Anamésya - Tome 2 - Jeanne-Marie Weber - E-Book

Anamésya - Tome 2 E-Book

Jeanne-Marie Weber

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Beschreibung

Que se cache-t-il dans la Grotte du Passage Perdu ?
Les cousins Anna et Ben se retrouvent pour passer leurs vacances d'été ensemble. Rien ne semble annoncer un danger : le soleil brille, les oiseaux chantent...
Et pourtant ! S'ils avaient su ce que les parois de la mystérieuse grotte cachaient, jamais Anna et Ben n'auraient faussé compagnie à leur étrange guide.
Leur palpitante aventure commence, à travers un monde peuplé de créatures. Et pas des moindres, car le pays est contrôlé par un être assoiffé de sang...
Laissez-vous guider dans un monde étrange et effrayant !

EXTRAIT

Anna n’avait pas bronché lorsque sa mère avait garé la voiture. Cela faisait plus de deux heures qu’elle était affalée sur la banquette arrière, endormie. Un filet de bave dégoulinait le long de son menton.
Ben, son cousin, s’approcha lentement d’elle, armé d’un grand verre d’eau fraîche. Lorsqu’il fut à bonne distance, il lui lança d’une traite le liquide en pleine figure.
Anna sursauta. Elle mit un moment avant de comprendre ce qui venait de se passer. La silhouette de son cousin se précisa devant elle. Ses cheveux ruisselaient et elle s’essuya le front d’un revers de manche. Lentement, elle se détacha en laissant derrière elle toutes les affaires dont elle s’était servie durant le voyage (livre, écouteurs, téléphone).
— Cours, Ben.
— Oups.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jeanne Weber, née à Nancy en 1999, a toujours le nez plongé dans ses romans de fantasy. Envieuse de créer sa propre aventure loufoque, c'est vers ses 15 ans qu'elle imagine son propre univers peuplé de créatures insoupçonnées jusqu'à ce jour. Anamésya, le Tome 2, en est la preuve et vous ouvre ses portes... Prenez garde ! 




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Anamésya

 

TOME II

 

 

Le Marcheur aux Brumes Noires

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeanne-Marie Weber

 

I

 

La rentrée n’allait pas tarder à arriver. Anna se sentait anxieuse, elle y avait pensé pendant deux mois et le grand jour approchait. Sa vie sera désormais rythmée par de nouvelles rencontres et un apprentissage intensif. Comme elle n’était pas très douée en lycée général, Anna avait pris la décision de s’orienter vers une autre voie. Elle appréhendait grandement l’année qui l’attendait. Pas seulement côté scolaire, mais également relationnel. Anna n'avait aucun mal à se faire des amis, mais elle angoissait dès qu'on lui adressait la parole.

La jeune fille ne savait absolument pas à quoi s’attendre. Ce dont elle était certaine en revanche, c’est qu’elle voulait à tout prix faire bonne impression auprès de ses nouveaux camarades de classe. Elle prit rendez-vous chez le coiffeur, alla s’acheter de nouveaux vêtements ainsi qu’une paire de chaussures. Anna était fin prête, mais sa tête lui disait tout le contraire. Chaque fois qu'un grand événement approchait dans sa vie, elle ne se sentait jamais à la hauteur, ce qui la freinait grandement dans ses ambitions. Là, c'était une autre forme d’anxiété. Actuellement, sa plus grande peur était d'échouer. Elle ne supporterait pas l'idée de ne pas réussir son année, elle allait tout faire pour être la meilleure de la classe. Mais ce fut sans compter sur l'aide du pendentif qu'elle avait autour du cou. À deux jours de la rentrée des classes, au lieu de réviser ses leçons ou de préparer ses affaires, Anna était allongée sur son lit à fixer le Médaillon du Voyageur qui reposait au creux de sa poitrine. Depuis quelques temps, il luisait d’une étrange couleur, d'un rouge sanguinolent, qui lui donnait des picotements dans le cou. Cela faisait plus d’un mois qu’elle n’avait pas mis les pieds à Anamésya. Comment se comportaient les Ameï depuis son départ ? Avaient-ils eu le temps de restaurer le pays ? Chaque fois qu’Anna essayait de se rendre là-haut, on l’interrompait. C'était comme si le destin ne voulait pas qu'elle rejoigne ses amis, comme s'il la protégeait d'un danger futur.

Anna se mit debout au milieu de sa chambre en laissant ses bras tomber le long du corps, détendue, et attendit que la magie opère. Elle devait essayer de se rendre au Royaume coûte que coûte pour voir comment est-ce que les Ameï se comportaient depuis que Porygan y avait semé la terreur. Elle pourrait leur apporter son aide, s'ils le désiraient. Anna ignorait comment est-ce qu'ils réagiraient s'ils la voyaient débarquer alors qu'ils se remettaient tout juste des précédents événements. Lorsqu'elle pensa à ses amis qu'elle pourrait revoir, la pierre se mit à briller de toutes ses forces. Ses pieds s’élevèrent du sol et un halo de lumière dorée entoura la jeune fille.

Alors qu'elle pensait enfin pouvoir réussir à se rendre à Anamésya, sa mère entra brusquement dans la chambre.

— Anna, qu’est-ce que tu fais ? On t’attend pour manger.

L’adolescente retomba doucement à terre en soupirant. Combien de fois sa mère l’avait-elle interrompue dans ce rituel ? C’est à se demander si elle ne le faisait pas exprès. Avant de quitter sa chambre, l’adolescente enfila ses pantoufles. Elle claqua la porte et rejoignit sa sœur qui l’attendait sagement à la table de la cuisine.

— Tu rêvais encore de ton monde fantastique ? plaisanta-t-elle en voyant sa grande sœur débarquer avec un air absent.

— N’importe quoi.

Cette remarque ne fit qu'agacer la jeune fille. Anna faisait beaucoup de cauchemars se rapportant à la guerre qui avait eu lieu à Anamésya. Cet événement lui avait laissé des séquelles psychologiques importantes et la jeune fille avait du mal à passer à autre chose. Elle avait toujours le visage de Porygan terrassant ses amis et le peuple des Ameï avec sa magie noire dans son esprit. Elle n'arrivait pas à s'en défaire, cet ogre odieux avait pris possession de chacun de ses rêves. Il la hantait. Ce qui n'était pas à son avantage. En effet, ayant sa chambre juste à côté de celle de sa sœur, Julia l’avait entendu hurler plusieurs fois le nom des villes qui composaient le pays, ainsi que l’instant où l’épée en argent avait transpercé le cœur de Porygan. Elle n’oublierait jamais ces faits. Elle était traumatisée.

Anna se tourna vers sa sœur en grimaçant.

— Laisse ta sœur tranquille, Julia, ordonna Sophie. Elle est simplement stressée de rentrer dans son nouveau lycée, et c'est tout à fait normal.

— Mais je n’ai rien fait ! protesta Julia, contrariée.

Sophie était accoudée à la gazinière et observa ses filles avec attention. Elle était toujours inquiète au moment des rentrées scolaires, mais elle n'avait pas à s'en faire pour ses filles, qu'elle savait responsables. Même si Sophie ne le montrait pas tous les jours, elle était très fière d'elles et jamais elle n'aurait espéré avoir meilleures enfants qu'Anna et Julia. Elle leur faisait savoir en leur faisant plaisir tous les jours, en leur cuisinant des plats qu'elles aimaient bien ou en les emmenant au cinéma.

Ce soir, Sophie avait cuisiné un plat spécialement pour Anna. Sa rentrée était avant celle de Julia. Un jour avant celle de Julia, elle préparerait un plat uniquement pour elle. C’était une manière pour Sophie de remercier ses filles d'être aussi gentilles avec elle. Une douce odeur de légumes cuits flottait dans l’air, mélangée à celle de thym et d’oignons. Anna adorait ces senteurs. Cela lui rappelait les soirées qu’elle passait avec de sa grand-mère, près du feu, lorsqu'elle était petite et que sa mère rentrait tard du travail. En tant que chirurgienne, ses horaires variaient. Même si elle était souvent surbookée, elle faisait de son mieux pour être le plus disponible auprès de ses filles.

— Anna, tu as fini de préparer tes affaires pour lundi ? Je te rappelle que tu rentres à 13 h 30.

La jeune fille acquiesça. Cela faisait une semaine qu’elle organisait son espace de travail. Ses cahiers étaient déjà prêts, sa trousse remplie d'une panoplie de stylos originaux, et son sac à dos était plein de feuilles à carreaux.

— Oui, il ne me reste plus qu’à trouver ma tenue. Je ne sais absolument pas quoi mettre.

— Bien. N’oublie pas qu’il va faire chaud. Tu pourrais mettre un débardeur ou une jupe ? Tu sais que ça te va bien.

Anna ne put réprimer une grimace de dégoût à l’écoute du mot « jupe ». Qu’il fasse dix ou trente degrés, vous ne la verrez jamais avec ce type de vêtement. Sauf pendant les fêtes et les grandes occasions. Pour elle, un short était l'idéal en cas de canicule.

— Bien sûr ! Quand les poules auront des dents, répondit la jeune fille. Sérieux maman, tu n'as toujours pas compris que je n'aime pas les jupes ?

— Comme tu voudras. Mais ne viens pas te plaindre si tu fais un malaise en pleine heure de cours.

— Ne t'inquiète pas ! Avec les sucres magiques de l'infirmière, je serais sur pieds en quelques secondes, si jamais je tombe dans les pommes !

Sophie se mit à rire suite à la blague de sa fille, et le repas se poursuivit dans l’ambiance la plus détendue qui soit. Sentant qu’Anna était stressée, Sophie n’évoqua plus la rentrée. Elle faisait part à ses filles des activités qu’elle avait prévues ce week-end.

— Demain, Tom et Alice viendront au cinéma avec nous voir le dernier film de science-fiction, ça vous dit ?

Tom et Alice étaient les enfants de la sœur de Sophie. Ils habitaient le village voisin, ce qui permettait aux filles de les voir le plus souvent possible. Le dimanche soir, tout le monde se retrouvait chez les grands-parents d'Anna. C’était devenu un rituel familial qui plaisait beaucoup à la jeune fille. Elle adorait passer du temps avec sa famille, c'était inimaginable de ne pas les voir pendant plus d'une semaine.

— Oui, pourquoi pas, répondit la jeune fille.

— Super ! Et toi Julia, avant que je ne te demande, est-ce que tu as préparé tes affaires pour mardi ?

Julia entrait en troisième. Elle semblait plus détendue que sa sœur. Ou alors si elle était stressée, aucun signe d'angoisse ne trahissait ses traits fins.

— Oui. J’espère que je ne vais pas me retrouver dans une classe d’attardés mentaux. Je me vois mal faire la police toutes les trente secondes. J’ai un brevet à passer, moi !

La petite sœur d’Anna avait un dur caractère, elle ne se laissait jamais faire. Dans la cours de récréation, on l’appelait la Reine du Poing. Sophie avait déjà plusieurs fois eu affaire au proviseur car il lui était arrivé de frapper ses camarades de classes sous le coup de la colère. Mais à chaque fois, elle s’en sortait bien. Anna était tout le contraire de sa sœur, elle préférait rester discrète et passait le plus clair de son temps à rêvasser assise sur un banc avec ses écouteurs dans les oreilles.

— Julia je te préviens, si je dois rencontrer une fois au proviseur cette année, tu seras punie.

— Tu dis ça à chaque fois et tu ne fais jamais rien, répondit Julia.

— Crois-moi que le jour où je ferais quelque chose, tu t’en souviendras.

Cette fois, Julia ne répondit pas. Elle se contenta de jeter un regard noir à Sophie avant de s’affaler au fond de sa chaise.

— Et s’il te plaît, tiens-toi correctement !

Évidemment, l’adolescente ne broncha pas.

— Anna, cette année il faut que tu aies de meilleurs résultats si tu veux réussir.

— Je te promets que je ferai de mon mieux. Et si jamais je n’aime pas la filière et que les gens avec qui je suis sont de vrais tyrans, on pourra changer ?

— On va déjà voir comment se passent les premiers mois, d’accord ? Et si vraiment tu n'arrives pas à suivre, on ira parler au directeur.

Anna acquiesça. Elle vit que Julia pouffait silencieusement, la tête entre ses mains.

— Cette règle vaut pour toi aussi jeune fille. Ta sœur a peut-être des difficultés dans certaines matières, mais elle n’a pas de problèmes de comportement. Si tu ne changes pas d’attitude en cours, je te prendrai un professeur particulier et tu devras travailler pendant les vacances. C’est compris ?

Bizarrement, cette menace finit par calmer totalement la jeune fille, qui ne dit plus un mot du repas. Elle se contenta de terminer son assiette, en savourant chaque bouchée du plat que Sophie avait cuisiné.

— Bon, très bien, dit alors Sophie d'un ton posé. Vous pouvez aller vous reposer, je vais débarrasser.

— Attends, je vais t’aider ! s’exclama Anna en se levant brusquement de table.

Pendant ce moment de complicité, Anna fit part de ses inquiétudes à sa mère. Sophie savait qu'Anna avait tendance à stresser pour rien et tentait de la rassurer en lui disant que si elle avait un problème, il ne fallait pas hésiter à aller voir le proviseur. Anna se dit alors qu’elle n’irait que si la situation devenait trop insupportable. En effet, au collège, Anna avait eu quelques soucis avec une bande de jeunes qui s’amusaient à la harceler. Elle n’avait jamais rien fait mais s’était rendue compte à la fin de l’année qu’il était important qu’elle en parle dès le début, avant que ses camarades n’aillent trop loin. Elle se fit la promesse d’en parler à sa mère si l’on se montrait désagréable avec elle. Et puis, maintenant, elle avait ses capacités spéciales. Anna pourrait s’en servir si on venait à être trop oppressant avec elle.

Après avoir longuement échangé avec sa mère sur sa scolarité à venir, la jeune fille retourna dans sa chambre, stressée. Elle ne put s’empêcher de penser à la rentrée. Elle n’avait pourtant pas de souci à se faire, tout allait bien se passer. Elle ne devait pas s'embrumer l'esprit avec des ondes négatives et inspira un bon coup avant de bloquer l'air dans ses poumons. Lentement, Anna expira l'air jusqu'à son dernier souffle, apaisée. Enfin, elle s’allongea sur son lit et observa attentivement le pendentif. Elle le prit dans sa main et songea aux Ameï. Aussitôt, une douce lueur violette entoura sa paume. Anamésya semblait bien se porter. Anna se sentait rassurée.

Elle pouvait s’endormir sereine, la tête vidée de tout problème.

Les ténèbres l’envahissaient. Une étrange sensation lui serrait le cœur, elle se sentait extrêmement mal à l’aise, comme si quelqu’un l’observait. Elle voulut examiner les lieux mais rien ne lui permettait de s’orienter. Pas même une petite lueur ou étoile, c’était le néant.

Alors qu'elle se croyait totalement perdue, une voix résonna au loin :

— Il arrive !

Anna sursauta. Elle se retourna vivement vers le son puis demanda :

— Qui ça ?

Pas de réponse, seulement des hurlements lointains dont elle ignorait la provenance.

Sa vision réapparut alors. Elle se trouvait dans une grotte sombre, éclairée par deux points dorés lumineux. Elle s’approcha lentement d’eux, pétrifiée.

— Il arrive !

La voix venait de réapparaître. Elle semblait débordante de panique. Alors qu’Anna était plus proche des deux lanternes dorées que jamais, une masse sombre s’approcha de la jeune fille en lui soufflant au visage une brise glacée qui lui fit froid dans le dos. La silhouette se précisa juste devant elle ; une anguille longue de plus d'une dizaine de mètres zigzaguait en hurlant et fonça droit sur Anna, la bouche grande ouverte, laquelle était parsemée de dents acérées comme des lames de rasoir, et dont les yeux étaient écarquillés. Comme si le poisson venait de voir la chose la plus effrayante qui soit.

Elle ne comprit absolument pas ce qu'il venait de se passer.

L’adolescente se réveilla en panique. Son réveille affichait trois heures du matin. Elle transpirait à grosses gouttes et décida d’aller prendre une douche afin d’effacer ce mauvais rêve.

Qui donc était cet étrange « il » ? Pourquoi s’était-elle retrouvée dans une grotte ? Anna savait qu’elle n’aurait pas de réponse tout de suite. En revanche, ce dont elle était certaine, c’est qu’elle devait mettre Ben au courant de ce surprenant cauchemar.

Ce qui était le plus étrange encore, c'est qu'il était le même rêve depuis plusieurs semaines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

Le week-end s’écoula à une vitesse incroyable. Anna passa son temps à discuter avec ses cousins tandis que Julia s’occupait de leur chien. Le samedi soir, ils partirent le promener tous les quatre et pouvaient ainsi échanger sur les potins de la semaine ou sur tout autres sujets divers. Ils aimaient bavarder de tout et de rien, le silence n'était jamais le bienvenu lorsqu'ils étaient tous réunis.

— Ma mère n’a pas encore reçu la liste des fournitures pour le collège, s’inquiéta Alice. Je ne sais pas comment est-ce que l’on va pouvoir se débrouiller…

— Je crois que maman a gardé l’exemplaire de Julia dans ses papiers, annonça Anna. Si tu veux, je pourrais demander qu’elle te le prête, comme ça tu auras tes affaires à temps. En plus, les magasins ouvrent exceptionnellement dimanche matin, pour que tout le monde soit au point le jour de la rentrée !

— Super, merci ! C'est sympa d'avoir pensé aux gens comme nous, qui préparent toujours tout à la dernière minute ! ricana Alice. Ma mère est complètement à la ramasse, je me demande comment est-ce qu'elle fait pour s'en sortir à chaque fois.

— Peut-être qu'elle a des supers-pouvoirs, répondit Anna d'un air malicieux.

— Ouais bah si elle était vraiment dotée de supers-pouvoirs, j'aimerais bien qu'elle m'ensorcelle pour que j'ai des meilleures notes en classe, intervint Tom.

Alice entrait en troisième, Tom en seconde générale. Tout comme Julia, Tom se fichait pas mal des études. Il préférait s’amuser, se confronter à tout le monde, réaliser des défis avec ses copains. L'année dernière, ils étaient partis en vadrouille en plein milieu de la nuit alors qu'ils fêtaient l'anniversaire d'un de leurs copains et avaient sauté d’un pont haut de vingt mètres avant d'atterrir dans l'eau. Il n’y avait pas eu de blessé, mais ils s’étaient fait rouspéter lorsque la police les avait ramenés à la maison à deux heures du matin.

— Le secret de la réussite est de réviser, répliqua Anna. Tu révises une à deux heures chaque soir, et le tour est joué.

— Mouais. C'est bizarre que cette technique ne marche pas sur moi. Crois-moi, j'ai essayé maintes et maintes fois, mais ça n'a jamais fonctionné.

— N'écoute pas ton frère, Alice. C'est un fainéant.

— Un fainéant qui voit la vie en rose !

Les deux filles se mirent à rire suite à la blague que venait de faire le jeune homme. Il est vrai que Tom était sûrement le moins bon de son école, mais il avait un don pour faire rire les gens qui l'entouraient. Il avait toujours voulu faire humoriste, mais sa mère ne cessait de lui expliquer que ce n'était pas un métier et qu'il devrait plutôt se concentrer sur ses études. Il avait donc enterré par force son rêve.

Tout en continuant à se lancer des vannes à tour de rôle, ils longèrent une rivière dont la surface bleutée brillait sous les reflets de la lune. La nuit commençait à tomber mais personne n’avait l’air de s’en soucier. Des étoiles s'apprêtèrent à pointer le bout de leur nez. Ils avaient fait exprès de partir juste après manger, pour avoir le temps de se baigner à la belle étoile. Et puis, la rivière ne se trouvait pas si loin de leur maison, à deux pâtés.

Arrivés à destination, Julia s’accroupit à côté du chien et lui dit d’une voix enfantine :

— Ne t’approche pas trop près de l’eau, d’accord ? Sinon tu vas être tout sale.

Les animaux étaient la seule chose qui la calmait. Allez savoir pourquoi.

Au moment où Julia lui décrocha son collier, Spot détala jusqu’au bord de la rive avant de sautiller joyeusement dans les flaques d’eau en aboyant.

— Doucement, Spot ! s’écria Lola en retirant ses chaussures. Le dernier arrivé à l’eau est une poule mouillée !

Tout le monde s’empressa de retirer ses souliers. Les adolescents jetèrent d’un coup sec leurs pantalons dans un tas d’herbe et rejoignirent Lola, qui s’amusait à éclabousser Spot.

Anna eut une étrange sensation en entrant dans l’eau. Comme si on lui brûlait les omoplates. La douleur lui parcourait maintenant le corps, elle frissonna. Au creux de sa poitrine, le Médaillon du Voyageur luisait d’un jaune soleil éblouissant. Elle observa ses jambes et … des écailles ! Trois écailles venaient d’apparaître sur ses cuisses et commençaient à se disperser sur ses deux jambes. L’adolescente hoqueta de surprise. Jamais elle n’aurait pensé que sa capacité spéciale ne se manifestait pas seulement en mer… Prise de panique, elle se mit à hurler en tenant ses jambes. Elle regagna la rive en sautant à cloche-pied. Une fois hors de l’eau, elle souffla sur ses cuisses pour faire sécher la partie humide où commençait à se dévoiler des écailles de sirène. Ça ne lui était jamais arrivé, lorsqu'elle prenait sa douche ou son bain, tout se passait toujours bien. Allez savoir pourquoi, l'eau de cette rivière avait dévoilé ses capacités magiques.

— Ça ne va pas ? demanda Tom, inquiet.

Anna devait rapidement trouver une excuse.

— Si, j’ai juste une crampe à la cuisse et ça me fait trop mal…

— Il faut que tu tendes tes jambes vers le haut et que tu respires bien ! Vas-y, tu tends et tu respires...

D'un coup, les yeux du jeune homme s’écarquillèrent.

— Ouah, c’est incroyable !

Anna prit peur. Elle n’avait aucune idée de ce dont il voulait parler. Avait-il remarqué ses écailles ?

— C’n’est pas possible … se lamenta Anna en cachant sa tête entre ses mains.

— Tu as plus bronzé cet été en un mois que mon père en deux jours !

La jeune fille se sentit rougir. Son cœur battait la chamade et un filet de sueur froide roula sur sa tempe, soulagée.

— Oh, je vois. Oui, je ne sais pas de qui est-ce que je tiens ça.

— Peut-être de Roby. En été, il prend quatre teintes de bronzage.

— Oui, ça se tient. Mais je crois que je vais rentrer, je ne me sens pas très bien …

En fait, elle voulait simplement se reposer pour être en forme à la rentrée. Elle commençait vraiment à stresser.

— Mouais, dit Tom en levant les yeux au ciel. Dis plutôt que tu as peur de l’eau !

— Quoi ? N’importe quoi !

— Alors prouve-moi le contraire, sinon je t’appellerai « poule mouillée » jusqu’à la fin de tes jours.

Anna le dévisagea. Elle adorait Tom, mais il se pouvait se montrer insupportable en situation de défis.

— Je n’en ai pas envie.

— Madame a peur de se salir les mains ?

Mais enfin, à quoi jouait-il ? Pourquoi prenait-il cet air fanfaron, comme s’il cherchait à l’effrayer ?

— Écoute Tom, tu commences sérieusement à m’agacer, compris ? Je ne sais pas pourquoi est-ce que tu agis comme ça, mais tu as vraiment l’air d’un idiot.

— Oh, désolé, je ne voulais pas te vexer, répondit-il d'un ton peu enthousiaste.

Tous les autres observaient la scène du coin de l’œil. Spot, lui, n’avait pas l’air de comprendre ce qu’il se passait ; il continuait de sautiller dans les flaques d’eau en éclaboussant l’assemblée au passage.

— Je ne savais pas que tu avais les gènes d’une poule mouillée. Je le saurais la prochaine fois.

Anna fut la première à rentrer chez Tom et Alice. Le reste de la petite équipe la rejoignit quelques temps plus tard. Le reste de la soirée, Tom jouait sur son téléphone, Alice regardait la télévision en compagnie de Julia et Spot, et Anna s’était allongée sur le trampoline pour regarder les étoiles. À table, pourtant, l’ambiance était au beau fixe. Les parents discutaient de tout et de rien, sans oublier de se raconter leurs dernières histoires de leurs lieux de travail avant la rentrée. Spot venait souvent se cacher en-dessous de la table car le père de Tom adorait lui donner des morceaux de saucissons qu’il engloutissait en moins de deux secondes. Anna jeta un coup d’œil dans leur direction et esquissa un sourire. Finalement, elle se décida à les rejoindre.

— Ah, Anna, s’enthousiasma Louis, le père de Tom. Alors, pas trop stressée pour la rentrée ?

Oh non, pitié. Elle aurait voulu parler de tout sauf de ça. Mais elle dû se prendre au jeu, pour ne pas les vexer.

— Si, un petit peu…

— Arf, c’est un jour comme un autre, c’est ce qu’il faut te dire. Tu sais, je vais te raconter quelque chose. À ma rentrée de seconde, je suis arrivé comme tous les autres avec mes petites affaires prêtes, mon sac à dos, ma trousse, mes feuilles etc. Et je suis allé me présenter au bureau des surveillants. On m’a guidé vers ma salle, j’ai rencontré mes camarades et mon professeur principal. Jusque-là tout va bien.

Louis avait le don pour l’aventure. Anna avait hâte d’entendre la chute de celle-ci.

— Et ensuite ? demanda-t-elle, impatiente.

Du coin de l’œil, elle put remarquer que Tom écoutait également.

— Ensuite, le cours a commencé. Comme si de rien était. Puis au bout de trente minutes, le proviseur est entré dans la salle en disant : je cherche Monsieur Louis Garnier. Je me suis demandé ce que j’avais pu faire de travers. Alors j’ai levé la main. Et là, un type est entré dans la salle. Il devait avoir mon âge, peut-être un peu plus grand. Il avait l’air super étonné quand il m’a vu.

— Pourquoi ? questionna Tom, visiblement intéressé.

— Parce que je lui avais piqué sa place. Ce gosse avait le même prénom et nom que moi, et nous étions dans le même lycée. Enfin, jusqu’à ce que le proviseur m’annonce que nous étions au lycée Saint-Pierre et non à Vaubreuil, où j’étais censé me trouver depuis une heure.

Il y eut un court moment de silence, puis tout le monde éclata de rire. Même Tom, qui faisait la tête depuis leur retour à la maison, était de la partie, ce qui fit sourire Anna.

— Mais comment est-ce que tu as pu te tromper d’établissement ? renchérit Sophie. Tu n’avais pas un dossier d’inscription ou quelque chose comme ça ?

— Si, bien sûr, mais j’avais fait la fête la veille de la rentrée alors je n’avais pas l’esprit bien en place, si tu vois ce que je veux dire.

— Donc, vous avez bien compris la leçon du jour, maintenant ? intervint son épouse. Ne faites pas la fête avant d’entrer au lycée si vous ne voulez pas avoir la honte de votre vie.

Chacun raconta alors une anecdote honteuse qui lui était arrivé dans le passé. Tout le monde s’était rassemblé autour du barbecue et faisait griller des marshmallows. Tous passaient un bon moment. Il faisait chaud, quelques lucioles avaient pris place autour des bougies que Louis avait placées dans des lanternes, ce qui créa un jeu de lumière époustouflant. Anna se rappela qu’à Anamésya, lorsque les fées prenaient la forme de lucioles, elles dégageaient une lignée de paillettes et autres lueurs dorées. Plus le temps passait, plus la peur qu’elle ressentait disparaissait. Oncle Louis avait fini par la convaincre que la rentrée n’était qu’un jour comme un autre et qu’il ne serait mauvais que si elle le décidait.

Sophie, Julia et Anna rentrèrent chez elle vers une heure du matin. Elles étaient tellement fatiguées par la soirée qui venait de s’écouler qu’elles ne prirent même pas le temps de se mettre en pyjama ou autre tenue confortable : elles s’écroulèrent toutes les trois sur le canapé.

Anna ne fit aucun rêve. Elle fut bercée par le doux son des rires des membres de sa famille qui résonnaient encore dans ses oreilles.

Le lendemain, les filles ne firent rien d’autre si ce n’est préparer leurs affaires pour la rentrée. Anna passa sa matinée à coller des étiquettes sur ses cahiers avec son nom et prénom, chose qu'elle avait omis de faire, Julia à ranger son bureau. Tout était fin-prêt pour le jour j. Enfin, matériellement parlant, car mentalement, les filles venaient de retrouver leur stress.

— Je vais simuler une maladie comme ça je resterais à la maison, avoua Julia à sa sœur, alors qu’elles rangeaient leur meuble scolaire.

— Tu n’y arriveras jamais. Maman te démasquera.

— Non, mais tu n’as rien compris. Je vais simuler une fois que je serais au collège, sinon ça n’a aucun intérêt.

— Je trouve ça débile, mais bon. Après tout, tu fais comme tu veux. Mais ne viens pas te plaindre plus tard si tu ne trouves pas de travail.

— Genre le collège ça compte ?

— Genre oui, répondit Anna, légèrement agacée. Si tu ne travailles pas correctement au collège, tu n’auras pas le niveau pour aller en seconde. Et j’en suis le parfait exemple.

— Oui mais moi je ne suis pas toi. Donc peut-être que tu n’as pas réussi en générale, mais ça ne veut pas dire que moi je ne peux pas y arriver non plus.

— J’en doute fort, avec ton comportement.

— Ma façon de travailler ne te regarde pas.

— Toi, tu sais ce que signifies le mot « travailler » ? Je pensais que tu ne connaissais que le verbe « battre ».

— Oui, je le connais bien aussi, d’ailleurs tu vas t’y confronter !

Julia se mit à tirer les cheveux de sa sœur avec tellement de force qu’elle lui en arracha une poignée. Anna hurla, se défendit en griffant sa petite sœur, mais cette dernière l’esquiva. Alors qu’elles s’apprêtaient à se battre en duel avec des ustensiles d’école qui leur passaient sous la main, Sophie débarqua dans la chambre, indignée.

— Non mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? gronda-t-elle.

Julia mordit sa sœur une dernière fois avant de s’arrêter.

— Vous allez toutes les deux chacune dans votre chambre et continuer de vous préparer ! Et que ça saute, avant que je ne me fâche ! Non mais.

Les adolescentes s’exécutèrent en prenant soin de se bousculer au passage. Anna claqua la porte de sa chambre et passa l’après-midi à ruminer dans son coin.

En fin de soirée, alors qu’elle chattait avec ses amis sur son téléphone portable, une lueur verte puissante envahit la pièce. Elle remarqua aussitôt sa provenance : Le Médaillon du Voyageur. Il brillait si fort qu’elle peinait à le regarder.

Ça fait un mal de chien ! entendit-elle alors.

Elle se mit à rire. D’abord parce qu’elle et son cousin n’avaient pas pris le temps de discuter par la pensée depuis leur retour sur Terre, mais aussi parce que parfois, Ben ne se rendait pas compte lorsqu’il parlait par la pensée. Anna entendait donc des choses qu’elle n’était pas censée savoir. Elle avait envie de le lui dire, mais c’était tellement rigolo qu’elle préférait le garder pour elle.

Tiens, Ben, toi aussi tu vois cette drôle de lumière ? lui répondit-elle.

Anna ? Qu’est-ce que tu fais dans ma tête ?

Tu as oublié qu’on était doté de cette capacité ?

À vrai dire je n’avais jamais vraiment pensé à l’utiliser en dehors d’Anamésya. Tu l’utilises souvent, toi ?

Non, pas vraiment. Des fois j'essaye de contacter nos amis, mais ils ne me répondent pas...

Ils doivent sûrement être occupés, ne t'en fais pas.

Tu sais, je fais plein de cauchemars, sur Anamésya, en ce moment...

Moi aussi j’en fais, mais c’est quelqu’un qui vient me rendre visite.

Qui ça ?

Je ne sais pas vraiment. En fait, elle me met en garde…

Elle s’apprêtait à lui expliquer son dernier rêve avec l'anguille quand un effroyable mal de tête s’empara d’elle. Elle avait l’horrible sensation qu’on lui vrillait les tempes avec un mixeur. Des bourdonnements résonnèrent dans ses oreilles. Dans un même temps, sa gorge se serrait de plus en plus, comme si on cherchait à l’étrangler. Elle plongea la tête dans son oreiller en écrasant énergiquement son crâne dessus pour faire disparaître le son et la douleur, mais ils étaient de plus en plus forts. Anna ne savait plus quoi faire pour les arrêter. Elle voulut prendre un verre d’eau pour se le renverser sur la tête, mais ses membres tremblaient tellement fort qu’elle n’eut plus la moindre force. C’était comme si quelqu’un l’avait privé de toute énergie. Elle luttait en vain, sans résultat.

Et, comme si son ravisseur avait réussi son coup, tout s’arrêta. Anna transpirait abondamment, son corps tremblait comme une feuille. Elle arrivait à peine à bouger le petit doigt sans ressentir une extrême fatigue. Sans trop de peine, elle s’évanouit dans un sommeil de plomb.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III

 

La rentrée d’Anna se déroula à merveille. Au début, elle fut un peu timide en raison du fait qu’elle ne connaissait personne dans son nouvel établissement, mais rapidement ses camarades de classes s’intéressèrent à elle et des liens commencèrent à se créer. Il y avait une telle complicité dans la classe qu’elle ne pouvait s'imaginer dans un meilleur endroit.

Elle avait besoin de cette proximité avec ses camarades. Les amis qu’elle avait quittés en venant étudier ici lui manquaient et elle ne pouvait pas toujours aller les voir, alors le fait que tout le monde soit venu la voir sans gêne lui fit le plus grand bien. L’ambiance générale était vraiment excellente. Et puis les cours lui plaisaient. Anna n’aurait jamais pensé que les profs allaient être aussi détendus ! Par exemple, la dernière fois, il y avait eu beaucoup de bruits en classe. N’importe quel enseignant se serait énervé contre les coupables, mais la professeure d’anglais qui gérait le cours s’était simplement arrêtée de parler, était retournée s’asseoir à son bureau et avait attendu que le silence complet se fasse dans la salle avant de reprendre le cours. Bon, en fait, elle était l’une des seules à réagir comme ça. En effet, les autres professeurs de la jeune fille ressemblaient à d’énormes boules de nerfs. En particulier celui de sport.... Et ça tombait plutôt mal, car Anna détestait cette matière. Elle se donnait à fond, mais ses capacités physiques ne lui permettaient pas de faire certains exercices qu’il lui demandait. La dernière fois, il était tellement en forme qu’il avait proposé aux élèves de faire quatre tours d’un terrain de cinq cent mètres, dix séries de cinq pompes et quelques exercices de renforcement musculaire. Ça n’aurait absolument pas dérangé la jeune fille de réaliser ces performances, mais la pluie coulait à torrent ce jour-là et elle avait fait un faux mouvement pendant la nuit, ce qui lui causa une douleur dorsale. Comme punition pour n'avoir réalisé que la moitié des exercices, Monsieur Benson lui demanda de ramener tout ce qu’il avait mis sur le terrain avant de partir.

— C’n’est pas grave, Powell, lui dit-il. Tu y arriveras une prochaine fois !

Et il partit en lui donnant une tape amicale dans le dos.

Les cours se déroulaient différemment, aussi. Ce n’était pas de la théorie comme Anna avait l’habitude d’en voir en seconde générale, mais plus de la pratique. Par semaine elle avait environ neuf heures de mise en situation professionnelle et cela lui plaisait beaucoup. Elle pouvait mieux se rendre compte du travail qu’elle aurait à réaliser une fois qu’elle serait employée. Elle avait appris beaucoup de choses depuis son arrivée ; elle pouvait calculer une remise, écrire un mail à des professionnels, appeler des entreprises pour prendre des informations… le plus dur pour elle, c’était de ne pas stresser pendant une conversation téléphonique. Anna avait tendance à perdre ses mots lorsqu’elle ne se sentait pas à l’aise avec son interlocuteur.

Malheureusement pour elle, c’était arrivé en pleine évaluation. Elle était seule avec sa professeure dans une salle pour éviter tout bruit nuisible, et son travail était d’appeler une entreprise pour savoir s’ils prenaient des stagiaires. Elle devait se présenter, rappeler à l’entreprise le but de son futur métier et argumenter son dépôt de candidature. Elle était prête, son texte était devant ses yeux et Madame Hugues attendait patiemment à ses côtés. La sonnerie du téléphone retentit, il y eut un court grésillement et Anna dit :

— Oui bonjour, je suis l’élève Anna Powell, du Lycée Anne Frank. J’aurais souhaité savoir si vous preniez des stagiaires ? En effet, je suis en première, et je dois effectuer une période de stage en milieu professionnel et votre entreprise m’intéresse grandement.

Ça aurait pu marcher si elle n'avait pas inversé tous les.

Au regard de sa professeure, elle sut immédiatement que c’était fichu. Elle se rattrapa la semaine d’après sur une interrogation en mathématiques où elle avait obtenu l'excellente note de 18/20. Sophie était tellement fière ce soir-là qu’elle sortit une bouteille de champagne. D’ordinaire, Anna n’avait jamais de note supérieure à 5 dans cette matière.

Au niveau relationnel, Anna était donc comblée. Elle avait trouvé son bonheur auprès d’un petit groupe dans lequel elle s’était rapidement intégrée. Ils mangeaient ensemble tous les midis, se promenaient en ville durant les heures de permanence. Et puis elle était une bonne élève ! Au premier semestre, Anna finit première de la classe avec quinze et demi de moyenne générale. Les deux derniers du podium n’étaient autre que Camille et Lola, ses deux fidèles acolytes. Elles allèrent fêter ça l’après-midi même, juste après le sport, un vendredi après-midi. Elles n’avaient plus cours de la journée et voulaient profiter du soleil qui brillait de mille feux, malgré la saison hivernale qui venait de pointer le bout de son nez.

Camille et Anna attendirent Lola à l’entrée du vestiaire. C’était toujours la dernière à sortir. Une fois, le gardien ne l’avait pas vue et l’avait enfermée. La pauvre était restée deux heures toute seule avant que quelqu’un ne vienne lui ouvrir.

— Lola, qu’est-ce que tu fais, bon sang ?! hurla Camille, agacée.

Camille était la première de la classe à être venue vers Anna. Elle connaissait déjà tout le monde et avait bonne réputation, ce qui faisait un peu d’elle la star du lycée. En plus, elle était très jolie. Elle possédait de longs cheveux blonds qui contrastaient avec ses yeux noisette. Tous les garçons lui courraient après. Elle était aussi une fille très intelligente, ce qui ne faisait qu’augmenter sa cote de popularité. Lola était venue peu de temps après à leur rencontre, ce qui avait grandement enchanté la jeune fille.

— Si tu continues on n’ira pas boire avant le début de la nuit, renchérit-elle.

— À moins que tu n’aies changé d’idée, reprit Anna, le camping n’était pas au programme !

Les adolescentes se mirent à rire. Monsieur Benson l’attendait impatiemment, accoudé aux lavabos extérieurs du vestiaire.

— Alors les filles, commença-t-il, vous avez prévu quelque chose pendant les vacances ? Enfin, à part Noël, bien entendu.

— Non, rien de spécial, répondit Camille. Je vais encore me vautrer dans le canapé avec mes frères. Top, non ?

— Ah, génial ! s'exclama Monsieur Benson avec sarcasme. Et toi Anna ?

— Je ne sais pas encore, à vrai dire. Je pense que je vais aller à la patinoire avec ma sœur, et on verra après.

— Oh, j’adore le patin à glace ! Peut-être que l’on se croisera. On fera une compétition artistique, et que le meilleur gagne !

Camille pouffa silencieusement.

— Ça te fait rire, Strauss ? râla leur professeur. Tu as intérêt à travailler tes bras pendant les vacances, car je ne te manquerai pas à la rentrée ! Je vais te préparer plein de jolis petits exercices pour te muscler un peu.

— Oh … se calma Camille, eh bien je suis impatiente de vous revoir alors.

La porte du vestiaire grinça et Lola sortie. Ses joues étaient rosies par l’effort, ses cheveux châtains en bataille et son tee-shirt blanc trempé de sueur.

— C’est bon, je suis là, vous êtes contentes ? grogna-t-elle en mettant ses affaires en boule dans son sac-à-dos.

— C’n’est pas qu’on en a marre de t’attendre, mais c’est tout comme, avoua Camille en pinçant les lèvres.

— Je suis crevée après chaque cours, j’ai besoin de prendre mon temps pour me changer, expliqua Lola.

— Voyons, Lola, intervint Monsieur Benson. Une telle sportive ne devrait pas avoir à se justifier !

— Lola, une sportive ? s’indigna Camille. C’est la plus grosse feignante de la Terre ! Elle a dressé son chien pour qu’il lui apporte des sodas et des paquets de chips quand elle regarde la télé…

Cette révélation fit rire Anna de bon cœur. Elle jeta un regard amusé vers son amie.

— Je ne peux pas croire ça, répondit Monsieur Benson en fermant la porte du vestiaire avec énergie. Tant que je ne l’aurai pas vu de mes propres yeux, Madame Masson restera une grande sportive à mon avis, docile et bien bâtie! Plus tard, elle fera de grandes choses.

— Et nous, on compte pour du beurre ? questionna Camille.

— Non, pour des tartines je pense, enchérit Anna.

— Ça va aller, vous ne voulez pas faire un listing de tous les aliments, non plus ? En plus je commence à avoir faim.

— Mais Lola, il est trois heures de l’après-midi, fit remarquer Anna.

— Et alors ?

— Tu vas encore te plaindre de maux de ventre et on va être obligées d’appeler ta mère pour qu’elle vienne te chercher ! Tu te souviens, quand...

Lola coupa son amie, connaissant très bien la révélation qu'elle s'apprêtait à faire.

— Mais ça va pas de raconter ça devant Monsieur Benson ? La honte …

— Oh tu sais, j’entends des anecdotes sur mes élèves tous les jours. Et rassure toi, la tienne n'est pas la pire.

Les trois adolescents l’observèrent d’un air intéressé.

— J’n’aurais pas dû dire ça, râla Monsieur Benson en tapant du pied.

— Bon, on ne va pas vous déranger plus longtemps, coupa Camille. Vous avez certainement autre chose à faire.

— Oh non, j’allais rentrer chez moi. Vous allez quelque part, que je vous dépose ?

— On va boire un coup en ville, vous voulez venir avec nous ? proposa Camille, le sourire aux lèvres.

— Oh, vous savez, je ne sais pas si je suis vraiment autorisé à être vu en public avec des élèves… hésita-t-il.

— On va dans ce pub au bout de la rue Thérèse, vous savez, celui où personne ne va jamais ?

— Et puis au diable le règlement, ça fait longtemps que je ne suis pas sorti en ville entre copains.

Monsieur Benson les fit monter dans sa voiture et, comme convenu, les conduisit au pub. Sur le chemin, Lola ne pouvait s’empêcher de poser des questions sur la vie privée de son professeur en remarquant la vahiné qui se dandinait sur le tableau de bord de son bolide. Camille et Anna, quant à elles, se contentaient de chantonner les musiques qui passaient à la radio.

— Vous avez une femme, Monsieur ? Elle ressemble à cette figurine ?

— Oui je suis marié depuis vingt ans, mais tu sais, le temps change les gens.

— Monsieur Benson, seriez-vous en train d’essayer de me dire que votre épouse n’est plus aussi belle qu’auparavant ?

L’enseignant leva les yeux au ciel d’un air amusé.

— C’est l’idée. En plus, elle est bornée. Parfois ça a du bon, mais d’autres, ça peut être un calvaire, crois-moi ! Ma petite, quand tu choisiras la personne avec qui tu vas passer le reste de ta vie, sois bien sûre de toi.

— Le jour où Lola aura un petit copain, les cochons auront des ailes ! s'écria Camille.

— Hé ! Je ne te permets pas …

Ils parlèrent ainsi jusqu’à arriver au pub. Lola avait l’air passionné par ce que lui racontait son professeur ; ses expériences de cœur, ses études, sa famille… Jusqu’à ce qu’ils arrivent dans la rue où se trouvait ce fameux bar. Monsieur Benson dut garer la voiture un peu plus loin, car il y avait un sens interdit. La petite assemblée se rendit donc sur le lieu tant attendu à pieds.

Tout humain correctement développé se serait enfui en découvrant le bâtiment. L’endroit était lugubre, même en pleine journée. Les murs de la façade principale étaient peints d’un jaune délavé et sentaient la moisissure. Des fissures recouvraient chacun de ses recoins, comme si la structure s’apprêtait à s’écrouler. Une vielle enseigne lumineuse indiquant « Chez Joe’s » grésillait, et luisait d’une faible lueur dorée. Monsieur Benson fit la grimace.

— Sérieux, là ?

— Ben quoi ? s’indigna Camille. C’est là que je vais tous les week-ends, le barman me connaît bien. Il suffit que je lui fasse des yeux doux et il m’offre ce que je veux.

Tout le monde entra non sans réticence. La décoration festive n’avait rien à voir avec l’extérieur triste et mal accueillant du bâtiment. Les murs étaient recouverts de tapisserie rouge parsemée de photographies abîmées par le temps. À leur droite, ils aperçurent une cible en mousse avec des fléchettes plantées dessus. Une énorme peau de bête recouvrait la moitié du sol et du mobilier. Une télévision était suspendue au mur du bar et diffusait un match de basketball. Des posters dédicacés de joueurs étaient accrochés derrière le comptoir et un vieux chapeau de lutin irlandais traînait sur une table.

Le barman avait tellement l’air occupé à astiquer les verres qu’il ne remarqua pas la présence des adolescents.

— Hé, Joe ! hurla Camille en agitant les bras.

L’homme accoudé au comptoir se tourna vers le petit groupe en affichant un sourire enjôleur.

— Tiens, salut Camille, je ne t'avais pas vue ! Comment tu vas ? Dis donc, tu m’amènes du beau monde. Salut les gars, comment ça va ?

Intimidés, Monsieur Benson, Lola et Anna se jetèrent des regards hésitants.

— Oh allez, faites pas les timides, venez, je vais vous faire goûter quelques petites nouveautés que j’ai mis au point la semaine dernière !

Anna se tourna vers son amie, inquiète. L’homme n’inspirait pas une totale confiance, avec son bonnet de reggae et ses longs cheveux bruns, il dégageait une odeur âcre.

— Dis, il va nous servir de l’alcool ? Je ne suis même pas majeur !

— Je n’sais pas.

— Comme tu viens souvent ici, tu dois commencer à le connaître, non ?

— Oui mais tu sais, il est imprévisible, alors ça peut être tout et n’importe quoi…

— C’est rassurant, intervint Lola. Il y a de la fumée bleue qui sort par la porte de la cuisine…

— Ben ça risque d’être couvert ce soir, s’écria Monsieur Benson.

Les trois adolescents se tournèrent vers lui, interloqués. Cette plaisanterie était d’un niveau très bas.