Anticipation N°2 - Marcus Dupont-Besnard - E-Book

Anticipation N°2 E-Book

Marcus Dupont-Besnard

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Beschreibung

Dans cette nouvelle enquête, Marcus Dupont-Besnard et Jeanne L'Hévéder sont partis explorer les futurs de l'humanité dans l'espace. Si nous allons vivre sur Mars, sur la Lune, ou dans des stations spatiales, à quoi pourront bien ressembler nos habitats ? Comment pourrons-nous manger et boire ? Quels seront les nouveaux enjeux politiques et économiques ? Découvrez dans ce numéro des entretiens inédits au coeur de l'innovation scientifique et technologique, avec l'astronaute Thomas Pesquet, des architectes spatiaux, des ingénieur-e-s et des responsables de la NASA et de l'ESA. Les imaginaires font partie intégrante de cette exploration : en plus de rencontres littéraires et artistiques avec Laurent Genefort, Becky Chambers ou Marion Montaigne, ce numéro vous plonge dans le quotidien de scénaristes et producteurs de séries comme Star Trek et Stargate.

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Autre numéro :

N°1 : Transhumanisme, la science va-t-elle modifier l'espèce humaine ? (Juin 2018)

Illustration de couverture :© 123RF / Tithi Luadthong

SOMMAIRE

PARTIE 1 : LE DÉSIR D'ESPACE

THOMAS PESQUET

MARION MONTAIGNE

PARTIE 2 : LE LONG TRAJET VERS L'ESPACE

DIDIER SCHMITT

BERNARDO PATTI

TANYA HARRISON

MICHELLE HANLON

VINITA MARWAHA MADILL

PARTIE 3 : LE SPATIAL RACONTÉ PAR LA SF

ANDRE BORMANIS

JOSEPH MALLOZZI

BECKY CHAMBERS

LAURENT GENEFORT

PARTIE 4 : CONSTRUIRE DANS L'ESPACE

SANDRA HÄUPLIK-MEUSBURGER

BARBARA IMHOF

PARTIE 5 : VIVRE DANS L'ESPACE

LUCIE POULET

A.-S. SCHREURS & J. CHARLES

PARTIE 6 : NOTRE AVENIR SUR MARS

RICHARD HEIDMANN

SHEYNA GIFFORD

CHRIS MCKAY & STEPHEN PETRANEK

PARTIE 7 : EXOPLANÈTES & MOT DE LA FIN

AVEC DEBRA FISHER, DAVID FOSSÉ ET FLORENCE PORCEL

Ce numéro est publié durant l'année du 50e anniversaire de la mission Apollo 11, pendant laquelle un humain, Neil Armstrong, a posé pour la première fois un pied sur la Lune. À l'avenir, combien d'autres fois allons-nous fouler des corps célestes, bien loin de la Terre ?

ÉDITO

Dans ce second numéro, comme dans le premier, notre enquête est fondée sur un leitmotiv : vous faire découvrir des univers et points de vue enrichissants de scientifiques autant que d'artistes. C'est grâce à leurs expertises et à leurs idées que nous vous projetons dans une multitude d'archétypes de futurs possibles. Notre recherche ne prétend pas à l'exhaustivité, elle s'apparente plutôt à un voyage à travers les sciences et la fiction. Vous pourrez toutefois constater que sur l'avenir de l'odyssée spatiale, beaucoup de considérations convergent d'un entretien à l'autre.

Une ambition que nous avons pour chaque numéro est de proposer une enquête au maximum intemporelle. Cela dit, le spatial connaît une telle effervescence que de nouveaux éléments apparaissent chaque semaine. Pour vous parler du futur en toute crédibilité, nous devons aussi vous parler du présent, voire même du passé. Ne soyez pas surpris si, dans plusieurs entretiens, nous prenons le temps de faire le point sur ce qui se fait de nos jours : cette base permet de poser de solides jalons à l'extrapolation.

Ces quelques précisions apportées, nous pouvons maintenant prendre la direction des futurs spatiaux qui nous attendent.

Marcus Dupont-Besnard

Jeanne L'Hévéder

Portrait officiel de l'astronaute Thomas Pesquet. (Image : Nasa / domaine public)

PARTIE 1 LE DÉSIR D'ESPACE

THOMAS PESQUET : PROFESSION ASTRONAUTE

MARION MONTAIGNE : DESSINER L'ESPACE

Des millions de Français ont pris plaisir à suivre les aventures spatiales de l'astronaute français Thomas Pesquet, de novembre 2016 à juin 2017. La fascination envers ce nouvel eldorado que constitue l'espace est plus forte que jamais en ce début de XXIe siècle, tant l'évolution technologique et les œuvres de fiction convergent en direction d'un futur où l'humanité pourrait bien s'étendre au-delà de la planète bleue.

Le désir d'explorer les cieux pour repousser toujours plus de frontières est ancré en nous au moins depuis l'Antiquité. Au Ve siècle avant Jésus-Christ, le scientifique et philosophe grec Archytas de Tarente aurait conçu… une colombe aérodynamique. Ce petit automate en bois serait le tout premier de l'histoire à être capable de voler, et sur près de 200 mètres. Deux millénaires et demi plus tard, le 21 juillet 1969, près d'un quart de la population mondiale se retrouvait devant un écran de télévision ou un poste de radio pour suivre les premiers pas de l'humanité sur la Lune. Ce qu'Hergé avait imaginé, en faisant marcher Tintin sur la Lune en 1954, était devenu une réalité.

Dans un livre qu'ils ont coécrit, l'ancien astronaute Jean-François Clervoy et le docteur Franck Lehot estiment que, au moment de ce premier alunissage, le « sentiment universel qu'une nouvelle ère s'ouvre à l'humanité est palpable ». Jacques Villain, ingénieur et spécialiste de l'histoire de la conquête spatiale, écrit quant à lui que l'être humain est un « voyageur-né » : après avoir exploré et conquis l'ensemble de notre planète, nous projetons ce désir de conquête vers l'espace. Tout ce qui s'étend au-delà de l'atmosphère terrestre est perçu comme une extension du territoire mondial, un nouvel horizon où tout est encore à découvrir. Le besoin d'exploration est irrépressible et l'espace apparaît comme la seule opportunité de poursuivre cette trajectoire.

L'imaginaire politique américain est particulièrement marqué par cette édification de l'espace comme nouvelle frontière. Dans le contexte de la Guerre froide, entre 1947 et 1991, le mythe fondateur du Far West a été repris pour justifier le développement d'une politique spatiale ambitieuse. Le président John Fitzgerald Kennedy évoquait une continuité dans l'histoire des États-Unis en insistant, au cours d'un discours prononcé le 25 mai 1961, sur la nécessité de se lancer dans une « nouvelle grande entreprise américaine », afin de repousser la « nouvelle frontière » que constitue l'espace.

L'expression « conquête spatiale » restitue cette ambition diplomatique et militaire. C'est d'ailleurs pour se détacher de cette approche politique que nous avons préféré employer le terme « odyssée spatiale » pour le titre de ce numéro. Mais il est impossible de nier que l'exploration spatiale était et demeure une forme de conquête, l'histoire n'a de cesse de le rappeler, à l'image de Ronald Reagan déclarant une « guerre des étoiles » en 1983.

Paradoxalement, après la Guerre froide, l'espace sera aussi synonyme d'une entente mondiale autour d'objectifs communs. Les stations spatiales en sont l'incarnation. Dans un premier temps, elles n'étaient que le résultat d'une volonté nationale : Saliout pour l'URSS et Skylab pour les États-Unis. Le premier virage s'opère grâce à la station Mir, lancée par les Russes en 1986. Son programme s'est progressivement ouvert à des astronautes de nationalités variées. Aujourd'hui, la Station spatiale internationale est en orbite depuis deux décennies et constitue l'aboutissement de cette évolution, une coopération mondiale en faveur de la recherche scientifique.

Le rôle de la science-fiction

Du côté de l'opinion publique, la littérature de science-fiction a joué un rôle fondamental pour créer un désir de l'espace. « Aucune entreprise humaine ne doit autant à la littérature que l’exploration de l’espace », avance l'écrivain et éditeur Gérard Klein, dans Le Monde diplomatique.

Cette idée est partagée par Norman Spinrad, auteur de renommée internationale, qui écrit, dans le même journal : « Le voyage spatial, la colonisation d’autres planètes — ou la conquête de l’espace, expression qui trahit les dessous impérialistes du rêve — ont été au cœur de l’esthétique de ce genre depuis qu’il existe. Beaucoup de savants et de techniciens qui ont amené les Américains sur la Lune, et un grand nombre d'astronautes eux-mêmes, ont été influencés par les romans d’anticipation. »

La science-fiction connaît son âge d'or durant les années 1950, au début de l'odyssée spatiale. L'imaginaire, la politique et la science s'imbriquent alors plus que jamais, d'autant que les auteurs de cette époque, tels que Robert Heinlein, Isaac Asimov et Arthur C. Clarke, se donnaient pour mission de transmettre le goût de l'exploration spatiale dans leurs récits, avec un souci de pédagogie autant que de rigueur scientifique. Dans le film 2001 : L'Odyssée de l'espace, développé par Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick pour une sortie au cinéma en 1968, on retrouve une station spatiale orbitale et une base lunaire. Voilà de quoi aviver plus que jamais l'intérêt du public pour un futur spatial… un an avant le premier pas sur la Lune.

L'enjeu d'un futur spatial

Si nous avons décidé de dédier tout un numéro à l'odyssée spatiale, c'est parce qu'il s'agit d'un futur possible susceptible de métamorphoser profondément notre mode de vie. En jeu, rien de moins que notre habitat commun ; notre environnement quotidien ; nos relations humaines ; nos politiques ; nos inventions et idées qui font évoluer le monde.

Un avenir spatial n'est pas un avenir fantaisiste à envisager. L'humanité y a déjà consacré plusieurs décennies de recherches, d'investissements publics et privés. En plus de cela, l'espace occupe une place particulière dans l'imaginaire collectif : les mystères de l'Univers exercent indéniablement une fascination et un émerveillement, l'idée de l'explorer relève d'un grand rêve que la science cherche à réaliser. Florence Porcel, youtubeuse et vulgarisatrice scientifique, incarne ces deux aspects du spatial. Elle transmet tout le merveilleux de l'espace mais sans jamais délaisser la rigueur scientifique. Au travers de ses vidéos et de ses ouvrages, elle s'efforce d'adopter une pédagogie où le plaisir d'apprendre n'est pas incompatible avec une haute fidélité dans les informations. Pour elle, l'enjeu de la vulgarisation est « de rendre accessibles les connaissances à tous les citoyens et citoyennes. Parce que la majeure partie du savoir acquis provient de la recherche publique – et donc financée par nos impôts – mais aussi et surtout parce que la connaissance du monde qui nous entoure doit faire partie intégrante de la formation intellectuelle et critique. »

Le monde qui nous entoure est avant tout notre propre planète. S'intéresser à un futur spatial pourrait paraître incompatible avec l'enjeu environnemental : avant de chercher à aller vivre ailleurs, pourquoi ne pas prendre davantage soin de la Terre ? Comme vous le constaterez au fil des entretiens, la recherche scientifique et les oeuvres de fiction autour de l'odyssée spatiale ont également un impact sur la préservation de la Terre. « Mieux connaître le(s) monde(s) qui nous entoure(nt) et avoir des satellites qui scrutent notre planète à chaque instant est indispensable pour mieux comprendre les enjeux concernant le dérèglement climatique », tient à préciser Florence Porcel.

Les voyages habités dans l'espace sont partie prenante de la prise de conscience environnementale. En 1968, la mission Apollo 8 est la première mission habitée vers la Lune : le vaisseau, avec trois astronautes à son bord, s'installe en orbite lunaire sans se poser. L'objectif est notamment de prendre des clichés de la surface pour préparer Apollo 9. Mais l'astronaute William Anders en profite pour immortaliser le « lever de Terre » : au-dessus de l'horizon lunaire, on peut observer la Terre se lever tel un soleil. Le cliché devient célèbre, car c'est la première fois que l'humanité voit sa planète d'aussi loin. Galen Rowell, photojournaliste de la revue Nature, a déclaré qu'il s'agit de « la photographie environnementale la plus influente jamais prise ».

Depuis, Thomas Pesquet et bien d'autres astronautes n'ont jamais cessé de rappeler à quel point leur passage dans la Station spatiale internationale (ISS) fut très important pour développer une conscience écologique accrue. Dans ce numéro, nous projetons tout ce qu'implique un futur où l'humanité irait vivre dans l'espace, au-delà de sa planète d'origine. Mais pour autant, la Terre restera au cœur de nos préoccupations.

THOMAS PESQUET

PROFESSION ASTRONAUTE

Thomas Pesquet incarne la figure moderne de l'astronaute : non seulement il a vécu dans l'espace, mais il sait aussi communiquer avec pédagogie et enthousiasme sur le sujet. Les quelques centaines de milliers d'internautes qui le suivent sur les réseaux sociaux ont ainsi pu profiter de ses photographies de la Terre vue depuis la Station spatiale internationale. À son retour, sa capacité à transmettre le sens scientifique de sa mission a probablement généré quelques vocations parmi les plus jeunes.

Ancien pilote de ligne, il est recruté comme astronaute en 2009 par l'Agence spatiale européenne (ESA), parmi plus de huit mille postulants. Il lui faut alors suivre un entraînement de six ans, avant de pouvoir enfin devenir le dixième astronaute français. Durant ces six années intensives, Thomas Pesquet apprend le russe ; participe à des exercices de survie (des grottes de Sardaigne en passant par la Taïga en Sibérie) ; se familiarise à l'impesanteur dans une centrifugeuse ; s'exerce aux gestes médicaux ; apprend l'utilisation d'outils informatiques qu'il sera amené à manipuler sur l'ISS… Et ce ne sont là que de brefs exemples. Derrière l'apparat glamour du métier d'astronaute se cache aussi et surtout énormément de travail. C'est là un aspect qui n'est pas souvent abordé et Thomas Pesquet nous le confirme d'emblée : « Les choses positives sont celles dont on parle le plus, en insistant sur tout ce qui est formidable, donc parfois on peut avoir l'impression que le métier d'astronaute n'est que du fun, alors que 99 % du temps c'est plutôt… ''de la sueur et des larmes'' ou pas loin ! relève l'astronaute. Les difficultés et les sacrifices sont quand même très présents. C'est un style de vie qui est centré sur ce projet professionnel et tout le reste est secondaire. Ce n'est pas facile à vivre tous les jours. »

Mais, si aller dans l'espace est tellement difficile, pourra-t-il un jour être accessible à celles et ceux qui ne sont pas surentraînés ? La réponse est probablement oui. Nous sommes d'ores et déjà à l'aube du tourisme spatial. Il est prévu que la Nasa ouvre les portes de l'ISS à des activités commerciales à partir de 2020. Si l'on en croit les premières annonces, SpaceX et Boeing, deux sociétés privées partenaires de l'agence spatiale américaine, pourront faire séjourner une douzaine d'astronautes non professionnels sur l'ISS jusqu'à trente jours chacun. À 31 000 euros la nuit, ce n'est pas encore pour le commun des mortels, mais la brèche est néanmoins ouverte : le spectre des humains aptes à vivre dans l'espace s'élargit légèrement, et ce n'est qu'un début.

Dans cet entretien, Thomas Pesquet nous immerge dans son quotidien d'astronaute, de ses missions scientifiques à son état d'esprit… Pour mieux nous narrer sa vision du futur de ce métier et du spatial.

L'ENTRETIEN

Quel est votre rôle scientifique en tant qu'astronaute ?

La Station spatiale internationale a deux rôles. Le premier est l'exploration : apprendre à vivre dans l'espace pour pouvoir aller plus loin. Le second est d'être un laboratoire scientifique dans lequel on utilise les propriétés de l’environnement spatial, comme l'impesanteur et les radiations. Le but est d'accéder à des résultats qui ne sont pas découvrables sur Terre. Les scientifiques ont des idées, connaissent les propriétés de cet environnement, se disent que ce serait super intéressant pour leur travail d'envoyer leurs recherches dans la station spatiale. Alors ils contactent les agences, qui font des appels à idées. On met tout en musique, on envoie cela dans la station et c'est là que, nous, astronautes, entrons en jeu. Nous sommes à la fois les opérateurs, les yeux et les mains des scientifiques, sans être experts.

Notre rôle est de réaliser des expériences scientifiques au profit des laboratoires au sol. Et pour tout ce qui relève de la physiologie, de la médecine, de la biologie, nous pouvons servir de cobayes, par exemple avec des prises de sang et d'autres protocoles.

Pouvez-vous nous parler de l'une des missions les plus fondamentales que vous avez eu à bord ?

Il est toujours difficile de mettre le doigt sur une seule, car l'une des particularités de l'ISS est la pluridisciplinarité. C'est l'un des seuls laboratoires dans le monde qui fait à la fois de la biologie, de la médecine, de la science des matériaux, de la cosmologie. D'habitude, chaque laboratoire est spécialisé.

Néanmoins, mon expérience la plus ambitieuse concernait la physiologie des muscles, avec un appareil capable de mesurer finement les caractéristiques musculaires. Ce n'est pas seulement le volume musculaire mais aussi, en profondeur, la structure du muscle, afin d'étudier comment l'atrophie qui touche les astronautes pourrait être un modèle en accéléré du vieillissement ou de pathologies musculaires comme la myopathie.

En regardant la manière dont les muscles changent et dont ils récupèrent, cela donne des pistes aux scientifiques pour essayer de trouver des traitements contre des pathologies au sol.

Quel a été votre plus grand bonheur à bord de l'ISS ?

Le meilleur moment, c'était vraiment le début : l'entrée dans la station spatiale. C'était un rêve qui se réalisait, puisque cela faisait sept ans que je préparais cette mission, voire davantage si l'on compte tout ce que j'ai fait avant dans ma vie m'ayant amené à devenir astronaute. Quelque part, je prépare cela depuis que je suis tout petit.

Il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer, les probabilités d'aller dans l'espace sont « contre l'individu ». La satisfaction personnelle est immense. C'est beaucoup de bonheur, car la découverte d'un univers qu'on a énormément suivi sur des écrans. Auparavant, j'avais travaillé sur des expériences au sol mais, là, tout d'un coup, cela se réalise : on flotte dans la station, on se cogne un peu partout mais ce n'est pas grave car on a risqué notre vie, donc on est content d'être arrivé à bon port ! C'était un moment incroyable. S'il y a beaucoup d'autres bonheurs, c'est bien celui-là qui s'est le plus imprimé dans mon cerveau.

En parallèle, quelle a été votre plus grande crainte ?

Quand on est à l'intérieur de la Station spatiale, c'est vraiment comme être sur un gros bateau, voire dans un sous-marin. À l'intérieur, il n'y a pas vraiment de fenêtres, sauf une qui est panoramique. La plupart du temps, tout apparaît très confiné. Mais c'est assez sûr, peu de choses peuvent arriver même si c'est possible quand même ! Le feu peut prendre à bord, il peut y avoir une dépressurisation… mais heureusement cela n'arrive pas souvent, voire jamais. Tant mieux pour nous !

En revanche, quand on sort de l'ISS en sortie extra-véhiculaire, tout est beaucoup plus dangereux. On s'expose à un environnement qui est très difficile, sans la protection de la coque de la station et de tous ses systèmes. C'est vraiment le moment le plus vertigineux, où le danger est le plus élevé. Il faut travailler en dehors, attaché par une petite longe. On lâche les deux mains et on flotte avec 400 kilomètres de vide sous les semelles. C'est le moment le plus impressionnant.

Il ne faut pas nier non plus la peur qu'il arrive quelque chose aux proches sur Terre. Pendant six mois, on est parti et on ne peut absolument pas revenir. Heureusement, les proches sont aidés par l'agence spatiale. Mais le grand stress reste un accident de voiture, une crise cardiaque pour les parents ou les grands-parents, des choses comme cela… C'est très dur à gérer.

De nos jours, les missions spatiales sont en orbite terrestre. On peut voir la planète, communiquer facilement avec les proches. Supporteriez-vous de vivre la même expérience sans jamais apercevoir la Terre ?

Les grandes inconnues pour les missions au long court sont en effet assez psychologiques. Pour l'aspect technique on va y arriver même si ce n'est pas facile. Par contre, pour l'aspect psychologique on ne sait pas. Personne n'a jamais perdu la Terre de vue, ou alors un tout petit peu en tournant autour de la Lune pendant les missions Apollo – mais cela demeurait peu éloigné, revenir en deux jours était possible. Si on va sur la Lune et qu'on s'y installe de manière un peu plus permanente, quand on fera des missions habitées sur Mars, sans plus apercevoir la Terre… Ce sera une autre paire de manches. On ne sait pas ce qui va se passer dans la tête des gens. Il y aura un délai de communication, parler en direct ne sera plus possible, il faudra s'envoyer des messages. Ce sera comme revenir quelques centaines d'années en arrière, à l'époque où l'on s'envoyait seulement des lettres et où c'était très long !

Je pense qu'il faudra pouvoir s'envoyer des vidéos, trouver des moyens de garder ce type de contact, car l'Homme n'est pas fait pour vivre entièrement seul. Même sur Terre, la police au Groenland travaille en duo et fait des haltes pour rejoindre la civilisation. Quoi qu'il en soit, on y travaille ! Il y a des expériences d'isolation, comme Mars500, qui sont faites pour mettre les gens dans de telles conditions et voir ce qu'il se passe.

Pourriez-vous être confronté à un tel isolement ?

Oui. Je pense que par définition les astronautes estiment qu'ils peuvent se confronter à tout. Parfois il se trompent… mais toujours est-il qu'ils se portent volontaires, alors c'est bien. Je suis assez patient, cela ne me dérange pas forcément d'être tout seul.

Cela dit, je n'ai jamais été isolé pendant trois ans, donc je ne peux pas vraiment savoir. J'imagine qu'il faudra un screening, à savoir une sélection psychologique, ce qui a déjà été le cas pour nous avant l'ISS. Passer six mois dans la station et bien s'entendre avec les collègues nécessite d'avoir un certain profil psychologique. Il faudra pousser cela encore plus à l'extrême dans les prochaines sélections.

Avez-vous une idée des évolutions nécessaires appelées à être développées afin de pouvoir vivre dans l'espace ?

Si on parle par exemple d'une mission vers Mars, il ne manque pas grand-chose mais il y a trois problèmes expliquant qu'on ne sache pas encore le faire.

Le premier souci serait la dose de radiations éprouvée par les astronautes. Dès qu'on s'éloigne de la Terre, on n'est plus protégé par les ceintures de Van Halen (le champ magnétique terrestre) donc l'exposition aux radiations est bien plus forte. Un aller-retour de six mois sur Mars, scénario classique, générerait une exposition trop importante. La manière de gérer ce problème reste un paramètre inconnu. Blinder davantage le vaisseau est envisageable, mais à ce moment-là il est beaucoup plus lourd… et c'est ici qu'intervient le deuxième problème. Une mission vers Mars nécessite énormément de logistique : de la nourriture, de quoi descendre sur la planète et remonter, etc. Tout est très lourd. Le coût du lancement (et il en faudra une vingtaine) devient prohibitif.

Le troisième problème, c'est la rentrée atmosphérique sur Mars. Il y a juste assez d'atmosphère pour qu'il soit nécessaire de s'en soucier : on va brûler, car on arrive très vite. Par contre il n'y a pas assez d'atmosphère pour que le frottement nous ralentisse. Or, c'est comme cela qu'on redescend sur Terre. Plus on descend, plus on frotte, plus on ralentit, ainsi de suite. Il suffit d'un bouclier thermique, d'un parachute, et les astronautes rentrent sur Terre à l'intérieur d'une capsule. Sauf que sur Mars, c'est plus compliqué. Il faudrait poser 40 tonnes sur la surface, correspondant à six mois d'exploitations scientifiques et de matériels logistiques, à la fois pour les gens qui seront sur place mais aussi pour pouvoir redécoller. On ne sait pas faire une entrée atmosphérique sur Mars avec 40 tonnes comme on sait le faire avec les 100 kilos du rover Curiosity.

Tout cela pour dire qu'avec une propulsion plus rapide, nous pourrions faire le trajet aller-retour beaucoup plus rapidement, et alors tous ces soucis se solutionnent. Les radiations ne sont plus un problème, car le temps d'exposition est plus court. La dose totale est supportable. Une fois sur Mars, on se protège, on fait des habitations et on s'enterre. Le poids des lancements se simplifie : en allant beaucoup plus vite, la mission est plus courte, il y a moins de nourritures, de vêtements, de logistique… donc moins de poids. Les coûts de lancement seraient moindres et la rentrée atmosphérique deviendrait possible.

La propulsion spatiale est une clé pour les missions interplanétaires. Toutes les agences travaillent dessus. Nous avons bon espoir de progresser sur ce point.

Et du côté des matériaux, quel est l'enjeu du moment ?

Il y a l'impression 3D. On pense pouvoir se servir du régolithe lunaire, un matériau sous forme de poussière noire que l'on trouve à la surface de la Lune, pour imprimer des équipements ou même carrément de grandes structures comme des habitations. Technologiquement, tout converge de plus en plus, c'est pour cela que l'on est capable de dire que dans une vingtaine d'années nous aurons la capacité d'aller vers Mars.

Pensez-vous que le métier d'astronaute, dans un futur lointain, deviendra aussi répandu que d'autres professions, avec une diversification des activités et des missions ?

La tendance naturelle est que l'activité se « démocratise ». Tant mieux… Nous ne sommes pas là pour rester enfermés dans notre tour d’ivoire, à dire que nous sommes des professionnels, que c'est très difficile et que tout le monde ne peut pas le faire. L'idée, c'est que si l'on peut envoyer tout le monde dans l'espace, ce serait très bien.

Le fait est qu'on ne peut pas encore, pour pas mal de raisons. La première est médicale : du lancement au retour, cette activité est risquée. Donc nous ne pouvons pas encore envoyer des gens dans l'espace juste pour le plaisir. C'est plutôt pour travailler. Or, pour faire un boulot efficace dans l'espace, il faut malheureusement se préparer pendant des années.

Il y a tout de même des activités connexes qui se développent. On parle beaucoup de tourisme spatial, depuis des années, mais cela n'a pas encore trop décollé. Moi, je trouve que l'idée est bonne. L'exploration spatiale est comme toutes les explorations sur Terre : elle est d'abord conduite par des militaires, puis par des explorateurs, puis par des gens de la société. Ensuite, on s'installe dans le nouveau territoire, on le découvre, on l'utilise.