAIRE

VERRE D’EAU

DIRECTEUR

AUPARAVANT

BLÂMES

SOURIRES

DISCUSSIONS

MÉTIER, DEUX

LA PIVOINE

LARMES

SENSIBLE

TRAGÉDIE

APPEL

ÉTATS CRITIQUES

MIROIR

SANG

COCCINELLE

PROLOGUE

Je me suis battue toute mon existence contre les relations amoureuses, n’y croyant pas. Mais la vie nous réserve parfois de bonnes surprises. D’ailleurs, le destin a choisi de me prouver que j’avais tort.

Aujourd’hui, je suis en couple avec une personne qui me donne tout ce que je n’ai jamais eu, de l’amour, un véritable amour. Je ne sais pas si vous comprenez ce que j’essaie de vous expliquer.

Je vous parle de cet amour plus profond que jamais, de celui qui vous tient corps et âme éveillés, vous laissant espérer revoir la personne aimée rentrer.

Et voilà qu’après de nombreuses années à souffrir, à ne plus y croire, je trouve enfin cet être si rare à mes yeux.

Je me nomme Gabrielle. Je suis née le douze septembre mille neuf cent soixante-dix. Étant donné que nous sommes en deux mille dix-neuf, et bien que je ne le souhaite pas, je vais très bientôt sur mes cinquante ans. Mon nom de famille importe peu, vu la situation dans laquelle je vis aujourd’hui.

À l’instant où je vous parle, j’attends dans un couloir blanc aseptisé, lumineux à s’en brûler les yeux, à essayer de compter le nombre de passages d’hommes et de femmes vêtus de bleu, circuler devant moi sans me prêter attention, sans remarquer que j’existe, simplement parce qu’ils sont tous occupés à autre chose. Le temps passé dans ce corridor va être long. Je vais en profiter pour vous conter mon histoire.

Celle qui m’a d’abord enlevé cette confiance en l’humanité, puis celle que je vis aujourd’hui, qui m’a redonné un soupçon d’espoir. Cette étincelle me faisant croire qu’après tout ce que j’ai pu vivre, le bonheur peut enfin être à portée de main. Mais par où commencer ?!

Prenez du papier et saisissez-vous d’une plume, car tout comme moi, cette histoire m’a soulevé un bon nombre de questions auxquelles je vais essayer de trouver des réponses.

1 DENTISTE

MERCREDI 2 OCTOBRE 2019

8 heures

Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que de me laisser partir dans mes pensées ! Cette journée va être longue...

C’était il y a bien des années, j’avais à peine une dizaine de printemps et malgré tout, je m’en souviens comme si c’était hier.

. . .

JEUDI 2 OCTOBRE 1980

Tout a véritablement commencé dans un modeste cabinet dentaire. Je n’aurais jamais cru vivre une telle chose. J’étais petite, crédule, quand ma mère m’a enfermée dans le beau monde qu’était celui des princesses. Je ne m’en plaignais pas non, mais je n’étais absolument pas préparée à ce qui allait m’arriver.

Dans cet univers, tout est merveilleux. J’imaginais que toutes les personnes qui m’entouraient, n’étaient que bonté et gentillesse. Utopie bien sûr, je me suis bien trompée.

Dans ce cabinet j’étais seule, la bouche grande ouverte, face à cet homme, je ne m’en souviens que trop bien, l’air remarquablement sombre.

— Je te sens tendue, ma petite. Nul besoin de l’être autant, mon travail n’en sera que plus difficile. Il faut te détendre, m’a-t-il dit d’une voix douce, en attrapant tout son attirail de « boucher » qui me faisait une peur bleue.

Je ne pouvais pas répliquer, bien évidemment, car il m’avait déjà installé ce petit tube pour aspirer le trop-plein de salive.

Je ne pouvais que ruminer, ou émettre des couinements, lui faisant comprendre que j’avais mal, ou bien, simplement angoissée. Non mais quelle mère laisserait sa petite fille dans un moment pareil, seule !

N’aimant pas que je gigote de gauche à droite et surtout, ne saisissant pas que je ne veux pas l’embêter, mais seulement lui faire comprendre mon malaise, il commença subitement à s’énerver.

— Jeune fille, arrête de bouger ! me hurla-t-il dessus, colérique au point de me faire bloquer les mains par son assistante, qui ne réagissait que pour exécuter les ordres de son superbe patron.

C’était à ce moment précis que je me rappelais ce que ma mère avait pu me dire, avant d’aller à ce fameux rendez-vous. « Ne t’inquiète pas, ma chérie, ce dentiste est superbe. Il s’occupe de moi depuis ma plus tendre enfance. Il est doux et attentionné, tu peux avoir confiance en lui ! »

Ce furent ses mots, à quelque déviance près. Je me les remémorais à nouveau, encore et encore, espérant que sa voix puisse m’apaiser et donner ainsi la possibilité à ce monsieur de travailler tranquillement.

Il devait me poser un simple appareil dentaire. J’avais les dents en vrac et sa gestuelle était loin d’être douce. C’était la principale raison qui me rendait vraiment nerveuse. Je trouvais bizarre qu’il ne soit pas comme ma mère me l’avait annoncé.

Rien ne marchait et je continuais sans arrêt à me morfondre et à me dandiner encore et toujours, jusqu’à ce qu’enfin, la jeune assistante pleine de charisme, d’après mes souvenirs, daigna réagir face à ma détresse.

— Monsieur, calmez-vous s’il vous plaît. Cette jeune patiente recommence à paniquer. Vous le voyez tout comme moi ! Ce n’est pas comme cela que l’on rassure une petite fille, s’exprima-t-elle d’un timbre de voix agréable, qui faillit me calmer un court instant.

Elle réussit à me remettre en question. À quel moment pouvait-il penser que me bloquer les mains allait m’apaiser ?! Petit à petit, je voyais mon monde de princesse dans lequel j’avais grandi s’estomper.

— Vous, taisez-vous ! Vous n’avez rien à dire. Vous n’êtes là que pour observer et m’aider quand je vous le demande ! lui rétorqua-t-il d’une voix forte et effrayante.

Mes poils se hérissent, tant ce souvenir m’est insoutenable. L’ambiance en a été, pour la suite des évènements, que plus froide. C’est alors, à dix ans, que j’ai découvert ce qu’était la véritable méchanceté gratuite.

Pour moi, ce fut le jour pivot. Une nouvelle page de ma vie s’était tournée. Celle où je suis passée du monde féérique au monde réel et cruel, celui que les adultes ne connaissent que trop bien, de l’insouciance au doute, du conte à la réalité. Ma maturité, grâce à cet instant T, commença à faire surface.

Mon instinct me dicta de ne pas me laisser faire par cet inconnu. Alors, constatant que cette belle assistante ne tenait plus mes mains aussi fermement qu’au départ, j’effectuai un geste qui fut très lourd de conséquences.

Je mis à cet affreux personnage une violente claque, avec tout l’élan que pouvaient me donner mes petits bras chétifs. L’espace d’une seconde, je m’étais sentie libre et sereine. Oui, seulement l’espace d’une seconde, car tout avait véritablement basculé à cause de cet acte non prémédité.

— Comment as-tu osé ?! Quelle insolence de me faire ça ! Tu veux une vraie raison d’aller voir un dentiste, alors tiens je te la donne ! s’écria-t-il en joignant le geste à la parole, m’assenant de coups violents pour se venger, sans peser sa force colossale.

L’assistante, paniquée, se mit à courir pour prévenir une personne capable de l’arrêter dans sa terrible lancée. Malheureusement pour moi, le cabinet dentaire était complètement vide ce jour-là.

Alors, pourquoi ma mère m’avait-elle laissée seule ? C’est très simple, elle voulait profiter de ce rendez-vous pour aller en courses. « Tu es grande, ma fille, ça va aller, sois forte. Puis ça nous fait gagner du temps à toutes les deux », m’avait-elle dit en me faisant un bisou sur le front, avant de me tourner le dos et de s’en aller.

Voyant qu’aucune aide ne pourrait m’être apportée de l’extérieur, la jeune assistante eut la « bonne idée » d’appeler la police.

Une personne décrocha au bout de quelques instants. En larmes, la belle assistante regardait cet homme me massacrer le visage, coup après coup sans interruption, en tentant d’expliquer la situation aux forces de l’ordre. Une situation si peu probable qu’ils pensaient au départ à un vicieux canular.

Il leur fallut dix grosses minutes pour arriver. L’excuse de cette si longue attente n’a fait que me renfermer un peu plus sur moi-même… Un canular... En me voyant dans cet état leurs sourires niais s’étaient vite envolés.

Non mais vraiment… Ils n’avaient simplement pas cru un seul mot de ce que l’assistante avait pu leur dire au téléphone. Rendez-vous compte de ce que représentent dix putains de minutes dans ce genre de situation ?!

En entrant dans le cabinet, les deux policiers étaient restés hébétés en constatant mon état. Les coups violents, reçus essentiellement sur mon visage, m’avaient rendue méconnaissable, difforme.

À ce moment précis, le dentiste avait jugé bon qu’il m’avait suffisamment « punie » pour le geste que je lui avais porté, en cessant ses coups. Les policiers, bien qu’ils aient été sous le choc et surpris, lui sautèrent dessus pour le menotter, aussi vite qu’un clignement de cil dès qu’ils reprirent leurs esprits.

L’individu, bloqué au sol, se mit alors à rigoler très fort, tout en me fixant droit dans les yeux. Ce regard me hante encore aujourd’hui, chaque nuit.

Jamais je n’aurais pensé qu’une telle chose puisse se produire. Je n’étais qu’une simple gamine innocente qui ne souhaitait pas voir un inconnu mettre ses mains dans ma bouche. Voilà tout…

Une heure s’était écoulée. Le Samu m’avait emmenée à l’hôpital le plus proche dans le service des urgences. Ma mère était arrivée quelques instants plus tard, paniquée.

Quand elle m’avait découverte dans cet état effroyable, de nombreux remords commencèrent à l’envahir. De mes propres souvenirs, je ne pourrais vous raconter la suite, car les multiples perfusions que l’on m’avait posées me faisaient littéralement planer.

C’est donc ma mère qui me l’avait gentiment rappelé, quand elle avait jugé bon que j’étais assez mûre et apte à entendre ce genre de récit.

Pour vous raconter mon histoire si peu banale, je ne me fierai donc pas à l’ordre chronologique des événements. Après tout, c’est mon histoire et je fais ce que bon me semble.

. . .

SAMEDI 4 OCTOBRE 1980

Quelques jours horribles d’hospitalisation s’étaient enfin achevée. À chaque réveil, je n’espérais qu’une chose, rentrer le plus rapidement possible chez moi. Malheureusement, chaque matin, on m’annonçait un nouvel examen, une visite ou je ne sais quoi encore.

J’avais l’impression d’être un cas expérimental, ne me sentant pas forcément mieux dans le temps. Mais contre toute attente, un samedi matin, on m’indiqua enfin une date de sortie. Même si j’attendais cette décision avec impatience, je la trouvais quand même prématurée. J’étais encore endolorie et faible, mais je compris que je n’avais pas le choix, bien que peu de temps après, on devait m’opérer.

Je regardais le plafond blanc de ma chambre, lorsqu’enfin de retour à la maison, tôt ce samedi, ma mère commença à me parler avec sa belle voix suave.

— Installe-toi bien dans ton lit, ma chérie. Tu as besoin de repos. Maintenant, je resterai à tes côtés quoi qu’il arrive. Je te le promets.

Étrangement, je ne l’avais pas crue. Heureusement pour elle, je ne pouvais pas parler pour lui dire ce que j’avais réellement sur le cœur, sans compter toutes mes incompréhensions qui ne demandaient qu’à être éclaircies.

J’ai donc ressassé cette histoire, celle-là même qui a duré toute cette première semaine à l’hôpital. Quelque chose m’empêchait de comprendre comment j’en étais arrivée là, chez moi, des pansements entourant mon visage, comme si, une fois passé le sas de la porte d’entrée, tous mes souvenirs s’étaient envolés. Je n’eus pas besoin de réfléchir très longtemps pour avoir un semblant de réponse.

Ma mère de son plein gré m’avoua le soir même, alors que nous étions toutes les deux assises sur mon lit, ce qu’il en était réellement de ce « gentil dentiste ». Je reprends ses propos...

— Ma jeune et tendre fille, si tu savais comme je suis désolée. C’est vrai, je t’ai menti. Je ne le connaissais absolument pas et je t’ai laissée seule avec lui, pensant que rien ne pouvait t’arriver. Je m’en veux tellement. Depuis quelques jours, je souhaitais te le dire, mais je ne savais pas quel moment conviendrait le mieux. Il t’a complètement défigurée... Les infirmières à l’hôpital m’ont donné quelques médicaments contre les douleurs en attendant que ton opération ait lieu avec ce chirurgien détestable... Mais bon, nous n’avons pas le choix, il faut te réparer, mon ange. Je pense avoir fait le bon choix en acceptant les paroles de cette folle de secrétaire. Nous n’avons pas le choix en réalité...

J’étais apeurée après son annonce. Je comprenais mieux pourquoi ce dentiste était loin d’être l’homme merveilleux qu’elle m’avait vendu pour me rassurer. Et pour ne pas arrêter le flux de mauvaises nouvelles, encore une chose que je n’allais pas tarder à découvrir... La fameuse chirurgie ! Comment une jeune fille de dix ans pouvait-elle connaître ce genre de pratique « barbare » ? Qui plus est avec ce chirurgien aussi méchant qu’inhumain...

Enfin, une fillette comme moi n’ayant jamais connu le monde médical et étant née sans maladie particulièrement dangereuse. Non, mais vous imaginez, du médecin de ville à l’hôpital, quel changement drastique !

Puis, mes parents non plus ne m’avaient jamais préparée à cela. Ils m’avaient toujours enfermée dans leur bulle, et je n’avais le droit d’en sortir que pour aller à l’école. Et encore, à la seule condition qu’ils m’accompagnent quotidiennement jusqu’à l’arrêt de bus. Enfin, ma mère seulement…

Le seul bon côté que je pouvais tirer de cet évènement dramatique était le fait que je n’allais pas pouvoir aller en cours pendant une durée indéterminée.

Comme je vous l’ai dit précédemment, cela a été le point de départ d’une suite d’événements tragiques, qui ne cessa de s’aggraver avec le temps.

2 PLAINTE

SAMEDI 18 OCTOBRE 1980

Plus de deux semaines s’écoulèrent après que ce dentiste ait levé la main sur moi et énormément d’événements ont eus lieu. Les gendarmes jugèrent qu’il était enfin temps de prendre ma déposition contre ce dernier.

Comme tous les matins depuis ce terrible évènement, ma mère décida de venir me réveiller. Sur le pas de ma porte, elle attendait 8 heures sur sa montre pour entrer, avec toute la délicatesse qu’une mère peut avoir envers son enfant fragile.

Je lui en avais beaucoup voulu de m’avoir menti. J’avais énormément perdu ce jour-là, mais ne doit-on pas pardonner ? Il est vrai qu’elle ne pouvait pas savoir ce qui risquait de m’arriver.

8 heures. Quand la porte s’ouvrit, j’étais déjà réveillée, la rage en moi, impatiente d’entendre les explications de tout ce qui avait bien pu se passer entre le dentiste et moi.

Une silhouette enfin perceptible, s’empressa d’aller ouvrir les rideaux noirs. Ceux-là mêmes qui absorbaient toute la lumière que le soleil pouvait nous prodiguer de si bon matin.

— Bonjour, ma chérie, comment tu vas aujourd’hui ? Tes douleurs ?

Depuis ce fameux jour jusqu’à maintenant, je ne pouvais toujours pas parler. Mon opération avait eu lieu à peine trois jours auparavant, et j’allais devoir encore attendre un bon bout de temps avant de pouvoir prononcer un mot.

Ma mère avait donc trouvé une astuce pour que je puisse communiquer simplement, une ardoise et une craie, comme à l’école. J’aurais tellement voulu l’avoir avec ce chirurgien avant ma première sortie d’hôpital... Mes terreurs n’auraient sans doute...

Bref. Je commençais à écrire, lettre après lettre, sur celle-ci. J’inscrivais des phrases courtes, compréhensibles, comme elle m’en avait donné l’habitude de faire, pour rendre nos conversations plus fluides.

" Oui, ça va... J'ai mal, maman. On y va quand ?! "

— Je m’en doute, mon ange, me répondit-elle avec ce sourire aux lèvres, celui qu’elle me donnait à chaque instant en cette époque si lointaine. Nous partons dans une petite heure, le temps pour toi de te préparer. Ça ira ? Tu n’es pas trop stressée ?

Il avait suffi de cette simple interrogation, pour qu’une angoisse me traverse le corps de toute part. J’avais beau avoir attendu, compté chaque jour jusqu’à ce que justice soit faite contre ce méprisable homme, cela ne m’a pas empêchée de me remettre en question sur la situation.

Étais-je oui ou non responsable de ses actes ? Si je ne l’avais pas claqué, m’aurait-il cogné ainsi à m’en faire tomber presque toutes les belles dents qui ornaient mon « ravissant sourire », comme me le disait si souvent ma famille ? Alors, je me remis à écrire, la main tremblotante sur cette ardoise.

" Non, maman. J'ai peur. "

— Mais tu n’as aucune raison d’avoir peur, ma chérie. Ce monstre est en prison, il ne te touchera plus. Puis, tu peux faire confiance aux gendarmes, ils sont là pour t’aider, tu sais. Quant à l’autre… Il faut savoir être patient.

C’était reparti... cette fameuse confiance qu’elle me demandait de lui donner à chaque fois que je devais me présenter devant un spécialiste. Je saturais d’entendre et de réentendre ces propos à longueur de temps. Je repris immédiatement la craie.

" Je n'ai plus confiance. Je fais des cauchemars. "

Jamais je n’aurais su qu’à ce moment-là, elle m’aurait une fois de plus menti.

— Je peux te comprendre, mais il faut que l’homme qui t’a fait cela soit puni. Tu sais qu’il n’y a que toi qui peux le faire. Il ne faut pas qu’il puisse recommencer. Commençons déjà par là, tu veux bien ?

En entendant ce qu’elle venait de me dire, j’aurais dû comprendre que ces propos vis-à-vis de ce dentiste étaient incohérents. Ne plus avoir peur de lui, c’était trop tard. À l’écouter, malgré le fait qu’il soit déjà enfermé, je devais me plaindre aux gendarmes pour qu’il soit puni. Ce que j’ai pu être sotte d’avoir de nouveau cru aux paroles de ma mère.

Commettre ce genre de gestes sur une enfant est tout bonnement intolérable. Je devais prendre sur moi et avancer quoi qu’il m’en coutât, même si je devais à nouveau me retrouver face à face avec cet individu. Puis, je m’étais rappelée que cet homme n’avait pas été le seul à me faire du mal.

" Et l'autre ? "

— L’autre ? Eh bien, malheureusement, je t’en ai déjà parlé. Il faut oublier. Nous ne pourrons rien faire. Tu veux que je te laisse un peu tranquille avant que l’on y aille ?

" Non ! Tu peux m'aider à me préparer ? "

— Oui, bien sûr. Je sais que ce n’est pas facile… Je ne serai plus jamais loin de toi. Si tu as peur, regarde-moi. Bon…, allez…, arrêtons un peu de parler de ça et de ressasser le sujet, nous risquons d’être en retard. Nous aurons largement le temps de revenir dessus tout à l’heure.

Elle adorait faire des phrases à rallonge, et je ne m’en plaignais pas. Je passais ainsi plus de temps auprès d’elle, je me sentais comblée.

Après m’avoir correctement habillée, coiffée et ornée des quelques bijoux que je possédais, comme elle le faisait depuis le début de ma convalescence, nous nous mîmes en route. On nous avait donné « rendez-vous » à la gendarmerie la plus proche de chez nous. Après tout, logique me diriez-vous.

À ce moment précis, je ne pensais qu’à une personne… mon père. On l’avait mis au courant de l’acte terrible qui m’avait été porté. Malheureusement, il ne put se libérer pour être à mes côtés dans ce qui allait être le pire moment de ma vie.

À l’époque, il était militaire et en mission à des milliers de kilomètres de moi. Je ne le voyais que très rarement pour ainsi dire, une ou deux fois seulement par an, et à chaque fois, ses visites ne duraient pas longtemps. À peine une après-midi si mes souvenirs sont bons. Je trouvais cela étrange, mais après tout, ma mère n’arrêtait pas de me dire que c’était normal.

Revenir sur cette histoire, avec lui, encore et encore, alors que même aujourd’hui, je ne demande qu’à l’oublier.

Nous arrivâmes devant cette grande, non, immense bâtisse pour mes yeux de fillette de dix ans, haute d’à peine un mètre vingt-cinq. Dans mes mains, je tenais encore l’objet qui sera pour une longue période de ma vie, ma meilleure amie ; mon ardoise accompagnée de sa minuscule craie blanche.

— On y est. Prête ?

" Oui. "

Nous nous avançâmes, pas après pas, nous rapprochant un peu plus chaque seconde des grandes portes coulissantes de la gendarmerie.

À peine entrée, je sentis le regard des gens se poser sur moi. J’avais la tête encore enveloppée dans de larges bandeaux qui me protégeaient de l’opération lourde que j’avais subie par ce chirurgien...

Pendant mon hospitalisation, mon histoire s’était propagée comme une trainée de poudre, mais je n’en savais encore rien.

Je voyais bien que j’étais le centre d’attention et je n’aimais pas ça, me sentant de plus en plus... Comment pourrais-je dire cela ?... Épiée, dévisagée, comme si j’étais sale, coupable. Ces gens ne baissaient pas leur regard. Ils ne comprenaient pas que leur façon de faire pouvait me faire plus de mal que de bien.

Je n’étais pas un monstre ! Du moins, c’est ce que je pensais au départ. Leurs insistances avaient fini par me faire croire le contraire. Je commençais par me donner ce surnom, « le monstre », que je ne cessais de me répéter en boucle. Ce n’était encore une fois que le début de ma longue descente en enfer.

— Bonjour, mademoiselle, tu es la petite Gabrielle ? Je suis l’adjudant POTENS et responsable du commissariat. Nous avons eu connaissance de ton histoire ici et te connaissons donc un petit peu. Si tu le veux bien, nous nous adresserons à ta maman, me dit-il tout en se penchant vers moi pour être à ma hauteur.

J’acquiesçai, bougeant très légèrement la tête de bas en haut pour lui faire savoir que j’avais compris.

— Bonjour, madame. Sachez que vous avez toute notre solidarité. Ce qu’a fait ce docteur, chirurgien ou je ne sais quoi, contre vous est impardonnable. Mais malheureusement... Nous ne pourrons prendre que la plainte vis-à-vis du responsable direct de l’état de votre fille.

— Bonjour à vous, monsieur. Merci, pour vos propos et votre solidarité, mais inutile, je sais tout, adjudant. Eh oui, ça été dur pour moi ces derniers jours, heureusement que tout est très vite rentré dans l’ordre, si je puis dire ! Vous aurez donc compris que nous venons pour…

— La déclaration contre ce dentiste. Oui, suivez-moi s’il vous plait, nous demanda ce gendarme si gentiment. Je m’en souviens, à présent, ce dernier avait un physique bien particulier. Je pourrais le reconnaitre encore aujourd’hui si je le croisais dans la rue… Hum… S’il est encore de ce monde.

Je les suivis donc. Lui était un homme grand, assez large au niveau de la ceinture, avec une belle balafre sur le visage. On se ressemblait tout compte fait. Accompagnée de ma mère bien évidemment, elle qui ne voulait à aucun moment me lâcher la main, de peur que je puisse « m’envoler » à nouveau, dans les méandres de cette société qui montait en puissance vers la violence.

Je trouvais ça amusant. J’aimais bien cette sensation de me faire surprotéger, mais je ne me doutais pas que cela allait durer un temps considérable...

Une fois à l’abri de tout regard, nous nous installâmes dans les fauteuils autour d’un petit bureau, devant cet homme. Je sentais qu’il était impatient de pouvoir taper le procès-verbal. D’ailleurs, je remarquais que ces doigts n’arrêtaient pas de survoler son clavier tout neuf. Comment allais-je pouvoir lui raconter mon histoire ? Je n’avais pour seul moyen de communication que mon tableau et ma craie dans les mains.

J’observai ma mère, apeurée de ne pas savoir par où débuter. L’homme le remarqua immédiatement et me tendit la main. Il me regarda droit dans les yeux, sans pour autant me dévisager comme l’avaient fait ses collègues quelques minutes auparavant, voulant surement me rassurer. Il se tourna ensuite vers ma figure maternelle et commença son interrogatoire, tel qu’il me l’avait finalement promis.

— Pouvez-vous pour commencer, me dicter tout ce que votre fille a subi comme préjudices, autant physiques que moraux ? N’hésitez pas à donner un maximum de détails, ils ne seront que plus importants aux yeux de la justice. Par contre, si vous estimez qu’entendre à nouveau cette péripétie est trop difficile pour Gabrielle, elle a le droit d’émettre une opposition. Elle a aussi la possibilité de réagir, si elle estime que les faits ne se sont pas passés exactement comme vous les relatez, ou si je fais une erreur de compréhension.

Dans ma tête, la seule chose qui résonnait était la demande que ma mère m’avait faite ; avoir confiance en cet homme. Quoiqu’elle puisse lui dire et que j’allasse apprendre, je décidais de rester auprès d’elle. Après tout, j’étais devenue une femme forte !

3 CICATRICES

MERCREDI 2 OCTOBRE 2019

8 heures 30

Revenons au temps présent. Quelque chose d’intéressant va enfin se produire. Une dame semble venir vers moi d’un pas sûr. Je ne sais pas ce qu’elle veut, mais je sens mon cœur battre de plus en plus fort, au fur et à mesure qu’elle se rapproche de moi.

— Bonjour, madame. Je m’appelle Léa et je suis infirmière dans cette clinique. Vous êtes l’amie de Raphaële, c’est bien cela ?

— Oui ! Comment le savez-vous ? Et si vous le voulez, vous pouvez m’appeler Gabrielle.

Qu’est-ce que j’ai mal. Je donnerai tout pour avoir un antidouleur, là, maintenant, tout de suite, mais ce n’est pas le moment de se plaindre. Donc…, ravale ta salive, ma grande, et lève la tête.

— Eh bien… Gabrielle, depuis à peu près une bonne demi-heure, vous regardez en direction de sa chambre. Pour ne pas vous mentir, ce sont mes collègues qui me l’ont répété. Vous savez, vous êtes une vraie célébrité ici apparemment. Il paraitrait que vous venez quasi tous les jours à 8 heures pétantes, ou alors quand vous le pouvez ! Vous m’impressionnez, j’ai vu très peu de personnes comme vous, vous savez..

— C’est vrai. Vos collègues ont raison. Ils m’ont bien observée. Mais… Pourquoi serais-je une « célébrité » ici au juste ?

— Tout le monde vous trouve incroyablement courageuse et vous admire pour votre force mentale.

— Malheureusement, ce n’est pas la première fois que l’on vient dans cet hôpital… Être dévouée me semble naturel.

— Je m’en doutais un peu, mais comment faites-vous pour rester aussi sereine dans ce cas ?

— Je me raconte mes histoires de jeunesse. C’est ma manière d’accepter les situations qui me font face lorsque je suis apeurée ou attristée.

— Remarquable. J’aimerais pouvoir en faire autant quand, dans mon travail, je vois des choses horribles. Bon, maintenant, j’arrête de vous embêter. J’étais venue pour vous dire que votre partenaire venait tout juste de se réveiller. Vous pouvez aller dans sa chambre, mais doucement.

— Merci, j’y vais de ce pas.

— Excusez-moi, Gabrielle, avant que vous ne partiez, je peux vous poser une dernière question, si je puis me permettre... indiscrète ?

— Oui. Demandez et je verrai si je peux y répondre.

— Vos cicatrices ? C’est ce qui fait votre force ?

— Oui.

Comme vous pouvez le constater, je ne vous avais pas menti. Ce que m’a fait cette ordure dans ma jeunesse n’a été que le commencement d’une vie difficile.

Bref, je me lève et me dirige vers cette chambre qui me parait maintenant être à des kilomètres. L’infirmière, elle, s’en est retournée voir d’autres patients.

Voilà plusieurs jours que j’attends ce moment. Je passais mon temps à trainer entre mon domicile et mon travail pour essayer de faire défiler l’horloge plus rapidement, dans l’attente de son réveil.

Encore une fois, j’ai la sensation de vouloir retarder l’instant où je vais encore devoir entrer dans cette pièce.

Jusqu’à maintenant, lors de mes visites, je n’aimais pas être à sa table de chevet, assise, restant là en attente d’un moindre geste. Voilà pourquoi j’avais pris l’habitude de toujours demeurer dans le couloir. À présent, il va falloir que j’entre. Je me sens tellement seule face à ce que je vais découvrir en ouvrant cette lourde porte.

Courage, je dois me lancer. Après tout, ce n’est pas une première, mais je suis bien consciente que plus je viendrais ici, moins il y aura de chance qu’en traversant le pas de cette porte, je retrouve la même personne de l’autre côté.

— Gabrielle... C’est toi ? C’est bien toi ?

Mon Dieu, ça a l’air d’aller… Mon amour attend deux petites secondes que je m’approche un peu.

— Oui, c’est bien moi. Comment te sens-tu ?

Je m’assieds sur le bord du lit. Son visage est assez pâle, mais tout a l’air d’aller pour le mieux. Je pose ma main contre sa poitrine avant de lui répondre. Je souhaite m’assurer que les constantes du moniteur affichées sont bien les bonnes.

— Mais, qu’est-ce que tu fais, Gabrielle ?

— Chut, je compte.

— Hum… Tu es bizarre. Tu pourrais me prendre dans tes bras au lieu de faire cela ! Non ?

— Qu’est-ce que je viens de te dire ! Tais-toi s’il te plaît.

Désolée, mon trésor, mais je m’inquiète grandement. À chaque rechute, cela devient de plus en plus difficile à supporter. Allez, plus que trente secondes. Trente-trois, trente-quatre, trente-cinq…

* * *

— Et pour finir, soixante-deux. Ça va, les constantes sont bonnes. Allez, viens par là que je te fasse un gros câlin.

Cela fait un bien fou de pouvoir être à ses côtés, là, le sourire aux lèvres sur son visage. Je serre mes bras autour de sa taille le plus longtemps possible. Une semaine entière que j’attendais ce moment. Raphaële, si tu savais comme tu comptes pour moi.

— Hé ! Pas trop fort quand même ! Tu vas finir par me briser une côte. N’oublie pas que je suis encore fragile.

— Je ne l’oublie pas et je ne l’oublierai jamais, ne t’en fais pas. Par contre, je ne veux pas que tu te sentes fragile. Ce sont deux choses totalement différentes.

— Comment ça, explique-moi ?

— Eh bien, être faible désigne le manque de rigueur physique. D’ailleurs, le mot faible dans son étymologie, flébilis, en fait directement mention.

— Hum… mais encore ? Dis-m’en plus.

— Tu souhaites que j’aille dans les détails ? Comme tu l’entends, mais ce ne sera pas de ma faute si mes propos t’ennuient !

— Tu ne risques pas de m’ennuyer Gabi. Ce sera, quoi qu’il arrive, plus intéressant que d’entendre sans interruption cette machine infernale faire un sifflement continu.

— Je n’arrive pas à le croire. Tu ne vas quand même pas râler sur le fait d’entendre ton cœur battre ?!

— Alors, je te signale qu’au vu de ce qui m’arrive dans la vie, j’ai tout à fait le droit de me plaindre. Pour le moment, ce n’est pas le sujet. J’aimerais entendre la suite de tes explications, mais essaie de résumer tout de même. Pour tout te dire, peu importe ce que tu me diras, rien que le fait de te voir me fait du bien, cela m’apaise. Mes pensées peuvent enfin se tourner vers ce moment positif et mon corps en profite pour se détendre. Enfin... Cet instant me change de ceux où j’ai la nausée. Je peux t’assurer que ces derniers sont nombreux et qu’ils me retournent fortement l’estomac.

— Oui, tu n’as pas tort, en plus tu as besoin de repos... Et ne fais pas la tête comme ça, tu sais très bien que j’ai raison. Je vais tenter de te définir ces termes le plus simplement possible.

— Je t’écoute Gabi.

— Dans la faiblesse, nous pourrions y émettre un jugement purement moral, semblant moins peser dans la fragilité. Concrètement, cela veut dire que lorsqu’on se sent faible, cela nous détourne d’une action que nous souhaiterions faire. Comme toi ici, marcher, ou simplement te lever. Alors que, lorsque nous nous sentons fragiles, nous savons que nous pouvons marcher, cela ne nous détournera absolument pas de l’action, mais nous avons conscience que nous avons besoin d’une autre personne pour la réaliser.

— Donc tu es en train de me dire qu’étant faible et non fragile, je n’aurais besoin de personne, donc, de toi ?

— En quelque sorte oui. Raph, tu n’aurais besoin que de repos comme à chaque fois que l’on vient ici. Beaucoup, beaucoup de repos pour reprendre des forces, afin que ton cœur accuse le coup et surtout pour que je puisse m’en remette...